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1261. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Il y aurait à faire de lui, sous ce dernier nom, un double portrait à la La Bruyère, ou plutôt un seul et même portrait avec variante : Étienne ou l’homme content de lui, — Étienne ou l’homme qui a eu toujours raison. […] Il a raison d’estimer Mme Tastu, mais il la pousse à un rang hors de toute proportion, et auquel cette muse modeste ne prétendait pas ; et en quels termes le fait-il encore ? […] À plus forte raison dut-il-penser de la sorte à Paris dans les années qui suivirent. […] » Et il déduisait longuement les raisons pour et contre ; dans cette éternelie consultation de Panurge, il prenait même pour confidents de sa perplexité quelques-uns des jeunes amis de Récamier.

1262. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Bûchez et Roux, dans leur Histoire parlementaire de la Révolution française, était de nouveau apaisée, vaincue et mise à la raison. […] « Je suis un peu embarrassée », dit Mme Roland lorsqu’elle en vient à cette histoire, « de ce que j’ai à raconter ici ; car je veux que mon écrit soit chaste, puisque ma personne n’a pas cessé de l’être, et pourtant ce que je dois dire ne l’est pas trop. » Et en finissant ce récit, de tout point fort circonstancié, elle ajoute : « L’impression de ce qui s’était passé demeura si forte chez moi que, même dans l’âge des lumières et de la raison, je ne me le rappelais qu’avec peine ; que je n’en ai jamais ouvert la bouche à une intime amie qui eut toute ma confiance ; que je l’ai constamment tu à mon mari, à qui je ne cèle pas grand’chose, et qu’il m’a fallu faire dans ce moment même autant d’efforts pour l’écrire que Rousseau en fit pour consigner l’histoire de son ruban volé, avec laquelle la mienne n’a pourtant pas de comparaison. » Je sais bien d’autres histoires des Confessions avec lesquelles celle-ci a plus de ressemblance qu’avec le ruban volé, et ce sont les plus laides ; il suffit, je ne les indiquerai pas avec plus de précision. […] Cette page inique et faite pour offenser indistinctement ceux qui étaient nommés comme ceux qui ne l’étaient pas, et les Grégoire, et les Sieyès, et les Daunou, cette page outrageuse pour des morts et des victimes de la veille comme Rabaut et Fauchet, avait été biffée, et avec grande raison. […] Si j’étais libre, je suivrais partout ses pas pour adoucir ses chagrins et consoler sa vieillesse ; une âme comme la mienne ne laisse jamais les sacrifices imparfaits ; mais Roland s’aigrit à l’idée d’un sacrifice, et la connaissance une fois acquise que j’en fais un pour lui renverse sa félicité ; il souffre de le recevoir, et ne peut s’en passer. » Roland avait raison, et tous les hommes à sa place auraient souffert comme lui.

1263. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Esprit, bon sens, propriété d’expression, raison piquante, grâce naïve, tout cela coulait sans étude entre des dents d’ivoire et des lèvres rosées : force était de s’y résigner. » Le portrait est brillanté, mais convenez qu’il est des plus jolis. […] Dumont de Genève, dans ses Souvenirs sur la Révolution, a parlé d’elle très pertinemment aussi, avec bien de la discrétion et une incontestable justesse ; il regrettait de l’avoir moins connue qu’il ne l’aurait pu, et il nous en dit la raison : « Mme Roland, à tous les agréments personnels, joignait tout le mérite du caractère et de l’esprit. […] Chloé nous est présentée comme une personne d’une raison précoce, « d’un naturel docile mais pénétrant, cultivé par une éducation aisée et prudente, d’un esprit juste mais gai », d’une humeur enjouée et vive, sur qui les amorces qui s’adressent à la vanité ne prennent pas, mais dont le cœur peut se laisser gagner au vrai mérite et au charme d’un entretien spirituel et instructif ; une conversation « gaiement sensée ou finement badine » a des chances de lui plaire. […] Le Père Rapin, autrefois, dissertant sur le tu et sur le toi qui sont d’usage en notre ; poésie, en recherchait les raisons, et il ajoutait qu’une des principales était qu’on ne s’en servait pas en prose, même dans le commerce de l’amour.

1264. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

M. de Luynes, l’honnête homme circonspect, en recherche les raisons un peu mollement : « Dans le commencement que la reine est arrivée ici, dit-il, il y avait assez lieu d’espérer que l’indifférence du roi trop connue pour elle pourrait peut-être changer. […] Depuis le séjour de Metz, les choses paraissent bien changées, et le froid est aussi grand que jamais ; soit que les conversations trop vives et trop fréquentes de la reine avec M. le Dauphin en sa présence lui aient déplu ; soit que ce soit l’effet des sentiments qu’il avait pour elle depuis longtemps et que l’on avait cherché à entretenir et à augmenter ; soit enfin que la mauvaise humeur du roi en soit la seule cause : peut-être toutes ces raisons ensemble y contribuent-elles. » M. de Luynes ne soupçonne pas ou fait semblant d’oublier la vraie raison. […] Les unes prirent des couleurs plus modestes, les autres baissèrent leurs coiffures, d’autres mirent moins de rouge ; enfin les vieilles dames poussèrent la prudence jusqu’à replacer dans leurs cheveux le bec noir. » Le bec noir est un détail de toilette qui demanderait tout un commentaire. — Mais n’ai-je pas raison de dire que la méchanceté de cette date (celle du Méchant de Gresset), dans toute son allure féminine et avec sa griffe la plus fine, nous a été conservée dans ce passage.

1265. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

Son livre n’est point un Journal suivi, ce qui serait plus intéressant à coup sûr pour le vulgaire des lecteurs ; mais il a dû procéder autrement, en raison du but plus sérieux qu’il se propose. […] Les dépressions qui séparent les dunes ont également des noms pour marquer leurs principales variétés : le col étroit, oblong, resserré entre deux dunes ; la vallée plus large, et toujours ouverte dans la direction des vents régnants ; le couloir tournant et en labyrinthe ; le bassin, d’une certaine étendue ; le palier plus plat et uni en raison d’un mélange de sable et de plâtre cristallisé : tous ces creux et ces irrégularités de niveau ont autant de noms distincts : « C’est dans ces bas-fonds comparés par les Arabes à un réseau de veines (erg, areg) que se trouvent les chemins et les puits sans lesquels les dunes seraient infranchissables. […] C’est elle qu’Abd-el-Kader est allé froisser et offenser sans raison dans la personne d’un de ses représentants les plus vénérés, en faisant le siège d’Aïn-Madhi, cette ville sainte à l’ouest, de Laghouat, et que Fromentin nous a peinte. […] Duveyrier s’est appuyé sur cette corporation amie ; le grand maître auquel il avait été recommandé crut avec raison qu’il le protégerait mieux à distance par un signe visible émanant de lui ; il lui conféra en conséquence le titre de frère et le revêtit du chapelet de l’Ordre.

1266. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

Pourquoi s’en aller ranger sans raison parmi ces grotesques Chapelain, le régulier, le respectable et ennuyeux Chapelain, puis encore l’académicien Colletet, tandis qu’on omettait tout à côté d’eux d’Assoucy, le coryphée du genre ? […] Gautier donne, sans le vouloir, raison à Malherbe qui aurait dit certainement à Théophile : « Votre pièce est de plus de moitié trop longue ; vous ne savez pas vous arrêter à temps ni effacer ; rien de trop : réduisez la muse aux règles du devoir. » Il y a plus : M. […] En y corrigeant les inexactitudes de faits, en y revisant les jugements pour en modifier l’excessif et le juvénile, en persistant toutes les fois qu’il croirait avoir raison, en daignant par instants discuter les opinions des autres, en complétant aussi sa galerie par quelques autres portraits du temps qui y manquent, et où il apporterait désormais plus de précaution (comme il en a su prendre dans son article Scarron, d’ailleurs si amusant), il aurait fait, non pas une histoire régulière de la poésie sous Louis XIII, mais un piquant, un mémorable essai, dans lequel le sentiment très-vif et très-filial qu’il a de cette poésie, et qu’il rend d’une manière unique, compenserait heureusement bien des écarts. […] Que Malherbe ait raison avec dureté, qu’il soit grammairien, qu’il soit pédagogue, on l’accorde de reste, mais, avec tout cela, Malherbe est poëte.

1267. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

Si donc aujourd’hui, et avec raison, l’on s’attache à réviser et à remettre en question beaucoup de jugements rédigés, il y a quelque vingt ans, par les professeurs d’Athénée ; si l’on déclare impitoyablement la guerre à beaucoup de renommées surfaites, on ne saurait en revanche trop vénérer et trop maintenir ces écrivains immortels, qui, les premiers, ont donné à la littérature française son caractère d’originalité, et lui ont assuré jusqu’ici une physionomie unique entre toutes les littératures. […] Il est une seule circonstance où l’on ne peut s’empêcher de regretter que Mme de Sévigné se soit abandonnée à ses habitudes moqueuses et légères ; où l’on se refuse absolument à entrer dans son badinage, et où, après en avoir recherché toutes les raisons atténuantes, on a peine encore à le lui pardonner : c’est lorsqu’elle raconte si gaiement à sa fille la révolte des paysans bas-bretons et les horribles sévérités qui la réprimèrent. […] Selon moi, on peut se figurer assez bien que la raison et l’enjouement de Mme de Sévigné, si agréablement mélangés en elle, s’étaient divisés et comme dédoublés entre ses enfants : l’un, le fils, avait la grâce, mais non pas très-raisonnable et solide : l’autre, la fille, avait la raison, mais un peu rêche, ce semble, non assez tempérée, non plus enchanteresse et piquante.

1268. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Sa tentation est une tentation, conduite vraiment avec délicatesse, et l’on a eu raison de louer la caresse du couplet dont le démon enveloppe la pauvre et naïve Ève : « Tu es faiblette et tendre chose — Et es plus fraîche que n’est rose », etc. […] Des boniments de forains et de charlatans tiennent aussi quelque chose de l’art théâtral : à plus forte raison, les imitations artistiques de tels boniments, comme ce fameux dit de l’Herberie, où Rutebeuf a rendu tantôt en vers et tantôt en prose le bagou facétieux et l’impudence drolatique des vendeurs de drogues. […] On a quelque raison de croire que les écoliers jouaient dans leurs collèges des pièces comiques : du moins leur voit-on défendre les « jeux déshonnêtes » aux fêtes de saint Nicolas et de sainte Catherine. […] Mais elle n’a pas davantage de rapport avec le théâtre sacré : il n’y a pas de raison pour ne pus voir dans cette pièce la première forme connue de la moralité.

1269. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Voilà pourquoi les dépositaires de l’esprit de la nation, durant ce long période, semblent écrire sous l’action d’une fièvre intense, qui les met sans cesse au-dessus et au-dessous de la raison, rarement dans sa moyenne voie. […] Si Israël avait eu la doctrine, dite spiritualiste, qui coupe l’homme en deux parts, le corps et l’âme, et trouve tout naturel que, pendant que le corps pourrit, l’âme survive, cet accès de rage et d’énergique protestation n’aurait pas eu sa raison d’être. […] Ambitieux profane, égaré dans un dédale de luttes religieuses, cet astucieux Iduméen eut l’avantage que donnent le sang-froid et la raison, dénués de moralité, au milieu de fanatiques passionnés. […] C’était tout au plus le Dieu de Job, sévère et terrible, qui ne rend raison a personne.

1270. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

Sur quoi Geoffroy dit crûment : Rousseau s’est trompé lui-même… Il a dû lire avec plaisir Gil Blas, puisqu’il est impossible qu’un homme d’esprit ne trouve pas cette lecture agréable ; mais il a raison de dire qu’il n’était pas encore mûr pour un tel ouvrage, et il ne l’a jamais été. […] De ce qu’un homme a des défauts et pis encore, ce n’est jamais une raison de mépriser son talent ni son esprit. […] Quand il ne se laisse point détourner par la passion ni déranger par certains calculs, il dit des choses qui se retrouvent vraies en définitive ; il a raison d’une manière peu gracieuse, mais il a raison.

1271. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres de la marquise Du Deffand. » pp. 412-431

Plus tard, dans sa vieillesse, on la voit, jusqu’à la fin, faire tant qu’elle peut de nouvelles connaissances pour combler les vides ou diversifier le goût des anciennes : elle dut faire à plus forte raison la même chose en amour durant la première moitié de sa vie. […] Elle s’accommodait finalement de lui, comme l’eût fait une personne sensée dans un mariage de raison. […] que vous avez bien raison ! […] Elle tient bon pour Montaigne, qu’il ne goûtait pas ; elle s’en étonne, elle lui oppose ses raisons en maint endroit : Je suis bien sûre que vous vous accoutumerez à Montaigne ; on y trouve tout ce qu’on a jamais pensé, et nul style n’est aussi énergique ; il n’enseigne rien, parce qu’il ne décide de rien ; c’est l’opposé du dogmatisme : il est vain, — eh !

1272. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Il émane de leurs écrits comme un parfum qui prévient et s’insinue ; la physionomie de l’homme parle d’abord pour l’auteur ; il semble que le regard et le sourire s’en mêlent, et, en les approchant, le cœur se met de la partie sans demander un compte bien exact à la raison. […] Les Entretiens que nous a transmis Ramsay, et dans lesquels Fénelon lui développa les raisons qui devraient amener victorieusement, selon lui, tout déiste à la foi catholique, sont d’une largeur, d’une beauté simple, d’une éloquence pleine et lumineuse qui ne laisse rien à désirer. […] Vous avez raison de dire et de croire que je demande peu de presque tous les hommes ; je tâche de leur rendre beaucoup, et de n’en attendre rien. […] Évidemment Fénelon n’avait pas cette irritabilité de bon sens et de raison qui fait dire Non avec véhémence, cette faculté droite et prompte, même un peu brusque, que Despréaux portait en littérature, et Bossuet en théologie.

1273. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

Mais cela serait-il donc une raison pour n’en pas parler ? Cela pourrait-il être une raison, parce que l’auteur des Jugements nouveaux nous a exprimé, à la tête de son livre, une franche sympathie d’idées et de sentiments littéraires, pour que la critique, qu’il a la bonté d’estimer, lui manque tout à coup, et qu’il soit privé de sa part d’examen sous le prétexte, de peu de courage, que notre éloge serait suspect de reconnaissance et notre blâme d’ingratitude ? […] » dit-il, avec un charmant rapport de vérité, et il ajoute excellemment, pour conclure une thèse soutenue avec une raison étincelante : « L’immense supériorité du monde moderne sur le monde antique, c’est, tout en gardant la beauté physique, de l’avoir reconciliée avec la beauté morale », et rien n’est plus vrai. […] Misogyne pour les mêmes raisons qui l’ont fait misanthrope, et qui semble dire aux plébéiennes de l’amour, tout le long de son livre des Patriciennes : La meilleure impertinence à vous faire, c’est de vous peindre… comme vous n’êtes pas !

1274. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Prosper Mérimée »

C’était cependant une raison pour qu’ils le fussent. […] Pour être plus digne de lui, il veut qu’Henriette devienne une Bélise, et cette nature de Trissotin, qui n’a cessé d’exister, tant qu’il vécut, en Mérimée, malgré ses airs d’homme du monde en cérémonie et de dandy dégoûté, est encore la meilleure raison pour qu’il n’ait jamais été capable de ce bel oubli de tout, excepté d’une seule chose, qu’on appelle l’amour ! […] C’est toujours le même Mérimée, mais, comme je l’ai déjà dit, il est ici tout son roman, il est ici tout son sujet à lui-même, et je le lis, pour cette raison, avec moins de plaisir que le Vase étrusque ou Carmen. […] s’opposait aux prétentions de royauté déjà très accusées de Victor Hugo et peut-être fut-ce la raison qui lui fit se dévouer à la réputation naissante de Mérimée, dans ses articles inouïs d’enthousiasme pour une plume aussi froide que l’était la sienne.

1275. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

Pichot, au contraire, s’est, toute sa vie, tellement frotté à de grands poètes, qu’il a pris je ne sais quels grains de poussière étincelante au velours de ces fleurs lumineuses… Eh bien, pour cette raison-là seule, Amédée Pichot vaut mieux que M.  […] II Telle a été, mais achetée au prix de facultés méconnues et perdues, la destinée de Macaulay, et telles furent les raisons, assez vulgaires, qui, après un début aussi éclatant que le sien, firent d’un critique de littérature désintéressée un écrivain d’histoire intéressée ; car Macaulay n’est pas plus élevé que cela : c’est un historien de parti. […] Pour cette raison, il n’a pas et ne pouvait pas avoir, comme historien, le sentiment impersonnel et éternel des choses qui donne à l’Histoire sa majesté, même sous la plume d’un petit écrivain grec (græculi) qui écrit la guerre de ce petit pays qu’on appelle le Péloponèse. […] En obéissant à sa nature, qui était un superbe et fécond tempérament littéraire, Macaulay aurait multiplié des œuvres semblables à ces Essais qu’on a eu raison de mettre à part des autres, gâtés par la politique qui s’y mêle.

