Les personnages de la tragédie sont nobles ; ils nous montrent le principe moral vainqueur du principe animal : donc les personnages de la comédie doivent nous montrer le principe animal victorieux du principe moral ; ils doivent êtres ivres, poltrons, vains, débauchés, paresseux, gourmands ou égoïstes. […] quoi de plus moral ? […] Or, l’admiration a par elle-même un bon effet moral. […] Uranie conserve avec soin et exerce continuellement son sens moral, comme l’organe le plus précieux de la critique317. […] Mais la véritable propédeutique pour fonder le goût est le développement des idées morales et la culture du sentiment moral.
La religion leur fournissait une théorie achevée du monde moral ; d’après cette théorie latente ou expresse, ils décrivaient l’homme et accommodaient leurs observations au type préconçu. […] Les sciences morales se détachent de la théologie et se soudent comme un prolongement aux sciences physiques. […] Tel est d’abord le climat, c’est-à-dire le degré du chaud et du froid, du sec et de l’humide, avec ses conséquences infinies sur le physique et sur le moral de l’homme, par suite sur la servitude ou la liberté politique, civile et domestique. […] Nous voici arrivés au centre des sciences morales, il s’agit de l’homme en général. […] C’est ainsi qu’il faut procéder dans toutes les sciences, et notamment dans les sciences morales et politiques.
Le Bovarysme moral : Illusion du libre-arbitre. — Sa conséquence : la responsabilité. — Illusion de l’unité de la personne. […] Il suit de là que le mal moral ne devrait pas exister. […] Ainsi cette distinction établie entre le bien moral et l’agréable ne laisse place à aucune liberté. […] Mais cette nouvelle conception, comme on va le voir, est aussi destructrice que la précédente de l’hypothèse d’un libre arbitre : car elle ne laisse non plus aucune place à l’existence du mal moral, en sorte que l’existence du mal moral, que les moralistes accordent, la détruit. […] Comme elle n’a plus recours à une opposition entre l’agréable et le bien moral, une seule et même inclination suffit à expliquer tous les actes.
L’hébreu et le sanscrit portent dans leurs racines l’empreinte d’un sens intellectuel et moral, au lieu de porter l’empreinte d’un sens matériel et physique. […] Les sens, que l’homme a en commun avec les animaux, ne feraient de lui qu’un animal plus parfait à cause de la perfection relative de ses organes, la parole seule en fait un être intelligent et moral, c’est-à-dire l’homme. […] Comme expression du sentiment moral, la parole a des limites qui ne peuvent se déterminer. […] Le sentiment moral, le sentiment religieux, le sentiment de l’infini : telle est l’impression générale qui doit résulter de toute poésie. […] Les hommes isolés peuvent obéir à mille mauvais penchants ; réunis, une révérentielle honte, comme disait Montaigne, vient les saisir, tant il est vrai que Dieu a placé un instinct moral dans la société.
Taine a pu rédiger, à des intervalles divers, depuis vingt ans, et classer sous ce titre qui exprime, je crois, son principal souci moral : Préparation à la mort. […] Or, il considère qu’elles n’eussent pas été telles et ne se seraient pas abstenues des plaisirs, si elles n’avaient eu pour précepteurs moraux que notre Marc-Aurèle ou notre Spinoza. […] ∾ Note VI. — Aujourd’hui, en écrivant mon Sonnet VI sur les chats, j’ai constaté que mon point de vue moral ne s’est jamais déplacé. […] Séparons l’ordre moral de l’ordre scientifique, usons de distinctions, sans quoi il n’y aurait que désordre et mauvaise foi, mais fortifions ceux qui aspirent, eux aussi, au bien idéal. […] ∾ Voilà, j’en suis certain, par quel noble souci moral et par quels raisonnements M.
Avant-propos Toutes les sciences morales subissent en ce moment une crise dont le signe caractéristique peut se résumer dans cette formule : antinomie des théories de la science et des principes de la conscience. […] Tant que la contradiction subsistera sur ce point vital, les sciences morales ne seront point assurées d’avoir trouvé leur base. […] En montrant que les écoles qui se contredisent et s’excluent réciproquement ont chacune leur part légitime dans l’œuvre commune des sciences morales, que la contradiction entre leurs diverses conclusions ne commence que du moment où elles dépassent la mesure de leur compétence propre, affirmant ou niant ce qu’elles n’ont pas pour objet de constater.
Si l’ordre matériel avait été promptement rétabli, l’ordre moral restait assez profondément troublé. […] Elle a déplacé en quelque façon les pôles du monde moral. […] Beau criterium moral, n’est-il pas vrai ? […] Même scepticisme moral, même pessimisme désespérant. […] Des causes morales peuvent seules rendre compte de ces faits.
Ménager les convenances morales, c’est respecter les talents, les services et les vertus ; c’est honorer dans chaque homme les droits que sa vie lui donne à l’estime publique. […] Dans un pays où l’on anéantit tout l’ascendant des idées morales, la crainte de la mort peut seule remuer les âmes. […] L’éloquence ne peut se composer que d’idées morales et de sentiments vertueux : et dans quels cœurs retentiraient maintenant des paroles généreuses ? […] Mais si les vérités morales parviennent un jour à la démonstration, et que la langue qui doit les exprimer arrive presque à la précision mathématique, que deviendra l’éloquence ? […] Il se peut que des malheurs soient attachés à ces avantages ; mais pour se préserver de ces malheurs, il faut anéantir tout ce qu’il y a d’utile, de grand et de généreux dans l’exercice des facultés morales.
Voilà la conception maîtresse, qui consiste à ériger le devoir en roi absolu de la vie humaine, et à prosterner tous les modèles idéaux au pied du modèle moral. […] La seule différence qui sépare ces problèmes moraux des problèmes physiques, c’est que les directions et les grandeurs ne se laissent pas évaluer ni préciser dans les premiers comme dans les seconds. […] Il y a ici des couples dans le monde moral, comme il y en a dans le monde physique, aussi rigoureusement enchaînés, et aussi universellement répandus dans l’un que dans l’autre. […] La question posée en ce moment est celle-ci : Étant donné une littérature, une philosophie, une société, un art, telle classe d’arts, quel est l’état moral qui la produit ? et quelles sont les conditions de race, de moment et de milieu les plus propres à produire cet état moral ?
Ce n’est pas telle ou telle conception de l’idéal moral ; c’est l’ensemble des règles qui déterminent effectivement la conduite. […] Quiconque entreprend d’étudier la morale du dehors et comme une réalité extérieure, paraît à ces délicats dénué de sens moral, comme le vivisectionniste semble au vulgaire dénué de la sensibilité commune. […] Il fut un temps où les sentiments relatifs aux choses du monde physique, ayant eux-mêmes un caractère religieux ou moral, s’opposaient avec non moins de force à l’établissement des sciences physiques. […] Toutes les fois que nous sommes en présence d’un fait qui présente ce caractère, nous n’avons pas le droit de lui dénier la qualification de moral ; car c’est la preuve qu’il est de même nature que les autres faits moraux. […] En dehors des actes individuels qu’elles suscitent, les habitudes collectives s’expriment sous des formes définies, règles juridiques, morales, dictons populaires, faits de structure sociale, etc.
Buffon, traçant un portrait du caractère moral de la race nègre, avait dit : « Je ne puis écrire leur histoire sans m’attendrir sur leur état. […] Sa description de l’homme moral nous reporte au plus beau moment de la philosophie spiritualiste du dix-septième siècle. […] Buffon croit que des sens plus exercés ajouteraient à nos facultés morales. […] On ne les attendait pas ; ils viennent tout à coup rappeler l’intelligence au but moral de toute science, qui est de savoir pour mieux valoir. […] Aux uns il prête des qualités morales qui supposeraient tout au moins un principe intérieur spirituel ; il charge les autres de défauts qui supposent une perversité calculée.
Nous découvrirons aux sentiments moraux des sources plus profondes. […] Nous nous appesantirons plus tard sur ce point ; nous ne voulons pas encore discuter les théories morales. […] Chacune de ces habitudes, qu’on pourra appeler « morales », sera contingente. […] Encore une fois, il y a une certaine difficulté à comparer entre elles les deux morales parce qu’elles ne se présentent plus à l’état pur. […] En creusant maintenant sous cette illusion commune à toutes les morales théoriques, voici ce qu’on trouverait.
Il n’y eut pas d’années perdues pour son progrès moral. […] Aussi, à la différence de l’être moral, l’artiste n’a-t-il aucun mérite personnel dans ses créations. […] Vouloir, dans l’ordre moral, c’est presque pouvoir ; une intention ferme et droite équivaut à l’action. […] L’homme ne peut rien sans Dieu pour réaliser le bien moral ; mais Dieu ne peut rien sans l’homme. […] Il est seulement inférieur au monde invisible, au monde moral.
Elle blâme ceux qui jugent des choses morales d’après des principes différents de ceux qu’elle prescrit ; elle ridiculise ceux qui s’inspirent d’une autre esthétique que la sienne. […] Autre chose est la valeur économique, autre chose les valeurs morales, religieuses, esthétiques, spéculatives. […] Sans doute, l’égalitarisme moral est une limite idéale qui ne sera jamais atteinte, mais nous nous en rapprochons toujours davantage. […] C’est ce sentiment, variable suivant les peuples et les époques, qui est à la racine de l’idéal moral des sociétés contemporaines. […] La pensée distincte a prise sur lui comme sur le reste de l’univers physique ou moral.
Il existait, avant la révolution, plusieurs écrivains qui avaient acquis une grande réputation, sans jamais considérer les objets sous un point de vue général, et en ramenant toutes les idées morales et politiques à la littérature, au lieu de rattacher la littérature à toutes les idées morales et politiques. […] Les pensées qui peuvent être offertes sous le double aspect du sentiment et de l’imagination, sont des pensées premières dans l’ordre moral ; mais les idées trop fines n’ont point de termes de comparaison dans la nature animée. […] Garat, dans ses Leçons aux Écoles normales, modèle de perfection en ce genre, et Rivarol, malgré quelques expressions recherchées, font concevoir parfaitement la possibilité de cette concordance entre l’image tirée de la nature physique, et l’idée qui sert à former la chaîne des principes et de leurs déductions dans l’ordre moral. […] Les écrivains font sans cesse des fautes semblables, quand ils veulent développer des sentiments profonds ou des vérités morales. […] La vraie dignité du langage est le meilleur moyen de prononcer toutes les distances morales, d’inspirer un respect qui améliore celui qui l’éprouve.
Section 12, des siecles illustres et de la part que les causes morales ont au progrès des arts Tous les siecles ne sont pas également fertiles en grands artisans. […] On trouve d’abord que les causes morales ont beaucoup de part à la difference sensible qui est entre les siecles. J’appelle ici causes morales, celles qui operent en faveur des arts, sans donner réellement plus d’esprit aux artisans, et en un mot sans faire dans la nature aucun changement physique, mais qui sont seulement pour les artisans une occasion de perfectionner leur génie, parce que ces causes leur rendent le travail plus facile, et parce qu’elles les excitent par l’émulation et par les recompenses, à l’étude et à l’application. J’appelle donc des causes morales de la perfection des arts, la condition heureuse où se trouve la patrie des peintres et des poëtes lorsqu’ils fournissent leur carriere ; l’inclination de leur souverain et de leurs concitoïens pour les beaux arts ; enfin, les excellens maîtres qui vivent de leur temps, dont les enseignemens abregent les études et en assurent le fruit ? […] On trouve que les causes morales ont beaucoup favorisé les arts dans les siecles où la poësie et la peinture ont fleuri.
Là où d’autres, en vieillissant, abondent en anecdotes, en noms propres et en souvenirs, en scènes où leur imagination se plaît à retrouver des couleurs et à ranimer les personnages, eux ils s’appliquent à dégager la substance de leur observation, et à disposer leur trésor moral comme un blé mûr ou comme un fruit qu’on réserve. […] Cependant quelques esprits dont c’est la forme favorite et la propension intérieure n’ont pas cessé d’écrire des réflexions morales, des pensées : nous autres critiques, à qui l’on s’ouvre volontiers de ses désirs ou de son faible, et qu’on traite confidentiellement comme des directeurs ou des médecins, nous recevons beaucoup de livres dont le public n’est pas informé, et qui nous montrent que la série des principaux genres a sa raison dans le jeu naturel et dans le cadre permanent des facultés. […] La partie de l’ouvrage dans laquelle M. de Latena se montre le plus lui-même, et avec ses avantages, est celle où il a pied en terre et où il parle de ce monde où il a vécu, de ces sentiments moraux qu’il a éprouvés ou observés avec justesse et délicatesse. […] Car, pour louer ensuite plus à mon aise M. de Latena, je veux en passant avouer une disposition de mon esprit qui est peut-être un faible, mais dont je ne puis faire tout à fait abstraction dans mes jugements : je suis (sans être Alcibiade) du goût de celui-ci, à qui Socrate disait : « Vous demandez toujours quelque chose de tout neuf ; vous n’aimez pas à entendre deux fois la même chose. » Je suis de ceux qui, dans cet ordre moral, pencheraient plus volontiers du côté du nouveau (si le nouveau est possible) que du trop connu ; en ce qui est de l’expression, le brillant du tour et la pointe (dans le sens des anciens) ne me déplaisent pas non plus autant qu’à d’autres.
Le docteur Léon Simon vient de donner une traduction fort soignée du grand ouvrage de Dugald Stewart, Philosophie des facultés actives et morales de l’homme. […] Mais ici, le philosophe, par une psychologie moins abstraite et moins exclusivement rationnelle, aborde l’homme du côté des penchants actifs, des passions et instincts qui sont les mobiles réels des facultés de l’intelligence ; il marche davantage sur les traces d’Adam Smith, et nous donne sa théorie des sentiments moraux. […] Quelque opinion qu’on garde après la lecture du livre sur la réalité de ces divisions qu’une philosophie plus forte trouverait sans doute moyen de simplifier et de réduire, ce qu’il faut reconnaître, c’est l’agréable et instructif chemin par lequel le philosophe nous a menés ; c’est cette multitude de remarques fines, judicieuses et ingénieuses, tempérées, qu’il a semées sous nos pas ; c’est ce jour si indulgent et si doux qu’il sait jeter sur la nature humaine en y pénétrant ; c’est l’émotion honnête qu’il excite en nous, tout en nous apprenant à décomposer et à observer ; ce sont les heureuses applications morales et pratiques, le choix et l’atticisme des exemples, et les fleurs d’une littérature si délicatement cultivée à travers les recherches de la philosophie. […] C’est ainsi que Dugald Stewart, après sa Philosophie de l’esprit humain, a publié sa Philosophie des facultés actives et morales.
Il n’y a rien là absolument de « moral » ; c’est un marché. […] Il y a des morales pour l’étranger et contre l’étranger. Il n’y a aucune identité des morales humaines. […] Il n’y a pas deux morales, il y en a un nombre indéterminé. […] Ils n’ont pas à être moraux ; ils ont à n’être pas immoraux.
L’âme se prouve par des raisons psychologiques et morales indépendantes de la physiologie ; fût-elle liée, dans l’exercice de ses puissances, à certaines conditions organiques déterminées (ce que d’ailleurs nul ne peut nier), il ne s’ensuivrait nullement qu’elle se confondit avec ces conditions mêmes. […] Oui, l’âme se prouve par des raisons morales et psychologiques indépendantes de la physiologie. […] N’est-il pas légitime de soumettre à la critique cette assertion de Cabanis que « le moral n’est que le physique retourné » ? […] Lyell, n’hésite pas cependant à écrire : « Nous ne devons pas considérer comme admis que chaque amélioration des facultés de l’âme dépende d’un perfectionnement de la structure du corps ; car pourquoi l’âme, c’est-à-dire l’ensemble des plus hautes facultés morales et intellectuelles, n’aurait-elle pas la première place nu lieu de la seconde, dans le plan d’un développement progressif1 ?
Le théoricien de l’athéisme moral, le grand a-narchiste de l’humanité ! […] Plus les lois s’élèvent au-dessus des simples rapports réglementaires d’homme à homme jusqu’au rapport de l’homme spiritualisé avec Dieu, plus elles sont ce qu’on appelle morales, plus elles ennoblissent, sanctifient, divinisent la société. […] Il faudrait des volumes pour énumérer toutes les choses physiques et morales qui forment l’inventaire des propriétés physiques et morales nécessaires à la vie de l’humanité ; ce sont ces choses qui ont fait de l’homme, en comparaison des autres êtres qui ne possèdent que ce qu’ils dérobent, le premier des êtres, l’être propriétaire, le plus beau nom de l’homme ! […] L’équité est un sens composé de deux poids égaux que Dieu a mis, pour ainsi dire, dans chaque main de l’homme ; poids au moyen desquels l’homme pèse forcément en lui-même si tel de ces poids est égal à l’autre, et si l’équilibre moral est établi ou rompu entre les choses. […] Dieu lui doit la même part de sa providence, puisqu’il l’a créé avec la même part de son amour ; la société lui doit la même part de sa justice, puisqu’elle lui impose, proportionnellement à son intelligence et à ses forces, la même part de ses charges, de ses sacrifices, de ses lois dans l’ordre moral.
On voit donc qu’en poussant la doctrine de la nécessité même à sa plus complète exagération, la distinction entre le bien moral et le mal n’en subsisterait pas moins. « La réalité des distinctions morales et la liberté de nos volitions sont des questions indépendantes l’une de l’autre. […] En d’autres termes, nous sommes soumis à l’obligation morale de rechercher l’amélioration de notre caractère moral. […] Telle est l’ingénieuse théorie par laquelle Stuart Mill, fidèle à ses deux principes : procéder par induction et tout ramener à des associations d’idées, croit pouvoir expliquer la genèse du sens moral. […] Et de même que l’intuition d’espace correspond aux démonstrations exactes de la géométrie, les intuitions morales correspondent aux démonstrations de la science morale.
Mais les, profondes imperfections de la philosophie monothéique qui présidait alors à cette grande opération ont dû en altérer beaucoup l’efficacité, et même en compromettre gravement la stabilité, en suscitant bientôt un fatal conflit entre l’essor intellectuel et le développement moral. […] Outre cette impuissance croissante pour protéger les règles morales, l’esprit théologique leur a souvent nui aussi d’une manière active, par les divagations qu’il a suscitées, depuis qu’il n’est plus suffisamment disciplinable, sous l’inévitable essor du libre examen individuel. […] Ce nouveau régime mental dissipe spontanément la fatale opposition qui, depuis la fin du Moyen Âge, existe de plus en plus entre les besoins intellectuels et les besoins moraux. […] Sous ces conditions naturelles, l’école positive tend, d’un côté, à consolider tous les pouvoirs actuels chez leurs possesseurs quelconques, et, de l’autre, à leur imposer des obligations morales de plus en plus conformes aux vrais besoins des peuples. […] Le vrai loisir ne doit manquer habituellement que dans la classe qui s’en croit spécialement douée ; car, à raison même de sa fortune et de sa position, elle reste communément préoccupée d’actives inquiétudes, qui ne comportent presque jamais un véritable calme, intellectuel et moral.
