Concevons qu’elle est seulement différente. […] Toute réalité vivante est soumise à la nécessité, — s’étant conçue de quelque façon afin de se former, — de se concevoir autre désormais et de se différencier quelque peu d’elle-même pour persister dans l’existence : « Qu’il faille que je sois lutte, devenir et but et contradiction des buts »22, tel est l’aveu secret que murmure la Vie à l’oreille attentive de Zarathoustra. Cette confidence implique, comme loi du changement dans l’homme et sous le regard de la conscience, ce pouvoir de se concevoir autre, qui apparut dans l’œuvre de Flaubert avec un relief pathologique, et auquel on a donné le nom de Bovarysme.
Albalat proscrit-il : Prendre une résolution, concevoir des craintes, dissiper des illusions, etc. ? […] s’écrie-t-il, On dit : prendre une décision, un conseil, etc. ; dissiper le brouillard, la fumée se dissipe, l’écolier se dissipe en classe, etc. ; concevoir un projet, un espoir, une entreprise, etc. […] Que la langue française est pauvre, que les verbes prendre, concevoir, dissiper, etc., se prêtent à différents sens et acceptent divers régimes.
Le type conçu par Béranger ne gagnerait rien à se mouvoir dans un plus vaste espace. […] Elle ne mourrait pas de honte, de désespoir, elle n’expierait pas sa faute par une mort volontaire, elle n’a jamais conçu, elle ne peut concevoir une telle pensée. […] En vérité, on a peine à comprendre qu’un tel personnage ait pu être conçu par M. […] Mais la poésie lyrique, telle que la conçoit M. […] Je conçois bien que le vent agile les feuilles, enfle les voiles d’un navire ; mais je ne conçois pas, je ne crois pas que personne comprenne comment le vent agiterait les corps célestes.
Il est trop évident que ce n’est pas ainsi qu’il faut concevoir la vraie poésie. […] Et c’est bien dans l’hypnose commençante qu’elles doivent avoir été conçues. […] Il a peu de chances pour la retrouver exactement telle que le compositeur l’avait conçue. […] Essayez de concevoir isolément le sens d’un mot abstrait, votre intelligence s’y refuse. […] On ne pourra donc la bien exprimer que lorsqu’on l’aura nettement conçue, et la nettement concevoir que lorsqu’on l’aura bien exprimée.
Le miracle n’était pas conçu alors comme surnaturel. […] Rien de moins philosophique que d’appliquer une demi-critique aux récits conçus en dehors de toute critique. […] Le philosophe, au contraire, ne conçoit en aucune circonstance ni la rétractation absolue ni l’immobilité prédécidée. […] La science n’étant guère apparue jusqu’ici que sous la forme critique, on ne conçoit pas qu’elle puisse devenir un mobile puissant d’action. […] Or presque toute opinion est vraie en elle-même, mais relative quant au point de vue où elle est conçue.
Michel-Ange conçoit, imagine, rêve toujours un peu plus grand et un plus beau que nature. […] Neige ou bronze, tout lui était indifférent, pourvu qu’il enfantât ce qu’il avait conçu. […] La description du tombeau de Jules II, tel que Michel-Ange l’avait conçu, serait tout un poëme funéraire et demanderait des pages sans nombre. […] En artiste souverain qu’il était lui-même, il ne conçut pour toute envie qu’une émulation respectueuse pour un génie qui n’éclipsait pas le sien, mais qui l’illuminait d’une révélation nouvelle. […] L’histoire ne doit dérober ni à San Gallo ni à Bramante la gloire d’avoir conçu, exhaussé sur ses premières assises et fondé le plus vaste, le plus magnifique temple du culte moderne.
La pensée qui nous intéresse, notre vraie pensée, n’avait donc pas l’expression qu’elle méritait ; nous la concevions nettement, mais nous l’énoncions de manière à donner le change sur sa vraie nature. […] Dans le second seulement, un sens provisoire est immédiatement conçu sous la forme d’une traduction incomplète ou inexacte. […] Alexandre Dumas, dont les manuscrits immaculés sont célèbres, était de ces derniers ; Balzac, au contraire, se ruinait en corrections d’épreuves ; soutiendra-t-on, d’après Boileau, que Balzac concevait moins nettement qu’Alexandre Dumas les personnages qu’il mettait en scène dans ses romans ? […] Ce que l’on conçoit bien, etc. […] « Les enfants conçoivent beaucoup de choses qu’ils ne savent pas nommer, et ils retiennent beaucoup de mots dont ils n’apprennent le sens que par l’usage. » Bossuet, Logique, I, 3.
Ce gros mathématicien, mon voisin, qui, la craie en main, s’amuse à chiffrer en fumant, l’air gai et l’esprit tranquille, contemple en ce moment cette intelligence immense qu’on ne peut concevoir sans stupeur. […] De plus, nous le concevons comme n’étant ni un être réel, ni la qualité d’un être réel, ce qui signifie qu’il est une grandeur abstraite ; d’où l’on voit pourquoi il est nécessaire, et pourquoi on ne peut le supposer détruit. […] Concevoir l’espace comme infini, ce n’est pas apercevoir expressément et distinctement par un seul acte de l’esprit la totalité de ses parties, c’est simplement lui concevoir une limite quelconque, analyser cette idée de limite et y trouver une contradiction. C’est donc encore une analyse qui me fera concevoir l’espace comme infini. […] Mais la limite de cette autre partie est, d’après ce qu’on vient de dire, absolument semblable à celle de la première ; vous devez donc concevoir une troisième partie, c’est-à-dire un espace nouveau qui continue la seconde et la prolonge au-delà de l’espace que vous avez considéré d’abord.
Je ne veux pas dire par là que tel détail vous attire par son heureuse inspiration ou que tel fragment dénote, à vos yeux, l’artiste de race qui l’a conçu : je dis que de l’œuvre dans sa totalité, de ses moindres détails comme de ses lignes maîtresses, jaillit une incomparable expression de beauté. […] Une des principales raisons qui me font considérer Horta comme un artiste de premier ordre, c’est qu’il conçoit lui-même en même temps que l’édifice, tout ce qui en dépend : décoration, ameublement, vitraux, étoiles, objets d’art, etc. […] Horta conçoit très différemment, par exemple, une maison destinée à un célibataire et une autre destinée à une famille ; bien plus, sa conception sera également différente, suivant la profession ou la nature des individus auxquels elle s’applique : à un médecin ou à un avocat ne s’adapteront pas le même édifice qu’à un homme de lettres ou un commerçant. […] Les motifs de ses vitraux, de ses étoffes, de ses objets d’art, de ses meubles, de tel lustre électrique, de tel départ de lampe, de telle décoration murale, sont entièrement conçus par lui, sortent exclusivement de sa pensée, en dehors de toute interprétation de la nature. C’est là ce qu’on peut appeler proprement une création, pour laquelle il ne suffit pas de posséder le goût et l’ingéniosité, mais surtout la puissance individuelle de concevoir.
Mais, en dépit de la rigoureuse unité que le volume emprunte de son titre, il reste acquis que chaque trinité, conçue individuelle, existe en soi et détient sa propre signification. […] Cette femme qui, malgré la flamme qu’elle portait au côté, ne se mit ni en dehors, ni au-dessus de la vie, qui accepta simplement sa destinée et fit simplement ses devoirs de jeune fille, d’épouse, de mère et de grand-mère, cette femme réalisait bien la vie que concevait Paul Verlaine. « Toujours le pardon, toujours le sacrifice. » Tel il s’était conçu, lui, surtout « né pour plaire à toute âme un peu fière », « tout prière et tout sourire, sorte d’homme en rêve et capable du mieux », comme il dit de lui-même quelque part. […] Cela se conçoit.
Hugo conçoit comme des êtres nus et simples, qui manifestent leur passion ou leur nature par la répétition d’actes semblables. […] Hugo ait conçue. […] Il n’est pas en somme, dans toute l’œuvre du poète, des sujets aux péripéties, de la psychologie à la philosophie, une pensée qui ne soit prise à la foule ou aux livres, qui ne doive être tenue pour inadéquate ou mal conçue. […] Le faux Lord Chancharlie est historiquement vraisemblable, et de toutes les héroïnes de théâtre, la reine Marie Tudor, se distingue par des passions humaines conçues en termes vrais. […] Ici, à son habitude de concevoir les choses aussi énormes que les mots, aucune expérience antagoniste ne s’oppose.
Quant à la valeur spéciale d’art d’une œuvre conçue dans cette donnée, elle reste soumise à qui de droit, abstraction faite de toute théorie esthétique particulière à l’auteur. […] Les figures idéales, typiques, que celui-ci a conçues, ne seront jamais ni surpassées ni oubliées. […] Othello, Macbeth, Richard III, sont conçus avec une grande puissance. […] On sait l’histoire mystique conçue par le poète. […] Non seulement il vivifie ce qu’il conçoit, ce qu’il voit, ce qu’il entend, mais il excelle à rendre saisissant ce qui est obscur dans l’âme et vague dans la nature.
Il y a un extrême danger à donner une valeur historique et chronologique aux évolutions que l’on conçoit comme ayant dû être successives, à supposer, par exemple, que l’homme débute par l’anthropophagie, parce que cet état est conçu comme le plus grossier. […] S’il y a d’autres intelligences que celle de l’homme, nous ne concevons pas qu’elles puissent voir autrement. […] Pour satisfaire une telle critique, il faudrait un texte ainsi conçu : les Arabes à cette époque n’avaient pas de jury ; lequel, je l’avoue, serait difficile à trouver. […] En revanche, les Sémites ont conçu en Dieu avec une remarquable facilité d’autres relations, celles de père, de fils, des distinctions de puissances, d’attributs (Cabale, etc.). […] Ce n’est que plus tard qu’on arrive à concevoir le livre profane, œuvre individuelle, bonne ou mauvaise, de tel ou tel.
Le mot Dieu est toujours pour lui le signe représentatif de toutes les belles et suprêmes idées que l’humanité conçoit, pour lesquelles elle s’exalte et qu’elle adore ; mais il semble que ce soit quelque chose de plus encore à ses yeux qu’une expression ; il semble prêter décidément à l’intelligence, à la justice indéfectible et sans bornes, une existence indéfinissable, inconnue, mais réelle. […] Renan me paraît le plus certainement atteint et convaincu de déisme latent, quoi qu’on en dise, c’est qu’il conçoit l’œuvre de l’humanité comme sainte et sacrée, qu’il y admire et y respecte, dans la suite des développements historiques, un ordre excellent, — non pas cet ordre tel quel, qui résulte nécessairement, fût-ce après coup, des rapports et de la nature des événements en cours et des éléments en présence, mais un ordre préétabli, et qui a tout l’air d’avoir été conçu quelque part dans un dessein supérieur et suprême. […] Je ne crois pas que, si on le poussait, il insistât sur ces caprices de sa philosophie en ses heures de rêve ; il m’est difficile notamment de concevoir quelle époque précise du haut Moyen-Âge a pu être si favorable au développement vigoureux de l’intelligence individuelle, à moins que ce ne soit dans le même sens qu’une prison avec ses barreaux est favorable à l’exercice de la force du prisonnier, s’il parvient à en sortir. […] On y voit tout ce qui a dû manquer à Channing pour qu’il ait été amené à avoir l’idée de son rôle populaire, tel qu’il le conçut, et pour y joindre, comme il l’a fait, la force et le moyen d’y réussir. […] Je ne puis concevoir Rome que telle qu’elle est, musée de toutes les grandeurs déchues, rendez-vous de tous les meurtris de ce monde, souverains détrônés, politiques déçus, penseurs sceptiques, malades et dégoûtés de toute espèce ; et si jamais le fatal niveau de la banalité moderne menaçait de percer cette masse compacte de ruines sacrées, je voudrais que l’on payât des prêtres et des moines pour la conserver, pour maintenir au-dedans la tristesse et la misère, à l’entour la fièvre et le désert. » Un des plus avancés d’entre les esprits modernes, et des plus voués à l’idée du progrès quand même, M.
Qui le serait, sinon celui qui la conçut ? […] Conçus et exécutés dans l’abstrait, ils auraient leur beauté peut-être, mais une autre beauté. […] On conçoit un tableau que le peintre peindrait pour soi. […] On conçoit un roman qui ne serait pas lu et dormirait dans son carton. […] Je ne dis pas qu’il ait été conçu pour elle ; mais il n’a pas été conçu contre elle.
Si elle réussissait dans son entreprise, que de modifications en résulteraient dans notre manière de concevoir les choses et la vie ! […] Le premier, il a conçu avec ampleur et suite ce que pouvait être la poésie scientifique ; le premier, il en a eu l’ambition, soutenue à travers toute une vie trop courte. […] Or nous ignorons si en dehors de l’homme il y a d’autres êtres semblables à lui, pensant d’après les mêmes lois, ou des réalités soumises aux conditions qu’il est forcé de concevoir. […] Le Mal, qui épie jalousement chaque astre aspirant à la vie, songe à lui composer, de toutes les infortunes qu’il peut concevoir, le plus sombre destin. […] Disons enfin que l’auteur s’est volontairement privé des ressources les plus brillantes que lui aurait offertes son sujet plus librement, plus largement conçu.
Concevoir l’idée d’animal, c’est affirmer qu’il y a ou peut y avoir des êtres qui se nourrissent, se reproduisent, se meuvent, etc., et que ces divers caractères sont unis. […] Entre la représentation familière du rocher immobile et la représentation nouvelle du rocher tombant, qui contredit l’autre, il y a un moment de conflit ; il y a opposition entre les forces acquises tendant à faire concevoir le rocher immobile et la force nouvelle tendant à le faire concevoir comme mouvant. […] Comment arrivons-nous à concevoir et à affirmer la similitude de l’avenir avec le passé ? […] Or, reniant qui s’est brûlé une première fois n’a aucune raison pour supposer une telle influence, et d’ailleurs il ne conçoit pas même le temps. […] Nous revenons ainsi à concevoir « la mathématique universelle » comme le but poursuivi par le raisonnement et par la science.
Lors même que plus heureux ou plus habile, on parvient à reproduire en partie ce que l’âme a conçu, il y a souvent encore mécompte par quelque endroit. […] Hugo l’avait conçu de la sorte ; mais en approchant de la scène, son imagination l’a entraîné ; il s’est fait involontairement spectateur, et la pompe de l’incendie l’a bien plus occupé que le cœur de Néron. […] Jamais orgie satanique n’a été conçue ni rendue avec plus de verve : l’argot des diables, leurs rires bruyants, leurs bonds impétueux, tout cela se voit et s’entend. […] Racine lui-même, j’oserai l’affirmer, Racine, dans les chœurs d’Esther et d’Athalie, n’a pas fait passer tout ce que son âme avait conçu de mélodie céleste et d’onction sacrée.
La science conçue comme un attentat. […] Vaine manière de concevoir la science. […] La philologie conçue comme l’illustration du passé. […] Le sacrifice des individus ne se conçoit qu’au point de vue de la perfection de l’humanité.
C’est cette raison humaine, philosophique, didactique, qui n’admet ou du moins ne veut admettre que ce qu’elle conçoit en elle-même ; c’est cette raison qu’il reconnaît, et qui fait la force, la beauté, la grandeur de histoire de Thucydide. […] En d’autres termes, il n’a pas senti que si des harangues, telles que les conçoit et les réalise Thucydide dans son histoire, donnent à cette histoire quelque chose de plus dramatique, de plus vivant, de plus intense, de cela seul, l’histoire est plus belle et l’historien littérairement justifié. […] Par simplification, « il ne conçoit l’histoire — dit M. […] Mais comme l’art littéraire tel que les Grecs le concevaient n’était pas tout, même à Athènes du temps de Périclès et de Phidias, et que la Critique y avait droit, comme en ce moment à Paris, d’y exiger plus d’un historien que de l’art, fût-il raffiné, que répondrait M.
Ce qu’ils s’assuraient les uns aux autres par la mise en commun de leur pauvreté, ce n’était point leur part intégrale des jouissances terrestres, telle que la peut concevoir un ouvrier, et qui comporte, très naturellement, une nourriture copieuse et les plaisirs qu’on trouve chez le marchand de vin et ailleurs : ce n’était que quelques figues sèches et la douceur d’attendre ensemble le royaume de Dieu. […] Je me souviens de l’avoir sentie très nettement, à Paris, pendant le premier mois de la Commune, à lire les affiches et les journaux enfiévrés, à voir flamber dans les rues le drapeau rouge, à me mêler, sous le grand soleil, aux cohues démentes de la place de l’Hôtel-de-Ville ; et pourtant j’étais un enfant très raisonnable. — Bref, je conçois, sans nul effort que cet homme, l’autre jour, soit monté sur cette table et qu’il y ait chanté cette chanson assassine contre une classe pleine de vices et d’égoïsme assurément (comme toutes les classes sociales sans exception), mais où il y a aussi de braves gens, et dont il se pourrait que la très modeste moyenne de vertu et de bonté ne fût pas trop inégale à la bonté et à la vertu de ceux qui réclament du plomb contre elle. Oui, je conçois que ç’ait été là une des minutes les plus voluptueuses de ce rhétoricien à cou de taureau.
Sans cesse, il intervient, indique l’impression qu’il ressent, l’affection ou la haine qu’il conçoit, les divers ébranlements que subit sa sensibilité, la plus frémissante, la plus volontairement agitée qui soit. […] Taine l’a abondamment constaté, sont permanents, immuables en leurs traits constituants, et ceux-ci sont fort peu nombreux et d’autant plus accusés ; ce sont des personnages sans importance, puérilement conçus, qui, sauf M. […] Aussi un être affectif ne peut-il avoir du monde extérieur qu’une connaissance toute personnelle, subjective, et qui lui indique simplement si certaine partie lui en plaît ou non ; s’il est amené à décrire quelque spectacle, il pourra seulement non pas l’analyser et susciter dans d’autres esprits l’image qu’il en aura conçu, mais s’étendre sur l’agrément ou le déplaisir qu’il en aura ressenti. […] Si Dickens conçoit ses héros comme permanents, s’il leur donne une unité de nature contraire à la vérité, si ses scènes mêmes ne font faire à l’action aucun progrès sensible, c’est que les sentiments qui sont à l’origine de toutes ses inventions sont eux-mêmes uns, indivisibles, sans nuances qualitatives, que l’hypocrisie de M. […] Les sujets de romans qu’il a conçus n’ont presque jamais d’importance générale.
