Le dix-neuvième siècle n’a pas seulement élargi la science, il l’a considérablement approfondie, il l’a fait passer du dehors au dedans ; la physiologie s’est perfectionnée assez pour toucher à la psychologie, et, à mesure que la science du système nerveux est allée grandissant, on a mieux compris combien étaient insuffisantes les vues du matérialisme brut et égoïste.
Rod étudie : « Oui, le désir et le dégoût se touchent alors de si près qu’ils se confondent et ne font plus qu’un et je les sens qui me travaillent tous les deux à la fois.
Cela touchait les révolutionnaires.
Cependant cette matière touche elle-même à une autre, qui est de savoir ce que nous pouvons faire pour venger notre « honneur » offensé. […] Il ne me reste plus maintenant qu’à voir s’il a touché le but, et quelles ont été dans l’histoire les conséquences des Provinciales. […] Ce que Descartes dit des mystères et de la théologie : qu’il n’y touchera pas, comme étant à part et au-dessus du pouvoir de la raison, Montaigne, avant lui, l’avait dit presque textuellement. […] C’est une question que je ne toucherai point, que je me contenterai d’avoir posée. […] Sans doute, on dira que toutes ces intentions, non seulement se touchent, mais s’entretiennent ; et je répondrai que c’est justement quand les matières se touchent qu’il est nécessaire de les bien distinguer, quand elles s’entretiennent qu’il importerait de nous en faire voir le lien.
Cependant il n’y a pas d’écrivain qui sache mieux toucher et attendrir ; il fait pleurer, cela est à la lettre ; avant de l’avoir lu, on ne se savait pas tant de pitié dans le cœur. […] Si l’on veut maintenant se figurer d’un regard cette imagination si lucide, si violente, si passionnément fixée sur l’objet qu’elle se choisit, si profondément touchée par les petites choses, si uniquement attachée aux détails et aux sentiments de la vie vulgaire, si féconde en émotions incessantes, si puissante pour éveiller la pitié douloureuse, la raillerie sarcastique et la gaieté nerveuse, on se représentera une rue de Londres par un soir pluvieux d’hiver. […] Le roman ainsi conçu est une plaidoirie en faveur du cœur, de l’imagination, de l’enthousiasme et de la nature ; mais il est souvent une plaidoirie contre la société et contre la loi ; nous ne souffrons pas qu’on touche de près ou de loin à la société ni à la loi. […] Et il s’intéresse à lui lorsque l’écrivain, sans louer ni blâmer, s’attache à expliquer le tempérament, l’éducation, la forme du crâne et les habitudes d’esprit qui ont creusé en lui cette inclinaison primitive, à faire toucher la nécessité de ses effets, à la conduire à travers toutes ses périodes, à montrer la puissance plus grande que l’âge et le contentement lui communiquent, à exposer la chute irrésistible qui précipite l’homme dans la folie ou dans la mort. […] C’est le masque anglais d’une tête allemande, et lorsqu’un écrivain de talent, qui est souvent un écrivain de génie, vient toucher la sensibilité froissée ou ensevelie sous l’éducation et sous les institutions nationales, il remue l’homme dans son fond le plus intime, et devient le maître de tous les cœurs.
Critique de l’Histoire des Girondins [Avertissement] La critique est une grande et importante partie de toute littérature ; quand elle touche simplement à la forme d’un livre, elle est toutefois secondaire. — Question de grammaire, question de goût ; les esprits stériles seuls s’y adonnent ; elle dénigre beaucoup, elle ne produit rien. — Sous ce rapport, il faut la laisser aux esprits méticuleux et jaloux, qui se consolent de leur impuissance en montrant les imperfections des œuvres d’autrui. Mais il y a une plus haute critique qui touche à la morale et qui est, pour ainsi dire, la conscience du genre humain ; c’est celle qui s’attache à l’histoire et qui, au lieu d’être une grave controverse de mots, est une sévère correction de principes. […] J’ignore comment le prince, très attentif apparemment à ce qui pouvait toucher à son nom dans la presse, en eut communication. […] J’étais comme un de ces instruments à fibres suspendus à la muraille d’une salle de musique, qui vibrent à l’unisson, sans qu’un archet touche leurs cordes, au seul bruit de l’orchestre où ces instruments n’ont pas leur partition écrite dans le concert. […] Le roi, étonné de se voir secouru par un orateur indépendant de qui il n’avait rien à attendre et qui ne voulait rien de la cour, fut profondément touché de cette intervention volontaire, qu’il prit sans doute pour du dévouement.
Un salon garni de meubles en damas rouge, aux bois dorés, aux lourdes formes vénitiennes ; de vieux tableaux de l’école italienne avec de belles parties de chairs jaunes ; au-dessus de la cheminée, une glace sans tain, historiée d’arabesques de couleur et de caractères persans, genre café turc : une somptuosité pauvre et de raccroc faisant comme un intérieur de vieille actrice retirée, qui n’aurait touché que des tableaux à la faillite d’un directeur italien. […] Non, ça ne me touche pas, comme cette femme qui, tout à l’heure me montrait, à table, le haut de la tête de la Charité d’André del Sarte et la bouche de la goule des Mille et une Nuits… non, ça ne me touche pas comme la causerie d’hier, la causerie alerte et cruelle du fils B… sur Mirès. […] Il y a je ne sais quelle répugnante promiscuité de salut dans cette adjonction : ça ressemble à la fosse commune de la prière… Derrière moi, à la chapelle, pleure la nièce de Rose, la petite qu’elle a eue un moment chez nous, et qui est maintenant une jeune fille de dix-neuf ans, élevée chez les sœurs de Saint-Laurent : pauvre petite fillette, étiolée, pâlotte, rachitique, nouée de misère, la tête trop grosse pour le corps, le torse déjeté, l’air d’une Mayeux, triste reste de toute cette famille poitrinaire attendu par la Mort, et dès maintenant touché par elle, — avec, en ses doux yeux, déjà une lueur d’outre-vie. […] Il a pour lui Thiers, Mignet, Lebrun, les trois frères provençaux, qui se pousseront le coude pour voter pour lui. » La petite touche — c’est le charme et la petitesse de la causerie de Sainte-Beuve.
Puis, dans la gare Saint-Lazare, sur de la glace, glissade des deux pieds, et me voici sur le dos, ayant touché des deux épaules. […] L’attention de ces deux cœurs amis m’a touché. […] Et il prenait une palette, vendue avec le tableau, et il touchait avec un ton pris sur la palette — un tout à fait semblable à celui du personnage — et la femme touchée se mettait à faire des révérences… puis un mezzetin à danser… puis des musiciens à jouer du violon — absolument comme si, cette peinture d’un grand art, était un tableau mécanique. […] Je suis à côté, tout à côté de Sarah, et chez cette femme qui toucherait à la cinquantaine, le teint du visage, qui, ce matin, n’a aucun maquillage, pas même de poudre de riz, est un teint de fillette, un teint d’un rose tout jeunet, sur une peau d’une finesse, d’une délicatesse, d’une transparence curieuse aux tempes, sous le réseau de petites veinules bleues.
C’est juste, car ils enivrent de plusieurs manières, soit qu’on les respire, soit qu’on les touche ou seulement qu’on les regarde. […] On lui dit que cela se payait vingt-cinq centimes la ligne, mais il y en avait si peu qu’il n’osa pas les toucher. […] On voit que je ne touche même pas à la grande question : les animaux ont-ils conscience de leur douleur ? […] Notez qu’elle n’ordonne jamais de médicaments, qu’elle ne touche jamais les malades, qu’elle n’agit que par des gestes, d’où elle croit qu’il émane un fluide. […] Nous croyons les choisir et ils nous sont imposés à notre insu par les actes antérieurs que nous avons accomplis ou dont les conséquences nous ont touché.
J’ai vu l’amour, j’ai vu l’amitié héroïque ; le spectacle des deux amis m’a plus touché que celui des deux amants. […] Lucilius, si la gloire vous touche, les miennes vous feront plus connaître que toutes vos dignités : qui saurait qu’il exista un Idoménée sans celles d’Epicure ? […] couché dans une même vaste infirmerie, je m’entretiens avec les autres malades… » On est vraiment touché de cette modestie. […] Il n’en est rien ; et pour répondre à Sénèque dans sa manière, je lui dirai : « Nous sommes touchés de tout ce qui nous promet des regrets éternels. […] Quelle douceur trouverait-il à l’éloge de celui dont le blâme ne le touche pas ?
Vinet un critique littéraire du premier ordre, et c’est à ce titre qu’il nous touche particulièrement.
Celle-ci, d’un esprit fin et juste en ce qui la touchait, comprit dès l’abord ce qu’il fallait au roi ; et elle s’y aida de tous les charmes de sa personne et de sa conversation, de toutes les ruses d’une courtisane habile.
Paul Léautaud À écouter les poèmes contenus dans le volume : De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir, poèmes dont la sincérité parfois touche à la naïveté et d’une notation directe souvent jusqu’au mot choquant, on respire un sentiment d’immense humilité devant la nature et de foi ingénue en Dieu.
Sensible, il est touché par tout ce qui a un caractère de beauté, il le revêt, puis s’en détache et court aux autres.
Sardou était depuis dix ans commandeur, et lui-même touchait à la sénilité, quand on s’avisa qu’il était simple chevalier.
Il touche, il intéresse ; il parle continuellement au cœur, & le gagne.
L’on n’imaginoit pas que la touche légère & galante de l’auteur pût jamais être effacée.
Pope, qui touchait à de meilleurs temps, n’est pas tombé dans la faute de Colardeau.
Nos instrumens à corde qui ont un manche, à l’aide duquel on peut tirer avec facilité differens tons d’une même corde qu’on racourcit à son plaisir en la pressant contre le manche, auroient été bien plus propres pour un accompagnement, d’autant plus que nous les touchons encore d’un archet fort long et garni de crin, avec lequel on unit et on prolonge aisément les sons, ce que les anciens ne pouvoient point faire avec leur archet.
Par la poésie, la littérature touche aux arts et se range avec eux sous une même loi. […] Nous touchons au moment de la réconciliation. […] Quelles lèvres de génie n’ont pas été touchées par l’éponge imbibée de vinaigre et de fiel ? […] Cherchons à toucher le point vital du génie poétique. […] La poésie vise à toucher le cœur.
La comédie antique atteignit donc pleinement un point que la moderne touche à peine indirectement. […] Telle est la touche de l’auteur. […] Je n’ai pu résister au plaisir de l’imiter en vers dans une satire autrefois publiée, et dont vous m’avez déjà permis de vous lire un fragment qui touchait notre Aristophane. […] Néanmoins, par la finesse et l’originalité de l’imitation, leur ridicule survit lorsqu’il fut touché d’une main habile. […] Notre politesse exquise nous rend si chatouilleux sur les expressions, que je ne sais comment toucher une chose si pointilleuse.
On part, on va, on monte, l’air est vif, le soleil est radieux, le vent favorable ; on dépasse les nuages, on touche aux étoiles, on est dans le ciel, on s’y explique avec Dieu ; que dis-je ? […] Mais les admirateurs de Voltaire ne sont-ils pas ses dupes en ce qui touche à cette fameuse défense de Sirven et de Calas ? […] Il me semble que je touche de près au livre de M. de Tocqueville et à la première impression qu’il produira sur bien des lecteurs. […] Enfin, bien qu’il ne touche pas encore aux victimes et aux martyrs, on devine, chaque fois qu’il écrit le nom de Louis XVI, un trésor, que dis-je ? […] La reine, plus compromise que jamais par ses intrigues avec madame de Chevreuse et ses correspondances avec l’Espagne, touchait à sa perte.
Tout jeune la Muse le toucha de l’aile, et il respecta ce contact sacré. […] — Non, nous allons bâcler le dramorama pour toucher la monnaie. […] On ne pouvait analyser plus finement ce génie d’une excentricité qui semble parfois toucher à la folie, et dont le fond est une logique impitoyable poussant abouties conséquences d’une idée. […] Heureusement, il se trouva là un amateur qui, touché du désespoir du jeune peintre, lui céda une boîte assez bien garnie qu’il avait. […] Ces deux talents sont des lignes parallèles voisines, il est vrai, mais qui ne se touchent point ; ce que l’un a de plus en fantaisie, l’autre le regagne en caractère.
