Il sait l’artiste à fond, sous toutes ses formes, dans toutes ses applications, dans ses pensées les plus secrètes, dans ses procédés les plus spéciaux, et dans ce qu’il fait et dans ce qu’il ne fera jamais, et dans ses rêves et dans son impuissance, et dans la dépravation de ses facultés aigries, et dans le triomphe de son génie harmonieux, et dans le néant de son œuvre, et dans le sublime de ses misères. […] Plus d’une fois, au milieu de joyeux compagnons, et autour du punch bleuâtre, il lui est revenu d’amères pensées, des regrets du cloître et de la vie des vieux temps, et comme il l’a dit lui-même, un amour inouï, un désir effréné pour un objet qu’il n’aurait pu définir ; plus d’une fois son cœur a battu d’une émotion douloureuse en voyant à l’horizon des cités germaniques planer ces magnifiques monuments qui racontent comme des langues éloquentes l’éclat, la pieuse persévérance, et la grandeur réelle des âges passés.
Il est permis de croire qu’en mourant Walter Scott n’emporte pas de grande pensée inachevée ; son génie s’était épanché à l’aise et abondamment ; il avait assez dit pour sa gloire et pour nos plaisirs ; quoiqu’il n’eût que soixante-deux ans, il est mort plein d’œuvres et il avait rassasié le monde. […] , le devoir des générations nouvelles, leur piété bien entendue envers les mânes de ces hommes dont la grandeur et les vrais bienfaits ont racheté les faiblesses, consiste, au défaut du génie que Dieu seul dispense, à ne pas s’endormir dans un lâche sommeil ni dans des intérêts étroits et vulgaires, à ne pas s’égarer dans de chétives ambitions, à ne pas croupir au giron de quelque pouvoir corrompu et corrupteur, mais à marcher avec constance, développant leur pensée, défendant leur droit, n’abdiquant aucune portion de la vérité, la cherchant dans la méditation et l’étude, la répandant par la parole, et fidèles à tout ce qui relève l’homme et l’honore.
Quand on étudie quelque grand écrivain ou poète mort, La Bruyère, Racine, Molière, par exemple, on est bien plus à l’aise, je le sens, pour dire sa pensée, pour asseoir son jugement sur l’œuvre ; mais le rapport de l’œuvre à la personne même, au caractère, aux circonstances particulières, est-il aussi facile à saisir ? […] Mais cette bienveillance, si l’on veut prendre la peine d’en peser l’expression et d’en démêler la pensée, ne semblera pas aussi complaisante qu’on le croirait à un premier coup d’œil, et elle ne va jamais, je l’ose dire, jusqu’à fausser et altérer la vérité.
Rousseau tué par les chagrins et par la misère… » Après avoir quelque temps continue sur ce ton, l’auteur s’attache à une phrase échappée à M. de Custine dans son livre sur l’Espagne : « En France, dit le spirituel touriste, Rousseau est le seul qui ait rendu témoignage par ses actes autant que par ses paroles à la grandeur du sacerdoce littéraire ; au lieu de vivre de ses écrits, de vendre ses pensées, il copiait de la musique, et ce trafic fournissait à ses besoins. […] Cet article et les suivants, extraits de la Revue des Deux Mondes, à la date des 1er novembre 1838 et 15 février 1839, sont la continuation des bulletins littéraires, déjà reproduits en partie à la fin du tome II des Portraits contemporains (Pensées et Fragments, pages 524 et 530).
D’autres, enfin, les plus naïfs, sont persuadés que Victor Hugo a « incarné la pensée du siècle », et qu’« on dira le siècle de Hugo comme on dit le siècle de Voltaire ». […] Le poète de la Légende a souvent enchanté nos imaginations ; il a peu agi sur notre pensée, ayant peu pensé lui-même.
Toutefois, je crois comprendre ici la pensée de cette dame. […] Il faut apprécier ici la modestie et la finesse de sa pensée, quoique les pauvres en aient pâti.
Charles Morice D’un rêve d’or et de sang, bellement théâtral, M. de Heredia fait des poèmes sans pensées et pleins de mouvements et de couleur, des vers sonores et rudes. […] Il en est qui, faute d’une pensée assez abondante pour les emplir jusqu’au bout, laissent flotter à vide bien des vers.
Massenet, en mettant ses vers en musique, a restitué à sa pensée sa vraie forme. […] Rabelais) ; et son œuvre double n’en serait pas moins un commentaire inattendu de la pensée de Pascal sur l’homme ange et bête.
Des trois actes qui décomposent l’action esthétique (Pensée, Idée, Expression), il n’accomplit que le premier. […] Sully Prudhomme, si différents d’aspect et d’esprit, marquent simplement les diverses étapes de sa pensée philosophique.
Il abonde en pensées plus brillantes que solides. […] Si la force & la nouveauté des pensées, l’énergie & l’âpreté du stile, font l’écrivain satyrique, personne ne l’est plus que lui.
Des antithèses, des pointes, quelques pensées brillantes, des applications & des allusions plus forcées qu’heureuses, un ton continuel de fadeur & de galanterie, le stile le plus enjoué, le plus fleuri, le plus ingénieux, mais le moins naturel ; un stile propre à mettre en réputation un auteur de son vivant, & qui bientôt après le fait oublier. […] La fin du sonnet paroissoit aux Jobelins la plus heureuse pensée.
Jolie fable, parfaitement écrite d’un bout à l’autre ; la seule négligence qu’on puisse lui reprocher est la rime toute usée, qui rime avec pensée. […] Les six derniers ne font qu’affaiblir la pensée de l’auteur.
Non pas dans les mots ; les violences de mots sont des gestes pour suppléer à l’animation réelle de la pensée, mais ici, ce sont les sentiments dans lesquels le maître recueillait ses observations qui font voir une singulière surexcitation. […] Nous ne sommes pas maîtres des pensées qui naissent en nous.
Ils veulent que leur pensée se survive et que leur volonté continue d’être. […] Pourtant mon cœur comprenait les pensées silencieuses de ton âme. […] De telles pensées le sel est perdu, si on est forcé de le démêler. […] C’est une pensée douce. […] Rien n’est plus rare que le sens du réel, c’est-à-dire que la pensée en chiffres.
La vue d’une corde, d’une courroie, d’un cordon leur met immédiatement en tête la pensée de pendre quelqu’un, un mari, une femme, surtout un roi. […] Une certaine prolixité concise le distingue aussi ; il torture sa pensée jusqu’à ce qu’il l’ait présentée sous vingt images différentes. […] Je cherche un exemple propre à préciser ma pensée et à la bien faire comprendre. […] Mais ne comprenez-vous pas, par les obstacles même qu’elle vous oppose, que ma pensée se refuse à jouer ce rôle ? […] Combien cette perspective est délicieuse en pensée !
Ils apprenaient à penser et à diriger ses pensées et à exprimer ses pensées. […] Le rocher est inanimé, mais l’idée de rocher est vivante dans la pensée vivante de Dieu. […] Nous repensons donc la pensée de Dieu. […] Il n’est rien qui ne doive y tendre, sentiments, pensées, actes. […] Ce ne sont que deux formes de la même pensée.
Ces bonnes gens qui se chauffaient en fumant au coin d’un poêle, et ne semblaient propres qu’à faire des éditions savantes, se trouvent tout d’un coup les promoteurs et les chefs de la pensée humaine. […] » Voilà, pour cette sorte d’hommes, la pensée maîtresse qui les rend sérieux, méditatifs et ordinairement tristes1217. […] Sa grande pensée le poursuit, et quand il contemple un arbre, c’est pour méditer sur la destinée humaine. […] Quand j’aurai vidé ma tête de toutes les pensées mondaines, et que j’aurai regardé les nuages dix années durant pour m’affiner l’âme, j’aimerai cette poésie. […] On n’a guère vu d’esprit dont la pensée planât plus haut et plus loin des choses réelles.
Dickens a tout vu dans le vieux beffroi ; sa pensée est un miroir, il n’y a pas un des détails les plus minutieux et les plus laids qui lui échappe. […] Les objets, chez Dickens, prennent la couleur des pensées de ses personnages. […] Dorénavant toutes ses pensées, tous ses dangers, le monde entier disparaît pour lui dans une seule question : quand trouveront-ils le cadavre dans le bois ? — Il s’efforce d’en arracher sa pensée ; elle y reste imprimée et collée ; elle l’y attache comme par une chaîne de fer. […] Dombey a toujours commandé, et il n’entre pas dans sa pensée qu’il puisse céder à quelqu’un ou à quelque chose.
Balzac, il faut l’avouer, n’eut jamais le don de poésie, de versification, du moins ; sa pensée si complexe resta toujours rebelle au rhythme. […] La pensée, la parole et la rime jaillissaient en même temps, et quelle rime ! […] Ces jeux de la pensée demandent toute la souplesse d’organisation des méridionaux. […] Le moule oratoire était celui où se coulait naturellement sa pensée. […] Les types de Gavarni lui appartiennent plus en propre, mais il n’a pas cette souplesse de Johannot à traduire la pensée des autres.
Au moyen âge et même au seizième siècle, une phrase de latin copiée ou citée faisait autant partie de l’amour-propre de l’auteur qu’une pensée propre. […] Une raison douce, résignée, mélancolique, attachante et détachée, reposée de ton, semée le mots justes et frappants qu’on retenait, composait l’allure habituelle de sa conversation, de sa pensée. […] Cette rougeur familière à Mme de Clèves, et qui d’abord est presque son seul langage, marque bien la pensée de l’auteur, qui est de peindre l’amour dans tout ce qu’il a de plus frais et de plus pudique, de plus adorable et de plus troublant, de plus indécis et de plus irrésistible, de plus lui-même en un mot. […] En avançant dans la composition de la Princesse de Clèves, les pensées de Mme de La Fayette, après ce premier essor vers la jeunesse et ses joies, redeviennent graves ; l’idée du devoir augmente et l’emporte. […] Je sais que ce ne sont point alors des pensées suivies, et que souvent vous n’êtes appliquée qu’à n’en point avoir : mais il est difficile de ne pas dépendre de son naturel, quand on veut bien qu’il soit le maître ; et l’on se retrouve sans peine, quand on en a beaucoup à se quitter.
De même qu’il y a en nous des pensées qui correspondent aux cas et individus particuliers, de même il y a en nous des pensées qui correspondent aux caractères généraux ; on les nomme idées générales ; elles forment en nous des couples, des séries, des assemblages de diverses sortes, bref, un vaste édifice compliqué. […] Ce n’est pas nous qui les arrangeons pour la commodité de notre pensée ; ils ne sont pas de simples moyens de classer, des instruments de mnémotechnie. […] II À ces extraits ou reliquats, présents ou plusieurs points du temps et de l’espace, correspondent en nous des pensées d’une espèce distincte et que nous appelons idées générales et abstraites. — On a déjà dit en quoi consistent ces idées79. […] II Tel est le caractère commun de toutes les idées que nous construisons : elles sont des cadres préalables ; quand nous en faisons un, nous n’avons point en vue une chose réelle à laquelle nous tâchions de conformer notre pensée ; et néanmoins notre pensée se trouve conforme à une ou plusieurs choses réelles encore inconnues, qui, lorsqu’elles seront connues, manifesteront cette conformité. […] En reculant par la pensée la surface du tableau noir, nous voyons naître tout le tableau solide. — De cette construction générale, passons aux particulières.
Je repartis bientôt après pour les Alpes, où de nouveaux sites et de nouvelles impressions m’inspirèrent de nouvelles pensées. […] Je préférais, comme je préfère encore, la pensée réalisée en action à des rêves flottants sur des pages ! […] Nulle pensée ne se pétrifiait aussi complètement sur les traits du visage que celle de Talma. Son visage devenait à volonté sa pensée. […] J’ai vu ce même enfant dont je suis menacée, Tel qu’un songe effrayant l’a peint à ma pensée.
L’esprit commun qui unit entre elles ces nombreuses populations est d’aimer la vie intérieure, celle de l’imagination, du sentiment ou de la pensée solitaire comme celle de la famille, de préférer ou de mêler la rêverie à l’action, et d’emprunter à l’ame, à quelque chose d’idéal et d’invisible, la direction de la vie extérieure, le gouvernement de la réalité. […] Sans doute la philosophie écossaise avait tenté quelque chose de semblable, et le sage Reid, à Édimbourg, avait eu à peu près les mêmes pensées que le grand philosophe de Koenigsberg ; mais ce qui n’avait été qu’une ébauche indécise en Écosse est devenu un dessein arrêté et parfaitement déterminé sous la forte main de Kant. […] C’était un très gros volume, composé à la manière de l’école de Wolf, avec une grande régularité, mais avec un tel luxe de divisions et de subdivisions, que la pensée fondamentale se perdait dans le circuit de ses longs développemens. […] Ni la thèse du sensualisme, ni la thèse de la théologie ne peuvent se soutenir, car l’une et l’autre vont de la matière à la forme, de l’objet au sujet, de l’être à la pensée, de l’ontologie à la psychologie, tandis que le procédé opposé est le seul qui soit légitime. […] Ce qui y frappe, au premier coup d’œil, comme dans le Discours de la Méthode, c’est la hardiesse et l’énergie de la pensée.
Ainsi il raconte que, se promenant, avec la dame de ses pensées, aux environs de Suresnes, il fit la rencontre d’un colporteur. […] Mais je suis sûr que, dans sa pensée intime, le souci de sa personnalité s’effaçait devant l’amour du pays. […] … » Telle est la pensée intime qu’on pouvait lire en ses yeux. […] Je n’en citerai qu’une, qui est remarquable par l’expression et par la pensée. […] Ils sont bien modelés, très vivants, très émus, pleins de pensée.
Bien des jugements faux, inexacts, légers et passionnés, outrageux pour d’anciens bienfaiteurs du genre humain, ont été portés par eux, et ont longtemps altéré l’opinion, qui s’en affranchit à peine d’aujourd’hui ; mais le but moral, bien que souvent poursuivi à faux, leur demeura toujours présent ; la commune pensée humaine, la sympathie fraternelle, fut religieusement maintenue. […] Mais ce que je veux noter, ce qui me semble fâcheux et répréhensible, c’est qu’en passant à la région de pensée et de poésie, l’idée obsédante du grand homme a substitué presque généralement la force à l’idée morale comme ingrédient d’admiration dans les jugements, comme signe du beau dans les œuvres. […] Il y a dans cette pensée de quoi tempérer humainement l’apothéose des génies. […] Cette substance intime dont se compose l’expression de la pensée et des sentiments ne varie-t-elle pas comme les organisations elles-mêmes ? […] On retrouvera dans le passage suivant, sous une forme un peu plus voilée, quelques-unes des mêmes pensées qui nous sont très-familières : « La première partie, disions-nous, de l’ouvrage de M.
Diderot J’ai toujours aimé les correspondances, les conversations, les pensées, tous les détails du caractère, des mœurs, de la biographie, en un mot, des grands écrivains ; surtout quand cette biographie comparée n’existe pas déjà rédigée par un autre, et qu’on a pour son propre compte à la construire, à la composer. […] Madame de Puisieux fut la première : coquette et aux expédients, elle ajouta aux embarras de Diderot, et c’est pour elle qu’il traduisit l’Essai sur le Mérite et la Vertu, qu’il fit les Pensées philosophiques, l’Interprétation de la Nature, la Lettre sur les Aveugles, et les Bijoux indiscrets, offrande mieux assortie et moins sévère. […] Diderot, dès ses premières Pensées philosophiques, paraît surtout choqué de cet aspect tyrannique et capricieusement farouche, que la doctrine de Nicole, d’Arnauld et de Pascal prête au Dieu chrétien ; et c’est au nom de l’humanité méconnue et d’une sainte commisération pour ses semblables qu’il aborde la critique audacieuse où sa fougue ne lui permit plus de s’arrêter. […] Ses goûts, ses mœurs, la tournure secrète de ses idées et de ses désirs ; ce qu’il était dans la maturité de l’âge et de la pensée ; sa sensibilité intarissable au sein des plus arides occupations et sous les paquets d’épreuves de l’Encyclopédie ; ses affectueux retours vers les temps d’autrefois, son amour de la ville natale, de la maison paternelle et des vordes sauvages où s’ébattait son enfance ; son vœu de retraite solitaire, de campagne avec peu d’amis, d’oisiveté entremêlée d’émotions et de lectures ; et puis, au milieu de cette société charmante, à laquelle il se laisse aller tout en la jugeant, les figures sans nombre, gracieuses ou grimaçantes, les épisodes tendres ou bouffons qui ressortent et se croisent dans ses récits ; madame d’Épinay, les boucles de cheveux pendantes, un cordon bleu au front, langoureuse en face de Grimm ; madame d’Aine en camisole, aux prises avec M. […] Sa vie se passa de la sorte, à penser d’abord, à penser surtout et toujours, puis à parler de ses pensées, à les écrire à ses amis, à ses maîtresses ; à les jeter dans des articles de journal, dans des articles d’encyclopédie, dans des romans imparfaits, dans des notes, dans des mémoires sur des points spéciaux ; lui, le génie le plus synthétique de son siècle, il ne laissa pas de monument.