Mais cette aveugle disposition ne résulte que d’une manière fausse et étroite de concevoir la grande relation de la science, à l’art, faute d’avoir assez profondément apprécié l’une et l’autre. […] Mais une telle notion ne conduit nullement à concilier les deux modes opposés suivant lesquels la science et la théologie conçoivent nécessairement la direction effective des divers phénomènes. […] Or, ce fondement préalable ne saurait provenir que d’un être au moins égal, jugeant ainsi par similitude ; on ne peut le concevoir de la part d’un inférieur, et la contradiction augmente avec l’inégalité de nature. […] Aussi doit-on concevoir cette inévitable opposition comme la principale source secrète des diverses transformations qui ont successivement décomposé la philosophie théologique en la réduisant de plus en plus. […] Mais, ainsi conçu, cet expédient provisoire est aujourd’hui devenu aussi indispensable qu’inévitable.
On le conçoit, le théâtre, c’est l’arène de tous les cœurs amoureux de la grande gloire littéraire, de tous ceux qui briguent hautement la palme et qui croient à la rémunération publique du talent. […] Mais il me semble, et ne vous semble-t-il pas également, Messieurs, qu’après quelques années peut-être, après des orages bien moindres sans doute que n’en eurent à supporter les vaillants adversaires, et durant lesquels se serait achevée cette lente épuration idéale, telle que je la conçois, le poëte tragique perfectionné et persistant aurait retrouvé un public reconnaissant et fidèle, un public grossi, et bien mieux qu’un niveau paisible, je veux dire un flot remontant qui l’aurait repris et porté plus haut. […] Il y a une autre façon qui se conçoit, surtout dans le drame, mais je ne crains pas d’ajouter en toute poésie : serrer davantage à chaque instant la pensée et le sentiment, l’exprimer plus à nu, sans violer sans doute l’harmonie ni encore moins la langue, mais en y trouvant des ressources mâles, franches, brusques parfois, grandioses et sublimes si l’on peut, ou même simplement naïves et pénétrantes. […] Je conçois, Messieurs (et d’assez beaux noms autour de moi me le disent), que le divorce entre les différentes applications de la pensée ait cessé de nos jours, qu’un noble esprit habitué à tenter les hautes sphères, à parcourir la région des idées en tous les sens, ne se croie pas tenu à circonscrire son activité sur tel ou tel théâtre, qu’il ne renonce pas à sa part de citoyen, à faire peser ou briller sa parole dans les délibérations publiques, à compter dans l’État ; — je conçois, Messieurs, et même j’admire un tel rôle ; mais ce n’en est pas moins un aimable contraste que cette modération de désirs et, si l’on veut, d’idées, chez un homme aussi distingué, aussi désigné, et qui pouvait espérer beaucoup. […] La comédie de Casimir Delavigne exprime à merveille quelques-unes de ces épreuves, de ces alternatives, qu’il dut méditer souvent : sachons-lui gré d’avoir conçu, d’avoir fait applaudir, en cette œuvre presque dernière, le sacrifice de ce qui pouvait sembler son idole.
Or, si Pétrarque ne peut se concevoir sous le règne du paganisme, Tibulle ne se concevrait pas davantage sous le règne de la foi chrétienne. […] Or, je ne conçois pas, je ne crois pas qu’il soit permis de concevoir la forme poétique sans l’emploi des images. […] La théorie de la sphère ne se conçoit pas sans la théorie du cercle, de même que la théorie du cône ne se conçoit pas sans la théorie du triangle rectangle. […] Il ne conçoit pas la clairvoyance sans exaltation. […] Je concevrais difficilement qu’il s’en fût affranchi.
Il est vrai que ceux qui jouissent de la faculté de voir, ne peuvent concevoir une chose étendue sans la concevoir colorée ; ils joignent par association aux qualités tactiles les qualités visuelles, qui même deviennent prédominantes. […] Une étroite et irrésistible association d’idées nous fait concevoir l’accroissement continu d’une ligne, d’une surface, d’un volume.
Bien peu de personnes, il est vrai, conçoivent le côté sérieux de la littérature et de la poésie ; le littérateur n’est, aux yeux de la plupart, qu’un homme chargé de les amuser, et le savant, n’ayant pas ce privilège, est par là même déclaré inutile et ennuyeux. […] Comment l’opinion publique serait-elle favorable à la science, quand la plupart ne la connaissent que par de vieux souvenirs de collège, qu’on se hâte de laisser tomber et qui ne pourraient d’ailleurs la faire concevoir sous son véritable jour ? […] Mais l’école ayant en général chez nous un but pédagogique ou pratique, réduire la science à ces étroites proportions, supposer par exemple que la philologie ne vaut quelque chose que parce qu’elle sert à l’enseignement classique, c’est la plus grande humiliation qui se puisse concevoir et le plus absurde contre-bon sens. […] Notre public est trop difficile ; il exige de l’intérêt et même de l’amusement, là où l’instruction devrait suffire ; et, de fait, jusqu’à ce qu’on ait conçu le but élevé et philosophique de la science, tant qu’on n’y verra qu’une curiosité comme une autre, on devra la trouver ennuyeuse et lui faire un reproche de l’ennui qu’elle peut causer.
En un mot il conçoit Dieu. […] Dans quel ordre les concevons-nous ? Commençons-nous par concevoir l’idée de l’unité, puis l’idée de la diversité ; ou bien concevons-nous d’abord l’idée de la diversité, et puis celle de l’unité ? […] peut-elle concevoir que deux et deux ne font pas quatre ? […] Comme on ne peut concevoir que trois idées dans la pensée, on ne peut concevoir que trois époques dans le développement de la pensée par l’histoire ; on ne peut concevoir qu’il puisse y avoir d’autres époques, ou qu’il puisse y en avoir une de moins.
Nous ferions désormais d’inutiles efforts pour imaginer comment conçoivent le monde ceux qui ne croient pas au progrès. […] Je conçois cette mesquine conception de l’existence actuelle chez l’orthodoxe sévère, qui transporte toute sa vie au-delà. Je ne la conçois pas chez le philosophe. […] Je conçois de même pour l’avenir que le mot morale devienne impropre et soit remplacé par un autre. […] Ozanam a montré d’une façon non subtile que Dante a conçu l’unité de l’humanité d’une façon presque aussi avancée que les modernes.
On l’envoya rédiger des journaux en province, à Rouen, à Périgueux ; il s’y fit la main, il s’y forma l’esprit, il y connut les hommes, et conçut d’emblée fort peu d’estime pour l’espèce en général, sauf un petit nombre d’exceptions. […] Veuillot, et, me rappelant mes impressions d’alors, je conçois les siennes. […] parce qu’un homme de bon esprit, étudiant les sciences, méditant sur les faits naturels, sur les lois qui les régissent, sur les origines mystérieuses et les transformations qui s’y opèrent, ne peut arriver à concevoir l’idée de Création proprement dite, et qu’il accepte plus volontiers l’idée d’une succession continue, avant comme après, pendant un temps infini, — cet homme qui, en raison de cette conception qui lui paraît la plus probable, ne peut avoir les mêmes idées que vous sur la Genèse et l’origine du monde ; — vous qui n’avez nulle idée des sciences proprement dites ni de leurs méthodes, ni de leurs résultats, ni de leur progrès continuel et croissant, vous l’insulterez pour ce fait seul, — lui qui est d’ailleurs un savant de mérite, un honnête homme, un sage ! […] Cet homme admet bien, comme vous, l’idée générale de Création, et même il ne saurait concevoir l’idée contraire, celle d’une succession continue à l’infini ; mais après cette idée de Création il s’arrête, il ne peut concevoir ni admettre que l’Intelligence et la Puissance infinie se soit, à un certain jour, incorporée, incarnée dans une forme humaine ; il respecte, d’ailleurs, au plus haut degré, à titre de sage et de modèle moral sublime, Celui que vous saluez d’un nom plus divin ; — et cet homme, parce qu’il ne peut absolument (à moins de se faire hypocrite) admettre votre idée à vous, avec toutes ses conséquences, vous l’insulterez !
On conçoit sans peine que l’affliction de ce personnage doit surpasser celle des autres, puisque ce grand maître desesperant de la répresenter, s’est tiré d’affaire par un trait d’esprit. […] On conçoit facilement comment un peintre varie par l’âge, le sexe, la patrie, la profession et le temperament, la douleur de ceux qui voïent mourir Germanicus ; mais on ne conçoit point comment un poëte épique, par exemple, viendroit à bout d’orner son poëme par cette varieté, sans s’embarasser dans des descriptions qui rendroient son ouvrage ennuïeux. […] Pour faire concevoir sans peine et distinctement tous ces détails, il faut les exposer aux yeux. […] Des exemples rendront encore notre reflexion plus facile à concevoir.
On conçoit bien comment les pantomimes pouvoient venir à bout de décrire intelligiblement une action, et de donner à entendre par le geste les mots pris dans le sens propre, comme le ciel, la terre, un homme, etc. […] Il n’étoit pas difficile de concevoir qu’il vouloit dire par-là qu’un homme plus grand homme que les autres, c’étoit un homme qui pensoit plus profondément qu’eux. […] S’il se formoit des pantomimes à Paris, ne conçoit-on pas qu’ils débuteroient par executer dans leur jeu muet les belles scénes du Cid et des autres pieces les plus connuës, en choisissant celles où l’action demande que le comédien prenne plusieurs attitudes singulieres, qu’il fasse plusieurs gestes faciles à remarquer, et qu’on puisse reconnoître aisément quand on les voit faire sans entendre le discours dont ils sont l’accompagnement naturel. […] Comme les pantomimes étoient dispensez de rien prononcer, et comme ils n’avoient que des gestes à faire, on conçoit aisément que toutes leurs démonstrations étoient plus vives, et que leur action étoit beaucoup plus animée que celle des comédiens ordinaires. […] Il y a environ vingt ans qu’une princesse, qui joint à beaucoup d’esprit naturel, beaucoup de lumieres acquises, et qui a un grand goût pour les spectacles, voulut voir un essai de l’art des pantomimes anciens qui pût lui donner une idée de leurs représentations plus certaine que celle qu’elle en avoit conçue en lisant les auteurs.
Honte à moi cependant si, durant le cours de deux épouvantables années, si pendant le règne de la terreur en France, j’avais été capable d’un tel travail ; si j’avais pu concevoir un plan, prévoir un résultat à l’effroyable mélange de toutes les atrocités humaines. […] L’organisation de la puissance publique, qui excite ou comprime l’ambition, rend telle ou telle religion plus ou moins nécessaire, tel ou tel code pénal trop indulgent ou trop sévère, telle étendue de pays dangereuse ou convenable ; enfin c’est de la manière dont les peuples conçoivent l’ordre social, que dépend le destin de la race humaine sous tous les rapports. […] Il ne s’ensuit pas qu’il faille croire à la perfection dans l’ordre social ; mais il est utile pour les législateurs de se proposer ce but, de quelque manière qu’ils conçoivent sa route. Dans cet ouvrage donc que je ferai, ou que je voudrais qu’on fit, il faudrait mettre absolument de côté tout ce qui tient à l’esprit de parti ou aux circonstances actuelles, la superstition de la royauté, la juste horreur qu’inspirent les crimes dont nous avons été les témoins, l’enthousiasme même de la république, ce sentiment qui dans sa pureté est le plus élevé que l’homme puisse concevoir. […] C’est à cette époque où le cercle des jouissances est parcouru, et le tiers de la vie à peine atteint, que ce livre peut être utile ; il ne faut pas le lire avant ; car je ne l’ai moi-même ni commencé, ni conçu qu’à cet âge.
Il y a des gens qui ne conçoivent pas le bonheur sans faveur exceptionnelle et qui n’apprécieraient plus la fortune, l’éducation, l’esprit, si tout le monde en avait. […] Je conçois l’État reconnaissant un seul culte ; je le conçois ne reconnaissant aucun culte ; mais je ne le conçois pas reconnaissant tous les cultes 164. […] Fichte a osé concevoir un état social si parfait que la pensée même du mal fût bannie de l’esprit de l’homme. […] La morale a été conçue jusqu’ici d’une manière fort étroite, comme une obéissance à une loi, comme une lutte intérieure entre des lois opposées 166. […] Pouvons-nous concevoir le sentiment des artisans, des cultivateurs de l’Attique devant ces monuments qui leur appartenaient, qu’ils comprenaient, qui étaient bien réellement l’expression de leur pensée ?
Absolument parlant, les mots dans cet emploi sont un moyen de science et les œuvres qui sont ainsi conçues ne sont littéraires, si elles le sont, que lorsqu’elles traitent d’objets fictifs inventés ou dénaturés spécialement en vue d’émouvoir, malgré le mode par lequel ils sont représentés. […] En expressions plus précises, un mot générique de la sorte qui présente une image trop grande, trop indéfinie pour être conçue clairement, qui nécessite donc un effort, une tendance insatisfaite à l’image, provoque dans le mécanisme cérébral comme une décharge suffuse, une tension croissante ; il y a dans l’esprit un mouvement d’expansion et une description conçue en termes généraux pareils, qui se limitent le moins possible, sera une description plus sentimentale que notionnelle, sera une description poétique. […] Nous pouvons à la fois connaître reflet de ces dérangements cérébraux divers par la considération des écrits conçus sous leur influence ; en même temps ces altérations mentales, dont nous voyons ainsi le résultat, nous pouvons à peu près en déterminer l’effet grâce à ce que l’on sait aujourd’hui de psychologie générale. […] Les hypothèses que nous avons été amené à concevoir sur la constitution de leur organisme moral comportaient chez cinq d’entre eux : Heine, Dickens, Tourguénef, Dostoïewski et Tolstoï ; un développement ou une condition plus ou moins anormaux de la sensibilité. […] Par métier encore, la déformation qu’il s’accoutume à faire subir au réel, le porte à le mépriser, à concevoir d’abstraction en abstraction quelque chose d’idéal, de plus grand et de plus transportant, à vivre dans nue sphère astrale, loin de ce globe en terre, devenu, par comparaison, imparfait et détesté.
Taine, l’ensemble des textes et documents de toute espèce ne s’oppose point à ce que l’on conçoive Napoléon précisément comme il l’a fait. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’ils permettent aussi de le concevoir un peu autrement. […] J’aurais voulu dire que, au bout du compte, j’aime le monstre conçu par M. […] Vous pouvez concevoir (peut-être) la justice parfaite, non la parfaite félicité. […] Le monde, qui est mauvais, est bon néanmoins, puisqu’il ne peut être conçu meilleur sans déchéance.
Passe encore que d’un deuxième acte de Tristan on supprime la dernière scène : un corps sans jambes se conçoit : mais un corps sans torse, la tête à la place du ventre, cela se conçoit-il ? […] Mais on peut concevoir comme concret et vivant l’homme idéal : il est un être indépendant et moral, le but de notre développement intellectuel, le résultat — aujourd’hui rêvé seulement — de tout notre progrès intérieur. […] Non pas que l’homme devienne maintenant Dieu (homo fiat deus), ce serait une complète confusion d’idées : le devenir (fieri) signifie toujours quelque chose de réel : l’idéal ne peut être que conçu. Mais la connaissance de Dieu n’est pas une branche de la science, qui ne conçoit que ce qui est terrestre : la connaissance de Dieu est affaire de foi, et la vraie foi est l’expression nécessaire du degré que l’on a atteint sur le chemin de l’humanité idéale ; la foi ne vit pas non plus dans la tête, mais dans un cœur ; elle appartient absolument à l’essence de l’homme ; c’est son âme conçue dans ce mot, le Christ. […] Or, dans le cœur est enfermé le salutaire sang Aryen, comme dans le sanctuaire du Gral ; tandis que la tête peut concevoir tous les mélanges faux et bizarres, et s’en glorifie même, nommant cela un accroissement de la science.
elle seule a conçu, préparé, exécuté. […] Le roi de Prusse, qui assiégeait la place en personne, y conçut pour Merlin une estime particulière qui paraît avoir été réciproque, et lorsque, des années après, on entrait dans le cabinet de l’ex-conventionnel, on était étonné d’y trouver d’abord le portrait de ce roi. […] Rentré à son séminaire de Metz, le jeune Merlin, toujours croyant, mais ému et très ébranlé, avait bientôt conçu ou cru concevoir une passion pour une jeune pensionnaire qu’il apercevait de sa fenêtre dans le jardin d’un couvent voisin. […] Gardez-vous donc de devenir chartreux… » Et tout ce qui suit. — Et l’on conçoit, en effet, cet enfer de la réclusion et de la solitude, quand la contemplation mystique n’est plus qu’un vain mot, et que le rayon céleste ne descend plus. […] Je ne pouvais concevoir comment un homme, et surtout un homme oisif, pouvait engloutir tant de nourriture : cependant, à l’exception du prieur, tous les moines mangeaient leur portion, et j’ai même vu dom Pierre et dom Quentin, deux vieillards octogénaires, et dom Lucien, aide-sacristain, jeune encore, mais à peu près stupide, demander des suppléments !
Aujourd’hui l’homme d’un coin de terre civilisé peut concevoir que son semblable existe sous d’autres cieux. […] Je ne conçois pas qu’il y ait dans le monde des organismes indépendants, organisme supposant inter-dépendance au dehors aussi bien qu’au dedans. […] Ce n’est qu’à la suite d’étranges aberrations qu’on a pu concevoir des systèmes de philosophie sociale où la grandeur de l’individu dépendait de son isolement et d’autres où, au contraire, l’altruisme aboutissait à la négation de l’individu. […] Alors que l’existence normale de l’animal humain ne peut se concevoir sans une vie du dehors et une vie du dedans, équilibrées suivant le rythme personnel de l’individu, l’animal-cité, ce « grand être » en ébauche, ne peut atteindre non plus son intégralité, s’il ne fait concourir la vie inter-sociale, c’est-à-dire la vie de l’humanité dans toute son ampleur, à son développement interne. […] Même s’il en avait été autrement, la réalisation d’une « entente cordiale » conçue sur de telles bases, ne pouvait être qu’une duperie, car les agissements de la politique courante nous ont mis en garde contre l’efficacité de semblables accords.
Henri Barbusse semble tout à fait étranger au mode de concevoir qui fut habituel à la plupart des poètes de l’âge précédent… Par la volonté des dieux propices, il échappa à la contagion d’idées très précieuses par elles-mêmes, mais que l’indécente familiarité des sots avait avilies, comme toujours… De là ce livre où l’on ne retrouve pas l’air de famille ordinaire aux livres de début qui s’impriment en France et en Belgique. […] Henri Barbusse est moins une série de poèmes qu’un long poème purement subjectif, conçu sous la forme d’une rêverie, disant ce charme des matins et des ombres, de la solitude et de la tristesse.