On trouverait dans les printemps de Finlande et de Russie, touchés par Bernardin de Saint-Pierre, dans ceux du nord de l’Amérique décrits par M. de Chateaubriand, des traits heureux de comparaison avec ce printemps de la vallée des Aigles. […] Coleridge, dans sa jeunesse, a fait d’admirables Poëmes méditatifs, dans lesquels la nature anglaise domestique, si verte, si fleurie, si lustrée, décore à ravir, et avec une inépuisable richesse, des sentiments d’effusion religieuse, conjugale ou fraternelle ; soit que le soir dans son verger, entre le jasmin et le myrte, proche du champ de fèves en fleur, il montre à sa douce Sara l’étoile du soir, et se perde un moment, au son de la harpe éolienne, en des élans métaphysiques et mystiques, qu’il humilie bientôt au pied de la foi ; soit qu’il abandonne ensuite ce frais cottage, de nouveau décrit, mais trop délicieux, trop embaumé à son gré pendant que ses frères souffrent (vers l’année 93), et qu’il se replonge vaillamment dans le monde pour combattre le grand combat non sanglant de la science, de la liberté et de la vérité en Christ ; soit qu’envoyant à son frère, le révérend George Coleridge, un volume de ses œuvres, il y touche ses excentricités, ses erreurs, et le félicite d’être rentré de bonne heure au nid natal ; soit qu’un matin, visité par de chers amis, dans un cottage encore, et s’étant foulé, je crois, le pied, sans pouvoir sortir avec eux, du fond de son bosquet de tilleuls où il est retenu prisonnier, il fasse en idée l’excursion champêtre, accompagne de ses rêves aimables Charles surtout, l’ami préféré, et se félicite devant Dieu d’être ainsi privé d’un bien promis, puisque l’âme y gagne à s’élever et qu’elle contemple ; soit enfin que, dans son verger toujours, une nuit d’avril, entre un ami et une femme qu’il appelle notre sœur, il écoute le rossignol et le proclame le plus gai chanteur, et raconte comme quoi il sait, près d’un château inhabité, un bosquet sauvage tout peuplé de rossignols chantant à volée, en chœur, et entrevus dans le feuillage sous la lune, au milieu des vers luisants : Oh ! […] Nous n’avons pas touché les détails du voyage à Paris, et plus tard ceux de la maladie, de la confession, de la mort et de l’ensevelissement de Laurence.
Les pères avaient dû mourir dans le désert, on serait la génération qui touche au but et qui arrive. […] C’est que nous ne toucherons qu’à peine ces endroits réguliers sur lesquels notre incompétence est grande ; d’autres les traiteront ou les ont assez traités. […] M. de Rémusat, le plus doctrinaire assurément des rédacteurs du Globe par la subtilité de son esprit, par ses habitudes et ses liens de société, ne toucha longtemps que des sujets de pure littérature et de poésie ; ce qu’il faisait avec une souplesse bien élégante.
Je le suivais souvent pas à pas, pendant des heures entières, pendant qu’il touchait ses quatre bœufs blancs et fauves attelés à la charrue, dans les longues pièces de terre bordées de frênes, le long des avenues du château. […] Il me découvrait les nids d’où il avait vu s’envoler les mères sur les buissons du champ ; souvent il me remettait pour un moment sa longue gaule de noisetier, armée à l’extrémité d’un aiguillon, et je touchais à sa place les flancs fumeux de l’attelage, en appelant chacun de ses bœufs par leur nom, et en imitant, autant qu’il m’était possible, la voix criarde et traînante du bouvier qui gouverne la charrue. […] Didier ne flattait pas sa vanité, mais il avait touché son cœur.
Mais, malgré cela, nous n’aimons pas la poésie politique : c’est aux grands philosophes et aux grands orateurs d’exprimer ces vérités dans leurs livres ou dans leurs harangues ; la poésie n’y doit pas toucher, ou elle ne doit y toucher que bien rarement. […] XXIX Ces répugnances que nous éprouvons pour cette transformation de la lyre divine en fouet sanglant est peut-être un tort de notre goût personnel ; nous regrettons que des Virgiles et des Pindares daignent rivaliser avec des Juvénals et des Gilberts, qui ne sont pas dignes de toucher à leurs ailes, et qui rasent la terre au lieu de se perdre dans le firmament.
tant de choses qu’on voit, qu’on touche, qu’on sent, feraient écrire des volumes. […] Voilà tes souliers sous le lit, ta table toute garnie, le miroir suspendu au clou, les livres que tu lisais hier au soir avant de t’endormir, et moi qui t’embrassais, te touchais, te voyais. […] Dans l’enfance, les effets de réflexion touchent peu.
Il s’émerveillait de ce que sept trous dans un roseau, ouverts ou fermés au caprice des doigts, faisaient tant de plaisir à l’oreille, disaient tant de choses au cœur, et il oubliait presque d’en toucher ses bœufs, qui marchaient d’eux-mêmes. […] CLIII On ne tarda pas de m’en prier, monsieur, nous touchions enfin aux portes de la ville. […] Mais au moment où mes genoux touchaient terre, monsieur, voilà qu’un lourd bruit de chaînes qu’on remue monte d’en bas jusqu’à la lucarne, et qu’une faible voix, comme celle d’un mineur qui parle aux vivants du fond d’un puits, fait entendre distinctement, quoique bien bas, ces trois mots séparés par de longs intervalles : Fior d’Aliza, sei tu ?
Une de mes mains se trouvait appuyée sur son cœur, qui touchait à ses légers ossements, il palpitait avec rapidité comme une montre qui dévide sa chaîne brisée. […] On risque de se moquer de Dieu en raillant son œuvre, le ridicule peut toucher au blasphème. […] Il touche, il charme, mais il ne persuade pas.
On a vu comment Marot avait été touché plutôt que formé par la Renaissance. […] Il n’en est pas ainsi des auteurs étrangers qui sont tout près de nous, qui nous touchent, qui sont présents parmi nous. […] C’est à bâtir ce monstrueux édifice, qui devait crouler après lui, que Ronsard passa une assez longue vie, au milieu de la faveur universelle, richement doté, sauf la difficulté de toucher ses rentes dans ces temps de guerres civiles ; aime des princes, qui comparaient leur couronne à la sienne ; qualifié de prodige de la nature et de miroir de l’art ; admiré par Montaigne et consulté par le Tasse, qui lui lut les premiers chants de la Jérusalem délivrée ; respecté, dans ses vers, par les protestants qui l’attaquaient dans ses moeurs, et remercié officiellement par le pape, pour s’être donné la peine de leur répondre ; pour comble de fortune, mourant avant que Malherbe, qui avait alors trente ans, eût songé à être poète.
Et qu’il cherche l’Art et la Vérité ; qu’il montre des misères bonnes à ne pas laisser oublier aux heureux de Paris ; qu’il fasse voir aux gens du monde ce que les dames de charité ont le courage de voir, ce que les Reines autrefois faisaient toucher de l’œil à leurs enfants dans les hospices : la souffrance humaine, présente et toute vive, qui apprend la charité ; que le Roman ait cette religion que le siècle passé appelait de ce vaste et large nom : Humanité ; — il lui suffit de cette conscience : son droit est là. […] Il y a je ne sais quelle répugnante promiscuité de salut dans cette adjonction : c’est la fosse commune de la prière… Derrière moi, à la chapelle, pleure la nièce de Rose, la petite qu’elle a eue un moment chez nous, et qui est maintenant une jeune fille de dix-neuf ans, élevée chez les sœurs de Saint-Laurent : pauvre petite fillette étiolée, pâlotte, rachitique, nouée de misère, la tête trop grosse pour le corps, le torse déjeté, l’air d’une Mayeux, triste reste de toute cette famille poitrinaire attendue par la Mort et dès maintenant touchée par elle, — avec, en ses doux yeux, déjà une lueur d’outre-vie. […] Ici, je ne me cache pas d’avoir, au moyen du plaidoyer permis du roman, tenté de toucher, de remuer, de donner à réfléchir.
Après avoir effleuré et touché cela d’un long coup d’œil, envoyé du cœur une pensée, un souvenir, une adoration à chaque lieu et à chaque pan de ce firmament, je descendis par un sentier rapide et sombre, bordé d’un côté de forêts, de l’autre de prés ruisselants de sources, le revers de la chaîne que je venais de franchir. […] On eût dit qu’il sortait du ciel, de la terre, des bois, des plantes, des fenêtres de la maison visible là-bas, du foyer d’enfance, des lèvres de mes sœurs, de la mâle poitrine de mon père, du cœur encore chaud de ma mère, pour m’accueillir à ce retour, et pour me toucher des lèvres sur la joue et au front. […] Le soleil avait baissé sans que je m’en aperçusse pendant cette halte dans mes souvenirs : il touchait presque aux petites têtes du bois de sapins que vous connaissez, et qui dentellent le ciel au sommet de la montagne, en face de moi, en se découpant sur le bleu du ciel comme les mâts d’une flotte à l’ancre dans un golfe d’eau limpide de la mer d’Ionie.
Dans le cercle de l’esprit humain, la dernière des erreurs est celle qui se trouve le plus près de la vérité, en vertu de l’axiome proclamé par le bon sens séculaire du monde : « Les extrêmes se touchent. » Entre M. […] En ces quatre volumes à peine, — par l’histoire des Révolutions d’Italie s’arrête vers le milieu du quatrième, où l’auteur nous apprend tout à coup que sa tâche est finie parce qu’il touche à l’époque de Charles-Quint, et qu’à cette époque l’ère des révolutions est fermée, — il n’y a pas moins (l’auteur s’en est assez vanté) que sept mille révolutions qu’il a mesurées « à l’équerre et au compas », nous dit-il, avec l’orgueil d’un Képler de l’Histoire, Assurément, sept mille révolutions, poussées, bousculées en quinze cents pages à peu près, font un entassement formidable, et on aurait vraiment le droit de se demander comment elles sont passées sous l’angle d’un compas si peu ouvert, pour peu qu’elles méritent le nom qu’on leur donne et qu’elles soient réellement des révolutions ! […] Il ne l’a pas voulu, et il le paiera de la gloire qui l’attendait et qu’il aurait touchée.
Elle a travaillé ici, c’est bien évident ; on sent sa présence et on entend sa plainte, mais hors cette plainte, qu’y a-t-il qui nous éclaire le cœur après nous l’avoir touché et, si vous y tenez, déchiré ? […] Nous y touchons de toutes parts. […] Autrement, il serait trop facile de toucher avec des sentiments maternels !
. — La lecture est la pierre de touche des œuvres dramatiques. — La mise en scène est tantôt une question de goût, tantôt une question d’habileté. […] La lecture est donc la véritable pierre de touche des œuvres dramatiques. […] Il semble que nous les touchions, et si nous les touchions réellement les sensations éprouvées seraient plus fortes, mais nullement différentes de celles que la vue avait suffi à déterminer en nous. […] Mais nous touchons là à un autre ordre d’idées qui a besoin de quelques développements. […] Il décèle, chez la femme, l’espoir inavoué de toucher peut-être le farouche Hippolyte.
En quelques années, elle a touché à tous les sujets : roman, critique, histoire, histoire littéraire, hagiologie, critique scientifique. […] Touchée habilement, elle obtint des triomphes aussi brillants qu’éphémères. […] Zola touche l’esprit en faisant preuve d’une puissante intelligence, d’un regard pénétrant, ferme, scrutateur, par l’abondance des arabesques et des filigranes charmants. […] Parmi les admirateurs de Pereda, il en est qui désirent ardemment qu’il change de touche : j’ignore s’il serait avantageux de le faire pour le grand écrivain. […] Je pense qu’avant, les écoles étaient plus tyranniques et le jeu des registres que l’auteur pouvait toucher moins riche.
Il se fit alors une sorte de révolution dans l’Architecture ; mais, sans toucher au genre, on outra la réforme. […] Elle seule m’apprit à séduire, à toucher. […] Dorat y déploie ce coloris brillant, ce fini gracieux qui distinguent sa touche. […] Nous touchons, peut-être, à cette décadence. […] On l’admire plutôt qu’il ne touche.
Nous touchons là, dans ce caractère essentiellement moral, à quelqu’une des difficultés secrètes qui sont le scrupule des consciences délicates et qu’on ne peut que sonder discrètement. […] Une vie entière d’étude, accompagnée de lumière et de poésie, l’avait porté dans les pures et paisibles régions de l’intelligence ; mais jamais on ne sent mieux la vérité des mots qui lui sont attribués, que lorsqu’on touche à ces questions qui nous lancent dans la double immensité du temps et de l’espace. […] Littré, à chacune de ces pertes de famille, ne peut se rendre : à la mort de son frère, plus tard à la mort de sa mère, on me le dépeint fixe, immobile, la tête baissée près du foyer, dans une sorte de stupeur muette, restant des mois entiers sans travailler, sans toucher une plume ni un livre, et comme mort à tout. […] Il termine enfin par l’étymologie, partie dans laquelle il excelle, où il a sa méthode à lui, sa pierre de touche, et où il ne tâtonne pas comme on le faisait auparavant.