1276. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

Il en élève les coutumes et jusqu’aux préjugés à la hauteur de lois immuables, et si le xviiie  siècle lui apparaît le plus profondément perdu de raison de tous les siècles, et, dans ce siècle, Jean-Jacques Rousseau le plus perdu des philosophes, c’est que le xviiie  siècle et Rousseau, l’auteur du Contrat social et de l’Inégalité des conditions, sont, de tous les temps et de tous les hommes, ceux qui ont le plus méconnu la voix infaillible et l’autorité souveraine de l’Histoire. […] Aussi, précisément pour cette raison, cette Correspondance dut ravir et ravit les ennemis de l’Église. […] Et, en effet, écoutez-le, cet homme du fait et de l’expérience, calomnié jusque dans son esprit : « Si l’affranchissement » — (dit-il, en finissant un examen hostile à cet affranchissement pour des raisons d’État,) — « si l’affranchissement doit avoir lieu en Russie, il s’opérera par ce qu’on appelle la nature. […] J. de Maistre cédant au temps comme Talleyrand lui-même, mais pour des raisons que n’avait pas Talleyrand, dans cette tête où l’athéisme en toute chose avait fait un vide silencieux ; de Maistre se pliant à la circonstance au lieu de se faire misérablement briser par elle, ce qui serait le suicide politique, aussi criminel que l’autre aux yeux de Dieu !

1277. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Ernest Renan »

Pour les uns, Renan était un monstre, — de profil fuyant jusqu’alors et qui avait eu peut-être raison de fuir, — mais qui enfin allait se tourner et montrer héroïquement de face toute sa monstruosité, comme Mirabeau montrait sa hure ! […] Ainsi, sans les échafauds, sans Marat, sans les fêtes de la déesse Raison, la Révolution, qui, dans les idées de Renan, est une très grande chose, n’aurait rien produit de beau, de solide et de bienfaisant. […] C’est un rabâchage de choses qu’il a dites, et mieux dites, sur l’indépendance et le désintéressement absolus de la science, et sur la différence qui existe entre la critique et la théologie… Et voilà probablement la raison pour laquelle les journaux, ces échos des livres quand les livres ont de la voix et de la sonorité, ont laissé, en toute indifférence, Renan se morfondre à jouer de sa guimbarde ordinaire dans le petit coin de son introduction… Et on ne peut pas même dire « autre guimbarde », comme on dit parfois « autre guitare » ; car Renan ne varie ni son instrument, ni sa manière de jouer, ni son air. […] Et, pour cette raison qu’il est protestant, il ne fait jamais que de la critique protestante, contre des prétentions protestantes.

1278. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

« Les hautes montagnes, a-t-on dit, consternent aisément celui qui habite au pied, ou du moins elles le modèrent et le calment ; elles mettent l’homme à la raison. » Simiane reste dans la raison, ainsi que dans le bonheur ; lorsque Rousseau, déjà célèbre, les visite encore, il emporte de leur dernier embrassement une de ces fraîches et à la fois solennelles images, qui, en présence de Thérèse et de tant d’illusions flétries, sauvaient l’idéal dans son cœur. […] Steven n’est plus qu’une espèce d’allégorie représentant l’héroïsme de la vie privée, qui se dresse de toute sa hauteur ; et Charles XII, stupéfait, n’a que raison, lorsqu’il lui dit (un peu tard) : « J’admire la complaisance avec laquelle je vous écoute. » Sans cette scène malencontreuse, Steven restait jusqu’au bout un excellent roman.

1279. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Les guerres civiles et l’esprit philosophique ont corrigé de ce faux goût ; car le malheur, dont les impressions ne sont que trop vraies, exclut les sentiments affectés, et la raison fait disparaître les expressions qui manquent de justesse. […] Les jeux de mots, les équivoques licencieuses, les contes populaires, les proverbes qui s’entassent successivement dans les vieilles nations, et sont, pour ainsi dire, les idées patrimoniales des hommes du peuple ; tous ces moyens, qui sont applaudis de la multitude, sont critiqués par la raison. […] D’ailleurs le docteur Blair n’aurait pu juger en Angleterre Shakespeare avec l’impartialité d’un étranger ; il n’aurait pu comparer la plaisanterie anglaise avec la plaisanterie française : ses études ne le conduisaient pas à ce genre d’observations ; il aurait pu encore moins, par des raisons de convenance relatives à son état, parler des romans avec éloge, et des philosophes anglais avec indépendance.

1280. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

Il appartient, par sa pensée, au même groupe que Condorcet et Volney : il a le culte et l’ivresse de la raison, et son rêve a été de donner une expression poétique aux conquêtes de la raison. […] Mais il n’est pas non plus un pur classique : l’art de Boileau, les règles de Voltaire ne lui suffisent pas ; et voici ce qu’il fait : il répète pour son compte la tentative de Ronsard, sans s’en douter, pour la même raison et de la même manière que Ronsard.

1281. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre II » pp. 12-29

Quelle que soit la corruption générale d’une grande nation, même d’une grande cour, il s’y trouve toujours quelques familles où se conserve l’honnêteté des mœurs, où la raison, le droit sens, la bienséance exercent leur légitime empire, où les bons principes sont héréditaires, comme certaines conformations : ici est d’ordinaire le privilège des familles nombreuses qui s’entretiennent, par les sympathies mutuelles de leurs membres, dans les traditions de vertus où elles sont nées. […] Telles étaient les raisons qui éloignaient de la cour la marquise de Rambouillet. […] Dans ces sociétés animées par la conversation des femmes, tous les intérêts se placent par la parole entre toutes les frivolités ; la raison la plus solide, l’imagination la plus active y apportent leurs tributs ; les aines les plus sensibles y versent leurs effusions ; les esprits les plus affinés y apportent leurs délicatesses : là, tous les sujets se prêtent aux conditions que la conversation impose ; les matières les plus abstraites s’y présentent sous des formes sensibles et animées, les plus compliquées avec simplicité, les plus graves et les plus sérieuses avec une certaine familiarité, les plus sèches et les plus froides avec aménité et douceur, les plus épineuses avec dextérité et finesse, toutes réduites à la plus simple expression, toutes riches de substance et surtout nettes de pédanterie et de doctrine.

1282. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre I : La science politique au xixe  siècle »

Les écoles politiques du xixe  siècle ont ce caractère général d’être plutôt des partis que des écoles : nées des événements et mêlées aux événements, elles n’ont guère cette impartialité abstraite qui caractérise la science ; et par la même raison, elles ont laissé ou laisseront peu de ces ouvrages mémorables et éternels, qui survivent aux passions d’un temps. […] Pour toutes ces raisons, ils sont du côté de la révolution et contre l’ancien régime. […] Au dogme de la souveraineté du peuple, qui, suivant eux, ne faisait que substituer une tyrannie à une autre, ils opposaient la doctrine de la souveraineté de la raison.

1283. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 15, le pouvoir de l’air sur le corps humain prouvé par le caractere des nations » pp. 252-276

Quintilien après avoir rapporté les raisons morales qu’on donnoit de la difference qui étoit entre l’éloquence des atheniens et l’éloquence des grecs asiatiques, dit qu’il faut la chercher dans le caractere naturel des uns et des autres. […] La même raison qui mettoit tant de difference entre les atheniens et les béotiens, fait que les florentins ont des voisins qui leur ressemblent si peu, et que nous trouvons en France tant de sens et tant d’ouverture d’esprit dans les païsans d’une province limitrophe d’une autre où leurs pareils sont presque stupides. […] Quoique l’Allemagne soit aujourd’hui dans un état bien different de celui où elle étoit quand Tacite la décrivit, quoiqu’elle soit remplie de villes, au lieu qu’il n’y avoit que des villages dans l’ancienne Germanie, quoique les marais et la plûpart des forêts de la Germanie aïent été changez en prairies et en terres labourables, enfin quoique la maniere de vivre et de s’habiller des germains, soient differentes par cette raison en bien des choses de la maniere de vivre et de s’habiller des allemands, on reconnoît néanmoins le génie et le caractere d’esprit des anciens germains dans les allemands d’aujourd’hui.

1284. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 35, de l’idée que ceux qui n’entendent point les écrits des anciens dans les originaux, s’en doivent former » pp. 512-533

Ils ont raison en un sens de le faire. […] Quand même nous en aurions pleine connoissance, il se trouveroit que par des raisons que je vais exposer, nous n’aurions pas pour ces choses le même goût qu’avoient les romains, et l’image qui remet sous nos yeux ces mêmes choses, ne peut nous affecter comme elle affectoit les romains. […] Pourquoi les françois lisent-ils avec si peu de goût les traductions de l’Arioste et du Tasse, quoique la lecture du Roland furieux, et de la Jerusalem délivrée, charme avec raison tous les françois qui sçavent assez bien la langue italienne pour entendre les originaux sans peine.

1285. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

… Comme si l’on perdait toujours en raison d’une faute ! […] C’est la raison, sans doute, qui explique l’abandon familier de la notice d’Henry de la Madelène, lequel s’est contenté de nous raconter son héros dans un style rapide et quelquefois un peu saccadé, mais qui va de verve et rencontre çà et là des touches limpides. […] Si les enfants tombaient quelque jour dans les idées ridiculement irréligieuses que j’ai eues quelquefois moi-même, fais-leur lire cette lettre et dis-leur que l’oncle Gaston qui, plein de vie, de force et de raison, est mort entre les mains d’un prêtre, était cependant un homme intrépide… » Comparez en beauté morale, et même en beauté dramatique, la mort de Raousset à celle de Lara, et vous verrez si la vérité historique n’est pas plus grande que l’invention du grand poète !

1286. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

Avec les tendances du xixe  siècle et le despotisme tracassier de sa raison, ceci est une audace, et cette audace, on ne l’avait pas vue se produire une seule fois, depuis cette tentative d’invasion sacerdotale, le Discours sur l’histoire universelle du sieur Bossuet. […] Il est assez indifférent de le savoir, mais, quoi qu’il en puisse être, il a choisi Colomb avec intelligence, et pour les plus hautes et les plus péremptoires raisons. […] Voilà la première raison qui lui fit entreprendre son effrayante et incroyable découverte.

1287. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Fustel de Coulanges » pp. 15-32

C’est la corruption de quelques-uns de leurs empereurs, — supportés, malgré la monstruosité de leurs vices, pour des raisons qui font plus d’honneur que de honte à l’esprit romain, puisque c’était par respect de leur tradition politique qu’ils acceptaient l’Empire à travers l’Empereur, quel qu’il fut ; — c’est cette corruption des empereurs, qui a fait croire à l’universelle corruption des Romains. […] C’est en raison même de cette supériorité que les Gaulois reçurent vite le coup de cette fascination romaine, qui était mieux que la fascination du glaive ; car il y avait autant d’éclairs dans le glaive de Brennus que dans le glaive de César. […] Leurs vices, à ces prodigieux misérables, ne troublaient pas sa souveraine raison sur la grandeur et sur la beauté de l’institution impériale.

1288. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Goethe »

Trois raisons pour expliquer la préoccupation et la fermentation d’alors, dont une seule suffirait : — la renommée de Goethe. […] Diderot disait : « Il faut que l’eau soit naïvement de l’eau. » S’il avait raison pour l’eau des fontaines, qu’aurait-il dit de l’eau des larmes ? […] Ce qu’on a dit de Le Tourneur, que sa traduction de Shakespeare fut retraduite en Angleterre, va devenir vrai pour Paul de Saint-Victor, mais pour une raison meilleure et plus haute ; car les Femmes de Goethe ne sont pas, malgré leur titre, une traduction.

1289. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

L’auteur, dont nous pressentons les opinions à certains accents qui passent à travers les surveillances de sa pensée, l’auteur nie à Saint-Martin et au mysticisme la vérité philosophique et religieuse, — ces deux vérités qui pour nous n’en font qu’une, mais que les rationalistes croient très habiles de séparer ; — et il a raison, s’il ne s’agit ici que de Saint-Martin, « le philosophe inconnu du xviiie  siècle », et du mysticisme hors l’orthodoxie, du mysticisme de l’hérésie ou de l’erreur. […] Voilà le plus grand événement de sa vie, dit-il, et il a raison. […] En effet, pour nous dégoûter de l’erreur de son principe et de sa doctrine, le protestant a la sécheresse de sa raison et la superbe de son orgueil, mais Saint-Martin a l’imagination du poëte, l’amour du croyant ; et son orgueil est si doux (car il y a toujours de l’orgueil dans un chef de secte), qu’on le prendrait presque pour cette vertu qui est un charme et qu’on appelle l’humilité.

1290. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Vie de la Révérende Mère Térèse de St-Augustin, Madame Louise de France »

Raison très suffisante d’insulte. Mais celle-ci de princesse était devenue religieuse, et, d’une raison d’insulte, cela en faisait vingt-cinq ! […] Ce grignoteur de livres n’est que le trotte-menu de la raison, et cela lui en paraît le comble de séculariser une religieuse et une sainte, et d’expliquer son entrée en religion par les motifs les plus humains.

1291. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’architecture nouvelle »

Quelle raison peut nous faire juger beau le costume enrubanné du courtisan d’ancien régime, et vulgaire le simple vêtement bruni par le travail du terrassier, si ce n’est la pauvreté de notre esthétique, plus digne de sauvages ou d’enfants que d’hommes raffinés ? […] Une des principales raisons qui me font considérer Horta comme un artiste de premier ordre, c’est qu’il conçoit lui-même en même temps que l’édifice, tout ce qui en dépend : décoration, ameublement, vitraux, étoiles, objets d’art, etc. […] Leur seul caractère commun est la marque qu’elles portent toutes de la profonde originalité de leur auteur. « La maison-type n’existe pas pour lui »40 a-t-on avec juste raison.

1292. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Sur Adolphe de Benjamin Constant » pp. 432-438

Il a voulu exprimer dans Adolphe tout ce qu’il y a de faux, de pénible, de douloureux dans certaines liaisons engagées à la légère, où la société trouve à redire, où le cœur, toujours en désaccord et en peine, ne se satisfait pas, et qui font le tourment de deux êtres enchaînés sans raison et s’acharnant, pour ainsi dire, l’un à l’autre. […] L’auteur n’avait point les mêmes raisons pour dissimuler les personnages secondaires.

1293. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « SAINTE-BEUVE CHRONIQUEUR » pp. -

Eugène Despois, a signalé une lacune dans les Œuvres posthumes de Sainte-Beuve1 : il a fait observer, avec raison, que dans les Premiers Lundis, dont l’ensemble embrasse toute la carrière littéraire du grand critique, la période intermédiaire, correspondant au règne de Louis-Philippe, n’était représentée, à partir de l’année 1834, que par un très-petit nombre d’articles. […] Mais ces convenances varient et s’élargissent vite en raison même des distances.

1294. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XI » pp. 39-46

Autour des trois ou quatre points de droit qui constituaient la jurisprudence gallicane, il s’était formé, à l’abri des parlements et de l’ancienne Université, une sorte d’esprit religieux modéré, assez libre, tout à fait tempéré, dans lequel de beaux génies avaient pu vivre et qui convenait aux raisons droites et modestes. […] La raison ou la foi vont au delà, l’une à la philosophie du siècle, l’autre à l’ultramontanisme.

1295. (1874) Premiers lundis. Tome II « Deux préfaces »

l’œuvre reste, si elle doit rester ; rien de grand ne se perd dans la mémoire des hommes. » On m’a souvent opposé ce genre de raisons sévères, et ce que je viens de dire y répond en partie. […] Après quoi, coupant court à une tâche sans cesse recommençante et qui n’a aucune raison naturelle de finir, nous prendrons, s’il se peut, congé du présent pour quelque Étude moins mobile, pour quelque œuvre plus recueillie.