D’ordinaire, les philosophes lui donnent la place principale et une place tout à fait distincte. « J’éprouve des sensations, disent-ils, j’ai des souvenirs, j’assemble des images et des idées, je perçois et conçois des objets extérieurs. […] Or ces facultés résident en lui d’une façon stable ; par elles, il sent, il se souvient, il perçoit, il conçoit, il combine des images et des idées, il est donc une cause efficiente et productrice. » — On arrive ainsi à considérer le moi comme un sujet ou substance ayant pour qualités distinctives certaines facultés, et, au-dessous de nos événements, on pose deux sortes d’êtres explicatifs, d’abord les puissances ou facultés qui les éprouvent ou les produisent, en suite le sujet, substance ou âme qui possède les facultés162. […] Les savants eux-mêmes en viennent involontairement à cette conclusion quand, munis des formules mathématiques et de tous les faits physiques, ils essayent de concevoir les dernières particules de matière169. […] Ainsi, dans le monde physique comme dans le monde moral, il ne reste rien de ce qu’on entend communément par substance et force ; tout ce qui subsiste, ce sont les événements, leurs conditions et leurs dépendances, les uns moraux ou conçus sur le type de la sensation, les autres physiques ou conçus sur le type du mouvement.
Exception faite en faveur de du Bartas, au xvie siècle, qui conçut une œuvre une et comme synthétique du savoir contemporain, en une forme châtiée aux rythmes souventefois très adéquats à l’idée — se servant du seul vers alexandrin dont il tient puissamment le secret ; et avec des effets surprenants de musique vocale. […] Stéphane Mallarmé ; en effet, a conçu une œuvre, en maints volumes) de laquelle pas un livre encore n’est écrit. […] Procéda de même, mais pourtant avec une logique due à sa très originale sentimentalité ironique et douloureuse, Jules Laforgue, mort si tristement à vingt-cinq ans : car l’on ne peut concevoir autres les vers aux fuyantes et sursautantes allures funambulesques de l’auteur personnel des Complaintes… Avec ces trois poètes, dont les deux premiers très profonds et dignes de tous les respects artistes, MM. Sully-Prudhomme, Mallarmé et Kahn, voilà donc ce que produit la conscience non déguisée que la Poésie, en d’autres temps logique telle qu’on la conçoit, ne peut plus être la même en les temps nouveaux peu à peu découverts : une pensée malgré tout religieuse, des principes à priori et rêveries paradoxales, erreurs pédantes de raisonnement et d’expérience scientifique. […] Cette Œuvre sera la mienne, qui est conçue, dont le plan, un livre, des extraits sont publiés : car ce Poète nouveau, rationnel, directeur de la pensée et comme exerçant une magistrature, ça été mon vouloir de l’être, selon mon pouvoir… * * * Une Philosophie évolutive.
Dernière et nécessaire opération, qui consiste à corriger ce que l’on a écrit Quand on a longuement médité un sujet, et qu’on a reconnu les idées qui lui appartiennent, quand on a distribué ces idées selon leur importance particulière et leurs rapports mutuels, quand enfin on a mis par écrit tout ce qu’on avait conçu, et bien exécuté le plan qu’on avait arrêté, a-t-on fini sa tâche, et ne reste-t-il qu’à se reposer dans la joie de l’effort qui vient d’aboutir ? […] Si nette ou si puissante que soit l’intelligence, on ne peut si bien concevoir son plan, qu’il n’y ait quelque chose à rectifier, quand l’œuvre sera construite, un peu plus de justesse à donner aux proportions, une partie à resserrer, une autre à faire saillir, une qu’on avait crue nécessaire, à retrancher comme une superfétation, un intervalle parfois à combler, un trou à boucher.
Nous ne concevons pas ce sentiment sans un amour désintéressé, une sympathie profonde, ni presque sans un tour d’imagination religieusement panthéiste. […] Boileau ne conçut pas un moment la possibilité de se passer d’idées et de sujets. […] Car d’abord, la matière échauffe sa verve : tout ce qu’il était capable de concevoir d’émotion, se ramasse et se dépense sur ces sujets. […] Jusque dans cette admirable Satire IX, vous apercevrez les points de suture : ce n’est pas un discours fortement conçu et contenant toutes ses parties dans son principe, c’est une suite de morceaux saisissants, dont chacun présente une facette du sujet. […] Jusque-là Boileau composait avec les idées de sa mémoire ; il assemblait sans conviction des abstractions conçues par son intelligence sur la foi de ses livres ; maintenant il obéit à sa passion intime : il travaille sur les matériaux de sa propre expérience.
Je conçois seulement que la poésie que j’essaye de définir serait celle d’un solitaire, d’un névropathe et presque d’un fou, qui serait néanmoins un grand poète. […] On conçoit qu’il y ait un rapport, une ressemblance entre le souvenir et le crépuscule, entre la mélancolie du couchant, du jour qui se meurt, et la tristesse qu’on éprouve à se rappeler le passé mort. […] » En réalité, ce qu’il traduit ainsi, ce n’est pas l’impossibilité d’aimer Dieu, mais celle de le concevoir tel qu’il puisse être aimé, ou (ce qui revient au même) l’impuissance à l’imaginer dès qu’on essaye de le concevoir comme il doit être : principe des choses, éternel, omnipotent, infini… Comment donc faire ? […] Elle croit concevoir un Dieu infini en lui prêtant une bonté, une justice infinies, etc., et elle ne s’aperçoit point qu’elle le limite par là et que ces vertus n’ont un sens que chez des êtres bornés, en rapport les uns avec les autres. […] On aurait peine à pardonner ces choses à un Dieu que l’on concevrait rationnellement et que, par suite, on n’aimerait point : on en remercie le Dieu que l’on conçoit tout de travers, mais qu’on aime.
Qu’est-ce que Dieu pour l’humanité, si ce n’est le résumé transcendant de ses besoins suprasensibles, la catégorie de l’idéal, c’est-à-dire la forme sous laquelle nous concevons l’idéal, comme l’espace et le temps sont les catégories, c’est-à-dire les formes sous lesquelles nous concevons les corps 206 ? […] Ils n’étaient pas encore arrivés à concevoir l’unité de gouvernement dans l’univers. […] Or, comme l’humanité n’a jamais perdu le sens commun, il faut bien se persuader que, jusqu’à ce qu’on soit arrivé à concevoir naturellement ces fables, on n’a pas le mot de l’énigme. […] Je conçois les orthodoxes, je conçois les incrédules, mais non les néo-catholiques. […] Je prendrais volontiers la formule de Malebranche : Dieu est le lieu des esprits comme l’espace est le lieu des corps, si elle n’était trop conçue au point de vue de la substance, ce qui lui donne quelque chose de grossier et de faux.
Les deux rapports les plus généraux que conçoive l’intelligence humaine sont ceux de succession et de simultanéité. […] Le caractère d’infini, propre à ces deux idées de temps et d’espace, c’est-à-dire l’impossibilité pour notre intelligence de leur concevoir des bornes, s’explique par la loi d’association. Nous ne pouvons concevoir un moment du temps sans que cette idée éveille irrésistiblement en nous celle d’un moment qui suit, puis d’un autre. […] La psychologie ainsi conçue peut et doit être une science distincte.
Mais peut-on dire pour cela qu’ils aient été conçus en vain ? […] Essayez de concevoir un visage d’une beauté parfaite. […] L’a-t-il brusquement conçue, par une intuition géniale ? […] Ils le trouvaient déjà conçu et presque fixé dans l’imagination populaire. […] De temps immémorial, l’imagination humaine a spontanément conçu de telles images.
Il est donné à peu près à tout le monde de concevoir le poème de Jason ; il n’est donné qu’a un très petit nombre de l’écrire comme M. […] Sans doute, ce n’est point sous de tels aspects de mélancolie qu’un païen véritable pouvait concevoir les divines légendes, ce sont là plutôt des nostalgies païennes, comme aurait pu en évoquer un cerveau chrétien du ve siècle dans les pénombres attristées des cryptes romanes.
., qui ne sont plus des reflets du dehors, mais des modes de concevoir inhérents à notre structure cérébrale. […] En outre, cette cause peut être conçue de deux manières : soit comme inférieure, soit comme supérieure à la pensée. […] Mais comme ce fond, ainsi conçu, échappe par définition même à notre intelligence, nous n’avons pas besoin de nous en occuper au point de vue intellectuel. […] Mais alors ce sont les choses qui agissent et non le temps seul, qui, comme seul, nous paraît toujours un ordre conçu et abstrait. […] Un phénomène isolé serait un phénomène conçu, non réel ; il serait de plus sans raison et sans cause, étant sans lien.
Jadis, même dans la plus vaste de nos œuvres, dans L’Éducation sentimentale, si l’on ne conçoit, en effet, comme un tout La Comédie humaine ou Les Rougon-Macquart, un homme ne s’est ainsi attaqué à la tâche de donner une image adéquate et compacte de la vie, avec une pareille et si forte ardeur à saisir tout l’existant d’un coup, à le transcrire et le consigner perçu dans son extension matérielle et idéale, de temps et d’espace, de beauté, de grâce, d’énergie, de violence, de pathétique, de pensée. […] Ainsi se marquent les grandes scènes guerrières des Souvenirs de Sébastopol et de la Guerre et la Paix, dont l’exactitude prodigieusement nouvelle, le singulier et menu relief prennent l’attention, sans que rien d’oratoire, de stylé, les recommande, sans qu’ils importent par autre chose qu’une observation, une imagination, une expression aussi proche de la vérité qu’on peut la concevoir. […] Ce sont là les secrets que Tolstoï arrache à la vie pour la reproduire ; il la conçoit active, intense, infiniment variée et expansive ; il la montre évoluant, passant par toutes les phases que lui impose l’usure de l’organisme par le temps ; il la décrit instable, réagissant capricieusement aux influences du dehors, empreinte de tout l’illogisme, le hasardeux, l’incalculable, qui proviennent de sa complexité et lui simulent son ondoyante liberté. […] Cessant graduellement d’être comme le voyant, le miroir, l’intelligence de toutes les formes de l’âme humaine, se réduisant à n’en concevoir qu’une, la sienne propre, comme exemplaire, manifestant ce prosélytisme par des indications, des insistances, des exclusions arbitraires, puis par des opinions expresses. […] Pour tout homme qui conçoit un ordre de choses meilleur que l’existant ou tel qu’il ne puisse être atteint par une évolution fatale et graduelle, la réalité cesse peu à peu d’être un objet de contentement ; pour tout homme qui considère l’ensemble des faits physiques et moraux non pas comme un système intelligible à résumer intellectuellement en lois, mais comme le domaine et le sujet d’une règle louable moralement à laquelle il doit satisfaire ou être amené à se conformer, cet ensemble cesse d’être un objet de contemplation sereine.
Mais cela peut-il s’imaginer ou même se concevoir ? […] Elle étudie moins la matière que les corps ; on conçoit donc qu’elle s’arrête à un atome, doué encore des propriétés générales de la matière. […] Ne pouvons-nous pas concevoir, par exemple, que l’irréductibilité de deux couleurs aperçues tienne surtout à l’étroite durée où se contractent les trillions de vibrations qu’elles exécutent en un de nos instants ? […] Concevons-nous que ce contenu augmente, et quand nous parlons d’un temps indéfiniment divisible, est-ce bien à cette durée que nous pensons ? […] Comment les concevoir, et quelle est cette durée dont la capacité dépasse toute imagination ?
Renan, qui publie cette Vie de Jésus, laquelle est à bien des égards une version et interprétation de l’Évangile, telle que le Vicaire savoyard l’eût conçue et désirée en ce temps-ci, vit tranquille, prend les bains de mer en Bretagne avec sa famille, et voit son livre se débiter, se lire, se discuter dans tous les sens. […] Renan ait formé le même vœu et conçu le même regret. Et toutefois il a exprimé, en plus d’un endroit de ses écrits, des vœux de méditation individuelle et de hauteur solitaire, si fervents, si profondément sentis, il a marqué un tel désir d’idéal et une telle prédilection élevée pour les sommets infréquentés de la foule, que l’on conçoit très-bien qu’il ait pu, par moments, regretter aussi de ne pas vivre en des temps où cette lutte sur un terrain commun et public, cette bataille à livrer en plaine, ne lui aurait point paru nécessaire. […] Renan ne présente-t-il son récit que comme probable et plausible, comme une façon satisfaisante de concevoir et de s’imaginer ce qui a dû se passer, ou de cette manière, ou d’une manière plus ou moins approchante. […] Il se rencontrait un moment difficile et périlleux, dans une Vie du Christ ainsi conçue : c’est celui où, d’une première prédication toute tendre et plus modeste, il passe à son rôle divin plus déclaré et à son affectation de Messie.
Il les combat, il les réfute ; il évoque contre eux, de même qu’il le faisait contre les précédents adversaires, et sous une forme à peine différente, le péril de la ruine sociale, le spectre du néant, de l’athéisme, son incompatibilité profonde avec l’esprit humain, avec la société humaine, l’abîme de l’irresponsabilité morale où tomberaient les âmes… ; en un mot, la fin du monde civilisé, tel qu’il a été conçu jusqu’ici et qu’il a existé depuis la première cité et le premier autel. […] Les savants cherchent, observent, conçoivent, conjecturent, induisent ; le chrétien tranche, et, en vertu du livre révélé, il répond que Dieu un jour a créé la terre, et puis l’homme. […] Le portrait ne sera ni flatté ni noirci : je tâcherai seulement qu’il soit fidèle, et qu’il exprime la parfaite idée de l’esprit critique en ces matières, tel que je le conçois. […] Le sage et le savant, tel que je le conçois, sait, hélas ! […] Boutmy dans la Presse , du 27 août 1864. incompatibilité profonde avec l’esprit humain, avec la société humaine, l’abîme de l’irresponsabilité morale où tomberaient les âmes… ; en un mot, la fin du monde civilisé, tel qu’il a été jusqu’ici conçu et qu’il a existé depuis la première cité et le premier autel.
Si lucide et si compréhensive que soit la vue intérieure, après cinq ou six, vingt ou trente lignes, tirées à grande peine, l’image se brouille et s’efface ; et cependant ma conception du myriagone n’a rien de brouillé ni d’effacé ; ce que je conçois, ce n’est pas un myriagone comme celui-ci, incomplet et tombant en ruine, c’est un myriagone achevé et dont toutes les parties subsistent ensemble ; j’imagine très mal le premier et je conçois très bien le second ; ce que je conçois est donc autre que ce que j’imagine, et ma conception n’est point la figure vacillante qui l’accompagne. — Mais d’autre part cette conception existe ; il y a en moi quelque chose qui représente le myriagone et qui lui correspond exactement. […] Reprenons maintenant notre premier exemple. — J’observe tour à tour des pins, des frênes, des châtaigniers, des bouleaux, des frênes, toute une futaie, et je remarque cet élan du tronc et cet épanouissement des branches qui sont les deux caractères distinctifs de l’arbre ; je conçois l’arbre en général et je prononce le nom d’arbre. […] Artifice admirable et spontané de notre nature : nous ne pouvons apercevoir ni maintenir isolées dans notre esprit les qualités générales, sortes de filons précieux qui constituent l’essence et font la classification des choses ; et cependant, pour sortir de la grosse expérience brute, pour saisir l’ordre et la structure intérieure du monde, il faut que nous les retirions de leur gangue et que nous les concevions à part. — Nous faisons un détour ; nous associons à chaque qualité abstraite et générale un petit événement particulier et complexe, un son, une figure facile à imaginer et à reproduire ; nous rendons l’association si exacte et si étroite que désormais la qualité ne puisse apparaître ou manquer dans les choses, sans que le nom apparaisse ou manque dans notre esprit, et réciproquement.
Pourrais-je me mettre d’accord avec lui sur la façon de concevoir les genres littéraires ? […] Évitons avec soin les classifications rigides, mais ne sombrons pas pour cela dans l’anarchie d’un individualisme outrancier, qui serait la négation de toute science et de toute philosophie ; cherchons l’ordre, sans être les dupes de nos catégories ; efforçons-nous de concevoir à la fois les éléments essentiels, durables, et les combinaisons innombrables, toujours nouvelles, de ces éléments ; respectons l’infinie variété de l’analyse, mais aussi la simplicité de la synthèse ; ce sont deux faces de la vérité, qui se complètent et s’expliquent l’une l’autre. […] Quand je parle de « genre » lyrique, ou épique, ou dramatique, c’est, à mon sens, une façon pratique et très élastique de désigner trois modes essentiels de concevoir la vie et l’univers ; ces conceptions répondent à des tempéraments divers ou à des âges divers ; elles se succèdent le plus souvent chez le même homme ; elles peuvent même exceptionnellement cohabiter en lui. […] Dès qu’on conçoit ainsi ces trois modes essentiels, il est clair que les « genres intermédiaires », innombrables autant que légitimes, sont des cas particuliers ; il faut se garder de créer pour eux des catégories nouvelles ; il faut respecter leur individualité, en expliquant leur genèse par la combinaison d’éléments divers. […] Je n’arrive pas à concevoir un « genre » didactique.
Le dynamisme part de l’idée d’activité volontaire, fournie par la conscience, et arrive à la représentation de l’inertie en vidant peu à peu cette idée : il conçoit donc sans peine une force libre d’un côté, et de l’autre une matière gouvernée par des lois. […] On conçoit du moins ce retour comme possible, et l’on admet que, dans ces conditions, rien ne serait changé à l’état primitif du système tout entier ni de ses parties élémentaires. […] Il y a, comme nous l’avons montré, une corrélation intime entre la faculté de concevoir un milieu homogène, tel que l’espace, et celle de penser par idées générales. […] On conçoit donc qu’en un certain sens on puisse encore dire ici que l’avenir était préformé dans le présent ; mais il faudra ajouter que cette préformation est fort imparfaite, puisque l’action future dont on a l’idée présente est conçue comme réalisable mais non pas comme réalisée, et que, même lorsqu’on esquisse l’effort nécessaire pour l’accomplir, on sent bien qu’il est encore temps de s’arrêter. […] Mais concevoir toutes les conditions comme données, c’est, dans la durée concrète, se placer au moment même où l’acte s’accomplit.
Avec un autre système du monde on conçoit une autre physique, mais on ne conçoit ni d’autres mathématiques ni une autre morale. […] Concevez-vous un événement qui arrive, si ce n’est dans un point quelconque de la durée ? […] Nous les concevons et les appliquons, nous ne les constituons point. […] Ils ne l’aperçoivent point, ils y croient cependant, par cela seul qu’ils la conçoivent nécessairement. […] Concevez-vous que le mot et l’idée de liberté aient jamais pu se former, si la chose même n’existait pas ?