« Et avec son fils, chante le poète, le vannier alla s’asseoir sur un rouleau de pierre qui sert à aplanir le sillon après le labour ; et ils se mirent, sans plus de paroles, à tresser à eux deux une manne commencée, et à tordre et à entrecroiser vigoureusement les fils flexibles arrachés de leur faisceau dénoué de forts osiers. » Vincent touchait à ses seize ans. […] Au sommet des pics des montagnes, là où la terre touche le ciel, j’irais la cueillir, et dimanche tu l’aurais pendue à ton cou. […] Ses pieds ne touchent pas le sol ! […] Au moment où le soleil touchait la mer, la tige de l’arbre, dont la sève est de l’encens, sortit tout à coup de ses nœuds gonflés de vie comme un glaive qu’une main robuste tire du fourreau pour le faire reluire au soleil, et la fleur d’un quart de siècle éclata au sommet de la tige dans un bruyant épanouissement semblable à l’explosion végétale d’un obus qui sort du mortier.
La poésie provençale, un moment si florissante, touche à sa fin ; aux troubadours vont succéder les trouvères. […] Elle y est même plus riche que dans les écrits en prose, parce que la satire touche à plus de choses que les récits, et qu’elle y prend toutes les nuances, depuis la colère sérieuse qui prétend corriger ce qu’elle attaque, jusqu’à cette indifférence aimable qui ne veut rien corriger, et pour qui les abus mêmes ne sont que des maux nécessaires avec lesquels il faut savoir vivre. […] Celui-ci les reçoit bien touché par un sermon de Faux-Semblant, il se met à genoux pour se confesser ; mais, tandis qu’il baisse la tête avec contrition, Faux-Semblant le saisit à la gorge, l’étrangle, et, de son rasoir, lui coupe la langue. […] Sa confusion encyclopédique, sa prétention audacieuse et mal réglée à toucher à toutes les connaissances, ce grotesque étalage d’érudition où se trahit le sentiment de l’unité de l’esprit humain ; toutes ces choses furent alors d’informes mais précieux rudiments de culture intellectuelle, et des germes féconds pour l’avenir.
Delarue-Mardrus et Valentine de Saint-Point, de qui le tempérament puissant est touché de persuasion Scientiste. […] Van Bever et Léautaud, en leur Anthologie, la disent suggérée, au principe, par Jules Laforgue, ce poète inquiet qui lui-même paraît avoir été touché de la sensibilité de cet autre grand et inégal poète du désenchantement qui se veut ironique, Tristan Corbière. […] Or, notre énergie « intuitive », de vibrations en vibrations en la texture de nos présents et des passés qui nous habitent obscurément, peut énormément rapporter de la certitude de l’Instinct — certitude devenue hautement cérébrale, d’avoir touché tout à coup à quelque point de l’être essentiel des choses… Mais, disions-nous, l’Intuition ne nous peut cependant contenter, ainsi, en ses aperceptions soudaines et espacées. […] Emile Verhaeren, Stuart Merrill, Albert Mockel et d’autres, il a été touché par les théories instrumentales de M.
Comme ce passant encore, fasciné et tenu silencieux par ce fantôme de son visage et de la rive, passe et s’éloigne vaguement touché de crainte, puis ressaisi d’incurie et de plus pratiques pensées, le lecteur de Tolstoï se sent au cours même de l’œuvre vaguement mais sûrement repoussé du spectacle même qu’elle présente. […] La joie, l’ambition, le ressaisissement ; il se mêle aux affaires publiques, s’éprend, est trahi, retourne à la guerre et, mortellement atteint sur un champ de bataille, s’abandonne tout entier, au seuil de l’ombre, à cette méditation muette de la mort, cette contemplation ravie de l’inconnaissable où ne le touchent plus les caresses de son fils et de son amante. […] où se marque un esprit rétréci, individualisé, retranché du monde au point de toucher à l’irrationalité aiguë des pires fous. […] La plupart échappent à cette question qui touche du plus près, par stupidité ou par peur, par un effroi instinctif de l’envisager qui trahit sûrement leur ruine intérieure.
X En Espagne, l’héroïsme et la poésie se touchent par le grandiose du caractère et par l’orientalisme de l’imagination. […] Mais voilà l’Amérique du Nord qui y touche par la science, par l’histoire, par la poésie, par le roman, cette poésie domestique. […] Le ciel était un cristal sans fond, légèrement terni de cette brume chaude qui donne le vague aux horizons dont sans cela on toucherait de l’œil les bords. […] Le comte Alfieri avait été touché profondément des infortunes d’une jeune femme négligée et souvent offensée par un époux abruti.
De tout ce que la Grèce touche, divinité, philosophie, politique, poésie, musique, drame, histoire, architecture, marbre, pierre, pinceau, elle fait un art accompli. […] Elle n’a pas la théosophie contemplative de l’Inde ; elle n’a pas le rationalisme obstiné, inventif et législateur de la Chine ; elle n’a pas la fécondité de chimères, l’instinct du merveilleux de l’Arabie ; elle n’a pas l’art exquis et universel de la Grèce ; elle n’a pas la constance et l’austérité de la vieille Rome ; elle n’a pas la grâce et la mollesse de l’Italie moderne ; elle n’a pas la philosophie spéculative et planante sans toucher terre de l’Allemagne ; elle n’a pas le génie du grandiose et du chevaleresque de l’Espagne ; elle n’a pas le génie des aventures épiques des Portugais ; elle n’a pas l’indélébile originalité de l’Angleterre. […] Dépourvu, dans celles sur l’honneur et sur l’équivoque, de l’appui des anciens, qui n’avaient pas pu toucher à ces sujets tout modernes, il se traîna lourdement dans des banalités sans traces. […] Il est court dans son vol, il rase la terre et il badine au lieu de toucher.
Le recueil de poésies que nous présentons au public est l’ouvrage d’un jeune homme qui touche à l’âge mûr et qui ne saurait être considéré ni comme un apprenti de lettres, ni comme un débutant. […] Leurs mépris n’ont touché que les décadents du classicisme, petits talents médiocres dont les œuvres hybrides se distinguaient d’ailleurs malaisément de celles du premier Cénacle. […] Nous tiendrons pour suspectes toute logique tranchante, toute doctrine trop absolue, parce que la contradiction n’est jamais une pierre de touche infaillible du vrai, et que l’abstraction est un filet trop étroit entre les mailles duquel la réalité s’écoule et fuit de toutes parts. […] Vous touchez au sommet de la dernière terrasse.
Et tout à côté il retraçait le portrait du véritable et pur incrédule par doctrine et par théorie, le portrait de Spinoza qu’il noircit étrangement, dont il fait un monstre, mais en qui il touche pourtant quelques traits fondamentaux : Cet impie, disait-il, vivait caché, retiré, tranquille ; il faisait son unique occupation de ses productions ténébreuses, et n’avait besoin pour se rassurer que de lui-même. […] Tout précepte, si l’on n’y prend garde, touche de près à l’écueil et à l’abus.
Les événements de 1814 et de 1815, qui détachèrent la principauté de Neuchâtel de la France, ôtèrent à Léopold Robert, avec la qualité de Français, l’espoir d’être envoyé à Rome comme premier grand prix de gravure, distinction à laquelle il touchait presque avec certitude. […] Raphaël a pour loi et pour règle secrète un caractère suprême d’unité et d’adorable fusion ; il tient moins, en un mot, à frapper fort qu’à toucher divinement.
Ils avaient fait ce quon appelait sous l’Empire de bonnes études ; ils étaient gens du monde, quelques-uns militaires, pressés d’ailleurs de produire, et dignes de se perfectionner par l’étude sans en avoir les loisirs ni les instruments ; mais ils avaient une certain flamme au cœur et une ardeur d’idéal qui ne s’est pas encore éteinte chez tous, et qui fait l’honneur de ces générations rapides dont les individus isolés se survivent ; il y avait eu je ne sais quel astre ou quel météore qui les avait touchés en naissant. […] Voici une de ces pièces satiriques que je traduis ; ce sont des distiques latins : Tant que tu as bu aux sources d’Aonie ; tant que sur le sommet du Pinde, ô Ronsard, tu as touché avec art la lyre aux onze cordes, ta muse a fait retentir les champs du Vendômois de ses graves accents que Phéhus eût avoués pour siens ; mais dès que tu n’as plus eu souci que de t’engraisser la panse à la manière d’une soyeuse truie, tu as grossi le nombre de ceux qui font les enterrements, qui ressemblent aux frelons, et sont impropres à l’ouvrage.
Il écrivait en prose et en vers fort agréablement, et d’une manière si galante et si peu commune, qu’on pouvait presque dire qu’il l’avait inventée : du moins suis-je bien que je n’ai jamais rien vu qu’il ait pu imiter, et je pense même pouvoir dire que personne ne l’imitera jamais qu’imparfaitement ; car enfin, d’une bagatelle il en faisait une agréable lettre, et si les Phrygiens disent vrai lorsqu’ils assurent que tout ce que Midas touchait devenait or, il est encore plus vrai de dire que tout ce qui passait dans l’esprit de Callicrate devenait diamant, étant certain que du sujet le plus stérile, le plus bas et le moins galant, il en tirait quelque chose de brillant et d’agréable. […] Essayons un peu de quelques-uns de ces divers noms comme de pierres de touche pour éprouver ses qualités et pour achever de nous le définir.
Ce voyage à la recherche du bon goût rappelle forcément Le Temple du goût de Voltaire : les sujets ou du moins les noms sont semblables ; mais à la manière dont ils sont touchés ou traités, quelle différence ! […] Je sais que, parlant ailleurs de Racine dans une épigramme ou épitaphe, Sénecé l’appelle le grand Racine ; mais ce qui lui est propre et ce qui est unique, c’est une certaine pièce nommée Athalie ; voilà le mot décisif qui juge à jamais le goût de Sénecé et qui le classe, lui l’agréable auteur, à côté de Mme Des Houlières, de Fontenelle et autres qui ont traversé le grand siècle par la lisière, en ayant assurément beaucoup d’esprit, mais pas le meilleur en tout ce qui touche au grand goût ou au goût solide.
C’est une entreprise bien difficile, pour ce que la perte des choses certaines et présentes qu’on voit et qu’on touche est préférable, parmi un peuple ignorant, aux choses dont les événements sont incertains et les utilités éloignées : et nul ne peut bien comprendre cette difficulté, qui ne l’a expérimentée au gouvernement des peuples. […] quelle est donc la Cypris, ou quel est l’Amour qui a touché du doigt cet homme ?
C’est son plus beau moment, où sa générosité, sa fierté d’âme, son courage et ses ressources d’esprit se déploient avec bien de l’avantage, et tournent au bien public comme à son honneur. « Laissez faire, disait quelque temps auparavant un spirituel étranger54 aux nobles Espagnols irrités contre elle ; si l’on touche à l’Espagne, elle sera plus Espagnole qu’aucun de vous. » Elle justifia ce pronostic. […] On peut faire, en lisant ces lettres, une singulière remarque qui touche à la langue et à la littérature.
Les éloges de Chateaubriand, qui sont ce qui l’a le plus flatté au monde, le touchent, mais ne l’enivrent pas ; il se connaît : « J’ai pris ma mesure il y a longtemps, dit-il ; j’ai au moins le mérite d’avoir utilisé mon petit talent, et c’est bien quelque chose. » Le voilà dans son orgueil littéraire, mais rien de plus. […] Non-seulement il ne devait plus jamais retrouver sa belle, comme on dit, mais il rencontrait : à tout coup le contraire ; pour prix d’un heureux et magnifique moment, il semblait voué au guignon, au contre-temps perpétuel ; il portait malheur à tout ce qu’il touchait.
Rigault répond aux uns et aux autres : il montre qu’on ne touche pas dans les classes à l’épicurisme d’Horace sans y mettre le correctif moral, et qu’on ne se rencontre pas face à face avec les Gracques sans avertir du danger des lois agraires : « On semble se persuader, dit-il, que nous n’admirons l’Antiquité qu’en ne la jugeant pas, et qu’à peine nous mettons le pied sur les ruines de Rome, nos habits deviennent des tuniques. […] Malheur à l’amateur poëte qui touchait à Homère sans avoir observé les rites sacrés !