1296. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

Il ne peut être question de bonheur positif obtenu par elle, puisqu’elle ne doit sa naissance qu’à une grande douleur, qu’on croit adoucir en la faisant partager à celui qui l’a causée ; mais il n’est personne qui, dans diverses circonstances de sa vie, n’ait ressenti l’impulsion de la vengeance ; elle dérive immédiatement de la justice, quoique ses effets y soient souvent si contraires : faire aux autres le mal qu’ils vous ont fait, se présente d’abord comme une maxime équitable ; mais ce qu’il y a de naturel dans cette passion ne rend ses conséquences ni plus heureuses, ni moins coupables ; c’est à combattre les mouvements involontaires qui entraînent vers un but condamnable, que la raison est particulièrement destinée ; car la réflexion est autant dans la nature que l’impulsion. […] Cette passion pourrait perpétuer le malheur depuis la première offense, jusqu’à la fin de la race humaine ; et dans les temps où les fureurs des partis ont emportés tous les hommes dans tous les sens au-delà des bornes de la vertu, de la raison, et d’eux-mêmes, les révolutions ne cessent que quand chacun n’est plus agité par le besoin de prévenir ou d’éviter les effets de la vengeance.

1297. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre III. De la sécheresse des impressions. — Du vague dans les idées et le langage. — Hyperboles et lieux communs. — Diffusion et bavardage »

Mais, Marquis, par quelle raison, de grâce, cette comédie est-elle ce que tu dis ? […] On veut paraître transporté, on singe l’enthousiasme ou l’horreur, cela dispense de donner les raisons de son goût.

1298. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les snobs » pp. 95-102

Ils se trompent sans doute dans l’opinion qu’ils ont d’eux-mêmes et dans les raisons qu’ils se donnent de leurs préférences, mais non toujours dans ces préférences mêmes. […] L’homme est ainsi fait qu’il tire vanité de ses admirations : il se pique d’admirer pour des raisons qui lui appartiennent, et il s’admire alors lui même d’admirer avec tant d’originalité.

1299. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Pour encourager les riches. » pp. 168-175

Après quoi, jugeant avec raison qu’elle avait fait son devoir, et plus que son devoir, cette dame, sur ses cent quatre-vingts millions, s’est contentée de léguer trois cent mille francs à diverses bonnes œuvres. […] Si, d’avoir donné vingt millions aux pauvres, cela vous attire de telles oraisons funèbres, nous avons donc deux raisons pour une de garder notre bel argent. » Ces personnes se tromperaient.

1300. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « I »

Toujours une profonde raison d’être a présidé à ces formations. […] Les affaires du monde ne se règlent guère par ces sortes de raisonnements ; mais les hommes appliqués veulent porter en ces matières quelque raison et démêler les confusions où s’embrouillent les esprits superficiels.

1301. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Virgile, et Bavius, Mœvius, Bathille, &c. &c. » pp. 53-62

Tous ces beaux génies vivoient dans la douceur d’un commerce libre & philosophique ; ils s’entr’aidoient à porter le fardeau de la vie, à se consoler des sottises humaines, à conserver sur la terre cette raison saine, ce feu pur & céleste, le partage de quelques ames privilégiées. […] Les raisons qu’ils apportèrent en confirmation de leurs sentimens, ont répandu, à la vérité, quelques nuages sur sa naissance.

1302. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Voiture, et Benserade. » pp. 197-207

Quelquefois ma raison, par de foibles discours, M’invite à la révolte, & me promet secours : Mais, lorsqu’à mon besoin je me veux servir d’elle, Après beaucoup de peine & d’effort impuissans, Elle dit qu’Uranie est seule aimable & belle, Et m’y rengage plus que ne font tous mes sens. […] On lui reprocha, non sans quelque raison, l’épitaphe qu’il fit sur le cardinal de Richelieu son bienfaiteur : Ci gist, oui gist, par la morbleu !

1303. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre quatrième. »

Et la raison ne m’en est pas connue. […] La raison du plus fort est toujours la meilleure.

1304. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre V. La Henriade »

Des critiques judicieux ont observé qu’il y a deux hommes dans Voltaire : l’un plein de goût, de savoir, de raison ; l’autre qui pèche par les défauts contraires à ces qualités. […] Tandis que son imagination vous ravit, il fait luire une fausse raison qui détruit le merveilleux, rapetisse l’âme et borne la vue.

1305. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Lettre, à Madame la comtesse de Forbach, sur l’Éducation des enfants. » pp. 544-544

Tout bien considéré, la vie étant l’objet le plus précieux, le sacrifice le plus difficile, je l’ai prise pour la mesure la plus forte de l’intérêt de l’homme ; et je me suis dit : Si le fantôme exagéré de l’ignominie, si la valeur outrée de la considération publique ne donnent pas le courage de l’organisation, ils le remplacent par le courage du devoir, de l’honneur, de la raison. […] Je m’en suis félicité ; et j’ai pensé que je pourrais bien avoir de la raison et du goût, puisque de moi-même j’avais tiré les vraies conséquences des principes que mon aimable et belle comtesse avait posés.

1306. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 18, que nos voisins disent que nos poëtes mettent trop d’amour dans leurs tragedies » pp. 132-142

Ce qui prouve seul qu’ils ne sont pas veritablement amoureux ; ils prétendent mettre d’accord l’amour avec la raison, deux choses aussi peu compatibles que la fievre et la santé. […] En amour on se querelle sans sujet, on se raccommode sans raison.

1307. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Conclusion »

Même nous avons refusé de ramener cette immatérialité sui generis qui les caractérise à celle, déjà complexe pourtant, des phénomènes psychologiques ; à plus forte raison nous sommes-nous interdit de la résorber, à la suite de l’école italienne, dans les propriétés générales de la matière organisée86. […] Car elle n’a de raison d’être que si elle a pour matière un ordre de faits que n’étudient pas les autres sciences.

1308. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Léon Feugère ; Ambroise-Firmin Didot »

Il a eu ses raisons sans doute, mais, quel qu’ait été son dessein, il a glissé sur la pente où la pensée contemporaine glisse encore et continue de s’égarer… La question de la Renaissance, — cette question qui est partout à cette heure, dans l’enseignement, dans l’art, dans la philosophie et dans les mœurs, — la question de la Renaissance est au fond de son livre ; elle y sommeille, mais elle y est. […] Eh bien, Léon Feugère, qui est un homme d’esprit et un homme renseigné, a cependant, pour une raison qu’il sait mieux que nous, affecté, dans sa biographie d’Henri Estienne, une modération qui ressemble beaucoup au faux air de l’indifférence, et il a abandonné, pour les plus minces considérations littéraires, toutes les graves questions que la Renaissance et le xvie  siècle ont soulevées et que voilà, après plus de deux siècles, pendantes et menaçantes encore !

1309. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le voltairianisme contemporain »

il y a de bonnes raisons pour qu’il soit longtemps populaire. […] et c’est la meilleure raison de croire à la puissance actuelle et future de Voltaire.

1310. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Léon Cladel »

Cladel, qui est un paysan et qui s’en vante, et qui a raison de s’en vanter ; Cladel, qui s’est voué à les peindre à fond, et qui les a peints une seconde fois dans sa Fête votive de saint Bartholomée Porte-glaive 51, avec une énergie plus grande encore que la première fois (dans le Bouscassié), s’est bien gardé, tout républicain qu’il puisse être, d’écrire sur ses deux volumes : « Mes ruraux » , qui serait ridicule, mais il a mis : « Mes paysans » , qui dit nettement que dans ses livres il ne s’agit exclusivement que des paysans de son pays. […] Peintre à la Rubens et à la Rabelais, peintre de grande nature, peintre de kermesses, de foules, de ruées, de batailles, peintre du tempérament physique le plus impétueusement débordé, Cladel s’est trouvé républicain comme il est peintre, et pour les mêmes raisons.

1311. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — IV »

Renan, comme tous les maîtres qui nous ont précédés, croyait à une raison indépendante, existant dans chacun de nous et qui nous permet d’approcher la vérité. […] La raison humaine est enchaînée de telle sorte que nous repassons tous dans les pas les uns des autres.

1312. (1929) Amiel ou la part du rêve

Ce qui est original a seul une raison suffisante de vivre. […] Et mariage de raison. […] Quand il a raison, c’est avec rudesse et raideur, admet-il. […] À tort ou à raison ? […] Jamais il n’eut moins de raison de se départir de sa réserve ordinaire en matière conjugale.

1313. (1864) Le roman contemporain

Cuvillier-Fleury, qui la nie après son avènement, qui a raison ? […] Nous n’avons pas moins raison dans l’ordre logique. […] Cependant elle était arrivée à l’âge de raison. […] En revanche, les lectrices donnent complètement raison à Marguerite. […] Vous avez raison.

1314. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Avons-nous eu raison ? […] Nous le trouvâmes admirable pour des raisons diverses. […] Pour des raisons diverses M.  […] Lemaître a raison, il a raison trop facilement, et sans fruit. […] En tout cas, ce jeune savant n’aura pas de raison de nier la tradition.

1315. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

Les raisons qu’il donne à sa décharge dans sa prose un peu hétéroclite sont des plus sensées : on vous élève ou l’on vous élevait en ce temps-là au collège à ne rien tant admirer que Virgile, Horace, Ovide, Térence, à faire des vers à leur exemple, à ne voir la belle et pure gloire que de ce côté. […] » Piron avait raison en parlant ainsi : lui-même, bien que si piqué au jeu par l’hypocrisie, il n’eût jamais pu ni osé aborder, même en idée, pareil sujet ; il n’avait ni assez de sérieux, ni assez de hauteur dans l’âme. […] On a beau chercher pourquoi Piron et Voltaire ne s’aimaient pas, il n’v a qu’une bonne raison à en donner : c’est qu’ils ne pouvaient s’aimer et qu’ils étaient incompatibles, antipathiques. […] Il y avait bien un peu de cela ; mais je crois en discerner de plus vraies raisons encore. […] Piron n’a jamais voulu se prêter à cet arrangement, et il a cependant souffert tout ce que l’on peut souffrir d’une personne qui a perdu entièrement la raison et qui se portait quelquefois aux dernières violences.

1316. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Qu’il est difficile de parler devant un public ; et quel public qu’un maître et des concurrents qui vous jugent, l’un avec une raison sévère, les autres avec une bienveillance équivoque ! […] Quintilien et Rollin, pour des raisons diverses chacun en leur temps, ont omis cela dans le modèle qu’ils ont tracé d’un bon maître. […] Il faut se faire une raison. » Ainsi encore il se figurait qu’on devrait lire les Wallenstein de Schiller à Prague, au cœur de la Bohême. […] Peut-être oserai-je vous dire que j’ai gagné quelque chose en fermeté et en raison ; mais ma tâche est devenue plus lourde, et, tout compensé, ce sont bien les chaînes d’autrefois que j’ai reprises après les avoir secouées. […] J’avais pourtant mes raisons.

1317. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Celui qui prétend avoir tout su le premier jour est un homme qui n’avait ni raison de naître, ni raison de vivre, ni raison de mourir, car il n’avait rien à apprendre en naissant. […] J’aurais dû rester en silence, sur cette hauteur, attendant les occasions s’il en survenait ; j’aurais mieux fait mille fois ; mais le caractère prévaut toujours sur la raison dans les natures actives. […] Je croyais de plus, dans mon ignorance des assemblées, qu’il suffisait de monter plein de pensées, de passions et de raison à la tribune, pour y trouver, dans l’inspiration du marbre et du bois, des paroles capables de dominer ou d’enthousiasmer l’auditoire ; je voulais en faire l’épreuve le plus tôt possible, prendre la tribune d’assaut, et fixer mon rang dans l’éloquence, puisque je ne pouvais pas encore fixer ma politique dans les partis. […] Seul contre tous, c’est un beau rôle quand on a la raison avec soi. […] « Messieurs, dit-il, j’avoue que j’ai été ému jusqu’au renversement de mes propres pensées par les raisons toutes neuves et, selon moi, toutes-puissantes, que M. de Lamartine vient de nous faire apparaître.

1318. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

nous ne sommes que des Français ; elle a toujours raison de se sauver quand il lui est démontré qu’elle se sauve ! […] Joseph crut alors toucher à une condition meilleure : c’était l’instant critique ; il rassembla les forces de sa raison et se résigna aux dernières épreuves. […] Pourtant des raisons de convenance l’empêchaient de rompre à l’instant même et de se dégager brusquement de la fausse route où il s’était avancé. […] Il entre aisément dans les idées de tout le monde, et pourtant il a des idées à lui, auxquelles il tient, et avec raison. […] Aujourd’hui la voilà mère, épouse, à son tour ; Mais c’est chez elle encor raison plutôt qu’amour.

1319. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

On a dit que l’attention était une faculté d’analyse, et l’on a eu raison ; mais on n’a pas assez expliqué comment une analyse de ce genre est possible, ni par quel processus nous arrivons à découvrir dans une perception ce qui ne s’y manifestait pas d’abord. […] On a raison de dire que l’habitude s’acquiert par la répétition de l’effort ; mais à quoi servirait l’effort répété, s’il reproduisait toujours la même chose ? […] Admettons pourtant qu’il ait ses raisons pour en choisir une : comment ce même mot, prononcé par une nouvelle personne, ira-t-il rejoindre un souvenir dont il diffère ? […] Or, l’expérience était loin de donner raison ici à la théorie, puisqu’elle montrait presque toujours, partiellement et diversement réunies, plusieurs de ces lésions psychologiques simples que la théorie isolait. […] Et par conséquent, si l’on veut à toute force localiser les souvenirs auditifs des mots, par exemple, en un point déterminé du cerveau, on sera amené par des raisons d’égale valeur à distinguer ce centre imaginatif du centre perceptif ou à confondre les deux centres ensemble.

1320. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

Avec son goût de la difficulté, s’il a tort, il a du moins ses raisons qui, en quelque manière, nous inciteraient à lui donner raison. […] Seulement, ses raisons, il ne nous les livre pas. […] Courbaud, dans toute cette affaire, a bien raison. […] Il analyse : il a raison. […] … » Elle a raison !

1321. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

Le professeur seul ne démordait pas de la page, admirant toujours, et avec raison, le divin style naturel de son poète, même quand les récits produisaient la satiété. […] L’aventure qui le ramène sur la scène n’est plus héroïque et n’est pas même comique : car on ne rit pas d’une infirmité physique et morale, telle que la folie, surtout quand c’est une passion tendre qui enlève la raison à un héros. La scène où Roland perd la raison en trouvant des preuves trop convaincantes de l’infidélité d’Angélique est admirablement inventée, et racontée avec autant de perfection de détails que la scène des amours d’Angélique et de Médor. […] À l’instant où il recouvre sa raison, le héros déteste la perfide Angélique. […] Une lune aussi resplendissante que celle où Astolphe était allé chercher la raison de Roland, illuminait de jour la ville et les collines.

1322. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

Est-ce pour cela que les orateurs de la chaire, venant de la Compagnie de Jésus, ont été accusés, non sans raison, par leurs ennemis les jansénistes d’énerver la parole de Dieu en l’enguirlandant de fleurs inutiles ? […] Ce n’est pas sans raison non plus que Michelet et Quinet furent chassés de leur chaire par la réaction triomphante, de même que Guizot eut pendant plusieurs années la bouche fermée par le gouvernement de la Restauration. […] A plus forte raison en est-il ainsi pour une Compagnie, où l’on entre déjà mûr et d’où l’on ne sort que par la mort. […] Elle n’a plus la même raison d’être qu’autrefois dans une époque où le bon usage a cessé d’être « le bel usage », où le dédain du populaire est un sentiment suranné, où la liberté en tout domaine a été revendiquée avec passion. […] Nombre de cercles, dans l’époque contemporaine, ont repris la tradition et joué ou fait jouer de petites pièces qui, pour une raison quelconque, n’auraient pas obtenu accès sur une grande scène.

1323. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

En un mot, la prose a été le langage de la raison, la poésie a été le langage de l’enthousiasme ou de l’homme élevé par la sensation, la passion, la pensée, à sa plus haute puissance de sentir et d’exprimer. […] « Tu n’as pas craint, lui dit-il, de me confesser en m’honorant en présence des dieux ; moi, je te serai fidèle tant que ma raison n’aura pas abandonné cette enveloppe mortelle de mon âme. » On pressent les catastrophes dans la joie. […] Un des dieux, témoins de son mariage avec Damayanti, le poursuit de sa jalousie : ce dieu trouble sa raison, il le possède, suivant l’expression moderne ; il lui inspire la passion du jeu jusqu’à la frénésie. […] Après quelques pas, sa raison revient avec sa tendresse ; il se rapproche. […] Tout y est passionné, mais calme ; la raison y plane sur la passion ; tout y est naïf comme la nature surprise dans ses cris les plus spontanés : jamais elle n’inspira à une poésie des accents plus vrais et plus intimement émanés de l’émotion et de la conscience.

1324. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

. —  Ses raisons pour écrire. —  Sa façon d’écrire. —  Comment sa poésie est personnelle. —  Son goût classique. —  En quoi ce goût l’a servi. —  Childe Harold. […] Quand mourut son triste mari, elle manqua perdre la raison, et on entendait ses cris dans la rue. […] Ayant appris qu’il avait sa raison, elle le quitta, revint dans sa famille, et refusa de jamais le revoir. […] Le dernier jour est venu, et six pouces de fer ont eu raison de toute cette force et de toute cette furie. […] Il est un produit comme toute chose, et à ce titre il a raison d’être comme il est.