» Pic de la Mirandole, le prodige lettré d’Italie, dans ses Mémoires, disait que le génie de Laurent était à la fois si énergique et si souple, qu’il paraissait avoir été formé pour triompher dans tous les genres. « Ce qui m’étonne surtout, ajoutait ce juge si compétent, c’est qu’au moment où il est le plus engagé dans les affaires de la république, il peut ramener l’entretien sur des sujets de littérature et de philosophie avec autant de liberté et de facilité que s’il était le maître de son temps comme de ses pensées. » Il écrivait des sonnets, restés classiques, et s’excusait en ces termes de se livrer à la poésie, crime illustre dont on l’accusait : « Il y a quelques personnes, dit-il, qui m’accuseront peut-être d’avoir perdu mon temps à écrire des vers et des commentaires sur des sujets amoureux, précisément lorsque j’étais plongé dans des occupations très-graves et très-multipliées. […] Dans une situation si déplorable, on ne s’étonnera pas, sans doute, que j’aie tâché de détourner ma pensée sur des objets plus agréables, et que j’aie cherché à me distraire un moment de tant d’inquiétudes, en célébrant les charmes de ma maîtresse. » C’était le superflu de sa grande âme, le luxe de son génie. […] Les descriptions dont il embellit ses pensées sont comparables aux plus pittoresques de Virgile lui-même. […] « Ne pensez pas, écrivait Politien à un de ses amis, qu’aucun des savants qui composent notre société, même ceux qui ont consacré leur vie tout entière à l’étude, puisse prétendre à quelque supériorité sur Laurent de Médicis, dans tout ce qui tient à la subtilité de la discussion et à la solidité du jugement, ou dans l’art d’exprimer ses pensées avec autant de facilité que d’élégance. […] À dire le vrai, c’est l’état où je suis dans tous les moments, et rien de ce que je puis voir, entendre, ou faire, n’a le pouvoir de dissiper la sombre tristesse que m’inspire la pensée des maux qui nous affligent ; que je dorme ou que je veille, elle est incessamment présente à mon esprit.
En avance sur tous ses partenaires, il se meut dans cette musique, dans ce drame, avec une souveraine aisance, une entière liberté, un sens admirable de l’action scénique, une complète entente de la pensée wagnérienne. […] » s’il les a jugés incapables de comprendre sa pensée, il n’en est pas moins vrai que ce cri de triomphe, qui s’est échappé de ses lèvres, est le seul qui émanât de sa pensée et le seul qu’il eût le droit de pousser. […] Mais son âme se brise de douleur à la pensée d’Elsa… hélas ! […] A un ami français [Frédéric Villot] en guise de préface à une traduction en prose de mes poèmes d’opéra publiée en 1861, et qui résume toute sa pensée sur le lien entre les arts.
Dans ces conditions, on n’a plus le droit de dire que la pensée est inutile à l’action. […] Cependant son crime, à savoir l’indépendance de sa pensée, était utile, non seulement à l’humanité, mais à sa patrie. […] Notre méthode a, d’ailleurs, l’avantage de régler l’action en même temps que la pensée. […] Ce serait donc dénaturer singulièrement notre pensée que de la présenter comme une apologie du crime. […] Rien n`est plus éloigné de notre pensée.
C’est un écrivain qui travaille les poses de son style, mais c’est un généralisateur, sans originalité, par le style comme par la pensée. […] Il le dit, mais était-ce sa pensée ? […] Ainsi, dans le bien comme dans le mal, c’est toujours la même préoccupation personnelle et bornée, c’est toujours la même infirmité d’enthousiasme, c’est toujours le même égarement de la pensée, quand les squelettes des grandes dames du xviie siècle viennent passer leurs mains sur les cheveux blanchis de cette tête, amoureuse de fantômes et qui ne se possède plus ! […] pour me répéter, au nom de l’Évangile et de la philosophie (c’était Platon), qu’il est bien temps de renoncer à tout ce qui passe, et que la seule pensée qui me soit désormais permise est celle de quelques travaux utiles, du devoir et de Dieu ! […] Serait-ce là une prudente réserve, posée à l’avance, pour revenir sans trop de lâcheté et d’inconséquence à des sujets irrésistibles, plus forts que la volonté et que la pensée ?
Quoique ignorant comme un carpillon des choses de l’Église, Octave Feuillet, ce jeune homme pauvre… en théologie, a eu l’extrême bonté de recommander le catholicisme aux petites dames dont il est le favori et pour lesquelles il fait de petites comédies, et de l’excuser, et de l’arranger, et de l’attifer, ce vieux colosse de catholicisme, de manière à le faire recevoir sur le pied d’une chose de très bonne compagnie dans les plus élégants salons du xixe siècle… Or, voilà ce que George Sand, cette prêcheuse de la Libre Pensée, qui ne veut pas, elle ! […] Pour un génie synthétique, qui sait généraliser sa pensée et qui échappe par sa grandeur même, vous avez la multitude des esprits qui analysent et qui se complaisent dans les finesses du détail. […] Octave Feuillet, imitateur d’Alfred de Musset à la scène, — d’Alfred de Musset qui n’y est lui-même qu’un charmant fantaisiste ; — Octave Feuillet, esprit mince, talent flexible, d’observation quelquefois piquante, mais toujours sans profondeur dans le roman, — lequel demande tant de profondeur pour n’être pas vulgaire, — a précisément dans la pensée les qualités féminines qu’il faut pour réussir dans ce temps énervé. […] une opération césarienne, et il n’y en a pas pour faire accoucher la pensée. […] J’aurais dit qu’il aurait sacrifié à des besoins et à d’inférieures considérations dramatiques la plus grande forme humaine et littéraire de la pensée au xixe siècle.
Ne jamais oublier que ces catégories sont factices, c’est déjà en corriger sensiblement le défaut ; et si la pensée s’efforce de combiner toujours ce que le langage analytique est forcé de scinder, si l’on procède (dans une sage mesure) par anticipations et par rappels, on arrive peu à peu à la vision synthétique, à l’intuition de la vie. […] Ces retards ne sont pas uniquement le fait de la réalité en soi, ainsi qu’on se plaît à le dire et à le ressasser aux idéalistes ; non, les difficultés inhérentes à la réalité (par exemple la contiguïté) sont une force normale, à comprendre dans les données du problème ; si cette force n’existait pas, nous serions dans la pensée pure, il n’y aurait pas d’évolution, mais réalisation subite et intégrale de l’idéal, sans effort, et partant sans mérite. […] Tous ceux-là le reconnaîtront, qui estiment que l’attribut de l’homme, c’est la pensée. […] Pendant plusieurs années, j’ai renoncé à l’angoisse du pourquoi essentiel, me contentant du comment extérieur ; jusqu’au jour où j’ai dû me rendre à l’évidence : simplifier ainsi le problème, c’est en fausser les données ; c’est scinder violemment en deux le mystère de la nature universelle ; et c’est ravaler notre pensée que de renoncer à ce mystère. […] Plus étroit : celui qui manie les formes d’art sans originalité, sans pensée, sans amour, n’est pas un artiste, quelle que soit son habileté ; c’est un ouvrier, souvent un mauvais ouvrier, un plagiaire, un charlatan.
Dans Alexandrie cependant, le passage et le marché du monde, au bord de cette Égypte dont les monuments projetaient leur ombre mystérieuse sur les arts transplantés de la Grèce, parmi ces influences du monde oriental aboutissant de toutes parts à la ville nouvelle, entre ces ferments de culte divers qui s’amassaient dans cette cité cosmopolite, il semble que plus d’une inspiration devait s’offrir à la pensée de l’écrivain et du poëte. […] À l’invocation du dieu, au récit savant, pour être plus religieux, de son antique légende, succède cette pensée que Jupiter est particulièrement le dieu des rois ; et de là, un tableau pompeux de la royauté même. […] Le second n’est pas seulement une surcharge lyrique du premier : on y sent aussi ce travail anonyme de la pensée morale dans un peuple. […] Plus tard, ce problème reviendra et s’éclaircira dans la pensée humaine, qui, sans faire Dieu l’auteur du mal, comprendra qu’il a dû le permettre sous ses deux formes extrêmes, la douleur et le vice ; car, sans cette double épreuve, les deux lois et les deux grandeurs de l’homme, le travail et la vertu, n’auraient plus où se prendre ici-bas. […] Les grammairiens, les eunuques, les gens de cour, tout le faste industrieux d’Alexandrie, ont pu rejeter une âme poétique vers les simples pensées de deux pauvres pécheurs, ou les gracieux souvenirs des bergers de Sicile, comme Versailles et les courtisanes du dix-huitième siècle ont pu faire rêver le désert de Paul et Virginie, et comme les cachots de la Terreur ont inspiré les vers divins à la Jeune Captive.
MAÎTRE PHANTASM, suivant sa pensée. […] Ou bien elle s’attendrit, en extase devant l’herbe qui pousse et qu’elle voudrait brouter, toute pensée abolie. […] Vous vous gardez bien de conformer vos actes à vos pensées. […] Conformerai-je mes actes à mes pensées ? […] Comme elle s’ouvrira aux pensées harmonieuses de ses trois frères d’armes !
Les superstitions de toutes sortes trouvaient place à côté de l’audace de la pensée et jusque dans l’incrédulité philosophique. […] Composé, on le voit, en vue d’un patron, comme la plupart de ses autres écrits, celui-ci du moins nous traduit la plus chère des pensées de l’auteur, sa véritable et intime passion. […] Tous ses écrits de cette époque ne furent plus composés qu’en vue de quelque circonstance particulière et en quelque sorte domestique ; moins que jamais le public apparut à sa pensée, ce grand public prochain qui allait être le seul juge. […] » Naudé n’oubliait jamais cette pensée en lisant l’histoire ; il en faisait surtout l’application aux grands esprits cultivés depuis la renaissance des lettres, et ce qu’il avait en Italie sous les yeux l’y confirmait. […] J’aime mieux citer une belle page philosophique, et même religieuse à la bien prendre, qui rentre dans une pensée souvent exprimée par lui.
De la pensée première à la conclusion finale, il conduit le lecteur par une pente continue et uniforme. […] C’est une pensée heureuse, Et digne de César. […] » On voit leurs yeux ardents fixés sur la lettre, sur Séjan qui sue et pâlit ; leurs pensées courent à travers toutes les conjectures, et les paroles de la lettre tombent une à une dans un silence de mort, saisies au vol avec une énergie d’attention dévorante. […] Ces créatures difformes, cette splendeur de l’or, cette bouffonnerie poétique et étrange, transportent à l’instant la pensée dans la cité sensuelle, reine des vices et des arts. […] Dans quelle pensée ?
C’est plutôt par des jugements et par des pensées, par mes idées et par leur forme qu’en ce travail, comme partout, je m’efforce bien ou mal, d’être assez neuf ou assez intéressant pour mériter l’attention des quelques lecteurs dont l’approbation m’est chère. […] Un spectre, que je ne nommerai pas, me dit à l’oreille que ces commentateurs se tenaient toujours le plus loin qu’ils pouvaient de leurs auteurs dans le monde souterrain, parce qu’ils se sentaient honteux et coupables d’avoir si indignement défiguré la pensée de ces grands écrivains aux yeux de la postérité. […] Il revenait auprès de Stella, la pensée remplie d’une autre femme, de Miss Vanhomrigh, qui eut à souffrir tout ce que Stella avait souffert, mais qui en souffrit moins longtemps. […] Il se brouillait et se réconciliait sans cesse avec ceux qui l’entouraient, et perdait par degrés, avec le commerce du monde, les consolations qui se tirent de la mémoire et de la pensée. […] Prendre au sérieux le monde et les grandeurs du monde, la vie et les occupations de la vie, la science, la politique, les passions, les plaisirs ; se plaire dans cette mêlée, désirer et craindre avec emportement, voilà un des penchants de l’âme humaine, une des habitudes de sa pensée, et le mouvement perpétuel du monde en découle.
Rendant hommage aux poètes français du xvie siècle, à ceux que Malherbe avait eu le tort de trop dépriser, et leur faisant jusqu’à un certain point réparation, Godeau, dans le discours qui servait de préface à la première édition de Malherbe, ajoutait pourtant : « La passion qu’ils avaient pour les anciens était cause qu’ils pillaient leurs pensées plutôt qu’ils ne les choisissaient. » Et il fait sentir que la méthode habile et combinée, cette méthode d’abeille par laquelle Horace imitait les Grecs, a succédé en France, grâce à Malherbe, à l’imitation confuse, à l’importation trop directe et trop entière des originaux grecs eux-mêmes. […] Telle est la pensée d’Horace, pensée de moraliste bien plus encore que d’amateur des champs. […] ce même Maynard, de peu d’invention d’ordinaire, et qui se borne de préférence à mettre en œuvre les pensées d’autrui, a fait une ou deux pièces fort belles.
La parole même et le langage le disent, et il est des images où reluisent les pensées : Rohan s’enveloppe là où Richelieu se déploie. […] Il faut voir comme Richelieu se récrie non plus seulement en politique, mais en théologien et en catholique fervent, à la pensée d’un pareil conseil. […] Faisons ici la part de la passion, et dégageons la pensée à travers l’injure. […] Telles sont les nobles et ouvertes pensées qu’il agite et qu’il poursuit sous sa pourpre, tandis que Rohan, dans son Albigeois et ses Cévennes, et qui n’ose même s’aventurer à corps perdu comme feront un jour les grands Vendéens, s’épuise, en courant de ville en ville, à vouloir établir et organiser en France une contre-France.
Sans doute elle ne se liera qu’avec des gens qui sachent bien le français, car pour qu’elle mette ses pensées en italien, elle, c’est impossible. […] Dans ses lettres à Mme d’Albany, dont il fit la connaissance pendant ce voyage, on le voit mûr et ferme en ses jugements, et d’aplomb dans sa pensée, bien qu’il laisse percer encore, par-ci par-là, quelque chose de ses dispositions susceptibles et souffrantes. […] Il me semble que l’amie d’Alfieri, celle qui consacre désormais sa vie à rendre un culte à la mémoire de ce grand homme, sera prévenue en faveur d’un ouvrage d’un de ses plus zélés admirateurs, d’un ouvrage où elle retrouvera plusieurs des pensées et des sentiments qu’Alfieri a développés avec tant d’âme et d’éloquence… » Mme de Staël fait souvent les frais de la correspondance. […] Au reste, je suis pleinement assuré qu’il n’a pas eu la plus lointaine pensée de faire allusion à vous et à votre Cour.
Toute âme, en avançant, subit toutes les atteintes, tout le déchet dont elle est capable. « Tous les hommes, a dit le noble et bienveillant Vauvenargues, naissent sincères et meurent trompeurs ; » il lui eût suffi de dire, pour exprimer sa pensée amère, qu’ils meurent détrompés. […] Je barbouille du papier à force, quand la tête me fait mal ; j’écris tout ce qui me vient en idée : cela me purge le cerveau… Adieu, j’attends une cousine qui doit nous emmener à la promenade ; mon imagination galope, ma plume trotte, mes sens sont agités, les pieds me brûlent. — Mon cœur est tout à toi. » Si calme, si saine qu’on soit au fond par nature, il semble difficile qu’en ce jeune train d’émotions et de pensées, on reste longtemps à l’entière froideur, avec tant de sollicitations d’être touchée. […] Si cette lettre désirée arrive durant un dîner de famille, on ne peut s’empêcher de l’ouvrir aussitôt, devant tous ; on oublie qu’on n’est pas seule, les larmes coulent, et les bons parents de sourire, et la grand’mère de dire le mot de toutes les pensées : « Si tu avais un mari et des enfants, cette amitié disparaîtrait bientôt, et tu oublierais Mlle Cannet. » Et la jeune fille, racontant à ravir cette scène domestique, se révolte, comme bien l’on pense, à une telle idée : « Il me surprend de voir tant de gens regarder l’amitié comme un sentiment frivole ou chimérique. […] En même temps le talent d’écrire y gagne ; la jeune fille, désormais femme forte, est maîtresse de sa plume comme de son âme ; phrase et pensée marchent et jouent à son gré.