Je suis donc tenté, puisque j’ai si fréquemment la parole, de la prendre cette fois pour répondre de mon mieux à ces nombreuses questions et pour discourir devant le public, avec une liberté décente, sur ce sujet et sur d’autres qui y touchent de près. […] On n’a plus, j’imagine, la peau si irritable qu’autrefois : on supporte même la critique littéraire exercée publiquement par des confrères ; j’en suis la preuve vivante, et (sauf un seul cas, que je regrette) je puis certifier, à l’honneur de ceux qu’il m’est arrivé de toucher et même de combattre, que les bons rapports académiques n’en sont pas altérés.
Il est vrai que celle-ci n’y est qu’à peine touchée ; et c’est sans doute la raison pour laquelle le poëte a cru pouvoir ainsi clouer en tête de son recueil ce titre voyant de Poésies Barbares, qui devient un attrait. […] En effleurant le sol, sa main tremble, et ses pieds Frissonnent au toucher du fleuve qui les baise.
Mais son naturel et son sentiment valent mieux que sa métaphysique, et sa belle intelligence touche à la puissance du génie. […] Pourquoi, sitôt qu’on touche cette corde religieuse, prendre un ton d’aigreur et donner dans la partialité ?
J’aurais aimé à voir Fontenelle nous énumérer tout ce qu’il faut pour être en perfection un premier médecin du roi ; mais il n’a fait qu’y toucher en passant, et ce n’est pas moi qui me chargerai de le suppléer. […] Il avoue que, dans la vie, rien ne le touche si sensiblement que les plaisirs que l’amour donne.
Le peuple attribue cette mort subite de la fille d’Hamilcar à la hardiesse qu’elle a eue de toucher et de manier, même à bonne fin, le voile sacré. […] Chateaubriand lui-même, dans ce sujet incomplet des Martyrs, avait chance de nous toucher par la fibre grecque ou romaine, qui vit en nous, et à la fois par la fibre chrétienne qui n’est pas morte.
On est touché sans qu’il y ait un mot de trop qui l’indique, ni aucun étalage de repentir, du sentiment dont est pénétrée cette courtisane mourante, et de cette pitié qu’elle a pour une pauvre enfant qu’elle ne voudrait à aucun prix, non pas voir (elle n’y sera plus), mais prévoir sur la même voie et dans les mêmes traces qu’elle-même a suivies. […] » Chrémès a touché la corde.
Je n’examine pas le fond ; mais le temps a assemblé et amassé autour de ces établissements antiques et séculaires tant d’intérêts, tant d’existences morales et autres, tant de vertus, tant de faiblesses, tant de consciences timorées et tendres, tant de bienfaits avec des inconvénients qui se retrouvent plus ou moins partout, mais, à coup sûr, tant d’habitudes enracinées et respectables, qu’on ne saurait y toucher et les ébranler sans jouer l’avenir même des sociétés… » On voit la suite. […] Il touche, il intéresse, même lorsqu’il étonne ; il se fait lire jusqu’au bout, même de ceux qui regimbent et se cabrent à certains endroits.
Hippocrate, le premier, dans son immortel Traité des Airs, des Eaux et des Lieux, a touché à grands traits cette influence du milieu et du climat sur les caractères des hommes et des nations. […] Taine m’écrit à ce sujet que je l’ai fait trop savant en ce qui est des mathématiques : « J’ai à peine touché les mathématiques ; je n’ai fait qu’effleurer l’analyse : j’en entends l’idée et la marche, voilà tout. » Ses études se sont presque toutes concentrées autour de la psychologie, et c’est pourquoi il dut s’appliquer principalement à la physiologie humaine et comparée.
Molé a su, dans cette demi-heure si bien remplie, toucher tous les points de justesse et de convenance : son discours répondait au sentiment universel de l’auditoire, qui le lui a bien rendu. […] Molé s’est livré à des réflexions pleines de justesse et d’application : ce n’était plus un simple et noble amateur des lettres qui excelle à y toucher en passant, il en parlait avec autorité, avec conscience et plénitude.
Il écrit à Racine les vers suivants : Et qu’importe à nos vers que Perrin les admire, Que l’auteur du Jonas s’empresse pour les lire ; Qu’ils charment de Senlis le poète idiot127, Ou le sec traducteur du français d’Amyot, Pourvu qu’avec éclat leurs rimes débitées Soient du peuple, des grands, des provinces goûtées, Pourvu qu’ils puissent plaire au plus puissant des rois, Qu’à Chantilly Condé les souffre quelquefois, Qu’Enghien en soit touché, que Colbert et Vivonne, Que La Rochefoucauld, Marsillac et Pomponne, Et mille autres qu’ici je ne puis faire entrer, À leurs traits délicats se laissent pénétrer ! […] Elle appréciait ces hommes illustres, elle les aimait, elle avait quelque chose de leur talent, beaucoup de la sagesse de leur esprit, un goût aussi pur en littérature, seulement plus délicat en tout ce qui touchait à la décence et peut-être à la morale.
Quand ils touchèrent l’autre bord, le démiurge prit au creux de sa main quelques gouttes d’oubli. […] Mais les catholiques sont aussi malicieux que les enfants : ils lèchent le sucre qui est dessus et ne touchent pas à l’amertume centrale de la pilule.
Les hommes pris en masse ne s’intéressent qu’à ce qui les touche, aux choses d’hier, à celles qui retentissent encore, aux grands noms qu’une gloire favorable n’a pas cessé de rendre présents. […] Il les égaie par des anecdotes historiques piquantes ; il les orne au moins par la concision ; il les relève toutes les fois qu’il peut par des vues morales qui ont leur beauté, même lorsqu’elles touchent au lieu commun, par un sentiment profond de l’immensité sacrée de la nature, et aussi par celui de la majesté romaine.
Il y a glissé un coin de cette lune du cap Misène qu’il tient toujours en réserve au bord d’un nuage, et qui embellit tout ce qu’elle touche. […] Oui, M. de Lamartine a comparé un jour Camille Desmoulins à Fénelon ; étonnez-vous après cela chez lui d’une erreur de tact et d’un hasard de touche !
Villemain, nous le savons, a été touché, et il a dû l’être, de ces efforts si honorables et si sincères tentés pour le conserver : il a lu à plusieurs personnes la lettre qui lui a été adressée par le ministre, et nous croyons ne pas nous compromettre en disant qu’au milieu des expressions personnelles de souvenir et de reconnaissance, elle contient à peu près ces termes : J’ai cédé à votre demande, en proposant au Prince de vous admettre à la retraite. […] Villemain, il n’était que le plus brillant, le plus ingénieux, le plus éloquent des littérateurs, agrandissant et prolongeant sans doute le plus qu’il pouvait son domaine, un peu trop curieux, je le crois, d’y faire entrer avec une émulation visible les beautés parlementaires de nos voisins qui étaient à l’ordre du jour, mais fécondant d’ailleurs tout ce qu’il touchait, et nous en offrant le sentiment et la fleur.
Elle voit Zelmis, et, dès le premier instant, elle est touchée pour lui, comme lui pour elle : « Elle disait les choses avec un accent si tendre et un air si aisé, qu’il semblait toujours qu’elle demandât le cœur, quelque indifférente chose qu’elle pût dire ; cela acheva de perdre le cavalier. » Cette jolie phrase : Il semblait toujours qu’elle demandât le cœur, est prise textuellement d’un petit libelle romanesque du temps sur les amours de Madame et du comte de Guiche. […] Et voilà Regnard et ses compagnons s’embarquant à Stockholm pour aller toucher au fond du golfe de Bothnie, et pour percer de là aussi avant que possible vers le pôle nord dans le pays des Lapons.
Et ce n’est pas comme Chateaubriand la beauté poétique et littéraire du christianisme qui a touché Rousseau, c’est la beauté morale. […] Soyez l’interprète, l’avocat de cette grande époque, et réveillez dans ma conscience le goût de ces sortes de vérités que j’oublie trop, j’y donne les mains ; mais, pour me toucher, il faut que vous partagiez ma passion, car vouloir que je sois un contemporain de Bossuet qui accorde quelque chose à Voltaire et à Montesquieu, voilà qui est impossible : ce n’est pas là la réalité.
Alors, touché, attendri, pénétré, dans l’élan de sa reconnaissance pour ces généreux jeunes gens qui oubliaient leurs habitudes, et (nous aussi, pourquoi ne le dirions-nous pas ?) […] C’est le poisson qui est son héros naturel pour l’heure, c’est le poisson sur les destinées duquel il veut attendrir nos sympathies, malgré les écailles et les arêtes de ces bêtes gluantes et désagréables à toucher, même pour cette grande dégoûtée d’imagination qui est la faculté, de toutes nos facultés, la plus profondément matérialiste.
Ces guerriers de vaste stature, mais intérieurement vaincus, ces femmes aux lèvres charnues, mais à tout jamais stériles, sont rongés par la lèpre du mysticisme, du pessimisme et du catholicisme, triple et unique maladie qui ternit leurs yeux, dissout leurs muscles et décolore leur chair, Burne-Jones déforme et viole la réalité à chaque trait, à chaque touche. […] Ils ont affaibli, décoloré, et dévirilisé tout ce qu’ils ont touché.
Point de mots brillants ni de phrases hasardées ; nul calcul pour amuser, émerveiller ou toucher ; au contraire, de longs exordes, encombrés de divisions et de subdivisions minutieuses, un examen circonstancié et incessant de questions préalables. […] Quelque effort que fasse un homme, il ne peut parcourir qu’un certain espace ; si les circonstances l’ont déposé à l’entrée de la carrière, il n’atteint que la première borne ; pour qu’il touche le terme, il faut que d’elles-mêmes elles l’aient porté jusqu’au milieu.
Il est arrivé nécessairement qu’en s’opposant aux excessives apothéoses de la femme ils ont touché aux droits de l’art. […] Mais ceci touche à la symbolique autant qu’à l’association des idées. […] Rien ne paraît médiocre en ce milieu ; la piété touche à la philosophie et la dévotion s’élève au mysticisme. […] Une île est une proie difficile à atteindre, mais dès qu’elle est touchée, c’est une proie paralysée. […] Les vainqueurs ne toucheront pas à l’admirable organisation française de l’esclavage socialiste ; ce bagne sera l’atelier qui travaillera pour entretenir la civilisation renaissante dans le reste de l’Europe.
Depuis 1907, il n’aurait touché aucun droit sur les volumes de son père. […] Nous touchons ici au principe le plus intime de l’erreur allemande. […] Cette France, raisonnable et modérée, a été un moment touchée, comme l’avait été son grand Roi, du vertige de l’Impérialisme. […] Tous se touchent, par la réciprocité des bienfaits donnés et reçus. […] La cherté de la vie ne semble pas avoir touché au bien-être.
Il ne lui échappa jamais un mot qui fût dicté par une passion personnelle ou qui touchât les personnes. […] Il y a là cinq ou six pages d’une touche vigoureuse qui nous ramènent à Rabelais. […] Même au moral, il faut qu’il touche les choses du doigt. […] Cardinal, on lui fit grise mine, on le menaça, on n’osa le toucher ; et bientôt on eut besoin de lui. […] C’est que ce qui nous touche, c’est la vie, non la finesse de l’imitation ; ou plutôt, au théâtre, la finesse ne consiste pas dans l’imperceptible ténuité du trait, elle est dans la pointe pénétrante qui touche à l’essentiel et manifeste l’invisible.
la barque aura touché la rive, L’angoisse aura brisé mon sein en le rouvrant.
Il touchait au monde politique, savait les dessous des gens en place, les faisait transparaître.
Nous touchons ici à l’un des problèmes les plus délicats de » l’histoire.
La tragedie de Racine qui nous présente l’imitation de cet évenement, nous émeut et nous touche sans laisser en nous la semence d’une tristesse durable.
Pendant la nuit, la femme d’Ahmed cherche le kélé pour ce que l’on devine ; c’est Ahmed qu’elle touche et il fait des manières.
ce sont eux, les partis vaincus, qui ont fait le succès d’Augier, avec leurs misérables cris d’écorchés sitôt qu’on les touche ; ce sont ceux auxquels il a consacré sa pièce.
Il connut Sainte-Beuve, il en reçut non pas un conseil, mais un mot de lettré, moins qu’un mot, un léger toucher qui entr’ouvrit son âme et fit jaillir cette grâce inépuisable où tous nous nous sommes délectés.