Que les révolutions et les craintes de l’avenir soient une tentation pour la science qui ne comprend pas son objet et ne s’est jamais interrogée sur sa valeur et sa signification véritable, cela se conçoit. […] C’est votre image que j’ai eue sans cesse devant les yeux, quand j’ai cherché à exprimer l’idéal élevé où la vie est conçue non comme un rôle et une intrigue, mais comme une chose sérieuse et vraie.
Si, en effet, le pouvoir départi à l’homme de ce concevoir autre qu’il n’est a pu apparaître sous un jour défavorable, une telle dépréciation avait pour origine la foi en ce concept d’une vérité dont on vient de montrer le caractère illusoire. C’est au nom de la vérité que le pouvoir de se concevoir autre était diffamé.
Mais s’il se demandait ce qu’il mesure, s’il fixait son attention sur le temps lui-même, nécessairement il se représenterait de la succession, et par conséquent de l’avant et de l’après, et par conséquent un pont entre les deux (sinon, il n’y aurait que l’un des deux, pur instantané) : or, encore une fois, impossible d’imaginer ou de concevoir un trait d’union entre l’avant et l’après sans un élément de mémoire, et par conséquent de conscience. […] Voilà aussi n’importe quel temps conçu, car on ne peut concevoir un temps sans se le représenter perçu et vécu. […] Je dis « surtout », car on pourrait à la rigueur concevoir un être conscient réduit à la perception visuelle et qui arriverait néanmoins à construire l’idée de temps mesurable. […] Si le temps a une réalité positive, si le retard de la durée sur l’instantanéité représente une certaine hésitation ou indétermination inhérente à une certaine partie des choses qui tient suspendue à elle tout le reste, enfin s’il y a évolution créatrice, je comprends très bien que la partie déjà déroulée du temps apparaisse comme juxtaposition dans l’espace et non plus comme succession pure ; je conçois aussi que toute la partie de l’univers qui est mathématiquement liée au présent et au passé — c’est-à-dire le déroulement futur du monde inorganique — soit représentable par le même schéma (nous avons montré jadis qu’en matière astronomique et physique la prévision est en réalité une vision). […] Tout le monde nous accordera en effet qu’on ne conçoit pas de temps sans un avant et un après : le temps est succession.
Les décrets de l’Empereur par lesquels il lui conférait ces hautes missions sont conçus en des termes qui sont de beaux titres de noblesse : « Prenant entière confiance dans le zèle et la fidélité à notre service du sieur Daru, membre de notre Conseil d’État…, lui donnons plein et absolu pouvoir… ; promettant d’approuver tous les actes qu’il aura passés…, de regarder comme valides et irrévocables toutes les opérations qu’il aura terminées, etc. » (Décret d’Erfurt du 11 octobre 1808, et aussi celui de Dresde du 22 juillet 1807.) […] Assistant à la conception des plans les plus étendus et les mieux enchaînés, les écrivant le premier de sa main au moment où ils se produisaient au jour, les recueillant dans l’impétuosité du premier jet, devant à l’instant les embrasser avec développement et les saisir, s’associer en tout à la pensée qui les avait conçus et pourvoir sur les moindres points à l’exécution, M. […] Daru était de ceux qui conseillaient à Picard les vers, estimant que cette forme était la seule qui consacrât tout à fait une renommée au théâtre et qui pût lui imprimer un cachet littéraire durable : mais il ne suffisait pas de mettre en rimes après coup ce qu’on avait d’abord écrit et conçu en prose. […] N’ayez pas peur, je n’irai pas trop vite : j’ai conçu l’idée le 15 octobre, le lendemain de la bataille d’Iéna, et je suis encore bien loin de commencer à écrire. […] Devenu directeur de l’Opéra après l’avoir été du théâtre Louvois, il concevait encore le vague espoir de faire quelque œuvre considérable avant la fatigue et le déclin du talent : J’ai dans la tête, écrivait-il en septembre 1812 à M.
On conçoit que, malgré l’esprit d’observation de Rulhière et malgré sa position favorable pour démêler bien des choses, il a dû être réduit à en deviner et à en conjecturer plus d’une dans une entreprise si mystérieuse et si compliquée, et l’on ne saurait s’étonner que sa relation ait prêté aux récriminations des intéressés : il ne pouvait en être autrement. […] Mon homme est marié ; la femme qu’il a placée la troisième est sûrement la sienne, et il m’a appris son nom en la nommant. » En nous racontant cette preuve de la sagacité un peu méthodique et raffinée de Rulhière, Diderot donne à entendre que toutes ces choses déliées, conçues en des termes fort déliés, l’étaient trop pour lui, bonhomme tout uni et rond, et qui, à chaque fois, demandait des exemples : « les esprits bornés ont besoin d’exemples ». […] On conçoit que, sage et sans passions, satisfait et désabusé, Rulhière n’ait pas vu sans une impression profonde la grande commotion qui ébranlait la société et toutes les existences. […] En un mot, Rulhière conçoit et exécute son histoire bien plus en homme de lettres et en peintre qu’en homme d’État et en homme politique. […] Il a conçu une vaste composition historique, il a commencé à l’exécuter et l’a poussée durant plus de onze livres avec aisance, harmonie et largeur.
Ils ont lieu malgré la peine que le public peut avoir à goûter des écrits peignant des lieux et des milieux lointains, conçus dans le style généralement médiocre des adaptateurs, recommandés au début par quelques enthousiastes seulement. […] Le grand homme en tout ordre est celui qui, en vertu de lui-même et par suite de son accord avec l’âme des générations contemporaines ou postérieures, sans limites de temps, parvient à gagner à sa personne ou aux manifestations sensibles qui l’expriment, un nombre, proportionnel à sa gloire, de partisans, de croyants, d’admirateurs, qui, reconnaissant en lui leur type exemplaire, amplifient pour ainsi dire et répandent son être en consentant à faire ses volontés, à éprouver ses émotions, à concevoir ses pensées, à ressentir ses croyances.
Et il est incontestable, en effet, que tout ordre est contingent et conçu comme tel. […] Mais, de même que tout parler qui n’est pas prose est vers et nécessairement conçu comme vers, de même que tout parler qui n’est pas vers est prose et nécessairement conçu comme prose, ainsi toute manière d’être qui n’est pas l’un des deux ordres est l’autre, et nécessairement conçue comme l’autre. […] Au fond, tout ce qu’il y a de réel, de perçu et même de conçu dans cette absence de l’un des deux ordres, c’est la présence de l’autre. […] Hasard et désordre sont donc nécessairement conçus comme relatifs. […] La création, ainsi conçue, n’est pas un mystère, nous l’expérimentons en nous dès que nous agissons librement.
Est-ce donc qu’elle a conçu, pendant sa virilité, le germe de la société nouvelle qui doit la remplacer ? […] Puis, concevez-vous la société sans aucune base reconnue ? […] L’esprit humain ne peut pas concevoir le présent sans avenir : donc il délaissera l’idolâtrie du présent pour chercher l’avenir. L’esprit humain ne peut pas concevoir la réalité sans idéal : donc il reviendra à l’idéal. Il ne conçoit le désordre que parce qu’il conçoit l’ordre : donc l’ordre renaîtra.
Et d’abord, il s’est présenté lui-même, tel qu’il est, avec son propre accent, avec ses sentiments et ses doctrines ; il n’a pas emprunté aux traditions académiques les exordes tant de fois renouvelés : il a parlé à sa manière, modestement, honnêtement, traçant de l’homme de lettres et du poète le caractère et le rôle qu’il conçoit, et s’y peignant lui-même avec cette sincérité élevée qui vient du cœur : on a senti dès ses premières paroles quelqu’un qui ne se mettait ni au-dessus ni au-dessous de ce qu’il devait être. […] C’est que le poète travaille dans sa province, conçoit et exécute dans la retraite ses œuvres de conscience et d’émotion ; cela est bon pour la tragédie, pour le drame historique : « Les héros de l’histoire, a dit M.
La différence entre la poésie et la prose est donc perceptible : elle se conçoit intellectuellement. […] Mais comme on conçoit la plus grande diversité dans le choix de ces moyens d’expression ! […] Ou l’œuvre conçue ainsi est abandonnée ou, au contraire, la volonté consciente la reprend. […] Bergson en particulier, nous ont permis de concevoir comment, non seulement ces âmes individuelles existent en soi à l’état de monade, mais comment elles vivent. […] Fouillée dans ses belles études sur la liberté idée-force nous a permis de le concevoir, celui de la plus grande liberté humaine.
L’ouvrage est de beaucoup le plus ample, le plus complet en ce genre qui ait été conçu et exécuté jusqu’ici chez nous. […] Mais on conçoit pourtant, quand on voit ce travail et cette sueur pour entrer, que jamais les grands poëtes de ce temps-ci n’aient fait de sonnets. […] Si Arvers a beaucoup péché, il lui sera beaucoup pardonné pour ce sonnet-là : Mon âme a son secret, ma vie a son mystère, Un amour éternel en un moment conçu : Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire, Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su Hélas !
Cousin a vu toutes les destinées de l’humanité accomplies dans l’éclectisme réalisé socialement par la Charte, en dehors de laquelle il ne pouvait rien concevoir pour l’espèce humaine. […] En vérité, après le démenti donné le 29 juillet à tous ces prophètes du passé, nous concevons leur peu de foi en eux-mêmes et dans leurs recherches futures, et nous avons droit de leur demander pourquoi ils passent outre à la recherche timide de ce problème social, lorsque déjà se sont élevés des hommes qui proclament l’avoir résolu. […] Les époques où un dogme règne, dans lesquelles l’humanité connaît sa destination et y croit ; et les époques où un dogme finit, dans lesquelles l’humanité ne se conçoit plus de destination, doute et cherche : les premières, il les appelle des époques fondatrices ; les secondes, des époques critiques.
Cet art ne fut jamais mieux connu ni pratiqué que dans le xviiie siècle, au sein de cette société régulière et pacifique, et personne ne le poussa plus avant, ne le conçut plus en grand, et ne l’appliqua avec plus de perfection et de fini dans le détail que Mme Geoffrin. […] Elle conçut d’abord cette machine qu’on appelle un salon dans toute son étendue, et sut l’organiser au complet avec des rouages doux, insensibles, mais savants et entretenus par un soin continuel. Elle n’embrassa pas seulement dans sa sollicitude les gens de lettres proprement dits, mais elle s’occupa des artistes, sculpteurs et peintres, pour les mettre tous en rapport entre eux et avec les gens du monde ; en un mot, elle conçut l’encyclopédie du siècle en action et en conversation autour d’elle. […] L’esprit que Mme Geoffrin apportait dans le ménagement et l’économie de ce petit empire qu’elle avait si largement conçu, était un esprit de naturel, de justesse et de finesse, qui descendait aux moindres détails, un esprit adroit, actif et doux. […] Mme Geoffrin, bien observée, me paraît avoir été, par la nature de son esprit, par la méthode de son procédé, et par son genre d’influence, le Fontenelle des femmes, un Fontenelle plus actif en bienfaisance (nous reviendrons tout à l’heure sur ce trait-là), mais un vrai Fontenelle par la prudence, par la manière de concevoir et de composer son bonheur, par cette manière de dire, à plaisir familière, épigrammatique et ironique sans amertume.
Sans doute il y a un présent idéal, purement conçu, limite indivisible qui séparerait le passé de l’avenir. […] Mais ces deux conditions admettent des degrés, et on conçoit que, nécessaires l’une et l’autre, elles soient inégalement remplies. […] C’est dans cette partie éclairée de notre histoire que nous restons placés, en vertu de la loi fondamentale de la vie, qui est une loi d’action : de là la difficulté que nous éprouvons à concevoir des souvenirs qui se conserveraient dans l’ombre. […] Étant donnée une perception présente qui forme tour à tour, avec des souvenirs divers, plusieurs associations successives, il y a deux manières, disions-nous, de concevoir le mécanisme de cette association. […] On conçoit donc que l’oubli consécutif à un choc, physique ou moral, comprenne les événements immédiatement antérieurs, — phénomène bien difficile à expliquer dans toutes les autres conceptions de la mémoire.
Au sortir de cette enfance mystique, vers l’âge de quinze ans, le jeune Anselme, qui avait fort profité aux études et aux lettres, ne concevait rien de préférable à la vie monastique, qu’il se représentait comme une vie toute de paix, d’étude, de prière et de bonnes mœurs, de conversations spirituelles et de méditations solitaires : il saura bientôt en réaliser le modèle en lui. […] Si bien que toute sa manière de dire s’en inspire et s’en ressent : il ne dispute jamais, il ne discute pas à proprement parler, il conçoit, il déduit, il expose. […] Il me serait assez difficile de l’exposer dans les termes même où il le produit ; qu’il me suffise d’en donner l’idée, tel que plus tard on le retrouve chez Descartes ou chez Fénelon : c’est que par cela même que l’esprit humain peut concevoir l’idée d’un Être infini, parfait, et au-dessus duquel il n’en est aucun autre, il devient nécessaire, par là même, que cet Être parfait et infini existe. […] Quoi qu’il en soit, voici un rôle que j’aime à concevoir pour l’un de ces hommes à la fois politiques et littéraires qu’a frappés la dernière tourmente, et qui ne se sentent coupables que d’avoir voulu sauver la France à leur manière, d’une manière qui s’est trouvée insuffisante et fragile en face d’une autre méthode plus héroïque et plus souveraine.
Toute la vie économique, telle que la conçoivent et l’expliquent les économistes, surtout de l’école orthodoxe, est, en définitive, suspendue à ce facteur purement individuel, le désir de la richesse. […] On conçoit, en effet, que, puisqu’elle dépasse infiniment l’individu dans le temps comme dans l’espace, elle soit en état de lui imposer les manières d’agir et de penser qu’elle a consacrées de son autorité. […] D’autre part, on conçoit aisément que tout ce qui précède s’applique à la détermination de la fonction, aussi bien qu’à celle de la cause. […] Mais il est impossible de concevoir comment l’état où la civilisation se trouve parvenue à un moment donné pourrait être la cause déterminante de l’état qui suit. […] Seulement, parce que l’individu est regardé comme la seule et unique réalité du règne humain, cette organisation, qui a pour objet de le gêner et de le contenir, ne peut être conçue que comme artificielle.
Donc, il conçut, l’artiste, la théorie d’Œuvres, où toutes les formes d’art, affinées en leurs suprêmes essences, étaient unies pour la glorieuse expression, vraie et complète, de ce qui est ; et il conçut ces Œuvres, elles mêmes ; et il les conçut accomplies, faites chose, écrites, et vivantes, dans un livre. Pareillement, le philosophe, il conçut une Religion, par qui le Peuple était instruit ; et il la conçut divulguée dans le Peuple… Il conçut l’Œuvre artistique, porte-voix de la Religion, divulguée, comme un Évangile, dans une nouvelle Bible, universellement lue, un livre.
Elle est bornée en sa vivacité : dans la chaîne infinie des choses, elle conçoit bien la dépendance qui unit des anneaux médiocrement éloignés, mais pour ceux qu’une longue distance sépare, il faut qu’on lui montre les chaînons intermédiaires ; elle ne peut franchir d’un coup qu’un bien petit nombre de degrés dans l’échelle des idées et des sentiments. […] Il a conçu de telle façon les caractères du frère et de la sœur, il a si fortement éclairé l’opposition de leurs égoïsmes fanatiques, que la victoire d’Horace doive produire la douleur frénétique de Camille, et celle-ci exaspérer la rage patriotique de son frère jusqu’à l’assassinat : ce dernier effet de la passion d’Horace pour Rome nécessite à son tour le jugement, que le précédent effet, qui est la victoire sur Albe, fait forcément aboutir à un acquittement. […] Le poète a conçu et a voulu exprimer que, dans une âme mauvaise, un effort énergique de volonté, appuyé sur certains sentiments, la lassitude, la désillusion, le dégoût, pouvait engendrer la générosité.
Sa manière de concevoir et d’écrire l’histoire diplomatique est d’une simplicité par trop élémentaire. […] Ainsi je conçois très bien les mémoires d’un cardinal Duperron ou d’un Talleyrand, et je regrette que Lionne n’ait pas écrit les siens. Mais qu’à deux siècles de distance un homme qui n’a pas le génie absolu qui devine, là où les autres sont obligés de chercher, puisse nous donner le dessous de cartes d’une négociation qu’il ne connaît que par une correspondance officielle, franchement, je ne crois pas à un tel homme… et, dans tous les cas, ce ne serait pas Valfrey, écrivain exsangue, tête sans aperçu, et qui ne conçoit l’histoire de la diplomatie que comme le vil dépouillement d’un carton… IV Elle est autre chose, cependant.
Du reste, jamais peut-être publication n’a été mieux conçue et mieux réalisée que celle-ci pour toucher sûrement le but excellent qu’elle veut atteindre. […] Les annotations qu’il a choisies indiquent suffisamment cette tendance fixe de sa pensée : « Ce livre — est-il dit dans le prospectus très simple et très intelligent qui serait la préface naturelle de son ouvrage — n’est pas seulement le travail d’un auteur isolé, mais l’œuvre de tous les grands hommes qui ont brillé dans la société chrétienne depuis les temps apostoliques jusqu’à nos jours, qui semblent s’être levés de toutes les parties du monde et, malgré la distance des temps et des lieux, s’être réunis, comme dans un concile auguste, pour nous montrer comment nous devons concevoir Jésus-Christ et interpréter son Évangile. […] Soit qu’il lui échappe quelque ardente prière dans une note émue, ou qu’il révèle la sagacité renseignée de l’érudit dans un rapprochement ou une explication, on aime à retrouver l’individualité de l’homme qui a conçu le plan de cet ouvrage, tout ensemble utile et modeste, à le voir se rappeler de temps en temps avec talent et convenance au milieu des graves fragments qu’il groupe et coordonne.
On le conçoit. On conçoit que des imitations très bien faites, très réussies, soient un rabat-joie pour l’orgueil d’Olympio ! On conçoit qu’il n’aime pas à se regarder dans ces imitations et à se trouver trop soi dans ces glaces dont il a fourni l’étamage, — ce qui est trop cher ; mais les hugolâtres s’excommuniant eux-mêmes de leur hugolâtrie, et se mettant à la porte de l’imitation hugotine qui est toute leur Église, et hors de laquelle il n’y a pour eux ni vie ni salut, cela réellement ne se comprend plus !