1325. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Taine avait raison d’avoir confiance dans l’avenir. […] Il montre l’humanité comme l’individu passant de la spontanéité à la réflexion, de l’instinct à la raison, de la fatalité à la liberté. […] Il ne l’attaqua pas au nom de la raison comme illogique, il le réprouva au nom du sentiment comme injuste. […] Quant au charme de Jésus, il a dû principalement se distinguer par là, bien plus que par la raison ou même par la grandeur. […] Moi, qui suis savant, je lui conseille avec toute raison de faire autrement.

1326. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

Néanmoins, elle aura raison des accusations trop impitoyables. […] Voilà les raisons invoquées, et d’autres encore du même genre, mais toujours raisons en dehors de la littérature, qui est étrangère à l’événement. […] On nous a tués par raison démonstrative ; mais nous vivons encore, grâce à Dieu. […] Et qu’il a raison, et quel charme c’est de l’entendre ! […] Avais-je raison quand je disais que M. 

1327. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Flaubert avait raison : c’était un grand poète. […] La raison de ce caractère commun à tant de romans est aisée à concevoir. […] Il a raison, car les acteurs de ce drame ont convenu ensemble qu’ils se mentiraient les uns aux autres. […] Le sortilège d’amour n’aura pas raison du devoir civique. […] Cocasse et sinistre aventure qui coûta la raison au prince !

1328. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

Xerxès, dans Hérodote, a des éclairs de générosité et de raison. […] Weiss parlait avec raison de la « psychologie racinienne » de Ma Camarade. […] Ainsi cette aventure donne satisfaction tour à tour au cœur et à la raison. […] La Bruyère a sans doute raison de croire que « tout a été dit. » Tout a été dit d’assez bonne heure. […] Enfin Mme Dupont, survenant : « Angèle a raison, mes filles ! 

1329. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

La raison parfois silencieuse d’Ondine avait un air de blâme tacite pour les soins et les effusions que sa mère se montrait prête à prodiguer journellement à quiconque la sollicitait. […] La raison froide, la connaissance et la prévoyance des faits généraux, ne les lui demandez pas. […] Mais ce parti lui-même est entouré de bien des difficultés ; c’est un déchirement, et je suis inerte de douleur. » « (5 décembre 1853)… J’ai tant de raisons de savoir que le malheur d’argent surtout change beaucoup les affections et n’est justifié devant personne !  […] « Mon cher enfant, Que je voudrais que ta raison fût assez mûre pour peser à leur juste valeur les horribles événements dont nous venons d’être témoins et te servir de règle pour l’avenir ! […] Sainte-Beuve un vaillant compagnon , et l’auteur de la lettre que nous achevons de reproduire, un ouvrier littéraire lui aussi, avait raison de conclure en disant : « Ce que vous nous donnez depuis votre maladie, mon cher maître, est d’un bon exemple.

1330. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DES MÉMOIRES DE MIRABEAU ET DE L’ÉTUDE DE M. VICTOR HUGO a ce sujet. » pp. 273-306

La philosophie éclectique de la Restauration avait déjà, malgré ses réserves sur tant de points, proclamé la théorie du succès et de la victoire, c’est-à-dire affirmé que ceux qui réussissent dans les choses humaines, les heureux et les victorieux, ont toujours raison en définitive, raison en droit et devant la Providence qui règle le gouvernement de ce monde. […] Le Saint-Simonisme bientôt alla plus loin dans la théorie des hommes providentiels qui ont toujours raison, en qui l’origine et la fin justifient les moyens, et qui marchent sur la terre et sur les eaux en vertu du droit divin des révélateurs. […] Et le lecteur a raison, et M. […] Ce qui l’a frappé avant tout dans Mirabeau, c’est le contraste de cette jeunesse persécutée, flétrie, verrouillée, et de son merveilleux avénement politique ; c’est le contraste de cette vie si dure de tribune et de combats journaliers avec l’inauguration unanime d’un cercueil : ce qu’il a épousé tout d’abord dans Mirabeau, c’est la question personnelle94 du génie, du génie méconnu, du génie envié et du génie triomphant : « Grands hommes, voulez-vous avoir raison demain ?

1331. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

. — Si les raisons que j’ai apportées déjà ne paraissaient pas suffire à ma justification, ajoute-t-il ensuite, je n’ai plus qu’à me recommander à l’indulgence de mes lecteurs. […] « Ranime, ô mon esprit, tes facultés endormies ; chasse de tes yeux ce sommeil perfide qui leur dérobe la vérité ; réveille-toi enfin, et reconnais combien est vaine, inutile et trompeuse toute action qui n’est pas dirigée par une raison supérieure à nos désirs. […] de quel bonheur nous jouirions si la raison, qui doit régler toutes nos actions, avait eu sur nous plus d’empire ! […] Il serait trop difficile de vous donner des instructions précises sur ce qui regarde votre conduite et vos conversations ; je me bornerai donc à vous recommander d’avoir avec les cardinaux et les autres personnes élevées en dignité le langage du respect et de la déférence, sans néanmoins renoncer à vous servir de votre propre raison, et vous laisser entraîner par les passions des autres, qui peuvent être égarés par des motifs peu estimables. […] « Vous êtes désormais consacré à Dieu et à l’Église, et pour cette raison vous devez constamment aspirer à être un bon ecclésiastique, et montrer que vous préférez l’honneur et l’état de l’Église et du saint-siége apostolique à toute autre considération.

1332. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

Dans un temps où tout le monde se hâtait de confisquer au profit de la théologie cette raison à peine renouvelée et agrandie par la Renaissance, Rabelais la tint comme suspendue et voltigeante au-dessus de tous les débats. […] La raison d’où elles tirent leur origine les reprenait à la philosophie qui n’en avait rien su faire, et à la théologie qui les avait confondues toutes en une seule, la vérité selon la foi. […] Il n’est guère de sujet dans lequel il n’ait vu ou indiqué la vérité qui était à dire ; mais comme si ce peu de sagesse le fatiguait, à peine sa raison commence-t-elle à s’intéresser à son objet, qu’il l’en détourne brusquement et, soit par une malice délibérée, soit par cet emportement qui lui est propre, il étouffe cette lueur sous un amas de folles imaginations. […] La raison de Rabelais a été admirable, mais son humeur a été plus forte que sa raison.

1333. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Son ton s’est singulièrement adouci, et il est près de consentir à ce monde flatteur qui veut décidément l’adopter et l’apprivoiser : J’ai toutes sortes de raisons d’être enchanté de mon voyage de Barèges. […] Le retour de ma santé ; les bontés que j’ai éprouvées de tout le monde ; ce bonheur, si indépendant de tout mérite, mais si commode et si doux, d’inspirer de l’intérêt à tous ceux dont je me suis occupé ; quelques avantages réels et positifs76 ; les espérances les mieux fondées et les plus avouées par la raison la plus sévère ; le bonheur public (on était alors sous le ministère Turgot), et celui de quelques personnes à qui je ne suis ni inconnu ni indifférent ; le souvenir tendre de mes anciens amis ; le charme d’une amitié nouvelle, mais solide, avec un des hommes les plus vertueux du royaume, plein d’esprit, de talent et de simplicité, M.  […] Ailleurs, au nombre des raisons qu’il allègue pour ne plus rien donner au public : C’est parce que je ne voudrais pas, dit-il, faire comme les gens de lettres qui ressemblent à des ânes ruant et se battant devant un râtelier vide. Entre toutes ces raisons qu’il allait chercher si loin pour garder le silence, il disait encore : C’est que s’il y a un homme sur la terre qui ait le droit de vivre pour lui, c’est moi, après les méchancetés qu’on m’a faites à chaque succès que j’ai obtenu. […] Il le répète en vingt endroits : « À ne consulter que la raison, quel est l’homme qui voudrait être père ?

1334. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

La complexité due à l’existence d’un milieu organique intérieur est la seule raison des grandes difficultés que nous rencontrons dans la détermination expérimentale des phénomènes de la vie et dans l’application des moyens capables de la modifier… Si les phénomènes vitaux ont une complexité et une apparente différence de ceux des corps bruts, ils n’offrent cette différence qu’en vertu des conditions déterminées ou déterminables qui leur sont propres7. »‌ Paroles que Zola commente et résume très clairement, de la manière suivante : « … La spontanéité des corps vivants ne s’oppose pas à l’emploi de l’expérimentation. […] C’est dans sa lutte acharnée, héroïque, permanente contre le spiritualisme officiel et l’art issu de lui, qu’il faut chercher sa raison d’être et le sens profond de son œuvre.‌ […] Il a raison, mais il a également tort, si je puis m’exprimer ainsi. […] Invoquant une opinion de Claude Bernard, d’après laquelle la méthode expérimentale exige trois facteurs, le sentiment, la raison et l’expérience, et, citant cette phrase de ce dernier : « C’est un sentiment particulier, un quid proprium qui constitue l’originalité, l’invention ou le génie de chacun », Zola s’écrie : « Voilà donc la part faite au génie, dans le roman expérimental… La méthode n’est qu’un outil ; c’est l’ouvrier, c’est l’idée qu’il apporte qui fait le chef-d’œuvre. » On peut se demander ce que vient faire là ce quid proprium, étant donné le principe de Claude Bernard et celui de Zola, calqué sur le premier ; je trouve ce sentiment particulier absolument incompatible avec la théorie générale de la vie incluse dans la méthode expérimentale. […] La raison en est peut-être, qu’il s’est trop étroitement attaché à la science en perpétuelle évolution ; la servitude qu’il s’est créée l’a certainement appauvri.

1335. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Et la raison principale m’en paraît être que le procédé dont il usa est beaucoup plus de notre temps que de celui où il vécut. […] Fromentin a compris d’intuition que la description trop appuyée n’est pas du grand art, par cette raison qu’elle n’est pas humaine, qu’elle n’est pas vraie. […] Je viens de dire qu’il a raison, parce que notre vision normale n’est point ainsi détaillée. Il a raison encore, parce que la description prolongée suspend l’action et arrête l’émotion, cette petite cloche dont la vibration, plus ou moins forte, doit s’entendre toujours. […] Elle n’a aucune raison de ne pas aimer son mari, et elle est une très honnête femme, qui sait fort bien où est son devoir, et qui n’aura jamais l’idée, et je l’en remercie, de faire des théories pour excuser ses entraînements.

1336. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

— n’avait-elle pas raison de proscrire le Théâtre ? […] Mais les apothéoses ne durent qu’un instant de raison. […] Et de cette vie comme de cette mort voici la raison profonde. […] Pourtant elle est bonne et il a raison de croire en elle. […] Où sont ses raisons profondes ?

1337. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Il a raison. […] Il a eu raison contre ceux qui avaient tort, et aussi contre ceux qui pouvaient avoir raison. […] Je suis sûr d’avance que vous avez raison contre M.  […] — Vous avec raison ! […] … Tu n’accordes rien au cœur, accorde donc à la raison.

1338. (1885) L’Art romantique

Ferrari, le subtil et savant auteur de l’Histoire de la raison d’État. […] N’a-t-il pas un peu raison ? […] Le dandy est blasé, ou il feint de l’être, par politique et raison de caste. […] Tout ce qui est beau et noble est le résultat de la raison et du calcul. […] Il a banni la raison de son cœur, et, par un juste châtiment, la raison refuse de rentrer en lui.

1339. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Il a eu raison. […] En France, nous aimons les choses difficiles, et, à tort ou à raison, cela paraissait difficile et même dangereux pour Granier de Cassagnac d’écrire l’histoire qu’il a entreprise sans trembler. […] Il le rappelle dans une préface qu’il avait le droit et qu’il a eu raison de placer à la tête de son livre. […] est arrivé triomphalement, quoique lentement ; car je suis convaincu qu’il est dans le vrai, et pour une raison plus puissante que toutes les preuves et contre-épreuves philologiques qu’il nous donne : selon moi, il a pour lui le bon sens, ce maître des affaires et des livres ! […] Ce n’est qu’une raison d’amoureux que s’applique sur la conscience Cassagnac, pour satisfaire sa bizarre passion de linguistique, quand il parle de l’influence de l’origine de la langue sur sa destinée et sur son avenir, et qu’il croit possible d’en diriger à volonté l’incoercible génie.

1340. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Shakespeare, ce grand Shakespeare, qu’avec raison, dans ses Héros, Carlyle disait valoir mieux pour l’Angleterre et lui rapporter plus que son empire des Indes, Shakespeare fut, de fait, un autre homme que celui que ce rêveur de Carlyle a inventé avec Shakespeare ! […] pas d’un Shakespeare trouvé plus grand que Dante par l’inintelligible raison que Dante est « le prêtre mélodieux du catholicisme au Moyen Âge, tandis que Shakespeare est le prêtre mélodieux du catholicisme universel, du catholicisme des derniers et de tous les temps ». […] François Hugo a bien raison de parler de famille. […] Il a eu ce procédé pour nous de nous apporter, de cette non-authenticité du Henri VI, des raisons littéraires. […] à ce moment, la Raison apparut comme un ange et chassa de lui le coupable Adam, faisant de sa personne un paradis destiné à contenir et à envelopper des esprits célestes.

1341. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Comment n’auraient-ils pas été les plus intelligents ceux qui avaient eu recours à la raison pour réformer leur vie religieuse ? […] Ce prélat les envoya quérir et tâcha de leur prouver ce dogme pur les meilleures raisons qu’il leur put alléguer. […] Ils ont raison ; mais il faut comprendre que la science pour eux se borne à la connaissance de l’Écriture sainte et des Pères. […] C’est par la soldatesque qu’il veut avoir raison. […] « La Réforme, a-t-on écrit, n’aurait amené aucun trouble dans notre pays, si la noblesse ne s’était pas jointe aux libres esprits, qui cherchaient de nouvelles voies à la raison et a la science. » (H.

1342. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

L’œil de l’intelligence, c’est-à-dire la raison, reçoit de Dieu la lumière du vrai éternel. […] La philosophie contemple le vrai par la raison ; la philologie observe le réel ; c’est la science des faits et des langues. […] — sous le rapport religieux : ne fallait-il pas que l’homme passât par cette religion des sens, pour arriver à celle de la raison, et de celle-ci à la religion de la foi ? […] Admirons la Providence qui permit qu’à une époque où les hommes étaient incapables de discerner le droit, la raison véritable, ils trouvassent dans leur erreur un principe d’ordre et de conduite. […] Au moment où les persécutions égarèrent la raison du malheureux Cuoco, il détruisit un travail fort remarquable, dit-on, sur le système de la Science nouvelle.

1343. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

Enfin, après les revers de 1708 et le calamiteux hiver qui suivit, Louis XIV se décida, par raison d’économie, à ne plus mettre de princes du sang à la tête de ses armées, et Villars fut envoyé pour commander en Flandre, à la frontière la plus exposée. […] Dans ces occasions, je passe dans les rangs, je caresse le soldat, je lui parle de manière à lui faire prendre patience, et j’ai eu la consolation d’en entendre plusieurs dire : Monsieur le maréchal a raison, il faut souffrir quelquefois. […] La retraite des deux ailes, vers deux ou trois heures de l’après-midi, s’était faite régulièrement et sans être inquiétée. « Notre canon, dit l’un des généraux de l’artillerie, tira toujours sur l’ennemi jusqu’au dernier moment de la retraite, et le contint si bien, que les derniers coups qui se tirèrent en cette journée furent des coups de canon. » Le maréchal de Bouflers eut toute raison d’écrire au roi, de son camp de Ruesne, dès le 11 au soir : « Je puis assurer Votre Majesté que jamais malheur n’a été accompagné de plus de gloire. » On lit dans la relation de la bataille qui fut publiée par les alliés (c’est-à-dire les ennemis) : « On ne peut refuser au maréchal de Villars la gloire d’avoir fait ses dispositions et ménagé ses avantages avec autant d’habileté qu’un général pût jamais le faire. » L’honneur de nos armes dans ces contrées, qui était resté comme accablé et gisant sous le coup des défaites d’Oudenarde et de Ramillies, se releva ; les adversaires, les Anglais surtout, avouaient qu’ils avaient, en ce jour, retrouvé les braves Français, les Français d’autrefois, et qu’on voyait bien qu’ils ne demandaient qu’à être bien menés pour être toujours les mêmes. […] Car notez bien une distinction, très essentielle selon moi : si Louis XIV nous paraît avec raison un peu auguste et solennel, il était naturel aussi, il n’était jamais emphatique, il ne visait pas à l’effet.