Mais tout en écrivant ces romans avec un procédé littéraire de pointillement dans le détail que je trouve inférieur, et qu’ils avaient pris dans le genre d’étude qu’ils avaient fait du xviiie siècle, ils perdirent peu à peu le sentiment moral qui se révoltait souvent en eux contre le siècle même qu’ils aimaient tant, et dont ils n’avaient entrepris de faire l’histoire que parce qu’ils l’aimaient. […] Et non seulement ces Lavatériens de l’Histoire s’étaient servis des portraits d’une époque pour en connaître mieux les hommes, mais ils s’étaient emparés de tous les produits d’art laissés par les sociétés derrière elles pour expliquer l’état moral de ces sociétés. […] Et, chose dont il faut leur tenir compte encore plus que de l’enthousiasme et de la vie dont ce livre déborde par-dessus les frivolités dont il est plein, c’est le sentiment moral opposé bien souvent à l’enthousiasme que le xviiie siècle leur inspire, et créant même, à certains moments, un enthousiasme contraire. […] Je cite rarement, mais il faut citer, pour que le Goncourt qui nous reste, le réaliste d’à présent, le jaloux de Zola, comprenne où est la vérité littéraire dans ce qu’elle a de plus profond, de plus pathétique et de plus grand, c’est-à-dire de plus moral. […] On pourrait dire d’elles, dans le sens moral, qu’elles dépassent de toute la tête la Messaline antique.
Cette assertion est également vraie pour le sentiment moral. […] La parole, qui est le sens social, et qui a dû être, dès l’origine, un sens parfait comme les autres, est, en même temps, le sens par lequel nous existons comme êtres moraux et comme êtres intelligents. […] L’homme naît donc soumis aux lois de son organisation, non seulement comme être moral et comme être intelligent, mais encore comme être social ; il suffirait même de dire comme être social, car cette désignation comprend les deux autres. […] Au reste, si j’ai employé les mots physiologie et organisation, en parlant du sens intellectuel et moral de la parole, c’est pour me faire mieux comprendre, pour rendre mieux sensible l’analogie de ce sens particulier avec les autres sens de l’homme. […] Cet illustre auteur, dans ses Recherches philosophiques sur les premiers objets de nos connaissances morales, qu’il vient de publier, a fortifié par de nouvelles preuves, par de nouveaux raisonnements, par la discussion des systèmes opposés, la théorie du don primitif de la parole.
Vinet lui-même, considéré dans son œuvre et dans sa vie, qu’il offrait en quelque sorte l’image d’un Pascal réduit et modéré, d’un Pascal plus aisément circoncis dans ses essors et dans ses désirs, mais dont le centre moral était le même et dont le cœur était comme taillé sur le cœur de l’autre. […] Sans me permettre de contredire cette vue, qui se lie étroitement à la croyance, je ferai seulement remarquer que tel n’était point exactement le dessein primitif de Pascal, et que, tout en insistant au début sur les preuves morales intérieures, il n’aurait rien négligé, dans son ouvrage, de ce qui pouvait saisir l’imagination des hommes et déterminer indirectement leur persuasion. […] Vinet, d’un guide connaissant mieux les profondeurs du monde moral, ses défilés étroits et ses détours, ses abîmes et même ses orages cachés. […] Jamais je n’ai goûté autant la sobre et pure jouissance de l’esprit, et je n’ai eu plus vif le sentiment moral de la pensée.
Chapitre V : Rapports du physique et du moral. […] Bain a étudié les rapports du physique et du moral dans son récent livre l’Esprit et le Corps 189. […] « Ainsi, il n’y a pas action de l’esprit sur le corps et du corps sur l’esprit ; il y a l’esprit et le corps réunis déterminant un résultat à la fois physique et moral. […] Il verra que pour l’auteur « les actions les plus élevées de l’esprit ont essentiellement le même caractère que les actions réflexes, mais sont bien plus compliqués. » C’est là une grosse question posée en passant : à notre avis elle contient la question du rapport du physique et du moral dans sa totalité : mais ce n’est pas ici le lieu de l’aborder193.
Gaberel, inséré en 1858, dans la Bibliothèque universelle de Genève, une communication faite par lui vers le même temps à l’Académie des sciences morales et politiques, et dont M. […] Il considère cette société antérieure et postérieure à l’individu ; il la voit subsistante, nécessaire, harmonieuse, agissant en mille façons et par toutes sortes d’influences inappréciables, plus mère encore que marâtre, ne retirant à l’homme primitif du côté des forces physiques que pour rendre davantage par le moral à l’homme actuel, et imposant dès lors à quiconque naît dans son sein des devoirs, des obligations qui ne sont point proprement de particulier à particulier, mais qui prennent un caractère commun et général : Car les individus, dit-il, à qui je dois la vie, et ceux qui m’ont fourni le nécessaire, et ceux qui ont cultivé mon âme, et ceux qui m’ont communiqué leurs talents, peuvent n’être plus ; mais les lois qui protégèrent mon enfance ne meurent point ; les bonnes mœurs dont j’ai reçu l’heureuse habitude, les secours que j’ai trouvés prêts au besoin, la liberté civile dont j’ai joui, tous les biens que j’ai acquis, tous les plaisirs que j’ai goûtés, je les dois à cette police universelle qui dirige les soins publics à l’avantage de tous les hommes, qui prévoyait mes besoins avant ma naissance, et qui fera respecter mes cendres après ma mort. […] En décrivant cet état moral à la fois ému et apaisé, ce sentiment de délicieuse convalescence, et en osant ainsi proposer son âme pour exemple en réponse aux questions de son amie, il ne fait, dit-il, que lui rendre le fruit de ses soins et lui montrer son propre ouvrage. Je ne serre pas de trop près, je ne veux pas démêler ce qu’il peut y avoir de vague et d’indécis sous ces phrases si nettes et si fermes de ton ; j’applique à Rousseau le précepte qu’il nous a donné pour le bien lire : « Mes écrits ne peuvent plaire qu’à ceux qui les lisent avec le même cœur qui les a dictés » ; et je dis que Rousseau, dans ces pages où il invoque si vivement le sentiment moral tel que tout honnête homme le trouve en lui-même dans une société civilisée, est moral lui-même et religieux.
Notre position est toute différente, puisque, nous nous occupons seulement d’intérêts politiques ; puisque enfin les intérêts moraux sont fondés, et qu’il n’y a plus à s’occuper qu’à les conserver. […] Le christianisme, en outre, a mis dans le monde des idées morales qui ne peuvent plus en être exclues, qui sont la sauvegarde de la civilisation, et qui, par conséquent, serviraient encore à le conserver, indépendamment même de son origine divine, et du fait de la révélation. […] Rousseau est le type de cette sorte de découragement moral ; et, pendant bien des années, tous les jeunes gens doués de quelque talent auraient pu écrire la plupart des pages des Confessions, celles surtout qui sont d’une lecture si douloureuse dans les Rêveries du promeneur solitaire. […] Ce n’était point assez que le monde physique fût livré aux incertitudes et à l’esprit de système, nous voulions dénaturer encore le monde moral et achever de décolorer la vie. […] Les sociétés anciennes n’auraient pu subsister, sans l’esclavage, parce que les idées morales, qui n’existent que depuis le christianisme, peuvent seules contenir une multitude chez qui est la force par le nombre, et en qui le besoin de l’égalité tend toujours à développer tous les instincts antisociaux.
Ainsi, quand on découvrirait un monument artistique dont un homme appartenant à une communauté de ce genre serait fauteur, l’analyse pourrait peut-être déduire de cette œuvre les caractères moraux des semblables et des frères de ce dernier. […] Ces différences physiques correspondent à des différences morales plus profondes encore et se joignent à de grandes variations dans le temps. […] Poèmes didactiques et satiriques Le romancero, Canzoneros Poèmes moraux allégoriques. […] L’expérience montre qu’il existe une ressemblance accusée entre le type moral des admirateurs d’un auteur et cet auteur même. […] Les faits nous ont montré qu’au physique et au moral, ils le sont souvent ».
. — Caractères et signes des événements moraux élémentaires. — Phénomènes réflexes. — Expériences de Vulpian, Landry, Dugès, Claude Bernard. — Indices d’événements moraux dans les centres nerveux inférieurs et secondaires. — Les segments de la moelle. — Analogie probable de ces événements et des sensations élémentaires. — Degrés successifs et correspondance constante du mouvement moléculaire d’un centre nerveux et de l’événement moral. […] Toute idée, voulue ou non, claire ou obscure, complexe ou simple, fugitive ou persistante, implique un mouvement moléculaire déterminé dans les cellules cérébrales. — Mais, outre les événements moraux perceptibles à la conscience, le mouvement moléculaire des centres nerveux éveille encore des événements moraux imperceptibles à la conscience. […] Cela posé, nous voyons le monde moral s’étendre beaucoup au-delà des limites qu’on lui assignait. […] D’où il suit que, si nous trouvons ailleurs une structure nerveuse, des excitations, des réactions, bref tous les accompagnements et toutes les indications physiques que nous avons rencontrés autour des événements moraux dont nous avons conscience, nous aurons le droit de conclure là aussi à la présence d’événements moraux que notre conscience n’atteint pas. […] D’un côté sont les mouvements moléculaires des centres nerveux ; de l’autre côté sont les événements moraux, tous plus ou moins analogues à la sensation.
Il rêve, en pleurant de tendresse, d’une société bien faite et noblement circulaire où chacun restituerait en engrais matériel et moral les bonnes choses avalées par la bouche et par l’oreille. […] Cet individualisme est un héroïsme à la fois intellectuel et moral. […] Affranchis des servitudes matérielles et morales, des espérances, des craintes et des dogmes, seuls nous avons la vraie liberté.
Rousseau religieux et moral. […] Je reconnais encore le protestant dans la puissance du sens moral chez Jean-Jacques. […] Voilà pourquoi je dis de Rousseau que la puissance de son sens moral révèle ses hérédités protestantes. On l’a nié, ce sens moral de Jean-Jacques : et l’on a eu beau jeu à le nier. […] Il y a du vrai pourtant aussi : il a fallu que Rousseau fût supérieurement moral, pour n’avoir pas mal fini, après ses commencements.
Rôle moral et social de l’art. […] III — Rôle moral et social de l’art On s’est souvent demandé si la littérature et l’art étaient moraux ou immoraux. […] C’est ici que l’excès de sociabilité artistique, aboutit à l’affaiblissement même du lien social et moral. […] Dans le domaine physique, la maladie est plus contagieuse que la santé ; de même, dans le domaine moral, la colère, par exemple, ou l’amour des sens sont plus contagieux que la tranquillité d’âme du juste. […] C’est pour cela que les romanciers surtout et les dramaturges préfèrent les caractères vicieux aux caractères moraux.
Idées morales et sociales. — Rôle social de la grande poésie. […] » Ce serait assurément beaucoup dire ; mais on peut soutenir qu’il est possible de trouver chez lui une grande richesse d’aperçus philosophiques, moraux, sociaux, et même de formules philosophiques dont il n’a pas toujours lui-même sondé la profondeur. […] ………………………………………… Hugo préférerait la religion traditionnelle elle-même à tout système qui bannit ainsi du monde l’élément moral. […] Ce tabernacle du firmament, c’est le suaire sous lequel l’âme cherche en vain à découvrir non plus les lois physiques et mathématiques, mais les vraies lois du monde moral, qui semblent ensevelies dans la mort. […] V — Idées morales et sociales.
Bourget est très nettement de ceux qui sont moins préoccupés du monde extérieur que du monde de l’âme, moins sensibles au plaisir de voir et de rendre la forme des choses ou les divers aspects de la mêlée humaine qu’à celui de décomposer des sentiments et des idées en leurs éléments primitifs et de remonter d’un phénomène moral à un autre, jusqu’à tant qu’il s’en trouve un qui soit irréductible. […] Le dilettantisme, ce don d’imaginer avec précision et sympathie les vies morales les plus diverses, implique l’impossibilité de se reposer dans aucune. […] Son style même a comme un timbre auquel on ne se trompe pas : il rend un son plaintif, gémissant, éploré… Sans doute l’absence de croyance positive et l’esprit d’analyse peuvent, chez quelques-uns, se tourner en nonchalance (voyez Montaigne), mais non pas chez ceux dont la sensibilité au bien et au mal moral est exceptionnellement développée. […] Il s’inquiète assez habituellement des conséquences que peuvent avoir les idées qu’il expose pour le bonheur et pour le bien moral de l’humanité. […] Ce qui rend une femme de cet ordre parfaitement inintelligible à un libertin, c’est qu’il s’est habitué, lui, à séparer les choses du plaisir des choses du cœur et à goûter le plaisir dans des conditions avilissantes ; au lieu que la femme romanesque, et qui aime, n’ayant connu le plaisir qu’associé à la plus noble exaltation, reporte sur ses jouissances le culte qu’elle a pour ses émotions morales.
Nisard la phrase célèbre : « Il y a deux morales », phrase qui dépassait assurément la pensée de M. […] Qu’il y ait « deux morales », il l’avait cru à son heure, le prince aux yeux troubles et aux pensées vagues qui allait faire une des meilleures actions de son règne en élevant au premier rang le professeur du lycée Saint-Louis. […] Duruy est surtout original en ceci, qu’à la scrupuleuse critique d’un savant moderne il joint constamment le souci moral d’un historien antique. […] C’est autant peut-être par ce souci moral que par amour de la vérité vraie qu’il évite de faire trop large la part des personnages historiques, même des plus séduisants. […] Elles rappellent aux âmes inquiètes que, entre les croyances confessionnelles et le doute ou la négation, il reste à la conscience des refuges ; qu’il est toute une vénérable tradition de postulats moraux, sur qui l’on peut dire que, depuis les temps historiques, ont vécu tous les hommes de bien : car ceux mêmes d’entre eux qui n’y croyaient pas ont agi comme s’ils y croyaient, et ceux, qui croyaient à quelque chose de plus croyaient donc à cela aussi.
Stuart Mill, qui fait remarquer justement combien la méthode des sciences morales et sociales est peu avancée, s’est attaqué résolûment à celle de la psychologie : il y revient à plusieurs reprises67 et sa pensée ne laisse rien à désirer en clarté, sur ce point. […] Comte revendique pour les physiologistes seuls la connaissance scientifique des phénomènes intellectuels et moraux. […] Or si l’expérience n’explique pas l’expérience, à fortiori elle n’explique pas les idées des choses morales, supra-sensibles : l’expérience en est l’occasion et non la source. […] Mill ; si nous pouvions reconstituer par synthèse une situation psychologique, comme nous pouvons calculer une position astronomique ; si nous étions capables de prévoir ; qui ne comprend que ce serait là un secret important pour la connaissance des hommes, pour l’éducation, pour la politique, pour toutes les sciences morales et sociales, et que la psychologie serait leur base, comme la physique est celle des sciences de la matière ? […] « Le nom de psychologie, dit l’auteur, désignant la science des lois fondamentales de l’esprit, le nom d’éthologie sera celui de la science ultérieure, qui détermine le genre de caractère, produit conformément à ces lois générales par un ensemble quelconque de circonstances physiques ou morales.
Dans ce champ immense encore presque inexploré, Darwin n’a creusé qu’un seul point : le sens moral. Les deux chapitres283 qu’il a consacrés à étudier ce fait psychologique chez l’homme et chez les autres animaux, à en montrer les conséquences sociales, à rechercher comment la puissance intellectuelle et les aptitudes morales ont dû jouer un grand rôle dans le struggle for life de l’homme contre la nature, contre les autres espèces animales, contre les formes inférieures de sa propre espèce, renferment un grand nombre de faits intéressants, de vues curieuses et neuves ; bref, sont très propres à initier à la nouvelle méthode philosophique les esprits imbus des idées courantes. — Son Expression des Emotions traite un point de la corrélation du physique et du moral. […] On est unanime à ranger parmi les émotions composées toutes les manifestations du sentiment esthétique et du sentiment moral. […] Si la psychologie a sa base dans la physiologie, elle sert de base à son tour aux sciences morales, sociales et politiques.
Cette tendance se traduit sous deux aspects : l’un passionnel, l’autre moral. […] Sous le second aspect, sous la forme du souci moral, la recherche est, à vrai dire, la même, quelques voies tortueuses et détournées où elle s’engage pour atteindre son but. […] Sous ce double aspect passionnel et moral, le rôle de la sensation, considérée comme but, est considérable dans la vie phénoménale : c’est elle qui prépare le spectacle, les intrigues et les complications dont l’esprit spectateur va se repaître ensuite d’un point de vue analytique ou esthétique. […] Les vérités morales, c’est-à-dire celles qui, dans l’ordre vital, semblent aussi les dernières venues et se sont constituées, comme les vérités scientifiques, avec la collaboration ou tout au moins sous le regard de la conscience humaine, les vérités morales vont aussi nous laisser voir, malgré le masque rigoureusement dogmatique qu’elles affectent durant le temps de leur règne, leur caractère éphémère et leur rôle secondaire de moyens pour procurer des fins très différentes des buts vers lesquelles elles ordonnent de tendre.
Saint Thomas d’Aquin1 [Le Pays, 19 avril 1859] I Si l’Académie des sciences morales et politiques n’avait pas pris sur elle de mettre au concours saint Thomas d’Aquin et sa doctrine, quel livre ou quel journal, avec la superficialité de nos mœurs littéraires, eût osé jamais parler d’un tel sujet ? […] certes, il ne fallait rien moins que la prépondérance de l’Académie des sciences morales et politiques sur l’opinion pour faire de saint Thomas d’Aquin une actualité. […] Charles Jourdain eût été mis au monde par l’Académie des sciences morales et politiques, il se faisait, depuis 1854, une traduction de la Somme de saint Thomas, texte latin en regard, avec notes, commentaires, éclaircissements et toute l’armature nécessaire à un pareil vaisseau en matière de livre ; et qui l’a annoncée ? […] voilà le théologien dans l’œuvre duquel l’Académie des sciences morales et politiques, qui bat, en ce moment, le ban et l’arrière-ban de la Philosophie en détresse, a donné l’ordre d’aller chercher un philosophe, et M.
Moyennant quoi l’on voit se dégager à demi des ténèbres qui les rendent redoutables quelques-unes des lois qui semblent présider au développement moral du monde : lois de solidarité, de réversibilité, de responsabilité collective, d’expiation familiale ; et par suite on entrevoit d’étranges communications, non encore définies, des âmes entre elles et de celles des vivants avec celles des morts, de subites et effrayantes lacunes de la personnalité et de l’identité du moi, et des sortes de substitutions de consciences […] Et pourtant il y a ici autre chose : un rêve moral édifié sur une hypothèse scientifique. […] L’histoire d’une famille peut exiger des siècles et des siècles pour que le drame moral y soit complet : patiens quia æternus.