Louvois, qui devait mourir foudroyé le 16 juillet et manquer irréparablement à Louis XIV, à la France et à Catinat, avait conçu, au début de cette campagne (M. […] Je crois que M. de Feuquières pourra bien jouer des siennes et faire valoir des sentiments fondés sur des raisons bonnes pour ceux qui ne voient pas les choses… » Je ne me fais pas juge entre Catinat et Feuquières, ce serait une grande impertinence ; je ne me fais point le défenseur de Feuquières, ce n’est point mon rôle, et il y aurait à ceci de l’impertinence encore et, qui plus est, de l’injustice ; mais enfin, pour voir le double côté de la question, pour l’envisager à sa juste hauteur et la dégager autant que possible des personnalités dont elle est restée masquée jusqu’à ce jour, qu’on veuille supposer un instant ceci : il y a dans l’armée de Catinat un militaire, incomplet dans la pratique, mais d’un génie élevé, qui a, dès 1690, l’instinct et le pressentiment des grandes opérations possibles sur cet admirable échiquier de la haute Italie ; ce militaire, à tout moment, conçoit ce qu’on pourrait faire et ce qu’on ne fait pas ; il blâme, il critique, il raille même, il hausse les épaules, il est ce qu’on appelle un coucheur, et ce qu’on appelait alors être incompatible : tel était Feuquières, qui à des vues supérieures joignait, il faut en convenir, une malignité particulière. […] L’on en tirera le profit que Sa Majesté connaîtra l’attention que mérite cette frontière et qu’il ne sera pas si aisément détourné de ce qui lui est proposé pour sa sûreté, par le sentiment de ceux qui ne la connaissent point, et qui ont pu lui faire concevoir là-dessus des facilités qui n’y sont point. » Catinat ne croyait pas cette utilité réelle pour l’avenir trop payée d’un léger désagrément personnel. […] M. de Tessé, obéissant à ses instincts et donnant cours à ses talents, s’était arrangé pour entrer en relations secrètes avec le duc de Savoie, et Catinat, informé de ce double rôle qu’autorisait la Cour, n’en avait conçu nulle jalousie ; il croyait peu à la réussite de cette intrigue et s’occupait surtout de son métier. […] La victoire fut des plus complètes et vraiment parfaite selon l’art, exécutée et gagnée (en grande partie au pas de charge et à la baïonnette) dans l’ordre même où elle avait été conçue.
Après les désastres de tant d’années orageuses, on le conçoit, c’était mieux qu’un arc-en-ciel et qu’une promesse que cette réunion d’élite, cette émulation combinée des plus vives et des plus rares intelligences. […] Tel nous le montre son Discours ou Tableau de la Littérature française au xviiie siècle, ouvrage conçu durant ces années et qui parut pour la première fois en 1809. […] On conçoit que des considérations personnelles, des ménagements dus à des souvenirs si saignants, aient imposé quelques réticences ; mais les années, en avançant, permettent beaucoup12. […] M. de Barante, qui concevait son ouvrage vers le même temps, eut une idée plus simple et dont l’exécution dépendait surtout du choix de l’époque. […] Après le succès éclatant de son histoire, M. de Barante dut concevoir quelques autres projets que son talent vif et facile lui eût permis sans doute de mener à fin ; la révolution de Juillet est venue les interrompre, en le jetant encore une fois dans la vie politique active.
De plus son talent littéraire si réel s’est tenu toujours dans une espèce de teinte obscure où l’on conçoit très-bien qu’il se soit dérobé. On dirait volontiers de ses travaux, de ses articles, et de l’effet qu’ils produisent : « si l’on s’attend à les trouver pesants, on les trouve fins ; et si l’on est très-averti que c’est fin, on les trouve un peu ternes ou même pesants. » En somme, malgré la distinction et le soin du détail, nous le concevons très-bien d’après l’article, rien de ce qu’a écrit ou pensé le docte écrivain ne passe une certaine médiocrité.
L’émotion fait tout adopter, tout concevoir ; mais à la comédie l’imagination du spectateur est tranquille ; elle ne prête point son secours à l’auteur : l’impression de la gaieté est tellement légère et spontanée, que le plus faible effort, que la plus faible distraction pourrait en détourner. Aristophane n’a composé que des pièces de circonstance, parce que les Grecs étaient extrêmement loin de la profondeur philosophique, qui permet de concevoir une comédie de caractère, une comédie qui intéresse l’homme de tous les pays et de tous les temps.
L’égoïsme est ce qui ressemble le moins aux ressources qu’on trouve en soi, telles que je les conçois ; l’égoïsme est un caractère qu’on ne peut ni conseiller, ni détruire ; c’est une affection dont l’objet n’étant jamais ni absent, ni infidèle, peut, sous ce rapport, valoir quelques jouissances, mais cause de vives inquiétudes, absorbe, comme la passion pour un autre, sans faire éprouver l’espèce de jouissance toujours attachée au dévouement de soi : d’ailleurs, la personnalité, soit qu’on la considère comme un bien ou comme un mal, est une disposition de l’âme absolument indépendante de sa volonté. […] Si les paroles pouvaient transmettre ces sensations tellement inhérentes à l’âme, qu’en les exprimant, on leur ôte toujours quelque chose de leur intensité ; si l’on pouvait concevoir d’avance ce que c’est que le malheur, je ne crois pas que personne pût rejeter avec dédain, le système qui a pour but seulement d’éviter de souffrir.
Section 1, de la necessité d’être occupé pour fuir l’ennui, et de l’attrait que les mouvemens des passions ont pour les hommes Les hommes n’ont aucun plaisir naturel qui ne soit le fruit du besoin, et c’est peut-être ce que Platon vouloit donner à concevoir, quand il a dit en son stile allegorique, que l’amour étoit né du mariage du besoin avec l’abondance. […] Il est facile de concevoir comment les travaux du corps, même ceux qui semblent demander le moins d’application, ne laissent pas d’occuper l’ame.
Didon conçoit d’abord une compassion tendre pour énée obligé de s’enfuir de sa patrie, parce qu’elle même avoit été obligée de s’enfuir de la sienne. […] Ainsi ceux qui n’ont point de pente vers une passion, ne conçoivent point que les fureurs dont le poëte remplit ses scenes, et qu’il expose comme les suites naturelles d’un emportement dont-ils n’ont jamais senti les accès, soïent exposées suivant la verité : ou bien les suites d’une semblable passion leur paroissent les pures saillies de l’imagination dereglée d’un poëte exagerateur : ou bien les personnages d’une piece cessent de les interesser.
Bref, l’Espace de la Relativité généralisée présente des particularités qui ne sont pas simplement conçues, qui seraient aussi bien perçues. […] On ne se conçoit même pas comme y étant, car se transporter par la pensée dans un des Temps dilatés serait adopter le système auquel il appartient, en faire son système de référence : aussitôt ce Temps se contracterait, et redeviendrait le Temps qu’on vit à l’intérieur d’un système, le Temps que nous n’avons aucune raison de ne pas croire le même dans tous les systèmes.
Tel est le procédé de l’aveugle-né ; comme Saunderson, il peut devenir géomètre, concevoir des séries plus ou moins longues, divergentes selon tel ou tel angle ; ce sont là ses lignes ; et, par un ensemble de pareilles lignes, il conçoit des corps géométriques. […] Or nous pouvons imaginer ces mouvements avec une vitesse extrême ; nous pouvons donc ainsi avec cette seule ressource concevoir plusieurs lignes, partant une surface, et même un solide entier, presque en un instant. […] À propos de nos sensations localisées en des points de notre corps, nous concevons et nous affirmons des objets situés au-delà de notre corps, c’est-à-dire extérieurs, et nous déterminons leur situation par la situation de la sensation qui nous les révèle. Par exemple, il me vient une sensation d’odeur, et là-dessus je conçois et j’affirme une rose comme située dans le voisinage de mon nez. […] Nous le concevons comme un au-delà ; sur ce premier trait, les autres s’appliquent. — Ma main promenée dans l’obscurité rencontre sur une table un obstacle inconnu ; à propos de cette sensation, je conçois et j’affirme au-delà de ma main un au-delà qui provoque en moi une sensation continue et étendue de résistance, et qui, pouvant, à ce que je suppose, la provoquer tout à l’heure et plus tard, en d’autres comme en moi-même, possède ainsi la propriété permanente et générale d’être résistant et étendu.
Par conséquent, postuler la direction, c’est postuler non pas l’espace, mais l’élément dont la notion d’espace est formée. » — Cette réponse de Stuart Mill est contraire aux faits : nous ne concevons la direction que par l’espace et dans l’espace, et nous la concevons plus tard que l’extensivité vague : on peut avoir le sentiment de l’étendue, comme nous ne le verrons, sans aucun sentiment de direction. […] C’est précisément au caractère spécifique des représentations qu’on reconnaît ce qui est acquis a posteriori, ce qui ne peut se concevoir que par expérience. […] — Les sensations et les phénomènes, dit Kant, sont divers et variables ; l’espace est uniforme et invariable. — L’espace abstraitement conçu, dernier produit du travail mental sur les sensations, oui ; mais c’est là un pur concept que nous ne commençons pas par avoir et qui contient des éléments tout intellectuels, parce qu’il exprime de purs possibles. […] Voilà donc l’animal et l’enfant, pour acquérir la notion vague d’extensivité, de grandeur indéterminée, de chose volumineuse et massive, obligés de se livrer à une docte mensuration de positions diverses, de déterminer leurs relations, d’« agréger » ensuite le tout et finalement de concevoir l’espace. […] C’est dire qu’il y a dans son cerveau un jeu d’images associées, qui fait que l’objet plus éloigné éveille l’image d’une course plus longue pour l’atteindre, d’un grand bond, etc. ; l’objet situé à droite éveille l’image d’une certaine direction du corps, direction qui n’a pas plus besoin d’être abstraitement conçue que le mouvement instinctif du corps qui nous fait nous rejeter en arrière au moment de tomber.
On conçoit qu’avec tous ces souvenirs vivants, en présence de ces membres d’une famille qui est encore aujourd’hui pour la cité ce qu’elle était il y a plus d’un siècle, la fête qui se célébrait, il y a quinze jours, dans la jolie ville d’Hesdin n’était pas une solennité ordinaire, toute d’apparat et de curiosité ; il s’y mêlait un intérêt amical et commun, et ce n’était que justice. […] Si l’on pouvait supposer que l’auteur en a conçu un moment le projet, l’invention avec un but quelconque, on ne le supporterait pas. […] Le premier malheur de l’abbé Prévost fut, ce me semble, d’avoir en lui et de concevoir un double idéal du bonheur, dont l’un excluait sans cesse et troublait l’autre. […] Quiconque a, dans sa jeunesse, conçu un idéal romanesque et tendre, et l’a vu se flétrir devant soi et se briser sous ses pieds en avançant ; quiconque a plus ou moins connu, en tout genre, les écarts, les engagements téméraires et les difficultés sans issue, et n’a pas cherché à se faire de ses fautes une théorie ni un trône d’orgueil ; quiconque (et le nombre en est grand) a connu les assujettissements pénibles de la vie littéraire et le poids des corvées même honorablement laborieuses, au lieu du joug léger des muses ; ceux-là auront pour l’abbé Prévost un culte particulier comme envers un ancêtre et un patron indulgent.
Est-ce à dire, parce que Tite-Live est éloquent par nature et cherche des sujets riches et féconds, des sujets propices au développement des talents qu’il a en lui, qu’il soit orateur en tout et partout dans son histoire, orateur au pied de la lettre, et orateur en quelque sorte dépaysé quand il fait autre chose que des discours, tellement que lorsqu’il peint, par exemple, des caractères, Annibal, Fabius, Scipion, Caton, Paul-Émile, s’il les conçoit d’une façon un peu plus noble et un peu plus adoucie qu’un autre ne les eût présentés, tout ce qu’on peut louer ou blâmer dans cette manière de traiter les portraits soit l’effet de l’esprit oratoire, un effet rigoureux, nécessaire, découlant de là directement comme un corollaire d’un principe ? […] Tite-Live, ne l’oublions jamais, avait conçu son histoire et commença de l’exécuter sous le plus beau rayon du règne et de l’heure d’Auguste. […] Telle qu’elle est dans son magnifique débris, et plus mutilée qu’un temple de Paestum, son histoire nous apparaît encore la plus digne qui se puisse concevoir du peuple-roi, et quand Scipion l’Africain, s’adressant à son petit-fils dans ce beau songe, lui dit que « de tout ce qui se fait sur la terre, rien n’est plus agréable à ce Dieu suprême qui régit tout cet univers que les réunions de mortels associés par les lois et que l’on nomme cités », il lui désigne en effet l’empire romain, la merveille de cette république et de cet empire tel que Virgile l’a rassemblé en idée sur le bouclier divin de son héros, et tel que le seul Tite-Live le décrira. […] La plupart des hommes ne cherchent à concevoir, connaître, ou travailler d’une manière quelconque leur intelligence que pour la produire au dehors.
Cette seconde partie va être toute une explication historique, théorique, théologique et morale, du Christianisme : c’est le point de vue chrétien élevé sous lequel Bossuet concevait et ordonnait l’histoire. […] Jamais Moïse n’a été conçu ni montré plus grand que chez Bossuet, jamais plus prophète, jamais plus poète : Moïse, de tous les mortels celui à qui il a été donné de voir Dieu de plus près. […] Je conçois au Moyen-Age de grandes intelligences, de celles qui sont surtout de grands talents, je les conçois comme n’ayant jamais dépassé ni essayé de franchir le cercle rigoureux que la foi traçait autour d’elles : mais je ne comprends plus pareille chose au XVIIe siècle.
Jomini, qui semble venu tout exprès pour concevoir et pour exposer la science stratégique à son moment le plus mûr et le plus avancé, est un des plus frappants exemples des vocations premières et des qualités spéciales que la nature dépose en germe dans un cerveau, toutes prêtes à éclore et à se développer au premier souffle des circonstances. […] Jomini eut de bonne heure cela de particulier d’être organisé pour concevoir et deviner les plans militaires de Napoléon ; on aurait dit que, par une sorte d’harmonie préétablie, sa montre avait été réglée sur celle du grand capitaine, dont il devait être le meilleur commentateur, le critique le plus perspicace et dont il semble, en vérité, qu’il aurait pu être le chef d’état-major accompli ; mais, pour un tel office, j’oublie qu’il joignait à ses qualités un défaut incompatible et incurable : c’était d’avoir en toute occurrence son avis, à lui, et de raisonner. […] La satisfaction dut être grande pour Jomini ; il était dès sa première campagne au comble de ses vœux : lui, l’homme de la science, le théoricien enthousiaste du grand art, il se voyait du premier coup initié dans le secret et l’exécution d’une des plus belles manœuvres que le génie militaire pût concevoir ; il lui était donné d’y assister, d’en toucher pour sa part et d’en faire mouvoir quelques-uns des principaux ressorts ; mais le rôle n’était pas facile et impliquait à chaque instant bien des délicatesses. […] C’était, selon lui, « l’unique moyen de poser le grand problème, de manière à le résoudre. » Son esprit juste, son jugement essentiellement modéré, en rabattront assez plus tard et bientôt, dès après Iéna et à partir d’Eylau, dès qu’il verra poindre et sortir les fautes et les exagérations du système nouveau et du génie qui l’avait conçu ; il dira alors, en rentrant dans la parfaite vérité : « Loin de moi la pensée de décider si le roi légitime de la Prusse, ne voulant que défendre son trône et son pays, pouvait provoquer, dès 1756, cette révolution immense dans l’art militaire qu’un soldat audacieux autant qu’habile introduisit, quarante ans après, par la force des événements qui l’entraînait !
Il est si obtus que, voulant se déclarer à une femme jeune, spirituelle, nullement dévote, éminemment « laïque », il y emploie le style des Manuels de piété et ne conçoit pas ce qu’un tel langage, appliqué à une telle matière, doit avoir nécessairement, pour cette jeune femme, de répugnant et de souverainement ridicule. […] (Et je pourrais ajouter que les figures les plus populaires ont été souvent créées par des esprits fort médiocres : tels Robert Macaire ou Joseph Prudhomme.) — Alphonse Daudet a conçu et fait vivre vingt personnages d’une vérité plus rare que Tartarin, d’une observation plus difficile, plus aiguë, plus curieuse ; et peut-être est-ce du seul Tartarin que les siècles se souviendront. […] Et ces mots : « À mes yeux, il allait le répandre », peuvent bien nous faire sourire : là où nous voyons l’ostentation du personnage, Orgon n’a vu que son ombrageuse délicatesse… Oui, je conçois de plus en plus qu’il se soit laissé prendre. […] Ajoutez que c’est surtout de nos jours qu’on s’est plié à concevoir le mélange de la sincérité des croyances et de l’hypocrisie ou de la scélératesse des actes.
Ces caractères seront à l’égard de ces propriétés dans une relation d’effet à cause, et l’on peut concevoir une science qui remontera des uns aux autres, comme on remonte d’un signe à la chose signifiée, d’une expression à la chose exprimée, d’une manifestation quelconque à son origine. […] Mais la plupart des artistes ne se bornent pas à produire aveuglement, en suivant les indications latentes de leurs aptitudes, lis se font un idéal imité ou original dont ils tâchent de rapprocher le plus possible leurs productions, une image composite d’une œuvre d’art ou d’une propriété d’œuvre d’art, conçue comme douée de toutes les qualités que l’artiste admire et qu’il cherche à réaliser. […] Ces images et ces idées, avant de se trouver dans l’œuvre d’art, ont dû se trouver dans l’esprit de l’homme qui l’a conçue et exécutée. […] Ces dispositions sensuelles de l’intelligence auront ailleurs pour effet, d’accroître énormément les facultés d’expression de la couleur et, par suite, de ne faire concevoir les objets que représentés se fondant en certaines formes verbales, en un certain style de peinture.
Victor Hugo, je le conçois. […] Si au lieu d’être en France, nous étions en Angleterre, le pays du cant où il faut toujours se mettre en mesure vis-à-vis de la morale publique, sous peine de sentir sa vie atteinte et déchirée aux endroits les plus sensibles par une opinion implacable, qui n’a point autrefois pardonné à Byron, qui ne pardonne pas aujourd’hui à Charles Dickens, je concevrais la tentative de Mme George Sand, qui cependant, en Angleterre, ne réussirait pas. Je la concevrais. […] Vous avez cru enfin que j’étais l’ennemie du mariage tel que la conçu et réalisé le Catholicisme, cette vieille sottise que j’insulte le plus que je peux partout, même dans ce livre que je vous présente, et que j’avais de l’union de l’homme et de la femme une notion plus libre… Eh bien !