1344. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Mémoires ou journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guetté. Tomes iii et iv· » pp. 285-303

Les nombreux amis auxquels il lut, cahier par cahier, ces mémoires dont il était si fier, eurent raison d’en féliciter l’auteur, de lui donner des encouragements et des conseils ; de lui recommander « de les continuer dans le plus grand détail qu’il pourrait », de ne rien retrancher « de ce qui peint l’homme dans les moindres circonstances de sa vie », de ne pas trop céder sur ces points au goût simple et un peu nu du trop classique abbé Fleury, lequel en fut d’ailleurs très satisfait. […] Bossuet donne raison à Mécène et à la fable si connue : « Pourvu qu’en somme je vive… » Ce dimanche 7 d’octobre 1703, M. de Meaux a paru fort gai, à son réveil, d’avoir bien dormi toute la nuit, et de joie il lui est échappé cette parole : « Je vois bien que Dieu veut me conserver. » Il a ensuite entendu la messe dans sa chapelle et s’est encore recouché jusqu’à son dîner. […] Cela n’empêche point qu’à quelques jours de là, et sur la demande de l’abbé Bossuet, il ne compose ce mémoire dont nous avons parlé, et qui était destiné dans le principe à servir de matériaux et de notes pour une oraison funèbre ; mais il y met avec raison son amour-propre, et, voyant que les premiers cahiers réussissent auprès de ceux à qui il les lit, il redouble de soin et fait un ouvrage utile et plus agréable qu’on n’était en droit de l’attendre de lui. […] On lava les mains sans façon et comme entre amis : le prélat bénit la table et prit la première place, comme de raison ; M. l’abbé de Chanterac était assis à sa gauche : chacun se plaça sans distinction à mesure qu’il avait lavé.

1345. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — II » pp. 126-147

après y avoir un peu regardé, je crois qu’on se tromperait en raisonnant ainsi, et que le malencontreux traducteur Marolles n’a pas eu cette satisfaction de se sentir utile un seul jour, par la raison toute simple qu’il n’a jamais été lu, et que ses livres n’ont pu obtenir aucun crédit, aucun débit. […] Il a beau se plaindre et gémir, regardez ses portraits, toujours un sourire de satisfaction flotte et surnage et repousse tout soupçon d’amertume : cet homme, quoi qu’il fasse et quoi qu’on fasse, est content de lui, il a bonne opinion de lui, et il augure bien du succès définitif de ses vers, et par une très bonne raison qu’il va nous dire : « Parce que je les aime, et que je suis persuadé de n’avoir jamais rien fait de mieux. » Marolles eut pour adversaire en son temps, et pour juge inexorable un homme auquel il fait allusion fréquemment comme étant alors l’arbitre des réputations et le dispensateur suprême des louanges, Chapelain, si déchu et si rabaissé aujourd’hui. […] Un jour de Pâques, à l’église, comme il allait se mettre à genoux pour communier, M. de Tende se présenta tout à coup devant lui en lui disant : « Monsieur, vous êtes en colère contre moi, et je crois que vous avez raison ; mais voici un temps de miséricorde, et je vous demande pardon. » — « De la manière dont vous le prenez, repartit Marolles, il n’y a pas moyen de vous refuser. […] Le Tourneux, on n’avait jamais trouvé à redire à la traduction du même bréviaire faite autrefois par Marolles ; mais la raison en était simple, c’est que le travail de celui-ci n’avait pas mérité qu’on s’y arrêtât : « Car il faut l’avouer à la honte de ce siècle, disait Arnauld, quand les livres ne sont pas assez bien faits pour exciter la jalousie de certaines gens, ils sont hors d’atteinte à la censure. » De ce côté aussi, avec plus de modération dans les termes, nous rencontrons le même fonds de mésestime.

1346. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

On doit des remerciements à tous ceux qui nous apportent sur quelque partie de l’histoire des informations et des lumières nouvelles : on en doit à ceux même qui nous les apportent à contrecœur et en grondant51 ; à plus forte raison, à ceux qui le font de bonne grâce, dans la seule vue du public et par zèle pour la vérité. […] Il ne craignait pas d’avoir raison à outrance. […] M. le Cardinal (et je pense de même) a une politique plus bourgeoise qui va à la bonne économie, à l’ordre, à la tranquillité ; reste le choix ingénieux des moyens pour ce bonheur, l’activité et la fermeté pour y aller, et malheureusement les hommes n’ont pas tout ; mais, dans ce déficit, on aura toujours raison de préférer les qualités du cœur à celles de l’esprit, et la vertu aux talents, pourvu que la disette des talents n’aille pas à l’imbécillité. […] [NdA] Je le définis ainsi d’après son livre même, qui est déjà un symptôme des temps (1743), et qui parut dans l’intervalle qui sépare le publications de l’abbé de Saint-Pierre du Contrat social de Jean-Jacques ; livre tout logique, tout de raison ou de raisonnement, qui procède par principes et conséquences, ne tient nul compte des faits existants ni des précédents historiques, et pousse l’idée jusqu’à son dernier terme sans faire grâce d’un seul chaînon.

1347. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Nous sommes de bien grossiers personnages, et ce beau monde qui vit de blanc-manger littéraire a bien raison de nous mépriser ; mais enfin, quand nous avons quelque chose à dire, nous le disons autrement, nous appelons les choses par leurs noms. […] Il faut une sorte d’analogie, il faut être différemment semblables pour s’entendre tout à fait, pénétrer dans tous les replis, et acquérir cette parfaite connaissance d’un autre qui découvre entièrement son âme à nos yeux… Il me semble toujours que les âmes se cherchent dans le chaos de ce monde, comme les éléments de même nature qui tendent à se réunir ; elles se touchent, elles sentent qu’elles se sont rencontrées : la confiance s’établit entre elles sans qu’elles puissent souvent assigner une cause valable ; la raison, la réflexion viennent ensuite apposer le sceau de leur approbation à ce traité, et croient avoir tout fait, comme ces ministres subalternes qui s’attribuent les transactions faites entre les maîtres, rien que parce qu’il leur a été permis de placer leur nom au bas. […] comme vous avez raison ! […] ce n’est pas là un salon ; les quelques jeunes femmes qui y passent, avant de se rendre au bal sous l’aile de maris exemplaires, et qui viennent y recevoir comme une absolution provisoire qui, plus tard, opérera, ne me font pas illusion : c’est un cercle religieux, une succursale de l’église, — donnez-lui le nom que vous voudrez, — un vestibule du Paradis, « une maison de charité à l’usage des gens du monde. » Salon français de tous les temps, d’où me reviennent en souvenir tant d’Ombres riantes, tant de blondes têtes et de fronts graves ou de fronts inspirés, passant tour à tour et mariant ensemble tout ce qui est permis à l’humaine sagesse pour charmer les heures, enjouement, audace, raison et folie, — je ne te reconnais plus !

1348. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

Priant Dieu, Monsieur de Montaigne, qu’il vous ait en sa sainte garde. » Montaigne s’honora fort, et avec raison, de cette charge de maire ; il y fut réélu après deux années, en 1583. […] Il leur oppose ses raisons. […] Sans parler des graves raisons qu’il avait d’être absent et éloigné, protection des siens, pillage de sa maison, il ne faisait défaut à l’appel que pour deux ou trois mois au plus, in extremis, pour ainsi dire, et tout à la fin d’une seconde magistrature dont il était quasi dépouillé dès lors, et où un autre, déjà nommé, l’allait remplacer. […] J’entre autant que personne dans l’esprit de ces raisons, et je reconnais même dans cette conduite le véritable Montaigne tel que je me le suis toujours représenté, avec toutes ses qualités de bon esprit, de modération, de prudence, de philosophie et de parfaite sagesse ; à quoi il ne manque que ce qui n’est plus en effet de la philosophie et de la sagesse, ce qui est de la sainte folie, de la flamme et du dévouement.

1349. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

La nature l’avait doué d’une inépuisable gaîté ; voilà ce qu’il faut bien se dire avec lui, sans tant chercher de raisons ni de commentaires. […] Une autre raison qui m’est personnelle m’ôtait d’ailleurs le désir d’être de l’Académie. […] On plaît immanquablement davantage aux hommes, et encore plus aux femmes, en faisant valoir l’esprit ou la raison des autres, qu’en faisant briller le sien ou qu’en montrant son jugement. » Il y revient en plus d’un endroit avec beaucoup de sens et en homme qui sait son monde : « Vous vous plaignez de ce que vous ne savez pas être amusant dans la société. […] Dans sa Correspondance avec le jeune homme, seule partie assez intéressante du volume et qui ne l’est encore que médiocrement, Collé se montre à nous avec la douce manie des vieillards ; il revient sur le passé, sur ses auteurs classiques, sur Horace « le divin moraliste » qu’il cite sans cesse et qu’il a raison d’aimer, mais tort de parodier en de mauvais centons latins ; il voudrait que son jeune financier apprît le grec « à ses heures perdues », ce qui est peu raisonnable.

1350. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

Cette thèse ou cette manière d’entendre et de défendre Marie-Antoinette, outre qu’elle a pour soi la vraisemblance, est plus sûre en même temps, notez-le bien, plus inexpugnable aux yeux de l’avenir et en regard de la démocratie survenante, accessible surtout aux raisons de sentiment et d’humanité, que la gageure un peu hasardée de ces valeureux champions, qui, dans leur préjugé de point d’honneur, semblent prendre pour devise à propos d’elle : Tout ou rien, et qui relèvent le gant en chaque rencontre sans rien concéder. […] Elle avait bien raison, notre sœur de Naples, quand elle disait qu’on la jetait à la mer. […] Tout à coup nous avons eu des raisons de craindre d’être découverts, et nous avons cru prudent de renoncer à nos plaisirs de pensionnaires. […] Il ne devrait y avoir qu’une seule manière de transcrire. — Cette note qui accompagnait mon premier article du Constitutionnel est l’indice d’une bien délicate question que je m’adressais tout bas le plus timidement du monde, et que je faisais taire aussitôt ; mais depuis lors l’authenticité de toutes ces premières lettres a été contestée et combattue par des raisons de diverses sortes, qui semblent décisives.

1351. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Sa mère, qui avait du sang irlandais, était, dit-on, « une femme d’une haute raison, d’une instruction solide et d’une piété éclairée » ; elle mourut quand il n’avait que cinq ans. […] Je sais bien que c’est là de la philosophie humaine, mais tout n’est pas erreur dans la sagesse de l’homme, comme tout n’est pas folie dans sa raison… « Il semble que le jour ne se lève que pour me convaincre de plus en plus de ma parfaite ineptie. […] En obéissant au démon intérieur, il s’efforce donc d’entraîner son frère, de le déraciner de sa Bretagne ; il cherche les raisons les plus émouvantes ; il lui demande si, antérieurement à tout autre engagement, il n’est pas lié envers lui, son enfant d’adoption, son frère à la fois selon le sang et selon l’esprit : « Quand tu es allé t’établir à Saint-Brieuc, n’espérions-nous pas nous y réunir ? […] Il avait ses raisons pour penser et dire, comme il fit dans la suite : « Trop de littérature effémine l’esprit, qui finit par mourir phtisique. » Il n’eut guère jamais que la littérature nécessaire, celle qui lui servait d’arme et d’argument, non pas celle qui est agrément, douceur, oubli, passe-temps et délices.

1352. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

D’ailleurs, la raison trop dure ne fait qu’aigrir celui qui souffre, comme la garde maladroite qui, en tournant l’agonisant dans son lit pour le mettre plus à son aise, ne fait que le torturer. […] Le manque du nécessaire absolu est une chose affreuse, parce que l’inquiétude du lendemain empoisonne le présent. » M*** avait raison, mais cela ne tranche pas la question. […] Celui-ci, s’il peut gagner passablement sa vie par une occupation quelconque, s’apercevra à peine qu’il a changé de condition ; tandis que celui-là, d’un ordre supérieur, regardera comme le plus grand des maux de se voir obligé de renoncer aux facultés de son âme, de faire sa compagnie de manœuvres, dont les idées sont confinées autour du bloc qu’ils scient, ou de passer ses jours, dans l’âge de la raison et de la pensée, à faire répéter des mots aux stupides enfants de son voisin. […] « Ô toi, que je ne connais point ; toi, dont j’ignore et le nom et la demeure, invisible Architecte de cet univers, qui m’as donné un instinct pour te sentir et refusé une raison pour te comprendre, ne serais-tu qu’un être imaginaire, que le songe doré de l’infortune ?

1353. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Sa passion secrète était ingénieuse à fournir au rare bon sens dont il était doué des prétextes, des apparences de raisons nationales ou politiques pour récidiver sans cesse. […] Une réflexion sévère ressort déjà : c’est combien la prudence et la ténacité ont raison, à la longue, du génie et de la force qui abuse d’elle-même. […] Ce fut là une raison sans doute suffisante pour donner l’exclusion à Molière ; mais n’y aurait-il pas eu une autre raison encore ?

1354. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

M. de Bouillé s’étonne avec raison de voir l’honneur ainsi déplacé. […] On ajoute que, dans un sentiment plus élevé, il s’écria à l’instant de la mort : « J’ai été infidèle à mon Dieu, à mon Ordre et à mon Roi : je meurs plein de foi et de repentir39. » On aime à penser qu’en ce moment de suprême équité, un autre nom, une autre infidélité lui serait revenue encore en mémoire, et qu’il se serait dit quelque chose de plus à lui-même s’il avait pu prévoir que, quelques mois après, sa femme, cette modeste, charmante et vertueuse femme dont il a si indignement parlé, et dont tous, excepté lui, ont loué l’inaltérable douceur, la raison calme et soumise, et les manières toutes pleines de timidité et de pudeur, monterait à son tour sur l’échafaud. […] Je garderais le silence sur cette œuvre de ténèbres, si je n’avais des raisons de croire que cette espèce de manuscrit dût être incessamment livré à l’impression. […] La princesse de Poix la comparait à une héroïne de roman anglais, avec d’autant plus de raison que les goûts de Mme de Lauzun avaient devancé l’anglomanie qui commençait à poindre : la langue anglaise lui était familière comme la sienne propre, la littérature de ce pays faisait ses délices. » (Vie de la princesse de Poix, par la vicomtesse de Noailles, 1855, ouvrage tiré à un petit nombre d’exemplaires, p. 19 et 33.)

1355. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

La nature lui avait donné tous les avantages, la taille, le port, la figure, la force, et une ardeur en tous sens que dominaient finalement la raison et la volonté. […] « Buffon vit absolument en philosophe, a dit un judicieux observateur47 ; il est juste sans être généreux, et toute sa conduite est calquée sur la raison. […] Buffon ne voudrait pas réduire l’homme au bonheur stupide des animaux, mais il voudrait l’élever par la raison à un état de félicité supérieure. […] Ce qu’il y a de contestable et de hasardé se rachète par des vues qui sont d’une raison profonde et définitive48.

1356. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Amyot a rendu des services, 1º un service inappréciable à la langue, en la répandant et en la popularisant dans ses meilleurs tours, dans son économie la plus ample et la plus facile, dans sa diction la plus large et la plus sincère, à l’aide de l’intérêt qui s’attachait aux Vies de Plutarque ; 2º il a rendu un service non moindre à la raison et au bon sens public en faisant circuler Plutarque, et ses trésors de vertu antique et de morale, dans toutes les mains, à l’aide d’une langue si claire, si facile, si diffuse, si courante et si riante. […] Mais je doute qu’il ait rien rabattu de son admiration générale pour l’excellent auteur, et, selon moi, il a eu raison. […] Rollin de même a été critiqué en toute sévérité par Gibert, par l’abbé Bellanger, et ces critiques rigoureux ont presque partout raison contre lui, ce qui n’empêche pas Montesquieu d’avoir eu raison à son tour dans sa louange mémorable.

1357. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Raynouard, auteur d’ailleurs fort estimable et d’un grand talent, nous le représente comme un homme froid, impassible ami de la justice, qui n’a aucune raison d’aimer ou de haïr les Templiers, qui tremble devant un inquisiteur et qui ne semble demander que pour la forme aux Templiers un acte de soumission et de respect. […] « Je vais applaudir ce soir vos Templiers, lui dit un matin quelqu’un qui les avait vus sur l’affiche. » — « Vous n’irez pas et vous ne les verrez pas, répliqua-t-il à l’instant : je ne suis pas si sot, et je ne veux pas qu’on me siffle. » Et après cette boutade première comme il en avait, il donna sérieusement ses raisons. […] Voltaire a dit avec autant d’esprit que de raison :        De nos cailloux frottés il sort des étincelles. […] Le Moniteur du 29 novembre 1807, en insérant en entier le discours de Raynouard, semble indiquer que le pouvoir d’alors ne prit pour lui que la louange, et il eut raison.