Le dix-neuvième siècle finira par des découvertes encore mal formulées, mais aussi importantes peut-être dans le monde moral que celles de Newton ou de Laplace dans le monde sidéral : attraction des sensibilités et des volontés, solidarité des intelligences, pénétrabilité des consciences. […] La religion enveloppe une cosmologie embryonnaire, en même temps qu’une morale plus ou moins pure, et, enfin, elle est essentiellement un essai pour réconcilier l’une avec l’autre, pour mettre d’accord nos aspirations morales et même sensibles avec les lois du monde qui régissent la vie et la mort. […] L’art véritable, au contraire, sans poursuivre extérieurement un but moral et social, a en lui-même sa moralité profonde et sa profonde sociabilité, qui seule fait sa santé et sa vitalité.
Toutes les complications de l’action sont des complications morales. […] Ne nous y trompons pas : il n’y a d’original, de grand, de vrai dans les Romains de Corneille que ce qui est cornélien, et non romain, c’est-à-dire le mécanisme moral. […] Tout le mécanisme moral de la tragédie se déduit de la définition cartésienne et cornélienne de l’amour. […] Or il n’a pas nécessairement un caractère moral. […] Par une certaine amplification des effets, Corneille relie aux causes morales des crimes tragiques qu’elles ne devraient pas produire.
Les individus diffèrent beaucoup moins les uns des autres par leurs besoins économiques que par leurs besoins sentimentaux, intellectuels et moraux. […] De même les socialistes d’aujourd’hui mettent à part l’organisation économique d’un côté et de l’autre côté les croyances religieuses et morales, ces dernières considérées comme « choses privées ». Le domaine économique semble par définition indifférent aux religions et aux morales et par là-même soustrait à la mainmise de l’Esprit prêtre, ce grand ennemi de l’individualité. […] La principale de ces contraintes est la division du travail dont on a souvent signalé la répercussion funeste sur le physique et surtout le moral du travailleur. […] Selon lui, les qualités morales de magnificence, de générosité, d’initiative, de maîtrise de soi, de fierté sociale, de noblesse d’âme ne peuvent s’allier qu’à une très grande richesse.
Conversations littéraires et morales par H. […] Rigault répond aux uns et aux autres : il montre qu’on ne touche pas dans les classes à l’épicurisme d’Horace sans y mettre le correctif moral, et qu’on ne se rencontre pas face à face avec les Gracques sans avertir du danger des lois agraires : « On semble se persuader, dit-il, que nous n’admirons l’Antiquité qu’en ne la jugeant pas, et qu’à peine nous mettons le pied sur les ruines de Rome, nos habits deviennent des tuniques. […] Dans ses dernières années (1855-1858), il essaya même de créer au Journal des Débats, pour une revue de quinzaine, un feuilleton moral où il renouvelait le genre d’Addison. […] Mais un Charles Nodier verrait la chose autrement, avec fantaisie, boutade et poésie ; il n’aurait pas tant cherché « le sens philosophique de la poupée » ni « le progrès moral des joujoux », et Polichinelle, avec sa double bosse, aurait trouvé grâce devant lui. […] Soyez un homme pur, moral, régulier, adonné dès vos jeunes ans à tous les justes devoirs, à toutes les bonnes et louables habitudes, à tous les nobles exercices qui entretiennent et qui préservent la santé de l’esprit, et vous êtes frappé dans la force de la jeunesse ; vous l’êtes comme ne l’est pas toujours celui qui s’est livré à tous les excès, qui a usé et abusé de tout !
Je ne veux pas me répandre en complaintes morales et en pressentiments sinistres ; mais je n’hésite pas à affirmer qu’il n’y a point d’imagination qui puisse se représenter avec une vérité suffisante ce qui arriverait en nous et autour de nous si la place qu’y tiennent les croyances chrétiennes se trouvait tout à coup vide, et leur empire anéanti. […] Mais au moral c’est bien pis, si vous le prenez par ce côté du sentiment. […] On est le premier à savoir que les transformations du monde moral lui-même, comme celles du monde physique, ne se font qu’avec une extrême lenteur et moyennant des milliers de siècles ; qu’il serait téméraire de les devancer, et que rien qu’à vouloir les trop présager à l’avance et les prédire on risquerait d’amener des soulèvements anticipés et des explosions partielles. Mon savant n’a donc rien de menaçant, ni d’engageant, ni de contagieux ; il est même, pour peu qu’on le veuille, une preuve vivante à l’appui de l’insuffisance et des misères morales de la science. […] Mais je me souviens trop bien des phases morales par lesquelles j’ai passé dans ma jeunesse, de mes sensibilités et de mes inconstances poétiques, de l’âge où j’ai rêvé les Consolations de celui où j’ai écrit Volupté et nombre de pages de Port-Royal , pour avoir jamais la prétention de m’offrir à l’état d’un type quelconque.
Sorel938, où les faits bien choisis, bien contrôlés, bien évalués, conduisent d’eux-mêmes la réflexion du lecteur à saisir les états moraux collectifs ou individuels qui s’y révèlent. […] Dieu est pour lui « la catégorie de l’idéal » ; et la religion, c’est « la beauté dans l’ordre moral ». Par la religion se satisfait l’instinct moral de l’humanité ; ainsi, aucune religion n’étant vraie, toutes les religions sont vraies ; et toutes sont bonnes — quand on ne les applique qu’à leur office. […] Puis, d’une façon plus générale, il nous a encouragés à ne pas nous arrêter dans le dilettantisme artistique ou dans l’impassibilité scientifique, à considérer la littérature comme une collection d’actes humains, libres et moraux ; c’est-à-dire qu’il nous amène à poser toujours la question de la valeur morale, des propriétés morales de chaque œuvre. […] Martha (né en 1820) : les Moralistes sous l’empire romain (1854) ; le Poème de Lucrèce (1869) ; Études morales sur l’antiquité (1883) ; la Délicatesse dans l’art, 1884, Hachette, in-18.
Oui, il viendra un jour où l’humanité ne croira plus, mais où elle saura ; un jour où elle saura le monde métaphysique et moral, comme elle sait déjà le monde physique ; un jour où le gouvernement de l’humanité ne sera plus livré au hasard et à l’intrigue, mais à la discussion rationnelle du meilleur et des moyens les plus efficaces de l’atteindre. […] Appliquée aux choses morales, elle a détruit ces consolantes croyances que rien ne remplace dans le cœur qui s’y est reposé. […] Sans doute ce monde enchanté, où a vécu l’humanité avant d’arriver à la vie réfléchie, ce monde conçu comme moral, passionné, plein de vie et de sentiment, avait un charme inexprimable, et il se peut qu’en face de cette nature sévère et inflexible que nous a créée le rationalisme, quelques-uns se prennent à regretter le miracle et à reprocher à l’expérience de l’avoir banni de l’univers. […] D’ailleurs, il est certain que le vrai système moral des choses est infiniment supérieur aux misérables hypothèses que renverse la sévère raison, qu’un jour la science retrouvera une réalité mille fois plus belle et qu’ainsi la critique aura été un premier pas vers des croyances plus consolantes que celles qu’elle semble détruire. […] Fichte, dans l’ouvrage où se révèle le mieux son admirable sens moral, a merveilleusement exprimé ce sacerdoce de la science (De la destinée du savant et de l’homme de lettres, 4e leçon.
Parler de La Fontaine n’est jamais un ennui, même quand on serait bien sûr de n’y rien apporter de nouveau : c’est parler de l’expérience même, du résultat moral de la vie, du bon sens pratique, fin et profond, universel et divers, égayé de raillerie, animé de charme et d’imagination, corrigé encore et embelli par les meilleurs sentiments, consolé surtout par l’amitié ; c’est parler enfin de toutes ces choses qu’on ne sent jamais mieux que lorsqu’on a mûri soi-même. […] Chez les Orientaux, à l’origine, quand la sagesse primitive s’y déguisait sous d’heureuses paraboles pour parler aux rois, elle pouvait avoir son élévation et sa grandeur ; mais, transplantée dans notre Occident et réduite à n’être qu’un récit tout court qui amène après lui son distique ou son quatrain moral, je n’y vois qu’une forme d’instruction véritablement à l’usage des enfants. […] Dans le monde physique pas plus que dans le monde moral, l’apparence ne le déçoit. […] Mais au premier rang dans l’ordre de la beauté, il faut placer ces grandes fables morales Le Berger et le Roi, Le Paysan du Danube, où il entre un sentiment éloquent de l’histoire et presque de la politique ; puis ces autres fables qui, dans leur ensemble, sont un tableau complet, d’un tour plus terminé, et pleines également de philosophie, Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes, Le Savetier et le Financier, cette dernière parfaite en soi comme une grande scène, comme une comédie resserrée de Molière. […] C’est alors que Lamartine paraissant trouva en poésie des accents nouveaux qui répondirent à ce vague état moral des imaginations et des cœurs.
Portez-la dans le monde moral ; essayez de vous entendre quand vous parlez de la destinée d’un peuple, du génie d’une nation, des forces vives de la société, de l’influence d’un climat ou d’un siècle, de l’expansion d’une race, de la puissance des anciennes institutions. […] L’axiome fataliste se réduit à un fait d’histoire politique et à un groupe d’habitudes morales ; on l’entend, et dès lors on peut le discuter, le vérifier, le prouver, le réfuter et le limiter. […] La même analyse crée les sciences morales, et par le même moyen. […] Dans les sciences morales comme dans les sciences physiques, le progrès consiste dans l’emploi de l’analyse, et tout l’effort de l’analyse est de multiplier les faits que désigne un nom. […] L’analyse ajoute le monde moral au monde physique, et complète les événements par les sentiments.
Nous aurons à nous occuper de tous ceux qui, le voulant ou ne le voulant pas, ont exprimé des idées morales. […] Ce qui nous importe surtout, c’est ce qui exprime les idées morales de Rabelais, et ce qui explique l’effet qu’il a produit. […] Oui, dans le domaine moral, les qualités du modèle se combinent pour former celles de l’observateur. […] D’ailleurs, plusieurs de ses pensées supposent chez lui la croyance à la réalité du sens moral. […] Ce principe, on l’appelle, selon le point de vue, devoir, sens moral, conscience, amour, Dieu.
Empêcher l’homme de descendre certaines pentes sentimentales, certaines pentes morales, certaines pentes de conduite, n’est-ce point le travail et la plus grande partie du secret de tant d’arts et des plus grandes morales. […] Les morales raides sont infiniment moins sévères que les morales souples, étant infiniment moins serrées. […] Et ce sont les morales souples au contraire qui exigent un cœur perpétuellement tenu à jour. […] Ce sont les morales souples et non pas les morales raides qui excercent les contraintes les plus implacablement dures. […] Ce sont les morales souples, les méthodes souples, les logiques souples qui excercent les astreintes impeccables.
En voulant déterminer les conditions principales d’une industrie, il en vint à reconnaître que le procédé technique n’était plus que la chose secondaire et que la condition essentielle tenait le plus souvent à un ressort moral, à un sentiment de fixité, de stabilité, d’affection et d’attachement au sol ainsi qu’à l’œuvre collective et à la communauté dont on fait partie. […] Le Play, « à indiquer la tendance naturelle des populations ouvrières, et à prouver qu’elles savent préférer, même à des nouveautés séduisantes, une existence rude, mais fondée en toute sécurité sur le patronage et sur un bon régime de subventions. » Ces problèmes moraux occupèrent bientôt M. […] Jamais, dans son travail, il n’a fait fléchir la méthode : sa description est claire, nette, exacte, complète, mais toute positive et scientifique ; il a réservé les considérations morales, et les conclusions qu’il était induit à tirer de ses tableaux comparatifs, pour des appendices qu’il y a joints. […] C’est le même langage uni et simple que dans son livre, avec l’abondance de plus, avec la particularité et un certain accent qui grave Il y a lieu de croire que la Révolution de 1848, les graves problèmes qu’elle souleva et les sombres pensées qu’elle fit naître, introduisirent un degré d’examen de plus dans quelques parties du livre, et tinrent plus constamment en éveil l’attention de l’observateur sur le principe moral qui maintient dans l’ordre certaines populations d’ouvriers, moins avancées et plus heureuses pourtant que d’autres. […] Dans tout état de société, — qu’il s’agisse de la Russie méridionale et des paysans agriculteurs, chez qui la religion n’empêche sans doute ni l’intempérance, ni la ruse, ni la fraude, ni bien des vices, mais à qui elle inspire un pieux et absolu respect dans les rapports des fils aux parents, « une résignation stoïque dans les souffrances physiques et morales, et, en présence de la mort, une assurance, une sérénité qui a parfois un véritable caractère de grandeur » ; — qu’il s’agisse, tout au contraire, des peuples et des régimes les plus avancés, tels que l’Angleterre, chez qui les hautes classes et les lords peuvent être dissolus à leur aise, mais que gouverne réellement et que maintient avec fermeté, en présence des masses chartistes, l’immense classe bourgeoise ou rurale moyenne, tout imprégnée de la Bible et de la forte moralité qui en découle ; — partout l’élément religieux, sous une forme ou sous une autre, lui a paru essentiel à la durée et à la stabilité des sociétés.
Vinet855, un Suisse, un protestant, a mêlé de fortes préoccupations morales à l’étude des œuvres littéraires : esprit grave, solide, ingénieux, fécond en idées et en vues sur toutes les parties de notre littérature qui posent le problème moral ou religieux. […] Il n’y a pas tant à raffiner sur son cas : c’est un homme que le jeu des réalités morales a prodigieusement intéressé. […] Taine, à l’analyse, n’aperçoit plus, dans l’univers moral et physique, que des sensations et des mouvements : chaque être est « une ligne d’événements dont rien ne dure que la forme » ; selon notre perception des choses, « un écoulement universel, une succession intarissable de météores qui ne flamboient que pour s’éteindre et se rallumer et s’éteindre encore sans trêve ni fin, tels sont les caractères du monde », et la nature est « comme une grande aurore boréale863 ». […] Les Fables de La Fontaine s’expliquent par le caractère de la Champagne, patrie de l’auteur, par la vie qu’il a menée, et par les habitudes intellectuelles et morales de la société du xviie siècle.
Le monde fini seul, physique et moral, est à la portée de la méthode scientifique. […] Elle a défendu la liberté humaine au point de vue philosophique, moral et politique. […] Le problème c’est la complexité, la dualité de l’être humain, physique et moral, âme et corps. […] Si elle ne résout pas ces problèmes moraux qui assiègent la pensée de l’homme, elle peut être une poésie ; elle n’est pas une religion. […] Guizot, qui n’a pas craint de défendre en beaucoup de circonstances la cause de l’Église catholique, se croit aussi le droit de signaler dans la conduite de cette Église ce qu’il appelle « un certain manque de clairvoyance religieuse autant que de prudence politique », et il reconnaît que, « tant que le gouvernement de l’Église n’aura pas accepté et accompli cette œuvre de conciliation, les amis de la liberté auront sujet et raison de se tenir envers ce gouvernement dans une réserve vigilante, au nom des principes moraux et libéraux qu’il désavoue. » Cette défiance toutefois n’est autorisée qu’envers une seule Église.
Très, souvent, chez les vrais artistes, l’existence pratique est l’extérieur, le superficiel ; c’est par l’œuvre que se traduit le mieux le caractère moral. […] Le plus souvent l’historien est comme le prophète après coup ; il cherche dans les mœurs, dans les lectures favorites, dans les circonstances de la vie les causes qui ont déterminé telle ou telle œuvre, et il ne s’aperçoit pas que toutes ces circonstances s’expliquent par les raisons mêmes qui ont produit l’œuvre : le génie intimement lié avec le caractère moral. […] L’homme ne tend pas moins, et tout naturellement, à persister dans son état moral. […] A mesure que l’individu fera partie d’un ensemble social plus diversifié et plus étendu, dont l’organisation meilleure exigera moins de sacrifices moraux de la part des citoyens, ceux-ci pourront plus facilement conserver leurs facultés propres, sans qu’elles aient besoin d’acquérir une extrême intensité pour résister à une extrême pression sociale. […] Muillier (Allgemeine Ethnologie), tout en admettant l’influence de l’habitat et de la nourriture sur les caractères physiques et moraux, ne peut donner de cette action que des exemples extrêmement vagues et généraux.
Harmonies morales. — Dévotions populaires. Nous quittons les harmonies physiques des monuments religieux et des scènes de la nature pour entrer dans les harmonies morales du christianisme. […] Il s’agit seulement de savoir si leur but est moral, si elles tendent mieux que les lois elles-mêmes à conduire la foule à la vertu.
Mais il y a aussi de certaines faiblesses morales vues avec complaisance, caressées avec affection par le pécheur qui s’y abandonne. […] Si l’idéal de la tragédie consiste dans l’asservissement de l’être sensuel à l’être moral, l’idéal de la comédie doit nécessairement nous montrer l’inverse ; l’asservissement de l’être moral à l’être matériel63. […] Les monstruosités morales appartiennent de droit à l’extravagance volontaire de la farce, et c’est pourquoi le personnage représenté par Harpagon est un des lieux communs de l’opéra buffa des Italiens. […] Mais ce n’est pas avec des sentences morales qu’il est possible d’égayer une comédie ; ce n’est pas avec de longs plaidoyers sur la corruption du monde que l’on peut animer un drame et le rendre vivant. […] Le secret du poète comique pour empêcher que nos sentiments moraux ne soient blessés, ce n’est pas de tenter entre son art et la morale une conciliation impossible, c’est de les séparer par convenance.
Grille Miettes littéraires, biographiques et morales . […] Grille, vient d’offrir au public trois volumes de renseignements, de lettres et d’anecdotes, sous le titre de Miettes littéraires, biographiques et morales 7.
C’est une des facultés les plus naturelles et les plus universelles de l’homme que de reproduire en lui par l’imagination et la pensée, et en dehors de lui par l’art et par la parole, l’univers matériel et l’univers moral au sein duquel il a été placé par la Providence. […] Le sentiment est le troisième, parce que, à la vue ou au souvenir de ces choses survenues et repeintes dans notre âme, cette sensibilité fait ressentir à l’homme des impressions, physiques ou morales, presque aussi intenses et aussi pénétrantes que le seraient les impressions de ces choses mêmes, si elles étaient réelles et présentes devant nos yeux. […] Il sent éclore en lui des milliers de pensées, d’images, de sentiments qui lui étaient inconnus ; de matériel qu’il était, un moment avant d’avoir ouvert ce livre, il devient un être intellectuel, et bientôt après un être moral. […] Il lui apprend le patriotisme par le récit des exploits de ses héros, qui quittent leur royaume paternel, qui s’arrachent des bras de leurs mères et de leurs épouses pour aller sacrifier leur sang dans des expéditions nationales, comme la guerre de Troie, pour illustrer leur commune patrie ; il lui apprend les calamités de ces guerres dans les assauts et les incendies de Troie ; il lui apprend l’amitié dans Achille et Patrocle, la sagesse dans Mentor, la fidélité conjugale dans Andromaque ; la piété pour la vieillesse dans le vieux Priam, à qui Achille rend en pleurant le corps de son fils Hector ; l’horreur pour l’outrage des morts dans ce cadavre d’Hector traîné sept fois autour des murs de sa patrie ; la piété dans Astyanax, son fils, emmené en esclavage dans le sein de sa mère par les Grecs ; la vengeance des dieux dans la mort précoce d’Achille ; les suites de l’infidélité dans Hélène ; le mépris pour la trahison du foyer domestique dans Ménélas ; la sainteté des lois, l’utilité des métiers, l’invention et la beauté des arts ; partout, enfin, l’interprétation des images de la nature, contenant toutes un sens moral, révélé dans chacun de ses phénomènes sur la terre, sur la mer, dans le ciel ; sorte d’alphabet entre Dieu et l’homme, si complet, et si bien épelé dans les vers d’Homère, que le monde moral, le monde matériel, réfléchis l’un dans l’autre comme le firmament dans l’eau, semblent n’être plus qu’une seule pensée et ne parler qu’une seule et même langue à l’intelligence de l’aveugle divin ! […] N’est-il pas évident qu’après un long et familier entretien avec ce livre l’homme brutal et féroce aurait disparu, et l’homme intellectuel et moral serait éclos dans ce barbare, auquel les dieux auraient enseigné ainsi Homère ?