Narcisse, se mirant dans l’eau courante, ne saurait toucher son image sans en brouiller les contours et ne peut que la contempler à distance. […] Lafcadio ayant touché l’héritage de 40.000 francs de rente que lui a laissé son père, voyageait en Italie pour se distraire. […] Car lui, il n’a pas touché sa récompense. […] C’est un peu étonnant, et l’on aurait supposé que l’ouïe, le toucher et l’intuition permettaient aux aveugles de discerner un jeune homme d’un homme mûr ou d’un vieillard. […] Les servants de l’intellectualité pure, dont je suis à mon modeste rang, n’y prêtent attention que dans la mesure où elle touche aux intérêts de l’esprit.
Mais, si j’ai de la reconnaissance pour l’habile critique qui m’a fait toucher du doigt la vanité des brillantes fantaisies de ma jeunesse, j’ai aussi la prétention d’être parvenu depuis quelque temps déjà à l’âge et aux travaux solides de la raison et de l’expérience, et d’avoir dépassé le Chevalier, qui s’est contenté de détruire et qui n’a rien fondé. […] Leurs pieds sont scellés l’un contre l’autre ; leurs bras descendent à angle droit sur leur corps où ils adhèrent ; leurs mains se touchent, posées sur leurs genoux serrés. […] Il s’égaie des sots de la comédie et de leurs sottises ; mais il aime dans un exemple particulier toucher une vérité universelle. […] « Je ne comparerai Shakespeare, dit-il, ni à l’Apollon du Belvédère, ni au Gladiateur, ni à l’Antinoüs, ni à l’Hercule de Glycon, mais bien au saint Christophe de Notre-Dame, colosse informe, grossièrement sculpté, mais entre les jambes duquel nous passerions tous, sans que notre front touchât à ses parties honteuses. » Paradoxe du comédien. […] Ses pièces touchent au tragique… Sincérité est bien le terme dont il faut se servir en partant de lui.
Cet amour de la justice devient une passion quand il s’agit de la liberté politique ; c’est là le point sensible, et quand on la touche, on touche l’écrivain au cœur. […] Nous voyons trop souvent des systèmes entiers se fonder du jour au lendemain, au caprice d’un écrivain, sortes de châteaux fantastiques dont l’ordonnance régulière simule l’apparence des édifices véritables, et qui s’évanouissent d’un souffle dès qu’on veut les toucher. […] Au-dessous des longs calculs, des formules d’algèbre, des déductions subtiles, des volumes écrits qui contiennent les combinaisons et les élaborations des cervelles savantes, il y a deux ou trois expériences sensibles, deux ou trois petits faits qu’on vous fait toucher du doigt, un tour de roue dans une machine, une coupure de scalpel sur un corps vivant, une coloration imprévue dans un liquide. […] Célimène pique, mais ne blesse pas ; les amis de lady Sneerwell blessent et laissent dans toutes les réputations qu’ils touchent des marques sanglantes ; la raillerie que je vais traduire est une des plus douces de Macaulay. […] C’était la grande salle de Guillaume le Roux, la salle qui avait retenti d’acclamations à l’inauguration de trente rois, la salle qui avait vu la juste condamnation de Bacon, et le juste acquittement de Somers, la salle où l’éloquence de Strafford avait pour un moment confondu et touché un parti victorieux enflammé d’un juste ressentiment, la salle où Charles avait fait face à la haute cour de justice avec ce tranquille courage qui a racheté à demi sa réputation.
Vous touchez un corps dur, vous éprouvez la sensation du contact, vous avez à l’occasion de cette sensation la perception de la solidité et de l’étendue existant en dehors de vous : vous jugez qu’il y a un extérieur. […] Le cardinal Maury, qui était en ce moment à Paris, ne fut pas moins touché de cette éloquence, et il a consigné dans un de ses ouvrages l’impression que produisit sur lui M. […] Malheureusement il est forcé de s’éloigner de France ; j’allais me croire oublié, lorsque je reçois de Rome une procuration pour toucher le traitement de l’Institut, dont M. […] Le procédé était délicat, sa forme pleine de chevalerie littéraire ; il toucha vivement mademoiselle de Meulan, il occupa beaucoup son imagination : quelle était cette plume, sœur de la sienne, et qu’elle ne connaissait pas ? […] Nous ne croyons que ce qui se prouve, nous ne sentons que ce qui se touche ; la poésie est morte avec le spiritualisme dont elle était née.
Aussi peu il est permis de toucher à Tartuffe, aussi fort peut-on toucher à L’Amour médecin. […] Dans ses lettres à M. le maréchal de Bellefonds, l’évêque de Meaux raconte d’un style attristé, grave et touché tout ensemble, ce drame caché dont M. […] Ce Bragelone est toujours le même ; il faisait planter du chèvrefeuille au premier acte, il n’ose pas toucher aux reliques de sa maîtresse ! […] » Ces amoureux petits discours, si jolis et si bien placés dans cette chapelle des carmélites et dans une circonstance si solennelle, ne touchent pas, le moins du monde, la sœur Louise de la Miséricorde. Le roi s’en va en disant : — « Je ne veux pas t’entendre, — Ne me touche pas !
Il est à remarquer que ces croquis de touche plus franchement « réaliste » se multiplient dans la seconde partie de l’oeuvre de Molière. […] Et Bérénice veut être douce, et elle est cruelle malgré soi, parce qu’elle aime l’autre et qu’elle croit toucher à son rêve. […] Au fait, ce qu’elle dirait nous toucherait peu. […] L’empereur, intéressé et touché, interroge Mme Sans-Gêne ; elle énumère ses campagnes et ses blessures (car elle fut vivandière). […] Il sort ; il porte à un journal une lettre où il avoue sa faute, et s’arrange pour restituer les vingt-cinq mille francs qu’il a touchés.
Intéressez par la suspension des évenemens ou par la surprise qu’ils causent : parlez à l’ame, peignez à l’imagination ; pénétrez-vous pour nous toucher ». […] En un mot, touchez comme Euripide, étonnez comme Sophocle, peignez comme Homere, & composez d’après vous. […] Aristote a touché au principe le plus lumineux de l’épopée, lorsqu’il a dit que ce poëme devoit être une tragédie en récit. […] Les François frémissent à Rodogune, & pleurent à Andromaque : le vrai les touche, le beau les saisit ; & tout ce qui n’exige ni étude ni reflexion, trouve en eux de bons critiques. […] Si l’aristocratie est militaire, l’autorité des grands tend à se réunir dans un seul : le gouvernement touche à la monarchie ou au despotisme.
Alceste m’a touché, et ses récits encore M’offrent un vrai malheur, Monsieur, que je déplore. […] on ose y toucher ! […] Mais Rousseau a ajouté : « surtout avec un air d’approbation… » C’est ici qu’il touche le point juste et le point délicat. […] Et, sans sortir de la cour, n’a-t-il pas encore vingt caractères de gens où il n’a pas touché ? […] Cette forme intermédiaire, Molière la crée dans Don Juan et dans Tartuffe et y touche dans l’Avare, y touche seulement parce qu’il traite de l’avare en tant que sot beaucoup plus qu’en tant qu’horrible ; mais le plus souvent il ne touche qu’aux défauts, lesquels sont risibles, et il ne peut pas faire autrement.
Je touche l’étendue, je vois la couleur, je sens l’odeur ; mais l’être étendu, coloré, odorant, est-ce que nos sens l’atteignent ? […] Toutes les sensations de l’ouïe, de l’odorat, du goût, de la vue, du toucher, du tact même, ne vous peuvent apprendre quelle est leur cause ni si elles en ont une. […] Enfin ce n’est pas le toucher seul qui juge de la régularité des formes, c’est le toucher éclairé par la vue. […] Non, moins la musique fait de bruit, et plus elle touche. […] L’un est plus touché dus plaisirs des sens, l’autre des plaisirs de l’esprit ou du cœur.
Celui qui goûte la beauté littéraire d’un sermon de Bossuet n’en peut pas être touché religieusement, et celai qui pleuré sur la mort d’Ophélie n’a pas le sens esthétique. […] Les bagatelles de l’amour sont des riens, mais d’une importance prodigieuse, comme tout ce qui touche à la transmission de la vie. […] Hormis les gens qui touchent aux lettres et dont le métier est d’écrire et de rédiger, en quoi cela peut-il être utile de connaître le rapport que l’usage a fixé en un son et un signe phonétique ? […] Cela sera long, et peut-être pas assez, car ce qui touche à la langue français ne laisse personne indifférent. […] Qu’il est donc difficile de toucher à une langue aussi délicate que le français, aussi sensible, aussi fière !
. — On trouve aussi que Fouché est jugé un peu favorablement et avec trop d’indulgence ; le portrait de M. de Talleyrand, très-agréable, n’est lui-même qu’ébauché ; l’historien, si bien au fait des secrets les plus honteux, ne peut tout dire ; mais ces portraits sont touchés avec infiniment d’art et de goût.
* * * Enfin, si cette considération les touche, les révolutionnaires ont, par surcroît, la quasi-certitude d’être traités sans trop de défaveur par la postérité.
Enfin, comme il s’agit ici, après tout, de choses qui se voient et se touchent, il suffit au spectateur le plus ignorant de connaître le but poursuivi pour s’intéresser aux gestes de l’opérateur.
La Farce qu’il nous raconte n’aurait, comme une infinité d’autres, laissé aucune trace sans doute dans l’histoire de notre théâtre, si elle n’avait touché à la politique.
On touche ici la bigarrure des esprits et la diversité d’un âge caméléon.
. — « Quand nous sommes nées », — dit l’un de leurs chœurs, — « le Sort nous imposa cette loi, que nous ne toucherions point aux Immortels, que nulle de nous ne pourrait s’asseoir à leurs festins, et que nous ne porterions jamais les vêtements blancs de la joie.
Il y a aussi un grand nombre de termes abstraits qui, quoique d’une physionomie assez barbare, nous sont indispensables, tant que le vocabulaire n’aura pas subi une réforme radicale ; dès qu’on touche aux abstractions, il faut écrire en gréco-français ; cet essai sera, et est déjà plein de mots que je répudie comme écrivain, mais sans lesquels je ne puis penser.
La Sibylle touche, saisit l’Esprit, elle en est surprise : Le dieu !
Un jour, un autre savant redressera l’innocente erreur qui peut attendre, mais l’histoire du pays, c’est l’Arche sainte, et nous souhaiterions que la première main qui s’étend vers elle ne pût la toucher !
Ensuite il a intérêt à ce que la multitude n’ait point à se plaindre en ce qui touche la subsistance et la liberté naturelle.
Nous touchons ici le point le plus délicat de la querelle. […] En outre, la vérité les a touchés, ils exigent la couleur locale, ils croient ressusciter les âges morts. […] Il y a vingt ans, les hommes de lettres qui touchaient deux cents francs par mois dans un journal, devaient s’estimer très heureux ; aujourd’hui, les mêmes hommes de lettres touchent mille francs et davantage. […] Pour moi, c’est une pierre de touche qui décide de tous mes jugements. […] Nous valons plus ou moins, selon que la science nous a touchés plus ou moins profondément.
Il y a dans les Femmes savantes une âpreté qui touche très souvent à l’injustice. […] Et, sans sortir de la Cour, n’a-t-il pas encore vingt caractères de gens où il n’a point touché ? […] Comment, par exemple, pourrait-il accepter la distinction rigoureuse des genres, lui qui fait des comédies qui touchent à chaque instant au drame ? […] Toutes les fois que Molière a touché à la vanité, « le mal français » comme a dit La Fontaine, il avait les mains si pleines, de vérités que le personnage semblait se composer de lui-même. […] Et ne peut-on répondre à tout ce qui le touche, Que le feu dans les yeux et l’injure à la bouche ?
Cela est affreux à sentir, quand on est ensemble, dans la même chambre, sur le même canapé, quand on peut se toucher la main. […] Il est certain, pour lui, que le jour où elle laisserait toucher à une seule pierre de son édifice elle croulerait. […] Marie Mancini est touchée de ce dévouement, de cet amour discret. […] Mais est-ce bien cet esprit-là qui touchait Rousseau quand il courait à elle, poussé par la bestiale sensualité qu’il avoue avec une si étrange ingénuité ? […] … on vous toucherait un mot avec un timbre.
Tant que je n’aurai point de reproches à me faire, je serai peu touché des vôtres. […] Adieu, mon cher maître, je sais combien vous avez désiré le succès de votre disciple et j’en suis touché. […] Mais non ; n’en faites rien, il est touché de mon bonheur comme du sien, et il ne dira pas mieux que moi. […] Mais mon dessein n’est pas de vous toucher. […] Le Baron paraît vivement touché de me posséder.