1358. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

Cela est si vrai quant à la pensée et à la langue, que, lorsque les Mémoires de Retz parurent, une des raisons qu’alléguèrent ou que bégayèrent contre leur authenticité quelques esprits méticuleux, c’était la langue même de ces admirables Mémoires, cette touche vive, familière, supérieure et négligée, qui atteste une main de maître et qui choquait ceux qu’elle ne ravissait jamais. […] En ce qui est de Retz, il y a malheureusement beaucoup de raisons d’induire que chez lui l’aventurier, l’audacieux, le téméraire, comme disait Richelieu, faisaient la partie la plus essentielle et le fond même de sa nature, et qu’ils eussent de tout temps compromis l’homme d’État dont il n’embrassait l’idée que par l’esprit. […] Notez que Retz en peignant explique, et que la raison politique et profonde des choses se glisse dans le trait de son pinceau. […] Irrité des contrariétés qu’il rencontrait à chaque pas dans les délibérations et les résolutions de cette assemblée, le prince de Condé revenait à ses instincts très peu parlementaires et menaçait d’avoir raison de ces bonnets carrés comme de la populace, à main armée et par la force.

1359. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Il s’étonne quelque part que Voltaire ait si mal parlé d’Homère dans un chapitre de son Essai sur les mœurs, où tous les honneurs de l’épopée sont décernés aux modernes : « Si cet arrêt, dit Grimm, eût été prononcé par M. de Fontenelle, on n’en parlerait point ; il aurait été sans conséquence : mais que ce soit M. de Voltaire qui porte ce jugement, c’est une chose réellement inconcevable. » Et il donne ses raisons victorieuses tout à l’avantage de l’antique poète. […] retournez toutes ces propositions si vous voulez lui plaire : ne vous occupez guère de lui, mais ayez l’air de vous en occuper beaucoup ; parlez de lui sans cesse aux autres, même en sa présence, et ne soyez point la dupe de l’humeur qu’il vous en marquera. » Il ajoutait avec raison et ne cessait de redire que, déjà atteint de manie secrète, cette solitude absolue de l’Ermitage achèverait d’échauffer son cerveau et d’égarer son idée : et vers la fin de ce séjour, au moment où les soupçons et les extravagances de Rousseau commençaient à éclater : « Je ne saurais trop le dire, ma tendre amie, écrivait Grimm, le moindre de tous les maux eût été de le laisser partir pour sa patrie il y a deux ans, au lieu de le séquestrer à l’Ermitage. […] Rousseau, tel que nous le connaissons, avait plus d’une raison de lui en vouloir. […] Si vous disiez qu’il ne manque pas une virgule à vos écrits, tout le monde en serait d’accord, mais je parie qu’il y a bien quelques notes de transposées dans vos copies. » — Tout en riant et en parlant, Rousseau rougit, et rougit plus fortement encore quand, à l’examen, il se trouva que Grimm avait raison.

1360. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Doyen » pp. 178-191

Lorsque je dis à Cochin : cette terrasse ne serait pas plus chaude quand Loutherbourg ou quelque autre paysagiste de profession l’aurait faite… il me répond : il est vrai, mais c’est tant pis… ami Cochin, vous pouvez avoir raison, mais je ne vous entends pas. […] Mais savez-vous, mon ami, la raison de cette rage de Greuze, de ce déchaînement de Pierre, contre ce pauvre Doyen ? […] Je crois avoir déjà remarqué dans quelques-uns de mes papiers, où je m’étais proposé de montrer qu’une nation ne pouvait avoir qu’un beau siècle, et que dans ce beau siècle un grand homme n’avait qu’un moment pour naître, que toute belle composition, tout véritable talent en peinture, en sculpture, en architecture, en éloquence, en poésie, supposait un certain tempérament de raison et d’enthousiasme, de jugement et de verve, tempérament rare et momentané, équilibre sans lequel les compositions sont extravagantes ou froides. […] J’abandonne une thèse, faute de mots qui rendent bien mes raisons ; j’ai au fond de mon cœur une chose, et j’en dis une autre.

1361. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Ardente à Dieu, presque mystique, la femme des Horizons prochains n’en est pas moins de cet esprit aérien, mouvementé, épanoui, que le monde adore et qu’il appelle l’esprit du diable, — qu’il a tort de nommer ainsi, mais qu’il a raison d’adorer. […] Mais celle qui l’a écrit n’a pas peur de ce mot, méprisé par la raison. […] … Elle a raison. […] VII C’est une conception du Paradis, en effet, et c’est sa raison suffisante, que ce livre des Horizons célestes.

1362. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Saint-Simon »

Ils dévorèrent tout, mais les manuscrits leur échappèrent… Ils avaient été légués parle noble duc à son cousin, l’évêque de Metz, Saint-Simon comme lui, quand un ordre du Roi Louis XV et contresigné Choiseul confisqua ces manuscrits, comme Papiers d’État, au nom de cette raison d’État qui a le droit de rester mystérieuse et dont elle a souvent abusé. […] il faut chercher et trouver la raison de cela ! […] De ces deux Mémoires, bourrés de faits et de raisons et qui sont des revendications en faveur des traditions et des coutumes qui faisaient le droit public de France, celui sur les bâtards légitimés est incontestablement le plus beau, et on conçoit que, pour nous surtout qui faisons de la littérature, ce soit le plus beau. […] Que ces lois soient justes, le seul bon sens, la seule droite raison l’inculquent.

1363. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Assertions hasardées, systèmes à l’état de dentelles ; on n’invoquerait pas les raisons qui, selon lui, simplifient et éclairent l’histoire, pour se, décider dans la plus vulgaire action de la vie ! […] « Quand l’historien de Jésus-Christ, dit-il, sera aussi libre dans ses appréciations que l’historien de Mahomet et de Bouddha, il ne songera pas à injurier ceux qui ne pensent pas comme lui. » Raison pitoyable ! […] Renan entra aisément, et pour cette raison même, au Journal des débats, et il y est encore, je crois, les jours de grande fête ; de là, il cingla vers l’Institut, et le voilà, non pas sans travaux, puisqu’il chiffonne dans l’érudition allemande, et c’est une terrible besogne, mais rapidement et sans luttes, le voilà regardé comme un critique, un érudit et un écrivain formidable, même par ses ennemis. […] Proudhon est un brutal et même un bestial quand il n’est pas un ironique qui se moque de lui-même et de son lecteur, et qui a raison pour tous les deux !

1364. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

III Ce qui suffirait pour démontrer que le comique est un des plus clairs signes sataniques de l’homme et un des nombreux pépins contenus dans la pomme symbolique, est l’accord unanime des physiologistes du rire sur la raison première de ce monstrueux phénomène. […] Les créations fabuleuses, les êtres dont la raison, la légitimation ne peut pas être tirée du code du sens commun, excitent souvent en nous une hilarité folle, excessive, et qui se traduit en des déchirements et des pâmoisons interminables. […] Il ne faut pas trouver cette idée trop subtile ; ce ne serait pas une raison suffisante pour la repousser. […] Quant au comique des Contes de Voltaire, essentiellement français, il tire toujours sa raison d’être de l’idée de supériorité ; il est tout à fait significatif.

1365. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

La raison de leur succès est la même là-bas qu’ici : ils font tout avec calcul et méthode ; ils raisonnent leur acharnement ; c’est un torrent qu’ils canalisent. […] Quand la tendresse et la haute raison y manquent, l’énergie native se tourne en dureté, en opiniâtreté, en tyrannie inflexible, et le cœur devient une caverne de passions malfaisantes acharnées à rugir et à se déchirer. […] Elle les supplie, elle les implore tous un à un avec toutes les raisons et toutes les prières ; elle s’ingénie à inventer des concessions, elle s’agenouille, elle s’évanouit, elle les fait pleurer. […] » Il ne peut pas trouver une raison, il ne sait que lui dire d’être bonne fille. […] Aussi, pour lire Sterne, faut-il attendre les jours de caprice, de spleen et de pluie, où, à force d’agacement nerveux, on est dégoûté de la raison.

1366. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

On a bien des fois traité cette question en France ; on la traite encore aujourd’hui ; mais personne n’y a porté plus de bon sens, des raisons plus pratiques, des arguments plus palpables. […] On sent qu’il ne croit rien sans raison ; que, si on révoquait en doute l’un des faits qu’il avance ou l’une des vues qu’il propose, on verrait arriver à l’instant une multitude de documents authentiques et un bataillon serré d’arguments convaincants. […] Il a des réponses pour toutes les objections, des éclaircissements pour toutes les obscurités, des raisons pour tous les tribunaux. […] Le poëte ressuscite des âmes, le philosophe ordonne un système, l’orateur reforme des chaînes de raisons ; mais tous trois vont au même but par des voies différentes, et l’orateur comme ses rivaux, et par d’autres moyens que ses rivaux, reproduit dans son œuvre l’unité et la complexité de la vie. […] Voilà quelques-uns des défauts qui ne peuvent manquer de frapper toute personne qui examinera l’Acte de Tolérance d’après ces lois de la raison qui sont les mêmes dans tous les pays et dans tous les âges.

1367. (1904) Zangwill pp. 7-90

Pendant que les démagogues scientistes modernes se congratulent, se décorent, boivent et triomphent dans des banquets, le monde moderne est intérieurement rongé, l’esprit moderne est intérieurement travaillé des contrariétés les plus profondes ; et l’humanité aurait aussi tort de se river à ce que nous nommons aujourd’hui le monde moderne et l’esprit et la science modernes qu’elle a eu raison de ne pas se river aux formes de vie antérieures, aujourd’hui prétendûment dépassées ; dans l’ordre de la connaissance, de l’histoire, de la biographie et du texte, nous sommes en particulier conduits à la singulière contrariété suivante. […] Il est devenu clair, non par des raisons a priori, mais par la discussion même des prétendus témoignages, qu’il n’y a jamais eu, dans les siècles attingibles à l’homme, de révélation ni de fait surnaturel. […] Deuxièmement, et cette deuxième raison, étant une raison de réalité, recouvre et commande la première, qui était une raison de connaissance ; comment l’histoire s’arrêterait-elle, si l’humanité ne s’arrête pas ; à moins de supposer que l’histoire ne serait pas l’histoire de l’humanité ; et c’est en effet bien là que l’on en était arrivé, c’est bien ce que l’on a supposé, au moins implicitement ; on a tant parlé de l’histoire, de l’histoire seule, de l’histoire en général, de l’histoire en elle-même, de l’histoire tout court, on a tant surélevé l’histoire que l’on a quelque peu oublié que ce mot tout seul ne veut rien dire, qu’il y faut un complément de détermination, que l’histoire n’est rien si elle n’est pas l’histoire de quelque événement, que l’histoire en général n’est rien si elle n’est pas l’histoire du monde et de l’humanité. […] La belle antiquité conçut avec raison l’immolation de l’animal destiné à être mangé comme un acte religieux. […] La raison et le langage ne s’appliquent qu’au fini.

1368. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

J’examinerai dans un des chapitres suivants par quelles raisons les Français pouvaient seuls atteindre à cette perfection de goût, de grâce, de finesse et d’observation du cœur humain, qui nous a valu les chefs-d’œuvre de Molière. […] La vie domestique, des idées religieuses assez sévères, des occupations sérieuses, un climat lourd, rendent les Anglais assez susceptibles des maladies d’ennui ; et c’est par cette raison même que les amusements délicats de l’esprit ne leur suffisent pas.

1369. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

La base principale d’un tel lien, l’ascendant du devoir et de la nature, ne peut être anéanti ; mais dès qu’on aime ses enfants avec passion, on a besoin de toute autre chose que de ce qu’ils vous doivent, et l’on courre, dans son sentiment pour eux, les mêmes chances qu’amènent toutes les affections de l’âme : enfin, ce besoin de réciprocité, cette exigence, germe destructeur du seul don céleste fait à l’homme, la faculté d’aimer, cette exigence est plus funeste dans la relation des parents avec les enfants, parce qu’une idée d’autorité s’y mêle, elle est donc par la même raison plus funeste et plus naturelle ; toute l’égalité qui existe dans le sentiment de l’amour suffit à peine pour éloigner de son exigence l’idée d’un droit quelconque ; il semble que celui qui aime le plus, par ce titre seul, porte atteinte à l’indépendance de l’autre ; et combien plus cet inconvénient n’existe-t-il pas dans les rapports des parents avec les enfants ? […] Personne ne sait à l’avance, combien peut être longue l’histoire de chaque journée, si l’on observe la variété des impressions qu’elle produit, et dans ce qu’on appelle avec raison, le ménage, il se rencontre à chaque instant de certaines difficultés qui peuvent détruire pour jamais ce qu’il y avait d’exalté dans le sentiment ; c’est donc de tous les liens celui où il est le moins probable d’obtenir le bonheur romanesque du cœur, il faut pour maintenir la paix dans cette relation une sorte d’empire sur soi-même, de force, de sacrifice, qui rapproche beaucoup plus cette existence des plaisirs de la vertu, que des jouissances de la passion.

1370. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

Cette indifférence est un tort peut-être, et toutes les sciences expérimentales ont pour fin les définitions et les classifications : mais au temps de Buffon on n’en était encore qu’au commencement, et il fallait bien se tenir en garde contre les êtres de raison et les systèmes a priori ; c’étaient les obstacles qui depuis longtemps retardaient le progrès de la vérité. […] Son esprit de savant accoutumé à considérer l’immensité des périodes géologiques et la lenteur des transformations de l’univers n’avait pas la fièvre, l’impatience, les révoltes, les illusions puériles, les faciles espérances qui échauffaient les esprits de ses contemporains : il ne croyait pas aux brusques renversements qui renouvellent le monde, il ne croyait pas surtout toucher de la main l’ère de la raison universelle et du bonheur parfait.

1371. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Pronostics pour l’année 1887. »

À ce moment, l’élite des êtres intelligents, maîtresse des plus importants secrets de la réalité commencera de gouverner le monde par les puissants moyens d’action dont elle disposera, et d’y faire régner, par la terreur, le plus de raison et de bonheur possible. […] Renan se consolera : car « la raison a le temps pour elle, voilà sa force.

1372. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Kahn, Gustave (1859-1936) »

Je comprendrais la raison de cet ostracisme si l’œuvre qu’il avait donnée, au début, n’avait pas répondu à l’opinion qu’on se fit de sa réforme. […] La raison de ce « passer sous silence » vient-elle de ce que ce poète n’a pas, avant d’œuvrer, inscrit son dogmatique catéchisme en bons et dits statuts à l’usage des disciples fidèles et des assimilateurs habiles ?

1373. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre X. Zola embêté par les jeunes » pp. 136-144

Alphonse Daudet, il a tôt raison. […] À coup sûr, il est venu pour de mal avouables raisons ; mais en bonne équité, c’est à ceux qui le firent, non à celui qui en profita, qu’en va la responsabilité.

1374. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 39-51

C’est là qu’il peut dire, avec bien plus de raison, ce que disoit le Fou du Roi Jacques, en s’asséyant sur le Trône de son Maître : Je regne ; c’est là qu’il prononce en Juge souverain sur nos trois Spectacles, qu’il donne des loix aux Poëtes & des leçons aux Comédiens ; c’est là, en un mot, qu’il dispense à son gré les honneurs ou les disgraces littéraires. […] Et, pour passer à des raisons plus graves, que deviendroit la Philosophie, si le Mercure cessoit d’être un entrepôt de louanges destinées à consoler ses partisans, un arsenal d’où il puisse partir une artillerie capable d’effrayer les Rebelles, un bureau d’adresse pour les Lettres, les Réponses, les Répliques, & toutes les honnêtes industries qu’elle sait si habilement employer ; un magasin de gentillesses, d’ironies, d’épigrammes ?

1375. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence du barreau. » pp. 193-204

Mais Guéret, persuadé qu’il avoit raison, enthousiaste comme le sont tous les gens à systême, n’abandonna pas le sien : il alla toujours en avant. […] Par malheur pour l’éloquence du barreau, les sentimens de le Gras & de ses pareils prévalurent sur ceux de la raison.

1376. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

On a vanté, sans doute avec raison, la méthode de nos derniers métaphysiciens. […] Rousseau, s’attachant au fond, et rejetant les formes du culte, montre dans ses écrits la tendresse de la religion avec le mauvais ton du sophiste ; Buffon, par la raison contraire, a la sécheresse de la philosophie, avec les bienséances de la religion.