Elle se caractérise par une diminution des contraintes matérielles et des pénalités légales et par un renforcement des sanctions morales (opinion). […] La multiplicité des cercles sociaux auxquels il participe avertit l’individu des contradictions sociales, des conflits entre groupes et entre morales de groupe ; elle suscite en lui le doute sur le bien-fondé de ces morales ; elle arme l’individu de cette salutaire méfiance qui sera pour lui une défense et comme un bouclier contre les prétentions excessives de l’autorité sociale. — Ce n’est pas tout. […] Le mensonge égoïste est jugé répréhensible ; le mensonge de groupe est moral et méritoire. […] Ce dernier individualisme n’est pas purement négatif et destructif ; il ne nie pas la société ; il désire l’améliorer et l’élever moralement. — Mais ce désir moral ne se réalise jamais que très imparfaitement. […] Bouglé, « Les conséquences morales de l’entrecroisement des groupes » (Revue bleue du 29 décembre 1906) et « Individualisme et sociologie » (Revue bleue du 4 novembre 1903).
comme il y verse la lumière, le sentiment de paix, de silence ; et comme il y introduit un sentiment moral aussi ! […] Dans le paysage, il a le moral du Poussin, la lumière du Lorrain, et, en décrivant ces objets que d’autres avant lui avaient jugés affreux ou inanimés, il a des mollesses et des blancheurs du Guide. […] Qu’on y voie la grotte où ce grand homme vécut abandonné des Grecs qu’il avait servis, son pot de bois, … l’arc et les flèches d’Hercule… Et il compose ainsi tout un effet moral qui gagne à un certain éloignement et devient plus auguste à distance, « parce que faire du bien aux hommes, dit-il, et n’être plus à leur portée, est une ressemblance avec la Divinité ». […] Il en fait un tableau enchanteur et moral, dans lequel il n’oublie pas les inscriptions bocagères des amants. […] Toutes ces harmonies, tous ces contrastes, ces réverbérations morales dont il a tant parlé dans les Études et dont il traçait une poétique un peu vague, il les a ici réalisés dans un cadre heureux, où, dès l’abord, le site, les noms des lieux, les aspects divers du paysage sont faits pour éveiller les pressentiments et pour concourir à l’émotion de l’ensemble.
C’est de l’homme primitif et non de l’homme moral ; ce n’est pas du devoir. […] Pour sortir vainqueur de ces angoisses un seul moyen se présente : les activités morales. […] L’ivresse de la pensée ruine aussi sûrement l’organisme moral que celle du vin l’organisme corporel. […] Les hommes du Réveil abdiquaient les prétentions humaines par raisons morales. […] Qui est le psychologique et non le moral.
La musique n’est pas un danger pour les gens sanguins, et elle peut être même pour eux un moyen de perfectionnement moral. […] Je crains à mon tour que votre choix, tout dicté qu’il est par les intentions les plus morales, ne soit un choix déplorable. […] Le trésor de ces drames héroïques et mystiques n’a pas grossi le patrimoine moral du genre humain. […] Eh bien, supposez que cette colonie existe en effet ; quel sera pour toutes ces âmes, venues de tous les points de l’horizon, séparées par des éducations différentes, imbues de doctrines contraires, mais ayant toutes, sans exception, respiré l’air de leur siècle, le lien moral qui les rattachera les unes aux autres par le respect et l’amour, le terrain moral sur lequel elles se rencontreront, le miroir moral dans lequel elles reconnaîtront leur ressemblance fraternelle ? […] Il agissait comme il pensait, selon ses doctrines de l’heure présente et ses préoccupations morales du moment.
Supposez toutes les religions disparaissant tout à coup, il se fera certainement un grand vide dans l’âme humaine, et il y aura, si j’ose le dire, une perte effroyable de force vive dans l’ordre moral ; ce que l’on gagnerait en lumière ne compenserait que très-imparfaitement ce que l’on perdrait en énergie et en vitalité morale. Or la philosophie morale ne peut se le dissimuler : en faisant le vide dans lésâmes religieuses, elle contribue pour sa part au déchet moral que nous signalons. Elle compense à la vérité ce mal par la hauteur de son enseignement moral ; mais cette compensation est insuffisante : c’est du moins notre profonde conviction. […] Si le spiritualisme, par exemple, consentait à sacrifier quelque chose de ses tendances anthropomorphiques, si le panthéisme consentait à introduire l’élément moral et spirituel dans le principe absolu de l’univers, peut-être y aurait-il lieu à un rapprochement entre des opinions qui se discréditent réciproquement par leurs polémiques perpétuelles ?
Elle n’est pour lui que la « révélation des lois de notre entendement, c’est-à-dire des vérités de sens moral et de sens commun, et dont le principe est dans nous tous tant que nous sommes ». […] Pour cette raison, l’idée du « sens moral et commun révélé par les lois de notre entendement » que je trouve sous sa plume, je la connais, et puisqu’il s’agit de la vérité, je ne suis pas honteux de dire qu’elle m’épouvante. […] Puisque le Dr Athanase Renard est chrétien, il ne doit y avoir pour lui que l’Église et son impératif catégorique, comme dit Kant, avec sa précision barbare ; et si c’est l’Église, ce n’est plus « le sens moral et commun dont le principe est dans nous tous tant que nous sommes ». […] Une des plus belles parties du livre en question est l’histoire de ce sens commun et moral que l’auteur appelle : « la philosophie de tout le monde », mais qui n’est la philosophie de tout le monde que quand nulle autre philosophie ne l’a dépravé.
À part les révolutions de palais qui interrompaient le cours régulier de cet ordre de choses et en changeaient les principaux personnages, en dehors de ces accidents naturels et de ces sinistres compensations du pouvoir absolu, il y avait, durant toute cette époque dont votre théorie préconise la salutaire immobilité, il y avait alors sans cesse la plus active rébellion du sentiment moral, le plus ardent foyer pour les intelligences et les cœurs. […] Il a, sur cette vaste terre, suppléé par le scrupule moral et la contrainte volontaire à la rare et timide intervention d’une force officielle ; il a gouverné religieusement ces hommes si difficiles à maîtriser par l’autorité humaine ; et ainsi, à cette société active et calme, irrésistible et presque incontrôlable dans son droit populaire, il avait donné pour contrepoids et pour modérateur le droit évangélique228, la loi suprême de justice et de charité. […] Mais la liberté, qui permet bien des erreurs et bien des abus, a du moins ce salutaire effet de ne point les laisser en repos, de les inquiéter sans cesse par la contradiction et le blâme, de soulever au besoin contre eux la conscience humaine, et, tôt ou tard, de corriger la loi par l’instinct moral. […] Mais, dans le génie comme dans la foi, il y a toujours des élus de Dieu : et tant que l’enthousiasme du beau moral ne sera pas banni de tous les cœurs, tant qu’il aura pour soutiens toutes les passions honnêtes de l’âme, il suscitera par moments l’éclair de la pensée poétique ; il éveillera ce qu’avaient senti les prophètes hébreux aux jours de l’oppression ou de la délivrance, ce que sentait ce roi de Sparte, lorsqu’à la veille d’une mort cherchée pour la patrie, il offrait, la tête couronnée de fleurs, un sacrifice aux Muses.
De là, des questions positives qui se mêlent aux questions morales et qui intéressent la condition future de l’homme de Lettres et sa véritable indépendance. […] Et le poète, prenant la parole, décrit avec feu, avec rapidité, les différentes manières de le chercher ; mais, trop jeune sans doute et trop pur pour être censeur impitoyable, il s’arrête, il considère le bien à côté du mal, tant de charité, de dévouement, de patriotisme, de vertus militaires et de sacrifices, de poésie encore, tout ce trésor moral subsistant dans de belles âmes. […] La pièce qui a mérité le second prix offre des caractères assez différents et quelquefois opposés : de la fermeté, de l’habitude, une idée suivie et s’enchaînant avec vigueur dans toutes les parties de son développement, de l’élévation aussi et un sentiment moral s’attaquant à d’autres cordes, mais également vibrant. […] Le poète, à un moment de la pièce, met en opposition les deux points de vue, les deux ordres de considérations morales et sociales. […] La seconde mention a été obtenue par une pièce d’un ton moral élevé, mais où le sujet n’a point paru assez directement traîté.
Après quelque tâtonnement de courte durée, il trouva sa propre veine dans les jolis proverbes, la Crise, le Pour et le Contre, la Clé d’or, la Partie de dames, autant de saynètes morales et qui par là même avaient le mérite d’être neuves. […] » On devine le reste ; c’est la femme qui tout à l’heure est allée brouiller la serrure, en y jetant du sable ; elle retient insensiblement son mari chez elle ; ce jour même, elle a découvert sur la tête du volage ce bienheureux cheveu blanc si désiré, elle prétend bien en tirer parti ; elle s’en empare au moral, ouvre son cœur, exhale ses plaintes du délaissement auquel elle s’est condamnée, dix années durant, pour lui laisser une indépendance entière à laquelle il tenait tant et dont, elle, elle n’a jamais entendu se prévaloir ni s’autoriser ; elle dit et fait si bien qu’elle reconquiert enfin l’infidèle qui ne pense plus à sortir du délicieux réduit. […] Feuillet a discrètement profité des licences de ses devanciers et de ses adversaires eux-mêmes : il lui a suffi de réduire ces licences au taux moral et de les mettre au service du bien. […] Il y a des nuances délicates et fort curieusement observées et démêlées entre ces deux vieux cœurs amoureux de Mme d’Ermel et du docteur Jacobus : il est pourtant impossible de ne pas voir dans de telles productions d’art un genre de conte moral comme chez Marmontel, ou même de conte édifiant comme chez l’évêque Camus. […] Il baptise à merveille l’auteur des Scènes et Proverbes dans sa première manière. — Nos petits-neveux, pour apprécier le piquant du mot, devront savoir qu’il y avait en ce temps-là un journal utile et moral très-répandu, le Musée des Familles.
Mais prenez-le tout entier, et vous vous trouverez en face d’un cas moral des plus intéressants et des plus irritants à la fois, par l’impossibilité où l’on est d’y voir clair jusqu’au fond. […] Remarquez comme, dans la littérature de notre temps, tous nos sentiments, toutes nos façons d’être, toutes nos attitudes intellectuelles et morales se sont tendues et exaspérées. […] Naturellement ils en sont plus choqués que moi, qui ne la considère que comme un problème moral fort intéressant. […] Rochefort fût moins un cas moral qu’un cas littéraire ; que l’intransigeance croissante de son rôle public correspondit moins au développement d’une conviction qu’à celui d’un certain tour d’esprit, et que ce développement n’eût été déterminé que par des événements extérieurs. […] Il voit très clairement la niaiserie ou la méchanceté de quelques-uns de ses collaborateurs en révolution ; mais il jouit de son encanaillement, de son déclassement intellectuel et moral, qui du reste a fait presque toute sa renommée.
Il existe, dans la langue française, sur l’art d’écrire et sur les principes du goût, des traités qui ne laissent rien à désirer9 ; mais il me semble que l’on n’a pas suffisamment analysé les causes morales et politiques, qui modifient l’esprit de la littérature. […] Les chefs-d’œuvre de la littérature, indépendamment des exemples qu’ils présentent, produisent une sorte d’ébranlement moral et physique, un tressaillement d’admiration qui nous dispose aux actions généreuses. […] La méditation profonde qu’exigent les combinaisons des sciences exactes, détourne les savants de s’intéresser aux événements de la vie ; et rien ne convient mieux aux monarques absolus, que des hommes si profondément occupés des lois physiques du monde, qu’ils en abandonnent l’ordre moral à qui voudra s’en saisir. […] L’envie des méchants s’attache à ce rayon lumineux qui brille encore sur la tête de l’homme moral. […] L’espoir d’atteindre à des idées utiles, l’amour de la morale, l’ambition de la gloire, inspirent une force nouvelle ; des impressions vagues, des sentiments qu’on ne peut entièrement se définir, charment un moment la vie, et tout notre être moral s’enivre du bonheur et de l’orgueil de la vertu.
Dieu, pour me soutenir, m’avait réservé pour ce moment un vrai événement intellectuel et moral. […] Tout ce que j’y ai trouvé est pur, élevé, moral, beau et touchant. […] Oui, cette Allemagne me ravit, moins dans sa partie scientifique que dans son esprit moral. […] Cela se comprend ; nos hommes du jour n’ont pas de sens moral. […] Ils veulent un état moral où tout soit rigoureusement formulé, et ils se contenteront d’un fond misérable, pourvu qu’on leur accorde cette forme à laquelle ils tiennent tant.
Il y a des choses curieuses dans les Œuvres Morales de cet Auteur fanatique : entre autres choses, on y apprend un usage singulier parmi les femmes de son temps, la coutume de porter des miroirs attachés à leur ceinture. […] Œuvres morales & diversifiées en Histoires pleines de beaux exemples, enrichies d’enseignemens vertueux, & embellies de plusieurs Sentences & Discours, &c.
Taine construit un portrait moral comme on construirait une pyramide d’Egypte. […] traverser peut-être des crises morales. […] Il le parque dans un tel isolement moral que l’air y doit être irrespirable pour une poitrine humaine. […] Parce que ce philosophe positiviste est un homme très moral. […] Dans le second chapitre, c’est l’être moral qui est décomposé et décrit.
Nisard flatte peut-être l’esprit français dans la définition générale qu’il en donne, il ne flatte nullement les auteurs français en particulier ; et, tout au contraire, en les comparant, en les confrontant sans relâche un à un avec ce premier idéal qu’il s’est proposé et qu’il a dressé comme une figure grandiose au vestibule de son livre, il leur fait subir la plus périlleuse des épreuves, le plus sévère des examens : plus d’un, et des plus célèbres, y laisse une part de lui-même, la partie caduque, éphémère et mensongère ; et, comme après un jugement de Minos ou de Rhadamanthe, c’est l’âme immortelle, c’est l’esprit dans ce qu’il a eu de bon, de pur, dans ce qu’il a de durable, de moral, de salutaire, de conforme et de commun avec le génie français (une des plus belles représentations de l’esprit humain), c’est cela seul qui survit, qui se dégage et qui triomphe. […] Y a-t-il deux hommes, j’entends même deux hommes de goût, qui puissent l’être absolument, surtout quand l’élément moral est pris si fort en considération ? […] Et sur Massillon envers qui il est si sévère, sur ce Massillon qu’on a appelé le Racine de la chaire, vaste orateur cicéronien, aux nuances morales infinies, abondant et suave, est-il donc vrai de dire que certains de ses défauts se peuvent rapprocher de ceux de Lamotte ? […] Nisard, terminé ainsi qu’il a été conçu et sans que l’auteur ait jamais dévié de sa ligne principale, peut être considéré, d’après le point de vue didactique et moral qui y domine, comme une protestation contre le goût du temps, il en est à la fois un témoignage, et il en porte plus d’un signe par la nouveauté du détail, par la curiosité des idées et de l’expression : ce dont je le loue.
Mais lorsque l’exercice de la pensée tend à des résultats moraux et politiques, il doit avoir nécessairement pour objet d’agir sur le sort des hommes. […] L’être moral d’un grand homme doit présenter cette organisation, cette balance, cette compensation, qui seule donne l’idée, dans les caractères comme dans les gouvernements, du repos et de la stabilité. […] Vous ne pouvez attacher le peuple à l’idée même de la vertu, qu’en la lui faisant comprendre par les actions généreuses et le caractère moral de quelques hommes. […] L’enthousiasme qu’inspire la gloire des armes, est le seul qui puisse devenir dangereux à la liberté ; mais cet enthousiasme même n’a de suites funestes que dans les pays où diverses causes ont détruit l’admiration méritée par les qualités morales ou les talents civils.
Marguerite elle-même unit la poésie, le mysticisme, l’humanisme, le zèle de la morale ; on sent dans cette période comme un effort pour réaliser l’idéal italien de l’homme complet, dont le libre développement physique et moral ne souffre point de restriction et de limites. […] La morale reparaît comme l’objet supérieur de la Réforme religieuse : Marot, trop protestant pour rester à la cour, est trop peu moral pour vivre à Genève. […] Ces sciences et la philologie se séparent de la littérature : celle-ci garde l’homme moral, et le grand traducteur du siècle, Amyot, offre Plutarque, non aux philosophes, ni aux grammairiens, mais à tous ceux qui veulent savoir ce que c’est que l’homme et que la vie. […] Dès le temps des luttes, un grand esprit qui s’est tenu à l’écart des luttes a inarqué le but ; éclairé par le Plutarque d’Amyot, Montaigne fixe à la littérature son domaine, la description de l’homme moral ; très positif sous son apparent scepticisme, il exclut à la fois de son idéal l’érudition encyclopédique et l’indifférence morale, et ramène le type italien de l’homme complet au type plus réduit et plus solide de l’honnête homme.
Mais Jésus lui donnait un sens moral, une portée sociale que l’auteur même du Livre de Daniel, dans son enthousiasme apocalyptique avait à peine osé entrevoir. […] Un visionnaire qui n’aurait eu d’autre idée que la proximité du jugement dernier n’eût pas eu ce soin pour l’amélioration de l’homme, et n’eût pas fondé le plus bel enseignement moral que l’humanité ait reçu. […] Nous savons l’histoire de la terre ; les révolutions cosmiques du genre de celle qu’attendait Jésus ne se produisent que par des causes géologiques ou astronomiques, dont on n’a jamais constaté le lien avec les choses morales. […] Nous supposons les conditions du monde réel tout autres qu’elles ne sont ; nous représentons un libérateur moral brisant sans armes les fers du nègre, améliorant la condition du prolétaire, délivrant les nations opprimées.