Nous venons de le lire tout entier, et il nous paraît impossible que la jeunesse de l’écrivain ne promît pas une force étonnante quand la pensée l’aurait mûrie. […] Celui-ci, s’il peut gagner passablement sa vie par une occupation quelconque, s’apercevra à peine qu’il a changé de condition ; tandis que celui-là, d’un ordre supérieur, regardera comme le plus grand des maux de se voir obligé de renoncer aux facultés de son âme, de faire sa compagnie de manœuvres, dont les idées sont confinées autour du bloc qu’ils scient, ou de passer ses jours, dans l’âge de la raison et de la pensée, à faire répéter des mots aux stupides enfants de son voisin. […] Tous les deux crurent que ce qu’ils avaient tant aimé ne pouvait être insensible à leur souvenir ; ils ne purent concevoir que ces absents si regrettés, toujours vivants dans leurs pensées, eussent entièrement cessé d’être ; qu’ils ne se réuniraient jamais à cette autre moitié d’eux-mêmes. […] Joubert, qui n’a laissé que des Pensées et qui aurait pu laisser des œuvres, mais esprit essentiellement critique, trop indolent pour rédiger autre chose que des impressions ; M. de Bonald, ingénieux auteur d’écrits contre-révolutionnaires et religieux.
« La mort, selon une pensée qu’admire M. […] Mais laissons là ces amères pensées ; car il est quelque chose que nous gardons de lui : ce sont les leçons qu’il nous a données, cet ardent amour du droit et de la vérité, qui ont été l’âme de sa vie. […] Nous entendrons toujours ces sages paroles qui semblaient, par leur calme gravité, venir du fond d’un tombeau, et nous dirons pour finir par une grande pensée de lui : « Le temps, qui est beaucoup pour les individus, n’est rien pour ces longues évolutions qui s’accomplissent, dans la destinée de l’humanité. Déjà, du sein de la vie individuelle, il est permis de s’associer à cet avenir, de travailler à le préparer, de devenir ainsi, par la pensée et par le cœur, membre de la société éternelle, et de trouver en cette association profonde, malgré les anarchies contemporaines et les découragements, la foi qui soutient, l’ardeur qui vivifie, et l’intime satisfaction de se confondre sciemment avec cette grande existence, satisfaction qui est le terme de la béatitude humaine. » Votre dévouement absolu à la science vous donnait le droit, Monsieur, de succéder à un tel homme et de rappeler ici cette grande et sainte mémoire.
Il est donc permis de croire que les nations de l’Occident, unies par des intérêts solidaires et par des liens fraternels en dépit des barrières et des inimitiés qui les séparent, se sont par moments trouvées en communion spontanée de pensées et de désirs174. […] Rien ne permet mieux de marquer les étapes que traverse cette transfusion de pensée qui est parfois si difficile entre deux peuples, même très rapprochés. […] Il faut donc plonger au cœur des écrits de tout genre, pour y saisir le genre étranger qui a pu les vivifier ou les gâter ; après quoi, l’attention doit se porter sur les formes dont les écrivains ont revêtu leurs sentiments et leurs pensées. […] J’ai écrit ailleurs (Études sur la France contemporaine, p. 69) ces lignes que je me permets de reproduire, parce qu’elles achèvent ma pensée : « Les idées vont vite en notre siècle ; il leur faut cependant un temps appréciable pour passer de leur pays natal dans les autres.
Thiers, en possession de pièces confidentielles dont nul autre que lui n’avait eu jusqu’ici connaissance, et y appliquant sa merveilleuse faculté d’éclaircissement, s’est attaché à fixer avec la dernière précision l’instant où ce projet d’usurpation fatale entra dans la tête de Napoléon et y prit le caractère d’une résolution arrêtée ; car pour l’idée vague, elle avait dû lui traverser depuis longtemps la pensée. […] On ne saurait dire que Napoléon avec son génie n’ait pas eu toutes les sortes d’idées politiques profondes ; mais trop souvent ces idées ne faisaient que lui traverser en éclair la pensée, et n’y séjournaient pas avec la fixité et la prédominance qui conviennent aux vraies idées politiques. […] Il y avait dans cette pensée, même si ferme, une certaine hauteur où commençait l’éblouissement et le rêve. […] Dans le style, l’écrivain n’a nulle part flatté le goût du temps pour les effets et pour la couleur, et on pourrait même trouver qu’il en a tenu trop peu de compte quelquefois ; mais c’est une satisfaction bien rare pour les esprits sérieux et judicieux que celle de lire une suite de volumes si aisés et si pleins, sortis tout entiers du sein du sujet et nous le livrant avec abondance, d’une simplicité de ton presque familière, ou jamais ne se rencontre une difficulté dans la pensée, un choc dans l’expression, et où l’on assiste si commodément au spectacle des plus grandes choses.
Avec sa facilité improvisatrice, encore aidée des ressources du patois dans lequel il écrit, Jasmin pourrait courir et compter sur les hasards d’une rencontre heureuse comme il n’en manque jamais aux gens de verve et de talent : mais non, il trace son cadre, il dessine son canevas, il met ses personnages en action, puis il cherche à retrouver toutes leurs pensées, toutes leurs paroles les plus simples, les plus vives, et à les revêtir du langage le plus naïf, le plus fidèle, le plus transparent, d’un langage vrai, éloquent et sobre, n’oubliez pas ce dernier caractère. […] C’est ce que se demande un jour la muse de Jasmin, à une heure de rêverie où l’image de cette pauvre fille, avec sa grâce de vierge sous les haillons, lui revenait en pensée, et, après avoir bien quêté de ses nouvelles à travers champs, s’être bien enquis « à travers vignes et pâquerettes », voici ce qu’elle a trouvé : Un jour, près des bords que la rivière du Lot baise fraîchement de son eau claire et fine, dans une maisonnette cachée sous les ormes touffus, tandis qu’à la ville prochaine les jeunes garçons tiraient au sort, une jeune fille pensait, puis priait Dieu, puis se levait et ne savait tenir en place. […] « Mais, du fond de son presbytère, l’homme du ciel aurait mieux su déterrer le péché, la maligne pensée, que le soldat sans nom au milieu d’une armée, et qui, depuis trois ans, n’avait pas écrit. » Cependant le bon curé en viendra à bout. […] Il n’était content que quand il avait ramené aux champs son jeune Monsieur égaré, et quand il lui avait fait dire : « La campagne fut mon berceau, maintenant elle sera ma tombe : car j’ai compris la terre, j’ai sondé ce qu’elle vaut. » Ce jeune homme, égaré par les idées modernes, pourrait être caractérisé dans sa maladie morale avec plus de particularité sans doute et plus de ressemblance ; l’intention suffit pourtant ; l’auditeur achève la pensée.
Philippe (c’est le nom du valet de chambre, qui, indépendamment de toutes ses qualités, est studieux, instruit, amateur de lecture), Philippe, retiré du service et vivant auprès de son fils, a pris l’habitude de jeter ses pensées sur le papier ; et comme on lui proposait un jour de se faire imprimer : « Non, vraiment, répondit-ilh, je craindrais de trahir les secrets de l’humanité ; on sent le besoin de les cacher quand on connaît les hommes. » Vers le temps où, retiré en Champagne, à l’abri de la proscription, il écrivait sa Dot de Suzette, M. […] Nous qui nous contentons de le lire sans y chercher autre chose que des esquisses pleines de netteté et de finesse, nous y relèverions quantité de pensées dignes de souvenir. […] Il a des raffinements de pensées et de tour. […] Quand sa réflexion n’allait pas jusqu’au volume d’une brochure, il lui fallait un journal pour y verser son courant et son trop plein, « pour y confondre, comme il disait, ses pensées du moment avec les circonstances du moment ».
» Cette méthode un peu scotique et sophistique, à laquelle Socrate lui-même ne me paraît pas avoir entièrement échappé, fut un des travers de jeunesse de Franklin ; il s’en guérit peu à peu, se bornant à garder volontiers dans l’expression de sa pensée la forme dubitative et à éviter l’apparence dogmatique. […] Le dévouement d’un chevalier d’Assas, la passion d’un chevalier Des Grieux, la poésie de Parisina ou d’Ariel, tout cela se tient dans la pensée, et il nous semble, au moins dans la jeunesse, que c’est manquer d’ailes et d’essor que de ne point passer à volonté d’un de ces mondes à l’autre. […] À ses heures de spéculation, il laissait volontiers aller sa pensée, tant dans l’ordre moral que dans l’ordre physique, à des conjectures et à des hypothèses très hardies et très lointaines. […] Il a redit la même pensée, à quelques variantes près, à toutes les époques de sa vie.
Tout s’éclaircit alors : les pensées de Richelieu, dont on n’avait que des lambeaux, se rejoignirent, ses paroles prirent toute leur autorité et leur accent : on reconnut son style, car il en avait un, et un tel homme ne pouvait pas ne pas en avoir. […] Avenel, qui, depuis sept ans, se livre à ce travail consciencieux d’éditeur, et qui habite avec la pensée de Richelieu, a recueilli plus de 4 500 pièces émanées de lui. […] Il y a un mot de Montesquieu qui me paraît un véritable contresens et que j’ai peine à comprendre venant d’un si grand esprit : « Les plus méchants citoyens de France, dit-il en une de ses Pensées, furent Richelieu et Louvois. » Laissons de côté Louvois, dont il n’est point question présentement ; mais Richelieu, un mauvais citoyen de la France ! […] (Bibliothèque du roi) ; elle est ou de Richelieu ou rédigée sous ses yeux, d’un latin raffiné et aigu, mais pleine de vives et fortes pensées : Abiturus e vita loquor veritatem eo momento quo nemo mentitur… Electus in primarium Regis mei ministrum, id primum intendi ut Regem meum facerem primum Regem : volui Christianissimum esse et potentissimum ; volui primogenitum esse Ecclesiae et Europae ; volui esse justum ut sua orbi restitueret, et orbem sibi.
Cette Correspondance bien lue fait pénétrer aussi avant qu’on peut le désirer dans l’âme et dans la pensée d’un roi qui fut véritablement grand, et qui, comme tous les grands hommes, inspire à ceux qui l’approchent de plus près une admiration plus réfléchie. […] Henry est allé plus loin, il voudrait y joindre certaines convictions intimes en fait de religion, et, nous présentant le roi par un aspect allemand et tout nouveau, il dit : Frédéric voulait la loi et la religion avec toute la puissance de son génie ; c’était à la surface de son âme seulement qu’il plaisantait sur des sujets qui ne lui paraissaient pas tenir au fond des choses, et dans la pensée que ces plaisanteries n’arriveraient jamais à la connaissance du public. […] Si j’avais suivi toute ma pensée, j’aurais intitulé ce chapitre : « Frédéric ou l’amitié d’un roi ». […] Quand il le sait malade et qu’il le voit comme prêt à s’évanouir dans sa pure essence, il s’écrie : La seule pensée de votre mort me sert d’argument pour prouver l’immortalité de l’âme ; car serait-il possible que cet être qui vous meut et qui agit avec autant de clarté, de netteté et d’intelligence en vous, que cet être, dis-je, si différent de la matière et du corps, cette belle âme douée de tant de vertus solides et d’agréments, cette noble partie de vous-même qui fait les délices de notre société, ne fût pas immortelle ?
Mes parents s’occupent et ne songent pas à leur néant, il ne les dégoûte pas, il ne leur pue pas au nez : tandis que moi je ne puis ressentir que de la haine. » Quand un homme s’abandonne à ces pensées, destructives de toute activité, il n’est plus guère bon à devenir un médecin de campagne, à peiner tranquillement dans un coin de la terre, à édifier quelque belle existence utile. […] Il a le cerveau rompu par une métaphysique vertigineuse qui diversifie la pensée, la jette dans des conflits interminables, et équilibrant tous les contraires, accoutume si bien l’esprit à la joie de vivre au-delà de la réalité, dans la sphère des entités logiques, qu’aucune impulsion motrice ne l’affecte plus ; l’habitude excessive de la ratiocination annule et absorbe toute l’activité volontaire. […] Après Shakespeare, après les Pensées, il ne peut échapper à la contradiction profondément humaine de redouter la mort et de médire de la vie. […] Si ses dons de styliste gracieux ne pouvaient lui en suggérer de par le pouvoir des mots ; le trop de minutie diffuse de ses observations ne les rendait pas propres non plus à cette systématisation ; les pensées dernières lui répugnaient comme les visions lucides.
Hugo, ni un homme habitué à manier les pensées abstraites comme le montre sa psychologie rudimentaire et les quelques articles où il a tenté d’appliquer à la littérature les procédés de la science. […] Zola veut dire, par contre, que le cerveau est un organe comme un autre, que la pensée ne joue pas dans la caractérisation d’un individu un rôle plus considérable que son estomac ou son fiel, cela est simplement faux. C’est la pensée qui est le centre, et le corps la périphérie ; la science le démontre après que l’expérience l’a constaté, et au nom même de l’évolutionnisme, l’activité cérébrale étant la plus récente est la plus haute, et l’être qui pense le plus étant le plus noble, est le plus intéressant. […] Avec le Flaubert de l’Éducation sentimentale, avec le Tolstoï de la Guerre et la Paix, avec tout Balzac, avec les psychologues comme Stendhal et les individualistes comme les de Goncourt, les Rougon-Macquart, seront les ancêtres du roman démotique futur, où il y aura des cerveaux et des corps, le peuple et les chefs, les dégradés et les génies, de la chair et des nerfs, le sang et la pensée.
Le présent volume ne marque point une étape nouvelle de sa pensée. […] Un dénouement de tragédie est moins profondément triste. « Levez-vous, vents de ma pensée, qui dissiperez cette cendre ! […] Gide), nous souffrons d’une crise de la pensée. […] Je ne méconnais pas la qualité de sa pensée : je l’ai seulement trouvée un peu trop subtile, fuyante et retorse en certaines occasions. […] André Gide prétend n’avoir rencontré aucune pensée véritable ni même aucune compétence philosophique.
Quelqu’un nous souffle à l’oreille une pensée : il en est des esprits comme des navires ; ils peuvent avoir à bord toutes sortes de richesses plus ou moins précieuses, mais il les faut juger avant tout sur leur pavillon. […] Guizot, au début, l’avait aussi peu que possible, eu égard à sa distinction ; il a écrit peut-être quelques-unes des plus mauvaises pages qu’on ait lues en français (dans sa notice en tête de la traduction de Shakspeare) ; il s’est formé depuis au style écrit par l’habitude de la parole, et l’usage, le maniement si continuel et si décisif qu’il a eu de celle-ci, l’a conduit à porter dans tout ce qu’il écrit la netteté inséparable de sa pensée. — Cousin est peut-être celui des trois qui, sans effort, atteindrait le mieux au grand style d’autrefois et qui jouerait le plus spécieusement, plume ou parole en main, la majestueuse simplicité du siècle de Louis XIV. — Pour Villemain, par l’éclat même et les élégantes sinuosités de sa recherche, il trahit un âge un peu postérieur ; il enchérit à quelques égards sur le xviiie siècle, en même temps qu’il le rafraîchit, qu’il l’embellit avec charme et qu’il l’épure.
On a même poussé un peu loin la revendication, je l’avoue, et l’esprit de conquête dans un autre sens, lorsqu’on est allé, pour quelque ressemblance de pensée entre Pascal et Bossuet, jusqu’à prétendre que Bossuet avait pu et dû avoir Pascal pour auditeur de tel ou tel de ses sermons. […] C’est trop de soin vraiment : je crois qu’aucun de ces deux génies, pour trouver sa pensée, ou son expression, n’avait besoin de l’autre, et j’aime mieux m’en remettre à l’adage vulgaire : les beaux génies se rencontrent.
-B, tantôt par les Pensées et Fragments, donnés par lui à la fin du tome II des Portraits Contemporains, — nous n’avons pas hésité à glaner les pages qu’il avait laissées après lui. […] Nous n’avons que peu de chose à ajouter pour l’explication de la pensée qui a présidé à la composition de ces volumes.
A mesure que la pensée et la science élargissent ces étroits cerveaux et en éveillent l’activité, à mesure aussi que les lettrés prennent l’habitude d’user de la langue vulgaire, la première provision de mots préparée par le peuple ne suffira plus. […] Enfin, pour achever de caractériser le développement de la langue française, elle fera incessamment, en France même, une lente conquête, celle des provinces, non plus du territoire mais de la pensée, conquête intérieure, et non la moindre, car c’est celle-là surtout qui l’enrichira et l’élèvera.
Car enfin nous avons vu retourner contre l’Église une petite partie du moins des procédés dont elle usa contre ses ennemis au temps où elle était toute-puissante ; et il s’est rencontré, par-ci par-là, des bedeaux et des capucins de la libre pensée. […] C’est avec cette pensée et cet espoir (mêlé d’envie) que je bois affectueusement à l’Association générale des Étudiants de Paris.
Les seuls travaux inutiles sont ceux où l’esprit superficiel et le charlatanisme prétendent imiter les allures de la vraie science et ceux où l’auteur, obéissant à une pensée intéressée ou aux rêves préconçus de son imagination, veut à tout prix retrouver partout ses chimères. […] L’impression profondément triste que produit l’entrée dans une bibliothèque vient en grande partie de la pensée que les neuf dixièmes des livres qui sont là entassés ont porté à faux, et, soit par la faute de l’auteur, soit par celle des circonstances, n’ont eu et n’auront jamais aucune action directe sur la marche de l’humanité.