1377. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

Un mouvement que la raison réprime mal, fait courir bien des personnes après les objets les plus propres à déchirer le coeur. […] La raison d’une prédilection tellement opposée à ses interêts, c’est que les jeux qui laissent une grande part dans l’évenement à l’habileté du joüeur, exigent une contention d’esprit plus suivie : et qu’ils ne tiennent pas l’ame dans une émotion continuelle ainsi que le jeu des landsquenets, la bassette et les autres jeux où les évenemens dépendent entierement du hazard : à ces derniers tous les coups sont décisifs, et chaque évenement fait perdre ou gagner quelque chose.

1378. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « III »

Belle raison ! […] Ils ne sauraient être en trop grand nombre, s’ils sont agréables ; car, les goûts étant différents, on a à choisir. » Nisard lui reproche ces concessions : « Raison spécieuse, dit-il, et qui n’est pas d’un maître de l’art.

1379. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — III »

Voilà des raisons pour négliger ce recueil posthume. Mais ce sont des raisons de première lecture et peu valables.

1380. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Nous verrons que l’intelligence humaine se sent chez elle tant qu’on la laisse parmi les objets inertes, plus spécialement parmi les solides, où notre action trouve son point d’appui et notre industrie ses instruments de travail, que nos concepts ont été formés à l’image des solides, que notre logique est surtout la logique des solides, que, par là même, notre intelligence triomphe dans la géométrie, où se révèle la parenté de la pensée logique avec la matière inerte, et où l’intelligence n’a qu’à suivre son mouvement naturel, après le plus léger contact possible avec l’expérience, pour aller de découverte en découverte avec la certitude que l’expérience marche derrière elle et lui donnera invariablement raison. […] Et l’on aurait raison de le dire, si nous étions de pures intelligences, s’il n’était pas resté, autour de notre pensée conceptuelle et logique, une nébulosité vague, faite de la substance même aux dépens de laquelle s’est formé le noyau lumineux que nous appelons intelligence.

1381. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

Saint-Marc Girardin, lui aussi, à qui d’ordinaire ce mot de passion semble faire peur, ou qui du moins aime à se jouer en en parlant, a compris que c’était là ou jamais le cas de se déclarer, que c’était une passion par raison, tout pour le bon motif et pour l’ordre, pour l’étroite morale et la juste discipline : dans une suite de charmants articles il a pris rang à son tour parmi ceux qui occupent en propre un de ces beaux noms de femmes d’autrefois, qui s’en emparent et portent désormais couleurs et bannière de chevaliers. — Et vous donc qui parlez, me dira quelqu’un, où avez-vous planté votre drapeau ? […] Mme de Sévigné elle-même ne semble-t-elle pas se dédoubler dans ses enfants, donnant sa ferme raison à l’une, à Mme de Grignan, sa grâce d’imagination et toute la folle du logis à l’autre, à l’étourdi chevalier ? […] — Soyez certain, dit-il encore à propos de quelques manèges qu’il voit se pratiquer autour de lui, que cela ne me fera pas prendre un moment d’humeur ; mais je vous avoue que je voudrais que mon caractère pût se prêter à un peu de hauteur, qui, quand elle sera jointe avec de la sagesse et de la raison, fera toujours, je crois, un bon effet ici ; je sens que cette qualité me manque, mais je ne chercherai pourtant pas à affecter de l’avoir, parce que, ne l’ayant pas intérieurement, il serait impossible que je l’affectasse si bien que le naturel ne me trahît souvent ; et je pense, pour cette raison, qu’il ne faut jamais se proposer un système de conduite qui ne s’accorde pas avec le caractère qu’on a ; car, celui-ci venant à démentir le système comme il arrive toujours en ce cas, la conduite d’un homme ne paraît plus qu’une bigarrure tissu d’inégalités, ce qui est, je crois, fort préjudiciable à la réputation, et par conséquent aux affaires. […] Le duc de Nivernais passa quelques mois à voir tous les jours Frédéric et à l’entretenir sur les objets les plus intéressants, à étudier son caractère : car,, pensait-il avec raison, dans les monarchies mixtes et non purement absolues, là où l’organisation de certains conseils est régulière et où l’État se conduit par les vrais principes, on peut saisir les motifs déterminants de la conduite, par la combinaison des circonstances avec l’intérêt de l’État : ainsi, les puissances voisines d’une telle monarchie ont des moyens de direction solides pour traiter avec elle ; mais, dans les pays où le souverain n’a d’autre conseil que lui-même, où ses perceptions non comparées à d’autres perceptions sont la seule occasion et la seule règle des mouvements de l’État, le caractère du prince est le gouvernail de l’État : la politique, l’intérêt fondamental ne sont que ce que l’intuition du prince veut qu’ils soient ; et les puissances voisines d’une telle monarchie ne peuvent traiter avec elle que d’après la connaissance des mouvements intérieurs du monarque, qui seuls impriment le mouvement à toute la machine. […] M. de Nivernais n’a ni la simplicité d’Ésope, ni la naïveté de La Fontaine : mais son style est plein de raison et d’élégance ; on y retrouve le vieillard et l’homme de bonne compagnie 6. » C’est sur cet éloge que nous finirons.

1382. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

C’était une grande raison à tous ceux qui aiment la France pour ne pas vouloir que ce terrible dé fût jeté ; il est en l’air, il ne reste plus à présent qu’à faire des vœux pour qu’il tombe bien. Sans doute l’intérêt bien entendu des coalisés serait encore aujourd’hui même d’accord avec celui de la France et de l’humanité ; mais est-ce une raison pour oser se flatter qu’il sera écouté ? […] Vous dites avec raison qu’on est aussi libre ici que dans une république. […] J’ai dit, quand à Paris la nouvelle de cet affreux débarquement de Bonaparte m’est arrivée : « S’il triomphe, c’en est fait de toute liberté en France ; s’il est battu, c’en est fait de toute indépendance », N’avais-je pas raison ? […] Voilà ma pensée tout entière… Ai-je raison ?

1383. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

On a raison, si c’est ainsi, de se moquer de ce qui est intellectuel, et de trouver incompréhensible tout ce qui n’est pas palpable. […] Il reste bien encore quelques petites difficultés sur l’origine des choses et le but de notre existence, mais on a bien simplifié la question, et la raison conseille de supprimer en nous-mêmes tous les désirs et toutes les espérances que le génie, l’amour et la religion font concevoir ; car l’homme ne serait alors qu’une mécanique de plus dans le grand mécanisme de l’univers : ses facultés ne seraient que des rouages, sa morale un calcul, et son culte le succès. […] La révolution française, ou plutôt la révolution européenne, couvant et éclatant dans le foyer de la France, avait deux buts : un but humain, l’émancipation de la classe la plus nombreuse, ou du peuple, de toute servitude et de toute inégalité aristocratique ; un but surhumain, l’émancipation de la raison et de la conscience de toute religion imposée et de toute servitude religieuse ; le détrônement des castes privilégiées par la loi, et le détrônement des églises d’État ; la loi égale et la foi libre, voilà la révolution. […] C’est un second accès, mais plus radical, de la réforme du seizième siècle, mais au lieu de la réforme ou le protestantisme qui ne fut qu’un schisme dans la politique et dans la foi, c’est une réforme par la raison, c’est-à-dire une rénovation progressive du corps et de l’âme de la société européenne. […] Et que de fois encore du milieu de toutes ces thèses si animées, de tout ce déplacement soudain de raison virile et d’éloquence, je l’avais vue passer vivement à des intérêts privés, les faire valoir avec le même feu, donner à quelque mérite modeste ou disgracié un appui décisif, par ces paroles d’une séduction impérative ou d’une bonté touchante, comme elle en savait dire aux hommes politiques le plus à l’abri de l’émotion !

1384. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

D’Urfé, qui avait au plus neuf ans quand son frère épousa la belle Diane de Châteaumorand, n’était point un Céladon ni un Silvandre blessé d’amour, et il paraît bien que, sa belle-sœur devenue libre, il ne se maria avec elle que par des raisons d’intérêt. […] Enfin, s’il est une vérité reçue dans le monde, c’est que le monde a raison, c’est qu’il fait bien et pense excellemment, mieux que tous les individus qui le composent, et surtout mieux que tous les êtres qui n’en sont pas ou n’en ont pas été : d’où la raison, cette souveraine dominatrice du siècle qui commence, s’étrique, s’amincit, se creuse, et devient le préjugé mondain, qui investit momentanément tous ses caprices et toutes ses ignorances d’un titre d’absolue et universelle vérité ; et voilà surtout ce qui porta grand dommage à la littérature du xviie  siècle. […] « Les yeux, disait-il quelque part, sont les balcons et les portes de l’âme, fidèles témoins, vrais oracles, sûre escorte de la raison timide, et flambeaux ardents de l’obscure intelligence. […] La prise de Rome sera la victoire de la raison sur les sens avec le secours de la grâce. […] La raison en est facile à entendre : la vie pastorale, au sortir du xvie siècle, avait enchanté une génération fatiguée, qui aspirait au repos ; mais on eut bientôt assez du repos, quand les forces revinrent, avec elles la fièvre du mouvement et de l’action.

1385. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Victor Hugo »

La raison, la lucidité, la profondeur, le sang-froid, le désintéressement de soi-même, la possession réfléchie de sa pensée, ont été trop radicalement refusées à Victor Hugo pour qu’il puisse faire jamais de la critique. […] Cette scène, que j’accepterais sans bégueulerie si elle était passée aux flammes de la passion, purificatrices comme le feu, mais que j’accuse de la plus dégoûtante indécence, est surtout impossible par la raison que toute femme assez affolée pour, comme la femme de Putiphar, déchirer le manteau d’un homme, oublie tout, quand la terrible furie de ses sens l’emporte, ne songe point à parler alors, comme un vieux et froid faiseur d’éroticum, d’Amphitrite qui s’est livrée au cyclope, d’Urgèle qui s’est livrée à Bugryx, de Rhodope qui a aimé Phtah (l’homme à la tête de crocodile), de Penthésilée, d’Anne d’Autriche, de madame de Chevreuse, de madame de Longueville, et ne se livre pas, en ce moment décisif et décidé, au plaisir érudit de faire, qu’on me passe le mot ! […] Mais, du temps de Lucrèce Borgia et de Louis-Philippe, nulle raison que la démangeaison seule de l’applaudissement, nulle autre que la mendicité dramatique, pour dauber, comme l’a fait Victor Hugo, dans la Lucrèce de Burchard, de Guichardin, de Sannazar et de Gordon ! […] que de faire parler et agir avec toutes les raisons et toutes les noblesses les soldats de cette Royauté détestée, que Victor Hugo ne déteste peut-être plus… et les soutiens de cette religion bête qu’un homme d’autant de génie que lui, parbleu ! […] Et ce n’est pas seulement un héros dans le sens le plus fier et le plus idéal du mot, mais c’est de plus l’homme d’État qui voit le mieux dans les nécessités du temps, et qui a raison — absolument raison !

1386. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Mais comme elle était en moi véritable et obstinée, il me fallut bien en trouver la raison ; et c’est en cherchant cette raison que j’en suis venue à pénétrer peu à peu jusqu’à ces profondeurs de la vie idéale où nous sentons les harmonies, et non plus les dissonances des choses. […] On fait de lui une sorte de médiateur entre le monde païen et le monde chrétien, entre la raison et la foi. […] La grande raison de Bossuet n’hésite pas à punir des châtiments éternels un Socrate, un Scipion, un Marc-Aurèle. […] Dès sa première enfance, comme le petit Dante, il veut trouver en Dieu la raison de toutes choses. […] que Voltaire avait donc raison de souhaiter aux Allemands plus d’esprit et moins de consonnes !

1387. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

Ce fut le défaut que l’on reprocha avec raison à Diderot, mais ce fut aussi sa vertu capitale. […] Victor Hugo : « c’est de la poésie qui cherche à recouvrer la raison ». […] Sa raison n’en souffrira pas et rien n’est plus sain que son style. […] Que peut contre le sort la raison mutinée ? […] La raison de cette rapide décadence, est que dans ses poésies il n’accorda aucune place à la pensée.

1388. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Quant au peuple proprement dit, inutile d’en parler ; il ne lit pas, pour cette bonne raison qu’on a négligé de lui apprendre à lire. […] Émile Zola151 qui, non sans raison, salue en eux les révélateurs du roman moderne, les précurseurs immédiats du naturalisme, nous verrons M.  […] En dépit des critiques profondes que la raison suscite contre leur œuvre, elle captive par un certain attrait ; elle pénètre par un charme qui ne s’explique qu’imparfaitement. […] L’un a sa cause dans la sensibilité et dans l’imagination ; l’autre procède de la raison et de l’intelligence. […] Sa santé y paraît intacte, sa raison en équilibre.

1389. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

Les sots ont raison. […] Les sots ont raison. […] Qui supplante en nous la raison. […] Et la raison en est bien simple. […] Et comme la raison d’être.

1390. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

comptez-vous, pour rien, Monsieur, le droit de me parler comme vous faites, répondait Lekain. — Lekain avait raison ! tout comme les comédiennes ont raison d’être belles, pimpantes, et parées ! […] Tout se confond dans son rôle, dans sa pensée et dans sa raison. — Ô douleur ! […] c’est une raison de plus pour le mettre à la porte, répond la délicatesse française. […] Casimir Bonjour prend son bien où il le trouve, et il a, ma foi, raison.

1391. (1924) Critiques et romanciers

Comment ne pas aimer cet air de raison, de politesse et de bonté ?  […] Et, sans doute, avec Orphée, l’on a trop facilement raison. […] Seulement, les raisons qu’il avait de n’en vouloir aucune en font une. […] Bourget certes a bien raison. […] Il méprisait l’opinion commune et la traitait comme l’ennemie de son génie et de sa raison.

1392. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Variétés littéraires, morales et historiques, par M. S. de Sacy, de l’Académie française. » pp. 179-194

Il nous donne ingénument ses raisons, raisons d’homme de goût et qui sait les délicatesses du sentiment. […] Il refuse aux amers ironiques et aux grands railleurs modernes une qualité qu’il accorde volontiers aux grands railleurs et aux mélancoliques de l’Antiquité, à Aristophane et à Lucrèce, l’élévation : « Tout écrivain parmi les modernes, s’écrie-t-il, que n’anime pas à un degré quelconque le sentiment chrétien, pourra être un déclamateur ; élevé, il ne le sera jamais. » Cet article de M. de Sacy est un de ceux où il se dessine le mieux et le plus au complet dans l’excellence de sa nature mixte, avec ses velléités, ses aspirations et ses répulsions, ses regrets ou ses désirs, son vœu d’alliance de la raison et de la foi, ses préférences païennes ou classiques, et ses adhésions chrétiennes.

1393. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

.) — Depuis que ceci est écrit, Mme Tastu a de plus en plus persévéré dans cette voie toute de raison et de devoir. […] Mme Émile de Girardin, exprimant ce même passage pénible de la poésie à la prose, a dit : Et la Muse brisa sa [ILLISIBLE] par raison. […] L’âme noble, la raison saine, le goût juste de Mme Tastu, y ont naturellement réussi : on peut voir les petites pièces de vers qu’elle a sensées dans ses excellents ouvrages d’éducation (librairie de Didier).

1394. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LA REVUE EN 1845. » pp. 257-274

L’âme, l’inspiration de toute saine critique, réside dans le sentiment et l’amour de la vérité : entendre dire une chose fausse, entendre louer ou seulement lire un livre sophistique, une œuvre quelconque d’un art factice, cela fait mal et blesse l’esprit sain, comme une fausse note pour une oreille délicate ; cela va même jusqu’à irriter certaines natures chez qui la sensibilité pénètre à point dans la raison et vient comme aiguiser celle-ci en s’y tempérant. […] Il ne se possédait pas, et il en résultait toutes sortes d’inconvénients et de mésaventures ; car ce Dorat, qui ne faisait que des vers muse qués, était, à ce qu’il paraît, tant soit peu capitan et mousquetaire. — « Nous aimons beaucoup M.de La Harpe, disait l’abbé de Boismont à l’Académie, mais c’est désagréable de le voir nous revenir toujours avec l’oreille déchirée. » Dans ces luttes personnelles, même lorsqu’on a d’abord la raison pour soi, l’autorité du critique s’abaisse et périt bientôt avec la dignité de l’homme. […] Lorsque encore on aurait raison sur quelques points, on se perd soi-même par un premier excès, si l’excès sort de certaines bornes.