Quelques sentences bientôt recueillies de souvenir, et surtout son type moral et l’impression qu’il avait laissée, furent ce qui resta de lui. […] Jésus reste pour l’humanité un principe inépuisable de renaissances morales. […] On dirait de grandes influences morales courant le monde, à la manière des épidémies, sans distinction de frontière et de race. […] La société juive offrait l’état intellectuel et moral le plus extraordinaire que l’espèce humaine ait jamais traversé.
Une chose qui nous paraît, du reste, encore plus considérable et plus nouvelle que la méthode inductive elle-même, que ce passage du fini à l’infini dont l’abbé Gratry décrit le mouvement dans l’intelligence avec une si rare précision, c’est la disposition morale de la volonté exigée pour que le mouvement de l’esprit s’opère aisément et s’accomplisse : « Le mouvement intellectuel vers l’infini, c’est-à-dire vers Dieu, est toujours vrai, — a dit l’auteur de la Connaissance de Dieu ; — il est toujours possible, dès que l’homme est doué de raison ; mais il ne s’exécute pas dans l’âme sans un mouvement de cœur correspondant. » Et c’est ainsi que l’abîme entre l’homme moral et l’homme intellectuel est comblé, cet abîme que n’avait pas franchi l’audacieuse pensée de Kant ! […] Sa distinction si saisissante des attributs de Dieu en attributs métaphysiques et moraux correspondant au dogme de la Sainte-Trinité appartient, il est vrai, à saint Thomas d’Aquin, l’Aristote catholique, mais c’est qu’il n’est guère possible de ne pas se servir de la bêche laissée par ce grand homme, quand on veut défricher dans la pensée humaine et aller un peu plus loin que lui. […] Dans le système de l’abbé Gratry, l’homme moral double toujours l’homme métaphysique, et c’est l’homme moral qui a vivifié ce beau travail de sa chaleur presque rayonnante et qui l’a trempé dans les saintes tendresses de l’onction.
Les hommes ne sont pas moraux quand ils sont irréligieux. […] Parce qu’il faut que Dieu soit moral pour qu’on en puisse faire le fondement de la morale. […] Ce sont par exemple les plaisirs esthétiques et les plaisirs moraux. […] Quand la foule demande au tragique de belles suggestions morales, elle est donc très loin d’avoir tort ; elle a même parfaitement raison en tant qu’elle demande au tragique le moral, non parce qu’il est moral, mais parce qu’il est beau. […] Les dieux, les héros, les rois sont-ils moraux, dans les histoires légendaires qu’on raconte en leur honneur ; sont-ils moraux, c’est-à-dire abstinents, tempérants, respectueux de la justice et de l’égalité entre les hommes ?
De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. […] Le samedi 25 juin, l’Académie des sciences morales et politiques a tenu sa séance annuelle ; M. […] Damiron, président actuel de l’Académie des sciences morales et politiques, n’est pas de ceux qui blessent : il a commencé, en quelques paroles très émues, par préconiser le discours éloquent qu’on allait entendre, et que, disait-il, il ne voulait point retarder ; il a annoncé M. […] Jouffroy n’avait rien de cette activité extérieure, et toute la sienne se portait sur le fond même des questions morales et purement philosophiques qui faisaient son charme et son tourment. […] Comme interprète de l’Académie des sciences morales et politiques, et comme auteur de notices et d’éloges, M.
. — Ordre et complication croissante des événements moraux indiqués eu constatés dans les divers centres. — À mesure que l’animal descend dans l’échelle zoologique, les divers centres deviennent de plus en plus indépendants. — Expériences et observations de Dugès, Landry, Vulpian. — Pluralité foncière de l’animal. — L’individu animal ou humain n’est qu’un système. […] Dans le monde physique comme dans le monde moral, la force est cette particularité que possède un fait d’être suivi constamment par un autre fait. […] Ainsi, dans le monde physique comme dans le monde moral, il ne reste rien de ce qu’on entend communément par substance et force ; tout ce qui subsiste, ce sont les événements, leurs conditions et leurs dépendances, les uns moraux ou conçus sur le type de la sensation, les autres physiques ou conçus sur le type du mouvement. […] Comme on l’a montré, cette trame peut être considérée à deux points de vue, soit directement, en elle-même et par la conscience, soit indirectement, par la perception extérieure et d’après les impressions qu’elle produit sur nos sens. — À côté des idées, images et sensations, événements fort composés dont nous avons conscience et que cette particularité distingue des autres événements analogues, sont d’autres événements rudimentaires et élémentaires du même genre, dont nous n’avons pas conscience, et que dénote l’action réflexe : tel est le premier point de vue. — À côté des mouvements moléculaires fort composés qui se passent dans la substance grise des lobes cérébraux et des centres dits sensitifs, sont d’autres mouvements moléculaires analogues et moins composés qui se passent dans la substance grise de la moelle et dans les ganglions du système nerveux sympathique170 ; tel est le second point de vue. — Le premier est le point de vue psychologique ; le second est le point de vue physiologique. — D’après le second, il y a dans l’animal plusieurs centres d’action nerveuse, les ganglions du grand sympathique, les divers segments de la moelle, les divers départements de l’encéphale, plus ou moins subordonnés ou dominateurs, plus ou moins simples ou compliqués, mais tous distincts, mutuellement excitables, et doués des mêmes propriétés fondamentales. — D’après le premier, il y a dans l’animal plusieurs groupes d’événements moraux, idées, images, sensations proprement dites, sensations rudimentaires et élémentaires, tous plus ou moins subordonnés ou dominateurs, plus ou moins simples ou compliqués, mais tous distincts, mutuellement excitables, et plus ou moins voisins de la sensation. — En forçant les termes, on pourrait considérer la moelle comme une file d’encéphales rudimentaires, et les ganglions du système sympathique comme un réseau d’encéphales plus rudimentaires encore171.
J’ai lu ce factum moral ; à l’heure d’en écrire je le feuillette encore à toutes ses pages, et je ne puis en tirer un mot précis sur l’origine et l’objet du devoir proposé. […] Zola, parmi les artistes. — Les positifs : tous les vrais chrétiens et tous les vrais juifs ; « puis les philosophes ou les poètes qui affirment ou chantent l’idéal moral », MM. […] Desjardins cesse d’être théorique et ennuyeux, pour devenir pratique et dangereux : « Nous travaillerons dans le sens de la démocratie libérale… Le protectionnisme et toutes les formes du socialisme d’état nous le combattrons… Une société de secours moral se formera ; ce sera le commencement d’une période militante ; ce que fera cette Société, je ne suis ni capable ni digne de l’exprimer. […] Elle est dangereuse à moins qu’elle ne s’asservisse à la religion laïque qui n’est pas encore promulguée, mais pour la Bible de laquelle tant de fidèles demandent à souscrire ; la science est dangereuse parce qu’elle est autonome, et que nul ne saurait prévoir les conclusions qu’elle commandera et qui contrediront peut-être les dogmes moraux improvisés ; l’art est à proscrire aussi, s’il ne veut pas servir, s’il prétend vivre pour lui-même, non pour l’adorable je ne sais quoi dont de tendres consciences ont cure. […] Cette interversion est capitale ; elle nous déporte du terrain scientifique vers le moral et l’esthétique, et même (bien que le mot ne figure point au Narcisse) vers le religieux.
Or ce patriotisme à la fois très matériel et très moral est précisément propre à toutes les races germaniques. […] Qui a jamais trouvé étonnant qu’un fils ressemblât à son père non seulement au physique, mais au moral ? […] L’action des grandes influences n’explique donc pas l’homme moral. […] Combien ces dernières étaient plus nobles, plus morales et plus complètes ! […] Comprend-on un père assez dépourvu de sens moral pour insulter à ce point à la pudeur de sa fille !
» Quand on voit, au seul point de vue moral, de telles métamorphoses, on maudit les révolutions, on les redoute, non pas pour sa vie, mais pour son propre caractère ; on se demande si l’on n’aurait point en soi quelque travers, quelque fausse vue ou quelque passion maligne, quelque fanatisme caché, qu’elles se chargeraient de développer ensuite et de mettre en lumière pour notre abaissement et notre honte. […] Turgot, c’est Condorcet plus idéal et plus original, c’est Condorcet resté moral et innocent. […] Il est évident que Turgot admet bien plus que Condorcet le sentiment moral intime et direct, et c’est en effet par là que Condorcet a péché. […] Le grand sophisme de Condorcet et son malheur, c’est de n’avoir pas senti en lui le cri du sens moral immédiat, et de s’être trop longtemps tenu pour absous de toutes les manœuvres de parti en vue du plus grand bonheur futur de l’espèce humaine. […] Condorcet restera, quoi qu’on fasse, le plus manifeste exemple de ce que peuvent engendrer de funeste un coin d’esprit faux et d’esprit de système opiniâtrement logé au sein des plus vastes connaissances et de ce qu’on appelle lumières, un germe de fanatisme et de malignité développé au cœur d’une nature primitivement bienveillante, l’application indiscrète et outrée des méthodes mathématiques transportées dans les sciences sociales et morales, l’abus de l’analyse et une crédulité, une superstition abstraite, d’un genre tout nouveau chez ceux même qui se proclament le plus affranchis de toute illusion et de toute croyance.
Il n’est que logique de supposer dans le monde moral des phénomènes analogues de vibration sympathique ou, pour parler le langage psychologique, de détermination réciproque, de suggestion et comme d’obligation mutuelle. […] Avec le retour de la sensibilité cutanée sous l’influence d’un traitement, l’équilibre moral et intellectuel se rétablit. […] Le sentiment moral est essentiellement actif, et, comme dit Kant, téléologique. […] On pourrait dire que le beau est le bien déjà réalisé, et que le bien moral est le beau à réaliser dans l’individu ou dans la société, humaine. […] Alors se crée un milieu moral et mental où nous sommes constamment baignés et qui se mêle à notre vie propre : dans ce milieu, l’induction réciproque multiplie l’intensité de toutes les émotions et celle de toutes les idées, comme il arrive souvent dans les assemblées, où un grand nombre d’hommes réunis sont en communication de sentiments et de pensées.
Elle a soutenu les idées absolues du vrai, du beau et du bien parce que c’est moral, l’existence de Dieu parce que c’est moral, la volonté libre parce que c’est le fondement de la morale. […] Jouffroy n’a jamais eu d’inquiétude que pour le problème de la destinée humaine, qui est la plus haute des questions morales. […] Cousin ne cesse de réfuter les doctrines par leurs conséquences morales, argument contraire, suivant M. […] Cousin, la théorie de la volonté libre dans Maine de Biran, la théorie de l’ordre moral dans Jouffroy. […] Il y a donc des lois immuables dans le monde physique, pourquoi n’y en aurait-il pas dans le monde moral ?
Je l’ai dit, et je le redis avec la plus entière conviction, sans le christianisme, sans les idées morales que le christianisme a mises dans le monde, le despotisme finissait inévitablement par s’acclimater dans la vieille Europe. […] Il faut le dire, Bonaparte a voulu peser sur nous avec le pouvoir qui a précédé le christianisme ; et nous, nous l’avons jugé avec les idées morales que le christianisme a données au monde. […] Si la parole a mis dans le monde intellectuel et moral les idées qui y sont à présent, sera-ce téméraire d’oser dire, par analogie, que le sentiment religieux s’est tellement identifié, par le christianisme, avec les institutions sociales, que ces institutions peuvent se passer désormais de la direction religieuse immédiate ?
Si l’impartialité est de rigueur pour l’historien tout le temps qu’il raconte les faits, scrute les causes et peint les caractères, une fois cette triple trame de l’histoire impassiblement déroulée, il reste la conclusion dernière, le jugement suprême à prononcer ; et cette conclusion et ce jugement ont toujours autant de chaleur, de passion et de vie, qu’il y en a dans la conscience et le sentiment moral de l’historien. […] Or, cela devait être, du reste, dans un historien essentiellement préoccupé de politique, et pour qui les faits moraux ne dominent pas tout, comme pour nous, et n’expliquent pas tout, dans l’Histoire ! […] Malgré le peu de pente de l’esprit tout politique de l’auteur de Gabrielle d’Estrées à regarder du côté des causes morales, qui sont les influences décisives de l’histoire, cependant il ne peut s’empêcher de dire à plus d’une place de son ouvrage que les nombreuses amours publiques de ce chef d’État durent choquer si profondément l’esprit religieux et les mœurs de son siècle, que, son système politique eût-il réussi, il fût tombé par là encore !
Une bassesse et le sublime moral satisfont également au besoin d’alibi de Rousseau. […] Jusqu’aux plus, communes fatalités de l’organisation physique que le moral déjoue. […] Elle tenait à la moelle de son être moral. […] Elle prend possession directe du gouvernement religieux et moral. […] Ses personnages romanesques ou historiques sont de véritables chaos d’impossibilités morales.
. — Deux vies et deux états moraux peuvent se rencontrer dans la même personne. — Exemples. — En quoi consiste la personne morale. — Deux personnes morales pourraient se succéder dans le même individu. — Ce qui fait la continuité d’une personne morale distincte, c’est la renaissance continue d’un même groupe d’images distinctes. […] Si deux groupes sont bien tranchés, de telle façon que nul élément de l’un n’éveille aucun élément de l’autre, on aura, ainsi que le montre la malade citée par Macnish, deux personnes morales dans le même individu. Si dans l’un des deux états les images ont des associations très exactes et très délicates, si, comme on le voit chez plusieurs somnambules66, des aptitudes supérieures se déclarent, si, comme on le remarque dans l’ivresse et après plusieurs maladies, les passions prennent un autre degré et un autre tour, non seulement les deux personnes morales seront distinctes, mais il y aura entre elles des disproportions et des contradictions monstrueuses. — Sans doute, quoique, chez les somnambules, les personnes hypnotisées et les extatiques, des contrastes semblables opposent la vie ordinaire à la vie anormale, leurs deux vies ne sont point nettement ni entièrement séparées ; quelques images de l’une s’introduisent toujours ou presque toujours dans l’autre ; et la supposition que nous avons faite reste, quand il s’agit de l’homme, une simple vue de l’esprit. — Mais dans les animaux elle rencontre des cas où elle s’applique avec exactitude ; tel est celui des batraciens et des insectes qui subissent des métamorphoses. L’organisation et le système nerveux, en se transformant chez eux, amènent tour à tour sur la scène deux et trois personnes morales dans le même individu : dans la chrysalide, dans la larve et dans le papillon, les instincts, les images, les souvenirs, les sensations et les appétits sont différents ; le ver à soie qui file et son papillon qui vole, la larve vorace de hanneton avec son terrible appareil d’estomacs et le hanneton lui-même, sont deux états distincts du même être à deux époques de son développement, deux systèmes distincts de sensations et d’images entés sur deux formes distinctes de la même substance nerveuse. — Si un sommeil pareil à celui de la chrysalide nous surprenait au milieu de notre vie et si nous nous réveillions avec une organisation et une machine nerveuse aussi transformées que celles du ver devenu papillon, la rupture entre nos deux personnes morales serait visiblement aussi forte chez nous que chez lui. — Le lecteur voit maintenant les suites infinies de cette propriété des sensations et des images que nous avons appelée l’aptitude à renaître ; elle assemble en groupes nos événements internes, et, par-dessus la continuité de l’être physique que constitue la forme permanente, elle constitue, par le retour et par la liaison des images, la continuité de l’être moral.
Ce dôme, qui se change en clocher dans la plupart de nos églises, donne à nos hameaux et à nos villes un caractère moral, que ne pouvaient avoir les cités antiques. […] Le siècle de Louis XIV est peut-être le seul qui ait bien connu ces convenances morales, et qui ait toujours fait dans les arts ce qu’il fallait faire, rien de moins, rien de plus.
On y rencontre à chaque page un esprit ferme, exact, sensé, fin, moral, ami des considérations, qui raisonne à l’occasion de chaque incident, mais qui raisonne bien, d’une manière solide et élevée, et qui, quand il décrit, nous rend en fort bonne prose ce dont Chateaubriand le premier nous a donné la poésie en traits hasardeux et sublimes, — Et il a lui-même jugé en termes excellents cette poésie un peu arrangée et toute chateaubrianesque du désert, quand il a dit (non pas dans cette relation, mais dans une de ses lettres) : « Les hommes ont la rage de vouloir orner le vrai au lieu de chercher seulement à le bien peindre. […] Royer-Collard le patriarche ; mais le monde va, l’humanité subsiste et se transforme ; les sectes morales les plus nobles elles-mêmes passent ; et dans le lointain quel effet nous font-elles ? Quel effet, par exemple, nous fait aujourd’hui la plus respectable des sectes morales de l’Antiquité, le stoïcisme ? […] Et toutefois, en vieillissant, nous avons acquis notre sérieux aussi, nous avons notre expérience des choses et notre résultat moral ; pourquoi hésiterions-nous à en user pour, dire notre pensée, pour témoigner avec respect nos dissidences et toucher les points qui nous séparent ?
Il ne faut pas avoir beaucoup vécu et observé pour savoir que, s’il est de nobles êtres en qui le sentiment moral domine aisément et règle la conduite, il y a une classe assez nombreuse d’individus qui en sont presque entièrement dénués, et chez qui cette absence à peu près complète permet à toutes les facultés brillantes, rapides, entreprenantes, de se développer sans mesure et sans scrupule. […] Sauf un petit nombre d’exceptions mystérieuses et de véritables monstruosités morales, l’homme est libre, bien que plus ou moins enclin ici ou là ; il peut lutter, bien qu’il lutte trop peu ; il peut s’appuyer sur certains principes qu’il sait bons et utiles, nouer alliance avec ses facultés louables contre ses penchants plus dangereux15, bien que d’ordinaire ce soit pour ceux-ci qu’il se déclare. […] Ceux donc qui ont reçu en naissant la fermeté, la vénération, l’estime d’eux-mêmes, ces nobles et gouvernantes facultés que la nature, à ce que pensent les phrénologistes, aurait placées au sommet du front comme un diadème moral, ceux-là agissent avec suite, se maintiennent purs dans les vicissitudes, et opposent aux déchaînements les plus contraires une auguste permanence. […] Même quand ils ne deviennent ni des fripons, ni des escrocs avilis, ni des hâbleurs impudents ; quand quelque chose de l’honnête homme leur reste, et qu’on peut leur donner la main, il ne faut pas s’attendre à beaucoup de scrupules de leur part ; leur sens moral, chatouilleux peut-être et intact sur un ou deux points, vous paraîtra fort aboli et coulant pour tout le reste.
