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32. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre X : De la succession géologique des êtres organisés »

Mais nous n’aurions pas su davantage quelles conditions de vie défavorables en avaient empêché jusqu’alors l’accroissement ; si une seule circonstance ou plusieurs avaient agi ensemble ou séparément ; en quel degré chacune d’elles avait agi et à quelle phase de la vie des individus. […] Rien n’est plus malaisé que d’avoir sans cesse présent à l’esprit, que la multiplication de chaque forme vivante est constamment limitée par des circonstances nuisibles inconnues ; et que ces mêmes circonstances, quelque invisibles qu’elles soient pour nous, sont cependant très suffisantes pour causer d’abord la rareté d’une espèce et finalement son extinction. […] Mais ce n’est pas de leur extinction même que nous pouvons être étonnés ; ce serait plutôt de notre présomption, lorsque nous nous imaginons un seul instant que nous savons quelque chose du concours complexe des circonstances accidentelles dont l’existence des formes vivantes dépend. […] Il ne faut pas oublier que les formes de la vie, au moins celles qui habitent les mers, ont changé presque simultanément dans le monde entier, et par conséquent sous les climats les plus différents et dans les circonstances les plus diverses. […] Les groupes d’espèces s’accroissent lentement en nombre, et se perpétuent pendant des périodes inégales ; car le procédé de modification est nécessairement lent, et dépend d’un concours de circonstances accidentelles et complexes.

33. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 12, qu’un ouvrage nous interesse en deux manieres : comme étant un homme en general, et comme étant un certain homme en particulier » pp. 73-80

En premier lieu il est interessant de lui-même, et parce que ses circonstances sont telles qu’elles doivent toucher les hommes en general. […] Un peintre, et principalement un poëte qui traite un sujet sans interêt, n’en peut vaincre la sterilité, il ne peut jetter du pathetique dans l’action indifferente qu’il imite qu’en deux manieres : ou bien il embellit cette action par des épisodes, ou bien il change les principales circonstances de cette action. […] Si le poëte change les principales circonstances de l’action que nous devons supposer être un évenement generalement connu, son poëme cesse d’être vraisemblable.

34. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Méry »

Méry14 Quand on lit seulement le titre du nouvel ouvrage de Méry, — Constantinople et la mer Noire 15, — on pense tout naturellement à un livre de circonstance, et l’on ne se trompe pas. […] Sa valeur ne tient pas uniquement au temps qu’il fait, aux événements qui grondent sur nos têtes… Il n’y a que Méry pour donner à la glaise, fiévreusement pétrie, d’un livre de circonstance, l’éclat et la solidité d’un livre qui doit rester et durer quand la circonstance ne sera plus, parce que le talent y aura laissé son empreinte et sa signature de rayons.

35. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre V. Des personnages dans les récits et dans les dialogues : invention et développement des caractères »

L’invention consiste ici à trouver ce qu’en telle circonstance un homme de tel caractère doit dire ou faire. Il faut donc se représenter : 1º le caractère ; 2º les circonstances ; 3º l’impulsion que les circonstances doivent donner au caractère. […] Ce que vous avez senti, vous, avec telle nature, dans telles circonstances, comment un autre, différent d’humeur, dans une situation différente, le sentirait-il ?

36. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

Je ne cite cette circonstance que pour donner la mesure de l’autorité que Bonaparte, dès le début de son commandement en chef, avait prise sur ses lieutenants. […] Un officier de la 18e, le capitaine Motte, commandant un fort au débouché du Tyrol, se laisse intimider par les sommations de l’ennemi, lors des premiers succès de Wurmser ; il livre le passage et se rend prisonnier de guerre : Sans cette malheureuse circonstance, le mouvement des Autrichiens eût été retardé de quelques heures. […] Il fait la campagne d’Iéna ; mais des circonstances indépendantes de la volonté des chefs empêchent la division Legrand de donner dans cette guerre autant qu’elle l’aurait voulu. […] Pelleport a soin de faire observer que, dans cette circonstance, il n’avait agi que comme tout officier eût fait en sa place : L’armée était pure, et les sentiments de l’honneur nous régissaient tous… Je sais, ajoute-t-il, que de graves accusations ont été portées, vers la fin de l’Empire, contre certains hommes. […] J’ai toujours la consolation d’avoir rempli, en cette circonstance, mon devoir en chef de famille responsable, devant Dieu et l’empereur, de la vie de mes soldats.

37. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

La condamnation de ces deux derniers, anciens généraux de brigade sous la République, et depuis longtemps rentrés dans l’ordre civil, présente des circonstances d’animosité féroce que l’historien, s’il ne se replonge dans les passions du temps, a peine à s’expliquer. […] Il n’est pas moins vrai que d’autres plus calmes, plus purement politiques, étaient obligés de conformer leur langage au ton que commandaient les circonstances, et de faire aux passions déchaînées quelques concessions apparentes, ou même réelles, pour tenter de les désarmer et de les réduire. […] Fiévée, justifiant cette Chambre de 1815, a prétendu qu’après les événements antérieurs qui avaient brisé, trituré ou détrempé tant de caractères, s’il restait quelques espérances de talents applicables aux circonstances dans lesquelles on se trouvait au second retour de Louis XVIII, « ce ne pouvait être que parmi les royalistes qui avaient vécu, disait-il, hors du tourbillon qui entraînait l’Europe, réfléchissant sur l’inconstance des événements, en recherchant les causes, comparant le passé à ce qu’ils voyaient, faisant la part des hommes et des choses, et trouvant dans des pensées toujours refoulées un exercice qui doublait leurs forces : « J’ai toujours cru et je crois encore, écrivait-il en 1819, que la Chambre de 1815 offrait plusieurs hommes de cette trempe. […] Dès la première séance (7 octobre), après le discours fort sage de Louis XVIII, M. de Vaublanc, faisant l’appel des députés, prit sur lui d’omettre le nom de Fouché, duc d’Otrante, nommé à Melun ; et comme quelques personnes lui témoignaient leur étonnement de cette omission arbitraire, il répondit : « qu’il devait éviter tout ce qui pouvait amener des scènes violentes dans la Chambre ; que le seul nom prononcé aurait produit ces mouvements malgré la présence du roi, et qu’il avait rempli son devoir en ne le prononçant pas. » On put entrevoir les dispositions de la nouvelle Chambre à cette circonstance encore que, pendant l’appel, un député du Midi, M.  […] Autre circonstance significative, qui indique bien le degré thermométrique de cette Chambre : M. 

38. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Il n’est pas douteux pourtant que, quoi que l’homme veuille faire, penser ou écrire (puisqu’il s’agit ici de littérature), il dépend d’une manière plus ou moins prochaine de la race dont il est issu et qui lui a donné son fonds de nature ; qu’il ne dépend pas moins du milieu de société et de civilisation où il s’est nourri et formé, et aussi du moment ou des circonstances et des événements fortuits qui surviennent journellement dans le cours de la vie. […] Lamennais, le fougueux, le personnel, l’obstiné, celui qui croyait que la volonté de l’individu suffît à tout, ne pouvait s’empêcher à certain jour d’écrire : « Plus je vais, plus je m’émerveille de voir à quel point les opinions qui ont en nous les plus profondes racines dépendent du temps où nous avons vécu, de la société où nous sommes nés, et de mille circonstances également passagères. […] Tout compte fait, toute part faite aux éléments généraux ou particuliers et aux circonstances, il reste encore assez de place et d’espace autour des hommes de talent pour qu’ils aient toute liberté de se mouvoir et de se retourner. […] Il en est ainsi d’un bout à l’autre de l’histoire ; chaque siècle, avec des circonstances qui lui sont propres, produit des sentiments et des beautés qui lui sont propres ; et à mesure que la race humaine avance, elle laisse derrière elle des formes de société et des sortes de perfection qu’elle ne rencontre plus. […] Pardon, dirai-je à l’auteur, votre conclusion est excessive, ou du moins elle ne dit pas tout ; critique, vous avez raison dans ces éloges si bien déduits et motivés, tirés des circonstances générales de la société à ses divers moments ; mais vous avez tort, selon moi, de ne voir absolument, dans les délicatesses que vous admirez et que vous semblez si bien goûter, qu’un résultat et un produit de ces circonstances.

39. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » p. 444

Le Poëme de Philotanusn’eut de succès que par les circonstances, & de succès que par les circonstances, & parce que la malignité humaine est toujours avide de ce qui la flatte.

40. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre premier. De l’invention dans les sujets particuliers »

Il faut trouver ce qui convient à la circonstance particulière, au sujet limité. […] Si relatif, si particulier qu’il soit, description, portrait ou fait historique, quelles que soient les circonstances de lieu, de temps et de personne qui le limitent, il y a toujours au fond quelque intérêt universel. […] Dégageant des circonstances particulières la thèse générale, il n’a pas examiné la question historique et la situation de Rome.

41. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — II. (Suite.) » pp. 147-161

Bien que le détail de cette action, qui de sa nature est secrète, échappe nécessairement, il est possible encore aujourd’hui de suivre dans la conduite du président une certaine ligne générale, et d’expliquer les circonstances même où il sembla s’en écarter. […] Villeroi, en ses sages Mémoires, paraît en douter ; il n’attribue ce sentiment qu’à un petit nombre, et se montre disposé à croire que Paris, en cette circonstance, soutint et supporta ce siège désespéré comme on l’a vu depuis supporter bien des choses extrêmes, par timidité, sous l’influence et la domination d’un petit nombre, comme on l’a vu, par exemple, en 1793, supporter la Terreur. […] Sully, qui aime assez peu ces deux personnages (car il aime peu de gens), et qui leur garde un fonds de rancune de royaliste contre ligueur, les soupçonne à tort et injustement en une circonstance particulière. […] Il y avait d’autres circonstances (on vient de le voir) où Villeroi, en temporisant, attendait de la part d’autrui des retours de raison et de sagesse. […] D’après son curieux récit, il paraîtrait que le président, en sachant gré au roi de la marque de confiance dont il était l’objet, imputait à la jalousie de Sully, et au désir que celui-ci avait de l’éloigner, le choix qu’on faisait de lui dans des circonstances aussi difficiles.

42. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Dernière semaine de Jésus. »

Un petit événement, comme l’entrée d’un étranger quelque peu célèbre, ou l’arrivée d’une bande de provinciaux, ou un mouvement du peuple aux avenues de la ville, ne pouvait manquer, dans les circonstances ordinaires, d’être vite ébruité. […] Jean, si préoccupé des idées eucharistiques 1081, qui raconte le dernier repas avec tant de prolixité, qui y rattache tant de circonstances et tant de discours 1082 ; Jean qui, seul parmi les narrateurs évangéliques, a ici la valeur d’un témoin oculaire, ne connaît pas ce récit. […] Sans doute Jésus, dans quelques circonstances, l’avait pratiqué pour donner à ses disciples une leçon d’humilité fraternelle. […] On comprend que le ton exalté de Jean et sa préoccupation exclusive du rôle divin de Jésus aient effacé du récit les circonstances de faiblesse naturelle racontées par les synoptiques. […] Cela se comprendrait d’autant moins que Jean met une sorte d’affectation à relever les circonstances qui lui sont personnelles ou dont il a été le seul témoin (XIII, 23 et suiv. ; XVIII, 15 et suiv. ; XIX, 26 et suiv., 35 ; XX, 2 et suiv. ; XXI, 20 et suiv.).

43. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Journal de la campagne de Russie en 1812, par M. de Fezensac, lieutenant général. (1849.) » pp. 260-274

Cette revue fut aussi belle que les circonstances le permettaient. […] Le maréchal, « doué de ce talent d’homme de guerre qui apprend à tirer parti des moindres circonstances », remarqua dans la plaine une ligne de glace et la fit casser pour voir le sens du courant, pensant bien que ce devait être un ruisseau qui allait au Dniepr. […] Tel qui avait été un héros sur le champ de bataille paraissait alors inquiet et troublé, tant il est vrai que les circonstances du danger effraient souvent plus que le danger lui-même. […] On a quelquefois rappelé à cette occasion la retraite des Dix Mille ; mais il n’y a nul rapport ni dans les proportions, ni pour les circonstances et les résultats, entre l’héroïque et ingénieuse retraite conduite et consacrée par le génie de Xénophon, et l’immense catastrophe où s’engloutit la plus grande armée moderne. […] Quant à ce qui est des services réels en cette campagne, le maréchal Ney écrivait de Berlin, le 23 janvier 1813, au ministre de la Guerre, beau-père de M. de Fezensac : « Ce jeune homme s’est trouvé dans des circonstances fort critiques, et s’y est toujours montré supérieur.

44. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Plusieurs causes concoururent à maintenir cette prospérité extraordinaire, que diverses circonstances favorables avaient produite ; mais on s’accorde généralement à l’attribuer en grande partie au génie actif et aux vertus de Laurent de Médicis. […] Cette faveur, si importante par elle-même, le devient plus encore par les circonstances qui l’ont accompagnée, et particulièrement par la considération de votre jeunesse et de notre situation dans le monde. […] C’est en les imitant que vous vous ferez connaître et estimer à mesure que votre âge et les circonstances particulières de votre vie vous feront distinguer davantage entre vos collègues. […] Quant à vos opinions dans le consistoire, je crois qu’il sera plus convenable et plus louable de vous en rapporter, dans toutes les circonstances, aux sentiments et à l’avis de Sa Sainteté, alléguant votre jeunesse et votre inexpérience, qui a besoin d’être guidée par sa prudence et sa profonde sagesse. Probablement on vous priera, dans bien des circonstances, de parler à Sa Sainteté et d’intercéder auprès d’elle pour des affaires particulières.

45. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Milton »

Il reste donc, ce livre, dans les circonstances extérieures de la publicité, absolument sans raison d’être. […] Mais, cette originalité est à peu près chez tous menacée par beaucoup de choses mortelles : l’éducation, l’imitation, les préjugés, les circonstances, la recherche et la vanité du succès, les passions, qui ne sont pas toutes dans le sens du développement de nos facultés, que sais-je encore ? […] Et pourtant ce n’étaient là encore que les circonstances extérieures de sa vie, ce n’était là que le milieu, comme on dit maintenant, dans lequel l’âme plonge, prétendent-ils, comme une racine dans la terre. […] à ces circonstances extérieures, Milton joignit sa volonté.

46. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

J’ai été le témoin confidentiel, dans des circonstances difficiles, de la mesure, de la sagesse, de l’équilibre de son gouvernement et de l’impassibilité de son courage. […] « Une circonstance douloureuse m’éloigna d’Urbino quatre ans après, avant d’y avoir fini mes études », dit-il. « Mon second frère, Jacques-Dominique, y contracta une horrible maladie. […] Mais une circonstance accidentelle ne lui permit pas de réaliser son projet. […] Je me flatte de n’avoir pas failli à ma parole dans les circonstances où j’ai pu le faire. […] Cette circonstance nous fournit la plus opportune occasion de nous servir de lui pour faire naître dans l’esprit du cardinal chef de ce parti les idées que nous venons d’expliquer tout à l’heure.

47. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Laurent (de l’Ardèche) : Réputation de l’histoire de France de l’abbé de Montgaillard  »

Thiers, dit-il, écrivait ceci au sein d’une paix profonde, et loin des circonstances qui entraînèrent des hommes non moins sensibles que lui à suivre un drapeau ensanglanté, qu’ils regardaient comme celui de l’indépendance de la liberté du pays. S’il eût vécu au milieu de ces circonstances, et s’il eût compris aussi bien qu’aujoud’hui quel devait être le parti libérateur pour la Révolution, il est présumable que son âme, ouverte inévitablement aux impressions de l’atmosphère de ces temps orageux, se serait mise au niveau de sa tête. […] Mais non : les hommes ne manquent jamais aux circonstances.

48. (1874) Premiers lundis. Tome II « Deux préfaces »

Quand on étudie quelque grand écrivain ou poète mort, La Bruyère, Racine, Molière, par exemple, on est bien plus à l’aise, je le sens, pour dire sa pensée, pour asseoir son jugement sur l’œuvre ; mais le rapport de l’œuvre à la personne même, au caractère, aux circonstances particulières, est-il aussi facile à saisir ? […] Tout en croyant d’ailleurs autant que personne au génie et aux œuvres dominantes, tout en m’incinant devant les monuments que consacre la gloire, je ne suis pas de ceux qui ne s’inquiètent que du grand ; et les hommes, les œuvres secondaires m’intéressent singulièrement en bien des circonstances. […] Bien qu’écrits dans le but d’être rassemblés, ces morceaux qui ont paru successivement, gardent trace, en plus d’un endroit, de circonstances et de dispositions qui se sont modifiées et ils offrent ainsi de légers désaccords.

49. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Comment donc forcer l’esprit humain à rétrograder, et lors même qu’on aurait obtenu ce triste succès, comment prévenir toutes les circonstances qui pourront donner aux facultés morales une impulsion nouvelle ? […] Les mots les plus remarquables, les discours les plus éclatants ont été prononcés à la veille des batailles, au milieu de leurs dangers, dans ces circonstances périlleuses qui élèvent l’homme courageux et développent en lui toutes ses facultés à la fois. […] Ces vérités sont un mobile d’émulation indépendant des circonstances, un but qui console des revers, et ne soumet pas le bonheur au succès. […] Il n’est pas vrai non plus que la morale existe d’une manière plus stable parmi les hommes peu éclairés ; il suffit de la probité sans des talents supérieurs, pour se diriger dans les circonstances ordinaires de la vie ; mais dans les places éminentes, les lumières véritables sont la meilleure garantie de la morale.

50. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Introduction, où l’on traite principalement des sources de cette histoire. »

Geiger, que la vraie notion des circonstances où se produisit Jésus doit être cherchée dans cette compilation bizarre, où tant de précieux renseignements sont mêlés à la plus insignifiante scolastique. […] À chaque page se trahit l’intention de fortifier son autorité, de montrer qu’il a été le préféré de Jésus 40, que dans toutes les circonstances solennelles (à la Cène, au Calvaire, au tombeau) il a tenu la première place. […] De là sa perpétuelle attention à rappeler qu’il est le dernier survivant des témoins oculaires 46, et le plaisir qu’il prend à raconter des circonstances que lui seul pouvait connaître. […] J’ajoute que, dans mon opinion, cette école savait mieux les circonstances extérieures de la vie du fondateur que le groupe dont les souvenirs ont constitué les évangiles synoptiques. […] L’évangile de Marc est bien plus ferme, plus précis, moins chargé de circonstances tardivement insérées.

51. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV, publiés par MM. L. Dussieux et E. Soulié. » pp. 369-384

Sachons donc gré à l’auteur des présents mémoires d’avoir rempli son dessein, même au prix de tant de détails qui sont de pure étiquette, de nous avoir tenus au courant de tous les pas et démarches du roi, de la reine, du principal ministre, de livrer ces faits tout secs et nus à notre critique, à nos réflexions : à voir le soin et le scrupule de ponctualité qu’apporte dans les moindres circonstances de son narré le noble chroniqueur, je suis tenté de l’appeler (toute proportion gardée) le Tillemont de la Cour. […] Causant avec un homme de la vieille Cour, M. de Luynes, qui aimait ainsi à interroger chacun sur son coin d’histoire, tirait de lui cette jolie anecdote : Du temps du feu roi, toutes les petites circonstances par où on pouvait lui faire sa cour étaient des grâces importantes. […] Parmi les historiettes rétrospectives qui se glissent dans les nouvelles courantes et dans le menu du jour, il en est une des plus piquantes sur Colbert ; mais comme, ici, M. de Luynes ne la tient que de seconde ou de troisième main, il y aurait à vérifier si tout ce récit concorde en effet avec les circonstances auxquelles il se rattache : tel qu’il est, je le livre à l’exacte critique de l’historien de Colbert, M.  […] Le cardinal rougit et se tut. — Une autre fois, pendant un voyage à Compiègne (juin-juillet 1739), une petite circonstance paraît digne de remarque au duc de Luynes ; c’est encore une légère velléité d’indépendance : M. le cardinal de Fleury était dans l’usage d’entrer dans les cabinets du roi par une porte de derrière dont il avait la clef. […] Mme de Vintimille, liguée avec Mme de Mailly, ne s’était jamais senti de force à faire ce coup d’État dans l’âme du roi, et un jour qu’en une circonstance critique Mme de Mailly et elle avaient essayé de lutter directement contre l’influence du cardinal, au moment même de réussir sur l’objet en question, elles virent en définitive qu’il fallait céder, et Mme de Vintimille dit fort sensément à sa sœur : « Nous pourrions peut-être l’emporter aujourd’hui sur le cardinal, mais il est absolument nécessaire au roi, et nous serions renvoyées dans trois jours. » Mme de La Tournelle tenta hardiment l’aventure : l’eût-elle emporté si le cardinal eût vécu ?

52. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Ne semble-t-il pas alors que jamais écrivain ne fut placé dans une position plus heureuse, sous le rapport de l’indépendance, puisque je ne tiens mes opinions ni des hommes, ni des choses, ni de ma position dans le monde, ni d’un sentiment personnel et intéressé qui me fasse aimer ou craindre les circonstances actuelles, chérir ou redouter les souvenirs anciens ? […] Dans de telles circonstances on est donc, jusqu’à un certain point, en droit d’exiger d’un écrivain le tact même de l’avenir ; car nous ne sommes plus au temps des théories consacrées par l’expérience, et des doctrines revêtues de l’autorité imposante des traditions : toutes nos destinées se sont en quelque sorte réfugiées dans le nuage de l’avenir. […] Maintenant que des siècles nous séparent, en quelque sorte, de ces circonstances malheureuses, comparez Louis XVI à Bonaparte, et vous verrez que ce fut Louis XVI qui eut les véritables insignes du législateur. […] Le roi est un homme sorti du milieu de la multitude, par le jeu incertain des circonstances, pour maintenir un ordre voulu par tous, pour faire exécuter des lois auxquelles tous ont participé. […] Des mariages opérés par la force, le partage des emplois et des dignités entre les hommes les plus considérables des deux peuples, la division même d’une partie des propriétés, rien n’avait pu encore effacer la distinction de Romains et de Sabins : mais ce que n’avaient pu faire des circonstances si propres à confondre les intérêts divers et les prétentions opposées, la haute sagesse de Numa le fit.

53. (1818) Essai sur les institutions sociales « Avertissement de la première édition imprimée en 1818 » pp. 15-16

Sans doute il n’eût pas été difficile de l’adapter tout à fait au moment actuel, soit en y faisant un petit nombre de changements, soit en y introduisant quelques notes ; mais ce qu’il aurait pu gagner ainsi par plus d’à-propos relativement aux circonstances, il l’aurait certainement perdu en unité de dessin, en ensemble de physionomie et de caractère. La pensée générale aurait couru le risque d’être brisée par un travail qui eût été fastidieux pour l’auteur, parce que rien ne fatigue plus que de revenir sur ses propres idées, et qui eût été en même temps sans aucune utilité, parce que le lecteur saura bien faire lui-même l’appréciation des circonstances et des conjonctures nouvelles.

54. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Tout cela soutenu d’une variété de circonstances, qui en servant à l’unité, ne la laissent pas dégenerer en repétition et en ennui. […] Ce ne sont pas les mêmes circonstances pour Romulus. […] Que devoit-il faire dans les circonstances où il se trouve ? […] Je regarde encore comme une circonstance heureuse de l’arrangement de ma piece, d’avoir pû m’y passer de confidens. […] Ces premieres vûës m’ont amené d’autres circonstances.

55. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

On peut considérer un individu comme exempt de passions, mais une collection d’hommes est composée d’un nombre certain de caractères de tous les genres qui donnent un résultat à peu près pareil ; il faut observer que les circonstances les plus dépendantes du hasard, sont soumises à un calcul positif quand les chances se multiplient. […] Dans l’étude de certains États, qui par leurs circonstances, encore plus que par leur petitesse, sont dans l’impossibilité de jouer un grand rôle au-dehors, et n’offrent point au-dedans de place qui puisse contenter l’ambition et le génie, il faudrait observer comment l’homme tend à l’exercice de ses facultés, comment il veut agrandir l’espace en proportion de ses forces. […] Dans cet ouvrage donc que je ferai, ou que je voudrais qu’on fit, il faudrait mettre absolument de côté tout ce qui tient à l’esprit de parti ou aux circonstances actuelles, la superstition de la royauté, la juste horreur qu’inspirent les crimes dont nous avons été les témoins, l’enthousiasme même de la république, ce sentiment qui dans sa pureté est le plus élevé que l’homme puisse concevoir. […] En examinant la vérité, séparément des hommes et des temps, on arrive à une démonstration, qui se reporte ensuite avec moins de peine sur les circonstances présentes. […] L’homme qui se vouerait à la poursuite de la félicité parfaite, serait le plus infortuné des êtres ; la nation qui n’aurait en vue que d’obtenir le dernier terme abstrait de la liberté métaphysique, serait la nation la plus misérable ; les législateurs doivent donc compter et diriger les circonstances, et les individus chercher à s’en rendre indépendants ; les gouvernements doivent tendre au bonheur réel de tous, et les moralistes doivent apprendre aux individus à se passer de bonheur.

56. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Une petite circonstance omise ou mal présentée décèle la maladresse du poète, et affaiblit l’intérêt. […] Il y a donc un choix à faire ; et ce choix commence par écarter les circonstances frivoles, petites et puériles. […] La seconde règle est de préférer, dans le choix des circonstances, celles qui sont principales. […] Pendant qu’on passe en revue une longue file de circonstances, le feu se ralentit nécessairement, et l’impression qu’on veut faire sur l’auditeur languit en même temps. […] Les circonstances doivent s’y précipiter les unes sur les autres ; chacune doit être présentée avec le moins de mots qu’il est possible.

57. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

Je déteste la vie, qui m’est odieuse, et je serais trop heureuse de finir une carrière dont je suis déjà fatiguée, depuis dix ans, par les circonstances terribles dont nous avons été témoins ; mais je la supportais, ayant avec moi un être sublime qui me donnait du courage. […] , ne m’a pas donné un moment de chagrin, que celui que les circonstances nous ont procuré à l’un et à l’autre. […] Imaginez-vous que, depuis dix ans, je ne l’avais plus quitté, que nous passions nos journées ensemble : j’étais à côté de lui quand il travaillait, je l’exhortais à ne pas tant se fatiguer, mais c’était en vain : son ardeur pour l’étude et le travail augmentait tous les jours, et il cherchait à oublier les circonstances des temps en s’occupant continuellement. […] Les vrais moralistes sont ceux qui voient les choses comme elles sont et qui tiennent compte des circonstances sociales ou des exceptions personnelles. […] Et quand les choses se sont ainsi passées d’une manière presque semblable, dans des circonstances analogues, c’est qu’il y avait raison, c’est qu’il y a excuse pour qu’il en soit ainsi.

58. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Les émotions de l’âme ont donc une cause durable qui subit peu de changements par les événements politiques, tandis qu’à plusieurs égards la gaieté est dépendante des circonstances. […] La littérature des pays libres a été, comme je l’ai dit, rarement célèbre en bonnes comédies, la facilité de réussir par des allusions aux circonstances du moment, et le sérieux des grands intérêts politiques, ont également nui tour à tour, chez divers peuples, à l’art de la comédie. […] Déjà même l’homme a trop souffert comme homme pour que les dignités, le pouvoir, les circonstances enfin qui sont particulières à quelques destinées seulement, ajoutent beaucoup à l’émotion causée par le malheur. […] Les circonstances de la vie privée suffisent à l’effet du drame, tandis qu’il faut, en général, que les intérêts des nations soient compromis dans un événement, pour qu’il puisse devenir le sujet d’une tragédie. […] Le théâtre est la vie noble ; mais il doit être la vie ; et si la circonstance la plus vulgaire sert de contraste à de grands effets, il faut employer assez de talent à la faire admettre, pour reculer les bornes de l’art sans choquer le goût.

59. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 13, de la saltation ou de l’art du geste, appellé par quelques auteurs la musique hypocritique » pp. 211-233

Quelque peu sensé que fut élagabale, il ne dansoit point à notre maniere dans les circonstances où Dion dit que cet empereur dansoit. […] On peut voir encore dans l’oraison de Ciceron pour Murena, à qui Caton avoit reproché d’être un danseur, que l’usage de la saltation n’étoit toleré dans les hommes graves, qu’à la faveur de bien des circonstances. […] Mais le geste naturel ne suffit pas même alors pour donner à connoître les circonstances de cette affection. […] Le geste des peuples qui sont à notre midi étant plus marqué que le nôtre, il est beaucoup plus facile de comprendre son langage quand on le voit sans rien entendre, qu’il ne l’est de concevoir en une pareille circonstance, ce que notre geste signifie.

60. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXX. Saint Anselme de Cantorbéry »

c’est moins l’auteur et la force de son esprit qui créent le succès que les circonstances. S’il est vrai, comme le disait Napoléon, que les hommes, grands ou petits, sont fils des circonstances, le mot est encore plus vrai des idées… Flèches lourdes ou légères, aiguës ou émoussées, le vent qui les pousse, l’air qu’elles traversent, le point d’où elles sont ajustées, font plus pour elles que la corde de l’arc qui les chassa ou la main qui les a lancées. […] Et si cela est d’une manière absolue, si les circonstances ont sur le sort des livres, une influence plus grande que le talent qu’ils attestent, on peut assurer qu’à l’heure présente, M. de Rémusat est placé dans la situation la plus favorable au rayonnement de tout ce qu’il publie, que ce qu’il publie soit, d’ailleurs, vrai ou faux, médiocre ou supérieur. […] Il est même à penser que sans cette circonstance de vaincu, qui touche la chevalerie française, la Critique, trop spirituelle pour ne pas vouloir être populaire, aurait passé bien vite par-dessus le Saint Anselme, de M. de Rémusat, sujet philosophique et qui ne peut intéresser qu’un très petit nombre d’esprits.

61. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

Elle la simule d’autant mieux que la conception du devoir est logiquement hétérogène au calcul d’intérêt qu’elle vient interrompre ; lors même que tous deux se rapportent au même problème de conduite, l’idée du devoir survient donc dans la succession psychique comme un état jusqu’à un certain point imprévu, circonstance favorable pour que son expression paraisse extérieure. […] Pour un mystique, dans les mêmes circonstances, la voix sera une voix céleste, une voix d’en haut. […] En effet, les variétés vives de la parole intérieure, c’est la parole intérieure se rapprochant de la forme hallucinatoire sans l’atteindre ; quoi d’étonnant si elle atteint cette forme chez certains tempéraments prédisposés, surtout quand les circonstances et le milieu intellectuel sont favorables à la croyance au merveilleux ? […] Il est anormal qu’un visum, en plein jour, ne soit qu’une ombre vague et transparente ; il est anormal, en toute circonstance, qu’un visum soit impalpable, etc. […] Cette voix se fait entendre presque tous les jours, et, quand les circonstances sont graves, plusieurs fois en un même jour.

62. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

Pour cette pierre, c’est, à toute seconde et pendant toute la durée de son existence, la possibilité de provoquer en nous les mêmes sensations de contact, de résistance, de forme, et de subir les mêmes changements de position ou de structure dans les mêmes circonstances, bref la présence incessamment renouvelée des mêmes caractères sensibles et physiques. […] L’appauvrissement de la végétation finale les a resserrées, et d’autres circonstances les ont soudées et déformées. […] L’expérience multipliée et précisée précise et multiplie les circonstances et les cas de cette attraction. […] À ce point de vue, nous parlons d’une force double, triple, etc., d’une autre ; et nous n’entendons rien par là, sinon une condition dont la présence suffit pour provoquer de la part du même corps entouré des mêmes circonstances un mouvement deux, trois, etc., fois plus rapide que le premier. […] Les chiffres romains I, II, II, V, X sont des dessins représentant un ou plusieurs doigts, une seule main, ou les deux mains. — Notre système de numération par dizaine a pour origine cette circonstance que nous avons dix doigts.

63. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

C’est une attention de tous les instants, à mettre si bien toutes les circonstances à leur place, qu’elles soient nécessaires où on les met, et que d’ailleurs elles s’éclaircissent et s’embellissent toutes réciproquement ; à tout arranger pour les effets qu’on a en vue, sans laisser apercevoir de dessein ; de manière enfin que le spectateur suive toujours une action et ne sente jamais un ouvrage : autrement l’illusion cesse, et on ne voit plus que le poète au lieu des personnages. […] Cette circonstance, toute nécessaire qu’elle est, cesse de vous le paraître, parce que, dans un moment que le spectateur ne pouvait point la prévoir, Tancrède a déjà résolu de partir sans voir Aménaïde. […] On dit seulement qu’Hippolyte a été attaqué par un monstre et déchiré par ses chevaux, parce que, si on eût voulu représenter cet événement plutôt que le raconter, il y aurait eu une infinité de petites circonstances qui auraient trahi l’art et changé la pitié en risée. […] Soit que l’on travaille, dit-il, sur un sujet connu, soit que l’on en tente un nouveau, il faut commencer par esquisser la fable et penser ensuite aux épisodes ou circonstances qui doivent l’étendre. […] Tous les sujets frappants dans l’histoire ou dans la fable ne peuvent point toujours paraître heureusement sur la scène : en effet, leur beauté dépend souvent de quelque circonstance que le théâtre ne peut souffrir.

64. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Avec un cœur droit comme son esprit, il se jugea toujours comme les circonstances. […] Mais en 91, pour revenir au point en question, où était l’homme de la circonstance, et y avait-il un homme dirigeant ? […] Pourtant on l’a vu depuis, en chaque circonstance décisive, se méfier après le premier moment, et malgré sa bonne contenance, n’être pas fâché d’abréger. […] On voit, dans ces récits de conversations, à quel degré La Fayette a le propos historique, le mot juste de la circonstance et comme la réplique à la scène. […] J’ai besoin de vous en parler encore ; ma douleur aime à s’épancher dans le sein du plus constant et cher confident de toutes mes pensées au milieu de foules ces vicissitudes où souvent je me suis cru malheureux ; mais, jusqu’à présent, vous m’avez trouvé plus fort, que mes circonstances ; aujourd’hui, la circonstance est plus forte que moi.

65. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Élevé dans la cabane paternelle jusqu’à l’âge de quatorze ans, allant ramasser du bois mort et faire de l’herbe pour la vache dans la mauvaise saison, ou accompagnant l’été son père dans ses tournées pédestres, le jeune Eckermann s’était d’abord essayé au dessin, pour lequel il avait des dispositions innées assez remarquables ; il n’était venu qu’ensuite à la poésie, et à une poésie toute naturelle et de circonstance. […] Mais toutes les poésies doivent être des poésies de circonstance, c’est-à-dire que c’est la réalité qui doit en avoir donné l’occasion et fourni le motif. […] Toutes mes poésies sont des poésies de circonstance ; c’est la vie réelle qui les a fait naître, c’est en elle qu’elles trouvent leur fond, et leur appui. […] Offrez-nous-le donc en son lieu autant que possible, et n’effacez pas la circonstance. […] « La partie n’est pas égale, disait-il ; elle n’est pas loyale de la part de ces yeux armés qui sont tout occupés à m’observer et qui se dérobent. » Le fait est que les lunettes dont se servait, même dans les circonstances solennelles, un Charles-Quint, se concevraient mal sur le nez d’un Sophocle ou d’un Périclès.

66. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Ses ouvrages littéraires sont nombreux, divers, nés au gré des mille circonstances : ses œuvres dites complètes ne les renferment pas tout entiers. […] M. de Ségur nous fait toucher en mainte page de ses Mémoires la réunion de circonstances favorables qui rendait comme unique dans l’histoire ce moment d’illusion et d’espérance. […] M. de Ségur sait nous intéresser à ce jeu dont il nous montre au doigt point par point le dessous ; il en ranime à ravir dans son récit le divertissement et les mille circonstances. […] Dans un intéressant ouvrage publié en 1801 sur les dix années de règne de Frédéric-Guillaume, M. de Ségur a touché les circonstances de cette négociation délicate où il crut pouvoir se flatter, un très-court moment, d’avoir réussi. […] Decazes usait de sa faveur pour ramener du moins quelque conciliation entre tant de violences contradictoires, M. de Ségur passa les onze dernières années de sa vie dans un loisir occupé, dans les travaux ou les délassements littéraires, entremêlés aux devoirs politiques que les circonstances d’alors imposaient à tous les hommes d’un libéralisme éclairé.

67. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

Mais les circonstances le commandèrent et ne lui laissèrent pas le choix. […] Les libellistes qui s’attaquèrent à Maury, devenu célèbre, ont ignoblement fouillé dans les années de sa jeunesse et dans les premières circonstances de son séjour à Paris. […] On a grand besoin de se reporter aux circonstances pour s’expliquer le succès extraordinaire qu’obtint ce discours. […]  » L’abbé Maury, dans ces circonstances les meilleures, improvisait bien réellement. […] Buchez et Roux, le discours avec les circonstances indiquées des interruptions, il est impossible, si l’on n’est pas déjà averti et si l’on prend le tout au pied de la lettre, de saisir l’esprit du drame.

68. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

Il est pourtant des esprits plus fortement doués pour lesquels la raison des choses est l’objet constant et fixe d’une véritable passion et d’un violent besoin ; ils la poursuivent en toute recherche, la demandent à chaque circonstance, et, obsédés du tourment de l’atteindre, plutôt que de s’en passer, la supposent. […] Ce que lui suggéraient les circonstances lui était de plus commandé par la nature de son talent. […] Si le nez de Cléopâtre eût été plus court, la face de la terre eût été changée. » Gardons-nous toutefois d’exagérer : en n’appréciant que les forces morales et les circonstances historiques, M. 

69. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

. — Circonstances qui la rejettent dans le passé. — Circonstances qui la projettent dans l’avenir. — Exemples. — Déplacements successifs et voyages apparents de l’image pour se situer plus ou moins loin dans le passé ou l’avenir. — Elle se situe par intercalation et emboîtement. […] Mais nous nous rappelons que l’eau est molle et n’a pu plier le bois, et que, en vingt autres circonstances, d’autres bâtons demi-plongés ont subi le même changement d’aspect. […] Quand la cloche tinte, elle met en mouvement les sonneries, et, le tintement achevé, les sonneries continuent, s’affaiblissent, s’effacent, mais sont capables de se renforcer et de reprendre toute leur énergie primitive, lorsqu’une circonstance favorable permet au son persistant d’une ou deux sonnettes de faire vibrer toutes les autres à l’unisson. — D’ordinaire, la cloche est mise en branle par le cordon. […] Mais, depuis, ces circonstances ont disparu ; la répétition et la distance les ont effacées20 ; l’image qu’alors je situais à tel endroit de mon passé a perdu les détails qui la situaient. […] On voit maintenant pourquoi nos conceptions et imaginations ordinaires nous apparaissent comme telles et ne nous font pas illusion ; toutes sont comprises entre deux états extrêmes, et chacun de ces deux états renferme une particularité qui réprime l’illusion. — Ou bien, ce qui est le cas ordinaire, elles sont vagues et dépouillées de circonstances précises, en sorte que, déjà rejetées hors du présent par la contradiction des sensations présentes, elles manquent d’attaches pour s’emboîter dans le présent et dans l’avenir ; d’où il suit que, dépourvues de situation dans le temps, elles apparaissent comme exclues du temps, c’est-à-dire de la vie réelle, et sont déclarées sensations apparentes, fausses et purement imaginaires.

70. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Au temps où nous vivons, dans les circonstances de malheur qui nous cernent depuis surtout un siècle et demi, croit-on qu’il serait sans aucun inconvénient, par exemple, de mettre en saillie tous les détails du pontificat de Léon X ? […] Sous ce point de vue, l’histoire de Clément XIV est peut-être un livre de circonstance providentielle. […] À l’ombre de cette opinion protectrice, l’Ordre de Jésus, blessé mais immortel, a repris obscurément sa place dans le monde, prêt à recommencer les grands services qu’il a rendus à la cause de la religion et de l’ordre, se proportionnant aux circonstances qu’il ne brave jamais, mais qu’il accepte toujours, se confiant au temps et à Dieu. […] Il eût été, du reste, taillé pour les grandes circonstances et jeté dans le moule perdu des Aquaviva, qu’il n’est pas prouvé qu’il eût sauvé l’Institut. […] Dans le livre de Crétineau-Joly, elle est dite avec toutes les circonstances qui l’accompagnèrent, et ces circonstances sont épouvantables.

71. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre III : Sentiments et Volonté »

Toutes les fois qu’un homme est placé dans des circonstances qui produisent ces associations, il ressent l’affection paternelle, lors même que la parenté n’existe pas. […] Dans les familles très pauvres et très riches, les circonstances sont peu favorables à la formation de ces associations d’où résulte l’affection des parents. Dans le cas d’extrême pauvreté (non pas de pauvreté modérée), les circonstances qui amènent à associer l’enfant avec des idées agréables, manquent ou bien sont neutralisées par la nécessité de travailler constamment, de s’occuper peu de lui, etc. […] « Dans l’état présent de l’éducation, la louange et le blâme sont distribués par la plupart des hommes d’une manière erronée, précipitamment, en général avec excès dans les petites circonstances, avec peu de souci de les appliquer justement.

72. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Évolution de la critique »

La question touchant le plaisir ou le déplaisir que causait ou méritait de causer telle œuvre, demeurait posée ; mais on s’astreignait à savoir, en outre, quelle était la personne c’est-à-dire l’intelligence qui l’avait produite, et encore quel était l’ensemble des circonstances historiques c’est-à-dire sociales, dont sa production avait été entourée ; pour ces deux sortes de renseignements le critique avait à se doubler d’un historien ou d’un biographe et devait pénétrer dans le domaine des sciences morales. […] Ici Sainte-Beuve revient à son ambiguïté du début, et dit tout d’une haleine : « Chaque ouvrage d’un auteur, vu, examiné de la sorte, à son point, après qu’on l’a replacé dans son cadre, et entouré de toutes les circonstances qui font vu naître, acquiert tout son sens, son sens historique, son sens littéraire… Être en histoire littéraire et en critique, un disciple de Bacon, me paraît le besoin du temps et une excellente condition première pour juger et goûter ensuite avec plus de sûreté. » Sainte-Beuve développe plus loin l’idée exprimée dans ce second membre de phrase, et conseille, pour apprécier un auteur, de le comparer à ses antagonistes et à ses disciples, de distinguer les diverses manières de son talent, de déterminer ses opinions sur certains sujets d’ordre général, enfin de résumer sa nature morale dans une formule exacte et concise. […] Taine résider dans l’ensemble des circonstances physiques et sociales dont l’écrivain est entouré, et qu’il groupe sous ces trois chefs : la race, le milieu physique et social, le moment. […] Saint-Simon est ainsi un gentilhomme féodal contraint à la vie des cours, ambitieux, passionné, artiste par tempérament et écrivain par nécessité ; Tite-Live, un orateur forcé par les circonstances à écrire l’histoire ; Balzac un homme d’affaires, un Parisien, un tempérament expansif, un esprit à la fois savant, philosophique et visionnaire.

73. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Léon XIII et le Vatican »

peut-être téméraire ; car pour dire quelque chose qui compte et qui grave, en des circonstances si nouvelles, il faut que l’historien monte jusqu’au prophète… et c’est une dangereuse audace. […] C’est ce grand et mystérieux Inconnu de la Papauté qu’il a voulu nous faire connaître, en écrivant l’histoire de son passé pour en inférer l’avenir de son règne… Léon XIII, ce lion de Juda, — comme il s’est nommé lui-même dans une circonstance que Teste a racontée dans son livre, — Léon XIII, ce lion de Juda, qui ne rugit pas, mais qui attend l’heure de son rugissement, est d’une date trop récente pour avoir donné sa mesure, mais s’il est de taille avec les besoins de son siècle, il sera bien grand ! […] Il vit, comme Grégoire XVI, au premier regard, la supériorité de Mgr Pecci, et dans la circonstance surchargée et prodigieusement difficile d’un royaume nouvellement fondé, il eut souvent recours aux conseils de ce jeune nonce, qui, avant d’être diplomate, avait glorieusement prouvé qu’il était surtout un homme de gouvernement effectif, et dont la force, comme la vraie force, avait toujours été assez grande pour être moelleuse. […] Seulement, quoi qu’il pût être un jour, il fut tout de suite, et il est encore, sans menace, sans jactance, presque silencieusement, le prévoyant, le prudent, le profond, qui se prépare, en les attendant, aux circonstances futures, comme le capitaine de vaisseau se prépare au branle-bas, parce qu’il sait que ce branle-bas sera terrible… V Et comment ne le serait-il pas ?

74. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Anatole de Montaiglon et Chartes d’Héricault s’accordent à trouver dans cette circonstance l’explication d’une renommée qui leur semble médiocre et inférieure au mérite de l’exquis chansonnier. […] La forme particulière sous laquelle son génie se manifeste peut dépendre des circonstances extérieures ; mais, s’il est vraiment grand, il était capable « d’être toutes sortes d’hommes. […] Les circonstances étaient on ne peut plus favorables. […] Non, car il n’avait pas de génie, et les circonstances les plus favorables, quoi que l’on dise ou semble dire, n’en ont jamais donné à personne. […] Les circonstances ou la mode.

75. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. »

Nul exemple ne me paraît plus propre à montrer à quel point des hommes, même énergiques de trempe et de volonté, sont assujettis et soumis au milieu où ils vivent, dépendant des circonstances, changeant de face sans changer de caractère ; combien il est juste, même après des excès et des torts, de ne pas désespérer de ceux qui ont une valeur réelle et un vertueux principe d’énergie ; comment le malheur éprouve et épure, même à leur insu, certaines natures restées saines au fond ; et ce que peuvent devenir d’honorable et d’utile pour la société et pour la patrie ceux qui, hors des cadres réguliers et durant l’orage des interrègnes, dans la convulsion des mouvements révolutionnaires, cherchaient vainement leur niveau et leur emploi. […] Il serait puéril aujourd’hui de venir rechercher minutieusement, dans ces discours de profession ou de circonstance, des contrastes ou de lointains rapports avec le langage qu’il tint depuis lors comme conventionnel et représentant du peuple. […] si les circonstances n’ont pas permis au Gouvernement de guérir entièrement les plaies de la nation qui saignent encore, bien loin de l’en blâmer, c’est à nous de louer sa profonde sagesse qui ne met des bornes à ses bienfaits que pour nous en assurer la jouissance. […] Le récit émoussé et assez vague de l’honnête Mathieu Dumas nous a ouvert un jour sur les circonstances locales qui enflammaient et attisaient les passions. […] Homme obscur, ignoré dans la république des lettres ; jeté, par cette force invisible qui maîtrise nos destinées, dans les agitations d’une vie errante et toujours malheureuse ; appelé, par un concours de circonstances extraordinaires, à des emplois redoutables, où le moment de la réflexion était sans cesse absorbé par la nécessité d’agir ; remplissant encore aujourd’hui des fonctions administratives, bien plus par l’amour de la justice et l’instinct du devoir que par la connaissance approfondie des principes sur lesquels nos grands maîtres ont établi l’art si difficile de l’administration publique ; demeuré, par une captivité longue et douloureuse, presque entièrement étranger aux nouveaux progrès que des savants recommandables ont fait faire à la science, mon premier devoir, Citoyens, est de faire ici l’aveu public de mon insuffisance, et de vous déclarer que tout ce que je puis offrir à cette Société respectable est l’hommage sincère, mais sans doute impuissant, de ma bonne volonté… » Et se voyant amené, par l’ordre des idées qu’il développait dans ce discours, à parler de la Révolution française, explosion et couronnement du xviiie  siècle, de « cette Révolution à jamais étonnante qui, déplaçant tout, renversant tout, après des essais pénibles, souvent infructueux, quelquefois opposés, avait fini par tout remettre à sa véritable place », il s’écriait, cette fois avec le plein sentiment de son sujet et avec une véritable éloquence : « La Révolution !

76. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

Des divers écrits de l’abbé Gerbet, je ne citerai plus qu’un seul, et c’est peut-être son chef-d’œuvre : il se rattache à une circonstance touchante, que les personnes pratiquement religieuses sentiront mieux que d’autres, mais qu’elles ne seront pas seules à apprécier. […] C’est le sentiment vif de cette incomparable et idéale agonie qui lui inspira un Dialogue entre Platon et Fénelon, où celui-ci révèle au disciple de Socrate ce qu’il lui a manqué de savoir sur les choses d’au-delà, et où il raconte, sous un voile à demi soulevé, ce que c’est qu’une mort selon Jésus Christ : Ô vous, qui avez écrit le Phédon, vous, le peintre à jamais admiré d’une immortelle agonie, que ne vous est-il donné d’être le témoin de ce que nous voyons de nos yeux, de ce que nous entendons de nos oreilles, de ce que nous saisissons de tous les sens intimes de l’âme, lorsque, par un concours de circonstances que Dieu a faites, par une complication rare de joie et de douleurs, la mort chrétienne, se révélant sous un demi jour nouveau, ressemble à ces soirées extraordinaires dont le crépuscule a des teintes inconnues et sans nom ! […] Suit le récit légèrement voilé, et comme transfiguré, mais dont chaque circonstance est sensible. […] Ce qu’il a fait et semé, dans tous les lieux où il a vécu et dans les sociétés qu’il a traversées, de jolis vers, de petits poèmes allégoriques, de couplets de fête et de circonstance, il l’a lui-même oublié. […] Ces nigauds de l’abbé Gerbet sont pleins d’esprit et d’à-propos : il les fait par obéissance, ce qui le sauve, dit-il, de tout reproche et de toute idée de ridicule, il est difficile de détacher ces riens des circonstances de société qui les produisent ; voici pourtant une de ces petites pièces improvisées à l’usage et pour la consolation des perdants, elle a pour titre Le Jeu du soir : C’est aujourd’hui la Fête de la Vierge, Mais, entre nous, je voudrais bien savoir Si, quand on doit le matin prendre un cierge, On peut tenir une carte le soir.

77. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

L’endroit et la circonstance demandaient un lieu commun officiel et banal ; il parla d’un ton passionné et sincère. […] On le juge aussi soigneux dans ses fautes que dans ses réussites ; lorsqu’il se trompe, il est exempt de reproche ; il a employé toute sa force ; ce sont les circonstances ou quelque invincible illusion philosophique qui l’ont perdu. […] Quelque effort que fasse un homme, il ne peut parcourir qu’un certain espace ; si les circonstances l’ont déposé à l’entrée de la carrière, il n’atteint que la première borne ; pour qu’il touche le terme, il faut que d’elles-mêmes elles l’aient porté jusqu’au milieu. […] Déjà arrêté par les circonstances, il était encore gêné par un défaut. […] On y lit l’histoire d’une circonstance mal déterminée, désignée par une métaphore poétique, et nommée empire de soi, possession de soi, et on n’y lit rien autre chose.

78. (1865) Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

Un médecin qui observe une maladie dans diverses circonstances, qui raisonne sur l’influence de ces circonstances, et qui en tire des conséquences qui se trouvent contrôlées par d’autres observations ; ce médecin fera un raisonnement expérimental quoiqu’il ne fasse pas d’expériences. […] Pour lui, le problème se réduit uniquement à déterminer les circonstances matérielles dans lesquelles le phénomène apparaît. […] De même, les circonstances variées qui produisent une même maladie doivent répondre toutes à une action pathogénique, unique et déterminée. […] Dès lors toutes les modifications de phénomènes qu’il éprouvera proviendront nécessairement de changements survenus dans les circonstances ambiantes, et l’on conçoit qu’en tenant compte exactement de ces circonstances, on soit sûr de posséder les conditions expérimentales qui sont nécessaires à la conception d’une bonne expérience. […] Je commençai donc des dosages de sucre dans le foie d’animaux placés dans diverses circonstances physiologiquement déterminées.

79. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

« On doit considérer les faunes souterraines, dit-il, comme autant de petites ramifications de la faune géographiquement circonscrite des contrées environnantes, qui, ayant pénétré peu à peu sous terre, se sont accommodées aux circonstances locales à mesure qu’elles s’étendaient dans une obscurité de plus en plus complète. […] Nul ne doutera, je présume, que de pareilles analogies de variations ne soient dues à ce que les diverses races de Pigeons ont hérité d’un parent commun la même constitution et la même tendance à varier sous des circonstances semblables et inconnues. […] Je ne puis qu’affirmer que de tels cas se présentent certainement et avec de remarquables circonstances. […] Mais comme la sélection naturelle, dans toute contrée, n’est autre encore, à chaque moment donné, que la résultante de l’action toujours actuelle du milieu ambiant sur tous les êtres organisés d’un même lieu, c’est-à-dire des circonstances locales, ce sont donc bien ces circonstances, ou autrement les conditions complexes de la vie, qui, ainsi que l’a avancé hardiment Lamarck, déterminent et règlent toute variation, en premier comme en dernier ressort, médiatement ou immédiatement, par leur action directe sur les générations présentes ou par leur action transmise sur les générations passées, et qui forment ainsi l’Alpha et l’Oméga de la série des causes qui contribuent à la transformation des espèces. […] Les circonstances locales décident de l’usage fréquent ou du défaut d’exercice des organes, et l’on sait que chez les animaux l’influx vital se porte de préférence vers les organes qui agissent beaucoup : cette règle doit s’étendre aux plantes.

80. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 34-39

N’oublier ni les femmes, ni les enfans des Rois ; mais ne parler des Rois mêmes, qu’à propos des affaires, & ne relever aucune circonstance de leur vie, qu’autant que cette circonstance aura contribué aux grands changemens.

81. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

Cependant, si l’humanité est une, il n’en est pas moins vrai que, selon les circonstances, les temps et les lieux, la civilisation affecte des formes très différentes. […] Voilà des élémens incontestables, et qui cependant peuvent varier à l’infini, car il y a un grand nombre d’assassinats qui tous se distinguent les uns des autres par mille circonstances diverses. […] Le caractère de cet élément nouveau est de ne pas varier avec la foule des circonstances qui font varier sans cesse les autres élémens ; celui-là est invariable et toujours le même. […] Ainsi il y a dans la connaissance un élément emprunté aux circonstances, et un autre qui n’y est pas emprunté, mais qui s’y ajoute, pour fonder la connaissance. […] L’esprit humain recherche des causes, parce que telle est sa nature, et il les recherche à l’occasion de telle ou telle circonstance.

82. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

On pourrait excuser sur les mœurs de ce siècle une circonstance qui paraît démentir la gravité du caractère de Côme de Médicis : mais lui-même dédaigna une pareille apologie, et, reconnaissant les erreurs de sa jeunesse, il voulut réparer auprès de la société l’atteinte qu’il avait portée à des règlements salutaires, en s’occupant avec intérêt de donner à son fils illégitime des principes de vertu et une existence honorable. […] L’amour est en effet le sujet auquel il a consacré une grande partie de ses ouvrages : mais il est un peu étrange qu’il n’ait pas cru devoir, dans aucune circonstance, nous apprendre le nom de sa maîtresse ; il n’a pas même voulu lui donner un nom poétique, et satisfaire au moins jusque-là notre curiosité. […] Voici les circonstances de cet événement, telles qu’il les a rapportées lui-même : « Une jeune dame douée de grandes qualités personnelles et d’une extrême beauté mourut à Florence : comme elle avait été l’objet de l’amour et de l’admiration générale, elle fut universellement regrettée ; et cela n’était pas étonnant, puisque, indépendamment de sa beauté, ses manières étaient si engageantes, que chacun de ceux qui avaient eu occasion de la connaître se flattait d’avoir la première place dans son affection. […] Laurent nomma pour présider à cette fête, dans la ville de Florence, François Bandini, que son rang et son savoir rendaient extrêmement propre à figurer dans cette circonstance ; et, le même jour, il se fit à Careggi une autre réunion à laquelle il présidait lui-même. […] Cette circonstance singulière, comparée avec la preuve que l’on peut tirer d’une des épigrammes de Politien, nous autorise à croire que cette dame était la maîtresse de Julien, la belle Simonetta, dont nous avons déjà parlé.

83. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Une lettre écrite dans l’intervalle nous le montre en proie à une colère furieuse dont la cause première était dans sa défaite électorale, mais qui s’aigrissait encore de circonstances particulières, à nous inconnues. […] Mais quel moyen employer dans les circonstances violentes où l’on s’est placé ? […] Ce ne sont qu’apostrophes à la Providence et appels à la postérité : Les circonstances, dit-il dans ses notes, ne sont difficiles que pour ceux qui reculent devant le tombeau. […] De ce qu’on a un talent polémique remarquable, ou même redoutable, et qui a fait ses preuves dans les circonstances déterminées, de ce qu’on a des coups de force et de vigueur précise dans la lutte, on ne possède pas pour cela les qualités complexes qui font l’historien et le critique. […] Une circonstance particulière a contribué à atténuer parmi les générations nouvelles l’horreur de cette mission de Saint-Just et de Lebas.

84. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Selon que le sentiment du devoir opposé au sentiment du plaisir sera le plus fort ou le plus faible en raison d’une hérédité, d’une éducation et de circonstances inconnues et complexes, il l’emportera ou cédera le pas. […] Et tous ces états, les normaux comme les anormaux, résultent d’une disposition physiologique héréditaire à laquelle rien ne peut être changé, si ce n’est dans une petite mesure par des circonstances fortuites, indépendantes absolument de l’individu lui-même : le milieu où il naît, l’éducation qu’il reçoit, la pénétration intellectuelle dont il dispose et qui lui permettra d’intervenir avec plus ou moins de bonheur dans sa physiologie, l’état peut-être de la science médicale contemporaine. […] Il explique par sa liberté les différences de sa conduite, il ne voit pas que si ayant bien agi hier, il agit mal aujourd’hui, c’est parce qu’aujourd’hui quelques circonstances se sont ajoutées ou ont fait défaut autour de l’acte à accomplir : un bon conseil a manqué, quelque alcool fut en trop. […] Il y a des automates heureux : l’hérédité les a façonnés de telle sorte, les circonstances extérieures leur sont à ce point favorables, que toutes choses leur sont prospères. […] Si un tel préjugé n’était tout-puissant en raison sans doute de son utilité actuelle, de nombreux faits d’expérience auraient le pouvoir de démontrer que la nature humaine est pourvue d’un pouvoir élastique de jouir et de souffrir qui s’exerce d’une façon uniforme parmi toutes les circonstances et parmi les conditions les plus différentes.

85. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

Même en les exprimant, du reste, notez bien que ces principes ne sont jamais, pour ce solide esprit, appelé paradoxal par les esprits fragiles, que des conclusions historiques, des empêchements de circonstances et de nature des choses, dans le détail desquels, en ces lettres sur la Russie, il court et passe, comme la lumière, avec une rapide splendeur. […] Des circonstances tout à fait imprévues le feront désirer de part et d’autre, et il s’exécutera sans bruit et sans malheur (toutes les grandes choses se font ainsi). […] » Ces circonstances imprévues dont parle de Maistre se sont-elles produites en Russie ? […] La nôtre était de montrer par ces paroles que le cassant et impérieux comte de Maistre prévoyait sans horreur, et même sans étonnement, de telles circonstances, et qu’il donnait même au gouvernement, que dans son livre il arme contre elles, le conseil de leur obéir. […] J. de Maistre cédant au temps comme Talleyrand lui-même, mais pour des raisons que n’avait pas Talleyrand, dans cette tête où l’athéisme en toute chose avait fait un vide silencieux ; de Maistre se pliant à la circonstance au lieu de se faire misérablement briser par elle, ce qui serait le suicide politique, aussi criminel que l’autre aux yeux de Dieu !

86. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

Enfin on réunira le plus qu’on pourra de faits analogues ; plus on aura ramassé d’exemples, plus on aura chance de dégager la véritable loi ; plus il sera aisé de distinguer les caractères vraiment essentiels et communs des circonstances étrangères et des particularités locales. […] Ainsi Cicéron justifie Milon accusé d’assassinat, en déterminant les circonstances particulières de la mort de Clodius, qui sont que Milon avait été attaqué par lui et contraint à se défendre, et en se fondant sur le principe de droit qu’un meurtre commis en état de légitime défense n’est pas punissable. […] Il faudra apporter de nombreux et saisissants exemples de justes et fécondes insurrections ; il faudra faire un choix délicat de circonstances dans le récit des faits reprochés à Norbanus. […] Ce qui fait qu’on trouve dans les choses plus d’évidence qu’elles n’en ont, c’est quelque circonstance locale et personnelle qu’elles contiennent ; c’est l’habitude que l’on a de les voir, le sentiment et l’expérience qu’on a qu’elles sont bonnes et utiles pour nous, la connaissance que ceux parmi lesquels nous vivons en portent même jugement que nous.

87. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve »

Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve I Nous n’avons qu’un moyen de démontrer qu’un phénomène est cause d’un autre, c’est de comparer les cas où ils sont simultanément présents ou absents et de chercher si les variations qu’ils présentent dans ces différentes combinaisons de circonstances témoignent que l’un dépend de l’autre. […] Si un effet peut dériver de causes différentes, pour savoir ce qui le détermine dans un ensemble de circonstances données, il faudrait que l’expérience se fît dans des conditions d’isolement pratiquement irréalisables, surtout en sociologie. […] En effet, même quand les circonstances leur sont le plus favorables, les autres méthodes ne peuvent être employées utilement que si le nombre des faits comparés est très considérable. […] Car les variations d’un phénomène ne permettent d’en induire la loi que si elles expriment clairement la manière dont il se développe dans des circonstances données.

88. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIV. Rapports de Jésus avec les païens et les samaritains. »

Si, dans d’autres cas, il semble défendre à ses disciples d’aller les prêcher, réservant son Évangile pour les Israélites purs 664, c’est là encore, sans doute, un précepte de circonstance, auquel les apôtres auront donné un sens trop absolu. […] Dans une circonstance, il ne rencontre de gratitude et de vraie piété que chez un samaritain 668. […] Mais l’anecdote du chapitre IV de Jean représente certainement une des pensées les plus intimes de Jésus, et la plupart des circonstances du récit ont un cachet frappant de vérité.

89. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « APPENDICE. — M. SCRIBE, page 118. » pp. 494-496

Il y a deux manières de juger cette comédie : ou bien l’on veut, même sur les planches, de la vérité fine, de l’observation fidèle et non outrée des caractères, une vraisemblance continue de ton et de circonstances ; ou bien on se contente d’une certaine vérité scénique, approximative, et à laquelle on accorde beaucoup, moyennant un effet obtenu. […] Scribe ressemble en un sens aux poëtes dits de la forme qui s’inquiètent, avant tout, des circonstances de l’art et négligent souvent l’inspiration toute naturelle.

90. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

La vie se passe au-dedans de soi, les circonstances extérieures ne sont qu’une manière d’exercer un sentiment habituel ; l’événement n’est rien, le parti qu’on a pris est tout, et ce parti, toujours commandé par une loi divine, n’a jamais pu coûter un instant d’incertitude. […] Quand le vrai chrétien s’est acquitté de ses devoirs, son bonheur ne le regarde plus ; il ne s’informe pas quel sort lui est échu, il ne sait pas ce qu’il faut désirer ou craindre, il n’est certain que de ses devoirs ; les meilleures qualités de l’âme, la générosité, la sensibilité, loin de faire cesser tous les combats intérieurs, peuvent, dans la lutte des passions, opposer l’une à l’autre, des affections d’une égale force ; mais la religion donne pour guide un code, où, dans toutes les circonstances, ce qu’on doit faire est résolu par une loi. […] Dans la dévotion, l’on peut être vertueux sans le secours de l’inspiration de la bonté, et même, il est plusieurs circonstances où la sévérité de certains principes vous défend de vous y livrer.

91. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIV. Vaublanc. Mémoires et Souvenirs » pp. 311-322

mais ce sont les bons sens ; ce ne sont pas les grands, mais ce sont les forts, ce sont ceux-là qui se sont mêlés vaillamment à la circonstance, mais qui n’ont pas été portés par elle. […] III Et c’est pour cela précisément qu’il aurait été un homme politique de premier ordre et d’une efficacité réelle, si les circonstances l’avaient mis à sa place, qui n’était pas, croyez-le bien ! […] La solution vers laquelle ils inclinent manifestement n’est pas la plus vraie, mais c’est la plus saine, la plus utile, surtout à cette heure, où nous sommes trop disposés à accorder plus d’influence aux choses qu’aux hommes, aux circonstances qu’à la volonté, et où nous donnons notre démission d’êtres libres et agissants, en faveur de je ne sais quelle commode et lâche fatalité.

92. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Francis Lacombe »

Fragment détaché d’un travail à l’étude encore, la brochure de Francis Lacombe, qui a le mérite que lord Bolingbroke estimait le plus dans les livres, c’est-à-dire d’être substantielle et courte, a été pensée en dehors des circonstances du moment et il faut savoir gré à l’auteur de les avoir devancées. […] Lacombe, qui a le sens pratique fort exercé, ne relève pas l’institution tout entière pour l’imposer dans son ensemble inflexible à une situation nouvelle, il se contente de tracer quelques grandes lignes que les circonstances pourraient même encore modifier. […] Rien dans les circonstances actuelles n’en rend l’application impossible ; tout, au contraire, la rend opportune.

93. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

couronner l’auteur d’un livre pareil, en toute circonstance c’est montrer à quel point les respectables auteurs du dictionnaire de la langue française peuvent être dupes des mots et des formes limpides que la pensée sait parfois revêtir. […] L’auteur de l’Assistance montre bien que les circonstances dans lesquelles vivaient les fidèles des premiers temps étaient des circonstances d’exception, et que la communauté, au sens chrétien, s’est perpétuée dans l’Église de Jésus-Christ là seulement où elle était réalisable, c’est-à-dire dans ces communautés religieuses, éternelles comme la religion elle-même, dont elles ne sont la plus grande force que parce qu’elles en sont la plus grande vertu.

94. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Charles Didier » pp. 215-226

Charles Didier n’a point attendu les dernières circonstances pour écrire de l’Italie et sur l’Italie. […] Excepté deux histoires, parmi ces histoires, et surtout une, qui me paraît un vrai chef-d’œuvre, dû à mieux et à plus que du talent, c’est-à-dire à des circonstances d’esprit très-particulières et sur lesquelles je vais revenir, il n’y a rien dans ces Amours d’Italie qui puisse classer grandement leur auteur. […] Il a aimé la sœur de la femme qu’il devait épouser, et cet amour adultère, admirablement raconté, est, de sentiment et de circonstance, un des récits les plus poignants et les plus attendrissants tour à tour.

95. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

Il aurait dû pourtant les frapper dans ces deux règles qu’ils établissent 1º cessante fine legis, cessat lex ; ils ne disent point cessante ratione ; en effet le but, la fin de la loi, c’est l’intérêt des causes traité avec égalité ; cette fin peut changer, mais la raison de la loi étant une conformité de la loi au fait entouré de telles circonstances, toutes les fois que les mêmes circonstances se représentent, la raison de la loi les domine, vivante, impérissable ; 2º tempus non est modus constituendi, vel dissolvendi juris ; en effet le temps ne peut commencer ni finir ce qui est éternel. […] Enfin la raison humaine ayant pris tout son développement, le certain alla se confondre avec le vrai des idées relatives à la justice, lesquelles furent déterminées par la raison d’après les circonstances les plus particulières des faits ; formule éternelle qui n’est sujette à aucune forme particulière, mais qui éclaire toutes les formes diverses des faits, comme la lumière qui n’a point de figure, nous montre celle des corps opaques dans les moindres parties de leur superficie.

96. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

Il faut ne pas contrarier son maître, et le servir dans son goût, surtout lorsque les circonstances rendent tout autre parti impossible ou dangereux. […] En février 1758, au milieu des plus graves circonstances, il s’était chargé d’une commission élégante auprès de M. de Choiseul : « N’oubliez pas, je vous prie, ma commission pour un grand habit de femme fond bleu brodé en soie blanche sur une étoffe de printemps. » Léger accident ! […] Je vous défie cependant de faire occuper ma place, dans les circonstances où nous sommes, par un autre que par lui. […] L’illusion, et, si je puis dire, la bonhomie de Bernis en cette circonstance, et connaissant le terrain de la Cour comme il le faisait, fut de ne pas s’être rendu compte à l’avance de ces incompatibilités tout à fait inévitables, et qui ressortaient de la nature des choses : il avait conçu et combiné une révolution de ministère comme on concerterait à huis-clos un arrangement de la vie privée. […] J’aurais voulu, pour éviter les jugements téméraires, que les circonstances qui l’ont précédée eussent pu l’annoncer au public ; au reste, nous nous sommes donné réciproquement les plus grandes marques de confiance et d’amitié ; nous ne saurions donc nous soupçonner l’un l’autre sans une très grande témérité.

97. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Dès lors, toutefois, des circonstances fâcheuses se mêlèrent à cette action digne, et vinrent trahir les côtés faibles du caractère de Le Brun. […] Or, chez les modernes, à part de très rares circonstances, une telle réunion de sentiments, un tel accord sympathique n’a guère lieu que dans le genre de la chanson, à table et au dessert. […] Il sentait, du reste, tout ce qu’il y avait de discordant dans un tel lieu rapproché des circonstances où il le proférait : « Comment parler d’avenir, disait-il, à des gens que le présent dévore ?  […] Dans ce fatal procès qui rompit la carrière de Le Brun et envenima son âme, une circonstance bien singulière et unique, ce fut de voir sa propre mère et sa propre sœur venir déposer en justice pour sa femme et contre lui. […] Son talent sans doute, dans ces circonstances publiques enflammées, rencontra quelques vrais accents, et quatre ou cinq strophes de l’ode sur le vaisseau Le Vengeur et sur ce naufrage victorieux sont ce qu’a produit poétiquement de mieux l’époque républicaine ; mais à quel prix ces énergiques élans furent-ils achetés ?

98. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IX : Insuffisance des documents géologiques »

J’ai dit autre part pourquoi ces formes de transition ne pouvaient exister actuellement, même dans les circonstances en apparence les plus favorables à leur formation et à leur conservation, c’est-à-dire dans une vaste région continue présentant des conditions de vie graduellement différentes. […] À l’égard des débris de Mammifères, un seul coup d’œil jeté sur la table historique publiée dans le Supplément du Manuel de Lyell, suffit à prouver, beaucoup mieux que de longues pages de détail, combien leur conservation est rare, et dépendante des circonstances locales. […] Une compensation parfaite entre la quantité de sédiment accumulé et la vitesse d’affaissement du fond sur lequel il s’accumule est donc très probablement une circonstance des plus rares. […] Les circonstances dans lesquelles les couches de sédiment se déposent sont probablement beaucoup plus complexes qu’on ne le croit généralement ; mais toutes pourraient être ramenées à quelques lois générales, ou plutôt à des rapports entre la vitesse d’oscillation du sol et la vitesse d’accumulation des sédiments. […] Un tel ensemble de circonstances est, on le voit, presque irréalisable ; car si les conditions locales restent les mêmes, ce qu’il faut pour assurer la continuité du dépôt, les espèces n’ont aucune raison d’émigrer ou d’immigrer et en général de se modifier, puisqu’elles n’y sauraient trouver avantage.

99. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Combien de circonstances faudroit-il retrancher de ce discours pour le ramener à la nature ? […] J’ai remarqué dans les discours bien placez, des circonstances froides, inutiles, basses, ou contraires à la passion dominante. […] On ne sçauroit se tromper en étendant cette régle jusqu’aux plus petites circonstances. […] un roi, à la face de tout son peuple, peut-il ainsi faire parade de son vice, en appuyant sur les circonstances qui le rendent encore plus sensible ? […] Non, la fécondité judicieuse, la véritable adresse auroit été de rassembler toutes ces circonstances dans un seul objet de comparaison.

100. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Où m’a raconté deux ou trois fois sa vie, et toujours avec des circonstances plus extraordinaires les unes que les autres. […] Le missionnaire avait dit qu’il valait mieux en brûler plus que moins, et que d’ailleurs tous pouvaient être dangereux selon les circonstances. […] Revoir celui qu’elle avait vu officier de nuit chez elle, dans de si tragiques circonstances, lui faisait battre le cœur. […] Une circonstance particulière augmentait cette animosité et créait autour du vieux solitaire une sorte d’atmosphère de diaboliques terreurs. […] Ce trait de caractère se compliqua, en cette circonstance, d’une qualité qui m’a fait commettre autant d’inconséquences que le pire des défauts.

101. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

Taine essaye de faire dépendre les arts ou les littératures, des sociétés dans lesquelles ils ont pris naissance : le principe des sélections et des éliminations qu’opèrent dans l’ensemble des artistes d’une époque ou d’un lieu, les circonstances, la condition sociale de cette époque et de ce lieu. […] L’on pourrait aisément montrer que l’influence des circonstances ambiantes, notable mais non absolue au début des littératures et des sociétés, va décroissant à mesure que celles-ci se développent, et devient presque nulle à leur épanouissement. […] Comme toute créature, l’homme tend, par économie de forces, à persister dans son être, à le modifier le moins possible pour s’adapter aux circonstances physiques ou sociales qui varient autour de lui. […] C’est ainsi que la plupart de ses inventions primitives, celles de l’habillement, celles qui touchent à l’alimentation, ont eu pour but, par des modifications artificielles des circonstances ambiantes, de lui permettre de conserver ses dispositions organiques, son aspect, ses habitudes, en dépit de certaines variations contraires naturelles des mêmes circonstances14. […] Herber Spencer qui, dans ses Principes de Biologie dh ne distingue l’être vivant de l’être inanimé que par la tendance plus grande du premier à s’adapter aux circonstances extérieures, nous paraissent entièrement défectueuses.

102. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

Circonstances favorables ou déterminantes. — 3. […] Certaines circonstances favorisèrent la révolution littéraire. […] Les deux circonstances que je viens d’indiquer aidèrent les jeunes esprits à s’affranchir des règles classiques, à briser surtout les formes de la langue et de la versification. […] Nous devons enfin considérer comme circonstance favorable la chute de l’empire qui, fermant brusquement la réalité aux activités inquiètes et aux ambitions énormes, les dériva vers le rêve et l’exercice de l’imagination.

103. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXIV. Arrestation et procès de Jésus. »

Quoi qu’il en soit de cette circonstance, il est certain qu’il y eut un commencement de résistance de la part des disciples 1097. […] Une circonstance fortuite, le chant du coq, lui rappela un mot que Jésus lui avait dit. […] La circonstance d’un chant religieux, rapportée par Matth., XXVI, 30, et Marc, XIV, 26, vient de l’opinion où sont ces deux évangélistes que le dernier repas de Jésus fut le festin pascal. […] Cette circonstance, que l’on ne trouve que dans Jean, est la plus forte preuve de la valeur historique du quatrième évangile.

104. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXII » pp. 355-377

. — Fables accréditées sur les motifs et sur les circonstances de cette séparation. — Le roi va en Flandre, madame de Maintenon à Barèges avec les enfants, madame de Montespan à sa terre de Clagny. — Dépenses de madame de Montespan à Clagny. — Rapprochement du roi et de madame de Montespan. — Mort de Turenne. — Nouvelle séparation du roi et de madame de Montespan. — Madame de Maintenon revient de Barèges. — Faveur de madame de Maintenon. […] Elle a confondu les circonstances des deux crises de 1671 et 1673, qui n’eurent rien de commun. […] M. de Beausset établît aussi que dans la rupture de 1670 madame de Montespan reçut ordre de quitter la cour et fut envoyée à Paris 105 ; en quoi il diffère de La Beaumelle qui, dans les Mémoires de Maintenon 106, a fait une longue narration des circonstances de la séparation : ce fut, selon lui, madame de Montespan qui en prit la première résolution, qui s’éloigna de Paris avec un courage héroïque qu’affermissaient les exhortations de madame de Maintenon ; et le roi, informé de ce départ inattendu, fait appeler celle-ci pour en connaître les moindres circonstances et en approfondir les motifs, et madame de Maintenon emploie toute son éloquence pour combattre la douleur du roi et ramener à une sainte résignation.

105. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 13, qu’il est des sujets propres specialement pour la poësie, et d’autres specialement propres pour la peinture. Moïens de les reconnoître » pp. 81-107

Mais ce que la colere fait penser de singulier suivant le caractere propre de chacun, et suivant les circonstances où il se rencontre, ce qu’elle fait dire de sublime, par rapport à la situation du personnage qui parle, il est très-rare que le peintre puisse l’exprimer assez intelligiblement pour être entendu. […] C’est ainsi que la poësie peut emploïer ce merveilleux qui naît des circonstances, et qu’on appellera si l’on veut un sublime de rapport. […] D’ailleurs la poësie manque d’expressions propres à nous instruire de la plus grande partie de ces circonstances. à peine la physique viendroit-elle à bout, avec le secours des termes qui lui sont propres, de bien expliquer le temperament plus ou moins composé, et le caractere de chaque spectateur. […] L’évenement, qui pourroit nous toucher, s’il nous étoit raconté avec un choix ingenieux de circonstances, mises en oeuvre dans un recit où la vrai-semblance seroit menagée, devient un jeu de marionetes quand on entreprend de le répresenter sur le théatre.

106. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

Et sans doute, plus elles se rencontrent fréquemment, plus sont diverses les circonstances où elles se rencontrent, et plus aussi il y a de chances pour qu’elles cachent des rapports nécessaires, toutefois, tant qu’elles ne sont pas déduites de lois plus générales, ce sont des lois en instance plutôt que des lois reçues : les lois empiriques sont toujours sujettes à caution, par cela même qu’elles manquent d’explication. […] Et c’est pourquoi tout ce qu’on enlève à l’influence du « génie des races » pour l’attribuer à l’influence de circonstances précises est autant de gagné pour la science. […] Indépendamment de ces remarques générales, une circonstance vient affaiblir encore, s’il est possible, la thèse anthropologique. […] Admettons que la méditation consciente transfigure et « dénature » les matériaux qui lui sont apportés par le milieu : il n’en est pas moins vrai que, en poussant aussi loin que possible l’explication sociologique de ses inventions mêmes et en montrant, par exemple, comment certaines conditions sociales devaient, suivant les lois générales de la formation des idées, amener les esprits des philosophes jusqu’à l’égalitarisme, nous gagnons sur l’inconnu ; et que par suite, toutes circonstances égales, notre hypothèse, offrant un essai d’explication là où l’autre n’offre que l’adoration d’un mystère, devait être préférée.

107. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Jouffroy.] » pp. 532-533

Une circonstance toute particulière nous rapprocha : je fus mis en répétition, moi troisième, chez le bon abbé Jouffroy. […] Je n’eus plus qu’indirectement de ses nouvelles, entre autres, dans une circonstance qui me fut extrêmement pénible, et que je rappelle ici pour vous donner une idée de l’esprit plus libéral que patriotique qui animait alors l’École normale.

108. (1875) Premiers lundis. Tome III « De l’audience accordée à M. Victor Hugo »

Si, en cette circonstance, le poëte a bien compris son rôle, comme nous pensons qu’il l’a fait, il a dû, dès les premiers mots, et profitant de la faveur d’un auguste accueil, amener la question de ce qu’elle pouvait avoir de trop personnel à des termes plus généraux, plus raisonnés, et dans lesquels il se sentait plus à l’aise pour en appeler à l’esprit éclairé et bienveillant de son royal interlocuteur. […] Le poète aurait pu dire encore qu’il avait, fort jeune, et en plus d’une circonstance mémorable, donné à la monarchie et au prince d’humbles gages qu’il ne séparait point, dans sa pensée, des autres gages qu’on devait donner aussi aux libertés et aux institutions du pays ; il aurait pu (et le roi l’eût cru sans peine) protester de son aversion contre toute malice détournée, de sa sincérité d’artiste, de sa bonne foi impartiale à l’égard des personnages que lui livrait l’histoire ; et, alors, la conversation tombant sur le caractère de Louis XIII, et sur le plus ou moins de danger ou de convenance qu’il y aurait à le laisser paraître dans la pièce en litige, le poëte eût pu expliquer à loisir à l’auguste Bourbon que le drame n’ajoutait rien là-dessus, retranchait bien plutôt à ce qu’autorisait la franchise sévère de l’histoire, et que l’image de temps si éloignés et si différents des nôtres ne pouvait le moins du monde paraître une indirecte contrefaçon du présent.

109. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XII. Du principal défaut qu’on reproche, en France, à la littérature du Nord » pp. 270-275

Les règles du goût ne sont point arbitraires ; il ne faut pas confondre les bases principales sur lesquelles les vérités universelles sont fondées avec les modifications causées par les circonstances locales. […] Si vous rapprochez des tableaux ignobles de personnages héroïques, il est à craindre qu’il ne vous soit difficile de faire renaître l’illusion théâtrale : elle est d’une nature extrêmement délicate ; et la plus légère circonstance peut tirer les spectateurs de leur enchantement.

110. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

Ajoutez à l’une des deux premières qualités quelque circonstance rare, éclatante ; et le vrai sera beau, et le bon sera beau. […] Une facilité acquise par des expériences réitérées, à saisir le vrai ou le bon, avec la circonstance qui le rend beau, et d’en être promptement et vivement touché.

111. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 28, de la vrai-semblance en poësie » pp. 237-242

Un fait vrai-semblable est un fait possible dans les circonstances où on le fait arriver. Ce qui est impossible en ces circonstances ne sçauroit paroître vrai-semblable.

112. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Et, si inégales qu’elles soient, ces différentes ironies trouvent sans doute une raison d’être, sinon une justification dans la nature de l’être qui les emploie et dans les circonstances de sa vie. […] Elle peut devenir vraiment morale quand la conscience de la discordance fondamentale et le petit plaisir qui provient de la réaction du moi se joignent au plaisir de la sympathie et au maximum de bienveillance compatible avec la circonstance et l’état social donné. […] Il n’est pas mauvais que nous nous en apercevions quelquefois et que nous n’ayons point trop la prétention d’ériger en dogme éternel et immortel, nos opinions et nos goûts qui sont toujours affaire de temps, de lieu, de circonstances et qui relèvent même de notre fantaisie. […] Il saura que la part à faire au moi et au nous varie selon les individus, les temps et les circonstances. […] Il se rappellera que tout sentiment, tout acte n’est bon ou mauvais que dans des circonstances précises et que sa valeur dépend de ces circonstances ; que le meurtre, par exemple, est quelquefois moralement supérieur à la pitié.

113. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Dans des circonstances où un homme sain souffrirait, il arrive au neurasthénique d’éprouver une sensation de jouissance dont la nature morbide est incontestable. […] Comment auraient-elles pu se maintenir dans une aussi grande variété de circonstances si elles ne mettaient les individus en état de mieux résister aux causes de destruction ? […] Il y a même des circonstances ou cette vérification est rigoureusement nécessaire, parce que la première méthode, si elle était employée seule, pourrait induire en erreur. […] De même, l’application d’un remède, étant utile au malade, pourrait passer pour un phénomène normal, alors qu’elle est évidemment anormale, car c’est seulement dans des circonstances anormales qu’elle a cette utilité. […] Il est vrai qu’il n’en est pas toujours ainsi ; mais les dangers qu’implique la maladie n’existent également que dans la généralité des circonstances.

114. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVI. Miracles. »

C’étaient le plus souvent des circonstances fortuites ou insignifiantes de la vie du maître qui rappelaient aux disciples certains passages des Psaumes et des prophètes, où, par suite de leur constante préoccupation, ils voyaient des images de lui 733. […] Il est impossible surtout de savoir si les circonstances choquantes d’efforts, de frémissements, et autres traits sentant la jonglerie 740, sont bien historiques, ou s’ils sont le fruit de la croyance des rédacteurs, fortement préoccupés de théurgie, et vivant, sous ce rapport, dans un monde analogue à celui des « spirites » de nos jours 741. […] Beaucoup de circonstances d’ailleurs semblent indiquer que Jésus ne fut thaumaturge que tard et à contre-cœur.

115. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXII. Machinations des ennemis de Jésus. »

Beaucoup de circonstances portent à croire que son pouvoir n’était que nominal. […] L’un d’eux, nommé comme son père Hanan, fit lapider Jacques, frère du Seigneur, dans des circonstances qui ne sont pas sans analogie avec la mort de Jésus. […] Cependant on ne peut dire que le motif allégué, en cette circonstance, par les prêtres fût tellement hors de la vraisemblance qu’il faille y voir de la mauvaise foi.

116. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Henri de L’Épinois » pp. 83-97

Il le trouva dans cette circonstance qu’il était piquant autant qu’il était utile d’opposer à l’éructation gongorienne de Victor Hugo, ce Pousse-vent énorme, quelque chose de résistant, de substantiel et de plein, qui dégonflât avec l’infatigable piqûre d’épingle des faits, de creuses et d’hyperboliques déclamations. […] Il écrit cependant quelque part, en commençant son histoire : « Il n’est pas sans intérêt de montrer comment les circonstances, en manifestant PEUT-ÊTRE un dessein providentiel, ont dégagé dans l’histoire cette souveraineté naissante… » Mais il oublie que la question est plus profonde que cela, et cette parole : Le dessein peut-être providentiel, est une de ces faiblesses qui prouve que chez M. de L’Épinois le penseur catholique est inférieur à l’érudit. […] Il démontre, par le récit des faits, l’impossibilité qu’il y avait, les circonstances historiques d’alors étant données, à ce que l’Église ne se constituât pas politiquement un jour, et n’accouchât pas de ce gouvernement temporel qu’elle portait au fond de ses entrailles comme le frère jumeau de son gouvernement spirituel.

117. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Collé »

Collé, fils des circonstances comme tout le monde, s’y méprit lui-même. […] Quelles circonstances l’entraînèrent si loin de sa voie naturelle ? […] Les circonstances sont les coups de marteau qui enfoncent le clou, droit ou de travers, dans la vie.

118. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — III. (Fin.) » pp. 371-393

On me dit que Benjamin Constant parlait mal de Roederer ; je le crois bien : ils s’étaient connus, ils s’étaient rencontrés et même rendu de bons offices ; Benjamin se vantait d’avoir une fois rapproché Roederer de Sieyès qui le boudait ; Roederer avait eu souvent à écrire sur les brochures de Benjamin Constant : tout cela était bien ; mais un jour, dans une circonstance capitale, Roederer l’avait déjoué et blessé. […] Elle ne me fait point aller plus vite ni autrement que les mobiles naturels qui sont en moi… Je n’ai jamais eu à combattre ni pour elle ni contre elle ; elle n’est jamais plus pressée que moi ; elle ne va qu’avec les circonstances et l’ensemble de mes idées […] Lorsque Joseph passa de Naples sur le trône d’Espagne, ce fut Roederer qui fut chargé deux fois et dans des circonstances diversement délicates (avril 1809 et juillet 1813) d’aller lui transmettre les intentions de l’empereur, de les lui interpréter et de les lui faire agréer. […] Ce n’est pas un Génie qui me révèle tout à coup en secret ce que j’ai à dire ou à faire dans une circonstance inattendue pour les autres, c’est ma réflexion, c’est la méditation. […] Frochot, alors préfet à Marseille, et qui se disait peu apte aux fonctions extraordinaires que réclamaient les circonstances.

119. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Émile Augier » pp. 317-321

Publiciste plein de verve, et homme politique encore plus zélé qu’ambitieux, il ne se considérait dans les lettres proprement dites que comme un amateur, et son désir, son effort, dans les derniers temps, et quand des loisirs lui furent imposés par les circonstances, c’eût été de conquérir, en perfectionnant un de ses anciens livres, ce rang d’auteur durable dont il sentait tout le prix. […] Augier, étaient séantes en pareille circonstance et en un tel lieu.

120. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre III. De la comédie grecque » pp. 113-119

La comédie de circonstance réussit si facilement, qu’elle ne peut obtenir aucune réputation durable. […] Aristophane n’a composé que des pièces de circonstance, parce que les Grecs étaient extrêmement loin de la profondeur philosophique, qui permet de concevoir une comédie de caractère, une comédie qui intéresse l’homme de tous les pays et de tous les temps.

121. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre III. Du meilleur plan. — Du plan idéal et du plan nécessaire. »

Dans une composition littéraire, la sensibilité de l’écrivain, celle de l’auditeur ou lecteur, l’occasion, mille circonstances, l’information plus ou moins complète, le penchant de l’esprit vers tel ou tel genre de preuves, interviennent sans cesse et font que, sur chaque sujet, il y a autant de plans possibles qu’il y a de gens pour le traiter, et que le même homme, à deux moments différents, peut suivre deux différents plans. […] Souvent il arrive que le plan le meilleur dans la circonstance n’est pas le meilleur absolument : un plan idéal, d’une régularité, d’une exactitude, d’une proportion parfaites, ne servirait souvent qu’à accuser les lacunes de notre pensée et les faiblesses de notre science.

122. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 26, que les jugemens du public l’emportent à la fin sur les jugemens des gens du métier » pp. 375-381

Il n’est pas surprenant que la posterité les mette au rang de ces mémoires satyriques, qui sont curieux uniquement par les faits qu’ils apprennent ou par les circonstances des faits qu’ils rappellent. […] Mais ceux de ces poëmes, ceux des écrits de parti, dont le public fait encore cas un an après qu’ils sont publiez, ceux qu’il estime indépendamment des circonstances, passent à la postérité.

123. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

Mademoiselle B…, que je devais épouser, presque inséparable de ses amies, profita de cette circonstance pour venir, avec sa mère, rejoindre la marquise de La Pierre et visiter le continent. […] Je me rappelle même, non sans sourire, une circonstance étrange, qui montre à quel point le zèle religieux exalte le prosélytisme du cœur. […] Le bon sens d’un côté, la reconnaissance de l’autre, nous commandaient une extrême circonspection dans ces circonstances. […] Il remit les affaires à M. de Fontenay, premier secrétaire d’ambassade, comme cela se fait ordinairement dans les circonstances équivoques, afin de pouvoir désavouer des hommes secondaires, et il resta de sa personne à Naples encore quelque temps, pour recevoir des instructions de Paris. […] Tel était l’homme avec lequel j’avais à faire mon noviciat diplomatique dans une circonstance où l’on apprenait beaucoup en peu de temps.

124. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

Thiers, en tête de ce tome xiie , que les circonstances avaient retardé et qui sera suivi rapidement de trois autres, a mis une préface vive, animée, dans laquelle il expose sa manière d’entendre et d’écrire l’histoire, et où il parle aussi de lui-même et des choses présentes avec dignité et convenance. […] Ici on a affaire à un historien qui, par un concours unique de circonstances, a eu en main une quantité innombrable de pièces et papiers d’État, les vraies sources, dans tout leur secret et leur continuité, et qui, les ayant dépouillés, analysés au complet, ne va que d’un pied sûr. […] On y voit Drouet, honnête, minutieux, méticuleux, obstiné sous des dehors tranquilles, flottant ici entre des ordres contradictoires, et ne trouvant ni en lui ni dans les circonstances l’éclair qui illumine dans l’obscurité. […] Mais aussi il y a un historien des plus heureusement doués dont le procédé est autre : il lit, il étudie, il se pénètre pendant des mois et quelquefois des années d’un sujet, il en parcourt avec étendue et curiosité toutes les parties même les plus techniques, il le traverse en tous sens, s’attachant aux moindres endroits, aux plus minutieuses circonstances ; il en parle pendant ce temps avec enthousiasme, il en est plein et vous en entretient constamment, il se le répète à lui-même et aux autres ; ce trop de couleur dont il ne veut pas, il le dissipe de la sorte, il le prodigue en paroles, en saillies et en images mêmes qui vaudraient souvent la peine d’être recueillies, car, plume en main, il ne les retrouvera plus : et ce premier feu jeté, quand le moment d’écrire ou de dicter est venu, il épanche une dernière fois et tout d’une haleine son récit facile, naturel, explicatif, développé, imposant de masse et d’ensemble, où il y a bien des négligences sans doute, bien des longueurs, mais des grâces ; où rien ne saurait précisément se citer comme bien écrit, mais où il y a des choses merveilleusement dites, et où, si la brièveté et la haute concision du moraliste font défaut par moments, si l’expression surtout prend un certain air de lieu commun là où elle cesse d’être simple et où elle veut s’élever, les grandes parties positives d’administration, de guerre, sont si amplement et si largement traitées, si lumineusement rapportées et déduites, et la marche générale des choses de l’État si bien suivie, que cela suffit pour lui constituer entre les historiens modernes un mérite unique, et pour faire de son livre un monument.

125. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

L’Académie française avait proposé pour sujet d’un prix, à décerner en 1855 « une étude critique et oratoire sur le génie de Tite-Live », ajoutant à cet énoncé un programme développé où se posaient les diverses questions relatives à l’auteur et aux circonstances de sa vie, aux sources et à l’autorité de son histoire, au caractère et à la beauté de son monument. […] Dans cette Cisalpine si ravagée, il assista de près aux luttes sanglantes de la guerre civile et aux circonstances qui amenèrent le second triumvirat ; il eut dès l’enfance les impressions vives de la cité, comme Virgile avait eu celles des champs. […] Qu’on me permette un exemple bien disproportionné quant à la splendeur, mais non pas quant aux circonstances essentielles : supposez que de la grande Histoire de Mézeray on n’ait conservé que les premiers âges à demi fabuleux des Mérovingiens, et puis les règnes de Jean, de Charles V, de Charles VI, et, si l’on veut même, de Charles VII, les guerres des Anglais, et qu’on ait perdu tout le xvie  siècle, où Mézeray abonde et excelle, ces tableaux des guerres civiles religieuses, où il est le compilateur le plus nourri, le plus naïvement gaulois et le plus indépendant à la française, où il se montre le mieux informé et le plus sensé des narrateurs ; aura-t-on, je le demande, du talent de Mézeray et de sa nature d’esprit une idée entière, et surtout pourra-t-on pousser cette idée et la définition de cet esprit jusqu’à la rigueur d’une formule, jusqu’à en extraire le dernier mot ? […] C’est presque s’attribuer la sagacité souveraine et usurper sur la puissance universelle que de dire d’un être semblable à nous : « Il est cela ; et, tel point de départ étant donné, telles circonstances s’y joignant, il devait être cela, ni plus ni moins, il ne pouvait être autre chose. » Notez que je ne parle ainsi que parce que j’ai devant moi une ambition scientifique impérieuse et précise ; car, littérairement, et sans y attacher tant de rigueur, on peut se permettre de ces résumés vifs, de ces termes brefs qui peignent et qui fixent un personnage, de ces aperçus qui animent une analyse et qui ne tirent pas à conséquence.

126. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

D’ailleurs, on peut trouver dans la vie un intérêt, un mobile, un but, sans être la proie des mouvements passionnés ; chaque circonstance mérite une préférence sur telle autre, et toute préférence motive un souhait, une action ; mais l’objet des désirs de la passion, ce n’est pas ce qui est, mais ce qu’elle suppose, c’est une sorte de fièvre qui présente toujours un but imaginaire qu’il faut atteindre avec des moyens réels, et mettant sans cesse l’homme aux prises avec la nature des choses, lui rend indispensablement nécessaire ce qui est tout à fait impossible. […] Un seul sentiment peut servir de guide dans toutes les situations, peut s’appliquer à toutes les circonstances, c’est la pitié : avec quelle disposition plus efficace pourrait-on supporter et les autres et soi-même ? […] C’est dans la crise d’une révolution qu’on entend répéter sans cesse, que la pitié est un sentiment puérile, qui s’oppose à toute action nécessaire, à l’intérêt général, et qu’il faut la reléguer avec les affections efféminées, indignes des hommes d’état ou des chefs de parti ; c’est au contraire au milieu d’une révolution que la pitié, ce mouvement involontaire dans toute autre circonstance, devrait être une règle de conduite ; tous les liens qui retenaient sont déliés, l’intérêt de parti devient pour tous les hommes le but par excellence : ce but, étant censé renfermer et la véritable vertu et le seul bonheur général, prend momentanément la place de toute autre espèce de loi : hors dans un temps où la passion s’est mise dans le raisonnement, il n’y a qu’une sensation, c’est-à-dire, quelque chose qui est un peu de la nature de la passion même, qu’il soit possible de lui opposer avec succès ; lorsque la justice est reconnue, on peut se passer de pitié ; mais une révolution, quel que soit son but, suspend l’état social, et il faut remonter à la source de toutes les lois, dans un moment où ce qu’on appelle un pouvoir légal, est un nom qui n’a plus de sens. […] heureuse aussi, si j’avais diminué de son activité, en présentant aux hommes une analyse exacte de ce que vaut la vie, une analyse qui démontrât que les destinées diffèrent entre elles bien plus par les caractères que par les situations, que les plaisirs que l’on peut éprouver, dans quelques circonstances que ce soit, sont soumis à des chances certaines, qui, à la longue, réduisent tout au même terme, et que ce bonheur qu’on croit toujours trouver dans les objets extérieurs, n’est qu’un fantôme créé par l’imagination, qu’elle poursuit après l’avoir fait naître, et qu’elle veut atteindre au-dehors, tandis qu’il n’a d’existence qu’en elle.

127. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

Il démêle la nature de l’objet à travers la nuée des circonstances qui l’obscurcissent et la multitude des détails qui l’enveloppent. […] Il la voit donc enrichie de ses détails et environnée de ses circonstances ; l’idée simple, tombant sur son esprit comme sur un prisme, se déploie en mille couleurs. […] Non, les conditions lui manquent, les circonstances l’arrêtent ; il est impuissant à se dégager, et sa force mutilée ne le soulève qu’à demi. […] L’ambition est dans chaque homme comme dans Macbeth, et le poëte a pu l’observer dans toutes les âmes ; mais elle y a été mutilée ou étouffée par les circonstances, par l’éducation, par la froideur du tempérament, par la mobilité du caractère.

128. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « La Religieuse de Toulouse, par M. Jules Janin. (2 vol. in-8º.) » pp. 103-120

Mais ce ne fut qu’en 1686 que la foudre, toujours conjurée, éclata : la maison fut détruite, et la congrégation dispersée, avec des circonstances qui excitèrent alors l’intérêt universel. […] À la Cour, ce fut toujours une note fâcheuse contre M. d’Aguesseau d’avoir eu une de ses filles à l’Enfance, et on crut que, sans cette circonstance qui lui donnait une couleur aux yeux de certaines gens, il aurait été chancelier, comme son fils le devint depuis. […] Il a très bien senti et mis en relief les principaux traits du caractère de Mme de Mondonville ; mais il n’a pas d’ailleurs visé à restituer, d’après les faits historiques connus, les autres circonstances qui seraient plus ou moins vraisemblables. […] J’ai tant de respect, je l’avoue, pour tout ce qu’on peut savoir de vérité historique, que j’aurais préféré un récit tout simple, tout nu, de ce qu’on sait sur cette congrégation de l’Enfance, ou du moins un récit dans lequel les circonstances inventées n’eussent paru jurer en rien avec les faits d’autre part avérés et établis.

129. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VII. Narrations. — Dialogues. — Dissertations. »

Ainsi Tacite, s’imposant la loi de faire l’histoire du monde romain année par année, raconte d’abord l’histoire extérieure, les campagnes, les guerres, les révoltes, puis l’histoire intérieure, les événements du palais impérial, et les affaires du sénat, enfin les menus incidents, les singularités, les circonstances secondaires, ce qu’on peut appeler les faits-divers de la vie romaine : et dans tous ces morceaux juxtaposés, il n’empiète guère d’une année sur l’autre. […] Exposer son sujet, c’est-à-dire indiquer le temps, le lieu, toutes les circonstances particulières, présenter les personnages, marquer les caractères, annoncer l’action qui va mettre aux prises ces personnages et ces caractères, en rappelant tous les événements antérieurs qu’il est nécessaire de connaître pour comprendre ce qui va se passer ensuite ; développer le sujet, c’est-à-dire montrer le jeu des caractères, l’évolution des idées et des sentiments, la série des faits qui résultent des états d’âme et qui les modifient aussi, faire agir en un mot et souffrir les personnages, dénouer enfin le sujet, c’est-à-dire pousser l’action et les caractères vers un but où l’une s’achève et les autres se complètent, de telle sorte que le lecteur n’ait plus rien à désirer et que toutes les promesses du début soient remplies, voilà la formule classique de l’œuvre dramatique, qui s’adapte merveilleusement aux conditions des brèves narrations. […] Le dialogue que demandent la logique des événements et la nature intime des individus, n’est pas celui que composent dans le monde les circonstances, les convenances et l’intérêt : ce qui est philosophique et vrai n’a guère l’air de la vie et de la réalité.

130. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Rousseau, et Joseph Saurin. » pp. 28-46

On rapprocha les circonstances, tous les propos qu’on lui avoit oui tenir. […] Mais sa dévotion, en pareilles circonstances, fut mal interprétée. […] Le comte du Luc & M. de Sénozan profitèrent de ces circonstances favorables à Rousseau.

131. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Louis XVI et sa cour »

Amédée Renée n’est point de ces esprits qu’on fait venir d’Amiens, ou même d’ailleurs, pour être Suisses, mais, si l’on crut que dans la circonstance il aurait la condescendance de l’être un peu, par procédé de légataire ou par souci de l’illusion à produire sur les honnêtes gens qui voulaient avoir leur Sismondi complet, on se trompa du tout au tout, et l’on fut bien vite désabusé. […] Louis XVI arrivait dans les plus heureuses circonstances, car c’est toujours une chance favorable et charmante que de succéder à un mauvais roi. […] Tous ces abandons successifs de tous les hommes que les circonstances envoyèrent à Louis XVI pour sauver son État ou du moins pour en retarder la chute, et qui ne purent l’empêcher, parce qu’il ne les étaya pas et qu’il les laissa tomber sous l’effort de leur tentative, Turgot, Necker, et jusqu’à Galonné, ces abandons qui sont plus que des crimes, car ce sont des lâchetés, Renée ne les voile point, ne les atténue pas, mais, quand il les juge, il pourrait enfoncer le trait davantage.

132. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires sur Voltaire. et sur ses ouvrages, par Longchamp et Wagnière, ses secrétaires. »

Les circonstances y sont pour beaucoup ; car, grâce à un parti, Voltaire n’a pas cessé d’être, ou, pour mieux dire, il est redevenu pour nous l’homme de la circonstance.

133. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVII. Sort des ennemis de Jésus. »

Selon d’autres, il mourut d’une sorte d’hydropisie, accompagnée de circonstances repoussantes que l’on prit pour un châtiment du ciel 1229. […] Matthieu, ou plutôt son interpolateur, a ici donné un tour moins satisfaisant à la tradition, afin d’y rattacher la circonstance d’un cimetière pour les étrangers, qui se trouvait près de là.

134. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XI. Suite des machines poétiques. — Songe d’Énée. Songe d’Athalie. »

Ce fantôme qui regarde Énée en silence, ces larges pleurs, ces pieds enflés, sont les petites circonstances que choisit toujours le grand peintre, pour mettre l’objet sous les yeux. […] Enfin, cette ombre d’une mère qui se baisse vers le lit de sa fille, comme pour s’y cacher, et qui se transforme tout à coup en os et en chairs meurtris, est une de ces beautés vagues, de ces circonstances effrayantes de la vraie nature du fantôme.

135. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

On avait fait à ce livre, très superficiel selon moi, une vogue de circonstance et une popularité de parti. […] Il s’étonnait, en se rappelant les circonstances intimes dont il avait été témoin, des calomnies doctrinaires et orléanistes qui faisaient de moi un courtisan mécontent, renversant une monarchie qui ne lui avait pas ouvert ses rangs pour donner carrière à son ambition. […] Croker, pamphlétaire officieux de Louis-Philippe à Londres depuis son exil à Claremont, les circonstances et les paroles échangées entre le roi et moi dans ce premier entretien aux Tuileries. […] Dupin, dans le quatrième volume de ses Mémoires, véritables archives des choses et des hommes de ce temps, se trompe involontairement, je n’en doute pas, sur mes vues et sur mon caractère dans cette circonstance. […] Le premier ministre posa la question ; il prit la bravade pour le courage, il se posa en homme ferme qui accepte le combat avec l’opinion, qui ne cède rien au temps et aux circonstances, et qui ne veut tomber qu’avec la monarchie.

136. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

Une circonstance heureuse favorise ce rapprochement. […] Remarquons que le mécanisme le plus radical est celui qui fait de la conscience un épiphénomène, capable de venir s’ajouter, dans des circonstances données, à certains mouvements moléculaires. […] Et c’est pourquoi nous cherchons en vain à expliquer notre brusque changement de résolution par les circonstances apparentes qui le précédèrent. […] Aussi a-t-on eu tort, pour prouver que l’homme est capable de choisir sans motif, d’aller chercher des exemples dans les circonstances ordinaires et même indifférentes de la vie. […] Pour fixer les idées, imaginons un personnage appelé à prendre une décision apparemment libre dans des circonstances graves ; nous l’appellerons Pierre.

137. (1874) Premiers lundis. Tome II « Dupin Aîné. Réception à l’Académie française »

Dans la position toute particulière où il se trouve depuis quelques mois, personnage politique important, ballotté par les conjectures diverses de l’opinion, jugé avec une sévérité équitable pour avoir déserté un admirable rôle en une circonstance récente, désigné pourtant encore comme ressource prochaine et dernière d’un système qui a usé tous ses hommes, comment M.  […] Mais ceci n’était plus qu’une jactance oratoire, une morgue de faux homme de bien, du moment que, magistrat investi des plus hautes fonctions du ministère public, on avait fait taire dans une circonstance décisive son devoir suprême, sa conscience légale, ses antécédents notoires, et jusqu’à ces instincts entraînants de parole, seconde conscience de l’orateur.

138. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Il est vrai qu’en remontant au tems et aux circonstances, où une chose sublime a été dite, on reconnoît bien qu’elle a dû étonner alors ; et on l’admire soi-même, en la regardant dans son origine : mais l’imitateur qui la répete, ne peut plus que surprendre l’estime de ceux qui l’ignorent, et qui prennent sa mémoire pour du génie. […] Je crois de même que nos pensées, quoiqu’elles roulent toutes sur des idées qui nous sont communes, peuvent cependant par leurs circonstances, leur tour et leur application particuliére, avoir à l’infini quelque chose d’original. […] L’obscurité de ses pensées s’est accrüe à mesure que les circonstances qui y avoient rapport, se sont effacées, ou que sa langue est devenuë moins familiére. […] Il est cause ordinairement qu’un traducteur idolâtre, pour vouloir rendre trop exactement toutes les beautés de son auteur, n’en rend en effet aucune ; car il est impossible, sur-tout en vers, que toutes les circonstances d’une pensée passent avec un bonheur égal d’une langue dans une autre. […] J’avois intérêt de rapporter cette circonstance ; et je voudrois en effet que le lecteur s’en souvînt à chaque faute qu’il remarquera dans mes odes ; il en seroit plus disposé à me faire grace.

139. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Cet empiétement de l’art sur la science, qui empêche celle-ci de se développer, est d’ailleurs facilité par les circonstances mêmes qui déterminent l’éveil de la réflexion scientifique. […] Elles ne paraissent donc pas être autre chose que la mise en œuvre d’idées, innées ou non, que nous portons en nous, que leur application aux diverses circonstances qui accompagnent les relations des hommes entre eux. […] Pour ce qui est du détail des règles juridiques et morales, elles n’auraient, pour ainsi dire, pas d’existence par elles-mêmes, mais ne seraient que cette notion fondamentale appliquée aux circonstances particulières de la vie et diversifiée suivant les cas. […] Ils ne sont pas dus à je ne sais quelle anticipation transcendantale de la réalité, mais ils sont la résultante de toute sorte d’impressions et d’émotions accumulées sans ordre, au hasard des circonstances, sans interprétation méthodique. […] Quant aux sentiments moraux qui ont disparu dans la suite de l’évolution, ils ne lui paraissent pas fondés dans la nature des choses pour cette raison qu’ils n’ont pas réussi à se maintenir ; par suite, les actes qui ont été réputés criminels parce qu’ils les violaient, lui semblent n’avoir dû cette dénomination qu’à des circonstances accidentelles et plus ou moins pathologiques.

140. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

Le plus souvent cette vive action s’est produite dans des circonstances toutes particulières et sur des questions très-déterminées. […] Que si cette vue, d’ailleurs, concorde assez bien avec les circonstances éparses, si seulement ces circonstances s’y prêtent et que le talent soit doué d’assez de puissance, non pas pour les créer (à lui seul il n’y suffirait pas), mais pour les rallier en faisceau, il en résulte les grands succès.

141. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

Hommes, œuvres, genres, tout ce qui était pratique ou actuel, tout ce qui servait ou exprimait les intérêts ou les passions de circonstance, prit le dessus. […] Cette période se clôt par la Satire Ménippée, œuvre de circonstance et de polémique, dont l’intérêt dépasse la circonstance, et dont la polémique annonce l’apaisement.

142. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IX. Les disciples de Jésus. »

La même rivalité semble poindre dans l’évangile de Jean, où l’on voit le narrateur déclarer sans cesse qu’il a été le « disciple chéri » auquel le maître en mourant a confié sa mère, et chercher systématiquement à se placer près de Simon Pierre, parfois à se mettre avant lui, dans des circonstances importantes où les évangélistes plus anciens l’avaient omis 464. […] Il affectait de savoir sur celui qu’il voulait gagner quelque chose d’intime, ou bien il lui rappelait une circonstance chère à son cœur. […] La circonstance rapportée dans Jean, XIX, 25-27, semble supposer qu’à aucune époque de la vie publique de Jésus, ses propres frères ne se rapprochèrent de lui.

143. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

Enfin il subordonna la vérité libératrice à une théorie psychologique : « Le temps et les circonstances, qui élargissent les vues de la plupart des hommes, rétrécissent les vues des femmes presque invariablement. » Malheureusement, si l’auteur illustre cette hypothèse par la victoire chaque jour plus complète de Jude sur les préjugés et par la défaite finale de Suzanne, il la contredit par le changement, trop féminin alors, de Phillotson, d’abord intelligent et généreux, qui ensuite obéit aux plus ridicules convenances et se laisse persuader aux chuchotements des plus sordides calculs, Thomas Hardy, intelligence anglaise, riche et complexe, mais perdue et tâtonnante au labyrinthe du détail, ne sait même pas pourquoi « l’expérience » de Suzanne et de Jude a échoué. Tantôt il allègue la doctrine psychologique de l’influence contraire du temps et des circonstances sur l’esprit féminin et sur l’esprit masculin. Parfois il croit que Suzanne, pour anesthésier une souffrance trop grande, s’est enivrée de foi mais que, ses enfants vivants, le temps ni les circonstances n’auraient rien pu contre elle.

144. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Édouard Gourdon et Antoine Gandon » pp. 79-94

Louise est l’histoire d’un amour venu à Paris dans les circonstances assez ordinaires de la vie qu’on y mène, partagé d’ailleurs, filant dans le bleu sans obstacle, heureux d’un bonheur complet et au seul endroit où il soit complet : à la campagne ; puis se brisant tout à coup, comme un verre éclate. […] est-ce cette situation, découverte cruellement par les circonstances, qui est la cause de cette rupture douloureuse, mais définitive, sur laquelle finit le roman ? […] Il dit que de toutes ces circonstances si favorables, qu’il décrit fort exactement, jaillit l’amour entre lui et Louise, comme la flamme jaillit d’un feu bien fait.

145. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Xavier Aubryet et Albéric Second » pp. 255-270

Tout cela est charmant… Or, cette femme, une nuit, en chemin de fer, à moitié endormie (je ne discute aucune des circonstances qui s’entrelacent autour d’elle, cherchez-les dans le livre !) […] Le roman d’Albéric Second est l’histoire d’un amour né dans les circonstances les plus inattendues et les moins propres, semble-t-il, à faire naître l’amour dans une âme… Il faut être, en effet, un écrivain très sûr et très maître de soi pour avoir osé la circonstance, et l’état mental et physique, et l’immonde costume dans lequel, dès les premières pages de son livre, l’auteur fait apparaître son héros, attaqué de folie, fuyant son cabanon, se présentant, effaré, aux yeux de tout Paris, en plein théâtre Italien, dans la loge de la comtesse Alice.

146. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

D’ordinaire, l’une des deux tendances recouvre ou écrase l’autre, mais, dans des circonstances exceptionnelles, celle-ci se dégage et reconquiert la place perdue. La mobilité et la conscience de la cellule végétale ne sont pas à ce point endormies qu’elles ne puissent se réveiller quand les circonstances le permettent ou l’exigent. […] Ils y échappèrent et à cette heureuse circonstance tient l’épanouissement actuel des formes les plus hautes de la vie. […] La fonction essentielle de l’intelligence sera donc de démêler, dans des circonstances quelconques, le moyen de se tirer d’affaire. […] La constance du thème n’en est pas moins manifeste, et les variations ne font que l’adapter à la diversité des circonstances.

147. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

Circonstances qui augmentent la précision et l’énergie de l’image. — En ce cas, elle ressemble de plus en plus à la sensation. — Cas où la sensation est récente. — Cas où la sensation est prochainement attendue. — Exemples pour les images qui correspondent à des sensations de la vue, de l’ouïe, du goût, du toucher. — Effets égaux et semblables de l’image et de la sensation correspondante. — En ce cas, l’image est prise, au moins pendant un instant, pour la sensation correspondante. […] Maury. — Hallucinations volontaires. — Diverses circonstances où l’image devient hallucinatoire. — Ces cas extrêmes sont des indices de l’état normal. — Dans l’état normal, l’illusion est aussitôt défaite. — Elle est défaite par la présence d’un antagoniste ou réducteur. […] Revenus à eux, ils affirmaient qu’ils avaient vu des yeux flamboyants, une gueule ouverte. — Dans tous les cas, du moins pendant un instant, l’image n’a pas différé de la sensation correspondante, et c’est seulement au bout d’un temps long ou court que, dans l’apaisement du souvenir, par l’examen des circonstances, l’homme trompé a reconnu qu’il s’était trompé. […] C’est pourquoi la solitude, le silence, l’obscurité, le manque d’attention, toutes les circonstances qui suppriment ou diminuent la sensation correctrice, facilitent ou provoquent l’hallucination ; et, réciproquement, la compagnie, la lumière, la conversation, l’éveil de l’attention, toutes les circonstances qui font naître ou qui accroissent la sensation correctrice, détruisent ou affaiblissent l’hallucination34. […] Le soutenir que j’avais eu de lui se trouvait ainsi expliqué naturellement. — Mais il y avait en plus cette circonstance qu’il m’était apparu comme un cadavre.

148. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Il y a des lois, mais des lois très profondes ; on n’en voit jamais l’action simple, le résultat est toujours compliqué de circonstances accidentelles. […] Les quatre Évangiles canoniques rapportent souvent un même fait avec des variantes de circonstances assez considérables. […] Car, si les circonstances sont seulement différentes et non absolument inconciliables, ils diront que l’un des textes a conservé certains détails omis par l’autre, et ils mettront bout à bout les circonstances diverses au risque d’en faire le récit le plus grotesque. Si les circonstances sont décidément contradictoires, ils diront que le fait raconté est double ou triple, bien qu’aux yeux de la saine critique les divers narrateurs aient évidemment en vue le même événement. […] Les circonstances de la résurrection donnent lieu à des difficultés analogues, auxquelles on oppose des solutions semblables.

149. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome I

Elle dirige donc l’expérimentation en déterminant les circonstances dans lesquelles elle doit être instituée. […] J’étais convaincu, au contraire, qu’il y avait une circonstance particulière qui devait expliquer la différence du phénomène, et je cherchai à apprécier cette circonstance. […] Ces deux circonstances deviennent la source d’une foule de variétés dans l’aspect de la réaction dont il est bon d’être prévenu. […] Ces circonstances sont de trois ordres. […] Dans ces circonstances, le sucre n’apparaissait pas au dehors.

150. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

Je raconte ces bagatelles, remarque-t-il, parce qu’elles servent à prouver que les circonstances m’ont porté où j’ai été élevé, et que je n’y ai contribué en rien. […] Il me semble que le caractère de Bailly se dessine ici sous sa propre plume : hâtons-nous d’ajouter que cet homme si sensible, si touché, si peu au fait, ce semble, des mille circonstances compliquées et confuses de la société de son époque, et qui manque certainement de génie et de coup d’œil politique, ne manquera nullement de fermeté et de force de résistance dès que le devoir et la conscience lui parleront. […] Il y a plus, Bailly, président d’assemblée, ou administrateur et maire, trouve selon les circonstances une force d’action inaccoutumée et dont il s’étonne lui-même : « Au reste, je suis toujours fort quand il y a une loi », nous dit-il. […] On a essayé, dans ces dernières années, d’affaiblir l’horreur des scènes de son supplice et d’en contester quelques circonstances secondaires.

151. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Je regarde cela comme une dette d’argent : et dans notre famille nous avons tous été élevés avec des principes qui nous font envisager avec la plus grande frayeur de contracter des obligations que tant de circonstances peuvent empêcher de remplir. […] Il se retourna alors vers la peinture, luttant contre les circonstances pénibles avec l’opiniâtreté de sa volonté jointe à de la timidité dans le caractère. […] Une circonstance heureuse, souvent racontée, vint servir à souhait Léopold à son début, ainsi que son ami Schnetz, qu’il ne faut point séparer de lui dans leur tentative courageuse. […] Le travail est la sauvegarde la meilleure dans ces circonstances.

152. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

. — Enfin il y eut, à la dernière heure du Directoire, les hommes qui en étaient las avec toute la France, qui avaient soif d’en sortir et qui entrèrent avec patriotisme dans la pensée et l’accomplissement du 18 brumaire : Rœderer, Volney, Cabanis… Je crois que je n’ai rien omis, que tous les moments essentiels de la Révolution sont représentés, et que chacun de ces principaux courants d’opinion vient, en effet, livrer à son tour au jugement de l’histoire des chefs de file en renom, des hommes sui generis qui ont le droit d’être jugés selon leurs convictions, selon leur formule, et eu égard aux graves et périlleuses circonstances où ils intervinrent. […] Ces opinions, dans d’autres circonstances, ont pu se développer, devenir plus réfléchies ; mais je ne me rappelle pas en avoir jamais changé. » Malouet, en ces deux années d’études originales, faites aux sources, avait acquis la première étoffe, non-seulement du commissaire administrateur de Cayenne et de la Guyane, non-seulement de l’intendant de Toulon, mais celle du conseiller d’État qu’il fut depuis, du grand administrateur, créateur de l’arsenal d’Anvers, et du ministre de la marine. […] Malouet eut fort à se louer, en cette circonstance, du comte de Broglie, l’ancien correspondant de Louis xv, caractère passionné, âme ferme, et qui se fit spontanément l’avocat et le champion de l’honnête homme calomnié. […] Les connaisseurs en matière de xviiie  siècle font cas d’un petit écrit posthume de l’académicien Chabanon, qui a titre : Tableau de quelques circonstances de ma vie ; précis de ma liaison avec mon frère Maugris (1795).

153. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

L’autre Mémoire sur les avantages à retirer de colonies nouvelles dans les circonstances présentes mériterait aussi une analyse : il se rapporte particulièrement à l’état moral de la France d’alors, et il est plein de vues sages ou même profondes. […] Le flair merveilleux des événements, l’art de l’à-propos, la justesse et, au besoin, la résolution dans le conseil, M. de Talleyrand les possédait à un degré éminent ; mais cela dit et reconnu, il ne songeait, après tout, qu’à réussir personnellement, à tirer son profit des circonstances : l’amour du bien public, la grandeur de l’État et son bon renom dans le monde ne le préoccupaient que médiocrement durant ses veilles. […] Il n’y a de variante que dans la version de la circonstance fortuite qui aurait préservé la pièce de l’autodafé, et l’on conçoit que le récit du secrétaire infidèle n’ait pas été le même avec tous. […] Ce fut Talleyrand alors qui fut choisi comme l’interprète du Directoire auprès du général Bonaparte dans deux circonstances qui avaient un caractère révolutionnaire : la première, pour le décider à assister à la fête anniversaire du 21 janvier ; la seconde, pour justifier l’assassinat de deux jeunes gens qui avaient fait une manifestation royaliste au café Garcby.

154. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Mais dans bien des circonstances, l’opposition s’élève entre l’intérêt, les désirs personnels du chien, et nos désirs à nous, le dieu qui lui dicte sa morale. […] Des circonstances qu’on peut imaginer, et tout au plus entrevoir, mais sur lesquelles des données précises et suffisantes font défaut, l’ont engagé dans le tourbillon social. […] Les circonstances qui l’ont amené à s’engager dans celle-ci ne l’ont pas tellement transformé qu’il ait pu, d’emblée, s’y trouver à l’aise. […] Il y était mal préparé par son hérédité peut-être, ou les circonstances ont peu favorisé sa transformation.

155. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

La philosophie se ressent plus ou moins des circonstances. […] La circonstance était favorable : la cour devait passer à Baïes les cinq jours consacrés à Cérès. […] Croirait-on qu’il y eût une circonstance capable d’ajouter à l’horreur de ce forfait ? […] Qui sera assez juste appréciateur des circonstances où l’Empire se trouvait, pour oser blâmer la condescendance de Sénèque. […] Le discours véhément que le sieur Sigogne tint au roi dans cette circonstance, est très-bon à lire.

156. (1874) Premiers lundis. Tome I « Dumouriez et la Révolution française, par M. Ledieu. »

De nombreux écrits de circonstance adressés à la France ou à l’émigration, des pamphlets contre Bonaparte, des liaisons avec Moreau et Pichegru, des instructions militaires à l’Espagne, tout révèle en lui une ferveur d’esprit que l’âge ni l’infortune ne pouvaient glacer. […] Mais, en se rendant à Saint-Pétersbourg, Dumouriez réfléchit beaucoup sur cette petite circonstance ; il comprit que si on lui contestait si obstinément un grade, on n’était guère disposé à céder sur des points bien autrement importants ; et dès lors il se tint sur la réserve avec la cour de Mittau.

157. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Introduction »

Ils n’ont raison qu’en un sens très limité, comme nous le verrons bientôt, mais c’est aller trop loin que d’attribuer à des circonstances purement extérieures la structure du Pic, par exemple, avec ses pieds, sa queue, son bec et sa langue si admirablement conformés pour attraper des insectes sous l’écorce des arbres. […] Nous pourrons cependant discuter quelles sont les circonstances le plus favorables aux variations.

158. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Examen du clair-obscur » pp. 34-38

Or ce rapport est infiniment petit, il n’y faut donc avoir aucun égard ; et cette circonstance est absurde, à moins qu’elle ne soit donnée par l’histoire ainsi que les autres circonstances de l’action.

159. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Première partie. Les idées anciennes devenues inintelligibles » pp. 106-113

Dans l’assemblée dont nous parlions tout à l’heure on voyait deux choses à la fois : certains dogmes de la société ancienne, à moitié admis, à moitié rejetés par ceux qui les professaient encore, ou qui voulaient encore les professer ; certains dogmes de la société nouvelle, qu’on avait le dessein d’admettre sans conviction, et par la seule nécessité des circonstances. […] Laissons-en tout l’opprobre aux factieux et aux intrigants, toujours si habiles à se saisir des circonstances.

160. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — II »

Et comme il considérait que le devoir pour chacun est de tendre à sa perfection, je suis certain qu’il se demanda : « Ai-je bien profité pour ennoblir mon être de toutes les facilités que m’ont offertes les circonstances ?  […] Cependant les circonstances le contraignaient à fréquenter le monde des publicistes, auxquels il est permis de croire que son âpre jeunesse répugnait, et il sut encore tourner à profit des fréquentations qu’il n’avait acceptées d’abord que comme des conditions regrettables de son indépendance.

161. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

Mille circonstances désolantes que je ne soupçonnais pas sont venues compliquer ma situation et me prouver que le parti que ma conscience me conseillait ouvrait devant moi un abîme de peines. […] L’amour filial avait absorbé en moi toutes les autres affections dont j’étais capable et auxquelles Dieu ne m’a pas appelé ; et puis il y avait entre ma mère et moi des liens tout spéciaux tenant à mille circonstances délicates qu’on ne peut que sentir. […] Une circonstance extérieure vint hâter, malgré moi, mes pas un peu lents. […] Je crus devoir poursuivre dès lors ce que les circonstances avaient si bien commencé pour moi ; je fis en un jour ce que je comptais faire en quelques semaines, et, le soir même de mon arrivée, je ne faisais partie ni du séminaire ni de la maison des Carmes. […] Ô mon ami, qu’il est cruel d’être gêné dans son développement intellectuel par des circonstances extérieures !

162. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVI. Jésus au tombeau. »

Pilate, qui ignorait la circonstance du crurifragium, s’étonna que Jésus fût sitôt mort, et fit venir le centurion qui avait commandé l’exécution, pour savoir ce qu’il en était. […] Disons cependant que la forte imagination de Marie de Magdala 1216 joua dans cette circonstance un rôle capital 1217.

163. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — S’il est plus aisé, de faire une belle action, qu’une belle page. » pp. 539-539

L’éducation, la circonstance, le moment, un tour de tête passager précipitent l’homme au fond du gouffre et l’entraînent à une action qui tient l’univers étonné dans le silence de l’admiration ; il n’en est pas ainsi de cent beaux vers. […] Je conçois mille circonstances où la vie et la fortune ne me seraient pas d’un fétu, et j’ai assez vécu pour savoir que je ne m’en impose pas… » Tous les hommes et toutes les femmes vous en diront autant, et si vous y réfléchissez, vous trouverez qu’un sauvage, un paysan, un homme, une femme du peuple, une bête est plus voisine d’une action héroïque qu’un D’Alembert, un Buffon ou quelque autre membre illustre d’une académie.

164. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 17, quand ont fini les représentations somptueuses des anciens. De l’excellence de leurs chants » pp. 296-308

Ce sac plus cruel dans toutes ses circonstances que les précedens, et qui fut la cause qu’on vit des femmes patriciennes mandier à la porte de leurs propres maisons, dont les barbares s’étoient rendus les maîtres, est la véritable époque de l’anéantissement presque total des lettres et des arts, que du moins on cultivoit toujours, quoique ce fut sans beaucoup de fruit. […] Les circonstances du temps et du lieu font voir que ce passage doit s’entendre des chrétiens.

165. (1901) Figures et caractères

Jamais on ne fut moins aidé des circonstances. […] Ce droit, naturel en toute circonstance, est ici sacré. […] Il se prête à toutes les circonstances. […] Il était poète de circonstance, de circonstances tragiques je veux bien. […] On accuse moins le destin que les circonstances.

166. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — III. (Fin.) » pp. 175-194

En matière de finances, de même que plus tard en artillerie et dans l’art des sièges, ne demandez pas à Rosny des inventions qui changent la science et la fassent avancer : il n’a pas de ces grandes vues générales, et souvent simples dans leur principe ; mais des inventions et des industries de détail, il en est plein ; il a toutes sortes d’expédients pour tirer parti des circonstances et pour rétablir les choses sur le meilleur pied et le plus solide. […] Rosny se charge de la rappeler en plus d’une circonstance à ses coreligionnaires turbulents, aux Bouillon, aux La Trémoille. […] Rosny pourtant n’est pas de ceux qui la souhaitent en toute circonstance, et, quand il voit l’année suivante le duc de Savoie venir en France (1599) et essayer de tromper la générosité de Henri IV, il est le premier à conseiller au roi de reconduire ce duc astucieux avec une escorte de quinze mille hommes et de vingt canons jusqu’à la frontière, sauf à s’en servir aussitôt après. […] Il lui reproche de manquer de vue, de conseil, et, dans de telles circonstances, de n’avoir songé qu’à sa situation privée, à ses charges et aux dédommagements qu’il pouvait exiger en se retirant : « Il est vrai, dit Richelieu, qu’on n’avait autre intention que de lui faire un pont d’or, que les grandes âmes souvent méprisent, lorsqu’en leur retraite ils peuvent eux-mêmes s’en faire un de gloire. » Richelieu eut aussi, mais par nécessité seulement, ses heures et ses années de souplesse où, bon gré mal gré, la gloire fut subordonnée à d’autres soins : quand il fut au complet et qu’il put donner toute sa mesure, reconnaissons qu’il eut autrement de généreux orgueil et de grandeur d’âme.

167. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Mézeray, nous racontant la Saint-Barthélemy et le contrecoup de cette nuit sanglante dans les provinces, me fait l’effet d’un historien qui raconterait les massacres de Septembre après en avoir recueilli toutes les circonstances dans les auteurs originaux et de la bouche de quelques témoins survivants : un historien qui déroulerait aujourd’hui, comme il le fait, la longue traînée de forfaits qui s’alluma à ce signal dans les provinces, la bande de massacreurs en bonnets rouges à Bordeaux, les massacres des prisons à Rouen en dépit du gouverneur, « si bien qu’il y fut assommé, tué ou étranglé six ou sept cents personnes qu’ils appelaient par rôle les uns après les autres », les scènes de Lyon qui surpassèrent tout le reste en horreur, arquebusades, noyades dans le Rhône, le tout par le commandement de Pierre d’Auxerre, homme perdu de débauche, arrivé tout exprès de Paris, le Collot d’Herbois de ce temps-là ; — un historien qui écrirait, de nos jours, ces mêmes pages de Mézeray, paraîtrait avoir voulu faire des allusions aux personnages et aux événements de la Révolution française : et c’est en cela que le récit de Mézeray me paraît préférable à tous autres et d’un intérêt inappréciable, en ce que l’historien, encore à portée de ces temps, a résumé dans son propre courant tous les narrateurs originaux du xvie  siècle, et qu’en nous rendant naïvement les faits et les impressions qu’ils excitent, il nous en fait sentir l’expérience toute vive, sans soupçon de complication ni de mélange. […] Ce sont, à mon avis, dit-il, des circonstances que la Ligue inventa pour rendre cette action plus horrible. […] Une des choses qui me plaisent le plus dans Mézeray, à côté de l’agencement plein et facile de la narration, c’est le talent naturel et presque insensible avec lequel sont traités les caractères ; on les voit se développer successivement et sans parti pris selon les circonstances, avec tous leurs flux et reflux de passions ; Mézeray ne les fait jamais poser, il les laisse marcher et on les suit avec lui. […] On y apprend cette vieille France racontée dans son propre langage, avec ses propres images, ses plaisanteries de circonstance ou ses énergies naïves, et toutes ses couleurs familières, et non traduite dans un style modernisé.

168. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

C’est au milieu de ces circonstances (que je ne puis ici qu’esquisser légèrement, mais bien faites pour inspirer une curiosité dont nous n’avons plus idée), que le jésuite Bourdaloue, montant avec éclat dans les chaires de la capitale et dans celle des Tuileries, venait inopinément relever, soutenir l’honneur de son ordre, et planter à son tour le drapeau d’une prédication pressante, éloquente, austère. […] Une bonne édition de Bourdaloue, telle que je la conçois aujourd’hui (celle du père Bretonneau ayant été excellente pour son moment), devrait rassembler le plus exactement possible toutes les particularités, les éclaircissements et les inductions qui se rattacheraient à chaque sermon, en fixer la date et les circonstances lorsqu’il y aurait moyen : ces quelques notes au bas des pages, sans nuire à la gravité, animeraient la lecture. […] C’étaient toutes ces circonstances bien connues qui, jointes au courant principal de cette éloquence et à la puissance du fond, excitaient un intérêt dont nous n’avons plus l’idée aujourd’hui. […] Mais il avait une trop haute idée de la parole chrétienne pour ne pas la préparer toujours à l’avance, sachant combien les termes en doivent être mesurés : il n’improvisait pas, il aimait mieux redire ses sermons, en y adaptant des portions nouvelles pour les circonstances particulières.

169. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Moi, je ne m’en suis pas mêlé, si ce n’est par un certain tour d’esprit qui me montre les choses du bon côté, quand il me serait permis de les regarder autrement. » Ce bonheur ne le quitta pas même tout à fait dans les circonstances les plus contraires : arrêté quand il allait sortir de France, en juillet 1789, il fut sauvé, par le plus grand des hasards, de la fureur populaire ; enfin, acquitté devant le tribunal du Châtelet, et redevenu libre à la veille de la ruine totale de l’ancienne société, il eut l’opportunité d’une mort naturelle et tranquille. […] Besenval, qui n’était pas des mieux avec lui, nous l’a montré au naturel dans deux ou trois circonstances. « Extrêmement gai, d’une imagination où tout se peignait du côté plaisant, insouciant sur tout, hors sur son crédit et sur l’espèce de gens à mettre en place, qu’il n’aurait voulu que de sa façon et dans sa dépendance ; toute affaire lui offrait matière à plaisanterie, et tout individu à sarcasme. » Il se moquait de ceux qui travaillaient pour lui et avec qui il traitait, et ne cessait de leur chercher des ridicules. […] Tout a un période ; et vouloir le reculer au-delà du but qu’y mettent les circonstances, c’est se préparer des chagrins qui empoisonnent la vie, et bien souvent une chute dont on ne se relève plus. » Ceci est sage, et s’appliquerait même à de plus grands emplois que celui d’inspecteur des régiments suisses. […] [NdA] Stendhal (Beyle) qui avait plus d’une raison pour goûter Besenval et qui le cite souvent à l’appui de ses propres vues sur la société, a dit de lui : « J’aime ses mémoires ; il a la première qualité d’un historien, pas assez d’esprit pour inventer des circonstances qui changent la nature des faits ; et la seconde, qui est d’écrire sur des temps qui intéressent encore.

170. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Les circonstances m’ont détourné. […] La seconde ne lui semble pas digne de quiconque a reçu de la nature une ambition véritable : « Si vous avez ce véritable orgueil indépendant des circonstances, cet élan du mérite ; si vous avez un cœur doué de sensibilité, ne souhaitez jamais cet état intermédiaire qui place entre les grands qu’il faut être attentif à ménager et les pauvres que l’on est impuissant à secourir, entre le ton protecteur qui blesse et la prière qui afflige… » J’ai noté ce passage, parce qu’il est empreint de la marque de Jean-Jacques. […] Il a dû changer d’armes plus d’une fois et se transformer pour se faire égal aux circonstances ; mais, certes, ce qui ne lui a jamais manqué, c’est le courage ; ce n’est pas non plus l’intelligence des temps, des moments et de la société moderne largement envisagée, hardiment comprise, et si souvent talonnée par lui ou devancée en plus d’un sens. […] « Moins qu’à tout autre, je le sais, il m’appartient, en cette douloureuse circonstance, de prononcer ici les noms de la Religion et de la Raison ; aussi leur langage élevé n’est-il pas celui que je viens faire entendre, mais l’humble langage qui me convient… » Et il donnait quelques conseils pratiques, des conseils qui s’adressaient particulièrement aux témoins, seuls juges du cas d’inévitable extrémité auquel il fallait réduire de plus en plus cette odieuse pratique, débris persistant d’une autre époque.

171. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

Chéruel semble admettre qu’en plusieurs circonstances Saint-Simon, pour mieux arranger le tableau, a sciemment altéré la vérité, — par exemple, dans le récit qu’il a fait de certaine scène célèbre au Parlement, dans laquelle il a joué un rôle : on lui oppose des récits contradictoires de témoins oculaires ou des procès-verbaux d’une teneur différente. […] Si, dans cette circonstance, Saint-Simon eut des ridicules aux yeux des autres ; si, quand il prit la parole pour protester au nom des ducs, on n’entendit qu’une petite voix dont quelques-uns dans l’assistance se moquèrent ; s’il y eut du plaisant pour quelques spectateurs dans l’incident, il est certain que, plein de son objet et de sa passion, il ne s’en apercevait pas lui-même : mais, en revanche, si vous lui passez ce travers, ce tic nobiliaire (pour l’appeler par son nom), que ne distinguait-il pas sur tous ces bancs autour de lui, dans les plis de ces fronts et de ces visages, dans cette multitude de masques où la nature lui avait accordé de lire ! […] Veut-on maintenant non un récit (il n’en a pas fait), mais une page de Saint-Simon à ce propos, un de ces portraits comme il lui en échappe à tout coup, avec son feu, sa concentration, sa scrutation des cœurs, son assemblage heurté des plus rares et des plus curieuses circonstances apprises de toutes parts, ramassées on ne sait d’où, mais qui se pressent et se confondent comme des éclairs entrecroisés ? […] La grande affaire, dans la circonstance où nous sommes, est de triompher.

172. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par le chevalier d’Arneth »

Lorsqu’il se présentait une position embarrassante pour un prince ou une princesse, je m’arrêtais toujours après l’exposé des circonstances et l’obligeais à dire ce qu’elle aurait fait à leur place. […] Le temps, les années, les circonstances, en la pressant, la forcèrent peu à peu à avoir tout son jugement et à développer son caractère ; mais elle s’attarda aussi longtemps qu’elle put aux accessoires divertissants et aux agréables frivolités. […] Je suis persuadé que si elle veut compatir à la faiblesse de l’âge et des circonstances, accoutumer sa fille à la regarder comme son amie, elle en aura toute satisfaction et la conduira par lettres sur bien des choses. […] Elle pourra aussi se trouver dans des circonstances à désirer un serviteur fidèle et uniquement dévoué à sa personne.

173. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Il trouva dans cette circonstance une facilité et des occasions dont ses ennemis disent qu’il sut très bien profiter. […] Nous avons là le minimum de ce genre de corruption diplomatique, et nous tenons l’information d’un ami, d’un admirateur, et jusqu’à un certain point d’un apologiste de M. de Talleyrand, et qui plaide en sa faveur les circonstances atténuantes. […] Il se joignait à ces raisons irritantes d’autres circonstances encore que le comte de Senfft nous fait entrevoir ; car les intrigues de divers genres à cette cour impériale étaient plus nombreuses et plus entrecroisées qu’on ne le suppose généralement : Napoléon voulut avertir et faire un exemple : « L’orage éclata sur M. de Talleyrand, qui perdit alors sa place de grand chambellan avec toutes les marques de la disgrâce. […] » — « Les têtes graves doivent réfléchir. » — « C’est mon avis, monsieur l’archevêque. » — « Il y a telle circonstance dans la vie politique où un homme peut racheter tout un passé. » — « Croyez-vous, monsieur ? 

174. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

Je ne puis qu’effleurer (et j’en ai regret) les circonstances intéressantes de sa vie à ses débuts. […] A relire plus froidement aujourd’hui cette première moitié de son théâtre, on pourrait remarquer que, s’il se montre évidemment de la postérité de Racine par les soins achevés du style, il tiendrait plutôt de l’école dramatique de Voltaire par certaines préoccupations philosophiques et certaines allusions aux circonstances. […] Pur homme de lettres, sérieusement occupé de la conception de ses ouvrages, les méditant longuement à l’avance, les composant et les retenant même (circonstance singulière !) […] (Il m’était arrivé rarement, trop rarement, avant ce Discours, d’écrire sur Casimir Delavigne ; je l’avais pourtant fait en deux circonstances, l’une déjà bien ancienne, dans le Globe, à l’occasion des Sept Messéniennes de 1827, et une autre fois assez récemment dans la Revue des Deux Mondes, à l’occasion de la Popularité (1838) ; je ne crains pas de donner ci-après, en appendice, ces deux morceaux dans lesquels, avec la différence du ton, on retrouvera exprimées plusieurs idées qui chez moi ne sont pas si nouvelles ; de tout temps, par exemple, j’ai pensé que la vocation de Casimir Delavigne était d’être classique.

175. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

Il est vrai que les différentes nations ne s’unifient pas toutes avec la même vitesse ni de la même façon : suivant les circonstances de leur histoire, ici la tâche n’est pas très aisée, et là tout est à faire. […] Leurs origines particulières offraient les circonstances les plus propices à l’éclosion de l’égalitarisme. […] Pierre le Grand a pu superposer une armée de fonctionnaires au peuple qu’il voulait transformer ; mais toute sa volonté n’était pas capable de suppléer aux circonstances sociales qui seules pouvaient donner, aux masses immenses disséminées dans cet immense territoire, une unité réelle. […] Et par suite rien d’étonnant si, les autres circonstances aidant, cette unification « d’en haut » n’a pas normalement développé dans les couches profondes du peuple russe l’idée que tous les hommes égaux en droits.

176. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Une circonstance particulière l’ayant amené à examiner le texte des Pensées de Pascal, il s’aperçut qu’il y avait de notables différences entre l’imprimé et le manuscrit original. […] Cousin en était venu à s’occuper d’histoire au sens le plus sévère du mot ; il s’était attaché à Mazarin ; il tenait à éclaircir et à expliquer jusqu’à la dernière précision, jusqu’à la minutie même, certaines circonstances de la vie du grand négociateur. […] Mme de Boigne a été, en cette circonstance.

177. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

Nous savions bien que le succès des Mémoires de Fléchier avait été grand ; nous ne nous doutions pas qu’il eût été tellement à point et de circonstance. […] On serait très-aisément disposé ainsi de nos jours ; on irait faire volontiers un pèlerinage dont on parlerait longtemps ensuite, et dont on raconterait au public les moindres circonstances et les impressions ; mais il y a dans l’idée de durée attachée à une telle vie quelque chose qui effraie, qui glace et qui rebute ; or ce quelque chose, on le ressent inévitablement à chaque page des lettres du réformateur de la Trappe. […] Parlant de la mort de M. de Nocé, pénitent de qualité et l’un des ermites voisins de la Trappe, il écrit à Mme de Guise, qui le questionnait : « Il n’y a point, Madame, de circonstances brillantes dans la mort du solitaire.

178. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Les circonstances sont grandes ; mais l’homme diffère moins des autres hommes que dans nos tragédies. […] Ils n’ont aucun rapport avec les sublimes effets que Shakespeare sait tirer des mots simples, des circonstances vulgaires placées avec art, et qu’à tort nous n’oserions pas admettre sur notre théâtre. […] Le théâtre de la France république admettra-t-il maintenant, comme le théâtre anglais, les héros peints avec leurs faiblesses, les vertus avec leurs inconséquences, les circonstances vulgaires à côté des situations les plus élevées ?

179. (1858) Cours familier de littérature. V « Préambule de l’année 1858. À mes lecteurs » pp. 5-29

Est-ce que, pendant le peu de jours où la nécessité, et non l’ambition, nous donna un rôle politique, nous avons abusé des circonstances, de la popularité et de la force, par quelques-uns de ces sévices, contre les partis ou contre les personnes, qui laissent dans les cœurs de justes et implacables ressentiments ? […] Que ces hommes irréfléchis comparent les circonstances dans lesquelles Barthélemy me raillait de mes prospérités et les circonstances dans lesquelles ils m’invectivent de mes disgrâces, et qu’ils prononcent !

180. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

C’est du moins un sujet unique, car Dieu, qui met parfois des échos dans les circonstances, n’a pas permis aux événements de le répéter. […] Colomb est un instrument choisi, — un Élu, constamment en rapport avec Celui qui l’envoie, par la prière et par des circonstances, ayant tous les caractères extérieurs et intérieurs de ce qu’on appelle des miracles. […] C’était l’enfant gâté de la circonstance, lequel avait trouvé un monde sans le savoir et en faisant des fautes, comme ces enfants, qui jouaient, trouvèrent le télescope, en posant deux verres l’un en face de l’autre.

181. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Sur Adolphe de Benjamin Constant » pp. 432-438

Quoique le caractère poétique soit moins marqué dans ce dernier roman, il y a eu de la part de l’auteur une grande habileté à fondre les éléments réels qui font la matière de son récit, avec les circonstances romanesques qui composent ou achèvent la physionomie de ses personnages. […] Ni les circonstances de la vie, ni celles de la personne n’ont aucune identité ; il en résulte qu’à quelques égards elle se montre dans le cours du roman tout autre qu’il ne l’a annoncée : mais, à l’impétuosité et à l’exigence dans les relations d’amour, on ne peut la méconnaître.

182. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « SUR ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 497-504

Or, un tel rôle était beau dans des circonstances encore paisibles et au milieu de cette espérance unanime de progrès ; c’était, avec plus de candeur d’âme et avec plus d’efforts aussi et d’artifice de talent, quelque chose du rôle d’Horace introduisant dans la langue latine le génie lyrique de la Grèce et enrichissant le Capitole. Lorsque les Poésies d’André Chénier parurent, sous la Restauration, les circonstances étaient fort différentes de celles au milieu desquelles il avait écrit, mais elles n’en étaient que plus propices au succès du poëte.

183. (1874) Premiers lundis. Tome I « M.A. Thiers : Histoire de la Révolution française Ve et VIe volumes — I »

De là, la création du Grand-Livre, qui ne faisait qu’une dette uniforme et républicaine de toutes les dettes vieilles et récentes, et fondait le crédit public en rattachant la destinée des créances à celle de l’État ; institution profonde, inspirée au génie de Gambon par les circonstances, et qui leur devait survivre. […] Quant aux extravagances subalternes de la Commune et d’un Chaumette » elles n’étaient que de ridicules mais inévitables accompagnements des circonstances.

184. (1874) Premiers lundis. Tome I « Hoffmann : Contes nocturnes »

De là vient qu’il court des journées entières après des inconnus qui ont quelque chose de singulier dans leur marche, dans leur costume, dans leur ton et dans leur regard ; qu’il réfléchit avec profondeur sur une circonstance contée légèrement et que personne ne trouve digne d’attention ; qu’il rapproche des choses complètement antipodiques et qu’il en tire des comparaisons extravagantes et inouïes. » « Lélio s’écria à haute voix : « Arrêtez, c’est là notre Théodore. […] Dans ses meilleurs contes, là où il se montre réellement inventeur et original, il sait, par les rapprochements fortuits les plus saisissants, par une combinaison presque surnaturelle de circonstances à la rigueur possibles, exciter et caresser tous les penchants superstitieux de notre esprit, sans choquer trop violemment notre bon sens obstiné ; ce qu’il nous raconte alors peut sans doute s’expliquer par des moyens humains, et n’exige pas à toute force l’intervention d’un principe supérieur ; mais, bien que notre bon sens ne soit pas évidemment réduit au silence, et qu’il puisse toujours se flatter de trouver au bout du compte le mot de l’énigme, il y a quelque chose en nous qui rejette involontairement cette explication pénible et vulgaire, et qui s’attache de préférence à la solution mystérieuse dont le leurre nous est de loin offert comme derrière un nuage.

185. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

Dans tous les pays, mais principalement en France, les mots ont chacun, pour ainsi dire, leur histoire particulière ; telle circonstance frappante a pu les ennoblir, telle autre les dégrader. […] Le style représente, pour ainsi dire, au lecteur le maintien, l’accent, le geste de celui qui s’adresse à lui ; et, dans aucune circonstance, la vulgarité62 des manières ne peut ajouter à la force des idées, ni à celle des expressions.

186. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

Quel triste sort, en effet, que celui d’une passion qui se dévore elle-même, et, poursuivie sans cesse par l’image de ce qui la blesse, ne peut se représenter une circonstance quelconque où elle trouverait du repos ! […] Il ne peut être question de bonheur positif obtenu par elle, puisqu’elle ne doit sa naissance qu’à une grande douleur, qu’on croit adoucir en la faisant partager à celui qui l’a causée ; mais il n’est personne qui, dans diverses circonstances de sa vie, n’ait ressenti l’impulsion de la vengeance ; elle dérive immédiatement de la justice, quoique ses effets y soient souvent si contraires : faire aux autres le mal qu’ils vous ont fait, se présente d’abord comme une maxime équitable ; mais ce qu’il y a de naturel dans cette passion ne rend ses conséquences ni plus heureuses, ni moins coupables ; c’est à combattre les mouvements involontaires qui entraînent vers un but condamnable, que la raison est particulièrement destinée ; car la réflexion est autant dans la nature que l’impulsion.

/ 1915