1395. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

Cependant on m’écrit de province qu’un visiteur, se vantant à table d’avoir contribué à m’y faire venir, en a donné pour raison que j’y serois moins dangereux qu’autre part, et qu’il falloit d’ailleurs tirer de moi tout ce qu’on peut du côté des sciences, puisqu’il seroit contre la prudence de me confier des emplois. […] Quelle raison aurois-je eue de le fuir ? […] Lui-même il a dit avec un mélange de satisfaction et d’humilité qui n’est pas sans grâce : « On se peint, dit-on, dans ses écrits ; cette réflexion serait peut-être trop flatteuse pour moi. » Il a raison ; et pourtant cette règle de juger de l’auteur par ses écrits n’est point injuste, surtout par rapport à lui et à ceux qui, comme lui, joignent une âme tendre et une imagination vive à un caractère faible ; car si notre vie bien souvent laisse trop voir ce que nous sommes devenus, nos écrits nous montrent tels du moins que nous aurions voulu être.

1396. (1875) Premiers lundis. Tome III « Sur le sénatus-consulte »

Ce n’est pas une raison pour moins reconnaître la sagesse de l’empereur. […] » Mais on ne s’en tenait pas là, et il devenait trop clair que, pour une raison ou pour une autre, tout ce qui avait une plume et savait s’en servir d’une manière vive, acérée, spirituelle, venait se ranger dans des cadres opposés, et prenait plus ou moins parti contre vous. […] Car figurez-vous bien, vous qui êtes des sages, une mesure commandée par l’opinion, votée par la Chambre élective, arrivant au Sénat, et le Sénat lui disant non, y opposant son vélo, un véto muet, sans vouloir donner ses raisons.

1397. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre I. Les théories de la Pléiade »

Et ne croit-on pas entendre encore Malherbe, et même Boileau, quand Ronsard défend de sacrifier « la belle invention » et la justesse de l’expression, c’est-à-dire la raison, à la rime ? […] Ce qui lui échappe, et à tous encore, c’est le trait d’union de l’antiquité et de la vérité, le principe qui concilie, réunit l’imitation et l’originalité : ce sera la grande trouvaille du xviie  siècle, et de Boileau, de fonder en raison le culte des anciens. […] Car bien qu’il n’ajoute cela que pour justifier l’emploi de la mythologie, je sens là une erreur générale : Ronsard pose les anciens à côté de la nature, non comme offrant déjà la nature, mais comme égaux à la nature dans les choses même où nous n’y trouvons ni raison ni vérité, où leur nature enfin n’est pas la nôtre.

1398. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Quand on s’en tient aux faciles raisonnements de Locke, quand nos gens qui ne s’effraient guère veulent devant Spinoza, non pas devant la hardiesse, mais devant la profondeur de sa doctrine, et craignent de s’y casser la tête, Diderot, sans façon, sans fracas, s’assimile le dur, le grand système de Leibniz : et il n’y a pas d’autre raison, je le crois bien, qui lui ait donné en France la réputation d’être une tête allemande. […] Si, un beau jour, hors de la vie, nous nous trouvons face à face avec lui, dans son monde, eh bien, Dieu n’est pas assez mauvais diable pour nous en vouloir de l’avoir nié, quand nous n’avions aucune raison de l’affirmer. […] La philosophie de Diderot, dans ses parties caractéristiques, est vraiment une philosophie de la nature : ce qu’il tire de Leibniz, ce sont ces principes de raison suffisante, de moindre action, de continuité, que l’étude scientifique du monde organisé et inorganique suppose et vérifie constamment ; et c’est lui d’abord qui, avant Helvétius, avant d’Holbach, remet l’homme dans la nature, et réduit les sciences morales aux sciences naturelles.

1399. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre V. L’antinomie esthétique » pp. 109-129

La part de l’un n’est-elle pas en raison inverse de la part de l’autre ? […] La raison pour laquelle il existe une assez grande tolérance pour les manifestations esthétiques, c’est sans doute que les questions d’art n’intéressent pas directement le grand public ; c’est qu’elles ne touchent pas aux côtés extérieurs, visibles et tangibles de la vie sociale ni aux intérêts matériels du grand nombre. […] Selon Tolstoï, l’art consiste à « faire passer les conceptions religieuses du domaine de la raison dans celui du sentiment50 ».

1400. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Dernière semaine de Jésus. »

Cette scène, par suite de l’art instinctif qui a présidé à la rédaction des synoptiques, et qui leur fait souvent obéir dans l’agencement du récit à des raisons de convenance ou d’effet, a été placée à la dernière nuit de Jésus, et au moment de son arrestation. […] Juda était présent ; peut-être Jésus, qui avait depuis quelque temps des raisons de se défier de lui, chercha-t-il par ce mot à tirer de ses regards ou de son maintien embarrassé l’aveu de sa faute. […] Jésus fit remarquer que si lui, le maître, avait été au milieu de ses disciples comme leur serviteur, à plus forte raison devaient-ils se subordonner les uns aux autres.

1401. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface du « Roi s’amuse » (1832) »

Le ministre n’avait pas de raison à donner. […] Le pouvoir avait ses raisons cachées, et nous les indiquerons tout à l’heure, pour ameuter contre le Roi s’amuse le plus de préjugés possible. […] À présent que la prétendue immoralité de ce drame est réduite a néant, à présent que tout l’échafaudage des mauvaises et honteuses raisons est la, gisant sous nos pieds, il serait temps de signaler le véritable motif de la mesure, le motif d’antichambre, le motif de cour, le motif secret, le motif qu’on ne dit pas, le motif qu’on n’ose s’avouer à soi-même, le motif qu’on avait si bien caché sous un prétexte.

1402. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre IV. Critique »

Tout en lui a sa raison d’être. […] Et sans compter toutes les autres raisons que nous indiquerons plus loin, quel embarras, pour qui voudrait imiter et copier, que le choix entre ces deux poètes ! […] Fais-lui épeler la vérité, montre-lui la raison, cet alphabet, apprends-lui à lire la vertu, la probité, la générosité, la clémence.

1403. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Nièces de Mazarin » pp. 137-156

Si, plus tard encore, il s’opposa, dans des lettres magnifiques, écrites pour piper l’histoire, au mariage de Louis XIV et de sa nièce Marie, la raison qu’il ne nous a pas dite, et que Renée pénètre, n’est ni l’honneur du roi ni le bien de l’État, mais la peur de voir Marie lui arracher le pouvoir en lui arrachant Louis XIV. — Renée a vu très clair sous ce désintéressement et cette grandeur de carnaval. […] Madame de Maintenon vint comme les années, comme la raison, après la poésie ; comme l’amour chaste après l’amour orageux ! […] Saint-Évremond, cet homme supérieur dont personne ne parle, ce pauvre assassiné par Voltaire et par Montesquieu, qui l’ont outrageusement volé, est jugé avec une fermeté de raison et une justice qu’il faut honorer ; car les injustices littéraires ne valent pas mieux que les autres, et le courage en littérature est aussi une vertu.

1404. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Eugène Fromentin ; Maxime du Camp »

De plus, sous sa forme flottante, familière, épistolaire, peu littéraire par conséquent, il a comme un besoin d’unité vaguement obéi, un essai de secrète ordonnance qui sentie livre combiné, et donne comme une pointe d’unité dramatique à ces récits qui ne se suivent plus pour se suivre, à ces impressions d’ordinaire inconséquentes et sans autre raison d’être que les hasards de son chemin pour le voyageur, et qui tournent ici autour d’une figure et d’un fait central, — la figure et l’épisode d’Haouâ. […] … Il faut au moins de grandes raisons quand on se déshonore… Mais quels avantages trouvent à être de l’Académie des hommes supérieurs par le talent à ce petit groupe dans lequel ils mendient une quarantième place ? […] Mais, pour des raisons bien plus hautes même que son talent, il est immortel, et non pas à la façon d’une Académie.

1405. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

— Oui ; vous n’admettez pas que la raison soit une faculté distincte ; vous attaquez les idées innées ; vous dites qu’une science parfaite n’est qu’une langue bien faite. […] Le sensualiste nie la raison, qui est la faculté de connaître l’absolu. […] » Et il relut les passages suivants : L’harmonie admirable qui règne sur la terre et dans les cieux force la raison à reconnaître une intelligence suprême qui a tout disposé avec une souveraine sagesse.

1406. (1936) Réflexions sur la littérature « 1. Une thèse sur le symbolisme » pp. 7-17

On peut goûter le vers libre déjà réalisé et avec foi dans son avenir ; mais ce goût ne se transmet encore que difficilement à l’oreille commune, et j’avoue que l’on manque de raisons convaincantes pour légitimer cette foi, qui est la mienne. […] Il en donne des raisons bien singulières : « le vers libéré, dit-il, n’a qu’un mérite, celui d’avoir rénové les mètres impairs. […] La syllabe métrique d’une rime féminine est un tout accentuel indivisible, et sa raison d’être c’est qu’elle renforce nécessairement l’accent à la rime, à supposer qu’elle soit réellement et non pas visuellement féminine (et encore, il y a là une question de prononciation dans laquelle je ne puis entrer).

1407. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

Voici la raison du phénomène qui me rend ce jeune feuilletoniste du Pays tour à tour insupportable et sympathique M.  […] Scudo que le morceau inutile dont il parle se trouvait forcément supprimé avant la représentation par l’excellente raison que M.  […] Si par politesse, j’accorde que tous deux aient raison, à un point de vue différent : Verdi, qui a le, sien, ne saurait avoir tort. […] À peine ouvert, le théâtre des Bouffes-Parisiens est déjà populaire, et voilà justement ce qui me donne raison. […] Raison de plus pour que M. 

1408. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

Les criminalistes  italiens de la nouvelle école y voient, à tort ou à raison, des cas d’atavisme. […] Les Tasmaniens ont un terme pour chaque espèce d’arbre, ils n’en ont pas pour arbre en général ; à plus forte raison, pour plante, animal, couleur, etc. […] La raison de ce fait, c’est qu’il n’y a pas de mouvements isolés et qu’un muscle qui se contracte agit sur ses voisins et souvent sur beaucoup d’autres. […] Il est arrivé à tout le monde d’être poursuivi par un air musical ou une phrase insignifiante qui revient obstinément, sans raison valable. […] Nous avons essayé de donner les raisons psychologiques de cette différence.

1409. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Sans doute son frère est un merveilleux jouteur de plume ; nous avons nous-même subi l’éblouissement de son style dans la première jeunesse, à cet âge où l’on reçoit sur parole les admirations et les cultes de famille, et où l’audace du paradoxe passe pour l’intrépidité de la raison. […] Si ce n’était pas la fatalité, que vous répudiez avec raison comme un blasphème, c’était donc un dessein supérieur à l’intelligence humaine ; une force supérieure à l’intelligence humaine, qu’est-ce autre chose que Dieu ? […] Nous lui demandâmes confidentiellement la raison de cette disparition, qui avait contristé un moment la scène. […] « Les raisons les plus fortes m’engagent à croire que, si je pouvais aborder Napoléon, j’aurais des moyens d’adoucir le lion et de le rendre plus traitable à l’égard de la maison de Savoie. […] Je crois que vous m’en dites la raison, sans le savoir, dans la première ligne chiffrée de votre lettre du 15 février, où vous me dites que la mienne est un monument de la plus grande surprise.

1410. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

l’homme, ajoutait-il en élevant ses deux longs bras au niveau de sa belle tête, c’est bien méchant, cela vit de meurtre ; mais l’enfant, c’est bien plus cruel, puisque cela a tous les instincts méchants de l’homme, toutes ses passions féroces sans avoir encore la raison qui les modère, ou les éclaire. […]         Et dites-moi si j’ai raison : Mon miracle d’amour, ma colombe adorée. […] on avait raison, il n’était pas proportionné à notre taille, il était géant, il n’était pas homme ; ce fut son seul défaut. […] Il fut faible, et chercha le salut de sa patrie dans un nom qui représentait la force des soldats, cette raison suprême des peuples à qui la raison manque. […] Il ne voyait plus dans les peuples qu’un troupeau qui veut que la raison s’impose par l’épée, au lieu de se soumettre à la houlette de ses pasteurs.

1411. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

La vraie raison, c’est que je n’étais pas du pays, et que la mode du temps ne m’avait pas plié suffisamment à cet enthousiasme de convention. […] Cette première impression de Paris s’est si profondément gravée dans ma tête que maintenant encore (c’est-à-dire au bout de vingt-trois ans) elle est encore dans mes idées et dans mon imagination, bien que sur beaucoup de points ma raison la combatte et la condamne. […] Quelle raison à donner à un prince bon, mais absolu, que la haine mortelle de sa soi-disant tyrannie ! […] Pour ma part, je n’ai jamais cherché dans l’amitié qu’un épanchement réciproque des faiblesses de l’humanité, où je demande à la raison et à la tendresse de mon ami de corriger chez moi et d’améliorer ce qu’il y trouverait à blâmer, de fortifier, au contraire, et d’élever encore le peu de choses louables par où l’homme peut se rendre utile aux autres, et s’honorer lui-même. […] Ce ne fut pas toutefois sans des appréhensions très vives : on savait la fureur du comte, on connaissait la violence de son caractère, et il fallait bien avouer qu’il ne manquait pas de bonnes raisons en ce moment pour se faire justice à lui-même.

1412. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

La bonne compagnie avait peut-être raison d’applaudir ces jouvenceaux gourmandés par un père respectable et qui se corrigent à ses genoux. […] Ce que nous sommes pour notre figure, à plus forte raison le sommes-nous pour notre caractère. […] On aurait trop raison contre Diderot, si on lui demandait compte des deux modèles de comédie sérieuse qu’il composa d’après sa théorie. […] La première raison des innovations au théâtre, c’est l’ardeur du succès, qui s’accroît à mesure que le désir et la force de le mériter diminuent. […] Il y en a d’ailleurs de l’excellent ; par exemple celui qui donne à une bonne raison l’attrait d’une pensée neuve, et fait pénétrer une pointe où aurait glissé une vérité tout unie.

1413. (1909) De la poésie scientifique

Raisons cependant, dont la logique n’apparut pauvre aux Doumic, Faguet, Ernest-Charles, Brisson, et tant d’autres des Revues de médiocratie pensante, et aux poètes nouveaux-venus ou retardataires appâtés de louanges et de prix, par eux étiquetés, néo-romantiques, néo-Parnassiens et Bucoliques. […] L’on est revenu aux thèmes du Romantisme, à l’anecdote égotiste sentimentale, exprimés par le vers le plus commodément classique dont la mélopée contente si directement l’oreille, élue comme suprême raison par Sully-Prudhomme  qu’il n’est quasi plus nécessaire d’écouter pour entendre : dernier mot du moindre-effort… Et M.  […] D’une âpreté qui ne décèle que plus étonnamment son inadaptation aux idées énergiques qui travaillent le monde, ses raisons, dès la première heure, ont été le sarcasme, l’insulte, la mutilation et l’adultération des idées émises — quand ce n’était pas l’adroit silence. […] La mesure de l’alexandrin est gardée en tant que présence continue de l’unité de mesure… Car la mesure de douze pieds est tenue, par nous, pour nécessaire, organique : elle a son équivalent en toutes métriques premières, anciennes et modernes, L’explication s’en trouve évidemment en une raison physiologique : que ce mètre est la mesure du temps nécessaire à l’expiration du souffle. […] Mais l’on ne prit pas garde antérieurement que deux raisons s’opposent à d’égales divisions, à des intervalles équidistants tels que l’étaient les césures.

1414. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Cet équilibre parfait de l’imagination et de la raison, de l’enthousiasme et de la prudence, de la force d’impulsion et de la force de résistance, de la chaleur d’âme et du sang-froid d’esprit, conserve au génie français cette qualité des qualités, le jugement, sans lequel le génie devient une maladie mentale. […] La première qualité qu’il exige, et avec raison, d’une œuvre de l’esprit et des langues, c’est d’être conforme au bon sens. […] maudit soit celui dont la verve insensée Dans les bornes d’un vers enferma la pensée, Et, donnant à l’esprit une étroite prison, Voulut avec la rime enchaîner la raison ! […] Il ne s’est trompé que sur le Tasse et sur la littérature italienne, dont les vices le choquaient avec raison, mais dont il appréciait trop peu les chefs-d’œuvre. […] On a dit, non sans raison, que le Français n’avait pas la tête épique.

1415. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

Une d’entr’elles que vous connoissez bien, satisfaite ou non de ma raison, me dit, Mr n’insistez pas là-dessus davantage, car vous me feriez croire que j’ai toujours été vieille. […] Pourquoi donc, ajoutez-vous, l’art se tourne-t-il si rarement de ce côté… il y en a bien des raisons, mon ami. […] Je ne scais s’ils ont raison ; mais, après m’être rappellé la nature, je me suis écrié en dépit d’eux et de leur jugement, ô les belles chairs, les beaux piés, les beaux bras, les belles mains. […] Autre raison pour en exagérer davantage les caractères. […] à leur vraie raison ?

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