Ils l’aiment ; on le voit aux clameurs d’émeute qui montent comme un tonnerre sitôt qu’un imprudent touche ou semble toucher à l’église. […] Ils ont beau avoir du génie ; dès qu’ils touchent à la religion, ils redeviennent surannés, bornés ; ils n’avancent pas, ils sont aheurtés, et obstinément choquent leur tête à la même place. […] Ma terre, mon bien, mon droit garanti par ma charte, quel qu’il soit, suranné, indirect, inutile, privé, public, personne n’y touchera, ni roi, ni lords, ni communes ; il s’agit d’un écu, je le défendrai comme un million : c’est ma personne qu’on entame. […] Ces droits sont là, inscrits sur des parchemins, consacrés dans des archives, signés, scellés, authentiques ; celui du fermier et celui du prince sont couchés sur la même page, de la même encre, par le même scribe ; tous deux traitent de pair sur ce vélin ; la main gantée y touche la main calleuse. […] Encore une phrase, car véritablement cette clairvoyance politique touche au génie.
Pour qu’une œuvre poétique puisse avoir une influence vivante sur la sensibilité contemporaine, il est nécessaire qu’elle ait été touchée par les lèvres des femmes, que les femmes aient plongé en elle leur visage comme en une rose. […] De songer qu’ils vivront sans que leur main se touche Et que, pour eux, ces nuits passeront sans baisers ! […] Cette Muse ne contemple pas la nature, du haut de la colline : elle veut la toucher, et elle entre dans un champ de blé aux vagues hautes comme dans une mer, pour s’y baigner, nue. […] Elle voudrait « perdre cet air d’avoir touché l’ombre de Dante » et pouvoir être aimée un soir, un divin soir, Par un blond Titien qui me tiendrait captive. […] Cette brève analyse suffit à faire comprendre combien peu Nietzsche a touché cette âme.
Ils ne voyaient pas que c’était là aussi une matière de toucher le fond des choses, une préparation prudente et salutaire à des entreprises plus difficiles ; cette méthode détournée ne leur semblait donner qu’une satisfaction incomplète à la curiosité philosophique. […] Caro sont courtoises, fines, souples, élégantes ; et, quoiqu’elles courent çà et là un peu trop rapidement, elles savent cependant aux bons endroits toucher juste et pénétrer. […] Enfin ce n’est là qu’un accident individuel, qui ne touche pas à l’école entière, car en général elle ne pèche pas par le mysticisme. […] Nous touchons ici au plus profond des abîmes que cache la recherche des mystères divins. […] Enfin on s’isolait de plus en plus du mouvement des sciences physiques, naturelles, historiques, qui touchent par tant de côtés à la science philosophique. » Rien de plus sensé que ces critiques et ces conseils.
Me criait-il un jour avec une onction qui me toucha, oubliez-vous que Dieu est le seigneur des sciences- scientiarum dominus — donc de la raison ? […] Ces pages de Fagus nous font toucher du doigt, une fois de plus, la difficulté contre laquelle nous nous heurterons toujours. […] Valéry accepte le silence, il se tait parce que la parole humaine, et même celle des philosophes, n’atteint pas à cette clarté définitive, à cette précision absolue où il voit le souverain bien ; le poète se tait, ou, du moins, incline au silence, parce que les mortelles précisions de la parole humaine réduisent, déforment, limitent, dégradent les réalités mystérieuses, indéfinissables que l’inspiration lui a permis d’entrevoir, de sentir, de toucher presque. […] Souday fait sienne l’esthétique de Chénier (Marie-Joseph), ainsi que me le rappelle d’Alger un agrégé de grammaire : c’est le bon sens, la raison qui fait tout : vertu, génie, esprit, talent et goût. mais cette erreur fondamentale, que l’ensemble de nos éclaircissements tend à combattre, il l’aggrave d’un contre-sens plus chétif et qui ne touche que moi. […] Paul Tuffrau veut bien m’écrire : il me semble que vos contradicteurs font en général bon marché d’un élément essentiel à mes yeux : la poésie ne me touche que lorsque les séries qu’elle ouvre, — séries d’idées, de sentiments, d’images — restent « ouvertes ».
Sa taille n’était ni petite ni haute, mais admirablement proportionnée ; telle à vingt ans, telle à cinquante : le temps n’y touchait pas ; ni gras, ni maigre, la matière n’avait rien à faire avec cette nature éthérée et immuable ; tempérament du bonheur inaltérable aux passions : il en avait cependant, mais il les contenait par le sang-froid de son caractère ; elles n’étaient pour lui que les tentations de la vie éprouvées en silence, parce qu’elles ne demandaient rien à la vanité, mais qu’elles étaient toutes discrètes comme l’amitié, mystérieuses comme l’amour. […] Voilà que son pied touche à la terre promise. […] Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant, Ma main laisse l’effroi sur la main qu’elle touche, L’orage est dans ma voix, l’éclair est sur ma bouche ; Aussi, loin de m’aimer, voilà qu’ils tremblent tous, Et, quand j’ouvre les bras, on tombe à mes genoux. […] Y a-t-il un autre moyen de toucher la société que de lui montrer la torture de ses victimes ? […] N’essayez pas ce petit collier, Rachel ; ce sont des vanités du monde que nous ne devons pas même toucher. — Mais qui donc vous a donné ce livre-là ?
Mais le même attrait qui intéressait les contemporains aux fautes domestiques de Louis XIV me porte, comme malgré moi, à toucher un point si délicat et à examiner par quelles circonstances l’art ni la morale dramatiques n’ont souffert de la faveur accordée à un mauvais exemple. […] Des deux grands poètes dramatiques de ce temps, le plus touché de l’influence de Louis XIV, et, pour ainsi dire, le plus marqué de son empreinte, c’est Racine. […] Je ne sais en quel pays ni en quelle histoire on trouverait un second exemple d’un flatteur de roi, touché de scrupules si élevés et si délicats. […] Témoigner tout haut quelque intérêt, soit aux choses, soit aux personnes qui y touchaient, c’était courir au devant d’une disgrâce. […] Bourdaloue n’avait pas craint de faire allusion au plus grand désordre de la vie domestique du roi ; Massillon, du même droit, tempéré par la même déférence, ne craignit pas de toucher aux plus grandes fautes de son gouvernement, à ses guerres, dont il s’accusait lui-même sur la fin de sa vie.
Dans la lettre si connue où elle raconte l’effet de cette mort sur Mme de Longueville, Mme de Sévigné ajoute aussitôt : « Il y a un homme dans le monde qui n’est guère moins touché ; j’ai dans la tête que s’ils s’étoient rencontrés tous deux dans ces premiers moments, et qu’il n’y eût eu personne avec eux, tous les autres sentiments auroient fait place à des cris et à des larmes que l’on auroit redoublés de bon cœur : c’est une vision. » Jamais mort, au dire de tous les contemporains, n’a peut-être tant fait verser de larmes et de belles larmes que celle-là. […] Et même sans cela, le front du moraliste vieilli, qu’on voit se pencher avec amour sur ces êtres romanesques si charmants, est plus fait pour toucher que pour surprendre. […] Il fallait aller au-devant du mécontentement de M. le Prince pour certains passages où il était touché.
n’était-il que cette satiété, cette lassitude incurable qui sort de toute chose humaine où l’on a touché le fond, quelque chose de pareil au medio de fonte leporum , admirable cri de ce Lucrèce tant aimé de notre ami ? […] Cet honorable ouvrage, et la préface qu’il mit depuis à la publication de la Satyre Ménippée 230, lui valurent des attaques, parmi lesquelles je ne m’arrêterai qu’à la plus sérieuse, à celle qui touche un point d’histoire saillant et délicat. […] Ce dernier projet nous touche surtout, en ce que notre ami s’y montre à nous comme ayant sondé plus avant qu’il ne lui semblait habituel les dégoûts amers de la vie et le problème de la mort.
— lieu doublement sacré pour moi, dont ce chantre divin a si souvent touché le cœur et ravi la pensée. […] de l’instrument j’ai parcouru la gamme, De la plainte des sens jusqu’aux langueurs de l’âme, Chaque fibre de l’homme au cœur m’a palpité, Comme un clavier touché d’une main lourde et forte, Dont la corde d’airain se tord brisée et morte, Et que le doigt emporte Avec le cri jeté ! […] c’est que tu touchais de tes miséricordes Ce barde dont ta grâce avait monté les cordes ; De ses psaumes vainqueurs tu faisais don sur don ; Il pouvait t’oublier sur son lit de mollesses, Tu poursuivais son cœur au fond de ses faiblesses De ton impatient pardon !
Il semble que la moralité sombre, et si l’honnêteté bourgeoise, si la philosophie chrétienne ou antique la maintiennent encore dans quelques parties du xive siècle, le siècle suivant touchera le fond du nihilisme moral. […] Mais voici une femme, Christine de Pisan, que nous retrouverons bientôt, et voici un homme qui est comme la première ébauche de l’humaniste en France, un homme qui a étudié seulement ès arts, qui n’a pas touché à la théologie, qui n’a aucun grade : c’est Jean de Montreuil104, secrétaire de Charles VI et prévôt de Lille. […] La grande règle de la rhétorique naturelle, c’est de plaire et de toucher : pour cela les prédicateurs ramassent de tous côtés ce qu’ils croient de nature à intéresser, même à amuser l’auditeur.
La touche est plus forte, la précision plus sèche et plus brutale dans les Cent Nouvelles nouvelles, dont il fut le principal et peut-être l’unique rédacteur123. […] Nous touchons ici à ce qui fait de Villon un grand poète : il est le poète de la mort. […] Cette force est celle de Dieu : presque à chaque page, Commynes la prend sur le fait, et la signale avec une sincérité d’accent qui touche souvent à l’éloquence139.
Avant de toucher ce vrai fond de Henri Lavedan, voyons d’abord en lui ce qui, tout de suite, apparaît. […] Quoique ces deux classes se touchent souvent et se mêlent (et cette rencontre même est un phénomène social que l’auteur du Prince d’Aurec a étudié d’un effort très sérieux), elles lui inspirent des sentiments bien différents. […] Mais les montagnes, c’est la terre qui touche au ciel et qui s’y mêle déjà.
Il a peint en quelques pages légères et d’une touche inimitable ces promenades, ces cavalcades matinales et familières, où la reine Marie-Antoinette ravissait et effleurait les cœurs, et ne cessait de mériter les respects : il nous a rendu cette reine aimable et calomniée sous ses vraies couleurs, comme il fera également de tous les illustres souverains qu’il a connus, de l’impératrice Catherine, de Frédéric le Grand, de Joseph II, de Gustave III. […] On avait Jean-Jacques Rousseau qui avait découvert et révélé la solitude, les douceurs ou les sublimités qu’elle enferme ; on allait avoir Bernardin de Saint-Pierre et Chateaubriand découvrant et décrivant à leur tour la forêt vierge, les sauvages et splendides beautés d’un autre monde ; on allait avoir Oberman s’abîmant dans la contemplation solitaire et dans l’expression intime des aspects reculés ou désolés ; mais les amateurs restés gens du monde, les gens de goût, et d’un noble goût, touchés en effet de la nature, et ne la voulant point cependant séparer jamais de la société, disaient entre autres choses avec le prince de Ligne, et ne pouvaient en cela mieux dire que lui : J’aime dans les bois les quinconces et les percés, de belles routes mieux tenues que celles des jardins, de belles palissades, des allées de hêtres surtout : elles ont l’air de colonnes de marbre quand elles ressortent sur un taillis bien haut et bien vert.
Durant les saisons qu’il passait à Buriton, résidence de campagne de son père, il dérobait le plus d’heures qu’il pouvait aux devoirs de la société et aux obligations du voisinage : « Je ne touchais jamais un fusil, je montais rarement à cheval ; et mes promenades philosophiques aboutissaient bientôt à un banc à l’ombre, où je m’arrêtais longtemps dans la tranquille occupation de lire ou de méditer. » Le sentiment de la nature champêtre n’est pas étranger à Gibbon ; il y a dans ses Mémoires deux ou trois endroits qui prêtent à la rêverie : le passage que je viens de citer, par exemple, toute cette page qui nous rend un joli tableau de la vie anglaise, posée, réglée, studieuse. […] Ainsi considéré, Virgile, dans ses Géorgiques, n’est plus seulement un poète, il s’élève à la fonction d’un civilisateur et remonte au rôle primitif d’un Orphée, adoucissant de féroces courages. — Touchant, en passant, les travaux de Pouilly et de Beaufort qui, bien * avant Niebuhr, avaient mis en question les premiers siècles de Rome, Gibbon s’applique à trouver une réponse, une explication plausible qui lève les objections et maintienne la vérité traditionnelle : « J’ai défendu avec plaisir, dit-il, une histoire utile et intéressante. » Celui qui exposera le déclin et la chute de l’Empire romain se retrouve ici, comme par instinct, défendant et maintenant les origines et les débuts de la fondation romaine. — En ce qui est de l’usage que les poètes ont droit de faire des grands personnages historiques (car Gibbon, dans cet Essai, touche à tout), il sait très bien poser les limites du respect dû à la vérité et des libertés permises au génie : selon lui, « les caractères des grands hommes doivent être sacrés ; mais les poètes peuvent écrire leur histoire moins comme elle a été que comme elle eût dû être ».