Une expérience que je proposerais volontiers à l’homme de soixante-cinq ou six ans, qui jugerait les miennes ou trop longues, ou trop fréquentes, ou trop étrangères au sujet10, ce serait d’emporter avec lui, dans la retraite, Tacite, Suétone et Sénèque ; de jeter négligemment sur le papier les choses qui l’intéresseraient, les idées qu’elles réveilleraient dans son esprit, les pensées de ces auteurs qu’il voudrait retenir, les sentiments qu’il éprouverait, n’ayant d’autre dessein que celui de s’instruire sans se fatiguer : et je suis presque sûr que, s’arrêtant aux endroits où je me suis arrêté, comparant son siècle aux siècles passés, et tirant des circonstances et des caractères les mêmes conjectures sur ce que le présent nous annonce, sur ce qu’on peut espérer ou craindre de l’avenir, il referait cet ouvrage à peu près tel qu’il est. […] Aucune preuve n’a la même force, aucune idée la même évidence, aucune image le même charme pour tous les esprits ; mais je serais, je l’avoue, beaucoup moins flatté que l’homme de génie se retrouvât dans quelques-unes de mes pensées, que s’il arrivait à l’homme de bien de se reconnaître dans mes sentiments.
On connaît la lettre de Bossuet au maréchal de Bellefonds : « L’abbaye que le Roi me donne me tire d’embarras et de soucis qui ne peuvent pas se concilier longtemps avec les pensées que je suis obligé d’avoir. […] Renan avait connu une crise de conscience, je crois qu’il faudrait la chercher un peu plus tard, quand il a terminé son essai sur l’Avenir de la Science et qu’après quelques tentatives, il se détermine à se conformer à la conduite dictée par les anciens : « Le philosophe doit sacrifier aux dieux de l’Empire. » Ce que Pascal formulait : « Il faut avoir une pensée de derrière la tête et juger du tout par là, en parlant cependant comme le peuple. » Cet aphorisme constitue le point essentiel du « renanisme » ; c’est à l’adopter que le maître put hésiter, parce qu’il avait l’amour de la vérité et qu’il dut lui en coûter de la taire à demi, comme il fit le plus souvent, dès sa trentième année.
J’ai parlé de son éloquence, elle est connue ; en général ce n’est pas une éloquence de mots et d’harmonie, c’est une éloquence d’idées qui se succèdent et se heurtent ; il semble partout que la pensée se resserre pour occuper moins d’espace ; on ne la prévient jamais, on ne fait que la suivre ; souvent elle ne se déploie pas tout entière, et elle ne se montre, pour ainsi dire, qu’en se cachant. […] Les pensées se pressent et entrent en foule dans l’imagination, mais elles la remplissent sans la fatiguer jamais.
Un sentiment si grandiose, une divination si compréhensive et si pénétrante, une pensée par laquelle l’homme embrassant l’immensité et la profondeur des choses, dépasse de si loin les bornes ordinaires de sa condition mortelle, ressemble à une illumination ; elle se change aisément en vision, elle n’est jamais loin de l’extase, elle ne peut s’exprimer que par des symboles, elle évoque les figures divines391. […] Si parfois, de leur château et en voyage, ils avaient entrevu le peuple, c’était en passant, à peu près comme leurs chevaux de poste ou les bestiaux de leurs fermes, avec compassion sans doute, mais sans deviner ses pensées troubles et ses instincts obscurs. […] À l’endroit du christianisme, il se change tout de suite en hostilité pure, en polémique prolongée et acharnée ; car, à titre de religion d’État, celui-ci occupe la place, censure la libre pensée, fait brûler les écrits, exile, emprisonne, ou inquiète les auteurs, et se trouve partout l’adversaire naturel et officiel. […] Une masse insensible, un fluide inerte. » Ajoutez-y de la chaleur, tenez le tout dans un four, laissez l’opération se faire : vous aurez un poulet, c’est-à-dire « de la sensibilité, de la vie, de la mémoire, de la conscience, des passions, de la pensée ». […] Pascal, Pensées (sur l’origine de la propriété et des rangs), Provinciales (sur l’homicide et le droit de tuer). — Nicole, Deuxième traité de la charité et de l’amour-propre (sur l’homme naturel et le but de la société).
Dans la pensée de Descartes menant la raison en guerre contre l’autorité, il s’agit de l’autorité qui, par les lettres patentes de François Ier, condamnait Ramus pour crime de lèse-majesté contre Aristote ; qui, en 1624, bannissait de Paris, par arrêt du parlement, tous les professeurs convaincus d’irréligion aristotélique ; qui, jusqu’en 1671, menaçait de frapper de la même peine les gens suspects du même crime, et rendait nécessaire l’Arrêt burlesque de Boileau. […] En accoutumant l’homme à regarder par-delà ses pensées le fonds où elles se forment, elle apprenait aux juges des choses de l’esprit à reconnaître, sous les traits changeants d’une époque, les traits inaltérables de la nature primitive, et l’homme qui demeure le même sous la mobilité des mœurs et des coutumes. […] « On ne doit aux morts, dit au même lieu Lamotte, que la vérité ; aux vivants, on doit des égards. » Encore une pensée spécieuse. […] Mais le spécieux qui domine dans Lamotte et qui paraît comme son naturel, ce sont ces pensées, équivoques secrètes, qui, vraies à la première vue, sont fausses dès qu’on y appuie, sans pourtant qu’on en sache mauvais gré à l’écrivain qui nous en donne le mirage passager. […] Le doute de Bayle ne s’impose pas, ne régente personne, honore dans les opinions la liberté de la pensée, dans les erreurs le droit de chercher la vérité, ne blâme que les persécuteurs, et prend plaisir à tout.
Les chemins de fer, les télégraphes, tant d’inventions éclatant coup sur coup, rendant commun et banal ce qui eût semblé fabuleux à nos pères, permettant à des navires d’aller sans voiles ni rames, à des enfants de mouvoir les fardeaux les plus énormes, à tout le monde d’accomplir en quelques heures des trajets qui demandaient jadis des semaines et des mois, à la pensée et à la voix de voyager avec la vitesse de l’éclair, tous ces miracles devaient exalter les imaginations et fournir aux poètes des thèmes nouveaux. […] Ils ne sont pas toujours les plus laborieux ; comme il leur est permis de produire peu, ils sont enclins à une certaine nonchalance ; ils laissent volontiers leurs facultés naturelles s’arrêter au demi-talent des amateurs ; mais en revanche ils peuvent se payer le luxe d’une indépendance de pensée qui décèle leur sécurité et d’un raffinement de forme qui prouve leur loisir. […] Quoique la condition matérielle des ouvriers de la pensée se soit certainement élevée du moyen âge à nos jours, et d’un mouvement presque constant, ces contrastes fréquents, ordinaires même, d’opulence et de gueuserie ne permettent guère de suivre avec précision les phases par où elle a passé. […] Si l’on essaie de résumer l’effet produit sur l’esprit des écrivains par la tutelle des puissances établies, on peut dire qu’en général elle encourage l’art pour l’art, l’art élégant, aimable, soigné, occupé surtout à se parer, voilà pour la forme, et la pensée docile, réservée, soumise avec passion ou résignation, dénuée de hardiesse et fréquemment de franchise, voilà pour le fond des idées. […] Le journaliste n’a que le choix entre deux partis : Ou bien obéir, courber la tête, suivre docilement ces variations, se résigner au rôle nourrissant et modeste de machine à écrire ; ou bien s’en aller chercher dans une autre feuille un gagne-pain qui sera aussi précaire, à moins qu’il ne se dégoûte pour jamais d’une profession où la pensée est sous le faix d’un pareil joug.
C’est un “barbare” qui ignore ou dédaigne les jeux de la pensée et les effusions du sentiment, pour s’adonner à la griserie des sens… » M. […] Gregh (Figaro, 12 décembre 1902) une tentative d’embrigadement qui n’était pas dans la pensée du poète. […] Ils ne le disent pas, mais on sent qu’ils ont conscience de continuer la vraie pensée de ces deux maîtres. […] Je ne connais pas de poète contemporain, si ce n’est Emmanuel Signoret, qui rencontre aussi souvent la forme stricte et définitive d’une pensée poétique. […] » C’est la poésie de l’amour et de la mort, c’est la pensée amère qui secoue Iphigénie à l’évocation des ténèbres inférieures !
», cette incrédulité y est à peine aperçue, tant la pensée et le monde religieux sont pour l’historien de cette époque des Guise peu de chose, et disparaissent devant le monde politique dans lequel il voit et par lequel il explique tout. […] et surtout la plus grande de toutes et la mère de toutes, dont vous ne vous souciez guères, vous autres de la Libre Pensée, mais dont nous nous soucions, nous ! […] La dernière pensée, en effet, qu’il y ait dans le cerveau des hommes, est pour l’intérêt d’une conservation dont les bêtes elles-mêmes ont l’instinct. […] Il s’est détourné, pour ne pas en avoir l’horreur, de tout ce qui, dans la Révolution française, révolte le plus le cœur et la pensée, et, chimérique, il a fait d’elle la grande Chimère que le monde moderne adore. […] À peine son récit est-il coupé par quelques ironies qui laissent voir la pensée de l’homme politique au désespoir et qui se trahit, çà et là, par des mots terribles.
Ce fut sa première pensée. […] A-t-il eu la pensée de le donner, ou l’a-t-il oublié en s’en allant ? […] Le corps en sait parfois plus long que la pensée ! […] Pour mieux dire notre pensée, il y a deux écrivains, deux hommes de grande valeur en M. […] Pensées et fragments. — 1880.
Vous connaissez le fond de ma pensée. […] Il ne vous vient pas à la pensée qu’il vous offense. […] Sonnez, sonnez toujours, [clairons de la pensée.] […] De la pensée. […] D’où un fâcheux affaiblissement de la pensée, de toute vieille pensée.
Mais la pensée elle-même gagne à être longuement creusée, remaniée et reprise, tournée et retournée par mon esprit dans tous les sens. […] Le difficile est de combler une rédaction primesautière avec une pensée très mûrie. […] Le Socrate chrétien de Balzac a précédé les Pensées de Pascal, et Chateaubriand sort de Bernardin de Saint-Pierre. […] Quand on lui vole sa fortune, il n’a qu’une pensée : « Je vais perdre Manon. » Il parle d’elle comme d’une divinité. […] « Je ne me porterais pas garant, dit Jules Lemaître, de l’entière orthodoxie de la pensée et des intentions de Molière.
Rousseau Le volume d’œuvres inédites de Jean-Jacques Rousseau, que j’examinais dernièrement, contient quelques pensées et notes sur l’abbé de Saint-Pierre, dont Rousseau avait eu en effet les manuscrits sous les yeux et avait essayé de raviver les écrits morts en naissant. […] Ainsi de tout temps : à côté et au-dessous des réputations établies et qui font illusion au gros du monde en se prolongeant, il y a les jeunes groupes fervents et féconds, les cénacles cachés qui seront le règne et la pensée du lendemain. L’abbé de Saint-Pierre, qui devait contribuer à ce lendemain par la pensée sans participer au règne ni à l’honneur, parcourut en quelques années des ordres très divers de connaissances, et porta dans toutes l’esprit qui le caractérisait, une analyse subtile, une recherche extrême de précision, une patience et une lenteur ingénieuses et encore plus minutieuses à discuter tout.
J’aime ces extraits qui font voyager les pensées d’un auteur là où elles n’iraient jamais autrement, et qui sèment jusque dans les camps opposés le respect, parfois même un peu d’affection pour ceux que l’on combat ; cela civilise les guerres : « Il y a peu d’années, disait le Père Lacordaire, s’adressant à son jeune ami qu’il désigne sous le nom symbolique d’Emmanuel, les Martyrs de M. de Chateaubriand me tombèrent sous la main ; je ne les avais pas lus depuis ma première jeunesse. […] votre cœur serait-il insensible à la pensée que vous êtes vêtu comme les riches et les grands de ce monde ? […] Ce coup-d’œil, à propos d’une dernière production du Père Lacordaire, m’a mené plus loin que je ne prévoyais : ce ne devait être d’abord, dans ma pensée, qu’une entrée en matière et une transition pour passer à un sujet plus général.
Mais quelques pensées de lui que nous livre son biographe nous le montrent tel qu’il était alors, bien désabusé au fond de l’âme, vacillant et désorienté dans ses vues, ne croyant plus en la République, présageant avec effroi une prochaine servitude, espérant toutefois contre toute espérance, s’en remettant à l’imprévu et appelant presque un miracle. […] Les rapports entre le préfet de la Seine et le préfet de police ne furent pas toujours dans la proportion voulue ni exempts de conflits, quoique, selon la pensée de Napoléon, la balance entre ces deux « maires de Paris » ne fût point égale, et que le préfet de la Seine qui s’occupait des choses, tandis que l’autre s’occupait surtout des personnes, l’emportât beaucoup par l’étendue de son action. […] Comme le dit son ami Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, d’un mot expressif à la fois et indulgent, « ce jour-là et à cette heure-là, Frochot fut frappé d’une sorte d’apoplexie morale. » Il n’en revint, une demi-heure après, que par un autre mouvement excessif, et qui peint bien le désordre de sa pensée ; lorsqu’il apprit que tout ce qu’il avait cru d’abord n’était qu’une déception et qu’un rêve, quand les écailles tout à coup lui tombèrent de dessus les yeux : « Ah !
Nul doute que cette pensée d’imitation n’ait beaucoup préoccupé Jean 277. […] On voit poindre par moments la communauté des biens et cette pensée que le riche est obligé de partager ce qu’il a 310. […] A toutes les époques, d’ailleurs, Jésus céda beaucoup à l’opinion, et adopta bien des choses qui n’étaient pas dans sa direction, ou dont il se souciait assez peu, par l’unique raison qu’elles étaient populaires ; seulement, ces accessoires ne nuisirent jamais à sa pensée principale et y furent toujours subordonnés.
Il n’est jamais que l’intensité d’un sentiment dans les femmes, ces créatures de sensibilité bien plus que de pensée. […] cette faculté est suprêmement celle de la sœur Emmerich, laquelle n’est pas seulement une Voyante qui vous fait voir ce qu’elle voit, mais une Ravissante qui vous prend et qui vous transporte au centre positif d’un monde que vous n’aviez jamais entrevu jusque-là que dans les lointains de la pensée indistincte ou la brume des souvenirs confus ! […] En effet, après la particularité du détail, ce qui caractérise la pensée, la poésie, la peinture, le faire de la sœur Emmerich (je cherche un mot juste, et je ne le trouve pas !)
… Il y a des styles qui sortent de la pensée comme l’enfant du ventre de lu mère, avec des douleurs et du sang. […] Il les écrivait à travers toutes les distractions, — à travers les cris perçants de ce fameux ara jaune et bleu que tout Paris a connu, ce tigre à plumes (disait Saint-Victor), qui criait comme s’il avait été l’ara du diable ; et il faisait gaiement sa partie de cris avec ce monstre, qui aurait déchiré le tympan des plus sourds, et il la faisait sans lâcher la phrase qu’il écrivait et dans laquelle il berçait si voluptueusement sa pensée ! […] S’il avait été, de hauteur de pensée, supérieur à l’homme de lettres, s’il avait été un critique, il aurait méprisé l’Académie.
Seulement, par une particularité qui est peut-être un procédé de l’écrivain, les traits qui nous le font bien voir sont comme épars dans le livre et ne se rassemblent guères que dans la pensée du lecteur. […] Seulement, ce génie aux longues et prévoyantes pensées rendit Mazarin avare et avide ; et, dans le fond de ces richesses de kalife qu’il fut sur le point d’entasser un jour à Vincennes, l’Histoire retrouve l’ancien pipeur au jeu, le parvenu, l’aventurier. […] Chez cet homme si sensuel, en qui la chair pouvait tout engloutir, ce fut elle qui, la première, éveilla le sentiment et la pensée.
La parole, qui a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée, a dit un impudent menteur, trahit, au contraire, toujours l’homme, et il n’a pas besoin de se raconter pour se dire : il se dit en parlant de tout. […] Telle elle était, cette femme de grâce immortelle, charmante en cheveux blancs et aveugle comme quand elle avait ses cheveux châtains et ses yeux, couleur de ses pensées, et dont j’aurais voulu retrouver au moins le profil perdu dans ces Souvenirs sans mémoire. […] Je ne vois nulle part, dans ces deux vagues et confuses publications, le portrait que j’aurais voulu, — le portrait net, précis, essuyé de tout rêve et de toute rêverie, d’une matérialité vivante, qui crochèterait la pensée de la force de sa réalité et l’empêcherait d’errer jamais sur le compte de ce beau visage que les hommes ne reverront plus ; car le Léonard de Vinci de cette Joconde du xixe siècle, qu’aurait pu être Chateaubriand qui ne l’a pas été, ne viendra jamais.
c’est là une des formes les plus inférieures de la pensée. […] Il n’a rien de niais dans sa forme, qui peut être fausse et même cruelle pour les esprits délicats et fins, mais qui, du moins, a de la décision et du relief ; mais, dans sa pensée, il tient à ces badauds actuels qui rêvent une humanité nouvelle, haïssent la guerre, médisent de la gloire, repoussent toute répression un peu forte, et croient que les peuples peuvent se passer de grands hommes et sont eux-mêmes assez grands pour se gouverner parfaitement tout seuls ! […] Le livre de du Camp, imité par le style, faux par la pensée et vide par le tout, est un livre qui n’ira pas loin, même dans les ateliers.
Qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée. […] Ce pouvait être un parent, un ami, que nous évoquions ainsi par la pensée. […] La volonté a son génie, comme la pensée, et le génie défie toute prévision. […] Il n’écrira rien, pour que sa pensée se communique, vivante, à des esprits qui la porteront à d’autres esprits. […] Pression et aspiration se donnent pour cela rendez-vous dans la région de la pensée où s’élaborent les concepts.
» Jamais homme de Port-Royal ou du voisinage (qu’on le remarque bien) n’aurait eu pareille pensée, et c’eût été plutôt le contraire qui eût paru naturel, le pauvre étant aux yeux du chrétien l’objet de grâces et de vertus singulières. […] Chauvelin sur le sujet qui nous occupe vaut mieux, comme pensée, que les trois quarts de ses odes. […] La pensée se reporte involontairement à certains sonnets de Shakspeare. […] Patin, dans un excellent cours aussi attique de pensée que de diction, remettent à sa place ce grand comique latin. […] Il n’entrait pas dans la pensée de Boileau que cet éloge de Molière pût déplaire à Racine : il y avait équité et décence jusque dans les brouilleries des grands hommes de ce temps-là.
Il n’était pas grand, bien que le rayonnement de son visage et la mobilité de sa stature empêchaient de s’apercevoir de sa taille ; mais cette taille ondoyait comme sa pensée ; entre le sol et lui il semblait y avoir de la marge ; tantôt il se baissait jusqu’à terre comme pour ramasser une gerbe d’idées, tantôt il se redressait sur la pointe des pieds pour suivre le vol de sa pensée jusqu’à l’infini. […] Sa voix était retentissante de l’énergie un peu sauvage de ses poumons, mais elle n’avait ni rudesse, ni ironie, ni colère ; ses jambes, sur lesquelles il se dandinait un peu, portaient lestement son buste ; ses mains grasses et larges exprimaient en s’agitant toute sa pensée. […] Il parla en homme ferme, généreux, convaincu, contre les propos légers qu’il venait d’entendre ; il refoula éloquemment ces mauvaises pensées dans la bouche de ceux qui venaient de les laisser échapper. […] Chaque ride de la figure était un abîme creusé par la pensée. […] La lourdeur allemande des cerveaux indique la pesanteur et nullement la perfection de la pensée.
Assurément on peut saisir hors de Jean-Jacques, dans la société et la littérature, des influences qui se sont imposées à lui, qui ont déterminé les formes de sa pensée. […] Il n’est pas jusqu’à Pascal à qui Rousseau ne pût être redevable : une de ses plus saisissantes pensées n’est-elle pas la condamnation de la propriété ? […] L’ardente intensité de la vie intérieure ne laisse rien d’indifférent : l’âme sérieuse se verse tout entière dans les moindres de ses actions, les relève par une haute pensée de devoir ou d’affection. […] C’était une pensée originale et haute d’essayer de fonder les relations de deux êtres unis par la société sur la franchise absolue de tous les deux, à l’égard de l’autre, et à l’égard de soi-même. […] Nous finissons par oublier d’habituer l’enfant à penser, à force d’étaler devant lui les pensées des autres ; nous l’écœurons de littérature, et nous n’en faisons même pas un lettré.
« L’épreuve, finit-il par dire, est votre pensée éclairée… » Et il se demande comment, sans cette inspiration matérielle, manuelle de l’écriture, les anciens pouvaient suivre une idée dans toutes ses rédactions, — lui, qui ne peut raisonner qu’avec la plume. […] De ce jour, en me levant, je savais très nettement ce que j’avais à faire, et ma pensée ne portant plus que sur un seul objet à la fois, j’étais guéri ! […] L’estomac semble dégager la pensée, comme ces plantes qui suent instantanément par les feuilles, l’eau dont on a arrosé leur terreau. […] Ils n’ont pas la banalité, l’impersonnalité de l’imprimé ; ils sont comme l’autographe d’une pensée. […] La fraîche imagination que ces pensées de jeunes filles courant le ciel et l’espace, à la patte d’un oiseau !
L’une chez Johannes s’échancre et s’irrite à l’intrusion de Kaethe : les Pensées que son front exsude, ainsi taisant acte de Vie, s’interrompent en éparpillement effrité : du choc de l’intellectuelle existence et de la vie pratique, le néant, comme un serpent de sulfocyanure à sa naissance flamboyante rentrant ses cornes oculaires sous le dôme tombant d’un doigt. […] Johannes vit pour la Pensée, et pour la Pensée Anna Mahr. […] Fargue, vitrail d’après un dessin de Bastard — Martin et Prouvé, le buvard cuir mosaïqué, la Pensée dans l’espace ; reliure des Aveugles de Maeterlinck. […] Il en profite pour « rejeter, par ses seules forces, le joug de la supersitition », grâce aussi toutefois à Lourdes et autres œuvres de « maîtres de la pensée ». […] Mais, si l’on examine quels sont, des immortels, ceux dont le nom s’attache à un effort personnel, à un progrès de pensée et de forme, à une marche intransigeante et raisonnée au Mieux : que de suppressions encore il faudrait !
En symbolisant ces trois termes par les segments consécutifs AB, BC, CD d’une même ligne droite AD, on peut dire que notre pensée décrit cette ligne d’un mouvement continu qui va de A en D, et qu’il est impossible de dire avec précision où l’un des termes finit, où commence l’autre. […] La conception parfaite des genres est sans doute le propre de la pensée humaine ; elle exige un effort de réflexion, par lequel nous effaçons d’une représentation les particularités de temps et de lieu. […] Celle où il revient est une ressemblance intelligemment aperçue ou pensée. […] Cette idée de généralité n’était à l’origine que notre conscience d’une identité d’attitude dans une diversité de situations ; c’était l’habitude même, remontant de la sphère des mouvements vers celle de la pensée. […] Nous saisissons donc ici, à leur source même et presque confondues ensemble, — non point pensées, sans doute, mais jouées et vécues, — l’association par ressemblance et l’association par contiguïté.
Ceux-ci, les Morlocks, sont devenus des brutes machinales, sans pensée. Sans pensée : mais, nyctalopes, ils sortent la nuit pour manger les riches. […] En d’autres termes, ils trahissent la cause de l’indépendance et de l’universalisme de la Pensée. […] Et d’ailleurs, je ne vois pas bien ce que ces écrivains y gagneraient en liberté d’expression et de pensée. La liberté d’expression et de pensée révolutionnaire, elle existe pourtant, elle existe !
Je ne vous dirai point que la pensée y est toujours aussi claire que le sentiment. […] Leur parole vient de loin, du fond du steppe d’abord, puis du fond de leur pensée naïve et de leur cœur. […] Je voudrais qu’on ne se méprit pas sur ma pensée. […] Peut-être que ces relations la relèvent à ses propres yeux, la rattachent, dans sa pensée, à la société régulière. […] Henry Céard ne paraît pas s’en être assez douté, et que Charmeretz est visiblement, dans sa pensée, un personnage tout sympathique.
L’Évasion est, à première vue, et était certainement dans la pensée de l’auteur, une pièce à thèse. […] Nisus et Euryale ne se sont jamais quittés et se confient tous leurs actes et toutes leurs pensées. […] Pierre Veber eût risqué de faire un peu tort, dans ma pensée, à la comédie de M. […] Ajoutez qu’elle semble assez peu favorable à l’élargissement du cœur et de la pensée. […] Mais, après tout, ce qu’on peut mettre de pensée au théâtre ne sera jamais grand’chose.
N’ayant point de contradictions à craindre, vous vous teniez plus près de votre vraie pensée, et, moins défiante, votre parole était plus expressive. […] car je suppose qu’il entretient le prince de pensées de bien public. […] J’insistai vainement pour qu’il développât sa pensée ; je n’en pus rien tirer de plus. […] Disciple d’une école où l’on croit que l’écrivain a des devoirs, j’ai regardé de plus près à mes pensées, j’ai surveillé plus sévèrement ma plume. […] Pascal, Pensées, art.
La pensée la plus vivante se glacera dans la formule qui l’exprime. […] Mais, d’abord, « unification » est un terme vague, moins clair que celui des relation » ou même que celui de « pensée », et qui n’en dit pas davantage. […] L’ensemble de la matière devra donc apparaître à notre pensée comme une immense étoffe où nous pouvons tailler ce que nous voudrons, pour le recoudre comme il nous plaira. […] Et sa théorie voudrait tout embrasser, Don seulement la matière brute, sur laquelle elle a naturellement prise, mais encore la vie et la pensée. […] La vérité est que cette continuité ne saurait être pensée par une intelligence qui s’abandonne à son mouvement naturel.
Jéhovah, Jupiter, Jésus, Mahomet, la libre pensée elle-même, tout va défiler devant lui. […] … » Ce fut sa première pensée. « … Et ces souffrances aussi m’étaient inconnues 1 Oui, je ne savais rien, rien jusqu’à présent. […] Tous ces gens accouplés, grisés de la même pensée, de la même ardeur faisaient courir un lièvre autour d’eux. […] À côté d’un chapitre d’une libre pensée très nette, je trouve cette page de hautain bon sens. […] Littré, dans les dernières années, avait toujours cette pensée devant les yeux.
Saint-Martin répondit par une Lettre qui est une pièce importante, et qui aurait pu porter pour épigraphe cette pensée de lui : J’ai vu la marche des docteurs philosophiques sur la terre, j’ai vu que, par leurs incommensurables divagations lorsqu’ils discutaient, ils éloignaient tellement la vérité, qu’ils ne se doutaient seulement plus de sa présence ; et, après l’avoir ainsi chassée, ils la condamnaient par défaut. […] Garat avait dit en opposition à l’universalité des idées morales ou autres idées premières : « Je ne connais rien d’universel, à la rigueur, que l’univers. » Saint-Martin le presse sur ce mot et lui en demande compte : Malgré l’opposition que vous annoncez contre le matérialisme, vous avez cependant été entraîné à dire, comme ses sectateurs, que vous ne connaissiez rien d’universel, à la rigueur, que l’univers, tandis qu’il y a quelque chose en vous de bien plus universel que cet univers, savoir votre pensée. […] Mais ce que je désirerais vivement, c’est que le manuscrit que j’ai sous les yeux, Mon portrait historique et philosophique, qui n’a été imprimé que tronqué et très incomplet, s’imprimât dans toute sa suite (à part huit ou dix pensées qu’il faudrait absolument retrancher comme étant de trop mauvais goût) ; on aurait alors un Saint-Martin à l’usage de tout le monde, à l’usage de ceux qui hantent Gui Patin comme de ceux qui lisent Platon ; un peu singulier, un peu naïf, agréable, touchant, élevé, communicatif, parfois bien crédule, nullement dangereux : on aurait enfin ce qui plaît toujours dans un auteur et ce qu’on aime à y rencontrer, un homme et un homme simple. […] [NdA] Si l’on en veut une preuve que j’ose dire inimaginable, on n’a qu’à lire la pensée suivante où l’illusion pacifique, jointe à la préoccupation de soi et à la confiance qu’on a d’être l’objet spécial de la prédilection divine, passe tous les degrés : Je me suis senti tellement né pour la paix et pour le bonheur, et j’ai eu de si fréquentes expériences que l’on m’avait même dès ce monde comme environné du lieu de repos, que j’ai eu la présomption de croire que dans tous les lieux que j’habiterais il n’arriverait jamais de bien grands troubles ni de bien grands malheurs.
Voilà comme on se laisse aller à des pensées ambitieuses. […] Le fond de sa pensée attaque toujours ses supérieurs, quoique avec l’abord humble, honteux et embarrassé à leur égard, sans se jouer pour cela, mais par habitude ; mais il ne se ravale pas pour cela avec les inférieurs, ce qui est la suite de ce caractère chez les gens véritablement généreux ; au contraire, il y porte un air important et distrait qui en impose aux égaux et qui le fait respecter des inférieurs. […] Son premier étonnement passé, il redevint aisément, le lendemain de sa sortie du ministère, ce qu’il était la veille, un homme studieux, un grand lecteur, l’étant avec délices, faisant de son cabinet son royaume et son monde, et plein de pensées et d’observations sur les livres et sur les choses· En lisant ce qu’il a ainsi écrit pour lui seul et dont on a le recueil depuis 1742 jusqu’en 1756, au milieu des mille variétés de chaque jour, je suis frappé d’une remarque fréquente et suivie, d’une plainte qui revient sans cesse sous sa plume jusqu’en 1750 : elle tient de près à ce que nous l’avons déjà vu dire à propos de son frère sur le genre frivole et léger, sur l’esprit de moquerie et de malice qui détruit tout, et sur l’absence de cœur et d’amour du bien. […] Sorti du ministère, voyant son frère y rester et s’y ancrer plus que jamais, il a pu lui adresser cette parole qui résume admirablement quelques-unes de ses plus habituelles pensées : J’ai dit à mon frère (1748) : « Vous avez une belle charge, vous êtes chargé de faire valoir la seule vertu qui reste aux Français, qui est la valeur ; car l’esprit n’est pas une vertu : la franchise, la bonne foi, toutes les autres vertus se sont séparées de nous. » Et ce n’est pas la misanthropie qui a dicté cette parole.
Il avait raison, et j’irai plus loin : l’on n’est jamais moins occupé de soi que quand on est seul, et on n’en est jamais si occupé, si embarrassé qu’avec le monde. » Ainsi en liberté avec sa pensée et avec celle des autres, il se donnait toute carrière. […] » Mais ce qu’il préférait à tout, c’étaient les livres de politique, de considérations sur le bien public et sur les matières sociales, « les choses d’un sens suivi et de génie », c’est-à-dire où l’auteur produisait avec vigueur ses propres pensées. […] Son idéal habituel reste fort au-dessous de cet ordre de pensées. […] Du premier coup d’œil on les rejette, et, en les approfondissant, on voit qu’il n’y en a aucun qui ne soit sûr et fondé sur les principes les seuls vrais. » Telle est, à l’offrir sans déguisement, la véritable pensée du marquis d’Argenson.
Pour moi, je dirai toute ma pensée : je ne voudrais rien retirer au vieux poète, mais il me semble qu’il est en train de subir cette transformation légère qui, en ne faisant peut-être que rendre à certains hommes, sous un autre aspect, la valeur et le prestige qu’ils avaient de leur vivant, leur accorde certainement plus qu’ils n’ont mis et qu’ils n’ont laissé dans leurs œuvres. […] » La plupart de ceux qui ont mis ainsi leur pensée en tout son jour y perdent avec le temps et diminuent. […] Campaux, que celle de se transporter en pensée à sa dernière heure, et là, de son lit de mort, d’exhaler son âme en confessions, en adieux et en legs à tous ceux qu’il a aimés et connus. […] Toujours, quand il sera question de la rapidité et de la fuite des générations des hommes qui ressemblent, a dit le vieil Homère, aux feuilles des forêts ; toujours, quand on considérera la brièveté et le terme si court assigné aux plus nobles et aux plus triomphantes destinées : Stat sua quaeque dies, breve et irreparabile tempus Omnibus est vitae… mais surtout lorsque la pensée se reportera à ces images riantes et fugitives de la beauté évanouie, depuis Hélène jusqu’à Ninon, à ces groupes passagers qui semblent tour à tour emportés dans l’abîme par une danse légère, à ces femmes du Décaméron, de l’Heptaméron à celles des fêtes de Venise ou de la cour de Ferrare, à ces cortèges de Diane, — de la Diane de Henri II, — qui animaient les chasses galantes d’Anet, de Chambord ou de Fontainebleau ; quand on évoquera en souvenir les fières, les pompeuses ou tendres rivales qui faisaient guirlande autour de la jeunesse de Louis XIV : Ces belles Montbazons, ces Châtillons brillantes, Dansant avec Louis sous des berceaux de fleurs ; quand, plus près encore, mais déjà bien loin, on repassera ces noms qui résonnaient si vifs et si frais dans notre jeunesse, les reines des élégances d’alors, les Juliette, les Hortense, ensuite les Delphine, les Elvire même et jusqu’aux Lisette des poètes, et quand on se demandera avec un retour de tristesse : « Où sont-elles ?