La question touchant le plaisir ou le déplaisir que causait ou méritait de causer telle œuvre, demeurait posée ; mais on s’astreignait à savoir, en outre, quelle était la personne c’est-à-dire l’intelligence qui l’avait produite, et encore quel était l’ensemble des circonstances historiques c’est-à-dire sociales, dont sa production avait été entourée ; pour ces deux sortes de renseignements le critique avait à se doubler d’un historien ou d’un biographe et devait pénétrer dans le domaine des sciences morales. […] Partant du principe que les choses morales ont, comme les choses physiques, des dépendances et des conditions, il esquisse la vie de chacun des écrivains qu’il veut étudier, montre le pays où il est né, le lieu où il a vécu, puis, analysant son œuvre et en dégageant les principaux caractères, il exprime fame qu’ils révèlent, en une formule à plusieurs termes. […] Tous ces travaux marquent une tendance croissante à considérer l’étude des œuvres littéraires comme un département des sciences morales. […] Comme critique, outre ses travaux sur le théâtre grec, il reste l’auteur d’une Physiologie des écrivains et des artistes ou essai de critique naturelle (Hachette, 1864), visant à remonter du style au corps de l’écrivain, puis au « climat physique et moral » qui enveloppe l’œuvre (p. 190), et du Romantisme des classiques (Calmann-Lévy, 1883), ouvrages qui ont fait date, et ont donné lieu à discussion.
S’agit-il de maximes purement morales ? […] Cependant, comme les exemples que nous venons le citer (règles juridiques, morales, dogmes religieux, systèmes financiers, etc.), consistent tous en croyances et en pratiques constituées, on pourrait, d’après ce qui précède, croire qu’il n’y a de fait social que là où il y a organisation définie. […] Telle est l’origine et la nature des règles juridiques, morales, des aphorismes et des dictons populaires, des articles de foi où les sectes religieuses ou politiques condensent leurs croyances, des codes de goût que dressent les écoles littéraires, etc. […] En effet, quand on veut connaître la façon dont une société est divisée politiquement, dont ces divisions sont composées, la fusion plus ou moins complète qui existe entre elles, ce n’est pas à l’aide d’une inspection matérielle et par des observations géographiques qu’on y peut parvenir ; car ces divisions sont morales alors même qu’elles ont quelque base dans la nature physique.
On range ordinairement au rang des Poëmes épiques des Romans moraux écrits en prose poétique. […] Presque toutes ses piéces sont morales. […] Il y a de très-belles Odes morales de cet Ecrivain aimable & estimable. […] Les Epîtres philosophiques, les Epîtres morales appartiennent au Poëme didactique. […] Presque toutes sont morales.
Son drame, grave et austère, doit lui concilier la sympathie de ceux qui tendent à faire du théâtre un exemple d’actions hautaines et morales. […] Ceux de ses héros qu’il donne, en exemple s’asservissent à ce qu’ils pensent leur devoir, et ils aiment à formuler, en des alexandrins abstraits, des maximes morales.
Le point de vue moral est trop étroit pour expliquer l’histoire. […] Je n’ai jamais compris la sécurité dans un pays toujours menacé par l’invasion des eaux, ni le bonheur moral dans une société qui suppose l’avilissement d’une partie de la race humaine. […] Alors ce n’est pas un châtiment moral, c’est un exemple, rien de plus. […] Comment, je vous prie, confier les destinées de l’humanité à des malheureux, ouverts par leur ignorance à toutes les captations du charlatanisme, ayant à peine le droit de compter pour des personnes morales ? […] Je crois comme lui que le mal moral n’aura signalé qu’un âge de l’humanité, l’âge où l’homme était délaissé par la société et ne recevait pas d’elle l’héritage religieux auquel il a droit. « Il y a des hommes, dit M.
Immense aspiration vers la science universelle ; libre épanouissement de tout l’être physique et moral : voilà tout ce premier Pantagruel ; et Gargantua ne fait que développer les mêmes thèmes : car la discipline de Ponocrates, et l’activité de frère Jean, voilà l’âme du livre. […] Au fond, la pédagogie de Rabelais se ramène à respecter la libre croissance de l’être humain, et à lui fournir copieusement toutes les nourritures que réclament pour son développement total ses appétits physiques et moraux. […] Il lui a fallu croire et professer la nature toute bonne, parce qu’il aimait toutes les manifestations de cette nature ; et son jugement moral s’est refusé à supprimer, même en désir et en pensée, aucune des formes de la vie. […] De plus, comme il arrive souvent aux constructeurs des morales les moins morales, l’auteur répare par la rectitude de sa nature l’insuffisance de son système : comme il sent en lui la bonne volonté, la chaude sympathie, des formes affectueuses d’égoïsme, il érige son instinct en loi générale de l’humanité, et il se fait d’optimistes illusions sur le penchant inné des hommes à « faire tous ce qu’à un seul voyaient plaire ».
Et c’est à cette imperfection, à cette incohérence de sa nature, jointe à son plus grand développement intellectuel (qu’elle a dû, à certains égards, favoriser), que l’homme doit d’être, par excellence, l’animal moral. […] Chez le chien, on l’a souvent fait remarquer, vivent, au moins sous des formes rudimentaires, les sentiments religieux et les sentiments moraux. […] Notre intelligence, notre sensibilité, notre volonté, nos théories et nos doctrines morales, tout ce que l’on considère comme faisant « la grandeur de l’homme » vient de là. […] Parfois un homme renonce à la vie plutôt que de laisser périr d’autres hommes, ou plutôt que de ne pas obéir à des commandements moraux ou religieux que la société lui a inculqués, et qui représentent, en lui et pour lui, soit les désirs d’autrui, soit la société, soit la volonté de Dieu, ou quelque rêve d’idéal, quelque obscure loi d’un monde meilleur vaguement entrevu. […] Lorsque l’homme est délivré du joug social habituel, livré à lui-même sans contrôle et sans règle imposée, il se débarrasse de bien des pratiques morales qu’il suivait assez naïvement et sans bien s’en rendre compte.
Il a exprimé lui-même sa doctrine en ces termes : « Les dispositions d’esprit qui font qu’un homme se distingue des autres hommes par l’originalité de ses pensées et de ses conceptions, par son excentricité ou l’énergie de ses facultés affectives, par la transcendance de ses facultés intellectuelles, prennent leur source dans les mêmes conditions organiques que les divers troubles moraux, dont la folie et l’idiotie sont l’expression la plus complète. » Telle est la doctrine développée par M. […] L’homme de génie dut être considéré connue une créature à part, à laquelle les lois communes n’étaient pas applicables ; il était en dehors et au-dessus des lois morales et des lois sociales : le désordre eu était la condition indispensable. […] Il essaie d’établir par des faits, des anecdotes, des traditions, qu’il y a de très grandes analogies physiques et morales entre les hommes de génie, les fous et les idiots. […] Enfin, comme il y a un rapport intime et profond entre le physique et le moral, on ne nie pas qu’il ne puisse y avoir une transmission héréditaire du moral par le moyen du physique.
N’oublions pas que maintenant, comme j’ai déjà eu occasion de le remarquer, le principe intellectuel a pris l’ascendant sur le principe moral, pour la direction de la société. […] Les grands intérêts, sans doute, seront protégés, mais nulle protection n’est possible pour les petits intérêts moraux dont se compose, chez nous, le bonheur de la cité. […] Une telle unanimité est assez étrange ; mais elle s’accorde avec notre propre assertion, que le principe intellectuel tend à prendre l’ascendant sur le principe moral, pour la direction de la société. […] On a voulu, pour suppléer aux mœurs de cette dernière classe, y faire pénétrer les lumières, c’est-à-dire renforcer encore le principe intelligent aux dépens mêmes, s’il le faut, du principe moral : voilà tout juste où nous en sommes. […] Le sentiment moral est tellement entré, par lui, dans tous les hommes, qu’il n’a plus autant besoin de se mettre sous la protection des institutions sociales.
Or, toutes les fois que vous rencontrez un groupe naturel de faits, vous pouvez mettre cette méthode en usage, et vous découvrez une hiérarchie de nécessités ; il en est ici du monde moral comme du monde physique. […] De ce groupe de dispositions morales, on peut déduire tous les détails importants de la constitution romaine ; et il se déduit lui-même de la faculté égoïste et politique que vous avez d’abord détachée. — Portez-la dans la vie privée : vous verrez naître l’esprit intéressé et légiste, l’économie, la frugalité, l’avarice, l’avidité, toutes les coutumes calculatrices qui peuvent conserver et acquérir, les formes minutieuses de transmission juridique, les habitudes de chicane, toutes les dispositions qui sont une garantie ou une arme publique et légale. — Portez-la dans les affections privées : la famille, transformée en institution politique et despotique, fondée, non sur les sentiments naturels, mais sur une communauté d’obéissance et de rites, n’est plus que la chose et la propriété du père, sorte de province léguée chaque fois par une loi en présence de l’État, employée à fournir des soldats au public. — Portez-la dans la région : la région, fondée par l’esprit positif et pratique, dépourvue de philosophie et de poésie, prend pour dieux de sèches abstractions, des fléaux vénérés par crainte, des dieux étrangers importés par intérêt, la patrie adorée par orgueil ; pour culte une terreur sourde et superstitieuse, des cérémonies minutieuses, prosaïques et sanglantes ; pour prêtres des corps organisés de laïques, simples administrateurs, nommés dans l’intérêt de l’État et soumis aux pouvoirs civils. — Portez-la dans l’art : l’art, méprisé, composé d’importations ou de dépouilles, réduit à l’utile, ne produit rien par lui-même que des œuvres politiques et pratiques, documents d’administration, pamphlets, maximes de conduite ; aidé plus tard par la culture étrangère, il n’aboutit qu’à l’éloquence, arme de forum, à la satire, arme de morale, à l’histoire, recueil oratoire de souvenirs politiques ; il ne se développe que par l’imitation, et quand le génie de Rome périt sous un esprit nouveau. — Portez-la dans la science : la science, privée de l’esprit scientifique et philosophique, réduite à des imitations, à des traductions, à des applications, n’est populaire que par la morale, corps de règles pratiques, étudiées pour un but pratique, avec les Grecs pour guides ; et sa seule invention originale est la jurisprudence, compilation de lois, qui reste un manuel de juges, tant que la philosophie grecque n’est pas venue l’organiser et le rapprocher du droit naturel. […] De cette faculté, on déduit les différents groupes d’habitudes morales. […] Par l’abstraction, dans chaque groupe de qualités morales, on dégage la qualité générale et génératrice. […] Supposez que ce travail soit fait pour tous les peuples et pour toute l’histoire, pour la psychologie, pour toutes les sciences morales, pour la zoologie, pour la physique, pour la chimie, pour l’astronomie.
Que restera-t-il un jour de nos diverses croyances religieuses et morales ? […] En moyenne, un être est d’autant plus moral qu’il est plus capable de ressentir profondément une émotion esthétique. […] Au contraire, le mépris moral ne tarderait pas à produire le dégoût esthétique si, par une réaction nécessaire, il n’engendrait l’indignation, qui est encore un sentiment moral. […] Reste un dernier argument, tiré des conditions morales que l’art a besoin de rencontrer pour éclore. […] Cette intime pénétration de la sensibilité par l’intelligence est l’une des causes principales du progrès moral et esthétique.
La méthode expérimentale, en s’avançant de proche en proche depuis le domaine des éléments inorganiques, jusqu’à l’être organisé, et dans celui-ci même, jusqu’aux fonctions nerveuses les plus proches des facultés intellectuelles et morales, cette méthode partout accompagnée de l’infaillible nécessité, ne viendra-t-elle pas un moment mettre en péril la liberté de l’être moral ?
Des réflexions morales se mêlent à leur poésie descriptive ; on croit apercevoir des regrets et des souvenirs dans tout ce que les poètes écrivaient alors ; et c’est sans doute par cette raison qu’ils réveillent plus que les Grecs une impression sensible dans notre âme. […] Ce qui manque aux anciens dans la peinture de l’amour, est précisément ce qui leur manque en idées morales et philosophiques. […] C’est l’homme tel qu’on le voit, tel qu’il se montre ; ce sont les fortes couleurs, les beaux contrastes du vice et de la vertu ; mais on ne trouve dans l’histoire ancienne, ni l’analyse philosophique des impressions morales, ni l’observation approfondie des caractères, ni les symptômes inaperçus des affections de l’âme.
Or la fortune de ce théâtre ne viendrait-elle pas de cette extraordinaire faculté de Dumas : Suggérer qu’il sait la vérité, la solution des difficultés morales, qu’il va élucider, escamoter le problème, et, manches retroussées, vous faire circuler la solution. — Y a-t-il dans la salle une fille-mère de bonne volonté qui veuille bien me prêter un instant sa fausse situation ? […] Concevoir le monde comme un militarisme psychologique, à qui convient une théorie et une seule, envisager comme identiques les infiniment variées positions morales dont le nom seul est commun, et comme comportant une solution (qu’on va vous dire), imaginer qu’on a formulé la vie quand on a trouvé cinq ou six problèmes abstraits, est-ce le fait d’« une des plus hautes intelligences de notre temps » ou d’un Homais raisonneur et borné ? […] Si Francis avait procédé avec la petite Adèle, etc. » Le prototype de ces phrases (un de mes amis prétend l’avoir découvert dans un roman de Bourget) serait : « Si quelqu’un avait voulu se rendre compte des étroits rapports qui lient le physique et le moral, il n’eût eu qu’à entrer, au five o’clock, dans le grand home de la petite Madame de… » Il est certain que ces préceptes tour à tour évangéliques et darwiniens étiquetant immanquablement l’anecdote à venir sont d’un comique à la longue irrésistible.
Croire avec Hutcheson, Smith et d’autres que nous ayons un sens moral propre à discerner le bon et le beau, c’est une vision dont la poésie peut s’accommoder, mais que la philosophie rejette. […] Au reste, le philosophe a raison de se moquer du sens moral des métaphysiciens anglais ; mais il n’explique pas pour cela la manière dont se fait sur nos organes l’impression d’une belle action. […] Le vrai traité des sentimens moraux serait un pur traité de mécanique ; mais l’anatomie la plus perfectionnée ne nous donnera jamais cette théorie.
ne s’étend-il pas à tous les êtres moraux sans distinction de temps et de lieu ? […] Nous portons en nous une source profonde d’émotions à la fois physiques et morales qui expriment l’union de nos deux natures. […] Dira-t-on que dans ces peintures morales, dans ces tableaux de la vie intime de l’âme, ou gracieux ou énergiques, il n’y a pas d’imagination ? […] Ses tableaux sont des leçons religieuses ou morales qui témoignent d’un grand esprit autant que d’un grand cœur. […] La punition, pas plus que la récompense, n’a de sens moral dans le système de l’intérêt.
Parmi de telles exigences, comment reproduire des morales et des religions différentes ? […] Il lui ressemble encore par la pureté et la continuité de ses intentions morales […] Réaliste et moral, voilà ses deux traits. […] Ainsi compris, le monde change d’aspect : ce n’est plus une machine de rouages engrenés, comme le dit le savant, ni une magnifique plante florissante, comme le sent l’artiste : c’est l’œuvre d’un être moral étalée en spectacle devant des êtres moraux. […] Notez qu’au fur et à mesure les réflexions et les discussions morales, les paysages et les descriptions morales, s’étalent par centaines, que les dissertations entrelacent leurs longues haies d’épines, et que les chardons métaphysiques pullulent dans tous les coins.
Caractère moral de ce mysticisme. — Conception du devoir. — Conception de Dieu. […] Le bien moral, la possibilité d’atteindre lesdites relavures. […] Une telle conception est la source véritable du sentiment religieux et moral. […] Cela est plus palpable et plus moral. […] 2º Moral evil is unattainability of pig’s-wash ; moral good, attainability of ditto.
Donnons-nous de garde de nous en plaindre ; l’homme moral parmi nous est bien supérieur à l’homme moral des anciens.
Au même principe se ramènent bien des pièces qu’on serait d’abord tenté de ranger parmi les poèmes moraux ou satiriques des dits, des débats des États du siècle ou du monde. […] Cependant d’autres dits, d’autres débats, d’autres États du siècle ou du monde, ont un caractère vraiment moral, et forment entre la poésie lyrique et la poésie narrative un corps considérable de poésie didactique. […] La morale souvent, comme on peut aisément le comprendre, tournera en satire, et la description parfois fort vive du monde réel, des occupations et inclinations ordinaires des hommes, viendra donner une saveur toute particulière aux enseignements moraux. […] Il n’y a pas grande merveille non plus dans les descriptions des dix images peintes en dehors sur les murs du verger d’Amour ; mais une chose frappe dans ces portraits : c’est la simplification hardie et juste des éléments moraux, et la précision minutieuse, nette, pittoresque des apparences physiques qui les revêtent et les expriment. […] Il y a, dans ses descriptions du jardin d’Amour, dans ce mélange d’abstractions morales, de mythologie païenne, et de mièvres paysages, il y a je ne sais quelle sincérité de joie physique, une allègre et fine volupté.
Or ce que j’ai voulu inculquer avant tout en ce livre, c’est la foi à la raison, la foi à la nature humaine. « Je voudrais qu’il servît à combattre l’espèce d’affaissement moral qui est la maladie de la génération nouvelle ; qu’il pût ramener dans le droit chemin de la vie quelqu’une de ces âmes énervées qui se plaignent de manquer de foi, qui ne savent où se prendre et vont cherchant partout, sans le rencontrer nulle part, un objet de culte et de dévouement. […] Parcourez l’échelle des caractères moraux : on a pu rire de Socrate, de Platon, de Jésus-Christ, de Dieu. […] La méthode de ces sciences est ainsi devenue le critérium de certitude pratique des modernes ; cela leur paraît certain et scientifique, qui est acquis d’une manière analogue aux résultats des sciences physiques, et si les sciences morales leur paraissent fournir des résultats moins positifs, c’est qu’elles ne répondent pas à ce modèle de certitude scientifique qu’ils se sont formé. […] Ma conviction est qu’on arrivera, dans les sciences morales, à des résultats tout aussi définitifs, bien que formulés autrement et acquis par des procédés différents. […] Le bon esprit étroit est en France très dangereux, par le soupçon qu’il fait naître et qu’on ne manque pas d’étendre à tout ce qui est dogmatique et moral.
Chaque situation, chaque état moral n’est pour eux qu’un motif, selon la nature duquel ils modifient leur rhétorique, écrivant ici un discours, là une ode, ailleurs une élégie, ou une méditation, ou une suite de sentences. […] Il eût retranché l’excès de mouvement extérieur qui détourne de l’explication des causes morales. […] Il avait défini les caractères de l’action tragique : elle doit être morale et intérieure en son principe ; l’intéressant, ce n’est pas l’événement, c’est le sentiment, et les faits extérieurs, même nécessaires à l’action, ne valent que comme donnant une expression aux faits moraux, ou ayant sur eux un contre-coup. […] Tandis qu’ici l’imagination tour à tour lyrique ou épique s’allie à la raison, à l’exacte et précise notation des faits moraux, plus tard Corneille aura surtout l’imagination mécanique, celle qui combine abstraitement les forces. […] Cinna (1640), Polyeucte (1643), Rodogune (1644-1045), Nicomède (1651), développeront par des expressions variées l’originalité du génie de Corneille, et la conception qu’il s’était faite du mécanisme moral de l’homme.