Dans la mesure où elle est intelligible, elle est la métaphysique d’une science aux cadres purement mathématiques, de la science telle qu’on la concevait au temps de Descartes. […] Je conçois bien, dans l’hypothèse idéaliste, que la modification cérébrale soit un effet de l’action des objets extérieurs, un mouvement reçu par l’organisme et qui va préparer des réactions appropriées : images parmi des images, images mouvantes comme toutes les images, les centres nerveux présentent des parties mobiles qui recueillent certains mouvements extérieurs et les prolongent en mouvements de réaction tantôt accomplis, tantôt commencés seulement. […] En langage strictement réaliste elle se formulerait ainsi : Une partie, qui doit tout ce qu’elle est au reste du tout, peut être conçue comme subsistant quand le reste du tout s’évanouit. […] En approfondissant les deux systèmes, on verrait que l’idéalisme a pour essence de s’arrêter à ce qui est étalé dans l’espace et aux divisions spatiales, tandis que le réalisme tient cet étalage pour superficiel et ces divisions pour artificielles : il conçoit, derrière les représentations juxtaposées, un système d’actions réciproques, et par conséquent une implication des représentations les unes dans les autres.
Plus l’autorité monarchique gagna sur l’autorité féodale, plus les hommes et les peuples se communiquèrent, plus les idées s’étendirent, plus les nations et les rois conçurent et exécutèrent de grands desseins, et plus les esprits purent s’élever. […] Elle eut la fermeté d’un moment, qui conçoit et fait de grands sacrifices, et n’eut pas cette fermeté plus rare qui soutient l’âme par sa propre force, quand elle n’est plus animée par les regards et par l’effort même que demande tout ce qui est difficile. […] On peut dire d’abord que l’érudition étouffa le génie ; et l’on en conçoit les raisons.
Je conçois très bien que la satire n’ait pas offert à M. […] Je conçois sans peine qu’à Naples, dans la patrie de Salvator et de Masaniello, M. […] Ainsi conçu, le roman historique manque évidemment d’animation et d’unité. […] Entre l’histoire, telle que la conçoit M. […] Il a tort sans doute, mais ce tort est facile à concevoir.
Quoique le sang des hommes n’ait pas toujours été fort respecté, nous concevons pourtant qu’il y ait eu des pays où on l’a honoré de quelques larmes ; on conçoit un peu moins les éloges prodigués aux athlètes ; nous savons cependant que les vainqueurs des jeux étaient célébrés par des chants publics.
On peut la concevoir, on la conçoit même nécessairement dans un ordre de choses où la raison déterminerait la volonté ; mais ce monde purement intelligible échappe à la démonstration. […] Cette loi suppose la liberté de l’agent : il n’y a ni droit ni devoir, à proprement parler, pour un être qui n’agirait pas librement ; en un mot, il faut que l’homme soit une véritable personne pour exécuter la loi conçue par sa raison pratique. […] L’homme pourrait concevoir le bien sans avoir la liberté de le faire. Il pourrait avoir la liberté de le faire sans le concevoir. […] Cela peut se concevoir à la rigueur pour l’animal, auquel il est permis de refuser la conscience, tout en lui attribuant, outre la sensibilité et la mémoire, une certaine intelligence et le sentiment confus de son individualité.
On peut concevoir les corps indépendants d’elles. […] On ne peut concevoir un corps sans elles. […] Qui pourrait donc nous empêcher de concevoir la proposition contradictoire ? […] Il faut qu’entre les choses, l’esprit conçoive un ordre supérieur. […] Tout ce que nous pouvons faire, c’est de concevoir ces objets comme existant.
En présence du vice, elle n’en conçoit ni le goût ni l’indignation ; c’est chose, à ses yeux, toute naturelle en pareil temps, toute légitime en pareil lieu, et, sans s’en étonner, elle le décrit en détail ; bonne femme d’ailleurs, incapable de médisance, et au demeurant fort honnête. […] Madame s’en inquiétait peu : « Le roi et moi comptons si fort sur vous, lui disait-elle, que nous vous regardons comme un chat, un chien, et que nous allons notre train pour causer. » On conçoit dès lors tout ce qu’il peut y avoir de confidentiel dans les mémoires de cette brave dame.
Nous avons le besoin, pour concevoir réelle la vie de l’art, de ce qu’entre elle et nous rien ne se place appartenant à une réalité différente. […] Nul détail à ces faits, nulle raison les expliquant : c’est qu’elles concevaient la vie sans détails ni raisons. […] Littérateurs, comprenez l’effort de vos devanciers : ils ont employé leurs âmes à créer une meilleure vie : poursuivez leur tâche en créant la vie que peuvent concevoir vos âmes nouvelles ! […] Une difficulté en résulte à concevoir réelles ces vies qui paraissent, s’effacent, reparaissent. […] Mais parfois îles phrases intelligibles apparaissent : et elle sent une éblouissante musique séraphique, l’écho, certes, des régions où elles furent conçues.
C’est Shakespeare qui conduit le chœur des poètes, Shakespeare qui conçut le doute dans son sein bien avant la philosophie. […] « À quoi bon des temples pour qui conçoit la grandeur et l’unité de Dieu ? […] Ce n’est pas un dogme conçu par la raison, ni rien qui ressemble à un pareil dogme ; c’est une émotion, une passion plus ou moins fugitive. […] Goethe concevait bien son œuvre de cette façon. […] Goethe finit par sentir que ce sujet, comme il l’avait conçu, était au-dessus de ses forces, et il l’abandonna.
Puisque, d’ailleurs, on ne conçoit pas que l’évolution sociale puisse être autre chose que le développement de quelque idée humaine, il paraît tout naturel de la définir par l’idée que s’en font les hommes. […] C’est donc encore une certaine manière de concevoir la réalité sociale qui se substitue à cette réalité20. […] Par conséquent, la matière de l’économie politique, ainsi comprise, est faite non de réalités qui peuvent être montrées du doigt, mais de simples possibles, de pures conceptions de l’esprit ; à savoir, des faits que l’économiste conçoit comme se rapportant à la fin considérée, et tels qu’il les conçoit. […] Nous nous passionnons, en effet, pour nos croyances politiques et religieuses, pour nos pratiques morales bien autrement que pour les choses du monde physique ; par suite, ce caractère passionnel se communique à la manière dont nous concevons et dont nous nous expliquons les premières. […] Elle a besoin de concepts qui expriment adéquatement les choses, telles qu’elles sont, non telles qu’il est utile à la pratique de les concevoir.
Après de premières études, qu’il doit presque tout entières à lui-même, Victorin Fabre nous est présenté, vers la fin de 1799 (il avait quatorze ou quinze ans), comme un esprit dont le coup d’œil politique était dès lors aussi juste qu’étendu : « La manière dont s’était opérée la révolution du 18 brumaire, et surtout quelques dispositions captieuses placées dans la Constitution de l’an viii comme pierres d’attente, avaient excité son mécontentement, éveillé ses soupçons. » Voilà un Solon bien précoce qui nous arrive ; en conséquence de ses prévisions, Victorin Fabre, qui avait un moment songé, nous dit-on, à prendre la carrière des armes, s’en détourne et ne songe plus qu’aux lettres et à la philosophie ; nous concevons cette préférence ; qu’on nous permette seulement de croire, sans faire injure à tout ce puritanisme, que cela ne l’eût aucunement compromis de se trouver à Marengo. […] Ces hommes distingués ne peuvent vraiment concevoir que le prix pour l’Éloge de Montaigne ait été décerné à M. […] Sabbatier, qui ne veut voir partout qu’esprit de coterie et d’envie contre son héros, ne peut concevoir non plus que des critiques, gens d’esprit, tels que MM.
Les intellectualistes conçoivent tout autrement que les physiologistes la nature de la sensibilité et son rapport à l’intelligence. […] On conçoit ainsi une hiérarchie d’idées dans laquelle la puissance des idées se mesurerait à leur clarté et à leur intelligibilité. […] On peut concevoir un individualisme différent qui, sans méconnaître les antinomies qu’on vient de constater dans l’ordre du sentiment, s’élève au-dessus de la revendication un peu simpliste et grossière qu’a élevée Stirner.
Jésus ne sera plus seulement un délicieux moraliste, aspirant à, renfermer en quelques aphorismes vifs et courts des leçons sublimes ; c’est le révolutionnaire transcendant, qui essaye de renouveler le monde par ses bases mêmes et de fonder sur terre l’idéal qu’il a conçu. « Attendre le royaume de Dieu » sera synonyme d’être disciple de Jésus 341. […] Le monde semblera renversé ; l’état actuel étant mauvais, pour se représenter l’avenir, il suffit de concevoir à peu près le contraire de ce qui existe. […] Qu’il y eût une contradiction entre la croyance d’une fin prochaine du monde et la morale habituelle de Jésus, conçue en vue d’un état stable de l’humanité, assez analogue à celui qui existe en effet, c’est ce qu’on n’essayera pas de nier 359.
Le royaume de Dieu, tel que nous le concevons, diffère notablement de l’apparition surnaturelle que les premiers chrétiens espéraient voir éclater dans les nues. […] Ceux-ci l’ont peint comme ils le concevaient, et souvent, en croyant l’agrandir, l’ont en réalité amoindri. Je sais que nos idées modernes sont plus d’une fois froissées dans cette légende, conçue par une autre race, sous un autre ciel, au milieu d’autres besoins sociaux.
Ceux qui la conçoivent ainsi l’abaissent, et malheureusement c’est ainsi qu’Odysse Barot la conçoit. […] C’est l’utilité comme son front étroit et impérieux la conçoit et l’exige.
Je ne suis pas bien sûr qu’on lise ce livre compacte et sans lumière, indigestion de deux ou trois éruditions spéciales et qui roule, dans un style épais, de si misérables erreurs qu’elles ne sont plus que des lubies ; mais on le feuillette et on le vante, et je le conçois ! […] N’oublions pas que son livre n’est, avant tout et après tout, qu’un essai de cosmologie… Parti du Cosmos, pour aller au Cosmos, en passant sur le Cosmos, l’auteur s’agite, mais stérilement, pour organiser plus qu’un cimetière… Le mot de ciel est de trop dans le titre de son ouvrage, et la terre même, comme il la conçoit, n’est pas la notion chrétienne de la terre. […] On conçoit, n’est-il pas vrai ?
Ce qu’il proposait lui-même de spécifique et d’original, ce qu’il aurait voulu voir adopter, la mesure du désarmement, l’idée de faire passer l’État du rang de percepteur à celui d’assureur, la suppression des octrois, le rachat par l’État de tous les monopoles…, ces fragments d’un plan général qu’il avait conçu, je n’en dirai rien, parce que de tels projets radicaux se perdaient alors dans tous ceux que chacun proposait à l’envi et qui couvraient les murailles comme une éruption universelle. […] On l'a arrêté pour lui fermer la bouche. » M. de Girardin, à qui l'on a quelquefois reproché de l’orgueil, eut tout lieu vraiment d’en concevoir en cette circonstance ; on l’avait jugé un homme. […] Certes le progrès en science, en industrie, en civilisation générale, en réparation moins inégale du bien-être, est évident ; il se poursuit et se poursuivra ; mais aux yeux du philosophe, de l’artiste, du moraliste, de tous ceux qui conçoivent avec étendue et qui comparent, c’est toujours un progrès qui cloche et qui clochera, un progrès qui ne bat que d’une aile. […] Il y a des mots qui sont vivants comme des hommes, redoutables comme des conquérants, absolus comme des despotes, impitoyables comme le bourreau ; enfin il y a des mots qui pullulent, qui, une fois prononcés, sont aussitôt dans toutes les bouches… « Il est d’autres mots qui, pris dans une mauvaise acception, énervent, glacent, paralysent les plus forts, les plus ardents, les plus utiles, les plus éminents, tous ceux enfin sur qui ils tombent, mots plus funestes au pays qui ne les repousse pas que la perte d’une bataille ou d’une province… 70» Je ne demande rien de plus, et, cela dit et réservé, je conçois, j’admets volontiers que dans un pays aguerri au feu des discussions, chez un peuple de bon sens solide, raisonneur, calculateur, entendant ses intérêts, d’oreille peu chatouilleuse, qui ne prend pas la mouche à tout propos, une grande part de ce qui n’est qu’imaginaire dans le danger d’une presse libre disparaisse et s’évanouisse ; que les inconvénients puissent même s’y contre-balancer de manière à laisser prévaloir grandement les avantages.
Toutes les idées de choses visibles sont accompagnées d’une telle image, d’un […]39 : l’homme, par exemple, la rose, ne sont pas conçus sans l’imagination d’une ombre d’homme, d’une ombre de rose. […] Hors ce cas exceptionnel, la pensée discursive existe pour elle-même, et, dès lors, il y a lieu de la concevoir comme une chose qui peut avoir un signe et qui, si elle a un signe, doit s’en distinguer par quelque caractère. […] Je fais appel à tous ceux qui me lisent et qui ne peuvent manquer de les concevoir une fois de plus à l’occasion de cette discussion ; j’affirme, sans crainte d’être démenti, que l’image de l’homme est dans leur esprit du sexe masculin et adulte, que l’image de la rose est celle d’une rose épanouie et de couleur rose ou rouge. […] Les idées de choses sensibles, étant les premières conçues et les plus profondément enracinées, servent en quelque sorte de tuteurs aux idées psychologiques et métaphysiques jusqu’à ce que celles-ci aient acquis la force suffisante pour se passer de leur secours. […] Voir Descartes, au commencement du traité du Monde : « Les paroles, n’ayant aucune ressemblance avec les choses qu’elles signifient, ne laissent pas de nous les faire concevoir », etc. ; Bossuet, Logique, I, 3 ; Port-Royal, Logique, I, 1 ; etc.
. — Ici, plus aisément que partout ailleurs, on conçoit ce que signifiait déjà la Chanson de Roland quand elle parlait de « France la doulce ». […] Petite fille d’un petit village de la frontière, elle a souffert de ce que souffraient de pauvres gens à cent lieues, à deux cents lieues de là ; elle a conçu, entre eux et elle, un lien d’intérêts, de souvenirs, de traditions, de fraternité, de dévouement à un même homme, le roi, représentant de tous.
Vous ne concevez pas comment on peut s’ennuyer entre les bras d’une déesse ; c’est que vous n’êtes pas un dieu. […] C’est que je m’en suis moins inquiété ; j’ai dit à Vien : voilà le sujet, voilà comme je le conçois.
On conçoit facilement la raison de la difference qui se trouve entre l’impression faite par l’objet même et l’impression faite par l’imitation. […] Cette émotion artificielle n’en est que l’occasion ; elle fomente dans le coeur d’une jeune personne qui lit les romans avec trop de goût, les principes des passions naturelles qui sont déja en elle, et la dispose ainsi à concevoir plus aisément des sentimens passionnez et serieux pour ceux qui sont à portée de lui en inspirer : ce n’est point Cyrus ou Mandane qui sont le sujet de ses agitations.
Cette écriture, presque illisible pour ceux qui ne l’ont pas étudiée, a quelque chose du trait impatient et fougueux de Napoléon ; mais, quoiqu’à demi formés, les caractères ont la fermeté et la netteté du burin. » C’est moins, on le conçoit, avec les yeux mêmes qu’avec la sagacité comparative et par la pénétration du tour, du jet habituel à Pascal, qu’on arrive à déchiffrer une écriture aussi elliptique ; aussi, à quelqu’un qui lui disait que ce travail devait bien lui fatiguer les yeux, M. […] Tout le reste est relativement timoré ; le goût des meilleurs voulait la régularité et ne concevait point qu’on s’en passât. […] On pourrait presque affirmer de même que de nos jours, non point absolument chacun, mais tout esprit sérieux et réfléchi, tout cœur troublé, qui conçoit le doute et qui en triomphe ou qui le combat, porte son Pascal en lui, et, selon les manières diverses de souffrir et de lutter, on conçoit ce Pascal diversement : chacun de nous fait le sien. […] Oui, Pascal parfois doute ou a tout l’air de douter, il conçoit et exprime le doute d’une façon terrible, mais c’est aussi qu’il a, qu’il croit avoir le remède.
Celui de l’esclavage dans l’antiquité l’était beaucoup moins, et il a fallu des siècles pour arriver à concevoir la possibilité d’une société sans esclaves. […] Car l’égalité ressort surtout de la considération de l’individu, et l’inégalité ne se conçoit qu’au point de vue de la société. […] Cela se conçoit du moment que l’on attribue à l’humanité une fin objective (c’est-à-dire indépendante du bien-être des individus), la réalisation du parfait, la grande déification. […] Notre petit système de gouvernement bourgeois, aspirant par-dessus tout à garantir les droits et à procurer le bien-être de chacun, est conçu au point de vue de l’individu et n’a pu rien produire de grand. […] Cette preuve est conçue au point de vue de l’individu.
Dans ce groupe de possibilités permanentes de sensation que nous appelons objet, la possibilité permanente de sensations tactiles et musculaires forme un groupe dans le groupe, une sorte de noyau intérieur, conçu comme plus fondamental que le reste, et dont toutes les autres possibilités de sensation renfermées dans le groupe semblent dépendre. […] Or cette prédominance des associations synchroniques produit une tendance à concevoir les choses sous des formes concrètes, colorées, riches d’attributs et de détails : disposition d’esprit qu’on appelle l’imagination et qui est une des facultés du peintre et du poëte. […] Suivant Hamilton, l’idée de cause n’est pas un principe sui generis de notre intelligence : elle s’explique par l’impossibilité pour nous de concevoir quelque chose qui commence absolument. […] C’est parce que nous ne concevons pas que rien devienne quelque chose, que nous demandons toujours la cause de tout effet, c’est-à-dire ce dont l’effet tire son existence et n’est qu’une transformation. […] « Elle peut se définir une généralisation de l’expérience »104, ou bien encore « le moyen de découvrir et de prouver des propositions générales. » Son fondement n’est pas, comme l’ont prétendu les Écossais, notre croyance à l’uniformité du cours de la nature, vu que cette croyance est elle-même un exemple d’induction, et d’une induction qui n’est pas des plus faciles ni des plus évidentes, puisqu’il faut, avant d’y arriver, avoir conçu les uniformités particulières dont l’uniformité générale est la résultante et la synthèse.
Il est une belle manière de concevoir la naissance de la poésie lyrique : c’est de l’associer à la création même de la nature intelligente, c’est d’en faire la première voix de l’homme, jeté adulte dans le monde par un miracle sans lequel ne peut s’expliquer le miracle même du commencement des choses. […] À travers des obscurités que la science moderne n’éclaircit pas toujours, deux contrées de l’Orient, habitées de bonne heure par l’espèce humaine, semblent avoir de temps immémorial conçu et répété de tels accents religieux. […] « Par cet appareil, qui nulle part n’a été égalé, nous pouvons concevoir la splendeur de l’ode hébraïque », dit un éloquent interprète. […] On conçoit que la pompe lyrique et musicale, que la mise en scène, ne fussent pas les mêmes pour l’annonce d’une victoire lointaine, apportée d’Olympie au roi de Syracuse, dans le luxe de sa cour, ou pour le jeune athlète qu’au sortir de la lice une fête civique accueillait à la voix du poëte. […] Au-delà est cette vie divine que l’antiquité, même idolâtre, avait conçue, dont elle entendait quelque chose dans le recueillement intérieur de l’âme, qu’elle recherchait dans les initiations de ces mystères, dont Pindare a dit : « Que l’homme n’en aurait pu contempler toute la lumière dévoilée, sans mourir. » Mais revenons au seul domaine de l’imagination et de l’art.