La Bruyère a très finement touché ce coin singulier, et ce travers d’être en tout l’opposé du commun des mortels, dans le portrait qu’il a donné de Tréville sous le nom d’Arsène (chapitre « Des ouvrages de l’esprit ») : Arsène, du plus haut de son esprit, contemple les hommes, et, dans l’éloignement d’où il les voit, il est comme effrayé de leur petitesse : loué, exalté et porté jusqu’aux cieux par de certaines gens qui se sont promis de s’admirer réciproquement, il croit, avec quelque mérite qu’il a, posséder tout celui qu’on peut avoir, et qu’il n’aura jamais : occupé et rempli de ses sublimes idées, il se donne à peine le loisir de prononcer quelques oracles : élevé par son caractère au-dessus des jugements humains, il abandonne aux âmes communes le mérite d’une vie suivie et uniforme, et il n’est responsable de ses inconstances qu’à ce cercle d’amis qui les idolâtrent ; eux seuls savent juger, savent penser, savent écrire, doivent écrire… À l’heure dont nous parlons, Tréville n’avait point encore eu d’inconstance proprement dite, mais une simple conversion ; seulement il l’avait faite avec plus d’éclat et de singularité peut-être qu’il n’eût fallu et qu’il ne put le soutenir : il avait couru se loger avec ses amis du faubourg Saint-Jacques, il avait rompu avec tous ses autres amis ; il allait refuser de faire la campagne suivante sous les ordres de Louis XIV : « Je trouve que Tréville a eu raison de ne pas faire la campagne, écrivait un peu ironiquement Bussy : après le pas qu’il a fait du côté de la dévotion, il ne faut plus s’armer que pour les croisades. » Et il ajoutait malignement : « Je l’attends à la persévérance. » Tel était l’homme dont la retraite occupait fort alors le beau monde, lorsque Bourdaloue monta en chaire un dimanche de décembre 1671 et se mit à prêcher Sur la sévérité évangélique : il posait en principe qu’il faut être sévère, mais que la sévérité véritablement chrétienne doit consister, 1º dans un plein désintéressement, un désintéressement même spirituel et pur de toute ambition, de toute affectation même désintéressée ; — 2º qu’elle doit consister dans une sincère humilité, et 3º dans une charité patiente et compatissante. […] Bourdaloue touchait là en passant à une inconséquence très évidente et très sensible, et les auditeurs n’avaient qu’à faire l’application autour d’eux.
Mme de Coulanges était sans doute de celles qui avaient le plus pris sa défense : aussi était-elle outrée plus tard au nom de tout son sexe quand elle vit qu’il n’y avait plus moyen de se faire illusion, et que le héros de roman n’était décidément qu’un joueur, un voluptueux et le plus spirituel des libertins : « La Fare m’a trompée, disait-elle plaisamment, je ne le salue plus. » Cette trahison de cœur et la douleur qu’elle en ressentit conduisirent Mme de La Sablière, âme fière et délicate, à une religion de plus en plus touchée, qui se termina même, par des austérités véritables : elle mourut plusieurs années après aux Incurables, où elle avait fini par habiter. […] Pour moi, je l’avoue, ces beaux raisonnements et pronostics de décadence, même en partie justifiés depuis, me touchent peu ; il me semble qu’il y avait quelque chose qui eût mieux valu : supporter quelques refus de plus de la part de Louvois, tenir bon sous les armes et sous le drapeau, et rester en mesure pour être de ceux qui honoreront la France dans ses mauvais jours avec Boufflers, ou qui la sauveront avec Villars.
Chapelle, le premier entré dans la voie, y va rondement et d’une touche large et facile. […] Un seul endroit est purement gracieux et sentimental : c’est l’endroit du bosquet dans le parc de Graulhez, chez le comte d’Aubijoux ; Sous ce berceau qu’Amour exprès Fit pour toucher quelque inhumaine, etc.
Afin d’éviter les considérations générales et trop vagues, je m’attacherai tout d’abord à des noms connus, et prenant Saint-Lambert, l’auteur des Saisons, je me rendrai compte de son insuffisance autrement encore que par le talent ; puis je toucherai rapidement à Delille, et seulement par ce côté ; choisissant, au contraire, chez nos voisins, le poète qui, non pas le premier, mais avec le plus de suite, de force originale et de continuité, a défriché ce champ poétique de la vie privée, William Cowper, j’aurai occasion, chemin faisant, de rencontrer toutes les remarques essentielles et instructives. […] En parlant ainsi, je touche aux vraies sources de cette poésie que Saint-Lambert a manquée17.
Pour nous, c’est son esprit fin et railleur qui nous touche et nous atteint uniquement61. […] — Pressé d’arriver à l’éloge direct de son nouveau confrère, l’abbé de Caumartin, ne craignit pas de toucher le point délicat, la solidité des titres académiques, et tout en caressant le glorieux personnage sur ses autres qualités et prétentions extérieures de manière à le gonfler devant tous, il se piqua de lui faire accroire qu’il ne tenait qu’à lui de pouvoir s’en passer : C’est ce qui nous le fait regretter avec justice, disait-il en parlant des mérites modestes de Barbier d’Aucour, et notre consolation serait faible, si elle n’élait fondée que sur la différence de vos conditions.
Une fois pourtant il lui réussit peu de vouloir faire le courtisan trop zélé, et il le confesse ou plutôt il le raconte bonnement : Pendant que j’étais intendant du Hainaut, il arriva qu’un homme d’Avesnes, qui avait été au sacre du roi à Reims se faire toucher par le roi pour les écrouelles qu’il avait bel et bien, cet homme, dis-je, se trouva absolument guéri trois mois après. […] Parlant quelque part d’un homme d’un esprit étroit et faux qui mettait son orgueil à déplaire, et qui méprisait par principe la bonté et la douceur des gens véritablement grands : « Il n’admire du fer, dit-il, que la rouille. » Parlant du caractère des Français qu’il a si bien connus, qui sont portés à entreprendre et à se décourager, à passer de l’extrême désir et du trop d’entrainement au dégoût, il dit : « La lassitude du soir se ressent de l’ardeur du matin. » Enfin, voulant appeler et fixer l’attention sur les misères du peuple des campagnes dont on est touché quand on vit dans les provinces, et qu’on oublie trop à Paris et à Versailles, il a dit cette parole admirable et qui mériterait d’être écrite en lettres d’or : « Il nous faut des âmes fermes et des cœurs tendres pour persévérer dans une pitié dont l’objet est absent. » Si ce n’est pas un écrivain, ce n’est donc pas non plus le contraire que d’Argenson : sa parole, livrée à elle-même et allant au courant de la plume, a des hasards naturels et des richesses de sens qui valent la peine qu’on s’y arrête et qu’on les recueille.
L’abbé Barthélemy, l’hôte des Choiseul, l’ami qui s’est donné une fois pour toutes et que le charme a irrévocablement touché, y gagne aussi et se dessine dans toutes les nuances de son caractère, le plus poli des savants, aimable et estimable, gai et tempéré, bon garçon, tout à tous, vrai trésor de société, ayant des heures pourtant où il regrette sourdement l’indépendance du cabinet et les libres délices de l’étude. […] Je suis très touché de la curiosité que vous m’avez témoignée à cet égard ; elle ne vient que de l’intérêt que vous avez pour moi, et cet intérêt sera satisfait de ma réponse ; car si vous mettiez à part les préventions favorables que vous m’accordez, vous verriez que je suis fort heureux d’être si bien traité.
Pendant qu’il lit saint Basile, le jour où il va l’achever, et quand il touche à la fin, un cri soudain se fait entendre ; il se lève et s’élance hors de son cabinet : c’est sa chère petite Élisabeth qui est tombée dans le feu. […] Je le sais bien, et c’est précisément ce qui me touche en Casaubon : il est resté le plus naturel des hommes sous son latin bariolé de grec et d’hébreu.
Il touchait à la soixantaine. […] » On ne saurait mieux dire. — Tout ce qui a touché au romantisme, du temps des belles ardeurs, doit lui savoir gré de la manière dont il remet au pas une de ses plus vieilles connaissances, un classique maussade et saugrenu, à qui l’envie était venue un peu tard d’entrer en lice, satire ou comédie en main, et de pulvériser les modernes.
C’est parce que j’en suis touché, c’est parce que M. Rousset, commentant ce même endroit, l’a été également, que j’ai lieu de m’étonner qu’ensuite il ne ménage pas plus les expressions au sujet d’un roi magnanime ; qu’il se plaise parfois à le montrer dans un embarras qui touche au comique (tome Ier, p. 418) ; qu’il parle de ses éruptions de vanité, et pour un projet dans lequel il le surprend au dépourvu, projet un peu trop ambitieux, mais qui a grand air, il s’égaye de ce qu’il appelle sa déconvenue (tome Ier, p. 419) ; qu’enfin, pour l’avoir surpris, un autre jour, dans une grande variation d’ordres et de contre-ordres donnés coup sur coup (tome Ier, p. 489), il se moque tout à fait de lui.
Dans toute cette série, Horacé, encore une fois, touché du coude son ami et camarade Charlet ; c’est la même veine : Charlet la suivra uniquement et y marquera de plus en plus par une finesse de crayon et une philosophie de mots qui le mettront à un si haut rang posthume. […] Il en est de ces premiers jets de la critique comme de ceux de l’art ; on fera plus fort peut-être ensuite et plus marqué, on ne fera ni plus léger, ni mieux touché, ni plus agréable.
Il savait autant et mieux qu’aucun général comment il faut prendre le soldat et toucher en lui le ressort. […] Dans les deux cas, on avait su toucher la fibre du soldat romain ou français à l’endroit sensible et le piquer d’honneur.
Tracer ce caractère, raconter cette vie, ce serait remonter aux droits primitifs de l’homme, ce serait toucher à toutes les conditions sociales, ce serait appeler l’attention du philosophe et du législateur sur des questions qui n’ont pas encore été soulevées… Un tel caractère serait sans doute un modèle que je me suis plus d’une fois proposé. » Émile a résolu, depuis, le problème, un peu autrement sans doute que dans cette donnée première qui supposait alors une société monarchique, à demi aristocratique et parfaitement régulière. […] Je note dans Émile quantités de pensées délicates et pures sur les femmes : « La femme qui vous aime n’est qu’une femme ; celle que nous aimons est un être céleste dont tous les défauts se cachent sous le prisme à travers lequel il vous apparaît. » Ou encore : « Une femme dont on est aimé est une vanité ; une femme que l’on aime est une religion : vous serez tout pour moi, existence, vanité, religion, bonheur, tout. » « Les femmes, qui sont si habiles en dissimulation, feignent plus adroitement que nous un sentiment qu’elles n’éprouvent pas ; mais elles cachent moins bien que les hommes une affection sincère et passionnée, parce qu’elles s’y adonnent davantage. » Sur le bienfait, qui produit des effets si différents selon la terre qui le reçoit, selon les cœurs sur lesquels il tombe : « Toutes les fois que le bienfait ne pénètre et ne touche pas le cœur, il blesse et irrite la vanité. » Sur le désabusement qui vient si tôt, qui devance les saisons, et qui n’est pas même en rapport avec la durée naturelle de la vie : « Il y a un certain âge dans la vie où l’exaltation n’est plus possible ; la sensibilité peut être assez profonde pour assister au spectacle de tant de maux et de tant de douleurs sans être entièrement usée, mais l’exaltation n’a jamais résisté à l’expérience du cœur humain.
Pompéa a touché la corde sensible, la fantaisie ou passion naissante au cœur d’Herman. […] Au milieu des vérités d’observation et d’expérience dont cette pièce est semée et qui sont exprimées d’une touche ferme et sans prétention, il y a donc, contrairement à plus d’un exemple à la mode, une veine de sentiment et de bonne nature ; il s’y rencontre à tout instant, à travers les faiblesses, de bonnes fibres en jeu.