Mais ces données serviront à mettre en lumière des sentiments de l’âme humaine, des effets de mécanique et de chimie morales, qu’on aurait beaucoup plus de peine à observer dans les conditions fortuites et communes de la vie. […] Dans les vives polémiques qui s’engagèrent, les partisans du nouveau genre et ses ennemis ne le comparaient pas ordinairement à la comédie pure, mais à la tragédie : de La Chaussée à Beaumarchais, le grand argument qu’on fait valoir en sa faveur, c’est qu’il est plus vrai, et plus moral que la tragédie, parce qu’il peint des personnages pareils à nous, dans des situations pareilles à celles où nous nous trouvons tous les jours. […] Il pose, dans ces cas émouvants, les thèses morales qu’impose à son attention le conflit actuel des préjugés sociaux et des instincts ou devoirs naturels. […] L’étude de l’homme universel est faite, et bien faite, par les tragédies et les comédies du siècle précèdent : il reste à appliquer les résultats de cette étude, à suivre les variations des types moraux dans les conditions où nous les rencontrons engagés : ce qui conduit encore à serrer de plus près la réalité extérieure. […] Gresset, né à Amiens en 1709, auteur de Ver-vert (1733), de Sidney drame moral, et du Méchant (1745) ; il mourut en 1777.
Mais on y sent surtout le philosophe moral, le poète moral, qui semble n’être artiste que pour relever et purifier le cœur de l’homme, qui est toujours occupé du problème de la destinée de l’homme, et amoureux de son perfectionnement. […] L’oreille, l’œil, trouvent leur plaisir dans le rapport harmonique de deux sons ou de deux couleurs ; mais ici c’est pour ainsi dire le plus haut degré de consonance que l’âme puisse percevoir, car en même temps toutes ses puissances sont en jeu : l’imagination, les sens sont séduits, satisfaits par un des termes de la comparaison ; la raison spéculative ou le sens du beau moral, par l’autre ; et ce double plaisir est encore surpassé par celui qui naît simultanément du rapport entre les deux termes, c’est-à-dire de la similitude même. […] L’étude solitaire et passionnée de la nature dans un philosophe moral devait en effet produire presque nécessairement une association d’idées qui menait tout droit au style symbolique : car quand ce philosophe veut exprimer une pensée morale, voilà qu’une image physique s’offre en même temps à son esprit, donne un corps à son idée abstraite, en devient la formule et l’emblème. […] Le besoin de poésie, de rénovation des idées morales et religieuses, et l’étude de la nature et de ses mystérieuses harmonies, voilà ce qui l’a engendré.
Mais aujourd’hui je ne puis insister que sur le grand succès littéraire et moral par lequel il se rattache à la langue française de son temps, je veux parler de son Introduction à la vie dévote, qui parut d’abord en 1608, et dont l’effet fut soudain et universel. […] Des cinq parties dans lesquelles se divise l’Introduction à la vie dévote, la troisième partie qui contient une analyse des vertus, et les avis sur la manière de les exercer, nous offre un intérêt plus directement moral. […] En lisant ces recommandations morales de saint François de Sales, une comparaison m’est venue involontairement dans l’esprit : je me suis rappelé cet autre exercice et ce cours de vertus que s’était proposé Franklin à une époque de sa jeunesse. […] On conçoit, dans le temps, le succès d’un tel livre qui prenait les cœurs par la tendresse, attirait l’esprit par les belles images, et satisfaisait la raison par le fruit moral qu’on en recueillait34. […] Les autres, ingénieuses, mais recherchées, sont empruntées aux auteurs qu’il a lus ; il veut égayer et éclairer, à l’aide d’une histoire naturelle le plus souvent fabuleuse, les vérités morales et chrétiennes qui d’elles seules se passeraient d’ornements.
Par elle il s’ouvre, se remplit ; tout le monde moral et physique trouve un accès en lui. […] Quand on lira comme il faut, c’est-à-dire sans tenir les yeux collés au livre, mais en cherchant sans cesse en soi et autour de soi la vérité de ce qu’il contient, on amassera un riche fonds de connaissances morales, et l’on aura acquis pour le reste de ses jours le don si rare de voir les faits moraux. […] Mieux encore que La Bruyère, La Fontaine enseignera à saisir ces rapports secrets et sûrs qui unissent le moral et le physique, à deviner un caractère dans un geste, à entendre une âme dans l’accent d’une phrase.
Le moral des troupes avait déjà éprouvé de profondes atteintes ; on ne retrouvait plus l’ancienne gaieté des soldats, ces chants du bivouac, qui consolaient des fatigues : c’était une disposition toute nouvelle dans une armée française, et après une victoire. […] Pendant le mois de séjour à Moscou et aux environs, il ne s’était appliqué qu’à remonter le matériel de son régiment et à y entretenir le moral. […] Les réflexions morales se pressent durant ce récit, dont j’ai encore omis bien des particularités saisissantes. […] Chez la plupart, le sentiment physique prend le dessus irrésistiblement sur le moral ; l’instinct de conservation, l’égoïsme de vivre se prononce.
Un fait historique, social, moral, est pour lui un problème qu’il scrute jusqu’à ce qu’il en ait trouvé l’équation. […] D’une part, les faits idéologiques ou moraux lui apparaissent comme à un artiste d’instinct, doué seulement des sens extérieurs, et traduisant les impressions, pour autrui idéologiques et rien de plus, en sensations de couleur, saveur, résistance, etc. […] Dès lors ses visions intenses de choses extérieures se caractérisent par des épithètes ou des prédicats de la plus délicate intellectualité, cependant que les observations morales se formulent par les plus savoureuses comparaisons sensibles.
Si, dans la littérature et les arts, le génie pittoresque a succédé au génie statuaire ; dans la société, l’énergie du sentiment moral et la force d’expansion du principe intellectuel sont devenues deux puissances tout à fait distinctes. […] Si nous descendions aux détails, nous aurions à examiner ici les sources de la mendicité, les causes qui l’ont produite et consacrée en quelque sorte chez les peuples modernes, les raisons qui doivent la faire disparaître à présent : nous aurions encore à jeter un coup d’œil sur le régime de hôpitaux, sur la nécessité ou nous sommes peut-être, dans l’état actuel de la civilisation, d’introduire de grands changements dans l’administration générale des secours aux indigents ; nous aurions enfin à pénétrer dans l’intérieur de nos manufactures pour voir comment il serait possible de conserver la santé de nos ouvriers, de relever en eux l’intelligence et le sentiment moral affaiblis par un travail trop mécanique, de les rendre à l’intensité des affections de famille, de leur donner la prévoyance de l’avenir : mais ce ne serait point véritablement de mon sujet, puisque je dois m’abstenir d’appliquer mes observations à aucun objet en particulier. […] J’ai promis de dire quelques mots de la fatalité, croyance superstitieuse et cruelle, qui doit finir par succomber sous l’influence du sentiment moral perfectionné.
Insistez, vous, croyant et historien d’un pays moral, sur cet épicuréisme pratique d’ici qui n’a produit qu’un bon moment de jeunesse, mais passé lequel, tous plus ou moins, nous sommes sur les dents, sur le flanc : chacun a été bourreau de son esprit. […] Mais le malade guéri s’est trouvé baissé d’esprit et de moral, ce à quoi, dans le traitement, on n’avait nullement songé.
C’est un recueil d’observations morales faites sous ce point de vue ; et elles ont, sinon le mérite de la méthode, du moins la grâce du laisser-aller, et quelque chose de ce charme qu’on trouve aux souvenirs mêmes d’autrui. Une remarque bien simple devient, entre les mains du spirituel auteur, la clef d’une multitude de phénomènes moraux : c’est qu’au nord il y a des nuits et des hivers, et peu ou point au midi.
Si elles n’étaient que de simples vertus morales, imaginées par le poète, elles seraient sans mouvement et sans ressort. […] Les vertus purement morales sont froides par essence : ce n’est pas quelque chose d’ajouté à l’âme, c’est quelque chose de retranché de la nature ; c’est l’absence du vice, plutôt que la présence de la vertu.
Il est du reste un fonds commun à l’homme et au poète, une somme de vérités morales et d’idées dont nul ne peut s’abstraire ; l’expression seule en est multiple et diverse. […] C’est donc dans ses créations intellectuelles et morales qu’il faut constater la puissance de la poésie grecque. […] Seuls, au dix-septième siècle, Alceste, Tartufe et Harpagon se rattachent plus étroitement à la grande famille des créations morales de l’antiquité grecque, car ils en possèdent la généralité et la précision. […] Mais il est peu probable que cette espérance se réalise, malheureusement pour la paix, la liberté et le bien-être des peuples, heureusement pour les luttes morales et les conceptions de l’intelligence. […] Mais outre que le célèbre chansonnier n’a commis, que je sache, aucune action héroïque, l’Esprit souffle où il veut, et les mystérieux trésors de la Poésie ne sont pas le salaire obligé des vertus morales.
Il a compris ce que l’on attendait du plus grand pouvoir moral qui soit parmi les hommes, et le plus ancien. […] Il n’importe qu’en fait la morale soit sortie de la religion ou la religion de la morale, ni même qu’il y ait eu des religions « immorales », ou des morales « sans Dieu ». […] — mais il y aura toujours, il y a toujours eu des moyens moraux d’atténuer ce que les conséquences de cette inégalité ont de plus troublant encore pour l’esprit que de douloureux pour le cœur. […] Elle en diffère encore pour l’avoir précédée de quinze ou dix-sept cents ans dans le temps, et ainsi, à une époque où la « Science », n’existait pas, pour avoir pourvu aux besoins moraux de l’humanité. Mais elle en diffère surtout pour avoir placé dans le perfectionnement de l’individu l’idéal moral que M.
George Sand, Lélia (1833) On doit être frappé du singulier mouvement moral et littéraire qui se déclare en France chez les femmes, d’une manière croissante, depuis les dernières années. […] Or, voici que depuis trois ans environ, depuis que, d’une part, le bon ton rangé et le vernis moral de la Restauration ont disparu, et que, d’autre part, le Saint-Simonisme a fait entendre ses cris d’émancipation et ses appels multipliés, voici que l’esprit d’indépendance a remué les femmes comme le reste, et qu’une multitude d’entre elles prenant la parole, dans des journaux, dans des livres de contes, dans de longs romans, sont en train de confesser leurs peines, de réclamer une part de destinée plus égale, et de plaider contre la société. […] On peut plus ou moins aimer cette œuvre, selon qu’on y reconnaît plus ou moins les pensées et la situation de son âme, selon qu’on est plus ou moins facile à la vibration poétique ; on peut la réprouver plus ou moins vivement, selon qu’on est plus ou moins sûr d’avoir trouvé le remède moral et la vérité ; mais on ne peut qu’être émerveillé de ces ressources infinies dans une femme qui a commencé, il y a environ dix-huit mois, à écrire.
Les Réfléxions morales du Duc de la Rochefoucault sont le premier livre bien écrit qu’on ait eu en France après les Lettres provinciales. […] Les Bagatelles morales de M. l’Abbé Coyer méritent le même éloge. […] Les Lettres recréatives & morales du Marquis de Carraccioli, en qautre vol.
Jones sont donc dans une analogie parfaite ; le génie de l’observation est donc appelé à faire désormais le même genre de découvertes à la fois dans le monde physique et dans le monde moral. […] La société des êtres intelligents subsiste par les idées morales et intellectuelles que la parole y a semées. […] J’arrive donc enfin à cette conclusion que j’avais annoncée : Le christianisme a été une première émancipation du genre humain, dans l’ordre moral ; l’extension des limites de la liberté morale par l’affranchissement des liens de la parole est une seconde émancipation, dans l’ordre intellectuel.
2. les émotions morales qu’on appelle sentiments. […] Laissant de côté les tristes conséquences métaphysiques et morales de la doctrine de Hartmann, on peut facilement faire voir que ce système ne repose pas sur une base bien solide. […] Leçon 52 De la méthode dans les sciences morales Les sciences morales sont celles qui s’occupent spécialement de l’esprit humain. […] On distingue quatre espèces de sciences morales : les sciences philosophiques, sociales, philologiques, et historiques. […] De là des maladies morales.
La vie de ce poète original, à la fois grave et charmant, est des plus singulières, toute simple au-dehors et semée au-dedans d’écueils et de précipices ; il est arrivé à composer ses œuvres si morales et si attachantes par un chemin très détourné, très éloigné des voies communes, et qu’il n’eût conseillé à personne. […] Il devint avocat sans cause, se lia fort avec quelques gens de lettres de son âge, fut d’un club avec eux ; il fit des vers, des essais moraux satiriques qui parurent dans les journaux et revues du temps. […] Pendant plus de dix-huit mois de séjour en cette maison de santé du docteur Cotton à Saint-Alban (décembre 1763 — juin 1765), il eut à traverser bien des crises et des épreuves morales avant d’arriver à une sorte de guérison. […] Cette vie à demi monastique s’accordait avec une joie intérieure et une allégresse véritable ; elle était assurément des plus conformes à ce qu’exigeaient alors le raffermissement moral et la sensibilité si récemment ébranlée de Cowper. […] Il faisait des vers latins non sans quelque recherche, et le plus souvent de petites fables morales en anglais.
Elle était alors dans une veine d’amertume et de misanthropie sociale, à la veille de rompre un lien déjà ancien, dans un véritable isolement moral, et se demandant quels amis et quel ami elle se pourrait choisir parmi tous ces visages nouveaux de gens à réputations diverses qu’elle affrontait pour la première fois. […] Jouffroy, n’ayant pas appris que ces questions existent, n’a pas grand mérite à les nier ; mais vous qui, ayant songé à tout et peut-être goûté à des choses immondes comme font les chimistes, avez déclaré que la chair humaine est mauvaise et malsaine, et vous êtes décidé à vivre d’aliments choisis, apparemment vous avez le discernement, c’est-à-dire, dans le sens moral, la lumière et la force. […] Le mois d’août avait été témoin d’un changement soudain, d’un renouvellement moral dans cette riche nature, dont le désespoir et les malédictions n’étaient le plus souvent que dans le trop-plein d’ambitions, de désirs et d’espérances. […] Vous êtes moral, vous, mon ami : le suis-je aussi, ou ne le suis-je pas ? […] Je crois qu’être moral, c’est espérer : moi, je n’espère pas ; j’ai blasphémé la nature et Dieu peut-être, dans Lélia ; Dieu qui n’est pas méchant, et qui n’a que faire de se venger de nous, m’a fermé la bouche en me rendant la jeunesse du cœur et en me forçant d’avouer qu’il a mis en nous des joies sublimes ; mais la société, c’est autre chose : je la crois perdue, je la trouve odieuse, et il ne me sera jamais possible de dire autrement.
L’Esprit des Lois est pour Montesquieu ce que les Essais sont pour Montaigne : toute la différence est que l’étude de Montaigne, c’est l’homme moral et les ressorts spirituels, celle de Montesquieu, l’homme social et la mécanique législative. […] Qu’on lise en effet les Réflexions sur la politique : le dessein en est moral, et nous révèle ainsi la jeunesse de l’auteur. […] Il compose avec infiniment de sagacité et d’originalité les deux milieux, dont les pressions, agissant tantôt dans le même sens et plus souvent en sens contraire, produisent les humeurs, les volontés, les actes : le milieu moral, éducation, société, profession, et le milieu physique, où Montesquieu distingue comme facteur principal le climat. Le climat ne peut influer sur les âmes que s’il influe d’abord sur les corps, et si les corps transmettent toutes les influences aux âmes : donc la théorie des climats suppose une liaison nécessaire des faits physiques et des faits moraux, et conduit à mettre la pure psychologie des penseurs classiques sous la dépendance de la physiologie. […] Il est impossible, dans l’infinie complexité des choses humaines qu’une infinité de forces concourent à produire, quand les causes physiques et les causes morales se perdent dans les obscures profondeurs de notre organisme et de notre conscience, quand on ne démêle encore — et au temps de Montesquieu on était loin d’être aussi avancé que nous sommes — quand on ne démêle que les plus superficielles réactions et les plus grossiers enchaînements de phénomènes, il est impossible de déterminer ce qu’il aurait fallu ôter ou retrancher d’énergie humaine ou de travail législatif pour détourner ou barrer le cours des événements.
Le cardinal de Tournon, l’ayant connu à Rome et apprécié pour ses qualités studieuses et morales, parla de lui à la Cour, lorsque le roi Henri II cherchait un précepteur pour ses deux fils, les ducs d’Orléans et d’Anjou (depuis Charles IX et Henri III), et Amyot fut choisi (1554). […] Il continua de justifier les faveurs de la fortune en publiant, en 1572, les Œuvres morales de Plutarque, qu’il dédia à son élève et maître le roi Charles IX, par reconnaissance pour ses bienfaits, « et aussi, dit-il, pour témoigner à la postérité et à ceux qui n’ont pas cet heur de vous connoître familièrement, que Notre-Seigneur a mis en vous une singulière bonté de nature… ». […] Il s’exerce à parler à son peuple d’Auxerre un langage clair, pur et lucide ; et l’on se figure, en effet, quel pouvait être le caractère doux, abondant et moral de ces homélies, prononcées d’une voix un peu faible par le bon évêque Amyot. […] M. de Chateaubriand en jugeait ainsi à son retour d’Orient, en les relisant la mémoire encore pleine du souvenir des plages historiques qu’il avait visitées : « C’est, selon moi, disait-il, le plus beau morceau de Plutarque, et d’Amyot son traducteur. » Dans les traités moraux de Plutarque, que de charmantes pages aussi, riches de sens, pleines d’aisance et de naturel, et qui ont un air de Montaigne ! […] Amyot, de son chef, pense peu ; il tourne dans les banalités morales : il ne s’arrête plus et ne sait où finir sa phrase ni où la couper.
Il n’éprouve aucune fausse honte à exposer, sous l’apparence d’un récit fantaisiste, la conception qu’il a de l’univers et de sa formation, des lois, morales et naturelles qui le régissent et, en général, de la vie. […] Ce n’est qu’ainsi qu’on parvient à s’assurer sur lui ce prestige moral qui fait les suprématies effectives et durables. […] Il y a lieu de distinguer cette catégorie de celle dont on parlera immédiatement après, en ce que le conteur n’imagine que pour le plaisir d’imaginer tandis que l’autre catégorie trahit des intentions d’enseignement moral. […] Ces contes, que l’on pourrait appeler aussi contes moraux — car leur didactisme s’inspire généralement d’un prosélytisme moral — sont de deux sortes : les contes de morale idéale (religieuse et musulmane le plus souvent) ou théorique et ceux de morale pratique ou réelle.
Quant aux Aryas qui firent la conquête de l’Inde, les Védas sont là pour attester qu’ils eurent un sens très vif de la réalité et de la pratique, un goût très décidé pour les biens de ce monde, une vigueur et une santé morales tout à fait inexplicables dans la période de l’infini. […] A descendre à de telles précisions, on risque fort de méconnaître les différences profondes, essentielles, qui distinguent les phénomènes physiologiques des phénomènes moraux et sociaux. […] Tout autres sont les forces qui constituent les individus vivans, plantes ou animaux, et peuvent se transmettre entières ou graduellement affaiblies des ancêtres aux descendans, et ces énergies morales et intellectuelles qui produisent les formes variées de l’existence des nations. […] Et qu’est-ce au fond que cette idée de parfait, principe et mesure de nos jugemens moraux, sinon l’idée de Dieu ? […] Aristote tient légitimement compte de ce qu’on pourrait appeler le moral des bêtes, et l’auteur distingué des Prolégomènes à la psychogénie moderne, M.