Que la France ne rendît pas responsable le fils irréprochable du duc d’Orléans du vote de son père, je le concevais ; mais que la France fît de ce malheur un titre au trône, c’était trop criant pour mon cœur. […] Sa raison était aussi légère que son imagination était inflammable ; il conçut pour la belle étrangère une passion qui lui enleva toutes les angoisses de la captivité, tous les souvenirs de sa patrie. « La passion qu’il conçut pour l’amie de madame de Staël, dit madame Lenormant, était extrême. […] Si cette pensée n’était pas l’égarement du cœur perdu dans les perspectives de la grandeur et de l’amour, rien ne peut justifier madame Récamier de l’avoir conçue ; la délibération seule était une faute. […] Ce que je ne puis concevoir, c’est que, ne voulant pas me revoir, vous n’ayez pas même daigné me prévenir et m’épargner la peine de faire inutilement une course de trois cents lieues.
Il n’y a qu’un Dieu ; les chrétiens de France et d’Allemagne le confessent, mais il peut être conçu de plusieurs manières. […] Pas un chrétien français ne peut concevoir le vieux Dieu allemand.
On conçoit comment il put louer Stilicon, qui n’était pas à la vérité un citoyen, mais qui était à la fois et un ministre et un général ; mais Honorius, qui toute sa vie fut, comme son frère, un enfant sur le trône ; qui, mené par les événements, n’en dirigea jamais aucun ; qui ne sut ni ordonner, ni prévoir, ni exécuter, ni comprendre ; empereur qui n’avait pas même assez d’esprit pour être un bon esclave ; qui, ayant le besoin d’obéir, n’eut pas même le mérite de choisir ses maîtres ; à qui on donnait un favori, à qui on l’ôtait, à qui on le rendait ; incapable d’avoir une fois du courage, même par orgueil ; qui, dans la guerre et au milieu des périls, ne savait que s’agiter, prêter l’oreille, fuir, revenir pour fuir encore, négocier de loin sa honte avec ses ennemis, et leur donner de l’argent ou des dignités au lieu de combattre ; Honorius, qui, vingt-huit ans sur le trône, fut pendant vingt-huit ans près d’en tomber ; qui eut de son vivant six successeurs, et ne fut jamais sauvé que par le hasard, ou la pitié, ou le mépris ; il est assez difficile de concevoir comment un homme qui a du génie, peut se donner la peine de faire deux mille vers en l’honneur d’un pareil prince.
. — Voici la formule éternelle dans laquelle l’a conçue la nature : lorsque les citoyens des démocraties ne considèrent plus que leurs intérêts particuliers, et que, pour atteindre ce but, ils tournent les forces nationales à la ruine de leur patrie, alors il s’élève un seul homme, comme Auguste chez les Romains, qui se rendant maître par la force des armes, prend pour lui tous les soins publics, et ne laisse aux sujets que le soin de leurs affaires particulières. […] On conçoit que dans les démocraties les citoyens aient consacré à la patrie et leur personne et leur famille dont elle assurait la conservation, et que par là ils aient été apprivoisés à la monarchie.
La règle est générale et on en trouvera l’application dans toute mise en scène bien conçue. […] Il en est de même des idées : il nous est impossible de concevoir chez un autre des idées que nous ne concevons pas en nous. […] La disposition scénique du premier acte ne me paraît pas heureusement conçue. […] C’est là son modèle ; il s’efforce d’en bien concevoir les formes lumineuses, qui se dessineront dans la chambre noire de sa pensée. […] Le public actuel s’intéresse donc moins à l’homme en général qu’aux hommes en particulier, et ne conçoit pas plus ceux-ci soustraits à toutes les conditions de climat, de race, de tempérament et de milieu social, qu’il ne les conçoit dégagés des influences extérieures, des circonstances et des faits.
Mais il ne s’ensuit pas que la structure de chacun de ces Écureuils soit la meilleure qu’il soit possible de concevoir dans toutes les conditions naturelles possibles. […] Lorsque l’un et l’autre cas se présentent à la fois, on conçoit qu’il puisse être aisé à la sélection naturelle d’adapter, au moyen de quelques modifications de structure, tous les représentants de cette espèce, soit en général à des habitudes variables, soit exclusivement à l’une ou à l’autre de ces habitudes. […] Mais l’on conçoit aisément comment l’ordre des reptiles ichthyoïdes volants ou nageants, à la surface des eaux, de mieux en mieux adapté à un milieu aérien, dut supplanter rapidement et complétement l’ordre jusque-là dominant des poissons, de même volants ou nageants, mais avec une respiration aquatique peu modifiée. […] La structure interne des organes électriques n’est pas essentiellement différente de celle des muscles ordinaires, et l’on peut concevoir un passage graduel de l’une à l’autre. […] Il n’y aurait ainsi aucune difficulté à concevoir qu’il ait pu exister un nombre suffisant de prototypes électriques pour expliquer la présence de nos espèces actuelles.
On ne peut concevoir autrement qu’en théorie un ensemble d’harmonies absolument dépourvues de rythme, puisqu’elles ne procèdent que par succession15. […] La mesure des intervalles dont se compose une harmonie est un nombre se rapportant à une relation de longueur, de diamètre, de densité, (la corde ou le tuyau sonores) et désignant lui-même la vibration qui ne peut être conçue en dehors de l’espace. […] Le vers est né à sa propre vie ; sa longueur comme sa force rythmique ne dépendent plus que du sens grammatical qu’il contient — du sens plus élevé qu’il apporte par sa plastique et par tout ce qu’il suggère — et de son importance comme élément musical : il est désormais logiquement conçu. […] La publication de ces vers fut immédiatement suivie, en Belgique et en France, de poèmes conçus selon des formes voisines. […] Il semble dès l’abord que si l’on ne peut concevoir la mélodie sans un rythme, elle ne peut exister non plus en dehors de l’harmonie, — puisqu’elle est son autant que mouvement, — et qu’on ne peut donc lui opposer l’harmonie qu’en opposant une partie à un ensemble.
Ayant perdu dans son enfance une femme qui lui témoignait quelque affection, il passa de longues nuits couché sur cette tombe, et eut le temps, pendant ces lamentables veilles, de méditer les hideurs de la putréfaction, et de concevoir l’idée, fréquente dans ses contes, de la persistance du sentiment après la mort. […] À cette imagination minutieuse, qui conçoit avec le même détail des états d’âme directement perçus, et des scènes, des lieux, des suites de pensées imaginaires, — qui est constituée par conséquent plutôt par la vue nette de rapports vraisemblables et logiques, que par une acuité spéciale d’observations, — Poe associe la déduction des incidents, la notion des conséquences probables ou nécessaires que peut ou doit avoir toute donnée. […] Poe conçoit cette force comme la tendance de toutes les particules de la matière à rentrer en une unité originelle. […] Ici Edgar Poe, ayant posé en principe que la matière n’existe qu’en fonction de répulsion et d’attraction, conçoit, par un magnifique coup de déduction, que ces deux forces satisfaites ou anéanties, cessant d’être, entraînent dans leur disparition la matière qu’elles constituent. […] Toute l’œuvre conçue par un art infaillible et savant, calculée en ses parties, son mouvement, sa direction et sa masse, revêt l’aspect glacial d’un objet géométriquement parfait.
Il y a des travaux de l’esprit dont on ne conçoit pas qu’ils s’accomplissent avec aisance et facilité. […] Concevrait-on, d’ailleurs, que l’interprétation fût possible si nous allions réellement des mots aux idées ? […] On conçoit que ces oscillations mentales aient leurs harmoniques sensorielles. On conçoit que cette indécision de l’intelligence se continue en une inquiétude du corps. […] En vain on nous objecterait la difficulté de concevoir l’action du schéma sur les images.
La littérature classique bien conçue n’a pas seulement à s’occuper des chefs-d’œuvre de la langue, tragédies, épopées, odes, harangues et discours, elle ne néglige pas les victoires : je veux dire les victoires illustres, celles qui font époque dans la vie des nations. Sans parler même de ces journées à jamais mémorables contre les Perses et le grand roi, je ne conçois pas un Grec instruit, sachant son Homère, applaudissant son Sophocle, et qui n’aurait pas eu une idée précise de la bataille de Leuctres, cette invention éclose du génie d’Épaminondas. […] Pour comprendre un tableau et se bien représenter le genre de talent qui l’a conçu et exécuté, on n’est pas un peintre ; pour comprendre l’idée et l’exécution d’une action de guerre, on n’est pas un général : on reste un critique ; l’essentiel est de l’être avec le plus d’ouverture autour de soi et le plus d’étendue qu’on le peut. […] D’autres projets de défense, conçus par des officiers généraux de l’armée de Flandre, s’élaboraient autour du général en chef, et on les envoyait à Versailles, souvent à son insu.
Je décris les temps plus anciens séparément, tels qu’ils ont été conçus par la foi et par le sentiment des premiers Grecs, et tels qu’ils sont connus seulement au moyen de leurs légendes, sans me permettre de mesurer la quantité, grande ou petite, d’éléments historiques que ces légendes peuvent renfermer. Si le lecteur me reproche de ne pas l’aider dans cette appréciation, s’il me demande pourquoi je n’enlève pas le rideau pour découvrir le tableau, je répéterai la réponse du peintre Zeuxis à la même question qui lui fut faite, quand il exposa son chef-d’œuvre d’art imitatif : « Le tableau, c’est le rideau. » « Ce que nous lisons maintenant comme poésie et légende était jadis de l’histoire généralement acceptée, et la seule véritable histoire de leur passé que les premiers Grecs pussent concevoir ou goûter. […] Il y eut donc un temps, on peut le concevoir, où la récitation, se trouvant être le seul mode de publication, était merveilleuse de durée, d’étendue et de fidélité, et il n’est pas invraisemblable d’admettre qu’il a pu exister, dès ce temps-là, de longs poëmes qui se sont transmis et conservés. […] Des parties de l’Odyssée ont dû sans doute être récitées séparément, mais si l’on donne à un rhapsode plusieurs journées de suite, ou si l’on suppose (ce qui avait lieu dans les assemblées et les fêtes publiques) une suite de rhapsodes qui se succédaient et se relayaient pour la récitation, rien n’empêche de concevoir que, même sans écriture aucune, l’Odyssée ait pu se transmettre en entier, dans toute son intégrité, sauf peut-être tel épisode à tiroir et tel passage ou telle scène qui aura pu s’y glisser après coup : mais l’agrégation première, la cristallisation, pour ainsi dire, du poëme doit dater de la période légendaire, de l’époque créatrice et inspirée, de l’âge même des rhapsodes.
La publication de ces vers fut immédiatement suivie, en Belgique et en France, de poèmes conçus selon des formes voisines. […] Comment cet effort fut-il conçu ? […] L’importance de cette technique nouvelle, en dehors de la mise en valeur d’harmonies forcément négligées, sera de permettre à tout poète de concevoir en lui son vers ou plutôt sa strophe originale, et d’écrire son rythme propre et individuel au lieu d’endosser un uniforme taillé d’avance et qui le réduit à n’être que l’élève de tel glorieux prédécesseur. […] La rime ou l’assonance doivent donc être des plus mobiles, soit que le poème soit conçu en strophes fermées, ou qu’on utilise la formule dénommée depuis les laisses rythmiques, dont le premier exemple se trouve dans les Palais Nomades p. 129, celle qui se rapproche le plus des discours classiques, la plus propre à un long énoncé de sentiments, ou bien qu’on emploie la brève évocation des lieds.
Vous n’avez pas conçu quelle pouvait être la suite de votre exemple ! […] Avec le tems, par une marche lente et pusillanime, par un long et pénible tâtonnement, par une notion sourde, secrette, d’analogie, acquise par une infinité d’observations successives dont la mémoire s’éteint et dont l’effet reste, la réforme s’est étendue à de moindres parties, de celles-cy à de moindres encore, et de ces dernières aux plus petites, à l’ongle, à la paupière, aux cils, aux cheveux, effaçant sans relâche et avec une circonspection étonante les altérations et difformités de nature viciée, ou dans son origine, ou par les nécessités de sa condition, s’éloignant sans cesse du portrait, de la ligne fausse, pour s’élever au vrai modèle idéal de la beauté, à la ligne vraie ; ligne vraie, modèle idéal de beauté qui n’exista nulle part que dans la tête des Agasias, des Raphaëls, des poussins, des Pugets, des Pigals, des Falconnets ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie dont les artistes subalternes ne puisent que des notions incorrectes, plus ou moins approchées que dans l’antique ou dans leurs ouvrages ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie que ces grands maîtres ne peuvent inspirer à leurs élèves aussi rigoureusement qu’ils la conçoivent ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie au-dessus de laquelle ils peuvent s’élancer en se jouant, pour produire le chimérique, le sphinx, le centaure, l’hippogriphe, le faune, et toutes les natures mêlées ; au-dessous de laquelle ils peuvent descendre pour produire les différents portraits de la vie, la charge, le monstre, le grotesque, selon la dose de mensonge qu’exige leur composition et l’effet qu’ils ont à produire, en sorte que c’est presque une question vuide de sens que de chercher jusqu’où il faut se tenir approché ou éloigné du modèle idéal de la beauté, de la ligne vraie ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie non traditionelle qui s’évanouit presque avec l’homme de génie, qui forme pendant un tems l’esprit, le caractère, le goût des ouvrages d’un peuple, d’un siècle, d’une école ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie dont l’homme de génie aura la notion la plus correcte selon le climat, le gouvernement, les loix, les circonstances qui l’auront vu naître ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie qui se corrompt, qui se perd et qui ne se retrouveroit peut-être parfaitement chez un peuple que par le retour à l’état de Barbarie ; car c’est la seule condition où les hommes convaincus de leur ignorance puissent se résoudre à la lenteur du tâtonnement ; les autres restent médiocres précisément parce qu’ils naissent, pour ainsi dire, scavants. […] Plus fortement vous l’aurez conçu ; plus vous serez grand, rare, merveilleux et sublime… vous n’êtes donc jamais vous ? […] Lorsque je m’arrache les entrailles, lorsque je pousse des cris inhumains ; ce ne sont pas mes entrailles, ce ne sont pas mes cris, ce sont les entrailles, ce sont les cris d’un autre que j’ai conçu et qui n’existe pas… or il n’y a, mon ami, aucune espèce de poëte à qui la leçon de Garrick ne convienne.
Si je sais qu’un temps s’est écoulé entre vos deux mouvements, c’est parce que je sais qu’un temps s’est écoulé entre mes deux perceptions si je conçois que vous avez duré, c’est parce que j’ai connu que je durais, et si je mesure votre durée, c’est parce que je puis mesurer la mienne. […] Il vous a conquis, il veut vous asservir ; il vous a comblé de preuves, il va vous en accabler : Ainsi, quoique je conçoive la durée des choses comme indépendante de la mienne, cependant, comme je ne me souviens que de moi, et que ma durée est la seule dont j’aie le sentiment, c’est de ma durée que j’induis la durée des choses, c’est sur le type de la mienne que je la conçois, c’est par la mienne seule que je puis l’estimer. […] Si c’est une sensation du toucher, nous concevons hors de nous la substance solide et étendue, et nous affirmons qu’elle existe, qu’elle existait avant notre sensation, qu’elle continuera d’exister après notre sensation, qu’elle est la cause de notre sensation.
Le goût de notre époque, qui s’est reporté sur les vieux papiers et qui a mis l’inédit en honneur, favorisait cette idée, qui, toute de curiosité pour nous, est une idée de piété chez ceux qui l’ont conçue. […] On conçoit que la mère Agnès eût très bien pu se passer de M. de Saint-Cyran, et qu’elle eût été une Philothée parfaite, une fille accomplie du saint évêque de Genève ; elle aurait pu remplir toute sa vocation et ne recevoir sa règle de conduite que du directeur et du père de Mme de Chantal. […] Le bon chevalier aurait bien voulu entrer, au moins une fois, dans ce cloître pour lequel il avait conçu de si grands desseins, et il en exprima le désir à la mère Agnès qui lui répondit par un refus le plus agréablement tourné : Je vous remercie très humblement de votre unique et rare fruit (un de ses petits cadeaux journaliers), vous avez le privilège de donner tout ce que vous voulez et d’accorder tout ce qu’on vous demande ; et nous, au contraire, nous trouvons des impuissances partout.
Chez un tel homme on conçoit que le frein volontaire fonctionne désormais dans un sens égoïste et antisocial. — La plupart des hommes n’ont d’ailleurs pas eu à opérer la conversion que nous venons d’indiquer. […] On concevait en Judée la possibilité de la résurrection d’un mort. […] Mais on peut concevoir un autre individualisme qu’on peut appeler individualisme aristocratique ou héroïque : c’est l’individualisme de ceux qui s’originalisent par une action utile et durable exercée sur leurs semblables.
IV Tout cela importe peu, dira-t-on, sans doute nos instruments de mesure sont imparfaits, mais il suffit que nous puissions concevoir un instrument parfait. Cet idéal ne pourra être atteint, mais ce sera assez de l’avoir conçu et d’avoir ainsi mis la rigueur dans la définition de l’unité de temps. […] Nous voulons au moins que l’on puisse concevoir une intelligence infinie pour laquelle cette représentation serait possible, une sorte de grande conscience qui verrait tout, et qui classerait tout dans son temps, comme nous classons, dans notre temps, le peu que nous voyons.
Quant « à l’anticipation de l’avenir, elle consiste dans la même série d’associations, avec cette différence que, dans la mémoire, l’association des états de conscience qui convertit l’idée en mémoire va du conséquent à l’antécédent, c’est-à-dire à reculons ; tandis que dans le cas d’anticipation, l’association va de l’antécédent au conséquent, c’est-à-dire en avant46. » Quand une sensation agréable est conçue comme future, mais sans qu’on en soit certain, cet état de conscience s’appelle espoir ; si l’on en est certain, il s’appelle joie. Quand une sensation désagréable est conçue comme future, mais sans qu’on en soit certain, cet état de conscience s’appelle crainte ; si l’on en est certain, il s’appelle chagrin (sorrow). […] Bain ; quand on voit combien la dernière l’emporte en richesse de faits observés, en précision, en exactitude descriptive, on ne peut s’empêcher de concevoir une bonne opinion de la méthode expérimentale en psychologie, — d’une méthode qui, prenant la tache où les devanciers l’ont laissée, profite des résultats acquis, du progrès des années, des découvertes, en ajoute de nouveaux et accroît ainsi la science, au lieu de la recommencer toujours.