Il y a à distinguer deux choses dans cette réimpression qu’un savant professeur du Collège de France a dirigée et entourée de commentaires : premièrement, la réimpression même, qui est bonne en soi, qui remet sous les yeux des lecteurs studieux plusieurs écrits politiques, autrefois en vogue, sortis depuis longtemps de la circulation, et dont quelques-uns étaient difficiles à retrouver ; et, de plus, il y a l’esprit dans lequel ils sont reproduits, la pensée de résurrection qu’on y apporte et qui est à discuter. […] 66 » Malheureuse pensée ! […] Quand on a imprudemment allumé de tels phares aux sommets opposés du détroit dans les crises et les périls de sa vie publique, on ne peut espérer ensuite de passer pour un homme qui n’a cessé d’avoir une pensée unique pour boussole. […] Un journaliste renonce à la dignité d’homme de lettres, à la profondeur du raisonnement, à la liberté de la pensée.
L’étonnement ne paraît jamais sur leur visage, ce qui explique les ordres froidement cruels donnés par Moïse et exécutés ponctuellement sans que les victimes se doutassent du sort qui les attendait. » * Tout cela est finement senti, et, sa pensée se précisant de plus en plus à la réflexion, il écrivait de Smyrne, au moment de s’embarquer : « C’est ici que je commence à bien me rendre compte de tout ce j’ai vu d’intéressant, de curieux, de magnifique et de nouveau ; c’est pour le coup que la Bible devient intéressante. […] Je me dépêche de te parler de ce fatal accident avant que la raison me revienne et que mon enthousiasme pour tout ce dont je viens d’être témoin ne fasse place à la triste et funeste pensée qu’involontairement, sans doute, je suis cause de la mutilation de ces malheureux. […] je ne vois que des maisons de bois et des espèces de grosses tourtes entourées plus ou moins de chandelles qu’on appelle mosquées et minarets, mais rien de ce pittoresque, rien de cette originalité de cette belle Syrie, rien de cette brutalité de l’homme qui donne du charme et fait ressortir les œuvres de la civilisation ; tout est rond, tout est mou, c’est le sérail de la pensée ; enfin je me sens énervé, et il ne faudrait pas longtemps pour que mes idées prissent du ventre comme tous les vilains Turcs que je rencontre dans les rues. » Et dans un mouvement lyrique relevé de jurons militaires, il se met tout d’un coup à les apostropher, à les traiter comme à une descente de barrière on traiterait des Turcs de mardi gras ; c’est tout un feu d’artifice d’injures qui se couronne par un bouquet en faveur des Arabes : « Chers Arabes, votre pou, votre puce (quoique souvent incommode), valent mieux que les parfums de vos indignes ennemis ! […] Il exprima à l’empereur sa première pensée qui était de faire une courte visite en France.
Pourtant, en général, dans Arthur, le cœur est de beaucoup plus fort que la raison, que la pensée ; celle-ci, en maint endroit, est exclusive, dédaigneuse, aristocratique, légère, prenant trop ses répugnances ou ses affections pour la règle du possible, pour la mesure du vrai. […] — Comme cet ordre de pensées et ce genre de vie calment et réparent l’âme ! […] C’est avec ces pensées que j’arrive jusque dans ma retraite, et qu’environné des livres saints dont je me suis fait comme une barrière je m’écrie : « Jours de bénédiction, beau temps, air doux et pur qu’on n’espérait plus ; herbe verte et si belle sous ces rayons qui ne la brûlent plus et qu’elle reçoit avec amour ; solitude, silence, éloignement du bruit et des passions des hommes ; délices de l’homme contemplatif et apaisé ; qu’ai-je fait pour vous goûter avec cette plénitude et ces transports ? […] dis, en ces moments de suave pensée, Lorsqu’au pâle rayon dont elle est caressée L’âme s’épanouit, Comme ces tendres fleurs que le soleil dévore, Que le soir attiédit, et qui n’osent éclore Qu’aux rayons de la nuit ; Quand loin de moi, sans crainte et plus reconnaissante, Tu nourris de soupirs cette amitié naissante Et ce confus amour ; Quand sur un banc de mousse, attendrie et pâlie, Tu tiens encor le livre et que ton œil oublie Qu’il n’est déjà plus jour ; Quand tu vois le passé, tous ces plaisirs factices, Tous ces printemps perdus comparés aux délices Qui germent dans ton cœur ; Combien pour nous aimer nous avons de puissance, Mais que, même aux vrais biens, le mensonge ou l’absence Retranchent le meilleur ; Oh !
Aucune idée morale n’étant en balance, il est arrivé qu’une suite de circonstances matérielles a graduellement altéré la pensée et en a dénaturé l’expression. […] Voilà qui est savoir au juste la dignité et le prix de la pensée. […] J’ai nommé la contrefaçon étrangère, et je l’ai nommée la dernière parce qu’en effet elle ne vient qu’en dernier lieu dans ma pensée, et qu’il y a bien d’autres causes mortelles avant celle-là. […] Je ne puis m’ôter de la pensée que le spirituel académicien n’avait accepté cette charge que pour avoir occasion, avec ce bon goût qui ne l’abandonne jamais et avec ce courage d’esprit dont il a donné tant de preuves dans toutes les circonstances décisives, de rappeler et de maintenir devant cette démocratie littéraire les vrais principes de l’indépendance et du goût.
C’est signe que la journée avance et qu’une pensée prévoyante succède insensiblement chez presque tous à l’audace et à la témérité première. […] Tel il s’est montré dans tout son rôle, depuis miss Smithson jusqu’à Mlle Rachel, depuis Hernani jusqu’à Lucrèce ; sur Homère, sur l’abbesse Hrosvitha, sur la reine Nantechild, sur Ahasvérus, il a émis, accepté et soutenu des doctrines, des vues, qui témoignent de l’ouverture de sa pensée et de sa flexibilité ingénieuse presque indéfinie ; ce qui me fait dire et répéter de plus en plus : « Le critique n’est jamais chez lui, il va, il voyage ; il prend le ton et l’air des divers milieux : c’est l’hôte perpétuel180. » Chez beaucoup de ceux qui avaient épousé très-vivement la cause nouvelle au début et qui avaient entonné à haute voix le Chant du départ, le mécompte a suivi et s’est fait amèrement sentir. […] Gabriel Naudé nous dit là son goût de penseur hardi et sceptique, il nous trahit son gibier favori et ce qu’il aime, sans préjudice des autres pièces : philosophe vorace, il lit tout, il y attrape des milliasses de pensées, et les enveloppe à son tour dans quelqu’un de ces écrits indigestes et copieux, vrai farrago, mais qui font encore aujourd’hui les délices de qui sait en tirer le suc et l’esprit. […] On prend un livre, on s’y enfonce, on s’y oublie ; on médite alentour, on y muse et s’y amuse, desipere in libro ; puis insensiblement la pensée se prend, une idée sourit, on veut l’étendre, l’achever : déjà la plume court, la déduction ingénieuse et industrieuse se poursuit, et, quand on s’y entend aussi aisément que M.
Michaud, alors très-monté pour elle) quelques pensées détachées dans le Mercure ; le rédacteur disait en les annonçant : « Les pensées suivantes sont extraites des manuscrits d’une dame étrangère, qui a bien voulu nous permettre de les publier dans notre journal. Quand on pense avec tant de délicatesse, on a raison de choisir pour s’exprimer la langue de Sévigné et de La Fayette. » Voici quelques-unes de ces pensées, qui sont en effet délicates et fines ; l’esprit du monde s’y combine avec un souffle de rêve et de Poésie. […] Ces quelques pages du Mercure se terminaient par cette pensée, qui exprimait à ravir son rêve et sa prétention du moment : « La mélancolie des âmes tendres et vertueuses est la station entre deux mondes.
Toutes les pensées et les expressions des pensées doivent avant tout satisfaire la raison : Aimez donc la raison : que toujours vos écrits Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix. […] Cependant on saisit sa pensée à travers l’insuffisance de l’expression : il faut la vérité, et il faut la vraisemblance ; la vraisemblance, c’est la vérité rendue sensible par une forme d’art. […] Voir les Pensées de Pascal sur le style et sur l’éloquence, notamment éd.
L’activité économique n’engage pas le for intérieur, la vie profonde de la pensée et du sentiment. […] L’organisation scientifique de l’économie que Saint-Simon voulait donner au monde ne devait, dans la pensée de ce philosophe, apporter aucun changement notable dans la politique ni dans la morale. […] Confinés dans leur bureau, relégués dans leur domaine spécial à l’écart de la vie réelle, privés des joies saines d’une activité extérieure, et portant des fruits visibles, ils s’étiolent, perdent toute sûreté d’instincts, et souvent dégénèrent : c’est dans leurs rangs que se recrute l’armée sans cesse plus nombreuse des décadents — mécontents ou résignés, pessimistes ou dilettantes — qui constituent un danger des plus sérieux pour l’avenir de notre vieille Europe87. » Ainsi la désintégration des individualités, la dissociation en elles de l’intelligence et de l’instinct, de la pensée et de l’action, de la théorie et de la pratique ne font que s’accentuer sous l’influence de notre mécanisme social. […] C’est dans cette pensée qu’ils s’efforcent de défendre l’initiative individuelle, facteur capital de la richesse, contre les instincts d’uniformité et d’égalité niveleuse (Tarde).
Un écrivain, qui était assez de l’école de Huet en philosophie, a dit : La vie humaine réduite à elle-même et à son dernier mot serait trop simple et trop nue ; il a fallu que la pensée civilisée se mît en quatre pour en déguiser et pour en décorer le fond. […] Huet, que trop de savoir conduisait, comme il arrive souvent, à moins admirer, tout en reconnaissant dans ce passage le sublime de la chose racontée, se refusait à y voir, pour l’expression et même pour la pensée, rien de plus qu’une manière de dire, une tournure habituelle et presque nécessaire aux langues orientales, avec lesquelles il était si familier. […] » Ajoutons que si Huet put avoir dans un temps cette pensée ou porte de derrière, il en usa si peu, qu’elle finit par se condamner d’elle-même et par être en lui comme si elle n’était pas. […] Si le monde se réglait sur eux, on n’aurait plus qu’à s’asseoir, à jouir des richesses acquises, à se ressouvenir, à exprimer ses pensées avec les expressions des anciens, car tout a été dit.
Opposant l’édition des Pensées de Pascal, d’après Condorcet, à celle que donnèrent, dans le temps, les amis de Pascal lui-même, M. […] Trouvant dans les Œuvres de Vauvenargues deux morceaux qui sont une « Prière » et une « Méditation » religieuse, Condorcet, que ces morceaux gênaient, déclare sans hésiter qu’ils ont été trouvés dans les papiers de l’auteur, après sa mort ; qu’ils n’ont été écrits, d’ailleurs, que par une sorte de gageure ; mais que les éditeurs ont jugé à propos de les ajouter aux Pensées de Vauvenargues, pour faire passer les maximes hardies qui sont à côté. […] En exposant le vaste système de vues et d’idées de cet ami et de ce maître, son aîné de quinze ans, et pour qui il avait un véritable culte, il expose le plus souvent ses propres pensées ; mais ici, plus voisines de leur source, elles ont gardé quelque chose de plus net et de plus lumineux. […] Au sortir de ce livre terne et soi-disant consolateur, où pas une expression, pas une pensée ne vient, chemin faisant, dérider l’esprit et réjouir le regard, il faut bien vite ouvrir les Mémoires du cardinal de Retz et Gil Blas : ce sont les deux livres qui guérissent le mieux du Condorcet.
Et d’abord je tracerai un cercle autour de mon sujet, et je dirai à ma pensée et à ma plume : Tu n’iras pas plus loin. […] Un grand sage, Confucius, disait, et je suis tout à fait de son avis quand je lis nos écrivains à belles phrases quand j’entends nos orateurs à beaux discours, ou quand je lis nos poètes à beaux vers : « Je déteste, disait-il, ce qui n’a que l’apparence sans la réalité ; je déteste l’ivraie, de peur qu’elle ne perde les récoltes ; je déteste les hommes habiles, de peur qu’ils ne confondent l’équité ; je déteste une bouche diserte, de peur qu’elle ne confonde la vérité… » Et j’ajoute, en continuant sa pensée : Je déteste la soi-disant belle poésie qui n’a que forme et son, de peur qu’on ne la prenne pour la vraie et qu’elle n’en usurpe la place, de peur qu’elle ne simule et ne ruine dans les esprits cette réalité divine, quelquefois éclatante, d’autres fois modeste et humble, toujours élevée, toujours profonde, et qui ne se révèle qu’à ses heures. […] Toute la lettre dont je parle est d’un style bien net, bien franc, bien adapté ; l’expression déjà prend et serre exactement la pensée : c’est une des grâces du vicomte de Launay. […] Je n’y trouve pas plus de ce naturel véritable qui, né de la pensée ou du sentiment, et jaillissant de la passion même, pénètre dans tout le langage et y circule comme la vie.
Abordez dans cette pensée les Lettres écrites de Vincennes, et vous les apprécierez à leur vrai point de vue, au seul point de vue par lequel elles méritent l’attention de l’observateur et du sage. […] Dans une lettre à Sophie, où il lui développe les principes de la tolérance civile (car cette correspondance n’est qu’un déversoir à toutes les pensées et à toutes les études qui l’occupent aux divers moments), il se mettra tout à coup à s’écrier : « Voyez la Hollande, cette école et ce théâtre de tolérance ! […] Dans cette vie de solitude et de silence à laquelle il était condamné, il avait besoin de causer, de s’épancher comme il pouvait, et de verser en toute occasion, et par toutes les issues, le trop-plein de ses pensées sur toute matière. Mirabeau, de plus, avait pris de bonne heure et d’instinct cette habitude, j’ai presque dit cette méthode de copier les autres ou de se copier lui-même, de se compiler à l’avance des provisions de pensées et de tirades dont il usait sans scrupule, selon l’occurrence, jusqu’à en faire double et triple emploi.
Ce puissant excitateur de hautes pensées politiques va devenir une de nos connaissances particulières, et, peu s’en faut, l’un de nos amis. […] Cet esprit puissant, si élevé de pensée et, par moments, si altier de doctrine, ce patricien entier et opiniâtre, pauvre alors et réduit en secret aux gênes les plus dures, bien qu’ambassadeur et dans une sorte de pompe officielle, me touche doublement avec son sentiment profond de famille et ses vertus patriarcales. […] Je ne passerai pas de meilleures soirées que celles que j’ai passées chez elle, les pieds sur les chenets, le coude sur la table, pensant tout haut, excitant sa pensée et rasant mille sujets à tire-d’aile… Elle est partie, et jamais je ne la remplacerai ! […] On voit d’ici toute la suite de la pensée ; mais que de développements piquants et gais je supprime !
Ces apparences qu’on prenait pour des réalités, ces princes, ces rois, se dissipent ; il ne demeure que ce qui doit demeurer : l’esprit humain d’un côté, les esprits divins de l’autre ; la vraie œuvre et les vrais ouvriers ; la sociabilité à compléter et à féconder, la science cherchant le vrai, l’art créant le beau, la soif de pensée, tourment et bonheur de l’homme, la vie inférieure aspirant à la vie supérieure. […] les poètes sont morts, leur pensée règne. […] Allons plus loin, et puisque cette pensée s’est présentée à nous, généralisons-la utilement, dussions-nous sortir un moment de notre sujet. […] Quel édifice égale une pensée ?
C’est un grand don de la Providence, selon la remarque judicieuse d’un philosophe, de pouvoir communiquer ses pensées, par la parole, & d’être en état d’exprimer ces paroles par certaines figures fixes. […] Il fait sentir ce qui distingue les figures des pensées communes à toutes les langues, d’avec les figures de mots, qui sont particuliéres à chacune, & qu’on appelle proprement tropes. […] On prodigue les images, & les tours de la poésie, en physique ; on parle d’anatomie en style empoulé ; on se pique d’employer des expressions qui étonnent, parce qu’elles ne conviennent point aux pensées.” […] Pierre, que de dire, voilà un mot nouveau ; donc on ne doit pas s’en servir ; car s’il est commode ; s’il est dans l’analogie de la langue ; s’il abrége le discours ; s’il fait entendre plus nettement & plus précisément la pensée de celui qui parle, je ne vois pas quel inconvénient il y auroit à l’employer.
» Puis il revint à des pensées plus graves. […] D’autres fois, ils se laissent aller à des projets d’avenir, à de vaillantes résolutions, à de viriles pensées. […] Rien n’était plus digne de fixer sa pensée. […] Il griffonnait ses pensées, sur des calepins, qu’on a retrouvés. […] Vraiment l’émotion de pensée enivre l’admirateur.
-B. m’aime et m’estime, mais me connaît à peine et s’est trompé en voulant entrer dans les secrets de ma manière de produire… Il ne faut disséquer que les morts… Dieu seul et le poète savent comment naît et se forme la pensée. […] Si je ne considérais l’article de 1835 que comme un portrait provisoire, je ne prétends point que celui-ci soit définitif ; il ne l’est que pour moi qui ai dit là ma dernière pensée.