Dès ce moment l’Angleterre a trouvé son assiette ; ses deux forces intérieures et héréditaires, l’instinct moral et religieux, l’aptitude pratique et politique ont fait leur œuvre et désormais vont bâtir sans empêchement ni démolition sur les fondements qu’elles ont posés. […] Il se résignera aisément à écouter quinze discours de suite sur le même sujet, à demander vingt ans de suite la même réforme, à compulser des statistiques, à étudier des traités moraux, à faire des classes le dimanche, à élever une douzaine d’enfants. […] La faiblesse de ses impulsions sensibles contribue à la force de ses impulsions morales. […] Même dans les plus pauvres chaumières on trouve quelques objets de confortable et d’agrément : un large poêle de fonte luisant, un tapis, presque toujours un papier de tenture, un ou deux petits romans moraux, et toujours la Bible. […] De toutes parts les laïques y aident, et l’avertissement moral, parti de la littérature en même temps que de la théologie, réunit dans un seul accord le monde et le clergé.
c’est ce dont il fait le plus de cas : « Ce monde, pense-t-il, appartient à l’énergie. » Lui si moral, si tempéré, il semble même par moments tout près de vouloir cette énergie à tout prix, tant il est l’ennemi de la mollesse et de l’indifférence : « À mesure que je m’éloigne de la jeunesse, écrivait-il à M. […] Si ce dernier avait dû s’effacer pour faire place à l’autre, il aurait repoussé, la présidence et, comme dans toute sa carrière, il eût préféré sans hésiter la moindre de ses convictions morales ou politiques au pouvoir et à tous les avantages qu’on lui attribue. […] Quoi qu’il en soit de ces excursions où j’aimerais à le suivre dans le champ de la littérature sérieuse, M. de Tocqueville, membre assidu et actif de l’Académie des sciences morales et politiques, venait assez peu à l’Académie française, au sein de laquelle il va être si magnifiquement célébré. […] Il s’animait en parlant de ces choses ; il était pénétré ; sa main tremblait comme la feuille, sa parole vibrait de toute l’émotion de son âme : tout l’être moral était engagé.
Bossuet, dans cet ordre de considérations morales, reprend les avantages et l’ascendant que son symbolisme sacré trop continu aurait pu lui faire perdre sur l’esprit de plus d’un lecteur. […] On n’a jamais mieux fait entendre depuis Pascal que c’est là une nouvelle conduite, un nouvel ordre moral qui commence. […] Sur l’idéal de la liberté chez les Grecs, sur leurs philosophes, sur leurs poètes même et sur Homère dont il interprète la mythologie par le côté principalement moral, il a des pages senties qu’il n’aurait jamais écrites avant 1670, avant de s’être retrempé, pour son préceptorat du Dauphin, aux vives sources de l’ancienne littérature profane. […] Chez Bossuet, les considérations ont plutôt le caractère moral, et chez Montesquieu un caractère politique.
Un certain goût modéré de bien-être matériel ne les révolte nullement ni ne les scandalise ; ils ne trouvent pas que le moral en souffre nécessairement, et ils se montrent disposés à prendre leur part des bienfaits acquis à tous ; ils admettent volontiers que la santé vaut mieux que la maladie ; et en se résignant aux maux inévitables, en s’y soumettant même avec constance ou douceur, il ne leur arrive plus guère, comme aux dures époques et aux âgés de fer, d’appeler à haute voix les calamités, de les demander au Ciel comme un moyen d’expiation, et de les saluer presque comme une bénédiction et comme une grâce. […] Guizot a traité de la civilisation en France et en Europe ; il a montré qu’elle existe seulement dans l’ensemble des bonnes tendances de l’humanité, dans l’union des biens moraux et des biens matériels, et qu’elle implique le développement simultané de la société et de l’individu. […] Il y a bien les Académies, l’Académie des Sciences, et en particulier celle des Sciences morales et politiques, laquelle au premier abord semblerait répondre à l’objet et au vœu de M. […] Duveyrier l’a senti : « Le nouvel Institut devrait attirer, dit-il, les natures ardentes, communicatives, les talents de parole et de plume, et les employer à rehausser le moral des populations et à créer un courant de libéralités publiques en faveur du progrès social. » En deux mots, M.
. — Pour ce qui est des sensations, les spécimens significatifs ont été donnés par les, sensations de la vue et surtout par celles de l’ouïe ; grâce à ces documents et grâce aux récentes découvertes des physiciens et des physiologistes, on a pu construire ou esquisser toute la théorie des sensations élémentaires, avancer au-delà des bornes ordinaires jusqu’aux limites du monde moral, indiquer les fonctions des principales parties de l’encéphale, concevoir la liaison des changements moléculaires nerveux et de la pensée. — D’autres cas anormaux, empruntés également aux aliénistes et aux physiologistes, ont permis d’expliquer le procédé général d’illusion, et de rectification dont les stades successifs constituent nos diverses sortes de connaissances. — Cela fait, pour comprendre la connaissance que nous avons des corps et de nous-mêmes, on a trouvé des indications précieuses dans les analyses profondes et serrées de Bain, Herbert Spencer et Stuart Mill, dans les illusions des amputés, dans toutes les illusions des sens, dans l’éducation de l’œil chez les aveugles-nés auxquels une opération rend la vue, dans les altérations singulières auxquelles, pendant le sommeil, l’hypnotisme et la folie, est sujette l’idée du moi. — On a pu alors entrer dans l’examen des idées et des propositions générales qui composent les sciences proprement dites, profiter des fines et exactes recherches de Stuart Mill sur l’induction, établir contre Kant et Stuart Mill une théorie nouvelle des propositions nécessaires, étudier sur une série d’exemples ce qu’on nomme la raison explicative d’une loi, et aboutir à des vues d’ensemble sur la science et la nature, en s’arrêtant devant le problème métaphysique qui est le premier et le dernier de tous. […] Ainsi les événements physiques ne sont qu’une forme rudimentaire des événements moraux, et nous arrivons à concevoir le corps sur le modèle de l’esprit. […] Une infinité de fusées, toutes de même espèce, qui, à divers degrés de complication et de hauteur, s’élancent et redescendent incessamment et éternellement dans la noirceur du vide, voilà les êtres physiques et moraux ; chacun d’eux n’est qu’une ligne d’événements dont rien ne dure que la forme, et l’on peut se représenter la nature comme une grande aurore boréale. […] L’écrit finit toujours par une signature, celle d’une personne morte, et porte l’empreinte de pensées intimes, d’un arrière-fond mental que l’auteur ne voudrait pas divulguer. — Certainement on constate ici un dédoublement du moi, la présence simultanée de deux séries d’idées parallèles et indépendantes, de deux centres d’action, ou, si l’on veut, de deux personnes morales juxtaposées dans le même cerveau, chacune à son œuvre et chacune à une œuvre différente, l’une sur la scène et l’autre dans la coulisse, la seconde aussi complète que la première, puisque, seule et hors des regards de l’autre, elle construit des idées suivies et aligne des phrases liées auxquelles l’autre n’a point de part. — En général, tout état singulier de l’intelligence doit être le sujet d’une monographie ; car il faut voir l’horloge dérangée pour distinguer les contrepoids et les rouages que nous ne remarquons pas dans l’horloge qui va bien.
Elles sont d’ordre matériel et d’ordre moral, influant les unes sur les autres, et il sera simple d’aller directement à la question en commençant par examiner les causes matérielles. […] Les causes morales ne sont pas moins fortes. […] Si, lors du mouvement symboliste, à peine terminé depuis trois ans après avoir occupé douze années, lors de cette confuse aspiration de la jeunesse française vers une réunion de tous les arts sous l’influence de Wagner et de l’internationalisme, un critique de haut sens moral s’était levé pour arrêter les polémiques inutiles et substituer la logique aux dédains des critiques et aux saillies des nouveaux venus, il aurait précisé l’un des plus curieux mouvements intellectuels du siècle, et peut-être développé deux ou trois conséquences fécondes de cette crise pleine d’intentions et de promesses ; il y avait là un rôle considérable et bienfaisant à remplir, le rôle de Heine dans le second romantisme allemand, après Schlegel et Tieck, le rôle de Baudelaire, de Gautier et de Nerval, en 1840, le rôle de Taine dans les débuts du rationalisme, le rôle de William Morris dans les tentatives de socialisation d’art qui suivirent le préraphaélisme, le rôle professoral de César Franck dans l’école symphonique après Wagner ; ce rôle, personne ne se présenta pour le tenir, et si le symbolisme a avorté, s’est restreint à un dilettantisme de chapelle alors qu’il était parti pour une bien plus grande tentative, c’est à cause des obstinées plaisanteries des critiques superficiels, à cause du manque d’intelligence logique dans l’école, autant et plus qu’à cause des défauts eux-mêmes des symbolistes. […] Là seulement est son rôle moral, là elle perd tous les inconvénients de la pédanterie scolastique, là elle se révèle noble, opportune, incarnant une des prérogatives admirables du génie de la France devant le monde : l’illumination logique et bienfaisante, la transmutation des idées-forces, l’alchimie changeant en or vierge les minerais de la pensée brute élaborée dans les méditations obscures et malaisées de l’humanité.
L’autre est un système d’idées, de sentiments, d’habitudes, qui expriment en nous, non pas notre personnalité, mais le groupe ou les groupes différents dont nous faisons partie ; telles sont les croyances religieuses, les croyances et les pratiques morales, les traditions nationales ou professionnelles, les opinions collectives de toute sorte. […] Durkheim, la première fin, l’homogénéité sociale, est la plus importante et qu’elle ne tolère la seconde que dans la mesure où celle-ci se subordonne à elle. — Aussi bien la différenciation sociale réclamée par la division du travail n’implique-t-elle chez les individus qu’une diversité toute extérieure, fonctionnelle en quelque sorte et qui n’entrave en rien les similitudes profondes (similitudes intellectuelles et morales) que M. […] À ce point de vue, ceux qui ont placé leur idéal moral dans l’épanouissement égoïste de leur moi, ainsi que le conseille Nietzsche, considéreront qu’il y a un antagonisme profond entre l’intérêt de l’individu et cette culture de la personnalité. […] Un autre individualisme pédagogique est celui dont le desideratum serait d’individualiser le plus possible l’éducation, de l’adapter au tempérament intellectuel et moral de celui qui le reçoit, de faire violence le moins possible à l’individualité qu’il s’agit de former.
La rencontre qu’il fit de Messieurs de Port-Royal fournit un aliment à son activité morale, et leur doctrine, qui était quelque chose de neuf et de hardi, devint pour lui un point de départ d’où il s’élança avec son originalité propre pour toute une reconstruction du monde moral et religieux. […] Poursuivant l’homme au-dedans comme il l’a fait au-dehors, Pascal s’attache à démontrer dans l’esprit même deux autres abîmes, d’une part une élévation vers Dieu, vers le beau moral, un mouvement de retour vers une illustre origine, et d’autre part un abaissement vers le mal et une sorte d’attraction criminelle du côté du vice. […] Le même jour où l’on a lu Childe-Harold ou Hamlet, René ou Werther, on lira Pascal, et il leur tiendra tête en nous, ou plutôt il nous fera comprendre et sentir un idéal moral et une beauté de cœur qui leur manque à tous, et qui, une fois entrevue, est un désespoir aussi. […] En le prenant de la sorte, on résistera suffisamment à sa logique quelque peu étroite, opiniâtre et absolue ; on s’ouvrira cependant à cette flamme, à cet essor, à tout ce qu’il y a de tendre et de généreux en lui ; on s’associera sans peine à cet idéal de perfection morale qu’il personnifie si ardemment en Jésus-Christ, et l’on sentira qu’on s’est élevé et purifié dans les heures qu’on aura passées en tête-à-tête avec cet athlète, ce martyr et ce héros du monde moral invisible : Pascal pour nous est tout cela.
Ce n’était nullement un personnage politique qu’Anselme, mais un homme d’école et de monastère, d’oraison et de contemplation, et aussi d’enseignement moral et spirituel, de gouvernement intime et insensible des âmes. […] Il avait cet autre don et ce talent naturel des similitudes et des paraboles, qu’aura aussi saint François de Sales, et qui anime si heureusement d’images parlantes les perspectives et les vues du monde moral. […] Et il ajoute dans une note, en développant un peu la pensée de Descartes : « Il faut avouer que tous ces raisonnements abstraits sont assez inutiles, puisque la plupart des têtes ne les comprennent pas. » Il est heureux, au point de vue religieux et moral, que la croyance en Dieu trouve des appuis plus naturels et plus sentis dans le cœur de l’homme. […] Ils étaient ensemble (à l’Académie des sciences morales et politiques) d’une commission pour juger le prix à donner sur le meilleur exposé de l’état de la philosophie allemande.
Maintenant, en laissant même de côté le haut intérêt qui s’attache à l’homme, d’abord parce que nous sommes des hommes, et ensuite à cause de l’excellence et de la dignité de la nature humaine, en laissant de côté les questions morales et religieuses qui font de l’homme l’objet le plus élevé de la spéculation humaine, je le demande, quelle raison y aurait-il pour que les phénomènes par lesquels se manifeste l’humanité fussent moins dignes d’étude que ceux de la nature ? […] Par ses doctrines morales et politiques, la philosophie est ou l’expression ou quelquefois l’anticipation et le pressentiment des grandes époques historiques ; elle résume ou prépare les révolutions. […] Cousin a fait pour l’histoire de la philosophie, disons que depuis trente ans, à l’Académie des sciences morales, il suscite les recherches de la science et les fait porter successivement sur tous les points encore inexplorés par les concours d’où sont sortis tant d’ouvrages éminents. […] Lévêque ; l’Histoire des idées morales dans l’antiquité, de M.
Je devrais enseigner ici comment se forment les traditions, comment les systèmes allégoriques prennent un corps, comment des êtres moraux s’individualisent, en quelque sorte, et sont revêtus d’un nom de personnage. […] Au reste, ce que nous disions tout à l’heure de la réserve avec laquelle il faut user des divinités grecques s’étend non seulement aux divinités indiennes et scandinaves ou calédoniennes, mais encore à ces sortes d’êtres iconologiques et moraux dont la création est toute moderne. […] La langue latine n’a plus rien à nous apprendre : tous les sentiments moraux qu’elle devait nous transmettre sont acclimatés dans notre langue ; elle n’a plus de pensée nouvelle à nous révéler. […] Il est impossible encore d’apprécier toutes les révélations que nous devons recevoir de langues dont les racines primitives sont des manifestations morales ou intellectuelles plutôt que la représentation d’objets physiques ou l’expression de besoins matériels.
Mais il a rappelé, entre autres éloges indiscrets et malheureux, celui qui compare la popularité de M. d’Arlincourt à celle de Walter Scott ; et il a fini en signalant le but moral de l’Étrangère. […] Quant au but moral, de semblables productions ne sont bonnes qu’à égarer les imaginations affaiblies ; elles ne s’adressent pas aux esprits sains, et ne font que leur révéler une profondeur de démence qu’ils ont peine à croire et qu’ils ne comprennent pas.
Portoul ; non-seulement il se raille volontiers de la direction humanitaire dans la critique ou dans l’art, mais il se passe très bien, dans l’une et dans l’autre, d’un point de vue moral et d’un but utile quelconque ; il lui suffît en toutes choses de rencontrer ou de chercher la distinction, la fantaisie, l’éclat, la rareté de forme ou de couleur. […] Dans son premier point de vue intitulé la Vie dans la Mort, le poète, errant le 2 novembre dans un cimetière, y suppose la vie non encore éteinte, et essaye de se représenter les tourments, les agonies morales, les passions ulcérantes de tous ces morts, si, vivant encore d’une demi-existence, ils pouvaient sentir et savoir ce qui se continue sans eux sur la terre : Sentir qu’on a passé sans laisser plus de marque Qu’au dos de l’océan le sillon d’une barque ; Que l’on est mort pour tous ; Voir que vos mieux aimés si vite vous oublient, Et qu’un saule pleureur aux longs bras qui se plient Seul se plaigne sur vous.
Béranger, Pierre-Jean de (1780-1857) [Bibliographie] Chansons morales et autres (1815). — Chansons (1821). — Chansons nouvelles (1825). — Chansons inédites (1828). — Chansons nouvelles et dernières (1833). […] J’affirme qu’au point de vue moral, non seulement M.
Politique comme Thucydide, moral comme Xénophon, éloquent comme Tite-Live, aussi profond et aussi grand peintre que Tacite, l’évêque de Meaux a de plus une parole grave et un tour sublime dont on ne trouve ailleurs aucun exemple, hors dans le début du livre des Macchabées. […] La première partie du Discours sur l’Histoire universelle est admirable par la narration ; la seconde par la sublimité du style et la haute métaphysique des idées ; la troisième par la profondeur des vues morales et politiques.
Mais on ne fait pas attention que ces états forts de la conscience commune ne peuvent être ainsi renforcés sans que les états plus faibles, dont la violation ne donnait précédemment naissance qu’à des fautes purement morales, ne soient renforcés du même coup ; car les seconds ne sont que le prolongement, la forme atténuée des premiers. […] C’est pour la même raison que le parfait honnête homme juge ses moindres défaillances morales avec une sévérité que la foule réserve aux actes vraiment délictueux. […] La conscience morale de la société se retrouverait tout entière chez tous les individus et avec une vitalité suffisante pour empêcher tout acte qui l’offense, les fautes purement morales aussi bien que les crimes. […] Nous abrégeons cette partie de notre développement ; car nous ne pouvons que répéter ici à propos des faits sociaux en général ce que nous avons dit ailleurs à propos de la distinction des faits moraux en normaux et anormaux. […] Nous ne songerions même pas à protester contre une telle interprétation, si nous ne savions à quelles étranges accusations on s’expose et à quels malentendus, quand on entreprend d’étudier les faits moraux objectivement et d’en parler dans une langue qui n’est pas celle du vulgaire.
Avec une conviction véritablement profonde, il essaya d’exprimer les généralités des caractères et des passions dans toutes les tragédies qu’il écrivit, si l’on excepte quelques œuvres de ses vingt dernières années, où les personnages représentent plutôt des opinions philosophiques que des êtres moraux. […] Il sentait que la crainte d’exposer les signes brutaux des passions aux yeux des spectateurs, et l’habitude de montrer seulement les principes moraux des faits, avaient banni à peu près toute espèce d’action de nos tragédies, qui étaient devenues d’assez vides « conversations en cinq actes ». […] Il a l’idée de ce que rendront en scène chaque fait, chaque état moral : la douleur chrétienne de Lusignan, par exemple.