Cervantes touchait au terme, et il le savait. […] Mais Moncrif était octogénaire et n’a rien, d’ailleurs, qui aille à l’adresse de la postérité, tandis que tout nous intéresse et nous touche à bon droit de la part de Cervantes.
La vieille Cour avait peu de peine à se persuader que Dieu, après avoir frappé le roi, toucherait son cœur. […] L’âge paisible avance ; on y touche, on y est arrivé : ce n’est pas sans péril et sans peine.
Elle sent et pense comme une personne de son sang et de son éducation doit sentir ; religieuse avant tout, elle a tous les préjugés d’une princesse de la race et presque du siècle de saint Louis : le jour où l’Assemblée accordera aux Juifs la possibilité d’être admis à tous les emplois lui paraîtra le plus horrible des jours et marqué d’une note sacrilège ; elle attribue tout ce qui se passe à la colère du Ciel, à sa vengeance ; puis elle espère qu’il se laissera toucher aux prières des bonnes âmes. […] Mes chagrins s’augmentent, mon cher frère, de l’état de votre santé ; je ne saurais vous dire combien j’ai été touchée de la bonne longue lettre que vous m’avez écrite de votre lit de souffrance.
Ils sont bien des hommes de la fin du xviiie siècle en cela ; mais ils sont tout à fait des artistes du xixe par les touches successives du tableau et les nuances à l’infini : « Se trouver, en hiver, dans un endroit ami, entre des murs familiers, au milieu de choses habituées au toucher distrait de vos doigts, sur un fauteuil fait à votre corps, dans la lumière voilée de la lampe, près de la chaleur apaisée d’une cheminée qui a brûlé tout le jour, et causer là à l’heure où l’esprit échappe au travail et se sauve de la journée ; causer avec des personnes sympathiques, avec des hommes, des femmes souriant à ce que vous dites ; se livrer et se détendre ; écouter et répondre ; donner son attention aux autres ou la leur prendre ; les confesser ou se raconter ; toucher à tout ce qu’atteint la parole ; s’amuser du jour, juger le journal, remuer le passé comme si l’on tisonnait l’histoire ; faire jaillir, au frottement de la contradiction adoucie d’un : Mon cher, l’étincelle, la flamme, ou le rire des mots ; laisser gaminer un paradoxe, jouer sa raison, courir sa cervelle ; regarder se mêler ou se séparer, sous la discussion, le courant des natures et des tempéraments ; voir ses paroles passer sur l’expression des visages, et surprendre le nez en l’air d’une faiseuse de tapisserie ; sentir son pouls s’élever comme sous une petite fièvre et l’animation légère d’un bien-être capiteux ; s’échapper de soi, s’abandonner, se répandre dans ce qu’on a de spirituel, de convaincu, de tendre, de caressant ou d’indigné ; jouir de cette communication électrique qui fait passer votre idée dans les idées qui vous écoutent ; jouir des sympathies qui paraissent s’enlacer à vos paroles et pressent vos pensées comme avec la chaleur d’une poignée de main : s’épanouir dans cette expansion de tous et devant cette ouverture du fond de chacun ; goûter ce plaisir enivrant de la fusion et de la mêlée des âmes, dans la communion des esprits : la conversation, — c’est un des meilleurs bonheurs de la vie, le seul peut-être qui la fasse tout à fait oublier, qui suspende le temps et les heures de la nuit avec son charme pur et passionnant.
Il y a là un art de poëte qui prend le soin d’interrompre, par une touche sensible, ce qui deviendrait un badinage trop prolongé. […] Chassé incontinent du séminaire, moins pour avoir regardé la jambe de Jeanneton que pour avoir touché, dans sa prison, aux confitures du chanoine, le pauvre Jasmin accourt au logis ce même jour de mardi gras.
comme elle nous fait sentir et presque toucher ces beaux jours de cristal de l’automne, qui ne sont plus chauds, qui ne sont pas froids ! […] Tant qu’elle se borne à rire des Etats, des gentilshommes campagnards et de leurs galas étourdissants, et de leur enthousiasme à tout voter entre midi et une heure, et de toutes les autres folies du prochain de Bretagne après dîner, cela est bien, cela est d’une solide et légitime plaisanterie, cela rappelle en certains endroits la touche de Molière : mais, du moment qu’il y a eu de petites tranchées en Bretagne, et à Rennes une colique pierreuse, c’est-à-dire que le gouverneur, M. de Chaulnes, voulant dissiper le peuple par sa présence, a été repoussé chez lui a coups de pierres ; du moment que M. de Forbin arrive avec six mille hommes de troupes contre les mutins, et que ces pauvres diables, du plus loin qu’ils aperçoivent les troupes royales, se débandent par les champs, se jettent à genoux, en criant Meà culpà (car c’est le seul mot de français qu’ils sachent) ; quand, pour châtier Rennes, on transfère son parlement à Vannes, qu’on prend à l’aventure vingt-cinq ou trente hommes pour les pendre, qu’on chasse et qu’on bannit toute une grande rue, femmes accouchées, vieillards, enfants, avec défense de les recueillir, sous peine de mort ; quand on roue, qu’on écartèle, et qu’à force d’avoir écartelé et roué l’on se relâche, et qu’on pend : au milieu de ces horreurs exercées contre des innocents ou pauvres égarés, on souffre de voir Mme de Sévigné se jouer presque comme à l’ordinaire ; on lui voudrait une indignation brûlante, amère, généreuse ; surtout on voudrait effacer de ses lettres des lignes comme celles-ci : « Les mutins de Rennes se sont sauvés il y a longtemps : ainsi les bons pâtiront pour les méchants : mais je trouve tout fort bon, pourvu que les quatre mille hommes de guerre qui sont à Rennes, sous MM. de Forbin et de Vins, ne m’empêchent point de me promener dans mes bois, qui sont d’une hauteur et d’une beauté merveilleuses ; » et ailleurs : « On a pris soixante bourgeois ; on commence demain à pendre.
Il fut touché de la beauté et des larmes de la jeune fille, de l’âge et de l’abandon de l’enfant ; il reçut Crithéis dans sa maison comme servante ; il lui permit de garder et de nourrir avec elle son fils ; il employa la jeune Magnésienne à filer les laines qu’il recevait pour prix de ses leçons. […] L’hospitalité et l’amour de Phémius, l’intérêt de l’enfant touchèrent à la fois le cœur de la jeune femme ; elle devint l’épouse du maître d’école et la maîtresse de la maison dont elle avait abordé le seuil en suppliante, quelques années avant.
Nul ne connaît les hommes par théorie : pour les connaître, il faut les toucher ; on ne les touche que dans la mêlée.
Mais il a deux sens excités, exaspérés : le toucher et l’odorat884. […] Obsédé et assoiffé de la mort, Baudelaire, sans être chrétien, nous rappelle le christianisme angoissé du xve siècle : par une propriété de son tempérament, la mort qui est sa pensée, la mort qui est son désir, c’est la mort visible en la pourriture du corps, la mort perçue sur le cadavre par l’odorat et le toucher.
Et c’est peut-être encore le meilleur moyen de toucher, Dieu aidant, l’âme des incrédules, si d’aventure il s’en mêlait quelques-uns au troupeau des fidèles. […] Cette radicale contradiction n’est sans doute qu’une inadvertance excusable ; mais voilà ce que c’est que de vouloir démontrer là où l’essentiel est de toucher et d’instruire.
Joubert, c’était un Athénien touché de la grâce socratique : « Il me semble, disait-il, beaucoup plus difficile d’être un moderne que d’être un ancien. » Il était surtout un ancien en ce qu’il avait le sentiment calme, modéré ; il ne voulait pas qu’on forçât les effets, qu’on appuyât outre mesure. […] Ce n’est pas ici le lieu d’approfondir cette critique et de la dégager ; j’en toucherai pourtant tout à l’heure quelque chose.
Thiers, j’ai osé toucher à Napoléon législateur et conquérant ; aujourd’hui, à propos de ces nouveaux Mémoires très authentiques, publiés il y a deux ans par les fils du général Bertrand et restés, je ne sais pourquoi, inaperçus, je voudrais dire quelque chose de Napoléon écrivain et l’un des maîtres de la parole. […] En même temps que la corde religieuse, il touchait la fibre du patriotisme arabe : « Pourquoi, leur disait-il, la nation arabe est-elle soumise aux Turcs ?
Le peuple surtout, le vrai peuple, celui qui est victime et non pillard, les paysans de ses environs le touchent par la manière dont ils supportent les mêmes maux que lui et pis encore. […] Dans le chapitre « Des menteurs », par exemple, après s’être étendu en commençant sur son défaut de mémoire, et avoir déduit les raisons diverses qu’il a de s’en consoler, il ajoutera tout à coup cette raison jeune et charmante : « D’autre part (grâce à cette faculté d’oubli), les lieux et les livres que je revois me rient toujours d’une fraîche nouvelleté. » C’est ainsi que, sur tous les propos qu’il touche, il recommence sans cesse, et fait jaillir des sources de fraîcheur.
La princesse des Ursins, qui m’a amené à toucher cette corde délicate, était une femme politique, non pas, je le crois, du premier ordre, mais bien supérieure comme telle à Mme de Maintenon. […] Je renvoie au tome IV de Saint-Simon ceux qui voudront admirer la présence d’esprit avec laquelle Mme des Ursins, ainsi rappelée à l’improviste et touchée de la foudre, ne se laissa déconcerter en rien, la tranquillité de sa démarche, l’art avec lequel elle ménagea sa retraite lentement, en bon ordre, ne lâchant le terrain que pied à pied, sans affecter pourtant de désobéir, et disposant dès lors ses mesures en cas de retour.
« Le public a beaucoup ri de cet esclandre, nous dit un témoin judicieux : on s’en est plus occupé que d’une bataille ou d’un traité de paix. » Pourtant, quand on vit le prisonnier sortir après cinq ou six jours sans qu’on articulât aucune cause précise à cet acte de rigueur qui touchait à l’ignominie, on se retourna sur ceux qui l’avaient ordonné. […] Enfin, si Beaumarchais rentrait dans une partie de ses fonds comme négociant, et touchait à titre d’arriéré plus de deux millions, il se refusait comme homme de lettres à recevoir une pension sur la cassette de plus de cent livres.
Je crains, à la fin, d’enlever le museau au mien à force de le lécher ; je n’y veux plus toucher davantage. » C’est en ces heures d’épuisement qu’il écrit : « Le travail sédentaire est une lime sourde. […] Villemain, de notre éloquent secrétaire perpétuel, si j’avais besoin de m’excuser, je dirais hautement : Membre de l’Académie française, j’ai le droit de relever, de la seule manière qui puisse le toucher, l’organe de la compagnie là où il abuse publiquement de son rôle de rapporteur pour y glisser contrairement aux convenances, contrairement aux intentions de beaucoup de membres, ses passions personnelles : biographe littéraire, je souffre toutes les fois que je vois des critiques éminents à tant d’égards et en possession d’un art merveilleux, mais des esprits plus nés évidemment pour la louange ou la fine satire que pour l’histoire, ne songer à tirer parti des faits que pour les fausser dans le sens de l’effet passager et de l’applaudissement.
Quand Boileau loue à plein cœur et à plein sens, comme il est touché et comme il touche !
Cependant il touchait à ses vingt-neuf ans ; la famille de son frère augmentait, et l’heure était venue d’aviser à une carrière. […] Nous touchons là au genre de talent et aussi à ce qui sera le défaut général de l’abbé Barthélemy dans Anacharsis : un peu trop d’assaisonnement dans l’érudition, et un affaiblissement élégant de l’Antiquité par les grâces mondaines.
Le point de la mort est la grande pierre de touche du christianisme. […] Saint François de Sales y énumère toutes les petites formes de partialité et d’injustice par lesquelles nous tirons à nous, dans la pratique de la vie, du côté de notre intérêt et de notre passion, sans vouloir l’avouer ni en avoir l’air, et sans nous croire moins honnêtes gens ; il fait toucher au doigt en quoi consistent ces défauts de raison et de charité, lesquels, au bout du compte, ne sont que de mesquines tricheries : « Car on ne perd rien, dit-il, à vivre généreusement, noblement, courtoisement, et avec un cœur royal, égal et raisonnable. » Par ce seul chapitre, où respire dans le moindre détail la vraie loi de charité, saint François de Sales s’élève en morale bien au-dessus du Montaigne et du Franklin.