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28. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

C’était cette vieille idée de la conquête, qui fait qu’un homme, à la tête de quelques hommes comme lui, s’empare d’un pays mal gouverné, malheureux, exploité par des corrupteurs imbéciles, et le pousse dans des voies de prospérité, d’intelligence et de gouvernement. […] Raousset s’était engagé à en obtenir la concession du gouvernement mexicain, à y attirer l’émigration française, à en chasser les Indiens et à faire produire et fructifier ce sol unique que le désert reprend chaque jour. À force d’activité, de fermeté et de volonté maîtrisante, il avait obtenu la concession ; mais ce fut quand il s’agit de l’exploiter qu’il put juger de la mauvaise foi du gouvernement auquel il avait affaire et des dispositions générales du pays contre cet incroyable gouvernement. […] Un homme meurt, tué sur son idée, cela fait engrais à l’avenir sous les gouvernements qui prévoient et qui se souviennent. […] Il a une patrie, il aime mieux tout perdre, il aime mieux périr, que de se dénationaliser, comme le lui proposait le gouvernement mexicain.

29. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Eût-on réussi jamais à le fixer du côté du gouvernement ? De l’humeur dont il était, j’en doute fort, à moins qu’il n’eût bientôt espéré d’imprimer de son propre caractère à ce gouvernement. […] Tout ce prélude de sa politique pendant les derniers mois de 1830 ne se compose que de moyens termes, tels qu’en proposaient alors les hommes ralliés au gouvernement. […] « On a conquis en principe le véritable gouvernement représentatif » (13 septembre) ; que pourrait-on redouter encore ? […] Il blâmait la faiblesse du gouvernement en ces journées.

30. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Votre système de gouvernement est une organisation de l’ostracisme. […] Certes, il est difficile d’être plus que de Maistre partisan d’un gouvernement fort ; seulement, si l’on entend par gouvernement fort un gouvernement arbitraire, on inspire à de Maistre une amère pitié. […] Un gouvernement arbitraire n’est pas un mauvais gouvernement, c’est l’absence de gouvernement. […] Lui parlez-vous de gouvernement ? […] Je ne prétends point par là qu’il faut le moins de gouvernement possible ; c’est la théorie de Godwin et c’est celle qu’on m’attribue, mais ce n’est pas la mienne ; je ne demande pas le moins de gouvernement possible, je demande un minimum de gouvernement, ce qui n’est pas la même chose.

31. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

On ne peut pas impunément laisser penser la France ; dès qu’elle pense, elle conspire : elle conspire à haute voix sous les gouvernements despotiques ; elle conspire à voix basse sous les gouvernements absolus. […] Béranger a eu le tort de s’en servir quelquefois dans ses chansons de guerre contre le gouvernement des Bourbons. […] Ce crime contre la bienséance a eu son expiation en 1848 ; leur gouvernement, miné par eux, est tombé sur eux, hélas ! […] Ces chimères étaient nées après 1830 ; elles agitaient convulsivement les dernières années du gouvernement de Juillet. […] Un gouvernement, que l’Assemblée nationale n’a pas su ou n’a pas voulu lui faire.

32. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

Il reprit les rênes et rappela son ami Consalvi au gouvernement. […] Ils sont à Rome ce que les Narseis étaient au sein des cours et du gouvernement asiatique dans l’antiquité. […] Le plus chrétien de ces gouvernements, à ses yeux, était le plus honnête. […] L’œuvre était délicate et difficile, car ces hommes se faisaient soutenir par leur gouvernement. […] Son goût exquis dispensait la faveur, et sa faveur était celle du gouvernement romain.

33. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

La république, discutant en commun un grand nombre de ses intérêts, soumettant tous les choix par l’élection à la volonté générale, la république doit nous affranchir de cette foi aveugle qu’on exigeait jadis pour les secrets de l’art du gouvernement. […] L’on est un grand écrivain dans un gouvernement libre, non comme sous l’empire des monarques, pour animer une existence sans but, mais parce qu’il importe de donner à la vérité son expression persuasive, lorsqu’une résolution importante peut dépendre d’une vérité reconnue. […] L’agitation inséparable d’un gouvernement républicain met souvent en péril la liberté, et si ses chefs n’offrent pas la double garantie du courage et des lumières, la force ignorante ou l’adresse perfide précipitent tôt ou tard le gouvernement dans le despotisme. […] L’être moral d’un grand homme doit présenter cette organisation, cette balance, cette compensation, qui seule donne l’idée, dans les caractères comme dans les gouvernements, du repos et de la stabilité. […] La république doit donner beaucoup plus d’essor que tout autre gouvernement à ce mobile d’émulation ; elle s’enrichit des travaux multipliés qu’il inspire.

34. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

Le gouvernement lui-même, dans la personne des empereurs, a raisonné le pouvoir avec les peuples, les peuples ont raisonné l’obéissance avec le gouvernement. […] que ce grand objet de gouvernement demande de vigilance ! […] Les mandarins transmettent au gouvernement ces symptômes de l’opinion publique, ce cri muet des peuples dans leur gouvernement. […] La littérature politique de la Chine a peu de témoignages plus frappants et plus authentiques de la nature toute intellectuelle, toute philosophique et toute littéraire de ce gouvernement. […] Alors seulement je me déchargerai du pesant fardeau du gouvernement.”

35. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Mgr Rudesindo Salvado »

C’est celui même du gouvernement de l’Angleterre, tel que nous le trouvons indiqué dans cette humble chronique, toute éclatante de candeur et de vérité. […] on peut se fier au sentiment de la réalité qui distingue le gouvernement d’Angleterre. […] De tous les gouvernements qui peuvent immensément par eux-mêmes et qui s’imaginent, malgré l’expérience, jeter la civilisation à tous les rivages avec les ancres de leurs vaisseaux, le gouvernement d’Angleterre est assurément le plus intelligent, le plus profond, le plus habile. […] Eh bien, le gouvernement d’Angleterre — ce gouvernement qui est tout ce que nous venons d’énumérer — a senti, pour la première fois, — depuis qu’il sème des colonies, c’est-à-dire de la graine de société sur les continents qu’il découvre, — l’insuffisance de sa propre action sur la terre d’Australie et la force très suffisante de quelques prêtres, qui n’ont pour toute ressource que la consigne de Rome et leur crucifix sur le cœur ! […] Et de fait, c’est là l’idée humaine, l’idée raisonnable au sens philosophique du mot, que d’imputer à l’Église romaine des modes d’action, des combinaisons et des ressources semblables à ceux des autres gouvernements.

36. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Aucun gouvernement représentatif ou républicain en Europe ne jouissait d’autant de liberté que les Toscans. Ce gouvernement n’était ni autrichien ni français, il était toscan, il s’était naturalisé italien. […] Corrompre pour régner et régner pour corrompre, fut la nature de ce gouvernement. […] Ce gouvernement ne fut qu’une phase de l’anarchie intérieure ; Pierre Frégose, fils du neveu du doge, fut réinstallé comme chef unique. […] Quand le Piémont succomba et qu’il lui fallait un secours et non des conseils, nous n’étions plus au gouvernement.

37. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Jusque-là le gouvernement a priori sera le plus détestable des gouvernements. […] Le gouvernement est alors absolu et se fait au nom de la doctrine acceptée de tous. […] Le gouvernement légitime est celui qui se fonde sur la raison du temps ; le gouvernement illégitime est celui qui emploie la force ou la corruption pour se maintenir malgré les faits. […] L’idéal d’un gouvernement serait un gouvernement scientifique, où des hommes compétents et spéciaux traiteraient les questions gouvernementales comme des questions scientifiques et en chercheraient rationnellement la solution. […] Certes, si tous étaient comme nous, non seulement le gouvernement serait plus facile, mais il serait à peine besoin d’un gouvernement.

38. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Argument » pp. 287-289

Trois sortes de natures, de mœurs, de droits naturels, de gouvernements. — § I. […] Gouvernements théocratique, aristocratique, démocratique ou monarchique. […] Elle est plus ou moins sévère selon la forme du gouvernement. […] Autres preuves tirées de la manière dont chaque état nouveau de la société se combine avec le gouvernement de l’état précédent. […] Réfutation de Bodin, qui veut que les gouvernements aient été d’abord monarchiques, en dernier lieu aristocratiques.

39. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Quiconque y fait obstacle est l’ennemi du genre humain ; gouvernement, aristocratie, clergé, quel qu’il soit, il faut l’abattre. […] Pendant des années, le gouvernement parlera au peuple comme à un berger de Gessner. […] Insuffisance et fragilité de la raison dans l’humanité  Insuffisance et rareté de la raison dans l’humanité  Rôle subalterne de la raison dans la conduite de l’homme  Les puissances brutes et dangereuses  Nature et utilité du gouvernement  Par la théorie nouvelle le gouvernement devient impossible. […] Au nom de la souveraineté du peuple, on retire au gouvernement toute autorité, toute prérogative, toute initiative, toute durée et toute force. […] Rousseau, Sur le Gouvernement de Pologne, 277, 283, 287.

40. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Il espère cependant que chaque gouvernement qui survient réalisera le bonheur dont on l’avait flatté. […] Fiévée insiste pour que, malgré l’influence de ces hommes et les ménagements qu’on leur doit, le gouvernement en vienne le plus tôt possible à condamner hautement les faux principes. […] Fiévée nie que ce soit là une exacte conséquence : « Il serait fort extraordinaire, dit-il, que quatorze siècles de monarchie ne puissent plus servir en France qu’à faire opposition même au gouvernement d’un seul. » Il montre qu’entre ce retour aux vrais principes de gouvernement et un retour à l’Ancien Régime, il y a toujours un énorme obstacle qui s’interpose, à savoir la masse d’intérêts créés par la Révolution. […] Il signale, à cette date, l’absence de toute règle et de toute direction dans les écoles du gouvernement : « En ne considérant que les résultats, on trouverait que le gouvernement paye aujourd’hui pour que l’on instruise des hommes qui deviendront de plus en plus difficiles à gouverner. » Toutes ces idées de M.  […] Il est permis sans injure de lui supposer une telle ambition ; il avait contre la centralisation administrative et sur le gouvernement des Communes par elles-mêmes une doctrine qui allait naturellement à cette armée de gentilshommes de province.

41. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Léon XIII et le Vatican »

Mais pour qui sait combien ces connaissances, dont l’époque raffole, sont de peu dans le gouvernement des hommes, il y avait mieux à glorifier dans Léon XIII, et c’étaient les facultés qui ne sont créées par personne et qu’on tient de Dieu pour le service de Dieu. […] Grégoire XVI, qui comprenait le gouvernement comme un ancien moine, — car il n’y a personne de plus près d’un homme d’État qu’un moine, à qui la Règle a appris le commandement par l’obéissance, — Grégoire XVI, enchanté de son Délégat, le nomma, de satisfaction, archevêque de Damiette et nonce à Bruxelles. […] C’était un de ces hommes politiques dont les facultés prudentes et flexibles s’ajustaient exactement à ce genre de gouvernement qu’on appelle « constitutionnel ». […] C’est là une hypothèse hardie, mais l’Église a bien accepté le gouvernement des Césars, et des Césars abominables, pour le pénétrer de son esprit, et nous vivons là-dessus, nous qui vivons encore. L’Église est assez forte pour embrasser tous les genres de gouvernement et ne pas mourir de cet embrassement.

42. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Le père Augustin Theiner »

Et que si les gouvernements et les peuples, lesquels veulent tous un peu être des gouvernements, ramenés aux mêmes erreurs que du temps de Clément XIV par des écrivains stupides et perfides, se reprenaient d’une haine qui n’est pas fatiguée contre une société abattue par un pape mais que d’autres papes ont relevée, et voulaient la frapper encore, le P.  […] Eh bien, au cas où la question contre les jésuites, qui n’est que la question contre Rome, et la question contre Rome, qui n’est que la question contre les gouvernements, serait encore une fois posée par les éternels ennemis des gouvernements et de Rome, ces derniers, dont nous connaissons la tactique, ne manqueraient point certainement, soit pour prévenir l’Opinion, soit pour persuader la Faiblesse, soit pour couper court aux hésitations, de s’appuyer sur le livre du P.  […] Partout et toujours, dans leurs rapports avec les gouvernements les plus divers comme dans leur lutte avec le Jansénisme, ne les avait-on pas trouvés du côté de la liberté humaine telle que Dieu veut qu’elle soit réglée, et de la civilisation du monde ? […] Car sa condescendance à des gouvernements insensés qui lui imposèrent leur folie, cette soumission que nous avons payée si cher et qui, bassesse ou faiblesse, peu importe ! […] en vain à les sauver, appesantirent sur eux la main du pape en exaspérant les gouvernements par leurs intrigues.

43. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Or le gouvernement d’Athènes est le contraire d’un gouvernement ; car gouverner est sans doute un art ou une science. […] Le gouvernement d’Athènes consiste essentiellement à écarter du gouvernement ceux qui peuvent avoir la science du gouvernement ou l’art de gouverner. […] Ce gouvernement n’est donc, comme les deux autres, qu’une faction et non un gouvernement proprement dit, c’est-à-dire qu’il est un gouvernement d’oppression, un gouvernement qui a des sujets et non un gouvernement « de gré à gré ». […] Le gouvernement de Sparte est un gouvernement équilibré. […] Le gouvernement de Sparte est équilibré.

44. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Les Césars »

Nous trouverions dans son histoire une conception plus nette et plus exacte du gouvernement de Rome par elle-même, et surtout du gouvernement des provinces par Rome. […] Initié aux vues supérieures du gouvernement par le catholicisme ; qui, en généralisant les devoirs, a simplifié l’obéissance, Champagny a parfaitement compris le rôle de la famille dans l’organisation romaine. […] en raison de la forme républicaine qu’eut un jour son gouvernement, mais, au contraire, pour une raison souverainement monarchique. On ne saurait trop le répéter, l’Empire, c’est la nationalité romaine concentrée dans la famille, et cette famille, c’est l’unité de la famille romaine transportée dans la sphère du gouvernement. C’est la centralisation du pouvoir, le problème et le progrès, à l’heure d’aujourd’hui, de tous les gouvernements.

45. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Pour les Daunou, pour les Tracy, tout gouvernement était un mal ; la question ainsi posée, il s’agissait pour la société de subir le moindre mal possible, et pour cela, d’avoir le moins de gouvernement possible, le plus de décentralisation et de dissémination de pouvoir à tous les degrés, et, à chaque pas, des barrières et des garanties contre les gouvernants. […] Il dit qu’il avait l’esprit de gouvernement, et c’est ce qu’il y aurait à prouver. […] Il écrivit dans un journal (les 6, 7 et 8 messidor, an III, si je ne me trompe) trois articles ou lettres un peu réactionnaires contre l’idée qu’avait la Convention de se continuer et de garder un pied dans le gouvernement qui succédait. […] Benjamin Constant s’en empara, pour y répondre en orateur, habile et faire une profession de foi libérale, et d’un libéralisme qui ne s’enchaînait pas à telle ou telle forme de gouvernement. […] Laboulaye que les plus libéraux eux-mêmes peuvent, à certain jour, être forcés de reconnaître, dès qu’ils touchent et tiennent à un gouvernement, qu’il y a des nécessités politiques auxquelles il n’est pas donné d’échapper.

46. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVIII. Pourquoi la nation française était-elle la nation de l’Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de gaieté » pp. 366-378

Le gouvernement étant le centre de la plupart des intérêts des hommes, les habitudes et les pensées suivent le cours des intérêts. […] Il y avait dans d’autres pays des gouvernements monarchiques, des rois absolus, des cours somptueuses ; mais nulle part on ne trouvait réunies les mêmes circonstances qui influaient sur l’esprit et les mœurs des Français. […] Quelques-uns de ses droits devaient être exercés sans être reconnus, d’autres reconnus sans être exercés ; et les considérations morales étaient saisies par l’opinion avec une telle finesse, qu’une faute de tact était généralement sentie, et pouvait perdre un ministre, quelque appui que le gouvernement essayât de lui prêter. […] Le point le plus élevé, la source de toutes les faveurs, est l’objet de l’attention générale ; et comme dans les pays libres le gouvernement donne l’impulsion des vertus publiques, dans les monarchies la cour influe sur le genre d’esprit de la nation, parce qu’on veut imiter généralement ce qui distingue la classe la plus élevée. Lorsque le gouvernement est assez modéré pour qu’on n’ait rien de cruel à en redouter, assez arbitraire pour que toutes les jouissances du pouvoir et de la fortune dépendent uniquement de sa faveur, tous ceux qui y prétendent doivent avoir assez de calme dans l’esprit pour être aimables, assez d’habileté pour faire servir ce charme frivole à des succès importants.

47. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Laffitte avait pris au sérieux toutes les théories de l’opposition des quinze ans, et, en les transportant dans le gouvernement, il le rendait impossible. […] Ses instincts, d’autres diront peut-être son génie, le conduisaient à sympathiser plutôt avec les idées d’ordre, de stabilité, de gouvernement, qu’avec les principes de liberté, de réforme, de progrès. […] Comme la plus belle des facultés humaines est la volonté, il a pu montrer dans le gouvernement, et à un assez haut degré, une espèce de volonté qui, dans l’opposition, ne semblait que de l’esprit de harcèlement. […] Si sa volonté eût été aussi éclairée que tenace, c’eût été un chef de gouvernement assez remarquable ; mais il péchait par le jugement. […] Le gouvernement de Juillet, entré dans les voies de Casimir Périer, pouvait se ralentir de temps en temps, mais il ne devait plus reculer.

48. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

On ne saurait reprocher au gouvernement d’avoir provoqué les démissions que les honorables professeurs ont cru devoir donner. […] Ce gouvernement n’a point un type unique, et seul bon, d’après lequel il doive être partout et nécessairement institué. […] Je ne me permets point de juger ce que fait ou ne fait pas la Providence, grand mot dont on abuse, et qui n’est souvent que la déification de notre propre pensée ; mais il me semble que si le gouvernement représentatif n’a pas un type unique et seul bon, et s’il n’est pas lui-même l’unique gouvernement possible, il faut se garder d’offrir toujours des types dans un ordre aussi changeant et aussi divers que celui de l’histoire, et dans lequel le fait donne à la théorie des démentis perpétuels. […] Guizot voulait, en effet, moins encore enseigner l’histoire que constituer et professer le gouvernement moderne de la France ; M.  […] Il a pu dire certainement : « Ma plus grande victoire, ce fut mon gouvernement civil… » Il a pu dire de Tacite « qu’il était de la minorité.

49. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

On était à l’œuvre pour établir une nouvelle Constitution, un nouveau gouvernement. Roederer n’eut pas seulement à donner son avis dans le Journal de Paris et dans un petit écrit de celle date intitulé Du gouvernement, il fut appelé sur sa réputation de constituant devant la commission des Onze et fut entendu. […] Faites un gouvernement, disait-il, faites-le homogène autant qu’il est possible : « sans l’homogénéité, j’ose prédire qu’on sera forcé de recourir plus tôt qu’on ne pense à l’unité physique ». […] Depuis les victoires de Bonaparte en Italie, il était évident, en effet, que les généraux et leurs troupes, au lieu de dépendre du gouvernement central qui les soldait, devenaient au contraire, par les contributions levées en pays conquis, les trésoriers de la nation et les percepteurs à main armée du gouvernement. Le sens de l’article était donc : Prenez garde aux généraux qui maintenant alimentent le Trésor public ; et vous, qui êtes le gouvernement, avisez à régulariser et à faire arriver à vous la nouvelle source de richesses qui est entre leurs mains.

50. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Nous ne doutons pas qu’en écrivant l’histoire de la société et du gouvernement du Directoire Μ. de Cassagnac ne l’ait éprouvé. […] de nous montrer le gouvernement de Juillet dans tout ce qui fît le hasard de sa durée et de sa force. […] Pouvoir, opposition, partis, gouvernements étrangers, personne ne croyait assez à soi pour oser être et nettement agir. […] On y voit toutes les classes du pays se laissant gouverner plutôt que voulant être gouvernées, et les gouvernements étrangers dans la même disposition de laisser-faire vis-à-vis du gouvernement de la France. […] Si, comme je l’ai rappelé et comme on l’a répété longtemps, Granier de Cassagnac avait été l’immoral Bravo de tous les pouvoirs, pourquoi n’a-t-il servi jamais que des gouvernements restés monarchiques, à une époque qui a vu d’autres gouvernements ?

51. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

Pourquoi la liberté n’appartiendrait-elle pas aux gouvernements comme aux nations, et aux princes comme aux sujets ? Et alors, pourquoi s’étonner que les gouvernements et les princes fassent de temps en temps un mauvais emploi de leur liberté, quand ce ne serait que pour la constater ? […] Je ne rappelle ce temps de notre histoire que pour avoir occasion de faire remarquer que nous étions loin d’être placés sous un gouvernement despotique, à l’époque même où ce gouvernement fut le plus absolu. Les gouvernements en effet étaient moins ombrageux, parce que les peuples n’avaient pas encore contracté la funeste habitude de discuter les bases mêmes de la société. […] Les gouvernements se sont toujours appuyés sur les traditions ; mais les peuples refusent de se soumettre désormais à l’autorité des traditions : tous les termes du problème sont donc changés.

52. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

Guizot ; on s’est trompé, je n’y pensais pas. » Mais il fallait y penser : dans un gouvernement constitutionnel ce n’est pas là un élément indifférent, et dont il convienne à un ministre qui aspire à être dirigeant de ne tenir aucun compte. […] Dans sa courte année de gouvernement, Casimir Perier, luttant contre les périls publics et contre un mal intérieur qui le minait, « hardi avec doute et presque avec tristesse », selon l’expression de M.  […] de ces diverses qualités et conditions, réputées par lui essentielles dans un homme de gouvernement, la seconde, la fécondité de l’esprit, lui a manqué ; il n’a su que résister avec une obstination magnifique, sans varier les moyens, sans trouver les ressources ou les expédients. […] Molé, avec infiniment moins de talent et de science que messieurs les doctrinaires, était par l’esprit plus homme d’État qu’eux, et avait des parties supérieures pour le gouvernement, l’art de concilier et de gagner, le ménagement des hommes, le sentiment et le tact des situations. […] En présence des grandes questions de gouvernement, la parole est à la fois puissante et très insuffisante ; elle prépare et n’achève pas ; il faut s’en servir sans s’y confier. » Et pourtant il est clair aujourd’hui pour tous, que lui et ses amis s’y sont trop confiés.

53. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

Mais, en Italie, cette subdivision n’a point produit son effet naturel ; le despotisme des prêtres, pesant sur toutes les parties du pays, a détruit la plupart des heureux résultats que doit avoir le gouvernement fédéral, ou la séparation et l’existence des petits états. Il eût peut-être mieux valu que la nation entière fût réunie sous un seul gouvernement ; ses anciens souvenirs se seraient ainsi plus tôt réveillés, et le sentiment de sa force eût ranimé celui de sa vertu. […] Le gouvernement absolu des orientaux, et leur religion fataliste, les portaient à détester les lumières philosophiques. […] L’ascendant de ce prince tenait lieu d’unité aux gouvernements italiens. […] Les Italiens, arrêtés par leurs gouvernements et par leurs prêtres dans tout ce qui pouvait avoir rapport aux idées philosophiques, n’ont pu que repasser sur les mêmes traces, et par conséquent s’affaiblir.

54. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre I. Publicistes et orateurs »

Il eut contre lui tous les partis qui représentaient les formes antérieures du gouvernement : légitimistes, orléanistes, républicains. […] Son expérience diplomatique, ses prétentions militaires, son réel patriotisme lui faisaient dénoncer dès 1864 l’imprudence d’un gouvernement qui laissait grandir la Prusse et n’avait pas d’armée. […] La déconsidération profonde que la lointaine expédition du Mexique jeta sur le gouvernement, est due en grande partie à l’éloquence passionnée de Jules Favre, qui pendant quatre sessions ne laissa passer aucune faute, aucun scandale de cette malheureuse entreprise. […] Membre du gouvernement de la Défense Nationale en 1870. […] Membre du gouvernement de la Défense Nationale en 1870, chef de la délégation de Tours.

55. (1887) Discours et conférences « Discours à l’Association des étudiants »

Mon vieux principe de fidélité bretonne fait que je ne m’attache pas volontiers aux gouvernements nouveaux. Il me faut une dizaine d’années pour que je m’habitue à regarder un gouvernement comme légitime. Et, de fait, c’est au bout de ce temps que les gouvernements peuvent se mettre à essayer quelque chose de bon. […] Ce moment où je me réconcilie, et où les gouvernements commencent de leur côté à devenir assez aimables avec moi, est justement le moment où ils sont sur le point de tomber et où les gens avisés s’en écartent. Je passe ainsi mon temps à cumuler des amitiés fort diverses et à escorter de mes regrets, par tous les chemins de l’Europe, les gouvernements qui ne sont plus.

56. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Ce sentiment du gouvernement est la première des qualités de l’homme d’État, comme il est le premier devoir de l’historien politique. […] Qu’est-ce, en effet, qu’un gouvernement dans l’acception métaphysique de ce grand mot ? Le gouvernement est la force des intérêts généraux de la société reliés ensemble pour le salut des sociétés contre la révolte et l’anarchie des intérêts particuliers qui cherchent sans cesse à prévaloir contre la communauté ; en d’autres termes, le gouvernement, c’est tous ; les factions, c’est l’individualité. […] Il n’avait pas eu besoin d’apprendre, il avait inventé la haute ambition ; c’était un despote inné : il portait en lui le gouvernement. […] Thiers, qui paraît doué lui-même à un haut degré de cet instinct du gouvernement et de ce dédain souvent si juste des théories, M. 

57. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

Indifférent au fond, comme sa vie entière l’a prouvé, à la royauté, à la république, à la cause des rois, à la forme des institutions des peuples, au droit ou au fait des gouvernements, les gouvernements n’étaient, à ses yeux, que des formes mobiles que prend tour à tour l’esprit du temps ou le génie national des sociétés, pour accomplir telle ou telle phase de leur existence. […] Une lettre fière et pressante pour le cabinet de Londres est adressée par le chef du gouvernement au roi d’Angleterre pour le convier à la paix. […] Il se trompe : un gouvernement de publicité ne solde pas d’attentats. […] Il se laisse nommer à une dignité inamovible, celle de grand électeur, afin de colorer sa sortie du ministère par une situation neutre dans le gouvernement des affaires européennes. Napoléon craint d’aliéner une pensée si vaste et si profonde de son gouvernement ; il la décore en l’éloignant.

58. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

Comme vous, j’avais fait un ouvrage qui avait alarmé le gouvernement sur l’effet politique qu’il pouvait produire. […] Sous un gouvernement comme le nôtre, chacun est bien libre d’avoir une opinion et de pouvoir la faire connaître tout entière. […] De même aussi les sacrifices du gouvernement pour les théâtres doivent avoir pour résultat, en encourageant ces entreprises commerciales, de tourner au profit de la société. Qui pourrait nier que les théâtres ont de véritables droits aux encouragements, aux récompenses du gouvernement ? […] Voilà ce qu’on appelle un gouvernement de grand homme !

59. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre IV. Suite des Philosophes chrétiens. — Publicistes. »

Cependant, Machiavel, Thomas Morus, Mariana, Bodin, Grotius, Puffendorf et Locke, philosophes chrétiens, s’étaient occupés de la nature des gouvernements bien avant Mably et Rousseau. […] Remarquons que les publicistes modernes ont vanté le gouvernement républicain, tandis que les écrivains politiques de la Grèce ont généralement donné la préférence à la monarchie. […] Les premiers voulaient que le gouvernement découlât des mœurs ; les seconds, que les mœurs dérivassent du gouvernement.

60. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

Influence du gouvernement de Louis XIV. — Trait de ressemblance entre ce gouvernement et l’état des lettres. — § II. […] Influence du gouvernement de Louis xiv. — Trait de ressemblance entre ce gouvernement et l’état des lettres. […] Il importe de distinguer l’influence du gouvernement de Louis XIV de l’influence personnelle du roi ; non que le gouvernement ne portât en toutes choses la marque de la personne, mais parce que ces deux influences ont eu des effets distincts, celle du gouvernement ayant été générale, et celle de la personne individuelle. […] Le gouvernement de Louis XIV y pourvut. […] Le génie, dans les lettres, ne tire pas moins d’avantage d’un gouvernement qui le comprend et le protège, que ce gouvernement ne tire de gloire des lettres qu’il fait éclore et prospérer.

61. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre I. La quantité des unités sociales : nombre, densité, mobilité »

Le gouvernement de Moscou, où les manufactures sont les plus nombreuses, ne dépasse pas 6569. […] Ce gouvernement direct et permanent de tous par tous, qu’on nous montre dans certaines sociétés primitives, n’était possible que grâce à l’étroitesse des clans. […] Il est vrai que le gouvernement direct du peuple par le peuple, dont on nous dit que les sociétés archaïques donnent quelques exemples, ne paraît guère possible dans une société volumineuse. […] On se tromperait donc étrangement si l’on croyait que les grandes proportions des sociétés modernes, par les formes de gouvernement qu’elles leur imposent, doivent les détourner d’adopter les idées égalitaires : plus vraisemblablement au contraire les petites proportions des cités antiques, par les formes de gouvernement qu’elles leur permettaient, les ont détournées de concevoir ces mêmes idées. […] Passy, Des formes du gouvernement.

62. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Pour la politique même et le gouvernement, ni les plus hauts esprits, ni les volontés les plus efficaces n’ont été toujours servis par le talent oratoire, et les partis eux-mêmes seront loin d’être représentés ici selon leur force ou leur influence. […] Le roi, au temporel, le pape au spirituel, sont les vicaires de Dieu, commis au gouvernement des hommes par la Providence qui dirige visiblement les affaires du monde. […] Sous tous les gouvernements, depuis le consulat de Bonaparte jusqu’à la monarchie de Louis-Philippe, il apporta le même programme. […] Il voulait un gouvernement fort, pour protéger l’individu contre toutes les forces capables d’en gêner l’expansion, mais un gouvernement limité, si je puis dire, pour ne pas gêner lui-même ou opprimer l’individu. […] Dans la Chambre la politique étroite, apeurée, matérialiste du gouvernement lui donnait beau jeu pour faire retentir les grands principes et les beaux sentiments : il y avait du reste bien de l’habileté et de la finesse sous les éclats de sa parole.

63. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Guéroult croit trop à l’influence et à la vertu d’un gouvernement, pas assez aux forces vitales, et par elles-mêmes si efficaces, de la liberté. […] Si, sous un mauvais gouvernement ou une mauvaise administration, sous une faible police, fût-elle républicaine, je ne puis rentrer chez moi passé minuit sans risque d’être assailli et dévalisé, je n’ai pas pleinement la liberté de rentrer passé minuit, tandis que sous une administration vigilante, qui éclaire les rues, même les plus écartées, et qui les surveille par ses gardiens, j’ai cette liberté de rentrer à l’heure qu’il me plaît. […] Un bien-être de plus, un mieux-être que la science, la civilisation, une bonne police, un gouvernement attentif et philanthropique, procurent au grand nombre des gens de travail et aux particuliers, est une liberté de plus, et qui, pour ne pas être écrite sur une Charte ou sur un papier, n’en est pas moins pratique, positive et de réelle jouissance. […] Il y a les gouvernements d’objections ou de résistance, et les gouvernements d’initiative. Les gouvernements de liberté pure ne sont pas nécessairement les plus agissants.

64. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

Quant à Montesquieu, le plus grand observateur politique des temps modernes, il n’a vraiment étudié de près que deux grandes formes politiques, la monarchie et le gouvernement mixte. […] Toutes ces causes diverses exercent une action fâcheuse sur le gouvernement de la démocratie. Et cependant la tendance générale et constante de ce gouvernement est le bien-être du plus grand nombre. […] Pour une place vacante, a-t-on dit, un gouvernement fait neuf mécontents et un ingrat : de même pour une faveur à accorder, pour un intérêt à régler, pour un droit à protéger. […] Autrefois on s’en prenait à la Providence, on laissait les gouvernements tranquilles ; aujourd’hui on n’importune plus la Providence, mais on s’en prend aux gouvernements.

65. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

Le pouvoir inauguré par la violence s’améliorait en vieillissant ; il se prit à voir que le développement libéral de l’homme est un intérêt majeur pour tout gouvernement. le pays, d’un autre côte, était enchanté de ce gouvernement médiocre. […] Ce désir d’un état politique impliquant le moins possible de gouvernement central est le vœu universel de la province. […] L’opposition était-elle plus éclairée que le gouvernement ? […] Le système de l’élection ne peut être pris comme base unique d’un gouvernement. […] Deux chambres sont donc nécessaires et jamais gouvernement régulier, quel qu’il soit, ne vivra sans deux chambres.

66. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre II. Causes générales qui ont empêché les écrivains modernes de réussir dans l’histoire. — Première cause : beautés des sujets antiques. »

L’état suit l’homme, passant du gouvernement royal ou paternel au gouvernement républicain, et tombant dans le despotisme avec l’âge de la décrépitude. […] Aussi tout est ténèbres dans leur origine : vous y voyez à la fois de grands vices et de grandes vertus, une grossière ignorance et des coups de lumière, des notions vagues de justice et de gouvernement, un mélange confus de mœurs et de langage : ces peuples n’ont passé ni par cet état où les bonnes mœurs font les lois, ni par cet autre où les bonnes lois font les mœurs. […] Ainsi les gouvernements se consolident à la fois.

67. (1875) Premiers lundis. Tome III « Sur le sénatus-consulte »

. — Mais ici ce n’est pas au point de vue du public, c’est au point de vue du gouvernement que je me place, et c’est le gouvernement qui a dû s’effarer tout le premier et se tâter pour savoir s’il était bien le même ; c’est lui qui a dû s’étonner de ne plus trouver un matin autour de lui ce qui y était la veille et se demander à son tour : Comment se fait-il que cette opinion qu’il y a quelques mois encore on supposait disciplinée et soumise, et quelque peu sommeillante, se soit tout d’un coup réveillée ? […] Un concert, un équilibre durable entre le gouvernement établi et la France si souvent renouvelée et mobile, est-il plus qu’un vœu honorable ? […] Mais enfin, qu’il y ait eu un jour un gouvernement qui ait fait à temps et jusqu’au bout sa réforme complète, son acte réfléchi de bon sens, de justice et de liberté, ce sera un bel exemple et qui ne s’est pas encore vu jusqu’ici. […] Par malheur je vois qu’elle a été, séance tenante, désavouée en partie par le gouvernement, et voilà pourquoi je maintiens mon mot de au sujet de l’application du sénatus-consulte. […] Elle est compromise, à mon sens, si le gouvernement se remet à céder à reculons, à disputer le terrain pied à pied comme dans une retraite.

68. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

On a vu quelles saines idées il a su remettre en vigueur dans le gouvernement de son pays ; mais on ne peut disconvenir qu’il ne poussât théoriquement un peu loin les conséquences de son excellente réforme républicaine, ou plutôt qu’il n’en restreignît les maximes à une simplicité trop élémentaire. Sa préférence si naturelle pour l’industrie agricole sur l’industrie manufacturière, son aversion et sa méfiance d’un gouvernement central dont l’Europe lui avait appris les abus, et que les fédéralistes voulaient installer fortement, le rôle d’opposition qu’il soutint contre eux peur la cause de la moralité politique, tout cela le conduisit à repousser avec une sévérité absolue des institutions et des entreprises qui, bien que mêlées en naissant à beaucoup d’imprudence et de licence, semblent pourtant liées de plus en plus au développement des sociétés modernes. […] En somme, le système de crédit public de Jefferson ne diffère pas de ce précepte privé, qu’il donne à l’un de ses petits-fils encore enfant : « Ne dépensez jamais votre argent avant de l’avoir dans vos mains. » Quelque médiocre valeur qu’on attribue à cette doctrine prudente d’économie domestique, appliquée au gouvernement d’un grand État, il faut reconnaître qu’elle était à la fois possible et sage pour les États-Unis d’Amérique, et qu’elle a porté ses fruits. […] On voit en un endroit que Jefferson s’effraye de l’intervention du gouvernement central, même pour la construction de certaines grandes routes et canaux. […] Avec un chef héréditaire, mais renfermé dans d’étroites limites ; avec un Corps législatif investi du droit de déclarer la guerre, une rigide économie des contributions publiques, l’interdiction absolue de toutes dépenses inutiles, on peut réaliser à un très haut degré les conditions d’un gouvernement honnête et éloigné de toute oppression ; mais la seule garantie de tout cela est une presse libre. » Si Jefferson vivait en ce moment ; si, âgé de 90 ans, et de son poignet de plus en plus perclus, il écrivait à son même ami, après une expérience nouvelle, ne lui manderait-il point, par hasard, que cet autre accommodement qu’il se figurait possible ne l’était guère plus en réalité que celui qu’il conseillait en 89 ?

69. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre III. Coup d’œil sur le monde politique, ancien et moderne, considéré relativement au but de la science nouvelle » pp. 371-375

Les trois formes de gouvernement se succédèrent chez eux conformément à l’ordre naturel ; l’aristocratie dura jusqu’aux lois Publilia et Petilia, la liberté populaire jusqu’à Auguste, la monarchie tant qu’il fut humainement possible de résister aux causes intérieures et extérieures qui détruisent un tel état politique. […] Celles du Nord, comme la Suède et le Danemark il y a un siècle et demi, et comme aujourd’hui encore la Pologne et l’Angleterre, semblent soumises à un gouvernement aristocratique ; mais si quelque obstacle extraordinaire n’arrête la marche naturelle des choses, elles deviendront des monarchies pures. — Cette partie du monde plus éclairée a aussi plus d’états populaires que nous n’en voyons dans les trois autres. Le retour des mêmes besoins politiques y a renouvelé la forme du gouvernement des Achéens et des Étoliens. Les Grecs avaient été amenés à concevoir cette forme de gouvernement par la nécessité de se prémunir contre l’ambition d’une puissance colossale.

70. (1874) Premiers lundis. Tome I « J. Fiévée : Causes et conséquences des événements du mois de Juillet 1830 »

« La monarchie est un système de gouvernement qu’il ne faut pas juger d’une manière générale ; cela n’est nécessaire dans aucun cas. […] Trois jours de combat, et les ateliers se rouvrirent avec la certitude d’une longue sécurité ; c’est ce que voulait un peuple qui craint le joug du besoin, mais qui a accepté la nécessité du travail depuis qu’il jouit d’un peu d’aisance et d’un peu d’instruction qui doivent tendre à s’accroître, dès que des habitudes nouvelles lui ont fait comprendre qu’il n’y a rien de plus moral que le travail pour ceux qui ont leur fortune à commencer, et que la vie publique pour ceux dont la fortune est faite. » Après ce qui s’est passé dans les rues, l’auteur de la brochure comprend et indique très-bien ce qui doit se passer dans le gouvernement par rapport à la société. Il y a là plus d’un bon conseil, et nous invitons ceux qui peuvent en profiter à y réfléchir : « Le 26 juillet, la position de la France était bien plus compliquée, bien plus extraordinaire que si le gouvernement et l’administration publique avaient disparu par un événement surnaturel. Des trois pouvoirs qui composent le gouvernement, le pouvoir qui dispose de l’armée déclarait la guerre à la société ; les deux autres pouvoirs étaient nuls par des causes que j’expliquerai ; et l’administration publique, depuis longtemps organisée pour nous priver de tout mouvement, restait partout menaçante. […] Par suite de cet affermissement, tout ce qui ne se fera pas par le gouvernement dans le sens de la nation qui s’est sauvée elle-même, se fera en dehors du gouvernement. » 21.

71. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Deux diplomates »

Les diplomates servent aux hommes d’État, mais ils n’ont aucune initiative ; ils dépendent du ministre qui les emploie ; ils ne sont que les commissionnaires qui font les commissions d’un gouvernement à un autre, des commissionnaires avec plaque, — une plaque parfois d’émail ou de diamants ! […] Il n’y a pas que les peuples qui haïssent la supériorité au nom de l’insolente égalité humaine, et qui adorent la médiocrité parce qu’ils se reconnaissent en elle… Les chefs de gouvernement sont parfois peuple par ce côté-là ! […] Les gouvernements, qui se jalousent et qui se craignent, restent les uns en face des autres avec des sentiments ou des ressentiments contenus par des prudences inquiètes… et les corps diplomatiques demeurent entre eux, croupissant dans une immobilité d’observation que leurs Correspondances attestent. […] Ils auraient été peut-être capables de jouer la grande partie contre la Révolution dont ils parlent à chaque page de leurs lettres, et qu’ils conseillèrent, mais en vain, de jouer, à leurs gouvernements. […] Mais quand tous les chefs de gouvernements pourront se parler de bouche à oreille, de tous les cabinets et de tous les coins du globe, pas de doute qu’ils ne fassent eux-mêmes leurs affaires et qu’ils ne suppriment ces intermédiaires d’envoyés et d’ambassadeurs, d’un faste si grand et si coûteux pour ce qu’ils ont d’utile !

72. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Peinture superficielle des mœurs : réflexions graves sur le gouvernement. — 2. […] Mais on le voit dans les Lettres persanes se tourner vers l’étude des gouvernements et des constitutions. […] Le titre de l’ouvrage accuse suffisamment cette étrange inconséquence : De l’esprit des lois, ou du rapport que les lois doivent avoir avec la constitution de chaque gouvernement. les mœurs, le climat, la religion, le commerce, etc. : comme si mœurs, gouvernement, religion, commerce n’étaient pas déterminés plus ou moins par les conditions primitives d’existence, au premier rang desquelles est le climat. […] Embrassant d’une vue l’histoire universelle, il réduit toutes les formes de gouvernement à trois : république, monarchie, despotisme. […] Pour parler du gouvernement républicain, Montesquieu a étudié Rome, les cités grecques ; il a sous les yeux les cantons suisses, Venise, Raguse.

73. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Le romancier qui soutient trop une thèse (voilà le défaut, malgré la grâce et les ressources de son talent), pose en fait que tous les gouvernements sont, (l’essence, les ennemis de la pensée, de l’art, de la poésie, ce qui n’est pas nécessairement, et il le prouve (on prouve tout ce qu’on veut quand on a de l’esprit et de l’invention dans l’esprit) par trois romans historiques qu’il a comme incrustés dans un premier roman, qui est la base même de sa thèse, discutée entre Stello, le poète spleenétique, et le docteur Noir, son médecin. Ces trois romans ne sont rien moins que la mort de Gilbert, la mort de Chatterton et la mort d’André Chénier, répondant toutes les trois à la pensée du romancier, qui est l’hostilité éternelle de tout gouvernement contre les poètes, et représentant vis-à-vis de ces morts illustres, dont ils furent les bourreaux, l’action des trois formes de gouvernements qui dominent le monde et l’enserrent : le Gouvernement Absolu, le Gouvernement Représentatif, et le Gouvernement Républicain. […] Mais les prendre, ces pathétiques récits, pour en faire un argument contre tous les gouvernements possibles, là est le vice peut-être, et serait, chez un autre que Vigny, certainement le danger. Les gouvernements ne sont pas faits d’une autre pâte que les hommes auxquels ils commandent. […] Dans tous les gouvernements, d’ailleurs, il y a à courir la bordée des grands hommes ou des imbécilles.

74. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Les papes ont donc comme souverains un gouvernement. […] Ce sont ces notes authentiques dont le gouvernement romain d’aujourd’hui a donné communication à M.  […] Le gouvernement révolutionnaire avait confisqué mes propriétés, sous prétexte que j’étais émigré. […] C’était le pouvoir exécutif provisoire de ce gouvernement. […] En effet, l’empereur s’abstint de toute initiative dans son gouvernement, et ne garda aucune action que comme police militaire.

75. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

Si la Révolution qui se poursuit toujours avait eu son gouvernement propre et naturel, la république, cette république eût été moins tumultueuse et moins inquiète que nos cinq tentatives de monarchie. […] À une époque de mouvement, un gouvernement de mouvement, voilà la loi ! […] Les partis politiques, dans l’Assemblée et dans le gouvernement lui-même, quelquefois en lutte sur des questions de principe, étaient unanimes pour la répression de tout attentat populaire à la république et à la représentation nationale. […] La république, seule de tous les gouvernements attaqués à main armée dans son centre, triompha héroïquement, mais d’un triomphe qui n’aurait dû coûter que peu de sang, et qui coûta bien des vies précieuses à la France. […] Les ateliers nationaux, loyalement influencés par le gouvernement, offrirent au contraire leur secours, le 24 juin, pour combattre la sédition naissante, et se séparèrent presque à l’unanimité des séditieux.

76. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Il se plaça à la tête des membres de l’Université qui portèrent une censure courageuse sur le choix prostitué du gouvernement. […] Quand on le lit, on prend une idée assez juste de la solidité et de la résistance que doit opposer pour un temps à la réaction catholique, cette religion anglicane, ruinée dans la conscience publique, mais debout encore dans le gouvernement du pays. Ainsi, le gouvernement ! […] L’évêque de Jérusalem n’est qu’un consul, un chargé d’affaires du gouvernement britannique, se liguant, selon des convenances diplomatiques ou commerciales, avec des musulmans contre des romains et des grecs. […] Ce que le grand agitateur n’a pas fait, le gouvernement anglais pourrait l’accomplir.

77. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Elle a soulevé tous les peuples contre leur gouvernement, et depuis que ces gouvernements semblent avoir repris les rênes de leurs peuples, elle a condensé dans les cœurs cette haine de l’autorité qui est une préparation à d’autres révoltes. […] Tout a passé, pour être broyé, sous cette information supérieure, sous cette critique à laquelle on peut appliquer ce qu’Amelot de la Houssaye disait du gouvernement de Venise : C’est une verge couverte d’yeux. […] Comment ce peuple, d’ailleurs, dit l’auteur de l’Histoire des Causes, aurait-il pu suspecter un gouvernement qui employait Billaud-Varenne, Barrère, Roland ; que Marat louait ; et qui pensionnait Condorcet et Chamfort ? […] Elle ne tenait qu’à un déficit dans les finances, ce qui n’a jamais perdu un gouvernement : preuve, l’Angleterre et sa dette. […] Or, les écrivains sont les premiers soldats des gouvernements.

78. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

On était, en effet, en 1796, et tant de tentatives pour établir un gouvernement libre, tant de sacrifices, tant d’efforts, tant d’utopies, aboutissaient au directoire, ce gouvernement qui avait épuisé l’arbitraire sans pouvoir arriver à l’autorité. […] Tandis que le chef du nouveau gouvernement travaillait sur les faits, M. de Bonald travaillait sur les idées. […] Au fond, le gouvernement de la France était à ce prix. […] Que feriez-vous sous un gouvernement représentatif ? […] Mais il était indiqué que la tolérance du gouvernement pour les conférences de M. 

79. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Les visites furent des devoirs de société, les salons des assemblées publiques, sans contrôle des gouvernements. […] La force ou l’idée, voilà alternativement le gouvernement de la France ; mais il n’y a point de place pour le gouvernement de convention et de préjugé. […] Le gouvernement de la terreur remplaça le gouvernement de l’opinion. […] Necker, il portait, dès le lendemain du 18 brumaire, ce défi aux puissances de la pensée : tel fut le caractère du gouvernement militaire sous les Marius, sous les Sylla, sous les Césars de Rome. […] Pourquoi, m’a-t-il répété hier, pourquoi madame de Staël ne s’attache-t-elle pas à mon gouvernement ?

80. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Argument » pp. 93-99

Du gouvernement de la famille, ou Économie dans les âges poétiques. == § I. […] La sévérité du gouvernement de la famille prépara les hommes à obéir au gouvernement civil. […] Le gouvernement de Rome fut, dans son origine, plus aristocratique que monarchique, et malgré l’expulsion des rois, il ne changea point de caractère, jusqu’à l’époque où les plébéiens acquirent le droit des mariages solennels et participèrent aux charges publiques.

81. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

C’est le droit des peuples de se donner à eux-mêmes le régime qui leur convient ; les Romains ne sont point hors la loi de ce droit des peuples en ce qui concerne leur forme de gouvernement intérieur. […] S’il en était autrement, il y aurait donc deux droits publics ou deux vérités contradictoires en Europe : un droit public du monde entier, qui est le droit des peuples de modifier leur gouvernement ; un droit public des États romains, qui serait la pétrification de la souveraineté civile dans Rome : c’est absurde ! […] Que les États romains, comme tous les États du monde moderne, peuvent, s’ils le jugent à propos, se constituer dans l’intérieur de leur limite, sous telle forme de gouvernement qui réunira l’assentiment de la majorité des citoyens. […] C’est qu’aucune nation étrangère, autrichienne, française ou piémontaise, n’a le droit de s’ingérer, les armes à la main, dans les volontés libres du peuple romain, soit pour imposer le gouvernement temporel des papes à ce peuple, soit pour l’abolir. […] Elle n’aura pour maître que le génie italien, elle n’aura pour gouvernement général qu’une diète d’États libres, où le droit de chacun, confondu dans le droit de tous, défiera l’Europe, mieux par le respect que par les armes, d’attenter à tant d’inviolabilités à la fois.

82. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

Ceux qui pensent que leurs opinions, en fait de gouvernement, les obligent à combattre la perfectibilité de l’esprit humain, font, ce me semble, un grand acte de modestie. […] Le système de la perfectibilité de l’espèce humaine a été celui de tous les philosophes éclairés depuis cinquante ans ; ils l’ont soutenu sous toutes les formes de gouvernement possibles6. […] Turgot l’a professé sous le gouvernement arbitraire, mais modéré du dernier règne ; et Condorcet, dans la proscription où l’avait jeté la sanguinaire tyrannie qui devait le faire désespérer de la république, Condorcet, au comble de l’infortune, écrivait encore en faveur de la perfectibilité de l’espèce humaine, tant les esprits penseurs ont attaché d’importance à ce système, qui promet aux hommes sur cette terre quelques-uns des bienfaits d’une vie immortelle, un avenir sans bornes, une continuité sans interruption7. […] Il n’est donc aucune opinion, excepté celle qui défendrait de penser, de lire et d’écrire ; il n’est aucun gouvernement, excepté le gouvernement despotique, qui puisse s’avouer contraire à la perfectibilité de l’espèce humaine. […] L’on a besoin d’un gouvernement plus éclairé, qui respecte davantage l’opinion publique au milieu des nations où les lumières s’étendent chaque jour ; et quoiqu’on puisse toujours opposer les désastres de quelques années à des raisonnements qui ont pour base les siècles, il n’en est pas moins vrai que jamais aucune contrée de l’Europe ne supporterait maintenant la longue succession de tyrannies basses et féroces qui ont accablé les Romains.

83. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Cependant l’accord entre le gouvernement provisoire et le journal conservateur ne fut pas long et ne pouvait l’être. […] « Monsieur, lui dit M. de Girardin, je refuse le secours que vous m’offrez, ou du moins c’est au Gouvernement de faire ce qu’il jugera à propos, cela ne me regarde en rien. […] L’État ne retient et ne garde que le strict indispensable, ce qui est indivis : le pouvoir individuel est élevé à la plus grande puissance ; le pouvoir indivis et collectif, l’État y est réduit à sa plus simple expression : on a un minimum de gouvernement. […] Le journaliste fait bien d’y pousser sans trop se soucier des retards, c’est la fonction et le métier du journal : l’homme de gouvernement ferait bien d’y regarder à deux et trois fois, s’il était mis en demeure d’appliquer. […] Dans ces questions toutes politiques et qui ne sont pas de notre ressort, nous le louerons seulement d’une chose : c’est d’avoir désintéressé le principe même du Gouvernement impérial ; c’est, lorsqu’il contredisait, de l’avoir fait sans aucune arrière-pensée maligne, sans aucun esprit de dénigrement et sans un soupçon de venin.

84. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Malaise moral. » pp. 176-183

Nous croyons que notre gouvernement fait, en Orient, ce qu’il peut. […] La vérité, c’est que, sans doute, le gouvernement n’a mis aucun empressement à nous renseigner ; mais c’est aussi que, rendus timides par une humiliation d’un quart de siècle, conscients de notre impuissance à défendre désormais, à travers le monde, les causes « humaines », nous ne tenions pas beaucoup à savoir, parce que nous étions incapables d’agir. […] * * * Mais, pour que notre gouvernement parlât ainsi, il fallait qu’il y fût encouragé par quelque grand mouvement d’opinion publique. […] Le gouvernement français n’a pas proposé le plébiscite en Crète ; il n’a pas fait cette démonstration, inutile dans le présent, mais nullement dangereuse, conforme à notre mission dans le passé et à notre intérêt dans l’avenir, — parce qu’il a craint d’être plus magnanime que la nation.

85. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Qu’est-ce que cette déclaration de la nécessité de maintenir par la force des gouvernements l’unité des religions établies ? […] Il n’y eut jamais, en réalité, deux esprits plus antipathiques en matière de gouvernement que l’esprit droit, ferme, absolu du premier Consul, et l’esprit oratoire, contradictoire et ambulatoire du chef de l’opposition britannique, M.  […] Le défaut de cette histoire est de prendre trop souvent l’expédient pour droit et l’habileté pour principe de gouvernement. […] On s’entendra ensuite sur le gouvernement qui doit lui succéder. […] Vous le deviez en outre à un gouvernement qui vous a comblé de biens.

86. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Calvin fonde l’Église et le gouvernement de Genève. — § III. […] Calvin fonde l’église et le gouvernement de Genève. […] Mignet, que Calvin fit une doctrine exagérée de logiciens un culte et une morale de puritains, et un gouvernement de démocrates… Il prépara dans Genève une croyance et un gouvernement à tous ceux en Europe qui rejetteraient la croyance et s’insurgeraient contre le gouvernement de leur pays. […] La dureté du gouvernement de Calvin rendit de la force et de l’audace au parti des libertins, et la lutte recommença entre eux et Calvin. […] Les illusions de la logique ont été la cause la plus innocente, et, par cela même, la plus ordinaire des excès de son livre et des excès de son gouvernement.

87. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Je sors d’une lecture du Discours résolu à moins exiger des gouvernements et plus de moi-même. […] Deux esprits se disputent le gouvernement des sociétés humaines, l’esprit de conservation et l’esprit de progrès. […] Il y a là de quoi faire le meilleur des gouvernements, et il n’y a pas de quoi donner ridée d’un gouvernement chimérique. […] Ils conduisent la société nouvelle à travers les ruines de l’ancienne, et ils en sont tout le gouvernement. […] Ai-je besoin de dire qu’il ne s’agit ni de l’autorité comme l’entendent ceux qui en usent mal et ceux qui sont incapables d’obéissance, ni de la puissance publique sous une forme particulière de gouvernement.

88. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VI. De la politique poétique » pp. 186-220

Du moment qu’il est établi (nous l’avons démontré et nous le démontrerons mieux encore) que les gouvernements ne sont point nés de la fraude, ni de la violence d’un seul, peut-on, en embrassant tous les cas humainement possibles, imaginer d’une autre manière comment le pouvoir civil se forma par la réunion du pouvoir domestique des pères de famille, et comment le domaine éminent des gouvernements résulta de l’ensemble des domaines naturels, que nous avons déjà indiqués comme ayant été ex jure optimo, c’est-à-dire libres de toute charge publique ou particulière ? […] Composées d’un ordre de nobles qui commandaient, et d’un ordre de plébéiens nés pour obéir, les cités eurent d’abord un gouvernement aristocratique. […] Grâce à cette forme de gouvernement, les nations nouvellement entrées dans la civilisation, devaient rester longtemps sans communication extérieure, et oublier ainsi l’état sauvage et bestial d’où elles étaient sorties. […] Tel fut donc l’héroïsme des premiers peuples, telle la nature morale des héros, tels leurs usages, leurs gouvernements et leurs lois. Cet héroïsme ne peut désormais se représenter, pour des causes toutes contraires à celles que nous avons énumérées, et qui ont produit deux sortes de gouvernements humains, les républiques populaires et les monarchies.

89. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

C’est par la bouche de Mentor que Fénelon a exposé ses maximes de gouvernement. […] Et pourtant, lu sans prévention, Bossuet n’a fait qu’exposer les principes sans lesquels ni les gouvernements ne peuvent faire le bien des peuples, ni les peuples ne peuvent supporter les gouvernements. […] Je sais aussi que le gouvernement de Louis XIV était plein d’abus, et que bon nombre des critiques de Fénelon sont méritées. […] Parmi les moyens de gouvernement, Fénelon interdit l’espionnage : à la bonne heure ! […] En politique, la théorie du gouvernement la plus chère à Fénelon est la domination de la noblesse.

90. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

À vingt-huit ans le gouvernement de Florence le choisit d’acclamation pour secrétaire de la république. Ce secrétaire rédigeait les actes du gouvernement, il les inspirait et les discutait en les rédigeant ; il était à la république ce que le souffleur est au drame, invisible, mais âme de tout. […] Les dépêches qu’il écrivit pendant ces vingt-cinq légations à son gouvernement sont des chefs-d’œuvre de sagacité, de clarté, de style, appropriés aux affaires. […] Soupçonné, mais non accusé, il fut obligé de renoncer à tout espoir de rentrer dans le gouvernement, et dut se retirer plus que jamais dans sa retraite indigente. […] Cette courte période de gouvernement représentatif laisse une glorieuse trace de lumière et de raison sur le royaume de Naples.

91. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Mais la différence fut grande et fatale entre les deux gouvernements. […] Le gouvernement et les mœurs des Grecs et des Romains devinrent classiques comme leurs poésies. […] Les formes du gouvernement rendaient aussi cette science oiseuse et inapplicable. […] Tel est à peu près l’esprit des anciens gouvernements européens, qui s’est conservé en Angleterre. […] Ainsi, l’on avait détruit tout le respect qui doit s’attacher au gouvernement.

92. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — III » pp. 174-189

Par malheur, le gouvernement qui régissait alors la France ne présentait plus qu’un simulacre d’autorité ou de liberté, et n’était de force à relever et à maintenir résolûment ni l’une ni l’autre. « Les messieurs sont divisés entre eux », écrivait Bonaparte à Joubert, à la veille du retour. […] Conservez cet esprit d’union et de discipline qui fera notre force et qui assure à tous les Français le maintien d’un gouvernement libre, et le respect des personnes et des propriétés. […] Faites que le gouvernement ait non seulement votre courage à récompenser, mais encore toutes les vertus qui distinguent le soldat citoyen. […] Cette journée du 20 octobre avait eu pour but ou pour prétexte de faire passer le gouvernement dans les mains des patriotes cisalpins et des amis de la France, en éliminant les tièdes ou les suspects. […] Mais Joubert n’était pas de ceux qui louvoient ; il se fit le défenseur, dans ses lettres au Directoire, et de Fouché (alors en rébellion ouverte contre son gouvernement), et de quelques-unes des mesures politiques prises par son prédécesseur Brune.

93. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

Des hommes sans cesse entourés de malheurs publics et des leurs, des hommes qui n’entendent parler au-dehors que de batailles perdues, et qui, chez eux, ont le triste spectacle de la misère et de la faim, ne seraient pas disposés à louer le gouvernement même qui serait le plus sensible à leurs maux. […] Toutes les administrations furent forcées, tous les ressorts tendus ; et l’erreur d’un seul homme changea le système de vingt gouvernements. […] Il eut des connaissances sur le gouvernement ; mais ayant passé presque tout son règne en grandes entreprises, c’est-à-dire, à conquérir ou à résister, au lieu de pouvoir diriger à son gré ses plans et ses systèmes, il était forcé de plier ses plans à ses besoins. […] Le gouvernement de Louis XIV produisit cet effet. […] On ne peut douter que cette foule de grands hommes qui parurent alors, ne fût le fruit d’un gouvernement attentif et éclairé.

94. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

L’ouvrage que M. de Meilhan publia à Hambourg en 1795, intitulé Du gouvernement, des mœurs et des conditions en France avant la Révolution, avec le caractère des principaux personnages du règne de Louis XVI, est d’un homme en qui les ridicules cessent dès qu’il tient la plume et qui mérite toute attention par la modération et les lumières. […] L’objet de M. de Meilhan est de présenter un tableau général exact du gouvernement de la France et de la société avant la Révolution, et de montrer qu’il n’y avait pas lieu ni motif à la révolte, qu’il y aurait eu moyen de la conjurer si on l’avait su craindre, et que lorsque la crainte est venue après l’extrême confiance, elle a, par son excès même, paralysé les moyens : « La légèreté d’esprit dans les classes supérieures a commencé la Révolution, la faiblesse du gouvernement l’a laissée faire des progrès, et la terreur a consommé l’ouvrage. » La description que donne l’auteur de l’ancien gouvernement de la France, de cette Constitution non écrite, éparse et flottante, mais réelle toutefois, est des plus fidèles ; il fait parfaitement sentir en quoi la France d’avant 89 ne pouvait nullement être considérée comme, un État despotique proprement dit ; il parle du roi et de la reine, du clergé, de la noblesse, du tiers état et du rapprochement des diverses conditions, des parlements, du mécanisme de l’administration, des lettres de cachet, de la dette, de l’influence des gens de lettres sous Louis XVI, avec une justesse et une précision qui me font considérer cet ouvrage comme la meilleure production de M. de Meilhan, après ses Considérations sur l’esprit et les mœurs, et comme pouvant se joindre à titre de supplément utile à l’Abrégé chronologique du président Hénault. […] Ce livre Du gouvernement, des mœurs et des conditions en France avant la Révolution est terminé par une suite de portraits historiques (Maurepas, Turgot, Saint-Germain, Pezay, Necker, Brienne), dans lesquels il y a des traits exacts et neufs, bien de l’esprit et même du talent29. […] Connaissant mieux votre nation et la Cour que lui, vous n’auriez jamais assemblé les notables, qui auraient pu être une bonne chose sous un autre gouvernement ; et c’est vous qui aviez dit au baron de Breteuil ce grand mot au sujet du premier club, que ce n’était pas une plante monarchique. […] » Pour nous, qui ne pouvons juger M. de Meilhan que par ses écrits, nous avons cru n’être que juste en lui accordant un souvenir, en lui assignant un rang élevé parmi les moralistes pour ses Considérations sur l’esprit et les mœurs (1787), et, parmi les politiques, pour son ouvrage Du gouvernement, des mœurs et des conditions en France avant la Révolution (1795).

95. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

C’est qu’ils sont eux-mêmes des hommes publics, engagés dans l’action, ayant part au gouvernement, instruits par l’expérience quotidienne et personnelle. […] Voulez-vous le rallier au gouvernement, faites qu’il y ait part. […] En 1759, d’Argenson, qui s’échauffe, se croit déjà proche du moment final. « Il nous souffle un vent philosophique de gouvernement libre et antimonarchique ; cela passe dans les esprits, et il peut se faire que ce gouvernement soit déjà dans les têtes pour l’exécuter à la première occasion. […] — Douceur et bonnes intentions du gouvernement. — Aveuglement et optimisme. […] Tous se rassurent, le gouvernement comme la haute classe, en songeant au bien qu’ils ont fait ou voulu faire.

96. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 5-79

Ils portent en eux, ces Bretons, les conditions du gouvernement d’eux-mêmes et des autres : ils sont réfléchis, ils sont audacieux et ils sont persévérants. […] Ils veulent que leur civilisation dure comme un monument : ils savent que rien ne dure dans les mobiles démocraties, gouvernements des passions et des caprices du peuple ; la hiérarchie est en tout la forme de l’ordre et la condition de la durée. […] La tente et la maison établissent des modes d’administration et de gouvernement entièrement opposés. […] Cette manie d’uniformité de gouvernement, que nous voulons imposer à des peuples que l’origine, le sol, le climat, ont faits si dissemblables, est une absurdité contre nature. […] Il y avait un juste orgueil dans les reproches de ses patriotes à leurs gouvernements.

97. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

Mille petits gouvernements se partageaient le pays. […] Pendant l’éclipse de l’égalité règne aussi ce qu’on appelle l’anarchie féodale, « c’est-à-dire l’absence de tout gouvernement central198 ». […] Le temps est passé où l’on pouvait dire avec Jefferson que le gouvernement fédéral n’était, pour les États-Unis que le département des affaires étrangères. […] Un gouvernement qui vise l’unification sociale peut trouver son compte à élever ceux qui étaient abaissés, comme à abaisser ceux qui étaient élevés. […] Suivant Spencer, un gouvernement centralisé interdirait les associations ouvertes, contractuelles, fondées sur les volontés, et non les corps fermés, naturels, fondés sur l’hérédité.

98. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Ce style de l’âme, si je puis m’exprimer ainsi, est un des premiers moyens de l’autorité dans un gouvernement libre. […] Necker, dans la langue dont se servent les chefs de plusieurs gouvernements. […] Les gouvernements libres sont appelés sans cesse, par la forme même de leurs institutions, à développer et à commenter les motifs de leurs résolutions. […] Dans les états où la loi despotique frappe silencieusement sur les têtes, la considération appartient précisément à ce silence, qui laisse tout supposer au gré de la crainte ou de l’espoir ; mais quand le gouvernement entre avec la nation dans l’examen de ses intérêts, la noblesse et la simplicité des expressions qu’il emploie peuvent seules lui valoir la confiance nationale. […] Le laconisme des Spartiates, les mots énergiques de Phocion, réunissaient autant, et souvent mieux que les discours les plus soutenus, les attributs nécessaires à la puissance du langage ; cette manière de s’exprimer agissait sur l’imagination du peuple, caractérisait les motifs des actions du gouvernement, et faisait connaître avec force les sentiments des magistrats.

99. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gasparin » pp. 100-116

— un gouvernement. Une fois l’esprit engrené dans cette logique, on devine ce que va devenir le gouvernement d’Innocent III dans les jugements du comte de Gasparin. […] L’auteur de l’Innocent III, — qui ne veut pas plus en religion de gouvernement que de sacrements, qui a rejeté Luther et vomi Calvin, parce que ces deux Révoltés contre le gouvernement de l’Église ont essayé tous deux de bâtir une église et un gouvernement avec les ruines qu’ils avaient faites, — l’auteur de l’Innocent III a inventé, pour les besoins de sa thèse contre l’Église romaine, deux principes et deux définitions qu’il oppose l’un à l’autre et qu’il appelle : l’un, le principe païen ; l’autre, le principe chrétien. […] la moralité du monde chrétien en proie aux erreurs les plus monstrueuses, — aucun de ces événements, qu’il fallait comprendre, n’a été jugé dans cette histoire au bout de la langue, et dans laquelle tout roule précipitamment et pêle-mêle, emporté par cette idée que l’Église romaine n’est pas la véritable Église, parce qu’elle a eu l’audace de vivre, de s’organiser et de devenir un gouvernement !

100. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le cardinal Ximénès »

I Un historien très opposé à l’Église et au Sacerdoce a dit, dans un de ses ouvrages : « Quand on lit l’histoire de l’Europe, ce qu’on y rencontre le plus, ce sont des Cardinaux à la tête de presque tous les gouvernements des États. […] Il fallait dire pourquoi des prêtres sont plus aptes au gouvernement des États que les autres hommes, et voilà ce que Voltaire n’a point dit… Le phénomène qui étonnait Voltaire, qui s’étonnait de peu, n’est point inexplicable. […] D’abord confesseur de la reine Isabelle, ensuite archevêque de Tolède, puis cardinal et grand inquisiteur de Castille et de Léon, enfin ministre et régent d’Espagne, sous les différentes pourpres du commandement qu’il revêtit avec tant de magnificence, l’humble sandale du Franciscain se retrouva toujours… Richelieu, auquel le docteur Hefele la comparé dans un parallèle très substantiel et très détaillé, est principalement gentilhomme et grand seigneur, — Mazarin est un habile et séduisant officier de fortune, — mais Ximénès est un moine qui entend le gouvernement des hommes parce qu’il le regarde du point de vue de Dieu. […] Seulement, si, comme Richelieu toujours, il arriva au gouvernement par une femme, ce ne fut point par une créature faible et fausse, aisément engouée, Italienne vaporeuse que l’odeur des roses faisait évanouir. […] Il eut l’influence, la direction, le gouvernement !

101. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIV. Vaublanc. Mémoires et Souvenirs » pp. 311-322

Cette partie de sa vie qui a l’intérêt des romans où l’on a le mieux peint la lutte de l’homme contre les choses, le danger, l’obstacle, l’ennemi, fait regretter amèrement qu’aux jours difficiles où les gouvernements qu’il servit curent besoin de fortes épaules, sur lesquelles ils pussent s’appuyer, on n’eut pas pensé à la sienne. […] Il n’avait pas l’étendue d’esprit et la puissance abstraite qu’il faut à un grand historien pour juger la Révolution française ; mais les hommes vraiment faits pour gouverner, pour mettre la main à cette pâte qu’on appelle le gouvernement, les ont-ils ? […] Pour lui il n’est nullement douteux que la Révolution pouvait être évitée, si on avait eu des hommes de caractère au gouvernement et non pas des philosophes, des badauds ou des niais qui se croyaient généreux ! […] Il importe à présent que les gouvernements ne s’abandonnent plus eux-mêmes, comme plusieurs d’entre eux ont fait, payant cette lâcheté de leur vie. […] Dussent-ils s’exagérer un peu leur empire, il est bon à toute heure, mais surtout à cette heure, que les Gouvernements ne croient plus à cette idée funèbre qui les a trop souvent perdus — l’impossibilité.

102. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

Les territoires bornés dans lesquels se resserrent les aristocraties pour la facilité du gouvernement, sont étendus par l’esprit conquérant de la démocratie ; puis viennent les monarchies, qui sont plus belles et plus magnifiques à proportion de leur grandeur. […] Du gouvernement soupçonneux de l’aristocratie les peuples passent aux orages de la démocratie, pour trouver le repos sous la monarchie. […] Ils partent de l’unité de la monarchie domestique, pour traverser les gouvernements du plus petit nombre, du plus grand nombre, et de tous, et retrouver l’unité dans la monarchie civile. […] Lorsque vinrent les âges de civilisation avec les gouvernements populaires, l’intelligence s’éveilla dans ces grandes assemblées112. […] Sous les gouvernements aristocratiques, la cause (c’est-à-dire la forme extérieure) des obligations consistait dans une formule où l’on cherchait une garantie dans la précision des paroles et la propriété des termes113.

103. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre V. Résumé. »

Au contraire, par leurs qualités comme par leurs défauts, par leurs vertus comme par leurs vices, les privilégiés ont travaillé à leur chute, et leurs mérites ont contribué à leur ruine aussi bien que leurs torts  Fondateurs de la société, ayant jadis mérité leurs avantages par leurs services, ils ont gardé leur rang sans continuer leur emploi ; dans le gouvernement local comme dans le gouvernement central, leur place est une sinécure, et leurs privilèges sont devenus des abus. À leur tête, le roi, qui a fait la France en se dévouant à elle comme à sa chose propre, finit par user d’elle comme de sa chose propre ; l’argent public est son argent de poche, et des passions, des vanités, des faiblesses personnelles, des habitudes de luxe, des préoccupations de famille, des intrigues de maîtresse, des caprices d’épouse gouvernent un État de vingt-six millions d’hommes avec un arbitraire, une incurie, une prodigalité, une maladresse, un manque de suite qu’on excuserait à peine dans la conduite d’un domaine privé  Roi et privilégiés, ils n’excellent qu’en un point, le savoir-vivre, le bon goût, le bon ton, le talent de représenter et de recevoir, le don de causer avec grâce, finesse et gaieté, l’art de transformer la vie en une fête ingénieuse et brillante, comme si le monde était un salon d’oisifs délicats où il suffit d’être spirituel et aimable, tandis qu’il est un cirque où il faut être fort pour combattre, et un laboratoire où il faut travailler pour être utile  Par cette habitude, cette perfection et cet ascendant de la conversation polie, ils ont imprimé à l’esprit français la forme classique, qui, combinée avec le nouvel acquis scientifique, produit la philosophie du dix-huitième siècle, le discrédit de la tradition, la prétention de refondre toutes les institutions humaines d’après la raison seule, l’application des méthodes mathématiques à la politique et à la morale, le catéchisme des droits de l’homme, et tous les dogmes anarchiques et despotiques du Contrat social  Une fois que la chimère est née, ils la recueillent chez eux comme un passe-temps de salon ; ils jouent avec le monstre tout petit, encore innocent, enrubanné comme un mouton d’églogue ; ils n’imaginent pas qu’il puisse jamais devenir une bête enragée et formidable ; ils le nourrissent, ils le flattent, puis, de leur hôtel, ils le laissent descendre dans la rue  Là, chez une bourgeoisie que le gouvernement indispose en compromettant sa fortune, que les privilèges heurtent en comprimant ses ambitions, que l’inégalité blesse en froissant son amour-propre, la théorie révolutionnaire prend des accroissements rapides, une âpreté soudaine, et, au bout de quelques années, se trouve la maîtresse incontestée de l’opinion  À ce moment et sur son appel, surgit un autre colosse, un monstre aux millions de têtes, une brute effarouchée et aveugle, tout un peuple pressuré, exaspéré et subitement déchaîné contre le gouvernement dont les exactions le dépouillent, contre les privilégiés dont les droits l’affament, sans que, dans ces campagnes désertées par leurs patrons naturels, il se rencontre une autorité survivante, sans que, dans ces provinces pliées à la centralisation mécanique, il reste un groupe indépendant, sans que, dans cette société désagrégée par le despotisme, il puisse se former des centres d’initiative et de résistance, sans que, dans cette haute classe désarmée par son humanité même, il se trouve un politique exempt d’illusion et capable d’action, sans que tant de bonnes volontés et de belles intelligences puissent se défendre contre les deux ennemis de toute liberté et de tout ordre, contre la contagion du rêve démocratique qui trouble les meilleures têtes et contre les irruptions de la brutalité populacière qui pervertit les meilleures lois.

104. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 368-371

Un tel usage du pouvoir est si contraire à l’idée du Gouvernement, que ce fut pour enchaîner ce pouvoir aveugle & féroce, que le Gouvernement fut institué : c’étoit pour que les hommes fussent libres, qu’il étoit nécessaire qu’ils fussent gouvernés : car le caractere de la multitude est de se laisser entraîner par la fougue des passions ; & ce fut pour nous soustraire à la tyrannie de la foule, que les Rois nous furent donnés. […] Nous renvoyons les Lecteurs de bonne foi à l’Ouvrage même : ils verront combien l’Auteur est éloigné de favoriser l’autorité arbitraire & le gouvernement despotique ; ils verront avec quelle force il défend les droits des Sujets, avec quel noble courage il présente au Prince, non seulement le tableau des devoirs de la Royauté, mais une infinité de principes & de vérités propres à écarter du cœur des Souverains, l’orgueil qui cherche sans cesse à les séduire & à leur faire oublier qu’ils ne sont sur le Trône, que pour rendre leurs Peuples heureux.

105. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Croyons-en donc de Maistre : chaque homme a sa part dans les épreuves des sociétés et dans la destinée des gouvernements. […] La chimère de l’infaillibilité du témoignage humain, comme principe unique de la vérité religieuse, a rejoint la chimère de l’infaillibilité du peuple, comme fondement unique des gouvernements. […] La pratique du gouvernement de discussion en a fait naître le goût dans notre pays. […] Vu du côté de la politique, ce livre est plein d’utiles leçons pour les gouvernements qui veulent durer. […] Alfred Nettement, Histoire de la littérature française sous la Restauration et sous le gouvernement de Juillet.

106. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

Thiers se hâte de nous présenter l’attentat accompli et d’écraser d’un odieux mépris le gouvernement de la république modérée sous la Directoire. […] Moreau n’était qu’un grand homme de guerre, Bonaparte était un grand homme de guerre et un grand homme de gouvernement. […] Elle ne faiblit que dans la main du philosophe ; partout ailleurs elle est tenue avec l’aptitude et la sûreté d’un écrivain qui a manié pendant une longue carrière politique toutes les questions de gouvernement, excepté la philosophie des gouvernements. […] Du reste, il n’avait pas un autre rôle sous le gouvernement consulaire. […] Thiers trouve ici l’occasion de juger le plus grand homme de tribune, de conseil et de gouvernement en Angleterre, M. 

107. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Son culte, son idéal, c’est le gouvernement parlementaire ; son ennemi, c’est le pouvoir absolu. Tout ce qui, à quelque degré, est pour le gouvernement parlementaire et pour ce qui y ressemble, il l’accepte comme allié et confédéré, fût-ce un fervent légitimiste, fût-ce un républicain ardent. […] … La question générale ainsi posée, en ces termes abstraits, serait d’une solution peut-être trop commode ; mais la vraie solution pratique consiste à savoir si telle nation, dans telles circonstances données, avec son humeur, son génie, son passé récent, son culte de souvenirs, ses besoins d’ordre et de réparation, ses autres besoins innés et non moins réels d’initiative, de prépondérance et de grandeur, peut et veut se gouverner de la première manière, si elle en est avide, désireuse et capable, si ce gouvernement de soi par soi-même n’aboutirait pas à la ruine de tout gouvernement, à l’anarchie et à la subversion. […] Vous parlez toujours avec dédain de gouvernement consultatif ; mais être consulté, est-ce donc une si grande injure ? […] Saint-Marc Girardin, comme lui-même nous permet aussi de le conjecturer, puisqu’il a dit quelque part qu’il n’enviait rien de plus qu’une semblable destinée, il n’aurait pas même eu ce quart d’heure de puissance, cette participation d’un jour dans le gouvernement de son pays ; car M. 

108. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

Ajoutez-en des milliers d’autres : en premier lieu, les financiers qui font au gouvernement des avances de fonds, avances indispensables, puisque, de temps immémorial, il mange son blé en herbe, et que toujours l’année courante ronge d’avance le produit des années suivantes : il y a 80 millions d’anticipations en 1759, et 170 en 1783. […] Non seulement il y a des précédents, et en cela le gouvernement ne fera que suivre son propre exemple ; mais telle est sa règle quotidienne, puisqu’il ne vit qu’au jour le jour, à force d’expédients et de délais, creusant un trou pour en boucher un autre, et ne se sauvant de la faillite que par la patience forcée qu’il impose à ses créanciers. […] Défiance et colère à l’endroit du gouvernement qui compromet toutes les fortunes, rancune et hostilité contre la noblesse qui barre tous les chemins, voilà donc les sentiments qui grandissent dans la classe moyenne par le seul progrès de sa richesse et de sa culture  Sur cette matière ainsi disposée, on devine quel sera l’effet de la philosophie nouvelle. […] Peu importe qu’il en use à peine, et que son gouvernement, docile à l’opinion publique, soit celui d’un père indécis et indulgent. […] Impossible de rien démêler dans ses explications, « sinon une perfection théorique de gouvernement, douteuse à son point de départ, risquée dans ses développements et chimérique quant à ses fins ».

109. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

Canning, ministre des affaires étrangères du gouvernement britannique, son ami. […] Il veut grandir la politique monarchique de son gouvernement, malgré M. de Villèle et malgré les Anglais. […] La réputation du gouvernement des Bourbons à l’extérieur est rétablie irréfutablement dans cet excellent ouvrage. […] Rien de grand avec ce gouvernement de manèges et de factions bavardes. Excepté dans l’affaire d’Alger et dans l’affaire d’Espagne, tous les gouvernements de la France, pendant les trente ans du gouvernement des Chambres et des journaux, n’ont été que le gouvernement de l’opposition !

110. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Si la constitution de France est libre, et si ses institutions sont philosophiques, les plaisanteries sur le gouvernement n’ayant plus d’utilité, n’auront plus d’intérêt. Celles même qui ont pour but, comme dans Candide, de se moquer de l’espèce humaine, ne conviennent point sous plusieurs rapports dans un gouvernement républicain. […] La royauté avait été souvent bannie, souvent détruite par les gouvernements anciens ; mais de nos jours elle a été analysée, et c’est ce qu’il peut y avoir de plus contraire aux effets de l’imagination. […] Sous un gouvernement républicain, ce qu’il doit y avoir de plus imposant pour la pensée, c’est la vertu, et ce qui frappe le plus l’imagination, c’est le malheur. […] La nature de convention, au théâtre, est inséparable de l’aristocratie des rangs dans le gouvernement : vous ne pouvez soutenir l’une sans l’autre.

111. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Né sous un gouvernement doux, vivant dans une société éclairée où le souvenir des factions était lointain, et où le despotisme qui les avait réprimées n’était plus présent ou du moins sensible, il accommoda légèrement l’humanité à son désir. […] On peut arrêter à chaque pas Montesquieu sur ses divisions générales de gouvernement, sur le principe qu’il assigne à chacun d’eux, sur les climats et le degré d’influence qu’il leur attribue, sur les citations de détail dont il a semé son ouvrage. […] Que nous fait à nous, je vous prie, ce que put faire Arribas, roi d’Épire, pour tempérer le gouvernement d’un seul ? […] En peignant si en beau le gouvernement des Anglais, qu’il avait pourtant vu de près avec ses ombres, il ne paraît pas s’être demandé de quel effet ces tableaux seraient en France. […] Dans l’habitude et dans l’ordre des gouvernements libres et modérés, on continuerait d’y trouver des inspirations générales et des textes mémorables.

112. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre II. Comment les nations parcourent de nouveau la carrière qu’elles ont fournie, conformément à la nature éternelle des fiefs. Que l’ancien droit politique des romains se renouvela dans le droit féodal. (Retour de l’âge héroïque.) » pp. 362-370

La même chose arriva aux nobles des nouveaux royaumes de l’Europe dont les gouvernements avaient été d’abord aristocratiques, et qui devinrent successivement populaires et monarchiques116 117. […] Ces deux dernières formes, convenant également aux gouvernements des âges civilisés, peuvent sans peine se changer l’une pour l’autre. […] Aussi voyons-nous le peu de gouvernements aristocratiques qui subsistent encore, s’attacher, avec un soin inquiet et une sage prévoyance, à contenir la multitude et à prévenir de dangereux mécontentemens. […] Bodin avoue que le royaume de France eut, non pas un gouvernement, comme nous le prétendons, mais au moins une constitution aristocratique sous les races mérovingienne et carlovingienne.

113. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

. — Autorité nouvelle de la raison dans le gouvernement des choses humaines. — Jusqu’ici ce gouvernement appartenait à la tradition. […] Jusqu’alors, dans le gouvernement des actions et des opinions humaines, la raison n’avait eu qu’une part subordonnée et petite. […] Voilà désormais la raison armée en guerre contre sa devancière, pour lui arracher le gouvernement des âmes et pour substituer au règne du mensonge le règne de la vérité. […] La faute est à nous, aux compartiments sociaux, aux canaux encroûtés et rigides par lesquels nous les dévions, nous les contournons, nous les faisons croupir ou bondir. « Ce sont vos gouvernements mêmes qui font les maux auxquels vous prétendez remédier par eux… Sceptres de fer ! […] Il faut des arts, des lois, des gouvernements aux peuples, comme il faut des béquilles aux vieillards. » (Lettre à M. 

114. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

En 1836, il lui semblait que le Gouvernement avait gagné et que la station serait assez longue ; il récrivait à un de ses amis d’Angleterre, M.  […] Les gouvernements n’ont jamais plus à veiller que du moment où, l’impression d’une précédente révolution s’affaiblissant, la moyenne de la nation n’en redoute plus le retour. […] Son Gouvernement le lui avait dit : il avait fait en son nom des menaces ; et dès que ces menaces imprudentes et folles avaient amené le danger, ce même Gouvernement, ce même prince, qui s’étaient montrés si susceptibles et si fiers, déclaraient qu’il fallait reculer. […] Mais<\ comment empêcher le Gouvernement de corrompre, lorsque le régime électif lui donne naturellement tant de besoin de le faire, et la centralisation tant de moyens ? […] S’il est resté quelque chose de la démocratie en France, dans nos institutions, c’est au gouvernement d’un seul qu’on le doit.

115. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Il mérite entièrement l’éloge que le commissaire du Gouvernement faisait de lui dans un rapport au ministre de l’intérieur : « Le citoyen Frochot, disait-il, est sincèrement attaché la Constitution. […] Le Gouvernement ne doit jamais perdre de vue un citoyen de ce mérite. » Avec Frochot on peut s’en tenir aux apparences directes et aux témoignages publics : homme sincère, il n’y a pas de double fond en lui. […] Au lendemain de brumaire, tous s’entendent pour le retenir et l’associer au glorieux Gouvernement qui s’inaugure. […] A la demande qui lui fut faite d’ouvrir une salle de l’Hôtel-de-Ville pour y assembler le Gouvernement provisoire, il ne sut que consentir et donner à son monde l’ordre de tout préparer… On souffre de cette candeur excessive chez un magistrat si digne d’ailleurs de respect et si recommandable. […] En 1815, à cette heure de réaction, tout disgracié du gouvernement impérial devenait comme de droit un favori et un adopté du régime nouveau.

116. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Quoiqu’on puisse, avec raison, lui reprocher tout ce qui, dans la nomination des sénateurs, tenait purement à l’hérédité, néanmoins le gouvernement de Rome, dans l’enceinte de ses murs, était un gouvernement libre et paternel. […] Le gouvernement aristocratique offrant une carrière plus lente et plus mesurée, fixe davantage l’intérêt sur tous les genres d’avenir : les lumières philosophiques sont nécessaires à la considération dans un corps d’hommes choisis, tandis qu’il suffit des ressources de l’imagination pour émouvoir la multitude rassemblée. […] L’éloquence orageuse de la Grèce, ni l’ingénieuse flatterie de la France ne sont faites pour les gouvernements aristocratiques : ce n’est ni le peuple, ni l’individu-roi qu’il faut captiver ; c’est un corps, c’est un petit nombre, mettant en commun ses intérêts séparés. […] Les opinions stoïciennes étaient le point d’honneur des Romains : une vertu dominante soutient toutes les associations politiques, indépendamment du principe de leur gouvernement ; c’est-à-dire qu’entre toutes les qualités, on en préfère une, sans laquelle toutes les autres ne sont rien, et qui suffit seule à faire pardonner l’absence de toutes. […] La principale cause de l’admiration qui nous saisit en lisant le petit nombre d’écrits qu’il nous reste de la première époque de la littérature romaine, c’est l’idée que ces écrits nous donnent du caractère et du gouvernement des Romains.

117. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Le peuple est souverain ; le gouvernement est son ouvrage et sa propriété ; les fonctionnaires publics sont ses commis. Le peuple peut, quand il lui plaît, changer son gouvernement et révoquer ses mandataires. […] Il fallait ou se résigner à périr avec eux, ou fortifier le gouvernement. […] Dans les temps réguliers, le gouvernement est partout en proportion égale. Dans les temps extrêmes, le gouvernement est, non de droit, mais de fait, partout où on le saisit.

118. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

Il ne vota pas sans faire de grandes réserves, sans adresser au gouvernement des paroles sévères et pleines d’émotion au sujet des troubles de juin. […] Tous les gouvernements ayant eu leurs lois de septembre, et les hommes qui les avaient combattues ce jour-là étant venus depuis, à leur tour, proposer les leurs sous le coup de la nécessité, il est plus facile aujourd’hui d’en bien juger et de s’en rendre compte avec impartialité. […] J’ai peu réfléchi, je l’avoue, sur les moyens qui étaient de nature à faire durer le dernier gouvernement ; mais je ne puis croire que les lois de septembre lui aient nui ; il est aujourd’hui plus que probable, ce me semble, qu’elles l’ont fait durer. […] M. de Broglie, poussé à bout, lâcha son fameux mot : « On nous demande s’il est dans l’intention du gouvernement de proposer la mesure ? […] Il fut pourtant encore de bien des choses publiques, commissaire du gouvernement pour régler avec le docteur Lushington les moyens d’arriver à l’extinction de la traite, et ambassadeur en Angleterre pendant les six derniers mois de la monarchie.

119. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

Les nouvelles de Paris se succédaient à chaque heure ; les décrets du gouvernement provisoire, les actes du Sénat arrivaient au quartier général d’Essonne. […] » Il fut donné à Marmont de se poser deux fois ce fatal problème : « Heureux, s’écriait-il, heureux ceux qui vivent sous l’empire d’un gouvernement régulier, ou qui, placés dans une situation obscure, ont échappé à cette cruelle épreuve ! ils doivent être indulgents. » Ne voulant pourtant rien prendre sur lui sans avoir consulté ses généraux de division, il les assembla, leur fit part des nouvelles de Paris, obtint leur adhésion unanime, et il fut résolu qu’on reconnaîtrait le gouvernement provisoire. Deux considérations agissaient surtout sur l’esprit de Marmont : donner à ce gouvernement une force militaire et morale qui lui permît de compter près des Alliés, et obtenir pour Napoléon déchu des conditions meilleures. […] Marmont qui, dans le premier moment, dès qu’il avait su la démarche irréparable, n’avait songé qu’à conserver les troupes au gouvernement provisoire, à les maintenir sous le drapeau, et qui accourait pour cela à Versailles, apprend en chemin cette sédition furieuse.

120. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre II. Réalité des idées égalitaires »

Le régime libéral devient le gouvernement normal de l’Europe. […] Ce n’est pas seulement la faculté de contribuer au gouvernement, mais celle d’être également protégés par les lois, d’accéder sous les mêmes conditions aux fonctions publiques, celle même de participer aux richesses collectives, qu’elles tentent de distribuer à tous leurs membres : elles ne veulent l’égalité politique que parce qu’elles veulent l’égalité juridique, civile, économique. […] L’égal accès aux fonctions publiques est, avec l’isonomie, le minimum des droits que tout gouvernement moderne reconnaît à ses sujets. Quant à l’égalité économique enfin, si elle est, de toutes, la moins réalisée, on peut juger, par les efforts que font tous les gouvernements pour réglementer les rapports du capital et du travail, que les aspirations qu’elle suscite se traduiront à leur tour dans les institutions. […] Maine, Essais sur le gouvernement populaire, p. 21.

121. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

On louait tantôt avec délicatesse, tantôt avec pompe ; et ces courtisans polis, sous un gouvernement qui avait de l’éclat, mêlaient de la dignité dans leurs hommages, et honoraient par l’éloquence les maîtres qu’ils flattaient. […] Nous ignorions alors que chaque langue a son caractère dépendant du climat, des mœurs, du gouvernement, des occupations habituelles de chaque peuple. […] Elle s’éloigna de la simplicité naïve de l’autre, pour prendre un caractère de délicatesse et de dignité, qui est une suite de notre gouvernement, et de l’influence que la cour, les femmes et les grands doivent avoir sur la langue dans une monarchie. […] Dans les anciennes républiques, l’éloquence faisait partie de la constitution ; sans elle point de gouvernement, point d’état. […] Cependant nous n’eûmes point d’éloquence politique : notre gouvernement et la forme de la constitution s’y refusaient.

122. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

C’est toujours la Révolution qui vient sur nous de toute la force de sa nécessité, et qui, quoi qu’on ose et qu’on fasse, emportera tous les gouvernements les uns après les autres pour ne les remplacer par aucune espèce de gouvernement. […] On sait que les dynasties ne jaillissent pas d’un événement à fleur d’histoire, mais qu’elles ont des préparations lointaines et profondes, causes mystérieuses, mais non impénétrables, de l’établissement d’une race dans le gouvernement d’un pays. […] Ils sont coupables de cécité. « Ils ont cru qu’ils n’avaient qu’à jouir de la centralisation qui s’était formée sous leurs prédécesseurs, et non à en généraliser l’action, afin de la rendre de plus en plus juste et féconde. » Dès que le Premier Consul paraît, au contraire, la centralisation sort tout organisée de son gouvernement.

123. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Véron »

Il veut faire vivre ensemble toutes les finesses : il croit plaire au gouvernement par tout ce qu’il dit de son chef ; bourgeois de Paris aux bourgeois de son département, par un regain d’opposition toujours chère à la bourgeoisie ; et à ses collègues par toutes sortes d’amabilités. […] Modifier la situation du Sénat vis-à-vis du pays et du gouvernement, ouvrir les fenêtres du Corps législatif, image charmante qui ne veut pas dire certainement qu’il faille les ouvrir comme au 18 brumaire à Saint-Cloud, se relâcher du système des avertissements, et toutes les questions, selon Véron, seront résolues ! […] Évidemment, c’est là le retour dissimulé, mais complet, au régime parlementaire, au régime que les ennemis de l’Empereur demandent, eux aussi, pour des raisons moins vaines, — parce que l’expérience leur a appris qu’en France, avec un tel régime, on pouvait venir facilement à bout du gouvernement le plus fort ! […] A-t-il été député pendant dix-huit ans du gouvernement de Juillet ?

124. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

Considérons la première, le gouvernement local. […] Tel était le duc de Saint-Simon, père de l’écrivain, vrai souverain dans son gouvernement de Blaye, respecté du roi lui-même. […] Moins indépendant et moins âpre, le gouvernement paternel subsiste ailleurs, sinon dans la loi, du moins dans les mœurs. […] Mais sur ce terrain le gouvernement central a pris leur place. […] Il a 23 000 livres de rente, dont 6 066 livres de pension donnée par le gouvernement en récompense de ses services.

125. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

Chacun, Lucien excepté, lassé d’avoir été proscrit par le Directoire, se préparait à servir le nouveau gouvernement, en n’exigeant de lui que de bien récompenser le dévouement à son pouvoir. […] « Le jour où le signal de l’opposition fut donné dans le tribunat par l’un de mes amis, je devais réunir chez moi plusieurs personnes dont la société me plaisait beaucoup, mais qui tenaient toutes au gouvernement nouveau. […] Necker, ne pourraient que décorer un gouvernement qui s’annonçait comme une renaissance des lettres. […] L’éloigner de Paris, c’était la destituer à jamais de toute influence sur le gouvernement ; l’absence la détrônait, voilà pourquoi elle la redoutait à l’égal de la mort. […] Cette faveur dépendait de la bienveillance autant que de l’équité du roi ; une opposition acerbe et prématurée aurait aigri le gouvernement qu’il fallait fléchir.

126. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Il faut bien qu’il en soit ainsi pour que les hommes domptés par le gouvernement de la famille se trouvent préparés à obéir aux lois du gouvernement civil qui va succéder. […] Si les gouvernements résultent des mœurs, la jurisprudence varie selon la forme du gouvernement. […] Aussi la monarchie est-elle le gouvernement le plus conforme à la nature, dans les temps de la civilisation la plus avancée. […] Elles passent successivement sous trois gouvernements. […] On vit renaître l’âge divin et le gouvernement théocratique.

127. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

Frappé d’abord de l’indifférence religieuse et de l’inertie froide où croupissaient les premières couches de la société, il a désespéré de toute cette masse, si on n’y faisait descendre l’esprit et la purification par en haut, c’est-à-dire par les gouvernements, et, au delà des gouvernements, par le Saint-Siège. Il n’a jamais eu pour les gouvernements une estime bien décidée ; il ne les a considérés à son premier point de vue que comme un canal possible de transmission, et, dans le cas où ils se refuseraient à transmettre la doctrine supérieure, il les a dénoncés comme un obstacle : on se rappelle les belles invectives du premier tome de l’Indifférence. Mais, avec le temps, M. de La Mennais est venu à comprendre que non-seulement les gouvernements se refusaient à transmettre la doctrine antique à la fois et régénératrice, mais que le Saint-Siège se refusait à la verser présentement, et qu’il demeurait plus sourd que le rocher, quoique le peuple eût soif dans le désert. […] En face des gouvernements, il est resté moins pénétré d’estime que jamais ; il a mesuré plus à nu leur égoïsme borné et leur absolue résistance à l’esprit.

128. (1898) La cité antique

Pourquoi les conditions du gouvernement des hommes ne sont-elles plus les mêmes qu’autrefois ? […] En elle, aussi bien que dans la famille, il y avait un dieu, un culte, un sacerdoce, une justice, un gouvernement. […] En religion il subsista une multitude de petits cultes au-dessus desquels s’établit un culte commun ; en politique, une foule de petits gouvernements continuèrent à fonctionner, et au-dessus d’eux un gouvernement commun s’éleva. […] Gouvernement de la cité. […] Ce n’est pas ainsi que les lois se trouvèrent et que les gouvernements s’établirent.

129. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

La division des gouvernements, sans donner la liberté politique, établit presque nécessairement la liberté de la presse. Il n’existe ni religion dominante, ni opinion dominante dans un pays ainsi partagé : les pouvoirs établis se maintiennent par la protection des grandes puissances ; mais l’empire de chaque gouvernement sur ses sujets est extrêmement limité par l’opinion ; et l’on peut parler sur tout, quoiqu’il ne soit possible d’agir sur rien. […] Néanmoins la plupart des gouvernements n’appellent que les anciens nobles à se mêler de la politique ; et il n’y a d’ailleurs que les gouvernements représentatifs qui donnent à toutes les classes un intérêt direct aux affaires publiques. […] Il n’y a rien d’assez grand ni d’assez libre dans les gouvernements, pour que les philosophes puissent préférer les jouissances du pouvoir à celles de la pensée ; et leur âme ne se refroidit point par des rapports trop continuels avec les hommes. […] Je n’ai point prétendu faire une analyse de tous les livres distingués qui composent une littérature ; j’ai voulu caractériser l’esprit général de chaque littérature dans ses rapports avec la religion, les mœurs et le gouvernement.

130. (1875) Premiers lundis. Tome III « De l’audience accordée à M. Victor Hugo »

Autrefois, les libertés de la nation étaient mal définies, obscures, discrètes, obérées sous des formes minutieuses et confuses ; la voix de l’opposition, qui sort des entrailles de tout gouvernement non despotique, n’avait pas de quoi se faire jour. […] Puis, quand l’ancienne littérature est partout ; qu’elle occupe les places, les Commissions, les Académies ; que le gouvernement s’en rapporte à ses décisions en toute matière littéraire où il a besoin de s’éclairer ; quand, il y a quelques mois à peine, une pétition, signée de plusieurs auteurs classiques les plus influents, et tendant à obtenir pour eux le monopole du Théâtre-Français, est venue mourir au pied du trône ; n’y aurait-il pas, de la part du gouvernement du roi, peu de convenance et d’adresse à frapper d’interdiction la première œuvre dramatique composée depuis ce temps par un des hommes de la jeune littérature, une pièce avouée d’elle, réclamée par le public, et sur laquelle on veut bien fonder quelque espoir ?

131. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

À toutes les pages de ses Mémoires, il se montre l’ennemi de ce gouvernement qu’il appelle le règne par soi-même et qui est la seule ressource que les fautes et les malheurs de plusieurs générations laissent à un peuple. […] Nous en étions venus à ce point qu’un tel gouvernement était seul nécessaire et possible, et nous sommes à ce point-là toujours. […] Il fit toute sa vie — comme on faisait alors — de l’opposition politique, comme n’en font jamais les hommes nés pour le commandement, qui se retirent du pouvoir, en tombent, ou même n’y entrent pas, comme Saint-Simon, mais ne s’abaissent pas à tracasser un gouvernement ; et comme tous les gens destinés de nature à l’opposition politique, il ne comprit rien aux mérites, nets et positifs, des hommes taillés pour gouverner. […] Il ne rappelle point enfin, et peut-être ne le sait-il pas, que la santé de Louis XV enfant étant faible, Dubois avait établi un système de gouvernement qui réglait la politique étrangère pour le cas où le roi mourrait, et toute l’administration intérieure pour le cas contraire. […] Ou c’est la plus complète fermeture aux choses du gouvernement, ou c’est du puritanisme raccourci, un sens moral épais qui bouche le cerveau et la vue, et dans les deux cas, c’est l’homme politique des Mémoires qui reste sur la place, mort du coup !

132. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre V. Du gouvernement de la famille, ou économie, dans les âges poétiques » pp. 174-185

Du gouvernement de la famille, ou économie, dans les âges poétiques § I. […] Leur pouvoir fut armé des terreurs d’une religion effroyable, et sanctionné par les peines les plus cruelles ; c’est dans le caractère de Polyphème que Platon reconnaît les premiers pères de famille67. — Remarquons seulement ici que les hommes, sortis de leur liberté native, et domptés par la sévérité du gouvernement de la famille, se trouvèrent préparés à obéir aux lois du gouvernement civil qui devait lui succéder. […] Quant à la seconde partie de la science économique, l’éducation des corps, on peut conjecturer que, par l’effet des terreurs religieuses, de la dureté du gouvernement des pères de famille, et des ablutions sacrées, les fils perdirent peu à peu la taille des géants, et prirent la stature convenable à des hommes.

133. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Quand nous fûmes assis ; il tira de sa poche un petit rouleau de papier écrit en très-mince caractère et me dit: « J’ai confiance en vous, voici un ouvrage manuscrit de moi qui, dans l’état actuel des affaires, pourrait produire une émotion dangereuse dans le peuple, et renverser peut-être ce misérable gouvernement. […] Ma répugnance à la coalition qui avait réuni tous ces tronçons pour attaquer le gouvernement qu’elle avait elle-même constitué, m’en éloignait de plus en plus. […] Ledru-Rollin, soit que madame d’*** désirât elle-même réunir chez elle les deux membres du gouvernement provisoire qui lui paraissaient les plus capables de fonder un système mixte de république, j’appris, le dimanche suivant, qu’elle avait invité M.  […] « Auriez-vous de la répugnance, lui demandai-je, à entrer dans la diplomatie secondaire sous le gouvernement de l’empereur ? […] Mais, en passant par le ministère des affaires étrangères, j’ai conquis des amis qui, sans manquer à leur devoir vis-à-vis du gouvernement monarchique, sont restés fidèles à leur sentiment.

134. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Il n’exclut d’ailleurs aucune forme de gouvernement. […] Je ne m’étonne pas d’ailleurs que la monarchie absolue de Louis XIV ait paru à Bossuet la meilleure forme du gouvernement. […] Cependant les événements ont donné tort à Bossuet sur la meilleure forme de gouvernement, comme sur l’incompatibilité du protestantisme avec l’existence d’un gouvernement réglé. La monarchie absolue n’a été en France le meilleur des gouvernements qu’aussi longtemps qu’elle a été nécessaire. […] Ce que Bossuet demande au gouvernement de Louis XIV, il l’eût demandé à une république, il l’eût demandé à une monarchie parlementaire.

135. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Cependant le gouvernement en frappant d’interdit le déploiement du drapeau rouge ; M.  […] Si faute il y a, qu’elle retombe sur la bourgeoisie qui acclama et renversa successivement tous ces gouvernements. […] Dans son autobiographie il déclare explicitement que « la forme du gouvernement lui semblait la question secondaire ». […] La fougueuse liberté de Hugo était un humble bidet, qu’il remisait dans l’écurie de tous les gouvernements. […] « Le Conservateur n’a reçu aucun encouragement du gouvernement, disent-ils.

136. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

Le gouvernement du doux et pieux Pie VII, souvent persécuté, jamais persécuteur, y était insensible et aimé. […] Rome, sous son gouvernement, ressemblait à une république où chacun pense et dit ce qu’il veut, sans que personne inquiète ou tyrannise personne. […] Aucun gouvernement ne pouvait offrir une liberté aussi complète, malgré les vices inhérents à cette nature de gouvernement, composé d’une monarchie sans hérédité, d’une démocratie sans représentation, d’une aristocratie étrangère sans patriotisme, et d’un sacerdoce sans responsabilité. […] Ses deux ministres, le vieux Fossombroni et le prince Corsini, avaient conservé les traditions de mansuétude, d’économie et de gouvernement par le peuple lui-même, de leur maître Léopold. […] Le nôtre avait eu trop d’éclat pour que le gouvernement pût feindre de l’ignorer.

137. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Cependant, après l’ombrageux despotisme, il éprouve la rassurante faiblesse du gouvernement. […] Voilà encore une des expériences décisives qui fournirent à Voltaire ses idées sur le gouvernement de la France. […] En 1730, Voltaire est l’auteur de la Henriade, de Zaïre, des Lettres anglaises, un homme admiré du public, redouté et parfois persécuté par le gouvernement. […] Le gouvernement français se chargea de transformer cette inclination naturelle en un principe réfléchi de philosophie politique. […] Quatre chapitres représentaient le gouvernement intérieur, commerce, finances, affaires ecclésiastiques.

138. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Saint-Simon »

Au fond, ce n’est pas là grand chose pour moi, qui méprise les opinions collectives et toutes les espèces de rassemblements, — ceux des Instituts comme ceux de la rue, — mais, je suis forcé de le dire : le mérite du livre existe, quoique reconnu et même couronné… En publiant les Lettres et Dépêches de l’ambassade d’Espagne 54, Drumont est un des premiers à bénéficier de la levée de ces scellés incompréhensibles mis, pendant si longtemps, sur les papiers du duc de Saint-Simon par d’imbécilles gouvernements. […] Cette question d’État, qu’on n’explique jamais, pour qui connaît la lâcheté humaine n’est guères que la peur ; et telle fut sans doute, vis-à-vis de Saint-Simon, celle de ce gouvernement de cotillons qui fut le gouvernement de Louis XV. Saint-Simon, en effet, devait en inspirer une terrible à ce gouvernement de drôlesses. […] Louis XV mourut, la Révolution vint, l’empereur brilla et s’éteignit comme l’éclair du canon, et les manuscrits de Saint-Simon, ensevelis dans leurs cartons, et y restant gardés comme des odalisques par des eunuques qui ne pensaient même pas à regarder la beauté de ce qu’ils gardaient par un trou de serrure quelconque, attestèrent l’étrange amour que les gouvernements ont toujours eu pour les lettres en France ! […] Tel le droit que dans deux Mémoires55, restés inédits et remis aujourd’hui en lumière, Saint-Simon a établi de la manière la plus péremptoire et la plus irréfragable, avec la logique la plus victorieuse, car là où il y a l’obscurité d’un hiatus dans la chaîne des faits nécessaires au développement de sa thèse il répond par l’impérieuse et inévitable nature des choses, que les fautes et les crimes des gouvernements et des hommes peuvent violer, mais dont, pour l’avoir violée, les hommes et les gouvernements meurent nécessairement toujours !

139. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — I. » pp. 381-397

En ce temps-là, le gouvernement de Venise n’était plus ce qu’il avait été autrefois ; le doge ne représentait plus cette espèce de monarque électif visant à l’hérédité, nommant les magistrats, décidant à peu près souverainement de la paix ou de la guerre, et qui, avec un peu d’art, faisait agréer à rassemblée générale du peuple ses résolutions à l’avance arrêtées. Et ce gouvernement toutefois n’était pas encore cette aristocratie fortement constituée et jalouse, ce patriciat fermé, tenant son doge en tutelle et n’en usant que comme d’un mandataire honoré et surveillé. […] C’est ce mélange de prudence, de calcul, et aussi de piété et d’attendrissement à la suite, qui caractérise ces scènes de Venise chez Villehardouin, et qui montre, sans qu’il le dise, la différence profonde qu’il y avait entre l’esprit de ce gouvernement politique et celui des croisés impétueux. […] Le doge s’entendait à ménager ses effets, et à mettre en jeu ce qui restait du fonds démocratique dans le gouvernement vénitien de cette date : Quand la messe fut dite, le duc manda les députés, et leur dit, pour l’amour de Dieu, qu’ils priassent le commun peuple d’octroyer ce qui était convenu. […] À l’époque où Commynes, le seigneur d’Argenton comme on l’appelle, connu pour sa prudence éprouvée et par la longue confiance de Louis XI, est envoyé à Venise, à ce poste d’honneur de la diplomatie, pour y lutter de finesse avec les rusés Vénitiens, avec ce gouvernement qu’il admire et dont il nous définit si bien le génie, de grands changements s’étaient accomplis depuis le temps de Henri Dandolo : toute trace de démocratie, comme aussi toute velléité de monarchie, y avait disparu ; le doge, toujours honoré comme un roi, ne pouvait plus guère rien par lui-même ; le patriciat et les Conseils étaient tout.

140. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

On dit, qu’en s’abandonnant à la pitié, les individus et les gouvernements peuvent être injustes ; d’abord les individus d’une condition privée ne sont presque jamais dans une situation qui commande de résister à la bonté ; les rapports avec les autres sont si peu étendus, les événements qui offrent quelque bien à faire, sont dépendants d’un si petit nombre de chances, qu’en se rendant difficiles sur les occasions qu’on peut saisir, on condamne sa vie à l’inutile insensibilité. […] Rien n’use la force d’un gouvernement comme la disproportion entre les délits et les peines ; il se présente alors comme un ennemi, tandis qu’il doit paraître comme le chef, comme le principe régulateur de l’Empire ; au lieu de se confondre, pour ainsi dire, dans votre esprit avec la nature des choses, il semble un obstacle qu’il faut renverser ; et l’agitation de quelques-uns, l’espoir qu’ils conservent, tout insensé qu’il est, de détruire ce qui les opprime, ébranle la confiance de ceux mêmes qui sont contents du gouvernement. […] Si l’espèce de sentiment national, qui faisait en France un point d’honneur de la générosité, de cette pitié des vainqueurs ; si cette espèce de sentiment ne reprend pas quelque puissance, jamais le gouvernement n’obtiendra un empire constant et volontaire sur une nation qui n’aura pas un instinct moral quelconque, par lequel on puisse l’entraîner et la réunir ; car qu’y a-t-il de plus divisant au monde que le raisonnement ? […] La plupart des gouvernements sont vindicatifs, parce qu’ils craignent, parce qu’ils n’osent être cléments ; vous, qui n’avez rien à redouter, vous, qui devez avoir pour vous la philosophie et la victoire, soulagez toutes les infortunes véritables, toutes celles qui sont vraiment dignes de pitié ; la douleur qui accuse, est toujours écoutée ; la douleur a raison contre les vainqueurs du monde ; que veut-on, en effet, du génie, des succès, de la liberté, des républiques, qu’en veut-on, quelques peines de moins, quelques espérances de plus ? […] Mais il y a un si grand foyer de lumières dans ce pays, le gouvernement républicain, par sa nature même, est à la longue tellement soumis à la véritable opinion publique, que les premières conséquences doivent éclairer sur le principe, et qu’on ne persiste pas, dans ce qui ruine, avec l’aveuglement dont plusieurs cabinets monarchiques ont donné l’exemple pendant cette guerre.

141. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Même en matière de presse, d’ailleurs, le gouvernement, en laissant la plus grande liberté possible, se réserve un organe à lui, un Moniteur. En matière de théâtre, le gouvernement, même en accordant toutes les facilités de concurrence, cesserait-il d’avoir des théâtres qu’il protège, et par conséquent qu’il surveille, qu’il fasse diriger ? […] De ce que nous avons fait bien des fautes en politique, ce n’est pas une raison non plus d’y ajouter ; un gouvernement qui, de gaieté de cœur, se dessaisirait de ce qu’il peut conserver de force et d’initiative avec l’assentiment public, raisonnerait moins bien que Mme de Montespan. […] Il faudrait seulement que les gouvernements, quels qu’ils fussent, que les grands corps littéraires, les Académies elles-mêmes, en revinssent à l’idée qu’une littérature se peut jusqu’à un certain point contenir et diriger. […] Gouvernement, maintenez-le de plus en plus à l’état d’institution ; de ce que vous êtes républicain vous-même, n’en concluez pas qu’il faille le laisser se régir à l’état de république.

142. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre IV. Trois espèces de jugements. — Corollaire relatif au duel et aux représailles. — Trois périodes dans l’histoire des mœurs et de la jurisprudence » pp. 309-320

Les duels durent être chez les nations barbares une espèce de jugements divins, qui commencèrent sous les gouvernements divins et furent longtemps en usage sous les gouvernements héroïques ; on se rappelle ce passage de la Politique d’Aristote (cité dans les axiomes) où il dit que les républiques héroïques n’avaient point de lois qui punissent l’injustice et réprimassent les violences particulières 99. […] Toutes les choses dont nous avons parlé se sont pratiquées dans trois sectes de temps, sectæ temporum, dans le langage des jurisconsultes : celle des temps religieux pendant lesquels régnèrent les gouvernements divins ; celle des temps où les hommes étaient irritables et susceptibles, tels qu’Achille dans l’antiquité, et les duellistes au moyen âge ; celle des temps civilisés, où règne la modération, celle des temps du droit naturel des nations humaines, jus naturale gentium humanorum (Ulpien). […] Les préteurs trouvant que les caractères, que les mœurs et le gouvernement des Romains étaient déjà changés, furent obligés pour approprier les lois à ce changement d’adoucir la rigueur de la loi des douze tables, rigueur conforme aux mœurs des temps où elle avait été promulguée.

143. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Crétineau-Joly » pp. 367-380

— une pension du gouvernement qui les avait mis à la porte de l’Angleterre. […] Les pires pamphlets, les plus sanglants, les plus terribles, ne sont pas ceux-là qu’écrivent les historiens, auraient-ils la plume de Tacite, mais bien ceux qu’écrivent avec leurs propres actes, dans l’Histoire, les hommes d’État coupables et les mauvais gouvernements ! […] Sauf les détails, qu’il faudrait contrôler pour s’assurer de leur exactitude, j’adhère pleinement à la tendance du livre en tout ce qui concerne personnellement Louis-Philippe et son gouvernement. […] La seule indulgence inexplicable et que je reproche nettement à l’auteur, si vaillant de franc parler, est l’étrange silence qu’il a gardé sur Guizot, si longtemps ministre et président du Conseil sous le gouvernement de Juillet.

144. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Silvio Pellico »

Mais, malgré tout, la question de l’Italie, la question des gouvernements, la question de l’Ordre et de la Justice dominait cette voix qui montait d’une prison d’État méritée et qui sortait, il faut bien le dire, des lèvres d’un conspirateur ! […] Les beaux esprits qui feraient volontiers pendre leurs juges et qui, quand ils méritent le bagne, se plaignent qu’on les martyrise, tous ceux qui restent insolemment debout devant l’autorité, s’évaluant au même prix qu’elle dans le plateau contraire de la balance, tous les réclamateurs de l’impunité dans leur guerre sourde ou bruyante aux gouvernements, enfin tous les crocodiles des partis, maîtres en larmes hypocrites, mais qui savent très bien le prix des vraies, saluèrent cette voix de Silvio Pellico et la souillèrent en y mêlant la leur, croyant, et ne se trompant pas ! […] Les uns l’ont donnée pour cruelle parce que, comme tous les gouvernements qui veulent vivre, elle a privé de leur liberté les gens qui s’en servaient contre elle ; les autres l’ont appelée généreuse et se sont même servi de l’histoire de Silvio Pellico pour le prouver ; mais quelle discussion est maintenant possible devant des aveux aussi calmes, aussi pourpensés, aussi nuancés que ceux-ci ? […] Quand on voudra juger définitivement désormais le gouvernement autrichien dans ses rapports avec le carbonarisme d’Italie, il faudra invoquer l’opinion de Silvio Pellico pour établir le droit de l’Autriche… Et c’est ce que les démocrates, non seulement de l’Italie, mais de toutes les parties du monde, ne pourront jamais lui pardonner !

145. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVII. Silvio Pellico »

Mais, malgré tout, la question de l’Italie, la question des gouvernements, la question de l’Ordre et de la Justice dominait cette voix qui montait d’une prison d’État méritée et qui sortait, il faut bien le dire, des lèvres d’un conspirateur ! […] Les beaux esprits qui feraient volontiers pendre leurs juges et qui, quand ils méritent le bagne, se plaignent qu’on les martyrise, tous ceux qui restent insolemment debout devant l’autorité, s’évaluant au même prix qu’elle, dans le plateau contraire de la balance, tous les réclamateurs de l’impunité, dans leur guerre sourde ou bruyante aux gouvernements, enfin tous les crocodiles des partis, maîtres en larmes hypocrites, mais qui savent très bien le prix des vraies, saluèrent cette voix de Silvio Pellico et la souillèrent en y mêlant la leur, croyant, et ne se trompant pas ! […] On a bien discuté l’Autriche : les uns l’ont donnée pour cruelle parce que, comme tous les gouvernements qui veulent vivre, elle a privé de leur liberté les gens qui s’en servaient contre elle ; les autres l’ont appelée généreuse et se sont même servi de l’histoire de Silvio Pellico pour le prouver, mais quelle discussion est maintenant possible devant des aveux aussi calmes, aussi pourpensés, aussi nuancés que ceux-ci ? […] Quand on voudra juger définitivement désormais le gouvernement autrichien dans ses rapports avec le carbonarisme d’Italie, il faudra invoquer l’opinion de Silvio Pellico pour établir le droit de l’Autriche… Et c’est ce que les démocrates, non seulement de l’Italie, mais de toutes les parties du monde, ne pourront jamais lui pardonner !

146. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’arbitrage et l’élite »

Arthur Desjardins, vice-président de l’Institut de droit international, vient d’être sollicité par les deux gouvernements de résoudre ce différend par un arbitrage. […] La cour suprême qui s’occuperait en temps ordinaire des affaires courantes de droit international, jugerait également « les difficultés de frontières, les graves questions de droit public, et même les affaires d’honneur que les nations seraient bientôt amenés à lui soumettre par une irrésistible progression. »‌ Comme conséquence de ce vœu, la Chambre des Représentants de Belgique vient d’adopter à l’unanimité un ordre du jour « affirmant le désir de voir confier à l’arbitrage la solution des conflits internationaux et organiser à cet effet une juridiction permanente » ; et le Sénat belge vient également de voter une motion affirmant son espoir dans la contribution du gouvernement à la formation d’une cour internationale.   Ce qui constitue, à notre avis, l’importance de cet élargissement du droit au-delà des frontières, c’est qu’il marque la substitution des hommes de science et de pensée aux politiques et aux gouvernements, pour la résolution des hauts problèmes qui divisent l’humanité. […] Remettre le sort du monde entre les mains de quelques jurisconsultes, c’est assurément provoquer un résultat de justice et d’humanité supérieur à celui qui est obtenu coutumièrement du fait des politiques et des gouvernements, mais ce n’est pas là un idéal qui ne puisse être dépassé.

147. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. (Suite et fin.) »

Association de pères de famille, agriculteurs et guerriers, qui couvre peu à peu les sept collines, ayant au-dessous d’elle des clients nombreux, la cité est d’abord un patriciat jaloux qui retient d’une manière incommunicable, non-seulement le gouvernement, mais le culte, le droit civique, et comme la famille même et la propriété. » On sait toutes les crises par où l’on dut passer avant de forcer une à une les barrières : patriciat hautain et féroce, révoltes populaires, sécessions à main armée et droits conquis, puissance des tribuns ; puis, en dehors de Rome, le travail des peuples latins et italiens, leur révolte aussi, la guerre sociale, et les alliés vaincus faisant irruption pourtant dans la cité et gagnant en définitive leur cause. […] Zeller, avec plus de précision et résumant le sens politique de toute la conduite romaine dans ces mêmes siècles, dira : « Vous avez cet admirable gouvernement où la sagesse du Sénat tempère l’élan de la place publique ; où la monarchie temporaire, sous le nom de dictature, empêche ou modère les luttes ou les excès de l’aristocratie et de la démocratie ; où les Consuls conservent toujours un pouvoir fort ; où les assemblées n’ont que la délibération et la sanction, le contrôle et les appels des grandes causes politiques ; cette société, enfin, où le mariage et la propriété constituent en quelque sorte la cité même, où la famille est réglée comme un État, où l’État et la religion se pénètrent au point que le gouvernement fait un avec le culte, et que l’amour des dieux est le culte même de la patrie, et le culte de la patrie l’amour des dieux ! « C’est ce gouvernement qui a permis à Rome de conquérir l’Italie, et avec l’Italie, comme par le même procédé, le monde. » Quant aux arts de Rome, ils sont, comme ceux de la Grèce, l’image fidèle de son génie. […] Il s’est attaché à y bien saisir et à y marquer la nuance de caractère de chacun des premiers empereurs : cette diversité de caractères personnels décide, en effet, du degré de transformation dans le gouvernement, qui est surtout alors le gouvernement d’un seul.

148. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Commynes, dans ses Mémoires, n’est pas seulement un narrateur, c’est un philosophe politique, embrassant, comme Machiavel et comme Montesquieu, l’étendue des temps, les formes diverses de gouvernements, leurs principes et les conséquences éloignées qui en découlent. […] Il est partisan du gouvernement d’Angleterre, comme Montesquieu, et par des raisons du même ordre. […] Il faut lire là-dessus le chapitre xix du livre V, intitulé « Caractère du peuple françois et du gouvernement de ses rois », pour avoir de Commynes et de son esprit politique toute l’estime qu’il mérite. […] Il attribue cette modération jusque dans les maux à la part de gouvernement et d’action publique que les communes se sont réservée en Angleterre. […] Le malheur de la France est qu’un tel gouvernement n’ait pas été constitué régulièrement quand le peuple était bon, les Communes consistantes, les grands corps de l’État animés d’un esprit de tradition, et la vitalité du royaume en son entier.

149. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

Forneron continue d’être, vis-à-vis de l’action et du gouvernement de Philippe II, l’homme moderne qui ne voit que les fautes et que les abus de ce gouvernement. […] L’impitoyabilité du gouvernement de Philippe II n’était ni dans les idées, ni dans la pratique, ni dans les goûts de la cour romaine. […] Il pèse sur tout cela, par la juste raison que, dans tout pays et dans tout siècle, tout cela, c’est la ruine, la dévastation, la misère et la honte d’un gouvernement et d’un peuple. […] Il n’y a que l’amour qui puisse faire comprendre les cruautés de son gouvernement contre les ennemis de sa foi, contre les blasphémateurs et les négateurs du Dieu qu’il aimait. […] Tête de gouvernement, esprit historique, il a, dans son livre, et à plus d’une place, exprimé le plus hautain mépris pour elles.

150. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — I. La Poësie en elle-même. » pp. 234-256

Dans le premier, on établit que la poësie est un des plus grands fléaux dont le genre humain puisse être affligé ; qu’elle est directement contraire aux bonnes mœurs, & à la tranquillité des états, à leur forme de gouvernement, aux sages loix, aux usages respectables, à la religion, au commerce, enfin à tous les arts utiles. […] Il faudroit que le gouvernement proscrivît aussi ces arts aimables, à cause des objets dangereux qu’ils présentent quelquefois à la vue. […] A l’égard de l’impression que peuvent faire les maximes hasardées par les poëtes, il est aisé, disoit-on, de la prévenir, en ne laissant rien passer au théâtre & à l’impression qui soit contre les bonnes mœurs, contre les loix & le gouvernement. […] Elle en fut indignée, & s’écria : « Il est tombé absolument en démence ; accident si ordinaire aux gens qui, comme lui, se mêlent de faire des vers, que j’aurois dû le prévoir, & ne pas souffrir qu’un pareil homme pût se vanter d’être connu de moi. » On en appelloit aux autres nations qui font plus de cas que nous des poëtes, & qui ne dédaignent pas quelquefois de les mettre à la tête du gouvernement. […] On lui donna le gouvernement d’une province de l’Appennin, qui s’étoit révoltée, & qu’infestoient des bandits & des contrebandiers, d’autant plus difficiles à réduire, qu’après avoir commis toutes sortes d’excès, ils se retiroient dans leurs montagnes, & n’y craignoient personne.

151. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

L’avènement de Guillaume, qu’il avait connu en Hollande pendant les négociations de la paix de Nimègue, le réjouit sans le décider à prendre part au gouvernement. […] S’ils n’ont plus de Dieu à insulter, n’est-il pas à craindre qu’ils ne s’attaquent au gouvernement, au ministère ? […] Parmi les diverses offres faites au gouvernement Anglais, celle de William Wood, déjà fermier de toutes les mines de la couronne, parut la plus avantageuse. […] Le duc de Grafton fut remplacé dans le gouvernement de l’Irlande par lord Carteret, muni d’instructions plus sévères. […] Le gouvernement se sentit vaincu, résilia le contrat conclu avec Wood, lui paya une indemnité considérable.

152. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Mais Tacite regrette le plus grand gouvernement qui ait existé ; Saint-Simon, en déplorant que les nobles ne fussent plus les associés et les soutiens nécessaires de la royauté, et avec elle les maîtres du gouvernement, Saint-Simon regrettait l’anarchie. […] Donnez-lui Trajan, Nerva, et « ces heureux temps, dit-il, où l’on peut penser ce que l’on veut et dire ce que l’on pense189 », il ne regrettera pas une forme de gouvernement qui n’a pas su durer. […] Les arrière-pensées, les doubles conduites, les sourdes menées, l’influence par les affranchis ou par les valets intérieurs, tous ces grands traits des gouvernements absolus sont communs aux deux époques, et il semble quelquefois que le même original ait posé devant les deux peintres. […] Grand enseignement d’ailleurs pour les gouvernements, qu’un pays si fécond encore après avoir tant produit, et où la décadence ne venait que du mauvais emploi de forces inépuisables. […] Mais ce n’est pas seulement par cet esprit d’opposition au gouvernement de Louis XIV qu’ils appartiennent au dix-huitième siècle ; ils en sont les précurseurs par tout ce qu’ils ont pensé et exprimé de durable sur les devoirs des gouvernements envers les peuples, et par des maximes d’humanité, de justice, de patriotisme, dont la propagation a été la gloire du dix-huitième siècle et dont l’application est la tâche du nôtre.

153. (1874) Premiers lundis. Tome II « Alexis de Tocqueville. De la démocratie en Amérique. »

Envoyés, en 1831, aux États-Unis avec mission d’observer le régime pénitentiaire, MM. de Tocqueville et de Beaumont s’acquittèrent avec conscience et talent de ce travail intéressant de législation criminelle ; de nombreux documents de statistique et un bon livre sur le Système pénitentiaire aux États-Unis, attestèrent au gouvernement et au public les résultats de leur observation. […] Un grand avantage du livre de M. de Tocqueville, et ce qui le distingue complètement des autres écrits publiés jusqu’à ce jour sur les États-Unis, c’est de n’être à aucun degré ni un plaidoyer, ni une insinuation pour ou contre telle ou telle forme de gouvernement ; et pourtant, M. de Tocqueville l’a composé en vue de notre Europe, dans un but élevé d’enseignement, et sous l’impression, comme il l’avoue lui-même, d’une sorte de terreur religieuse que lui inspirait la marche fatale des sociétés. […] La centralisation administrative, qui certainement ajoute de la force à l’autre, mais aux dépens de la vie même de chacun des membres de la nation, existe en France plus absolue aujourd’hui que jamais, plus entière que sous Louis XIV, qui, tout en disant avec raison : l’État, c’est moi, le pouvait dire à titre de gouvernement bien plutôt qu’à titre d’administration. […] S’il devait arriver en France que la monarchie ou la république (peu importe), en s’armant de ce mot de centralisation mal entendu, fissent prévaloir, constamment la régularité administrative, soit douce, soit rigoureuse, sur la vie réelle, morale, animée de chaque point du pays ; si l’on ne parvenait enfin à introduire et à fonder parmi nous les institutions démocratiques en ce qu’elles ont d’essentiel, d’élémentaire et de vivace, c’est-à-dire l’existence communale, M. de Tocqueville paraît craindre qu’une des chances naturelles de cette égalité croissante ne fût un jour, tôt ou tard, l’assujettissement de tous par un seul, du moment qu’on n’aurait plus à espérer le gouvernement de tous par eux-mêmes.

154. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IX. L’antinomie politique » pp. 193-207

Que l’on considère les idéologies abstraites élaborées par les théoriciens de la politique ou les formes politiques dans lesquelles s’incarne la volonté générale (État, gouvernement) ou encore les forces politiques qui se disputent le pouvoir (c’est-à-dire les partis, comités, etc.), on trouvera que le désir de conformisme civique est au fond de toute entreprise politique. […] Les moralistes citent toujours, avec une admiration utile à tous les gouvernements, la fameuse prosopopée des Lois et le grand exemple de Socrate. […] Après avoir considéré les principes généraux de l’idéologie politique, disons un mot des formes politiques (État, Gouvernement, corps de l’État, dans lesquelles s’incarne la prétendue volonté générale). […] La solution syndicaliste qui consiste à opposer les syndicats au gouvernement n’est pas beaucoup plus favorable à la liberté des individus.

155. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gustave D’Alaux »

Eh bien, nonobstant cette autorité, quand l’historien de Soulouque nous étale les hideuses et sanguinaires bêtises qui se prélassent là-bas dans des oripeaux de gouvernement ou un gouvernement d’oripeaux, le fameux mot du sceptique revient involontairement à la pensée : « Je crois à l’histoire, mais je n’y étais pas !  […] Ce n’est pas un Toussaint Louverture, qui, du moins, avait les grands instincts de ruse et de force d’un animal puissamment développé, ni un Christophe, doué de tant de persistance et de tenue dans ses facultés imitatrices, ni un Richer, qui réalisa un moment, dit d’Alaux, l’idéal du gouvernement Haïtien, en maîtrisant l’élément barbare sans écraser sous la même pression l’élément éclairé. […] Si nous en croyons les dépositions curieuses et terribles de l’histoire d’Alaux, Soulouque, ce vieil enfant, car il avait plus de soixante ans quand il fut élevé à la présidence de la République d’Haïti ; Soulouque, « ce formidable poltron qui voit dans toute ombre un fantôme et dans tout silence un guet-apens », cet être absurde, fanatique, dévoré par des superstitions de sauvage, méfiant, fanfaron, cruel, mais apathique après que le sang, dont il a des soifs vraiment physiques, est versé ; Soulouque, ou, pour l’appeler du nom d’empereur qu’il s’est donné dans une farce officielle qu’aucun gouvernement n’a eu d’intérêt à empêcher, Faustin, est très au niveau, si ce n’est très au-dessous, du premier Cafre venu qui va s’éteindre sur la Côte d’Ivoire.

156. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Elle se résout forcément au gouvernement d’un seul accepté ou subi par tous, par horreur pour le gouvernement de quelques-uns. Gouvernement de tous c’est gouvernement d’un seul, gouvernement de tous étant la théorie et l’affiche, gouvernement d’un seul étant la pratique où l’on est forcé d’arriver presque immédiatement. […] Mais comme il faut un gouvernement, au gouvernement absolu a succédé le gouvernement alternatif du plus nombreux, c’est-à-dire la lutte des partis ; et cela ne répand aucune gaîté, ni n’établit aucun aimable abandon dans un pays. […] Après un autocrate pacifique il n’y a pas de gouvernement plus naturellement pacifique qu’un gouvernement démocratique. […] La vraie démocratie c’est le gouvernement direct.

157. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

On est toujours du gouvernement où l’on fut belle. Elle avait été belle, heureuse, aimée, encensée, sous le gouvernement de ses beaux jours ; elle ne s’était jamais attachée au gouvernement de Juillet. […] Rien ne pouvait être plus beau à ses yeux qu’un gouvernement de Périclès en France, gouvernement tenté sans crime après la chute spontanée d’un trône qui n’avait ni tradition ni principe. […] Son mari, qui avait impunément attaqué le premier gouvernement de la république, fut emprisonné par le second. […] Tout céda facilement à ses larmes ; il y avait erreur et brusquerie, mais non sévice, dans le gouvernement du jour.

158. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Paris, qui nous cachait la France avec ses échafauds, n’est qu’un dîner d’une gaieté un peu vive, par des épicuriens politiques friands ; mais le souper des affamés, mais l’orgie, mais la saoulerie de sang, c’est toute la France, qui égorge par haine, par fureur, tout ce qui est au-dessus d’elle, pour faire de l’égalité inutile, puisque son gouvernement vient de proclamer cette égalité ! […] Mais ce que je ne vois pas dans les autres histoires comme dans celle-ci, et ce qui est plus grave et plus désastreux que le sang qui coule, c’est qu’un gouvernement, bêtement ou bassement, consente à ce qu’il devrait réprimer, à tout ce qui est la mort ou le déshonneur de tout gouvernement et de toute société, et, bien plus encore ! […] Cette France contemporaine, qui ne croit plus à rien de ce qu’elle croyait autrefois, Dieu l’en a punie en la faisant croire bêtement en politique au gouvernement des majorités, à ce gouvernement par les masses, cette immense menterie qui aboutit toujours au gouvernement oppresseur des minorités séditieuses. […] Leur minorité ne fut frappée que par elle-même, et la majorité, cette majorité toute-puissante, sur laquelle on veut à présent établir des gouvernements, n’eut pas même le vulgaire honneur d’en finir avec cette ignoble et sanglante minorité dont elle était lasse, mais devant laquelle elle tremblait. […] Les clubs, la Commune, la section, la rue, le ruisseau, étaient devenus le gouvernement contre le gouvernement.

159. (1874) Premiers lundis. Tome I « M.A. Thiers : Histoire de la Révolution française Ve et VIe volumes — I »

Que si l'on entend par là désigner l’absence de tout pouvoir supérieur, de toute autorité souveraine, on se méprend fort ; car jamais gouvernement, quel qu’il fût, monarchie ou dictature, ne fut plus exigeant, ni plus obéi que la Convention d’alors et ses comités ; et, plus on avance dans cette sombre époque, ou, en d’autres termes, plus cette prétendue anarchie augmente, plus aussi la force du pouvoir se centralise et s’accélère dans sa marche irrésistible. […] Son premier acte est de dresser en huit jours une Constitution, qu’elle expédie et fait adopter aux départements, sous trois jours après la réception, mais qu’elle suspend presque aussitôt, en déclarant le gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix. […] Un tel gouvernement devait briser tous les obstacles ; et, se rendant lui-même inutile, amener sa fin par ses progrès.

160. (1818) Essai sur les institutions sociales « Préface » pp. 5-12

L’émancipation de la Grèce est prévue, mais sans les horribles catastrophes qui ont éveillé toutes les généreuses sympathies des peuples avant d’éveiller celles des gouvernements. […] La liberté nécessaire au gouvernement est exprimée, je l’avoue, d’une manière trop absolue, et M.  […] La pleine solution du problème n’est fournie que par le fait du gouvernement représentatif.

161. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la révolution française — I. La Convention après le 9 thermidor. »

Parmi tant d’épreuves pénibles et rebutantes, au milieu de ces convulsions furieuses des partis expirants, de ces révoltes populaires qui n’étaient que des révoltes et n’étaient plus des révolutions, à l’aspect d’un gouvernement estimable par ses intentions sans doute, mais qui ne savait plus être tyrannique avec génie et qui n’osait encore être libre avec franchise, il était à craindre que l’historien ne prît de la lassitude et du dégoût. […] S’il est aisé de concevoir pour une nation libre un gouvernement meilleur, il est encore plus aisé d’en concevoir un pire. […] On le vit bien quand, par une démarche généreuse, Robert Lindet, Carnot et Prieur de la Côte-d’Or réclamèrent, comme membres de l’ancien gouvernement, leur part de responsabilité dans l’accusation de Billaud, Collot et Barrère ; la signature de Carnot et de Prieur se trouvait en effet sur les ordres les plus reprochés aux accusés. […] Battus sur tous les points, chassés du gouvernement, des clubs, des sections, relancés et comme bloqués dans les faubourgs, les Jacobins avaient résolu un dernier effort pour reprendre le pouvoir, et rétablir cette Constitution de 93, qui n’avait été décrétée que pour être à l’instant suspendue, Nulle révolte n’offrit un spectacle aussi terrible que cette échauffourée de détresse et de désespoir.

162. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. »

J’ajouterai même qu’il a eu en 1830, quand il fut membre du Gouvernement et du Cabinet, l’avantage d’avoir, à un moment, M.  […] Le duché de Varsovie appartenait entièrement au système de la France ; il était son avant-garde du côté de la Russie ; ses moyens, son armée, devenaient nôtres par la force des choses ; et, s’il ne se suffisait pas à lui-même, il nous fallait y suppléer. » Il nous expose l’état du gouvernement, à cette date, dans le grand-duché, et il nous en décrit le personnel en parfaite connaissance de cause. […] Le général Clarke, en sa qualité de gouverneur général de Berlin et de la Marche de Brandebourg, fut chargé de faire les honneurs de la ville au Corps diplomatique, et M. de Senfft, qui se lia alors avec le futur duc de Feltre, lui rend toute justice en ces termes : « Le général Clarke, qui a marqué dans la diplomatie par sa mission à Florence et par sa négociation avec les lords Yarmouth et Lauderdale en 1806, a été certainement l’un des hommes les plus intègres du Gouvernement impérial de France. […] Le duc d’Otrante reconnut que, dans la branche du gouvernement qui lui était commise, la plus grande faute est de faire un mal qui n’est pas nécessaire à la sûreté de l’État ; et ce grand principe, appliqué dans toute son étendue sous un règne despotique, toutes les fois que la volonté absolue de l’Empereur, à laquelle il a souvent osé opposer de la résistance, n’est pas intervenue d’une manière directe, ce principe a rendu son administration bienfaisante pour la France et l’a fait chérir particulièrement des classes les plus exposées à la persécution. » N’oublions pas encore une fois que cela est écrit en 1814 et avant le rôle de Fouché en 1815, rôle que les honnêtes gens d’aucun parti ne sauraient, je pense, envisager sans dégoût. […] Imitez tous vos collègues qui m’aident au lieu de me fatiguer, et qui font marcher le gouvernement, bien loin de le gêner de leurs passions privées. » Fouché était, par essence et par nature, le plus grand ourdisseur de trames ; il jetait ses filets et accrochait ses fils partout où il pouvait, et quand on lui avait crevé sa toile sur un point, il ne se décourageait pas, il recommençait aussitôt.

163. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Vous sentez bien que, pour que le Gouvernement français nous ait chargés de visiter les prisons d’Amérique, il faut que nous soyons des hommes de la première volée. […] Si nous disions aux Américains qu’il n’y a pas cent personnes en France qui sachent au juste ce que c’est que le système pénitentiaire, et que le Gouvernement français est tellement innocent des grandes vues qu’on lui suppose, qu’à l’heure qu’il est il ignore probablement qu’il a des commissaires en Amérique, ils seraient bien étonnés sans doute. […] Logent du Gouvernement américain qui les accompagnait et était chargé de payer leur passage, sachant qu’un bateau à vapeur venait d’arriver, accourut au rivage… Il s’agissait d’embarquer notre tribu exilée, ses chevaux et ses chiens. […] Il a besoin de circonstances favorables, d’un certain état du Gouvernement et d’une certaine disposition des esprits. […] Ni l’ordre social ni le Gouvernement ne sont assis ; tout s’écroulerait au premier choc.

164. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Comment dépeindre la figure et l’âme d’un être qui a vécu et chanté tous les aspects, toutes les vies de l’univers, qui a été successivement charpentier, clerc, imprimeur, jardinier, maître d’école, journaliste, laboureur, infirmier, directeur de journal, entrepreneur de bâtiments, commis du gouvernement, et qui a rÉdit dans ses vers, avec une richesse incomparable de réalisme, les millions de spectacles et de sentiments auxquels il a participé ? […] Je l’emprunte au poète et sociologue anglais Edward Carpenter : «… Quant au gouvernement et à la loi établis par les hommes, ils disparaîtront ; car ce ne sont que les parodies, les substituts provisoires du gouvernement et de l’ordre intérieur. […] Il est donc clair que les formes extérieures de gouvernement qui appartiennent à la période de civilisation ne sont que l’expression, en symboles extérieurs et distincts, des faits de la véritable vie interne de la société »43. […] Nous venons d’entendre Carpenter nous parler de l’« autorité intérieure » et déclarer que les formes extérieures du gouvernement actuel n’étaient que « les parodies, les substituts provisoires du gouvernement et de l’ordre intérieur ». […] Toute autorité, tout gouvernement doit donc consister en cela uniquement ; accroître, enrichir, prévenir ceux auxquels ils s’adressent.

165. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

Nubar Pacha, lui, nous entretient de l’impitoyabilité du gouvernement avec les faibles. […] — Mon Dieu, à peu près 330 000, mais j’ai peur que le gouvernement ne me les reprenne !  […] Les empires peuvent succéder aux gouvernements constitutionnels, les républiques aux empires, nous aurons toujours M.  […] — Parbleu, m’a-t-il répondu, je garde le gouvernement de Flourens ! Elle ne savait pas, cette sentinelle, que le gouvernement qu’elle gardait, avait été changé.

166. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 430-432

Il n'est peut-être pas inutile de remarquer que les succès rapides de ce savant Médecin, dont la jeunesse en promet de plus grands, lui ont attiré des ennemis d'autant plus aigris qu'ils courent la même carriere, & que leur haine n'a pris sa source que dans le sentiment de la supériorité de ses talens, employés par le Gouvernement. […] Si M. de Vicq avoit la foiblesse de s'affliger de ces persécutions odieuses, qui ne sont propres qu'à déshonorer ceux qui se les permettent, nous prendrions la liberté de lui faire observer que le suffrage du Gouvernement & l'estime des Citoyens honnêtes & éclairés dont il jouit, sont plus que suffisans pour le dédommager des clameurs de ses ennemis.

167. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Ce qu’il faut reconnaître, c’est qu’il fit de son mieux pour servir le gouvernement et le monarque qui lui avaient remis leurs intérêts, et pour rendre à la France dignité et influence dans les conseils de l’Europe. […] Il ne faut jamais compromettre la bonne foi d’un gouvernement. […] M. de Talleyrand rendit le plus grand service au nouveau gouvernement en acceptant le poste d’ambassadeur à Londres. […] S’il avait eu, comme Chateaubriand, le goût des contrastes, son imagination aurait eu beau jeu à se déployer par la comparaison de son succès personnel à Londres en 1830 et de la souveraine considération dont il jouissait, avec l’accueil si défavorable (pour ne pas dire pis) qui lui avait été fait trente-huit années auparavant en janvier 1792, lorsqu’il y était venu chargé d’une mission secrète de la part d’un gouvernement décrié que le choix qu’on faisait de lui décriait encore davantage41. […] Voir aussi le très judicieux portrait de M. de Talleyrand, comme l’un des ministres du cabinet du 13 mai 1814, dans l’Histoire du Gouvernement parlementaire en France, par M. 

168. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VII. La littérature française et les étrangers »

Enfin l’esprit de nos philosophes, de Montesquieu, de Voltaire, imprègne ces vives intelligences italiennes ; un Français, Condillac, est appelé à instruire le prince de Parme, et l’on peut dire que les premiers pays où des essais de gouvernement libéral et bienfaisant fassent passer dans les faits un peu des rêves de notre philosophie humanitaire sont de petits États d’Italie. L’Espagne, avec son Charles III qui a d’abord régné à Naples, le Portugal, entrent dans la même voie : dans ces pays, le gouvernement même se met à la tète du mouvement philosophique. […] Montesquieu n’est pas loin de voir dans la constitution anglaise l’idéal du gouvernement. […] Paris leur faisait fête au reste : un large cosmopolitisme que ne troublaient pas les conflits des gouvernements, ouvrait les portes et les cœurs.

169. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’ancien Régime et la Révolution »

Peu importait, du reste, dans un temps où le scepticisme politique se balançait mollement entre la notion du gouvernement parlementaire et la notion de la république. […] La notion des gouvernements parlementaires a été légèrement entamée, ainsi que celle des républiques. […] Car c’est toujours de haut que les révolutions descendent, et les gouvernements se trahissent longtemps eux-mêmes avant d’être trahis par les peuples. […] Quoique Tocqueville ne soit pas trempé pour le pamphlet, quoiqu’il soit parfaitement incapable de mettre en grisaille les Lettres persanes, s’il a pu y mettre l’Esprit des lois, on n’en sent pas moins dans son ouvrage la bonne volonté des attaques réfléchies et couvertes contre un gouvernement fort qui a su résoudre le problème, qu’on croyait insoluble depuis quarante ans, d’une grande autorité populaire.

170. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. H. Wallon » pp. 51-66

Nous la regardons, dans sa simplicité naïve et presque puérile, comme la forme la plus élémentaire et la moins relevée de toutes les formes de gouvernement. […] Si, en attendant le gouvernement de tous par tous, dans sa beauté complète, — ou mieux encore, la suppression de tout gouvernement, l’idéal enseigné par Proudhon, l’iconoclaste des Républiques, — nous permettons à la Royauté, ce polype coupé un jour sur la place de la Révolution, mais qui a repoussé, de rester encore quelque temps sans être arraché du sein des peuples, c’est seulement à la condition d’être entourée, cette Royauté, comme disait Lafayette, d’Institutions Républicaines, et de lui mettre la camisole de force d’une Constitution. […] Pour la première fois, ces barons, qui avaient inventé le mot méprisant, en parlant d’un État ou d’une terre : « tomber en quenouille », respectèrent celle-ci comme une masse d’armes, et ployèrent sous ce gouvernement d’une femme qui était mère du Roi et qui avait le sentiment de la Royauté de son fils.

171. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Sur l’École française d’Athènes »

Sur l’École française d’Athènes On a récemment parlé d’un projet qui honorerait à la fois le Gouvernement français et le Gouvernement grec : il s’agirait d’établir un lien régulier entre l’Université de France et la patrie renaissante des Hellènes, de mettre en rapport l’étude du grec en France avec cette étude refleurie au sein même de la Grèce, d’instituer en un mot une sorte de concordat littéraire entre notre pays latin et la terre d’Athènes. […] Cette idée d’aller rechercher à sa source la connaissance, le goût et l’inspiration la plus sûre de l’antiquité grecque a dû naître dans plusieurs esprits, du jour où le Gouvernement de la Grèce offrait toutes les garanties de sécurité, de civilisation renaissante et d’avenir.

172. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Ne sortons pas de là, messieurs, ne nous embarquons pas, Gouvernement et corps politique, dans des questions de libre arbitre et de liberté métaphysique. […] Ainsi pas un mot de blâme, quoiqu’on vécût sous le Gouvernement religieux de la Restauration ; personne alors, personne au monde n’eût conçu l’idée qu’une pareille thèse pût être repoussée, encore moins cassée ministériellement, et elle devint un des titres qui désignèrent à l’avance le jeune et brillant physiologiste pour une des futures chaires de l’École. […] Un de nos honorables collègues, il y a une année environ, M. le comte de Ségur d’Aguesseau, croyait devoir parler au Sénat d’un danger selon lui imminent, et qui menaçait la société, le Gouvernement même, ce Gouvernement auquel nous sommes tous dévoués. Et moi aussi, je signalerai un danger, et j’aurai de l’écho au dehors, j’aurai de l’assentiment de la part de tous ceux qui, amoureux du bien public, de la paix publique, du progrès des idées justes et de l’avancement civil de la société, ne désirent, dans cette large voie, d’autre guide et d’autre appui que le Gouvernement impérial, issu du suffrage universel. […] Le temps du moins est venu, pour qui aime son pays et le Gouvernement de son pays, de représenter le sérieux danger de la situation au Prince lui-même (si bien informé qu’il soit) et de donner un signal d’alarme.

173. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

… C’est un membre du gouvernement ? […] … Oui, oui, reprenez le gouvernement ! […] … Un gouvernement, c’est du pain ! […] … Un gouvernement !… un gouvernement !

174. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 377-379

M. l’Abbé Veli avoit très-sagement senti que l’Histoire d’un Peuple ne se borne pas à l’Histoire de ses Rois ; que le tableau de ce qu’il a été dans l’ordre moral & civil, est pour le moins aussi piquant, aux yeux d’un Lecteur avide & éclairé, que celui des révolutions de son Gouvernement. […] Son Traité de l’origine du Gouvernement François, est dans un autre genre : il a le ton de la Dissertation ; mais l’érudition n’y marche qu’accompagnée de l’élégance & du raisonnement.

175. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

De loin tout cela s’efface, quand il y a un chef d’école, actif, entreprenant, et qui, amoureux du gouvernement des esprits, a forcé jusqu’à la fin M.  […] Car enfin elle est arrivée au pouvoir et au gouvernement des affaires à partir de 1830 ; et dès lors (je puis en parler devant M.  […] Mignet remarque un peu trop fortement qu’on était vingt, et non vingt et un, afin de ne point passer le nombre voulu, et pour éviter qu’un cours de philosophie fût assimilé à un complot contre le gouvernement. Ce sont là de ces traits un peu trop appuyés, qui font rire aux dépens des gouvernements les gens mêmes qui sont le plus en peine quand les gouvernements viennent à leur manquer.

176. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

Il faut que, pour votre compte, vous cherchiez et que vous répétiez au Gouvernement de chercher les moyens de guérir un tel mal… Je ne puis trop vous prier de réfléchir que nous ne sommes pas dans un moment de raison, où les moyens tout raisonnés du système représentatif suffisent… Je suis persuadé qu’une guerre serait utile, bien entendu si l’on ; parvenait à la limiter. » Et il terminait par une épigramme, selon sa manière : « La France est, pour le moment, dans le genre sentimental bien plus que dans le genre rationnel. […] Je me figure l’action de ce ministre passionné, violent et un peu convulsif dans la modération, par une image : le chardu gouvernement roulait sur la pente, à l’aventure, et menaçait de verser : il mit le bras en travers de la roue, se brisa lui-même, mais l’arrêta. […] Ici l’on entre dans les ministères plus personnels : grand parti du gouvernement se disloque ; la base du juste-milieu est amoindrie. […] Guizot lui-même, passant en revue la politique des divers Cabinets d’Europe, et s’exagérant un peu, je le crois, la passion de la paix qui possédait en 1830 les gouvernements et les peuples, nous dit de l’empereur de Russie, Nicolas, auquel il attribue la même passion, jointe à beaucoup de malveillance pour Louis-Philippe et pour le trône de Juillet : « Il eût pu être tenté de profiter, par la guerre, des troubles de l’Europe ; il aima mieux les grands airs de la domination en Europe au sein de la paix. » Or, ces grands airs de domination, on les acceptait, on ne cessa de les subir. Ce n’était pas un casus belli, dira-t-on, ce n’était qu’une vexation, et qui encore avait ses répits et ses intermittences ; mais n’est-ce pas trop que ces petites avanies pour le gouvernement d’un grand peuple ?

177. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

Il est donc inexact et faux de dire qu’il ait vécu à l’étranger d’une pension du gouvernement autrichien : il continua de recevoir une indemnité régulièrement garantie et stipulée par des traités internationaux7. […] Le général Bonaparte avait en résidence auprès de lui un envoyé du gouvernement vénitien, nommé Dandolo, non pas de la famille des illustres doges, mais d’une famille bourgeoise de juifs convertis, et qui avaient pris, comme c’était assez l’usage, le nom de leur parrain. […] Le gouvernement provisoire vénitien décida alors de tout faire pour empêcher le Directoire de ratifier le traité. […] En effet, après le premier moment passé, il dédaigna toujours les justifications et les apologies : « Je ne puis paraître vouloir me justifier, disait-il ; je ne veux surtout pas laisser croire que j’en sens le besoin. » Le gouvernement de Juillet ne fut jamais bien pour Marmont ; d’anciens camarades maréchaux mirent peu d’empressement et de bonne volonté à le servir. […] Disons tout le gouvernement de Juillet n’était pas, à l’égard de l’opinion, en position de combattre le préjugé populaire qui régnait encore sur les événements de 1814, et particulièrement sur ceux de 1830, dont il était issu.

178. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

La Restauration tombe en 1830 ; les hommes de la Restauration disparaissent, et une nouvelle génération se saisit du gouvernement de la société dans toutes les directions et à tous les degrés. […] Aujourd’hui, un grand nombre de ces jeunes hommes d’alors, après avoir passé par le pouvoir et par le gouvernement à leur tour, se voyant déchus à l’improviste et dépossédés, vont recommencer, s’ils n’y prennent pas garde, le raisonnement des hommes d’autrefois ; ils vont vous démontrer point par point qu’ils représentent le droit, la justice, la légitimité sociale ; tout cela, à les entendre, est en eux seuls et non pas en d’autres : ils en gardent le dépôt, et ils vous en parleront avec autant de zèle et de componction qu’aurait pu faire un bon royaliste au lendemain de juillet 1830. […] Avez-vous jamais réfléchi à ce que c’était que ces hommes de la Chambre de 1815, dont en général les montres s’étaient arrêtées subitement au 18 Brumaire, et qui, après quinze ans d’isolement, de colère ou de bouderie à l’écart, se virent un jour appelés à l’exercice d’un gouvernement nouveau et à remettre en vigueur les formes parlementaires et délibératives ? […] Le nombre diminue de plus en plus, même parmi les gens de lettres, de ceux qui peuvent dire comme d’Alembert : « Je ne suis absolument propre, par mon caractère, qu’à l’étude, à la retraite, et à la société la plus bornée et la plus libre. » On a, ce me semble, la maladie suffisamment décrite ; ajoutez-y cependant, pour la situation d’aujourd’hui, une complication très grave, le mal de la parole perdue, ce qui est cuisant après un gouvernement d’orateurs. […] Je crois bien ne pas trop différer en cela de la société de mon temps : je sais gré à tout gouvernement qui me procure l’ordre et les garanties de la civilisation, le libre développement de mes facultés par le travail : je le remercie et suis prêt, pour mon humble part, à l’appuyer.

179. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Pendant que le gouvernement impérial s’affermissait, il cultivait sa terre de Lagrange et attendait la liberté publique. […] C’est ce qui fait que ces gouvernements sont lents. […] Appelé en 1789 à la présidence, il fut le premier à fonder, à pratiquer le gouvernement au sein du pays qu’il avait déjà sauvé et fondé dans son existence même. Homme unique dans l’histoire jusqu’à ce jour, homme de gouvernement, de pouvoir, de direction nationale et sociale, et en même temps homme de liberté, d’une intégrité morale inaltérable. […] C’est un des inconvénients des gouvernements démocratiques, que le peuple, qui ne juge pas toujours et se trompe fréquemment, est souvent obligé de subir une expérience, avant d’être en état de prendre un bon parti.

180. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

XIV Ce fut dans les studieux loisirs de cette éducation royale qui portait forcément son esprit sur la philosophie des sociétés, que Fénelon composa secrètement en poëme le code moral et politique des gouvernements. […] Télémaque, pendant ce long voyage, tantôt heureux, tantôt traversé par le destin, aborde ou échoue sur mille rivages, assiste à des civilisations diverses, expliquées par son maître Mentor, court des dangers, éprouve des passions, est exposé à des piéges d’orgueil, de gloire, de volupté, en triomphe avec l’aide de cette Sagesse invisible qui le conseille et le protége, se mûrit par les années, se corrige par l’expérience, devient un prince accompli, et voyant régner, dans les contrées qu’il parcourt, tantôt de bons rois, tantôt des républiques, tantôt des tyrannies, reçoit, par l’exemple, des leçons de gouvernement qu’il appliquera ensuite à ses peuples. […] Peut-être aussi ce livre était-il destiné à être, au moment de l’avénement du jeune prince à la couronne, la proclamation d’une politique nouvelle, le programme d’un gouvernement fénelonien ; c’était aussi une sorte de candidature indirecte au rôle de premier ministre, dont Fénelon pouvait avoir le pressentiment sans s’en avouer à lui-même l’ambition. […] Ses courtisans, en lui montrant son image dans le faible et dur Idoménée, fléau de ses peuples, lui dirent « qu’il fallait être son ennemi pour avoir peint un pareil portrait. » On vit une satire sanglante des princes et du gouvernement dans les récits et dans les théories du païen. […] Les mémoires sur le gouvernement qu’il adressait par le duc de Chevreuse au Dauphin, étaient une constitution tout entière de la monarchie.

181. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

On ne sortira plus de là sans un gouvernement plus ou moins semblable à celui de l’Angleterre. […] Le gouvernement me repousse, et je ne puis que me placer dans le parti de l’opposition, qui est révolutionnaire, ou risquer de perdre ma popularité, qui est ma force. Les armées sont en présence ; il faut négocier ou se battre ; le gouvernement, qui ne fait ni l’un ni l’autre, joue un jeu très dangereux. […] Mirabeau veut allier les principes du gouvernement représentatif avec ceux du gouvernement monarchique régénéré ; il veut la pleine indépendance du pouvoir exécutif dans sa sphère. […] Et il s’offre nettement, hardiment, à lui pour être son conseil habituel, son ami abandonné, « le dictateur enfin, permettez-moi l’expression, dit-il, du dictateur : — Car je devrais l’être, avec cette différence que celui-là doit toujours être tenu de développer et de démontrer, tandis que celui-ci n’est plus rien s’il permet au gouvernement la discussion, l’examen.

182. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

Je dis que l’esprit de cette loi sur la presse a paru bien long et bien lent à se faire comprendre, jusque dans les sphères appartenant ou attenant au Gouvernement même. […] Je ne saurais dire l’impression que j’ai ressentie comme ami du Gouvernement, ce que j’ai pensé et souffert d’une pareille maladresse. […] Elle a donné tout leur courage aux opposants, en indiquant ou faisant supposer au sein du Gouvernement même une disposition restrictive auxiliaire de la leur. […] La presse n’est point si ingrate qu’on se le figure : les générations nouvelles nées et grandies depuis ces vingt dernières années sont amies du suffrage universel et ne sont point ennemies du Gouvernement qui en est issu. […] Il avait été condamné en police correctionnelle pour son livre la Démocratie, parce qu’il y présentait et proposait l’idéal d’un gouvernement futur et libéral qui devait surgir avant la fin du siècle.

183. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

Les gouvernements doivent être conformes à la nature de ceux qui sont gouvernés. — D’où il résulte que l’école des princes, c’est la science des mœurs des peuples. […] C’est une tradition vulgaire que le monde fut d’abord gouverné par des rois, — que la première forme de gouvernement fut la monarchie. […] Aussi voyons-nous que Sylla, chef du parti de la noblesse, n’eut pas plus tôt vaincu Marius, chef du parti du peuple, et rétabli la république en rendant le gouvernement à l’aristocratie, qu’il remédia à la multitude des lois par l’institution des quæstiones perpetuæ. […] Les hommes aiment d’abord à sortir de sujétion et désirent l’égalité ; voilà les plébéiens dans les républiques aristocratiques, qui finissent par devenir des gouvernements populaires. […] Enfin pour s’assurer la vie commode dont ils jouissent, ils inclinèrent naturellement à se soumettre au gouvernement d’un seul ; voilà les nobles sous la monarchie.

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