Que si ma pensée se reporte, non plus sur le poëte, mais sur l’homme auquel tant de liens de ma jeunesse m’avaient si étroitement uni et en qui j’avais mis mon orgueil, ressongeant à celui qui était à notre tête dans nos premières et brillantes campagnes romantiques et pour qui je conserve les sentiments de respect d’un lieutenant vieilli pour son ancien général, je me prends aussi à rêver, à chercher l’unité de sa vie et de son caractère à travers les brisures apparentes ; je m’interroge à son sujet dans les circonstances intimes et décisives dont il me fut donné d’être témoin ; je remue tout le passé, je fouille dans de vieilles lettres qui ravivent mes plus émouvants, mes plus poignants souvenirs, et tout à coup je rencontre une page jaunie qui me paraît aujourd’hui d’un à-propos, d’une signification presque prophétique ; je n’en avais été que peu frappé dans le moment même. […] Une foule de pensées et de sentiments roulent en lui et se combattent ou se confondent : comment démêler le principe qui dominera ?
Le gouvernement étant le centre de la plupart des intérêts des hommes, les habitudes et les pensées suivent le cours des intérêts. […] Les hommes de la première classe de la société, en France, aspiraient souvent au pouvoir ; mais ils ne couraient dans cette carrière aucun hasard dangereux ; ils jouaient sans jamais risquer de beaucoup perdre ; l’incertitude ne roulait que sur la mesure du gain ; l’espoir seul animait donc les efforts : de grands périls ajoutent à l’énergie de l’âme et de la pensée, la sécurité donne à l’esprit tout le charme de l’aisance et de la facilité.
Pendant que dans les régions supérieures de la pensée et de la foi se séparent les courants de la philosophie et de la réforme, une foule de provinces et de ressorts spéciaux se constituent dans le domaine d’abord indivis de la Renaissance. […] Mieux même encore que les Essais, il est le plus complet et copieux répertoire des tours, locutions et mots que la langue du xvie siècle a mis à la disposition de la pensée.
Les premiers humanistes qui essayèrent, dans des traductions ou autrement, d’appliquer la langue vulgaire à de hautes pensées, se sentirent fort embarrassés. […] Ceux qui sont constitués pour en juger, étant ravis et transportés de telle affection, prononcent— » 1541 : « Or à toi appartient, Roi… » 1560 : « Or c’est votre office, sire… » 1541 : « Et ne te doit détourner le contemnement de notre abjection. » 1560 : « Et ne devez être détourné par le contemnement de notre petitesse. » 1541 : « Mais nous ne lisons point ceux avoir été repris qui aient trop puisé… » 1560 : « Mais nous ne lisons point qu’il y en ait eu de repris pour avoir trop puisé. » 1541 : « Cestuy étoit Père, qui… » 1560 : « C’étoit un des Pères, qui… » 1541 : « Voysent maintenant nos adversaires… » 1560 : « Que maintenant nos adversaires aillent…261 » Et pareillement Calvin remplace en 1560 loquacité par babil, abnégation par renoncement, diriger par adresser, subjuguer par dompter, expéter par désirer, promouvoir par avancer, médiocre par moyen, cogitation et présomption par pensée, locution par façon de parler, etc.
Joie de Buteau à la pensée qu’on va s’en fourrer jusque-là ». […] Même une gaieté passa dans ses petits yeux jaunes, comme s’il rigolait intérieurement à la pensée d’en faire une bien bonne.
. — Le fait physique est un fait objectif, simple, à une seule face ; le fait psychologique est un fait à deux faces et l’une de ces faces est une suite de sentiments, de pensées et d’autres éléments subjectifs. […] Si nous prenons un homme de constitution moyenne, chez qui le travail de la pensée et l’excitation mentale ne demandent qu’une petite quantité de force, nous trouvons un meilleur état physique, une force et une résistance musculaire plus grandes, une digestion plus vigoureuse, bref une plus grande aptitude à supporter les fatigues physiques. — Au contraire, si le travail mental demande une grande quantité de force, alors il doit se faire, chez cet homme, une dépense disproportionnée d’oxydation dans le cerveau : il en revient d’autant moins aux muscles, à l’estomac, aux poumons, aux organes de sécrétion.
Au moment d’exécuter cette détermination hardie, il conçut d’abord la pensée de placer en tête de cette seconde édition ce dont il n’avait pas osé charger la première, savoir quelques vues générales et particulières sur le roman. […] Il lui suffira de dire qu’il n’est pas d’image grotesque, de sens baroque, de pensée absurde, de figure incohérente, d’hiéroglyphe burlesque, que l’ignorance industrieusement stupide de ce prote logogriphique ne lui ait fait exprimer.
L’art, et l’auteur de ce livre n’a jamais varié dans cette pensée, l’art a sa loi qu’il suit, comme le reste a la sienne. […] C’est l’écho de ces pensées, souvent inexprimables, qu’éveillent confusément dans notre esprit les mille objets de la création qui souffrent ou qui languissent autour de nous, une fleur qui s’en va, une étoile qui tombe, un soleil qui se couche, une église sans toit, une rue pleine d’herbe ; ou l’arrivée imprévue d’un ami de collège presque oublié, quoique toujours aimé dans un repli obscur du cœur ; ou la contemplation de ces hommes à volonté forte qui brisent le destin ou se font briser par lui ; ou le passage d’un de ces êtres faibles qui ignorent l’avenir, tantôt un enfant, tantôt un roi.
Certes, on peut tout attendre de ces générations nouvelles qu’appelle un si magnifique avenir, que vivifie une pensée si haute, que soutient une foi si légitime en elles-mêmes. […] L’homme a des devoirs envers sa pensée.
Puisque le monde est une pensé, la pensée, par ses seules forces, doit pouvoir le reconstruire. […] Même la forme littéraire sous laquelle il exprimait sa pensée ne lui permettait pas une élaboration très approfondie.
Nous étions entrés dans la pensée de l’auteur, nous entrons maintenant dans son laboratoire ; nous le voyons travailler. […] Cela advient surtout avec les livres philosophiques, avec les livres de pensées.
Il y a bien une phrase dans l’introduction où il est question de l’image gracieuse de l’amour d’Henri IV et de Gabrielle ; mais c’est de suite fini, et l’auteur, qui a encore ce vieux œil de poudre sur la pensée, ne retourne plus à cette bergerie : il redevient et reste sérieux. […] Mais il est indifférent à cette vérité comme un homme, un diplomate, sur le soir d’un beau jour, qui aurait pris enfin son parti sur la présence du vice dans les choses humaines, et qui même irait jusqu’à croire qu’il y entre comme un ingrédient… Tels sont, en somme, les qualités et les défauts de ce livre à double titre, qui s’appelle également Gabrielle d’Estrées ou la Politique de Henri IV, et dont le second titre pourrait bien être le premier dans la pensée de son auteur.
A-t-il écrit sous les monarchies représentatives de ces choses qui forcent un homme à rester éternellement, par conviction ou par orgueil, l’esclave d’une ancienne pensée ? […] — j’ai payé deux fois par des avertissements en trois jours cette haute satisfaction de dire librement ma pensée.
C’est la magie du poëte de transformer ce qu’il touche ; c’est l’honneur de la pensée d’être plus précieuse que tout ce qu’elle décrit. […] va dire à Lacédémone que nous sommes morts ici, en obéissant à ses lois. » Ailleurs c’est encore la même pensée, avec des formes plus poétiques, cette première résistance sur le seuil de la Grèce étant comme l’exemple toujours présent à la nation102 : « Ces hommes, en donnant à leur patrie une gloire ineffaçable, se sont plongés eux-mêmes dans la nuit du trépas ; mais dans la mort ils ne mouraient pas, puisque du séjour d’Adès leur vertu triomphante les ramène au grand jour. » Ou bien encore : « La terre glorieuse a couvert, ô Léonidas !
On est sur le bord de la pensée indépendante et de la découverte féconde. […] Il n’y a aux mains du public que la pensée agréable et brillante ; les idées sérieuses et générales n’y sont pas ; elles sont en d’autres mains qui les détiennent. […] Arrachez de tous les esprits d’un siècle toute grande idée neuve de la nature et de la vie, et vous les verrez, privés du besoin d’exprimer les pensées capitales, copier, se taire, ou radoter. Que sont-elles devenues, ces pensées capitales ? […] Sous cette contrainte on cesse de penser ; car qui dit pensée dit effort inventif, création personnelle, œuvre agissante.
Éclairé par une profonde étude de la géographie, M. de Saint-Pierre resta confondu devant les merveilles que la raison humaine méconnaissait, sa pensée devina quelques-unes des pensées du Créateur ; car la vérité est la pensée de Dieu même. […] Mais comment ne remarquerions-nous pas l’adresse singulière avec laquelle l’auteur sait fondre à propos, dans son livre, des morceaux de Virgile et de Plutarque, de manière qu’ils ne forment qu’une seule pièce avec sa pensée ? […] Mais le but de M. de Saint-Pierre n’est pas seulement de s’enrichir de ces beautés antiques ; il veut encore nous faire entrevoir, dans les auteurs cités, un sentiment exquis, une pensée profonde qui nous auraient échappé. […] Enfin Rousseau s’indigne des vices de la civilisation, et la rejette ; tandis que toutes les pensées de Bernardin de Saint-Pierre tendent à perfectionner les vertus sociales. […] Épouvanté d’une scène sans exemple dans l’histoire des sociétés humaines, il se persuade qu’il doit tenter un dernier effort, et se hâte d’écrire quelques pensées qui doivent porter la conviction dans l’âme de ses auditeurs.
Sa pensée, comme sa vie, ressemble au nuage qui change de forme et de route, selon le vent qui le pousse. […] Dans la pensée des modernes, au contraire, le grotesque a un rôle immense. […] Mais, s’écrieront les douaniers de la pensée, de grands génies les ont pourtant subies, ces règles que vous rejetez ! […] Le vers est la forme optique de la pensée. […] À certains temps, elles quittent un rivage du monde de la pensée et en envahissent un autre.
On voit cependant que le poète, accoutumé, sous M. de Rovigo et sous M. de Fontanes, à la rude discipline de la pensée, avait pris vite au sérieux la liberté de la presse. […] Où est la grande pensée de la Marseillaise ? […] On regrette seulement dans ces beaux vers que le refrain, sans rapport avec la pensée, vienne terminer la strophe, qui serait une ode, et qui redevient ainsi malheureusement un couplet. […] Il avait, si j’ose dire toute ma pensée, rétréci son devoir, afin de l’accomplir toujours et d’être plus sûr de l’accomplir. […] quelle bonne pensée nous avons eue de monter à lui en voyant son portrait dans notre loge !
Les ministres sont les reflets de la pensée royale. […] La France ayant perdu à l’extérieur toute influence politique, ne fallait-il pas aussi, pour que la pensée qui la faisait agir fût conséquente avec elle-même, que la France perdit toute influence littéraire. […] Cette alliance de la matière et de la pensée est monstrueuse, inintelligible, et donne aux reproches du poète un caractère puéril. […] Nous nous croyions, nous autres auteurs, peu habitués à ce bruit flatteur et caressant, revenus à cet âge d’argent où la critique était juste, parlait selon sa conscience, écrivait selon sa pensée. […] Tous les peuples se désaltèrent à ce grand fleuve qui prend sa source à Paris, dont chaque flot est une pensée, et qui se répand large et fécondateur sur le monde.
Elle éleva sa pensée du visible à l’invisible, du passager à l’éternel, de l’humain au divin. […] Une telle pensée ne devait pas se présenter aux esprits, ou elle devait être écartée comme une pensée coupable. […] L’homme peut bien dompter la nature, mais il est assujetti à sa pensée. […] Ce rite est remarquable, et il nous révèle chez ces hommes une pensée qu’il importe de signaler. […] Ne voyons-nous pas encore dans cette tradition la véritable pensée de ces anciens hommes ?
L’écrivain est un terrain où la pensée pousse en fleurs de style, larges, hautes et sauvages. […] Il reconquerra les hauteurs perdues de la foi, de la pensée, de l’amour. […] Mais je détruis la strophe : les vers devant se grouper sous la nécessité de la pensée. […] il doit se mettre dans la position où l’Éternité appuie ses paroles, et chaque mouvement de sa pensée doit être approuvé et multiplié par la force de gravitation de la pensée unique et éternelle ! […] Ce duel de la viande vive et de la pensée nue !
C’est le bruissement de la vie animale ou végétale, vie qui coule, qui écume, qui palpite et qui murmure en coulant avec la sève, avec le sang, avec la sensation, avec la pensée, dans ces torrents animés de la création. […] L’œil plus perçant et plus exercé d’une jeune couturière nommée Nicette, qui travaillait habituellement au château, finit par tout entrevoir ; elle parla à la Jumelle des attentions du petit Didier ; elle parla au petit Didier des préférences de la Jumelle ; elle finit ainsi par en savoir assez sur l’état de ces deux cœurs pour que le toucheur de bœufs crût pouvoir s’enhardir jusqu’à la pensée de faire parler de mariage au père de la jeune fille. […] Ses lentes vibrations se répercutaient si mécaniquement sur le tympan de ma tête brisée de douleur et d’insomnie que mes pensées suivaient involontairement le branle de l’airain, et qu’elles prenaient insensiblement pour gémir et pour pleurer le rythme de cette sonnerie des morts. […] Elles aimaient le jeune officier ; elles inspiraient son cœur, sa poésie, sa musique ; elles exécutaient les premières ses pensées à peine écloses, confidentes des balbutiements de son génie. […] Le froid le saisit ; il rentra chancelant dans sa chambre solitaire, chercha lentement l’inspiration, tantôt dans les palpitations de son âme de citoyen, tantôt sur le clavier de son instrument d’artiste, composant tantôt l’air avant les paroles, tantôt les paroles avant l’air, et les associant tellement dans sa pensée qu’il ne pouvait savoir lui-même lequel de la note ou des vers était né le premier, et qu’il était impossible de séparer la poésie de la musique et le sentiment de l’expression.
C’est là qu’il faut éclairer, si on ne veut pas la maudire, la pensée évidemment tout autre de l’écrivain. […] Jalousie ridicule, puisque je ne fus jamais qu’un amateur désœuvré du beau, qui esquisse et qui chante au hasard, sans savoir le dessin ou la musique, et que Hugo fut un souverain artiste, qui força quelquefois la note ou le crayon, mais qui ne laissa guère une de ses pensées ou une de ses inspirations sans en avoir fait un immortel chef-d’œuvre : l’un ne demandant rien qu’au jour qui passe, comme un improvisateur sans lendemain ; l’autre, prétendant fortement à gagner et à payer par le travail le salaire que la postérité doit au génie laborieux, un renom qui ne périt pas. […] Il me répondit deux ou trois fois, en me remerciant et en m’octroyant, comme un homme fort, pleine licence d’écrire ma pensée contre sa pensée. […] « Dans ma pensée, les Misérables ne sont autre chose qu’un livre ayant la fraternité pour base, et le progrès pour cime.
La transparence du lointain où il va s’abîmer dans un horizon de lumière, emporte votre pensée au pays du soleil. […] La langue seule était flottante, empruntant tantôt à l’italien, tantôt au latin, tantôt au patois du Midi l’instrument de sa pensée. […] Lecteur, toujours présent à ma pensée, et qui peut-être n’existeras jamais pour moi, si tu vois cet écrit après que j’aurais cessé d’être, donne quelques regrets à la mort prématurée qui m’enlève au sein de mes plus beaux jours… » VIII Cette merveilleuse relique de notre passé littéraire devait passer ainsi comme un legs funèbre de mourant en mourant dans nos mains. […] des filz de ta pensée L’eschevelet n’est encor débroillé… Tretouz avons esté, comme ez toy, dans ceste heure ; Triste rayzon que trop tost n’adviendra ! […] L’hiver la rappelle à de plus triste pensées.
Seulement, si vous voulez ma pensée, la façon de M. […] Quel intérêt pouvait-il avoir à écrire contre sa pensée ? […] Il avait contre lui la tournure philosophique de son esprit et l’austérité naturelle de sa pensée. […] J’ai dit que, dans la pensée de M. […] Les divers systèmes philosophiques et les principales découvertes de la science y sont formulés avec un éclat et une précision où nous goûtons à la fois la force de la pensée et une extrême adresse à vaincre d’incroyables difficultés.
* * * — La communication que j’ai eue, ces temps-ci, du journal de Mlle ***, du journal des amourettes d’une cervelle de seize ans, me donne la certitude absolue, que la pensée de la jeune fille, la plus chaste, la plus pure, appartient à l’amour, et qu’elle a tout le temps un amant cérébral. […] C’est la pensée d’officiers autrichiens et d’officiers russes, que Berthelot a vus, ces temps derniers. […] Et, dans la préoccupation de ses pensées, tout le monde boit du champagne, et Daudet, comme tout le monde, et bientôt dans une légère excitation, le voilà laissant éclater une vraie joie de gamin, d’avoir fait entendre à Paris, sa tirade sur les antiques familles princières, et d’avoir montré un Bourbon courant après un omnibus — détail qui lui avait été donné par le duc Decazes. Après quoi, comme il y a là un musicien, le musicien Pugno, il fait, sur un piano faux, du bruit prétendu illyrien dans nos pensées, demandant la paix et le recueillement. […] Là, je trouve chez le mari, une prompte et sympathique compréhension de ma pensée, chez la femme une tendre estime pour le vieil écrivain, et chez tous les deux une amitié, égale, continue, et qui n’a ni haut ni bas dans l’affection.