Mais on peut concevoir un cas intermédiaire entre la perfection de la science et son extrême imperfection. […] Cependant il est impossible de concevoir le temps et l’espace autrement que comme infinis, et il est impossible de les dériver de l’expérience : ce sont des conceptions nécessaires de l’esprit. — Le psychologue à posteriori, de son côté, voit bien que nous ne pouvons penser le temps et l’espace autrement que comme infinis ; mais il ne considère pas cela comme un fait dernier. […] Cela explique leur caractère d’infini, sans rien introduire de « nécessaire. » Il se peut que le temps et l’espace aient des limites, mais dans notre condition présente nous sommes totalement incapables de les concevoir.
Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée Qu’il me soit permis de réclamer ici un peu plus d’attention ; je me propose de pénétrer, pour me servir d’une expression énergique de Bacon, dans l’intimité même des choses. […] Cette idée, que j’ai énoncée plus haut, recevra, par la suite, son entière explication, telle que je la conçois. […] Vous croyez que les partisans des idées nouvelles ont brisé cet antique palladium, et vous ne concevez pas comment il pourra être remplacé.
La sagesse poétique, la première sagesse du paganisme, dut commencer par une métaphysique, non point de raisonnement et d’abstraction, comme celle des esprits cultivés de nos jours, mais de sentiment et d’imagination, telle que pouvaient la concevoir ces premiers hommes, qui n’étaient que sens et imagination sans raisonnement. […] Par un effet de ce caractère de l’esprit humain que nous avons remarqué d’après Tacite ( mobiles ad superstitionem perculsæ semel mentes , axiome 23), dans tout ce qu’ils apercevaient, imaginaient, ou faisaient eux-mêmes, ils ne virent que Jupiter, animant ainsi l’univers dans toute l’étendue qu’ils pouvaient concevoir. […] Il ne peut pas dire le premier mot en fait de droit, sans prendre la Providence pour principe47. — Pour nous, persuadés que l’idée du droit et l’idée d’une Providence naquirent en même temps, nous commençons à parler du droit en parlant de ce moment où les premiers auteurs des nations conçurent l’idée de Jupiter.
Il est toutefois, dans la vie des nations, des moments d’ardeur et d’orage où l’on ne conçoit guère ces rôles à part ; la masse alors absorbe toutes les nuances ; le foyer commun appelle à lui toutes les étincelles ; la mêlée convoque tous les poëtes. […] Mais, dans les premières années du règne de Louis XVI, à l’aurore des améliorations lentes tentées par Malesherbes et Turgot, le jeune ami des Trudaine avait conçu un rôle littéraire plus calme, plus recueilli, plus d’accord avec un loisir d’ailleurs assez voluptueux, une régénération de la poésie énervée du xviiie siècle par l’étude approfondie de l’antique, un embellissement ferme et gracieux de la langue, et une peinture naïve des passions et des faiblesses du cœur dans des cadres nouveaux.
On conçoit en effet qu’un parti fort et compacte, qui, après avoir tout détruit et tout dévoré, tenta de tout reconstruire, qu’un tel parti, malgré son aspect peu attrayant, excite une vive sympathie intellectuelle chez les esprits qui aspirent à une organisation sociale plus ou moins analogue. On conçoit que, tout en blâmant le mode et en reconnaissant l’inopportunité de la tentative, ils en sachent un gré infini à leurs intrépides devanciers, et environnent leurs noms d’une sorte de consécration scientifique, comme les religions naissantes ont fait pour leurs précurseurs et leurs martyrs.
Depuis que les morceaux, recueillis dans le premier volume de cet ouvrage23, ont paru en 1832, l’auteur s’est trouvé insensiblement engagé à en composer dans le même genre un plus grand nombre qu’il n’avait projeté d’abord, et il n’a pas tardé à concevoir la réunion de ces divers Portraits ou articles critiques comme pouvant former une galerie un peu irrégulière, assez complète toutefois, et propre à donner une idée animée de la poésie et de la littérature contemporaine. S’il se permet donc aujourd’hui de réimprimer ces morceaux en les recueillant, c’est qu’il les a conçus au moment où il les écrivait comme devant former une espèce de tout, et comme ayant peut-être à gagner à ce rapprochement.
Et la chose se conçoit : il n’y a pas d’art d’écrire qui appartienne spécialement, exclusivement, à l’un ou à l’autre sexe. […] J’ai voulu fournir à de jeunes esprits l’occasion de réfléchir sur les moyens par lesquels ils pourront donner à leurs écrits la bonté qu’ils ont dû rêver souvent et désespérer d’atteindre, sur les meilleures et plus courtes voies par où ils pourront se diriger à leur but et nous y mener ; leur inspirer des doutes, des scrupules, des soupçons d’où leur méditation pourra tirer ensuite des principes et des certitudes, sur toutes les plus importantes questions que l’écrivain doit résoudre et résout, bon gré mal gré, sciemment ou non, par cela seul qu’il écrit d’une certaine façon ; donner le branle enfin à leur pensée, pour que, s’élevant au-dessus de l’empirisme, ils cherchent et conçoivent la nature et les lois générales de l’art d’écrire, pour qu’ils développent en eux le sens critique, et que, mettant la conscience à la place de l’instinct, ils arrivent à bien faire en le voulant et en le sachant.
Il faut posséder assez bien sa langue, avoir dans le cerveau un dictionnaire assez complet, pour que l’intelligence puisse concevoir toutes les idées et profiter de l’expérience des siècles, accumulée et déposée dans les mots, sans être obligée de refaire pour son compte l’œuvre des sociétés primitives, où chaque pensée, lentement, péniblement conçue, aboutissait à créer son expression.
Mais ce grand poète concevait quelque chose de plus grand que d’écrire des vers, et c’est pour cela peut-être que les siens sont beaux d’une beauté unique. […] Chose invraisemblable et que nous ne concevions plus que dans les républiques antiques, il règne réellement par la parole.
Dès que la simple récitation ajoûte tant d’énergie au poëme, il est facile de concevoir quel avantage les pieces qui se déclament sur un théatre, tirent de la représentation. […] Je conçois donc que le génie qui forme les excellens déclamateurs, consiste dans une sensibilité de coeur, qui les fait entrer machinalement, mais avec affection, dans les sentimens de leur personnage.
Section 2, du génie qui fait les peintres et les poëtes Je conçois que le génie de leurs arts consiste dans un arrangement heureux des organes du cerveau, dans la bonne conformation de chacun de ces organes, comme dans la qualité du sang, laquelle le dispose à fermenter durant le travail, de maniere qu’il fournisse en abondance des esprits aux ressorts qui servent aux fonctions de l’imagination. […] Mais les faits que j’explique sont certains, et ces faits, quoique nous n’en concevions pas bien la raison, suffisent pour appuïer mon systême.
Les Harmonies semblent presque toutes conçues dans quelque paysage élyséen, au bord d’une mer méridionale, et les Contemplations, dans quelque forêt sinistre ou devant un océan livide d’éclairs. […] Ce que seraient les derniers hommes d’une civilisation sans charité (c’est-à-dire, pour lui, d’une civilisation sans Dieu), Lamartine l’a conçu avec une logique audacieuse et candide. […] Il est difficile d’expliquer ces choses, mais on les conçoit pourtant. On conçoit que la recherche contradictoire d’on ne sait quel infini dans la sensation égoïste arrive à « déshumaniser » ceux qui s’y abandonnent tout entiers. […] Et alors nous concevons sans doute l’utilité de certaines douleurs, et qu’elles sont la condition de l’effort, qui est la condition du mérite.
On connaît la doctrine de Nietzsche sur ce sujet, doctrine que l’auteur de Zarathustra conçut à Sils Maria en août 1881. […] Il l’a conçue vivante, intégrale et immédiatement plastique. […] Houssaye les sciences naturelles d’une part, — et la façon dont nos poètes conçoivent aujourd’hui la poésie. […] Ils conçurent donc d’exalter jusqu’à l’enthousiasme cette discipline intellectuelle. […] Car il ne concevait pas qu’on pût rien faire sans bien s’y mettre.
Ainsi, quand dans une âme naturellement droite, mais exaltée, préexiste la croyance à des esprits exclusivement bons et moraux176, l’hallucination qui présente les caractères d’une telle origine ne peut par elle-même être le point de départ d’un trouble psychique, d’une maladie de l’âme ; on conçoit même qu’elle devienne un principe d’héroïsme et de génie. […] De même, l’idée de s’abstenir d’une action conçue et désirée, pour laquelle déjà les muscles s’agitent et frémissent, cette idée ne peut réussir à arrêter l’élan actif de la passion que si elle prend, elle aussi, l’allure de la passion, si elle semble rompre subitement le cours naturel des désirs et des actes. Telle est la vérité psychologique qu’Homère exprime à sa façon quand il fait intervenir les dieux dans les résolutions des mortels ; mais ce qui, dans les paroles attribuées aux divinités, n’est pas vrai au point de vue psychologique, c’est l’élément dialectique ; Homère est purement poète, il n’est plus à aucun degré psychologue, quand, à la suite d’impératifs catégoriques ou d’inspirations irrationnelles, il attribue encore aux dieux les sages raisonnements qui, pour une pensée calme, motivent et justifient l’impulsion primitivement conçue. Socrate, lui, a toujours distingué les impulsions spontanées, qui seules étaient divines à ses yeux, et les motifs que son esprit concevait ensuite de les trouver raisonnables et divines ; ceci était bien humain, car il y sentait l’effort personnel de son intelligence ; ce qui est divin, c’est l’intuition ; l’acte propre de l’esprit humain, c’est la dialectique laborieuse par laquelle la pensée discursive s’efforce de joindre les idées divines. […] Ce mot n’est pas autre chose dans un grand nombre d’expressions usuelles ou de passages des écrivains classiques ; il ne contient qu’une simple allusion à la parole intérieure passionnée, dramatique ou morale ; souvent même, il est employé sans allusion comme synonyme de motif intérieurement conçu ou même de motif légitime qu’on peut concevoir 217.
Un énoncé de faits, une métaphore, un récit d’imaginations se prêtent parfaitement à être conçus en termes précis, colorés et rhythmés. […] L’œuvre conçue comme l’intégration d’une série de notes prises au cours de la vie ou dans des livres, n’ayanten somme de l’auteur que le choix entre ces faits et la recherche de certaines formes verbales, possède l’inpassible froideur d’une constation et ne décèle des passions de son auteur que de rares accès. […] Sans cesse, dans les plus vulgaires pages, la beauté de l’expression conçue en termes nets, simplement liés, semble proférer une note lyrique plus haute que les choses dites. […] Dans ce livre, dans Bouvard et Pécuchet qui en est l’analogue, plus ironique et moins profond, Flaubert tente par une synthèse générale, en dehors de toute intrigue et de toute psychologie, de représenter l’histoire du développement de l’esprit humain, de son insatiable inquiétude, sans cesse assaillie de solutions, de systèmes, de révélations qu’il adopte, qu’il subit et qu’il abandonne en une révolution que le scepticisme de l’écrivain le portait à concevoir circulaire. […] En cette œuvre se reflète toute l’âme de Flaubert, cet esprit contradictoire et déchiré, que le réel sollicitait et repoussait, que la beauté attirait mais qui ne parvint à l’imaginer qu’antique et documentaire, qui sentit la séduction du mystère et fut le plus explicite des stylistes, qui conçut la synthèse du particulier dans le général et cependant disséqua des âmes particulières, écrivit en phrases analytiques et discrètes, et s’abstint de toute généralisation.
Or, sans acteurs consommés dans leur art, que devient le drame le mieux conçu et le mieux écrit ? […] Jusqu’à Esther et Athalie, nous concevons qu’on accuse ce grand poète de n’avoir été qu’un sublime plagiaire de l’antiquité ; mais après Esther et Athalie, nous ne concevons pas qu’on lui conteste la personnalité poétique la plus neuve et la plus caractérisée : c’est le christianisme fait poésie, c’est l’œil qui voit, c’est le zèle qui parle, c’est la foi qui chante, c’est l’écho des deux temples qui résonne dans l’âme du poète convaincu, et qui de son âme se répercute dans ses vers. […] Le plan d’Esther fut conçu en quelques nuits. […] Il raconte à Esther le plan du massacre des Juifs conçu par le ministre Aman. […] Comme adulation, c’est un chef-d’œuvre ; comme drame, rien de plus faiblement conçu, de plus misérablement noué et de plus ridiculement dénoué !
Il faut dire pourtant que sous Louis XIV, à part ce soleil monarchique qui absorbait en lui toutes les superstitions et les apothéoses, le génie et sa fonction étaient noblement conçus, et dans des proportions vraiment belles. […] Je concevrais qu’un art délicat, sans le dire, eût altéré, omis, et quelque peu arrangé cette fin des choses. […] Et le grand homme une fois conçu dans cet esprit, voyez quelle est la nécessité à son égard ; on veut le maintenir en tout point à cette hauteur forcée, et, comme dans les panégyriques d’Empereurs romains, il n’y a plus rien de lui qui ne devienne surnaturel, étrange. […] Il eut sa période d’arrêt et de retour après sa période d’invasion ; il ne crut pas en politique à l’efficacité absolue de la logique, de la théorie, ni des constitutions faites de toutes pièces ; il conçut, plus qu’aucune tête à cette époque, l’élément historique et vital des sociétés. […] On conçoit qu’au fils d’un tel père Mirabeau captif ait écrit, et fait écrire, et entassé les suppliques en vain, sans rien arracher que des mots de cette sorte : « Cuirassé de cicatrices comme je le suis, disait le marquis inexorable, et ne m’effrayant pas de si peu, je considère de telles admonestations à un homme de poids et d’âge, comme des leçons de serinette à un éléphant. » Qu’y faire et que lui dire ?
II, p. 108), l’aversion qu’il conçut de bonne heure pour les faciles et dangereux plaisirs. […] Diderot féconda l’idée première et conçut hardiment un répertoire universel de la connaissance humaine à son époque. […] Sans doute l’idée de morale le préoccupa outre mesure ; il y subordonna le reste, et en général, dans toute son esthétique, il méconnut les limites, les ressources propres et la circonscription des beaux-arts ; il concevait trop le drame en moraliste, la statuaire et la peinture en littérateur ; le style essentiel, l’exécution mystérieuse, la touche sacrée, ce je ne sais quoi d’accompli, d’achevé, qui est à la fois l’indispensable, ce sine qua non de confection dans chaque œuvre d’art pour qu’elle parvienne à l’adresse de la postérité, — sans doute ce coin précieux lui a échappé souvent ; il a tâtonné alentour, et n’y a pas toujours posé le doigt avec justesse ; Falconnet et Sedaine lui ont causé de ces éblouissements d’enthousiasme que nous ne pouvons lui passer que pour Térence, pour Richardson et pour Greuze : voilà les défauts. […] Grimm avait déjà comparé la tête de Diderot à la nature telle que celui-ci la concevait, riche, fertile, douce et sauvage, simple et majestueuse, bonne et sublime, mais sans aucun principe dominant, sans maître et sans Dieu. […] Il y en a seulement un très-petit nombre de sages qui cherchent avec soin ce sentier, et qui, l’ayant découvert, y marchent avec grande circonspection, et, trouvant ainsi le moyen de passer le torrent, arrivent enfin à un lieu de sûreté et de repos. » L’image de Nicole n’est pas consolante ; au chapitre V du traité de la Crainte de Dieu, on peut chercher une autre scène de carnage spirituel, dans laquelle n’éclate pas moins ce qu’on a droit d’appeler le terrorisme de la Grâce : on conçoit que Diderot ait trouvé ces doctrines funestes à l’humanité, et qu’il ait voulu faire à son tour, sous image d’île et d’océan, une contre-partie au tableau de Nicole. — Il y a aussi dans Pascal une comparaison du monde avec une île déserte, et les hommes y sont également de misérables égarés.
Ils conçoivent bien comment la cour de Louis XIV applaudissait Racine qui travaillait pour elle et qui la copiait quelquefois : mais que des tragédies composées pour nos arrières grands-pères nous attirent encore, voilà ce qu’ils ne sauraient comprendre, en vérité. […] Ils nous refuseraient volontiers le droit dont ils usent, et ne consentiraient point à dire qu’après tout chaque peuple a des sentiments qui lui sont propres, sa manière de concevoir le beau et de reconnaître la nature. […] Cette invention appartient à Schiller ; car Shakespeare lui-même, en puisant dans l’histoire de Henri VI, la matière de trois tragédies consécutives, n’a jamais conçu l’idée de les confondre en une seule. […] Jadis des peuples grossiers ont été dupes de ces vains prestiges, je le sais, et j’en conclus que l’on pourra bien me montrer sur la scène des personnages imbus de ces traditions et de ces frayeurs : mais qu’il faille que ces spectres m’apparaissent à moi-même, je n’en conçois ni la nécessité ni là convenance. […] Ce bal, où Henri VIII accable de son amour l’une de ses futures victimes, et celui où Roméo et Juliette conçoivent l’un pour l’autre les tendres sentiments qui les conduiront ensemble au tombeau, sont des inventions éminemment tragiques qu’on ne peut plus imiter, mais qui honorent le génie de Shakespeare.
Les programmes de 1902, dont il s’agit, ont été conçus dans le but de préparer le petit Français « à la vie moderne ». […] Les livres de lectures allemandes semblent conçus pour germaniser les esprits. […] … C’est le non-enseignement, systématique, de cette langue, c’est la réforme de 1902, maintenue envers et contre tous, qui découvre un plan très arrêté, conçu par des politiciens ivres de flagornerie démocratique. […] Supposez que recevant une lettre ainsi conçue : 54817 84354 17320 32691 tous les peuples, rien qu’en feuilletant en deux minutes un petit vocabulaire de poche, comprennent chacun dans leur langue et traduisent : « Envoyez-moi la semaine prochaine vingt tonnes de minerai de cuivre brut seconde qualité que je vous paierai à trois mois, sur votre traite acceptée par moi, deux pour cent d’escompte. » Alors est-ce qu’on ne sera point un peu délivré du cauchemar d’apprendre durant des années les charabias étrangers ? […] Je conçois que nous nous en tourmentions.