Rappelons-nous encore à ce propos les paroles de Pascal : « Les parties du monde ont un tel enchaînement l’une avec l’autre que je crois impossible de connaître l’une sans l’autre et sans le tout. » Il précise plus loin sa pensée : « La flamme ne subsiste point sans l’air : donc, pour connaître l’une il faut connaître l’autre. » La théorie moderne de l’unité des forces physiques, ou, dans l’ordre des sciences naturelles, les progrès de l’anatomie et de la physiologie comparées sont de belles « illustrations » de cette liaison, de cette connexité, de cette solidarité et de cette « relativité » de nos connaissances. […] La science, dans la pensée de Renan, n’apparaît-elle pas comme destinée à « remplacer » la religion ? […] Il est ; mais est-il autre chose et quelque chose de plus qu’une condition de la pensée ? Car, pour ceux qui n’y prétendent voir « que l’absence des conditions sans lesquelles la pensée est possible », ils le confondent avec l’« Inconcevable », qui est tout autre chose, et pour ceux qui ne sont frappés que de la contradiction impliquée dans la prétention de « connaître l’Inconnaissable », ils abusent de la pauvreté du langage humain. […] Obligée de convenir aujourd’hui qu’elle ne va pas au fond des choses, — que le sous-sol de son domaine, pour ainsi dire, échappe à son exploitation, — et quelle ne saurait nous dire ni ce que c’est que la chaleur, ni ce que c’est que la vie, ni ce que c’est que la pensée, quels titres aurait-elle à nous parler de notre destinée, des lois de notre conduite ou de la force qui gouverne le monde ?
« La fatalité, dit-il, voilà le principe qui règne sur les pensées des hommes et les choses de ce monde, la déesse de toutes les révolutions républicaines ou dynastiques. […] Ferrari n’est pas Français, et on le sent à je ne sais quoi qui ne marche pas tout à fait d’un pas égal au nôtre dans sa phrase, mais, excepté ce léger empêchement, ce manque de furie dans la démarche de sa pensée, il est écrivain comme le meilleur d’entre nous. […] Pour écrire et même pour bien peindre l’histoire, nul critique n’est en droit d’exiger de l’historien qu’il s’élève à une pareille hauteur ; mais quand il s’y élève, il est plus qu’un historien ; il monte jusqu’au poète, le poète qui n’est peut-être que l’expression la plus intense de toutes les espèces de génie et que vous avez au-dessus de toutes les spécialités de la pensée, même de celles qui paraissent le plus prosaïques et le plus abstraites, depuis Newton jusqu’à Burdach et depuis Kant jusqu’à Cuvier ! […] Ferrari pourra répéter sa pensée, il ne la fera jamais plus nette ; mais ce fatalisme, sans honte et presque radieux, lequel n’explique rien, quand la tentative de toute philosophie est d’expliquer au moins quelque chose, ce fatalisme qui, après s’être affirmé, doit, s’il est conséquent, s’ensevelir dans le néant d’un éternel silence, et auquel il n’y a pas à faire même le mince honneur de l’appeler la dernière des philosophies, ce fatalisme-là n’est pas une excuse, au contraire, c’est un mai de plus et un mal suprême — un mal tel, qu’on est en droit de s’étonner que M. […] Un homme de pensée désespéré peut se jeter et se reposer sur cette idée du destin comme sur le grabat de sa misère intellectuelle, mais ce n’est pas là un système, et en métaphysique, ça toujours été une grande pitié.
Barrès sa pente de pensée, il engendre, dans sa technique la plus précise, son style. […] Et ailleurs : « Au milieu d’une tendance générale à l’emphase, voici une pauvre pensée toute nue. […] Elle a favorisé, contre les sommets de l’âme et de la pensée, les rancunes, la malice, la triste ironie des classes moyennes. […] Gardons-nous d’abord d’une confusion qui dénaturerait sa pensée. […] Massis est un homme qui a besoin de certitudes et dont la pensée vit de certitudes.
Mais Monsieur Lavedan cache l’absence, le vide de sa pensée à force de verbiage et de verbalisme. […] Soit ignorance, soit volonté d’être ignorant, un jargon prétentieux et relâché servait alors d’habit à la pensée. […] Indiscrétion, la pensée de Pascal défigurée en un marivaudage de vaudeville. […] Il est vrai que le style montre en quelque sorte le visage des pensées et des sentiments. […] La maxime, strict habit d’une pensée nerveuse, porte loin les traits, les pointes, les cinglades d’esprit.
Il faut même quelquefois sacrifier un peu de la pensée à l’élégance de l’expression : c’est une gêne que l’orateur n’éprouve jamais. […] Le faux-esprit est autre chose que de l’esprit déplacé : ce n’est pas seulement une pensée fausse, car elle pourroit être fausse sans être ingénieuse ; c’est une pensée fausse & recherchée. […] Bouhours : c’est un terme hasardé, mais placé, qui exprime l’énergie & la force des pensées & du style. […] Un ouvrage peut être foible par les pensées ou par le style ; par les pensées ; quand elles sont trop communes, ou lorsqu’étant justes, elles ne sont pas assez approfondies ; par le style, quand il est dépourvû d’images, de tours, de figures qui reveillent l’attention. […] L’harmonie de ces vers de quatre piés consiste dans le choix heureux des mots & des rimes croisées : foible mérite sans les pensées & les images.
« Des pensées inexprimables s’amoncelèrent ainsi en lui toute la journée. […] De là misère, nécessité d’abandonner son enfant, retours de sa pensée vers son pays natal, où cependant elle n’avait d’autre famille que les noms du pays, les rues et les portes des maisons. […] « Si le grain de mil sous la meule avait des pensées, il penserait sans doute ce que pensait Jean Valjean. […] Mais il faut lire cette scène, écrite comme elle est pensée, dans le roman, ici trois fois vertueux, de Victor Hugo. […] Parce que tout homme trouve en lui le discernement prompt et sûr qui fait admettre ou rejeter une pensée fausse, surtout en matière sociale, et que tout homme porte en lui le goût qui fait discerner le propre et le sale dans la langue comme dans la nature.
. — Venez, venez, esprits qui excitez les pensées homicides ; dépouillez-moi de mon sexe en cet instant, et remplissez-moi du sommet de la tête jusqu’à la plante des pieds, remplissez-moi de la plus atroce cruauté. […] ou n’es-tu qu’un poignard né de ma pensée, le produit mensonger d’une tête fatiguée du battement de mes artères ? […] pourquoi vous enfermer dans la solitude, ne cherchant pour compagnie que les images les plus funestes, toujours appliqué à des pensées qui, en vérité, devraient être mortes avec celui dont elles vous occupent ? […] Il connaît ta pensée ; écoute ses paroles, mais ne dis rien. […] Désormais, les premiers mouvements de mon cœur seront aussi les premiers mouvements de ma main ; dès à présent, pour couronner mes pensées par les actes, il faut, par une exécution aussi prompte que ma volonté, surprendre le château de Macduff, m’emparer de Fife, passer au fil de l’épée sa femme, ses petits enfants, et tout ce qui a le malheur d’être de sa race.
Heureusement, il est d’autres langues moins tourmentées par les révolutions, moins variables dans leurs formes, parlées par des peuples voués à l’immobilité, chez lesquels le mouvement des idées ne nécessite pas de continuelles modifications dans l’instrument des idées ; celles-là subsistent encore comme des témoins, non pas, hâtons-nous de le dire, de la langue primitive, ni même d’une langue primitive mais des procédés primitifs au moyen desquels l’homme réussit à donner à sa pensée une expression extérieure et sociale. […] Qui peut, dans notre état réfléchi, avec nos raffinements métaphysiques et nos sens devenus grossiers, retrouver l’antique harmonie qui existait alors entre la pensée et la sensation, entre l’homme et la nature ? […] cette merveilleuse histoire qui, exécutée d’une manière scientifique et définitive, révolutionnerait la pensée, avec quoi faudra-t-il la construire ? […] L’admiration absolue est toujours superficielle : nul plus que moi n’admire les Pensées de Pascal, les Sermons de Bossuet ; mais je les admire comme œuvres du XVIIe siècle. […] L’histoire de la philosophie, en un mot, devrait être l’histoire des pensées de l’humanité.
Il aime l’esprit pour ce qu’il contient de pensée, et la pensée si elle emprunte à l’esprit, pour s’élever, des ailes légères. […] En conviant cette fois-ci à être votre président de table un simple homme de lettres, j’ai deviné tout de suite que ce n’était pas de l’éloquence que vous attendiez de lui ; je crois même que vous me garderiez une secrète rancune d’y prétendre devant vous, et cette pensée me met bien à mon aise. […] Je vous avoue encore qu’en recevant votre flatteuse invitation, une pensée m’est venue : c’est que vous ne m’appeliez pas seulement pour présider votre banquet, mais un peu aussi pour comparaître devant vous. […] que l’esprit français ait été jamais plus audacieux dans toutes les directions de la pensée et se soit attaqué à des problèmes sociaux plus difficiles et plus profonds ? […] Pour moi, je trouve qu’il y a non seulement quelque enfantillage, mais encore un certain manque de courage et de noblesse à regretter de vivre à l’heure que l’ordre de la nature nous a assignée ; et je suis convaincu, au contraire, que l’amour sincère du temps où l’on vit, quelles que soient ses défaillances, ses tares, ses faiblesses, ses erreurs, est la meilleure condition des grands efforts et des pensées fécondes.
Le discours auquel le prix a été décerné à l’unanimité des suffrages, se distingue par la composition, la justesse de la pensée, le tour aisé et le soin de l’expression ; on sent une plume exercée, châtiée, maîtresse d’elle-même, soit qu’elle coure avec vivacité, soit qu’elle se complaise au développement. […] D’autres concurrents toutefois, moins heureux dans l’exécution, mais louables encore dans la pensée, avaient abordé le sujet par d’autres aspects, et soulevé, sans les résoudre, quelques-unes des difficultés qui demeurent jusqu’ici pendantes. […] Mais elle est encore autre chose, messieurs, elle est un instrument plus puissant, ou du moins plus actif, l’expression et l’organe perpétuel des pensées, des travaux de toute une vie.
Avant son intervention cependant et son installation au cœur du sujet, pour persuader aux hommes instruits qui sont entrés dans la pensée de cette édition nouvelle, qu’elle était importante, qu’elle était indispensable, qu’il ne s’agissait pas seulement de quelques points à rectifier çà et là, mais qu’il y avait lieu, en effet, à une réparation et presque à une restitution continue, il a fallu bien des instances, bien des pas et bien des paroles (je le sais, moi qui en ai été quelquefois le porteur et le messager), il a fallu montrer à l’avance bien des passages et des exemples comme preuve décisive de l’étendue du ravage et du mal profond qu’on avait à réparer. […] On a commence par Pascal : on nous a rendu, en bouleversant notre texte d’habitude, toute la hardiesse et l’incohérence première de ses Pensées ; ç’a été une révolution. […] Sage, judicieuse, bien pensée et bien écrite, cette Notice ne laisse un peu à désirer que pour la vivacité et le mouvement ; mais Mme de Sévigné qui succède en a de reste pour deux et pour mille.
C’est assez indiquer ma pensée, et je n’abuserai pas. […] Sous ce nom de rhétorique, qui n’implique pas dans ma pensée une défaveur absolue, je suis bien loin de blâmer d’ailleurs et d’exclure les jugements du goût, les impressions immédiates et vives ; je ne renonce pas à Quintilien, je le circonscris8. […] Je revêtirai ma pensée de noms illustres.
Léonard, s’il ne vient que très-loin après eux pour l’originalité du cadre et de la pensée, pour la vigueur et la nouveauté du pinceau, a su du moins conserver du charme par le naturel. […] L’épigraphe qu’il emprunte à Valère-Maxime déclare tout d’abord sa pensée : « Du moment qu’on s’aime de l’amour à la fois le plus passionné et le plus pur, mieux vaut mille fois se voir unis dans la mort que séparés dans la vie. » Je crois pouvoir rapporter aussi à ce séjour de Liège la jolie pièce intitulée le Nouveau Philémon, où figurent Deux ermites voisins des campagnes belgiques. […] … » Combien de fois dans ma pensée J’ai dit, les yeux baignés de pleurs : Ne verrai-je plus les couleurs Du dieu qui répand la rosée ?
Les Fables Nous pouvons négliger tout le reste de l’œuvre de La Fontaine, les Contes, si ennuyeux et si tristement vides de pensée dans la grâce légère de leur style, tout le théâtre, les Poèmes sur le Quinquina et la captivité de Saint-Malo, les pièces détachées, les lettres. […] Cette forme expressive et souple, qui se défait et se refait sans cesse, qui se coule librement, sans aucune contrainte technique, sur la pensée ou le sentiment, n’est-ce pas la perfection de ce que quelques-uns de nos contemporains s’évertuent à chercher ? […] Sous l’apparente fadeur des idylles de madame Deshoulières426, dans les retours fréquents qu’elle fait sur sa fortune, quand on perce les transparentes allégories, il y a bien de l’amertume, un triste désenchantement des hommes et de la vie, un fond singulier de libre pensée.
Quelle est la vraie pensée qui vit dans ces yeux ? […] Quand le malade, en proie au râle suprême et déjà noyé dans les brouillards de la dernière heure, aurait écouté sans trop de résistance ces questions insidieuses : — L’affaire du Mexique n’est-elle pas la plus grande pensée du règne ? […] Ce qui trompe, ce qui fait qu’on lui prête des complications de pensée et de caractère, c’est la bizarrerie de sa silhouette et le pittoresque de sa destinée.
Or la palme du poète serait à celui qui le plus juste sait dire les vers, au meilleur chantre ; qui le plus vrai sait traduire sa pensée, au meilleur artiste ; qui le plus droit sait mener son âme, au meilleur homme. […] Il est aussi quelques autres, avertis combien la forme de Mallarmé le traduit fidèlement, simplement, qu’il est modèle de pensée libre, hardie, harmonieuse, d’expression originale, non professeur d’un procédé. […] Un philosophe explicateur dirait : un fait divers est un moment d’infini et d’éternité, fonction de toute réalité dans l’infini spatial et temporel, fonction de toute pensée dans l’échelle illimitée des compréhensions ; notre conception d’un fait divers est un échelon entre une infinité d’autres conceptions, symbolisations psychologiques (dont on peut imaginer la hiérarchie) supérieure ou inférieure d’un même concret ; le rêve est l’effort vers les traductions symboliques les plus hautes.
Il est évident que dans la pensée de M. […] Car l’esprit critique s’enseigne suivant certaines formes, certaines méthodes, et dans un certain plan de pensée. […] Elle non plus ne dépend ni des différences, ni des ressemblances des idées, mais des sanctions que l’école applique à ceux qui n’ont pas gardé les idées assimilées dans leur ordre essentiel, précis ; et c’est ainsi que l’école fixe peu à peu les formes de notre pensée et nous met à même de penser par catégories bien précises et bien nettes.
Combien de tels raffinements étaient loin d’approcher de ces hautes et saines pensées ! […] J’en distingue une intitulée Soirée perdue, où il a entrecroisé assez gracieusement un motif d’André Chénier avec une pensée de Molière, une satire Sur la paresse, où le poète s’est excité d’une lecture de Régnier ; un joli conte, Simone, où il s’est souvenu de Boccace et de La Fontaine ; mais surtout un Souvenir plein de charme et de passion encore, où il ne s’est inspiré que de lui-même. […] Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées, Des vulgaires douleurs linceul accoutumé, Que viennent étaler sur leurs amours passées Ceux qui n’ont point aimé !
Tout le reste, division de discours, preuves triomphantes & naturelles, érudition choisie, pensées neuves & sublimes, figures hardies, raisonnemens forts & suivis, pathétique admirable, diction élégante & correcte, lui sembloit étranger. […] Quelle profondeur de raisonnemens, quelle rapidité de pensées, quel langage élevé, pur, élégant & pittoresque dans le grand saint Basile, qu’Érasme osoit préférer à Démosthène ! […] Leurs sermons, remplis de pensées fausses, extravagantes, de pointes & d’illusions puériles, de comparaisons basses & burlesques, de toutes sortes de bouffonneries & de peintures qui blessent la pudeur ; le tout, rendu dans un jargon barbare, moitié François, moitié Latin, sont au-dessous de nos farces & de nos parades.