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41. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

Il y a une foule d’hommes qui, sans avouer aux autres leur secret, et sans trop se l’avouer à eux-mêmes, se mettent, sans qu’on s’en doute, aux premières places. […] Ici c’est l’esprit original et ardent ; là, l’esprit de discussion et d’une sage lenteur ; celui-ci a le secret de ses forces, et marche avec audace ; celui-là, pour affermir tous ses pas, les calcule. […] Pour la partie morale, Fontenelle a l’air d’un philosophe qui connaît les hommes, qui les observe, qui les craint, qui quelquefois les méprise, mais qui ne trahit son secret qu’à demi. […] Il consiste presque toujours dans des allusions fines, ou à des traits d’histoire connus, ou à des préjugés d’état et de rang, ou aux mœurs publiques, ou au caractère de la nation, ou à des faiblesses secrètes de l’homme, à des misères qu’on se déguise, à des prétentions qu’on ne s’avoue pas ; il indique d’un mot toute la logique d’une passion ; il met une vertu en contraste avec une faiblesse qui quelquefois paraît y toucher, mais qu’il en détache ; il joint presque toujours à un éloge fin une critique déliée ; il a l’air de contredire une vérité, et il l’établit en paraissant la combattre ; il fait voir ou qu’une chose dont on s’étonne était commune, ou qu’une dont on ne s’étonne pas était rare ; il crée des ressemblances qu’on n’avait point vues ; il saisit des différences qui avaient échappé ; enfin, presque tout son art est de surprendre, et il réussit presque toujours.

42. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VIII. Des Anges. »

Le poète chrétien est le seul initié au secret de ces merveilles. […] Rien n’empêche d’accorder à ces esprits bienfaisants des marques distinctives de leurs pouvoirs et de leurs offices : l’Ange de l’amitié, par exemple, pourrait porter une écharpe merveilleuse, où l’on verrait fondus, par un travail divin, les consolations de l’âme, les dévouements sublimes, les paroles secrètes du cœur, les joies innocentes, les chastes embrassements, la religion, le charme des tombeaux, et l’immortelle espérance.

43. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Entre ceux qui restent, l’on se met à causer théâtre, et Flaubert de blaguer un peu grossement, ainsi qu’il en a l’habitude : « Le théâtre n’est pas un art, s’exclame-t-il, c’est un secret… et je l’ai surpris chez les propriétaires du secret. Voici ce secret. […] Voyez-vous, je tiens le secret d’un idiot, mais qui le possède de La Rounat. […] Et elle lui révéla ce secret : qui est de se pincer le cartilage, intérieur du nez d’une certaine façon. […] M. de Manteuffel eut connaissance de cette correspondance secrète.

44. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

L’abbé Barthélemy ne pousse pas le scrupule si loin ; il est le Tillemont de la Grèce, en ce sens qu’il compose volontiers son texte de la quantité de ses petites notes mises bout à bout ; mais, cherchant de plus l’agrément et animé du désir de plaire, il a donné à tout cela le plus de liaison qu’il a pu ; il a dissimulé les sutures ; il a insinué avec sobriété les explications ingénieuses ; il y a mêlé, comme par un courant secret, une vague allusion continuelle, un tour de réflexion qui porte sur nos mœurs, sur notre état de société. […] On a beau reproduire textuellement la note du passé, le sens littéral n’est pas le sens profond ; celui-ci échappe si le génie ne le retrouve pas, et il ne l’obtient souvent qu’en l’arrachant : les âges d’autrefois, en s’éloignant de nous et en retombant dans leur immobilité, deviennent des sphinx ; il faut les forcer à rendre leur secret. […] est-ce à nous de pénétrer les secrets de la Divinité, nous, dont les plus sages ne sont auprès d’elle que ce qu’un singe est auprès de nous ? […] Le vieux Ducis disait de Chateaubriand, qui lui avait accordé un éloge : « Ce qu’il a dit de moi n’est point une chose vulgaire, ni dite vulgairement : il a le secret des mots puissants. » C’est ce secret que cherche Barthélemy et qu’il n’atteint pas.

45. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

Moyennant ce biais, Malouot se trouva chargé de la motion dont personne au dehors ne soupçonnait la portée ; le secret en fut gardé jusqu’au dernier moment entre M. de Montmorin, M. de Clermont-Tonnerre, l’abbé et lui. […] C’est ainsi que la page suivante a toute sa valeur, venant de lui ; elle résume encore aujourd’hui avec exactitude ce que tant de publications récentes et de correspondances secrètes ont appris et démontré en détail : il vient de faire une revue générale des partis : « … Tel était alors l’état de la nation dont les représentants faibles ou corrompus avaient à régler les destinées ; ils en étaient incapables. […] Le roi consentait à signifier aux princes ses frères « que, dans aucun cas, il n’approuvait ni ne permettait leur entrée en France avec les armées ennemies, soit qu’ils s’y réunissent comme auxiliaires, soit qu’ils se crussent en état d’agir en corps séparé », Malouet proposa pour cette mission secrète auprès des princes son ami Mallot du Pan, qui voyait comme lui en politique : Mallet du Pan, après des retards, partit pour sa mission, muni d’instructions et d’un chiffre. […] » — « Oui, Sire, repartit le caustique et intéressé ministre, mais il en a encore plus en Angleterre. » De telles paroles distillées à propos dans le tuyau de l’oreille laissent leur impression durable, indélébile. — Nommé commissaire général de la marine à Anvers, puis préfet maritime, Malouet, pendant sept années, exécuta avec des moyens bornés de grandes choses, et dévora en secret plus d’une amertume102. […] Dans un écrit, — malheureusement inachevé, — intitulé : Détails sur mon dernier exil ; causes probables, Malouet nous met dans le secret de ses relations avec M. 

46. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Par l’autre voix secrète, il n’était pas moins excité à se marquer une place entre les jeunes et hardis investigateurs qui, dans les dix dernières années de la Restauration, allaient demander aux littératures étrangères des vues plus larges, des précédents et des points d’appui pour l’émancipation de l’art, et des termes nombreux de comparaison pour l’histoire de l’humaine pensée. […] Laissée entière sur sa tige, elle est comme la fleur virginale du devoir ; à demi cueillie et contenue, elle embaume souvent toute une vie et la pénètre, comme ferait un aromate secret. […] L’expression même de son éclat étant absente, et la surface se conformant avant tout aux ressources du fond, il y a lieu à quelque chose de plus secret. […] Cette intelligence secrète et sentie que n’ont pas eue tant d’estimables historiens, pourtant réputés à bon droit critiques, ce don, cet art particulier dont la sobre magie se dissimule à chaque pas, qui ne convertit pas tout en or, mais qui rend à tout ce qu’il touche la qualité propre et la vraie valeur, tient de très-près à l’esprit poétique, modéré et corrigé comme je l’entends. […] Ampère a voyagé depuis lors en Grèce, d’ou il nous a rapporté un itinéraire charmant ; il vient de voyager en Egypte à la recherche des hiéroglyphes auxquels il ne désespère pas d’arracher plus d’un secret.

47. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

Voilà que les plumes les plus illustres s’y associent ; voilà que les intelligences les plus sérieuses, séduites et gagnées par la fragilité même d’aimables figures, pratiquent, dans une amoureuse familiarité, et dans leurs grâces les plus secrètes, les âmes charmantes d’un grand siècle. […] Seule, elle dira les penchants, les goûts, les inclinations, les instincts, le secret conseil où se règlent les actions de l’homme. […] Elle cherchera partout l’écho, partout la vie d’hier ; et elle s’inspirera de tous les souvenirs et des moindres témoignages pour retrouver ce grand secret d’un temps qui est la règle de ses institutions : l’esprit social, — clef perdue du droit et des lois du monde antique. […] Nous voulons, s’il est possible, retrouver et dire la vérité sur ce siècle inconnu ou méconnu, montrer ce qu’il a été réellement, pénétrer de ses apparences jusqu’à ses secrets, de ses dehors jusqu’à ses pensées, de sa sécheresse jusqu’à son cœur, de sa corruption jusqu’à sa fécondité, de ses œuvres jusqu’à sa conscience. […] Cet abandon de l’amitié, cette causerie de l’intimité, n’admettent ni faussetés ni détours, et comme l’on n’en soupçonne pas plus qu’on n’en redoute la publicité, les pensées les plus secrètes s’y trahissent, l’esprit et le cœur s’y montrent sans déguisement.

48. (1924) Critiques et romanciers

Estaunié, le roman de La Vie secrète. […] La « vie secrète » n’est point sage. […] La vie secrète ! […] Force redoutable qui forge nos destinées dans nos âmes, la « vie secrète » ne donne aucune prise à l’analyse : en l’appelant secrète, M.  […] En définitive, la « vie secrète » ne serait qu’une métaphore.

49. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Cette fleur de renommée dont on ne voit pas l’éclat, mais dont on devine le parfum comme un mystère, semble être la possession secrète de tous ceux qui la respirent ; on se passionne pour elle comme pour un trésor secret qui mettra bientôt dans l’ombre tous les talents alors en lumière. […] Il n’était rien moins que partisan de l’Église gallicane à cette date de sa vie ; car, en 1820, quelques jours avant mon départ pour Naples, il me fit prier par M. de Genoude de me rendre à une conférence secrète qui devait avoir lieu chez M. de Bonald pour fonder une Revue littéraire. […] Je le vis, je fis quelques sacrifices d’argent pour soutenir son journal, et je lui donnai rendez-vous secret à dîner une fois par semaine chez une femme de beaucoup d’esprit et de beauté, déjà célèbre, madame d’***, avec laquelle j’avais été lié plusieurs années avant la révolution et qu’il voyait assidûment lui-même. […] Le silence et l’abstention m’étaient d’autant plus commandés, que je passais alors (ce qui était faux) pour avoir conclu avec Ledru-Rollin un traité secret d’action commune pour nous partager le gouvernement de la république sous le titre de deux consuls, l’un de l’extérieur, l’autre de l’intérieur, s’entendant ensemble pour administrer les ressorts de l’État. […] Elle l’avait eue d’un mariage secret dans le temps où elle était exilée, comme membre de la famille royale, en Espagne.

50. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

Nul ne peut parler plus pertinemment des mobiles secrets et des conversions qui en ont grossi le parti. […] » est d’un épicurien aimable, satisfait de savoir pourquoi il ne sait pas, s’en faisant peut-être une gloire secrète, parmi tant d’ignorants ou de gens passionnés qui affirment. […] Le médecin de l’homme n’est plus l’homme, c’est Dieu lui-même, entourant l’âme chrétienne de sa providence, et s’insinuant dans ses plus secrets mouvements. […] Au lieu du sombre docteur de Genève, qui pousse des générations de sectaires vers la mort, dont son orgueil croit avoir le secret, et par-delà laquelle il a marqué la destinée de chacun ; qui ne permet à personne de s’attarder et de prendre haleine dans ce rapide et douloureux voyage vers l’autre vie ; je vois un pasteur aimable qui conduit doucement son troupeau au dernier terme. […] Il a le sens de ces secrètes relations qui unissent l’homme au lieu qu’il habite, et tantôt il égaye sa piété par mille ressouvenirs de la vie des champs, des troupeaux, des abeilles, des vignes plantées parmi les oliviers, « des oiseaux qui nous provoquent aux louanges de Dieu », tantôt il la rend familière ou spirituelle, comme une conversation délicate entre mondains par des images tirées des travers ou des vices de la société.

51. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guérin, Maurice de (1810-1839) »

L’auteur suppose qu’un être de cette race intermédiaire à l’homme et aux puissantes espèces animales, un centaure vieilli, raconte à un mortel curieux, à Mélampe, qui cherche la sagesse, et qui est venu l’interroger sur la vie des Centaures, les secrets de sa jeunesse et les impressions de vague bonheur et d’enivrement dans ses courses effrénées et vagabondes. […] Pour nous, elles ont un caractère plus sacré encore, car c’est le secret d’une tristesse naïve sans draperie, sans spectateurs et sans art ; et il y a là une poésie naturelle, une grandeur instinctive, une élévation de style et d’idées, auxquelles n’arrivent pas les œuvres écrites en vue du public et retouchées sur les épreuves d’imprimerie… Il a été panthéiste à la manière de Goethe sans le savoir, et peut-être s’est-il assez peu soucié des Grecs, peut-être n’a-t-il vu en eux que les dépositaires des mythes sacrés de Cybèle, sans trop se demander si leurs poètes avaient le don de la chanter mieux que lui.

52. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXIXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 129-192

Je lui ai demandé la faveur de l’entretenir après son audience, en particulier ; quand le monde a été dehors de sa bibliothèque, je lui ai demandé, à voix basse, s’il pouvait me donner des renseignements aussi secrets qu’en confession sur un certain scribe attaché au tribunal de Lucques, nommé Nicolas del Calamayo. […] apportez-les-moi la première fois que vous descendrez du monastère à la ville ; je vous en rendrai bon compte après les avoir examinées, et si elles me paraissent suspectes dans leur texte, comme elles le sont déjà à mes yeux dans leurs circonstances, rapportez-vous-en à moi pour faire une enquête secrète et gratuite chez les prétendus parents ou ayants droits de votre pauvre aveugle. […] Ce que c’est que l’amour cependant, une fois qu’on a compris qu’on s’aime et qu’on découvre tout étonnée dans le cœur d’un autre le même secret qu’on se cachait à soi-même, et que ces deux secrets n’en font plus qu’un entre deux ! […] Rassure-toi, avait-il ajouté, je ne serai pas plus dur que la Providence, je ne séparerai pas avant la mort ceux qu’elle a réunis ; je ne ferai rien connaître au bargello ni à sa femme de votre secret ; il est peut-être dans les desseins de cette Providence. […] Il nous bénit mille et mille fois de notre condescendance à son amour, et il nous répéta tout ce que le père Hilario lui avait appris de la condescendance de l’évêque ; outre le souci qu’il avait de nous, en nous laissant dans la misère par son supplice, dans ce supplice il ne semblait redouter qu’une chose, c’est que sa mort ne fût avancée par quelque événement avant que le prêtre eût accompli sa promesse, en bénissant cette union secrète et en consacrant sa passion devant l’autel.

53. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Quand nous les voyons sur le point de se perdre, il y a dans notre crainte comme un aveu secret que nous pourrions bien courir le même péril, si nous avions un pied sur la pente d’où ils vont se précipiter. […] Il est utile sans doute que le poète donne des indications aux acteurs ; mais les bons ouvrages sont ceux qui forment les bons acteurs par la secrète vertu de leurs beautés. […] Zaïre a juré à Lusignan qu’Orosmane ne saurait pas le secret de ses parents retrouvés et de son baptême clandestin ; elle tiendra son serment. […] Le poète dramatique n’est lui-même qu’un historien qui commence où l’annaliste finit ; il raconte ce qui s’est accompli dans ce secret des cœurs, où les passions consomment leur œuvre et où l’annaliste ne pénètre pas. […] Les sentiments superficiels, les pensées spécieuses appellent le style brillant, avec le cortège des mille fautes secrètes dont il fourmille.

54. (1901) Figures et caractères

Il y avait là des preuves, des témoignages et des secrets. […] Vigny y a révélé le secret suprême de sa certitude. […] Nous aurions l’infinitésimale poussière du diamant secret. […] On en échange les secrets à voix basse. […] Il secrète sa force.

55. (1890) L’avenir de la science « XI »

Ce qu’il demande, c’est une influence intime et secrète, analogue à celle de l’électricité, qui, sans rien communiquer d’elle-même, développe sur les autres corps un état semblable ; ce qu’il blâme, c’est la tentative de ceux qui veulent trouver chez les modernes la matière suffisante d’une éducation esthétique et morale. […] Le secret des mécanismes grammaticaux, des étymologies, et par conséquent de l’orthographe, étant tout entier dans le dialecte ancien, la raison logique des règles de la grammaire est insaissable pour ceux qui considèrent ces règles isolément et indépendamment de leur origine. […] Habile à décomposer et à mettre à nu les ressorts secrets du langage, elle est impuissante à reconstruire l’ensemble qu’elle a détruit si elle ne recourt pour cela à l’ancien système et ne puise dans le commerce avec l’antiquité l’esprit d’ensemble et d’organisation savante.

56. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXV » pp. 402-412

Du moment qu’elle devint confidente et dépositaire des sentiments et des pensées du roi, et même des secrets de l’État, elle cessa de s’appartenir à elle-même : ce fut un devoir pour elle de donner au roi une parfaite sécurité sur le dépôt que sa confiance mettait à la discrétion de son amie ; elle lui devait de rompre toute familiarité qui aurait pu compromettre ce dépôt : il n’y a rien de si difficile à cacher qu’un secret avec tes personnes à qui l’on parle habituellement à cœur ouvert ; et il y a des secrets à la cour qui se découvrent par le soin de les cacher ; si bien qu’affecter de taire certaines choses, c’est les dire.

57. (1865) Du sentiment de l’admiration

Ce n’est pas que vous refusiez une adhésion respectueuse à ces chefs-d’œuvre des âges favorisés où nous cherchons avec vous les modèles de la raison élégante et les secrets de l’éternelle beauté. […] C’est qu’un tel élève a compris le secret des hautes études, ce secret que nous cherchons à vous faire entendre et qu’il vous est trop facile d’oublier.

58. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre premier. Du Christianisme dans la manière d’écrire l’histoire. »

Les desseins des rois, les abominations des cités, les voies iniques et détournées de la politique, le remuement des cœurs par le fil secret des passions, ces inquiétudes qui saisissent parfois les peuples, ces transmutations de puissance du roi au sujet, du noble au plébéien, du riche au pauvre : tous ces ressorts resteront inexplicables pour vous, si vous n’avez, pour ainsi dire, assisté au conseil du Très-Haut, avec ces divers esprits de force, de prudence, de faiblesse et d’erreur, qu’il envoie aux nations qu’il veut ou sauver ou perdre. […] Qu’on vante tant qu’on voudra celui qui, démêlant les secrets de nos cœurs, fait sortir les plus grands événements des sources les plus misérables : Dieu attentif aux royaumes des hommes ; l’impiété, c’est-à-dire l’absence des vertus morales, devenant la raison immédiate des malheurs des peuples : voilà, ce nous semble, une base historique bien plus noble, et aussi bien plus certaine que la première.

59. (1888) Poètes et romanciers

Est-ce le soin jaloux de la Muse et de la passion secrète du travail ? […] Lui aussi, il connut ce drame secret d’où l’Âme sort renouvelée. […] — Il a horreur de livrer sa personne au public, voilà tout le secret, et ce secret est-il donc si honteux ? […] Il a une secrète horreur pour les vulgarités et les trivialités à la mode. […] Le sujet est vraiment neuf et puisé aux sources les plus secrètes de la vie et du cœur.

60. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Ce langage secret forme en quelque sorte la franc-maçonnerie des passions. […] Quand, après une savante conversation, son adversaire lui avait livré le secret de ses prétentions en croyant le tenir, il lui répondait : “Je ne puis rien conclure sans avoir consulté ma femme.” […] Tu devrais me baiser sur les yeux pour te dire ainsi des secrets et des mystères de vie et de mort pour les écus. […] « — C’est un secret inviolable, dit-elle. N’avez-vous pas vos secrets ?

61. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

On raconte que, lorsqu’il s’agit du premier bal où Mlle de Bourbon dut aller pour obéir à sa mère, ce fut chez les carmélites un grand conseil ; il fut décidé, pour tout concilier, qu’avant d’affronter le péril, elle s’armerait en secret, sous sa parure, d’une petite cuirasse appelée cilice. […] Ce récit fera ce triste effet, et c’est pourquoi je vous le demande ; car, enfin, vous voyez bien que ce ne doit point être le repos qui succède à une douleur comme la mienne, mais un tourment secret et éternel : auquel aussi je me prépare, et à le porter en la vue de Dieu et de ceux de mes crimes qui ont appesanti sa main sur moi. […] Ainsi s’étaient conservés, même aux saisons du plus prodigue délire, des trésors secrets de cœur chez Mme de Longueville. […] Ces négociations croisées, si souvent renouées et rompues, leur activité secrète, et le centre où elle était, recommençaient pour elle la seule Fronde permise, et lui en rendaient quelques émotions à bonne fin et en toute sûreté de conscience. […] jusque dans le froid abri des cloîtres, jusque sur les dalles funéraires où elle se collait le visage, elle s’était emportée elle-même, et, bien qu’en une sphère plus épurée, c’étaient les mêmes ennemis toujours, et la continuation secrète des mêmes combats.

62. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

Madame Lecoutellier, née de Valtaneuse, et mariée à un bourgeois enrichi, vous représente une grande coquette, vaniteuse, plus compliquée que la serrure d’un coffre-fort à secret. […] Cette fois Francine n’y tient plus ; son cœur éclate, et en se brisant, il laisse échapper son secret. […] Voilà le secret du célibat cupide qu’elle semble avoir embrassé. […] Tenancier : il devine, à première vue, le secret de la comédie. […] Tenancier, qui devinait, à première vue, le secret de la comédie.

63. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

A son brusque abord, à sa voix cassante, à la raideur hostile de toute sa personne, M. de Jalin devine un ennemi secret dans ce visiteur, et il le lui dit d’une façon si nette, il le questionne avec tant de tact et de loyauté, qu’il l’oblige bientôt à se déclarer. […] Olivier vient lui rapporter les lettres de leur liaison passagère ; il y rencontre M. de Nanjac, qui n’hésite plus à lui avouer son secret. […] Je le crois bien : elle sait son métier, madame la baronne d’Ange ; elle se défie de la boîte aux lettres comme d’une souricière à secrets, et, lorsqu’elle va en bonne fortune, elle déguise tout, son nom, son âge, son âme et son cœur, jusqu’à son écriture. […] et de quelle main sûre le poète fait jouer les ressorts de cette âme, compliquée comme une serrure à secret. […] Mais sied-il à un jeune homme qui a vécu, après tout, de confesser un secret de femme ?

64. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

C’est le secret du succès prodigieux et durable de certains noms d’hommes et de certains livres ; mais c’est un secret qu’on ne peut dérober : c’est le secret de Dieu. […] Fils du prophète, il déteste en secret les prophètes de lumière, et il cherche à leur opposer les devins, prophètes de ténèbres. […] David revient en secret à Jérusalem. […] « Être enfant avec les enfants, homme avec les hommes, vieux avec les vieillards ; se proportionner aux trois âges de la vie humaine, c’est le secret de plaire à tous ; et cependant il y a pour les mortels une quatrième condition de bonheur plus difficile : « S’accommoder de sa fortune présente ! 

65. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Ce grand corps qui parmi ses traditions avait celle du secret, et qui reste impénétrable même pour les historiens de Rome, c’est un Français du dix-huitième siècle qui le dévoile. […] Ils ne devinent pas le secret, ils n’y essayent même pas ; il leur suffit de se croire de ceux auxquels on donne de ces secrets-là à deviner. […] Seulement, on me pardonnera de garder une secrète préférence pour le Discours, comme plus propre à me conduire, et comme faisant sortir pour tous, de l’étude de l’histoire, la vérité qu’il nous importe le plus d’avoir présente, à savoir que les vertus privées font seules la grandeur publique. […] L’aspect sévère sous lequel nous la montrent les moralistes du dix-septième siècle avait effarouché sa douce raison, outre peut-être un désir secret de s’absoudre de certaines pages des Lettres persanes. […] Enfin, cette « joie secrète » qu’il a sentie, disait-il, « toutes les fois qu’on a fait quelque règlement qui allait au bien commun », il l’inspire à ceux qui lisent son livre, et il donne à chacun le désir de contribuer pour sa part au bien de tous.

66. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois par M. Camille Rousset. Victor-Amédée, duc de Savoie. (suite et fin.) »

Le comte Mattioli, l’un des ministres du duc de Mantoue, et qu’on se flattait d’avoir gagné, promettait de conclure l’affaire moyennant finance ; il y avait déjà production de traités et signature engagée de la part de la France ; mais le fourbe trompait tout le monde et livrait le secret de la négociation aux ennemis. […] « Ce prince, disait dès lors un bon observateur, est naturellement caché et secret ; quelque soin qu’on prenne de pénétrer ses véritables sentiments, on les connaît difficilement, et j’ai remarqué qu’il fait des amitiés à des gens pour qui je sais qu’il a de l’aversion… Je suis fort trompé si Madame Royale elle-même doit faire beaucoup de fondement sur sa tendresse et sur sa déférence, quand il sera le maître. […] Jamais maladie n’était venue plus à point pour le jeune duc qui, malgré son secret désir, en semblait fort contrarié. […] Voici le portrait confidentiel que traçait de lui celle que Saint-Réal avait appelée la meilleure et la plus heureuse des mères : « Pour faire connaître à M. de Louvois, écrivait-elle, la confiance entière que j’ai en lui et en sa discrétion, je vais lui dépeindre l’humeur de Son Altesse Royale, dont il ne rendra compte qu’au roi comme mon protecteur, à qui je me confie très respectueusement, et auquel j’ouvre le plus secret de mon cœur, avec la liberté qu’il m’a permise. […] Mais on conçoit l’irritation secrète d’une nature fine et fière, ainsi humiliée à plaisir.

67. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

La Bruyère aussi a la faculté de l’observation pénétrante et sagace ; il remarque, il découvre toute chose et tout homme autour de lui ; il lit avec finesse leurs secrets sur tous ces fronts qui l’environnent ; puis rentré chez lui, à loisir, avec délices, avec adresse, avec lenteur, il trace ses portraits, les recommence, les retouche, les caresse, y ajoute trait sur trait jusqu’à ce qu’il les trouve exactement ressemblants. […] Peu s’en faut qu’il n’ait fait aussi de Fénelon une de ses victimes ; car, au milieu des charmantes et délicieuses qualités qu’il lui reconnaît, il insiste perpétuellement sur une veine secrète d’ambition qui, au degré où il la suppose, ferait de Fénelon un tout autre homme que ce qu’on aime à le voir en réalité. […] Nous en savons maintenant là-dessus, à certains égards, plus que n’en savait Saint-Simon : nous avons les lettres confidentielles que Fénelon adressa de tout temps au jeune prince, les mémoires qu’il rédigea pour lui, les plans de réforme, toutes pièces alors secrètes, aujourd’hui divulguées, et qui, en permettant de laisser à l’ambition humaine la place qu’il faut toujours faire aux défauts de chacun jusque dans ses vertus, montrent celles-ci du moins au premier rang, et mettent désormais dans tout son jour l’âme patriotique et généreuse de Fénelon. […] Consulté par écrit sur toute matière politique ou ecclésiastique, arbitre très écouté en secret dans les querelles du jansénisme, redevenu docteur et oracle, il tenait déjà le grand rôle à son tour. Mais tout à coup les malheurs viennent fondre : la duchesse de Bourgogne meurt le 12 février 1712 ; le duc de Bourgogne la suit le 18, six jours après, âgé de vingt-neuf ans ; et toutes les espérances, toutes les tendresses, oserons-nous dire les ambitions secrètes, du prélat s’évanouissent.

68. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — II. (Suite.) » pp. 147-161

Il sépare les gens de bien ; il fait que les uns se mettent avec choix au parti qu’ils estiment le plus juste, et que les autres se trouvent comme ravis et emportés par certains respects et mouvements secrets, qui sont au-dessus d’eux, dans le parti qu’ils approuvent quelquefois le moins. […] Bien que le détail de cette action, qui de sa nature est secrète, échappe nécessairement, il est possible encore aujourd’hui de suivre dans la conduite du président une certaine ligne générale, et d’expliquer les circonstances même où il sembla s’en écarter. […] n’avaient assisté ni pris part à cette secrète prestation de serment : « Mais il était bien difficile, prétend Sully, qu’ils en fussent entièrement ignorants comme ils le voulurent feindre. » Malgré ce soupçon de Sully, il paraît bien que la surprise de Villeroi à Fontainebleau ne fut pas jouée. […] Dans une lettre de Henri IV à Sully, datée de Calais, 2 septembre 1602, on lit : « J’écris au président Jeannin qu’il vienne avec vous, car je suis de votre avis qu’il pourra se présenter occasion de l’employer. » Il était conseiller au Conseil d’État ; intendant des finances ; employé et consulté dans toutes les affaires importantes et secrètes.

69. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Quand elle entre dans une vie, elle s’y enfonce et s’y dérobe : c’est son charme, son secret et son honneur. […] Le secret des négociations avec la Cour était resté entre Mirabeau et le comte de La Marck, et celui-ci avait retiré, dans les derniers moments de son ami, toutes les traces et les preuves du traité. […] Comme ce vieillard de Térence qui se punit d’une erreur et qui se venge d’un secret chagrin, il se donnait bien de la peine et de la sueur à remuer la terre et à labourer son champ ; mais, pour cela, il n’était nullement devenu misanthrope. […] Toute cette partie secrète de la vie politique de Mirabeau a été amplement éclaircie par la publication de sa correspondance avec le comte de La Marck, et l’on a pu établir sur cette suite de relations délicates un équitable jugement.

70. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Mais nous disons que ces défauts, qui gênent et qui dégoûtent, ne détruisent pas l’empire exercé par Stendhal sur les esprits un peu fortement organisés, signe certain qu’il y a ici une puissance — une réalité de puissance — dont la Critique est tenue de trouver le secret. Eh bien, selon nous, ce secret, c’est la force ! […] Voilà le secret de son empire sur les âmes plus énergiques que délicates et de la révolte de ces dernières. […] Voilà aussi le secret de sa longue impopularité, — ou, pour mieux dire, de sa longue obscurité comme écrivain.

71. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Guy de Maupassant »

Cette philosophie rudimentaire, non pas vraie (je l’espère du moins), mais irréfutable, qui a très bien pu être celle du premier anthropoïde un peu intelligent et à laquelle les hommes les plus raffinés des derniers âges finiront peut-être par revenir après un long circuit inutile ; cette philosophie que Maupassant a pris la peine de formuler dans un de ses derniers volumes (Sur l’eau), est la froide source, secrète et profonde, d’où venaient à la plupart de ses petits récits leur âcre saveur. […] Je veux dire qu’il s’en tenait de plus en plus aux indications essentielles, indispensables, sur les choses de l’amour physique, et qu’il ne lui arrivait jamais plus de les décrire pour elles-mêmes : soit dédaigneuse satiété, soit délicatesse secrète, éclose de ses récents attendrissements. […] Les psychologues de profession s’évertuent à percer ces dessous, mais ne leur arrive-t-il pas d’inventer, d’imaginer des nuances de sentiment et de secrets mobiles d’action ?

72. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XII. Suite des machines poétiques. — Voyages des dieux homériques. Satan allant à la découverte de la création. »

Soudain, aux regards de Satan se dévoilent les secrets de l’antique abîme ; océan sombre et sans bornes, où les temps, les dimensions et les lieux viennent se perdre, où l’ancienne Nuit et le Chaos, aïeux de la nature, maintiennent une éternelle anarchie au milieu d’une éternelle guerre, et règnent par la confusion. […] « Esprits de l’abîme, leur dit-il, Chaos, et vous antique Nuit, je ne viens point pour épier les secrets de vos royaumes… Apprenez-moi le chemin de la lumière, etc. » Le vieux Chaos répond en mugissant : « Je te connais, ô étranger !

73. (1904) Zangwill pp. 7-90

C’est toujours la nutrition ou plutôt le développement d’un organe par l’atrophie d’un autre qui forme le secret de ces anomalies. […] Tout dépend du but, et, si un jour la vivisection sur une grande échelle était nécessaire pour découvrir les grands secrets de la nature vivante, j’imagine les êtres, dans l’extase du martyre volontaire, venant s’y oiïrir couronnés de fleurs. […] Nous ne demandons pas une récompense ; nous demandons simplement à être, à savoir davantage, à connaître le secret du monde, que nous avons cherché si avidement, l’avenir de l’humanité, qui nous a tant passionnés. […] Car vraiment si l’historien est si parfaitement, si complètement, si totalement renseigné sur les conditions mêmes qui forment et qui fabriquent le génie, et premièrement si nous accordons que ce soient des conditions extérieures saisissables, connaissables, connues, qui forment tout le génie, et non seulement le génie, mais à plus forte raison le talent, et les peuples, et les cultures, et les humanités, si vraiment on ne peut rien leur cacher, à ces historiens, qui ne voit qu’ils ont découvert, obtenu, qu’ils tiennent le secret du génie même, et de tout le reste, que dès lors ils peuvent en régler la production, la fabrication, qu’en définitive donc ils peuvent produire, fabriquer, ou tout au moins que sous leur gouvernement on peut produire, fabriquer le génie même, et tout le reste ; car dans l’ordre des sciences concrètes qui ne sont pas les sciences de l’histoire, dans les sciences physiques, chimiques, naturelles, connaître exactement, entièrement les conditions antérieures et extérieures, ambiantes, qui déterminent les phénomènes, c’est littéralement avoir en mains la production même des phénomènes ; pareillement en histoire, si nous connaissons exactement, entièrement les conditions physiques, chimiques, naturelles, sociales qui déterminent les peuples, les cultures, les talents, les génies, toutes les créations humaines, et les humanités mêmes, et si vraiment d’abord ces conditions extérieures, antérieures et ambiantes, déterminent rigoureusement les conditions humaines, et les créations humaines, si de telles causes déterminent rigoureusement de tels effets par une liaison causale rigoureusement déterminante, nous tenons vraiment le secret du génie même, du talent, des peuples et des cultures, le secret de toute humanité ; on me pardonnera de parler enfin un langage théologique ; la fréquentation de Renan, sinon de Taine, m’y conduit ; Renan, plus averti, plus philosophe, plus artiste, plus homme du monde, — et par conséquent plus respectueux de la divinité, — plus hellénique et ainsi plus averti que les dieux sont jaloux de leurs attributions, Renan plus renseigné n’avait guère usurpé que sur les attributions du Dieu tout connaissant ; Taine, plus rentré, plus têtu, plus docte, plus enfoncé, plus enfant aussi, étant plus professeur, surtout plus entier, usurpe aujourd’hui sur la création même ; il entreprend sur Dieu créateur. […]   La seule garantie qu’on nous donne à présent est qu’« une société d’anthropologie vient de se fonder à Paris, par les soins de plusieurs anatomistes et physiologistes éminents » ; nous qui aujourd’hui savons ce que c’est, dans le domaine de l’histoire, que l’anthropologie, et ce que c’est, dans la république des sciences, que la société d’anthropologie, une telle garantie nous effraye plus qu’elle ne nous rassure ; c’est bien sensiblement à l’humanité présente, à la grossière et à la faible humanité, que Taine remet non pas seulement le gouvernement mais la création de ce monde ; il ne s’agit plus d’un Dieu éloigné, incertain, négligeable, mort-né ; c’est à l’humanité que nous connaissons, aux pauvres hommes que nous sommes, que Taine remet tout le secret et la création du monde ; par exemple c’est lui, Taine, l’homme que nous connaissons, qui saisit et qui épuise tout un La Fontaine, tout un Racine ; c’est la présente humanité, c’est l’humanité actuelle que Taine, au fond, se représente comme un Dieu actuel, réalisé créateur.

74. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Theuriet, André (1833-1907) »

— Le Secret de Gertrude (1883). — Tante Aurélie (1884). — Nouvelles (1884). — Eusèbe Lombard (1885). — Les Œillets de Kerlaz (1885). — Péché mortel (1885). […] — Deuil de veuve (1897). — Lilia (1897). — Philomène (1897). — Dans les Roses (1898). — Lis sauvage (1898). — Le Refuge (1898). — Le Secret de Gertrude (1898). — La Vie rustique (1898). — Dorine (1899). — Fleurs de cyclamens (1899). — La Vie rustique (1899). — Nos oiseaux (1899). — Villa Frangeville (1899).

75. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Chœur. » pp. 21-24

L’intrigue d’une pièce intéressante exige d’ordinaire que les principaux acteurs aient des secrets à se confier et le moyen de dire son secret à tout un peuple ?

76. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Law »

une destinée dont le secret ne se trouve qu’à deux places : dans le passé et dans le sol. […] Le secret de la ruine ou de la grandeur d’un peuple ne tient pas dans les causes matérielles, si graves, si compliquées et si larges qu’elles puissent être.

77. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Ce passé une fois ressaisi, ces hôtes invisibles et silencieux une fois reconnus, on jouit mieux, ce semble, du séjour, on le possède alors véritablement, et le Genius loci, que notre hommage a rendu propice, anime doucement chaque objet, y met l’âme secrète, et accompagne désormais tous nos pas. […] Ce qui se marque plus volontiers pour nous dans le livre, et peut nous y intéresser encore, c’est un goût de science reculé et recélé du vulgaire, et le tenant à distance lui et ses sottes opinions, c’est le culte secret d’une sagesse qui, comme il le dit, n’aime pas à se profaner. […] A un certain endroit où il indique les moyens d’agrandir et d’accroître les bibliothèques, on sourit de voir le bon Naudé conseiller à mots couverts la ruse et le machiavélisme dont certains bibliophiles de tous les temps ont su les secrets. […] Il aurait cru volontiers au mariage secret de Bossuet comme il croyait au brûlement postiche de la Pucelle. […] La lettre de Naudé à Peiresc, datée de Riète, 30 juin 1636, nous montre plus que nous ne voudrions l’irritation de l’offensé et son jugement secret sur l’homme qu’il avait tant admiré et célébré publiquement.

78. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Si vous voulez que je vous dise mon secret tout entier, j’y ai renoncé quand j’ai connu que je ne pouvais être supérieur dans un genre qui exclut la médiocrité. […] Du moins on ne saurait mieux marquer à quel prix était, selon lui, la considération : et, quoi qu’aient pu dire des chroniques secrètes, il sut dès ce temps-là l’obtenir. […] Et puis l’ambition lui est venue : du moment qu’il n’est plus un simple particulier, jouissant à son gré des douceurs et des agréments de la société, il n’y a plus qu’à être un homme public occupé et utile ; il résume en termes parfaits cette alternative : « Être libre et maître de son loisir, ou remplir son temps par des travaux dont l’État puisse recueillir les fruits, voilà les deux positions qu’un honnête homme doit désirer ; le milieu de cela ressemble à l’anéantissement. » De Versailles, certains ministres, qui craignaient son retour, lui tendaient des pièges ; on employait toutes sortes de manèges dont le détail nous échappe, pour l’immobiliser là-bas dans ses lagunes : « Je vois clairement, disait-il, que, par ces artifices, on trouvera le secret de me faire rester les bras croisés dans mon cul-de-sac. » Duverney le conseillait et le calmait dans ces accès d’impatience, qui sont toujours tempérés de philosophie chez Bernis, et qui ne vont jamais jusqu’à l’irritation : Tout ici-bas dépend des circonstances, lui écrivait Duverney, et ces circonstances ont des révolutions si fréquentes, que ce que l’on peut faire de plus sage est de se préparer à les saisir au moment qu’elles tournent à notre point. […] Il s’adressa à l’Angleterre par des voies sourdes et secrètes ; il y entama une négociation pour la paix ; mais, la marquise de Pompadour étant d’un sentiment contraire, il se vit aussitôt arrêté dans ses mesures. […] Pendant cette année si occupée, durant laquelle il met la main aux grandes affaires et qui précède son entrée au ministère (1756-1757), il n’est plus cet homme maladif et languissant de Venise qui a la goutte au genou, et dont la vie se traîne de fluxion en fluxion : il veille, il se prodigue dans le monde, il passe une partie des nuits à jouer, faisant semblant de s’y plaire, pour mieux cacher son autre jeu ; car il n’est pas ministre encore ; la négociation secrète qu’il mène se conduit en dehors du cabinet, et ceux qui sont en place le surveillent : au milieu de tous ces soins, il ne s’est jamais mieux porté.

79. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Louvois a fait brûler dans le Palatinat ; je crois qu’il brûle terriblement dans l’autre monde, car il est mort si brusquement qu’il n’a pas eu le temps de se repentir. » Sa vertu en de telles conjonctures fut de rester fidèle à la France et à Louis XIV, tout en se sentant déchirée dans cette intime et secrète partie d’elle-même. […] De secrets rapports font les nobles attachements d’estime et de respect ; et les grandes âmes, quoique les traits de leur grandeur soient différents, se sentent et se ressemblent. […] Ce sont des antipathies de race, de condition, d’humeur, et que de longues années passées en présence, dans la vue continuelle et dans une étroite contrainte, n’ont fait que cultiver, fomenter en secret et exaspérer. […] Quand elle a tout épuisé, elle ajoute : « Tout le mal qu’on dit de cette femme diabolique est encore au-dessous de la vérité. » Elle lui applique un vieux proverbe allemand : « Où le diable ne peut aller lui-même, il envoie une vieille femme. » Saint-Simon, tout enflammé qu’il est, pâlit, pour le coup, auprès de ces haines fabuleuses, et lui-même il se charge de nous en dire le secret. […] Quand le nom du roi fut hors de cause, Mme de Maintenon eut bientôt à parler pour son propre compte et à répondre aux reproches que lui faisait Madame d’avoir varié de sentiments à son égard : l’ayant laissée dire comme la première fois, l’ayant laissée s’avancer jusqu’au bout et s’enferrer en quelque sorte, elle lui découvrit tout d’un coup des paroles secrètes, particulièrement offensantes pour elle-même, qu’elle savait depuis dix ans et plus, qu’elle avait gardées sur le cœur, et que Madame avait dites à une princesse, morte depuis, laquelle les avait répétées dans le temps mot pour mot à Mme de Maintenon : « À ce second coup de foudre, Madame demeura comme une statue ; il y eut quelques moments de silence. » Puis ce furent des pleurs, des cris, des pardons, des promesses, et un raccommodement qui, fondé sur un triomphe froid pour Mme de Maintenon et sur une humiliation intime pour Madame, ne pouvait être de bien longue durée.

80. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Avec Haüy et Malus, vous demandiez d’abord au cristal le secret de ses caprices apparents. […] Je sentais chez lui un reproche secret. Quand nous nous trouvions tous les deux seuls à nos séances de l’Histoire littéraire de la France de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, je me croyais en face d’un confesseur, mécontent de moi pour quelque motif secret qu’il ne me disait pas. […] Littré excelle à montrer qu’ils n’arrivent pas ; et, s’ils n’arrivent pas, n’est-ce point le cas de se poser la question de Cicéron : « Pourquoi ces forces secrètes ont-elles disparu ? […] Cette philosophie, qui nous promettait le secret de la mort, s’excuse en balbutiant, et l’idéal, qui nous avait attirés jusqu’aux limites de l’air respirable, nous fait défaut quand, à l’heure suprême, notre œil le cherche.

81. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre IV »

— des secrets qui devaient rester enfouis dans le lit nuptial, comme dans un tombeau. […] La lionne pauvre est la courtisane du mariage ; c’est la femme qui spécule sur sa chute et vend l’adultère : vente au détail hypocrite, menteuse, clandestine, qui se solde en payements de mémoires, en acquits de fournisseurs ; qui introduit l’amant dans les secrets du foyer, et fait de lui le caissier de cette compagnie anonyme qui s’appelle le ménage à trois. […] On sent que cette maison bourgeoise, si paisible en apparence, a un vice secret. […] Il est clair que le panier danse, et pourtant il n’est pas percé, aucun déficit apparent : qui donc raccommode ses trous en secret ? […] Elle révèle, de gaieté de cœur ce secret de honte qu’elle ne devrait se laisser arracher qu’avec des tenailles.

82. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

En lisant les mémoires historiques qu’on avait depuis François Ier, il conçut presque dès l’adolescence, l’idée de consigner par écrit à son tour et de faire revivre après lui tout ce qu’il verrait, avec la résolution bien ferme d’en garder, sa vie durant, le secret à lui tout seul, et de laisser dormir son manuscrit sous les plus sûres serrures ; prudence rare dans un jeune homme, et qui est déjà un grand signe de vocation. […] Et ce secret, qu’il cherche et qu’il arrache de toutes parts, jusque dans les entrailles, il nous le livre et nous l’étale, je le répète, dans un langage parlant, animé, échauffé jusqu’à la furie, palpitant de joie ou de colère, et qui n’est autre souvent que celui qu’on se figurerait d’un Molière faisant sa pâture de l’histoire. […] Demandez ce secret et cet art de déshabiller les gens et de les retourner du dedans au-dehors, bien moins encore aux historiens proprement dits qu’aux moralistes et aux peintres de la nature humaine, sous quelque forme qu’ils en aient donné le tableau, et s’appelassent-ils Molière, Cervantes ou Shakespeare, tout aussi bien que Tacite. […] Il confesse encore une fois ses propres sentiments secrets sur cette mort de Monseigneur ; comme on n’en était encore qu’à savoir l’agonie, il n’est pas complètement rassuré : « Je sentais malgré moi, dit-il, un reste de crainte que le malade en réchappât, et j’en avais une extrême honte. » Il n’y a point d’homme en qui, s’il était bien connu, il n’y ait, à certains moments, de quoi le faire rougir. […] Quant à Saint-Simon, qui tâche de ne point paraître du secret, et de faire le modéré et le modeste dans le triomphe, il faut l’entendre se dépeindre lui-même et nous confesser l’ivresse presque sensuelle de sa joie : Contenu de la sorte, dit-il, attentif à dévorer l’air de tous, présent à tout et à moi-même, immobile, collé sur mon siège, compassé de tout mon corps, pénétré de tout ce que la joie peut imprimer de plus sensible et de plus vif, du trouble le plus charmant, d’une jouissance la plus démesurément et la plus persévéramment souhaitée, je suais d’angoisse de la captivité de mon transport, et cette angoisse même était d’une volupté que je n’ai jamais ressentie ni devant ni depuis ce beau jour.

83. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Pourtant de tels discoureurs, quand ils sont comme lui imbus de leur sujet, pénétrés d’un vif sentiment de l’art et des choses dont ils parlent, sont utiles en même temps qu’intéressants : ils vous conduisent, ils vous font faire attention, et tandis qu’on les suit, qu’on les écoute, qu’on en prend avec eux et qu’on en laisse, le sens de la forme et de la couleur, si l’on en est doué, s’éveille en nous, se fait et s’aiguise : on devient insensiblement bon juge à son tour et connaisseur, par des raisons secrètes qu’on ne saurait dire et que la parole n’atteint pas. […] Cette jeune enfant, qui a l’ait de pleurer son oiseau, elle a son secret, et elle pleure pour autre chose encore : Oh ! […] Puis tout à coup, à la fin, son secret, qui, deux ou trois fois pourtant, est venu au bout de sa plume, lui échappe, et ces paysages naturels auxquels il nous a fait assister se trouvent être tout simplement les toiles de Vernet qu’il s’est plu à imaginer ainsi et à réaliser sur place, se remettant dans la situation et dans l’inspiration même de l’artiste qui les composait. […] Ce style, en ses passages les plus rapides, est savant, nombreux, plein de ces effets d’harmonie qui correspondent aux nuances les plus secrètes du sentiment et de la pensée. […] Tout en regrettant de rencontrer trop souvent chez lui ce coin d’exagération que lui-même il accuse, le peu de discrétion et de sobriété, quelque licence de mœurs et de propos, et les taches de goût, nous rendons hommage à sa bonhomie, à sa sympathie, à sa cordialité d’intelligence, à sa finesse et à sa richesse de vues et de pinceaux, à la largeur, à la suavité de ses touches, et à l’adorable fraîcheur dont il avait gardé le secret à travers un labeur incessant.

84. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Si rien ne nous mène au secret du cœur, il faut gagner au moins leur esprit par des louanges ; car, au défaut des amants à qui tout cède, celui-là plaît le mieux qui leur donne le moyen de se plaire davantage. […] Saint-Évremond avait rencontré de ces femmes rares, et on devine bien à qui il pensait lorsqu’il écrivait : On en trouve, à la vérité, qui peuvent avoir de l’estime et de la tendresse, même sans amour ; on en trouve qui sont aussi capables de secret et de confiance que les plus fidèles de nos amis. […] Désintéressée, fidèle, secrète, sûre au dernier point ; et, à la faiblesse près, on pouvait dire qu’elle était vertueuse et pleine de probité… Tout cela lui acquit de la réputation, et une considération tout à fait singulière. […] Elle parle volontiers, elle rit aisément, elle se fait un grand plaisir d’une bagatelle, elle aime à faire une innocente guerre à ses amis… Mais, parmi toute cette disposition qu’elle a pour la joie, on peut dire que cette aimable enjouée a toutes les bonnes qualités des mélancoliques qui ont l’esprit bien fait, car elle a le cœur tendre et sensible, elle sait pleurer avec ses amies affligées ; elle sait rompre avec les plaisirs quand l’amitié le demande ; elle est fidèle à ses amis ; elle est capable de secret et de discrétion ; elle ne fait jamais de brouillerie à qui que ce soit ; elle est généreuse et constante dans ses sentiments, et elle est enfin si aimable qu’elle est aimée des plus honnêtes personnes de la Cour, de l’un et de l’autre sexe, mais de gens qui ne se ressemblent ni en condition, ni en humeur, ni en esprit, ni en intérêts, et qui conviennent pourtant tous que Clarice est très charmante, qu’elle a de l’esprit, de la véritable bonté et mille qualités dignes d’être infiniment estimées. […] Vous mêlez même les vertus à tous vos charmes, et, au moment qu’un amant vous découvre sa passion, un ami peut vous confier son secret.

85. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Philippe (c’est le nom du valet de chambre, qui, indépendamment de toutes ses qualités, est studieux, instruit, amateur de lecture), Philippe, retiré du service et vivant auprès de son fils, a pris l’habitude de jeter ses pensées sur le papier ; et comme on lui proposait un jour de se faire imprimer : « Non, vraiment, répondit-ilh, je craindrais de trahir les secrets de l’humanité ; on sent le besoin de les cacher quand on connaît les hommes. » Vers le temps où, retiré en Champagne, à l’abri de la proscription, il écrivait sa Dot de Suzette, M. Fiévée recevait en secret une visite de la part du roi Louis XVIII, qui l’avait distingué parmi les journalistes d’avant le 18 Fructidor. […] Pour couper court aux insinuations secrètes, il se hâta de lui donner des gages publics d’adhésion. […] Fiévée, qui sait le monde, se méfie même des plus grandes folies, comme pouvant avoir action sur les cerveaux : On a pris l’habitude, dit-il, de monter les esprits si haut par de grands projets et d’incroyables découvertes, que, si demain les journaux annonçaient qu’on a trouvé le secret de refaire le monde sur un plan tout neuf, la moitié de l’Europe ajouterait foi au miracle, et se soulèverait pour en hâter l’accomplissement. […] Sans doute plus d’une des causes secrètes qui le firent agir alors et varier, lui qui se pique toujours si fort d’indépendance et de paresse, nous échappe aujourd’hui : tenons-nous à l’ensemble des idées.

86. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Au début de ses feuilles de correspondance, il continue d’être dans les mêmes sentiments ; son ton et son intention ne sont rien moins que frivoles ; il ne voit, dans le secret qu’on lui promet, qu’une raison de plus d’exercer une franchise sans bornes : L’amour de la vérité, dit-il, exige cette justice sévère comme un devoir indispensable, et nos amis même n’auront pas à s’en plaindre, parce que la critique qui n’a pour objet que la justice et la vérité, et qui n’est point animée par le désir funeste de trouver mauvais ce qui est bon, peut bien être erronée et sujette à se rétracter quelquefois, mais ne peut jamais offenser personne. […] Il remarque que, quoiqu’il y ait dans les Essais une infinité de faits, d’anecdotes et de citations, Montaigne n’était point à proprement parler savant : « Il n’avait guère lu que quelques poètes latins, quelques livres de voyages, et son Sénèque, et son Plutarque » ; ce dernier surtout, Plutarque, « c’est vraiment l’Encyclopédie des anciens ; Montaigne nous en a donné la fleur, et il y a ajouté les réflexions les plus fines, et surtout les résultats les plus secrets de sa propre expérience. » Les huit pages que Grimm a consacrées aux Essais de Montaigne sont peut-être ce que la critique française a produit là-dessus de plus juste, de mieux pensé et de mieux dit. […] Dans l’espèce de biographie qu’il trace de Rousseau à l’occasion de l’Émile (15 juin 1762), Grimm s’arrête dans ses souvenirs à ce qui serait une révélation indiscrète et une violation de l’ancienne amitié ; et, après avoir retracé les principales époques de la vie de Rousseau, ses premières tentatives plus ou moins bizarres, il ajoute : « Sa vie privée et domestique ne serait pas moins curieuse ; mais elle est écrite dans la mémoire de deux ou trois de ses anciens amis, lesquels se sont respectés en ne l’écrivant nulle part. » Si Grimm avait été un perfide et un traître comme le croyait Rousseau, quelle belle occasion il avait là, dans le secret, de raconter, en contraste avec l’Émile, ce qu’avait fait Rousseau de ses propres enfants, et tant d’autres détails qu’on n’a sus depuis que par Les Confessions ! […] Ses Mémoires secrets, « ouvrage qui tient un milieu fort intéressant entre le genre des mémoires particuliers et celui de l’histoire générale », sont aujourd’hui le seul livre à lire de lui : justice leur est rendue par Grimm en quinze lignes. […] Des relations si intimes avec les puissances le mirent à même d’être souvent utile au mérite, et, si on le trouve parfois rigoureux ou quelque peu satirique dans ses jugements, les personnes qui l’ont le mieux connu assurent qu’il sut être bienveillant en secret ; il se plaisait à attirer l’attention de ses augustes correspondants sur les talents d’hommes de lettres et d’artistes à honorer ou à protéger.

87. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Le secret de Molière s’est perdu : Enseigne-moi, Molière, où ta trouves la rime. […] Les deux jeunes gens s’éprennent l’un de l’autre, attirés par un charme secret dont ils ne songent pas à se défendre, tant ils sont sûrs de n’y pas céder. […] Araminte commence, ainsi que Silvia, par le plaisir secret de se voir aimée sans conséquence. […] J’ai le secret de la passion de Diderot. […] Son désir secret, c’est de rendre l’accès du théâtre plus facile.

88. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Le secret de ces misères infinies, qu’il devait peindre avec tant de vérité, il le connut par ses propres maux. […] Telle est la force de cette logique, qu’elle nous engage invinciblement dans la situation de celui qui prie ; on oublie l’écrivain sublime pour le chrétien convaincu, et si l’on résiste à le suivre, ce n’est pas sans une secrète inquiétude. […] Il ne voulait que croire, et se mettre en paix, dans la solitude de sa pensée et le secret de sa vie, sur le mystère de sa destinée. […] Après avoir pénétré, par l’intelligence toute seule, dans le secret des sciences physiques et de la science des nombres, il entreprend l’étude de la morale avec cette même intelligence aidée de sa sensibilité. […] Qu’est-ce pour nous aujourd’hui que l’histoire des lâches condescendances de casnistes qui enseignaient l’art de gouverner les puissants de ce monde, comme les valets gouvernent leurs maîtres, en se faisant les complaisants de leurs vices secrets ?

89. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

Dieu seul sait les secrets de Dieu : aucun autre être ne pourrait ni les concevoir ni les garder. La jonction de la matière et de l’âme dans l’homme, la transformation apparente des sens en intelligence, et de l’intelligence en matière, est le plus étonnant, et sans doute le plus saint de ses secrets. […] Vous touchez là au grand secret ! […] Mais il est mort sans que la confiance même qu’il avait dans mon oncle, et l’amitié que mon oncle lui témoignait, lui aient arraché son secret. […] « Voilà, me dit-il, le secret de ma solitude et de mon bonheur !

90. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Veuillot, pour un tel acte accompli dans le secret de la conscience, n’a besoin d’aucun garant, et il a donné, ce me semble, assez de gages publics et fait assez de sacrifices à sa cause pour que personne ne mette en doute sa sincérité quand il dit : Je crois. […] Il nous livre là le secret de sa rhétorique tant naturelle qu’artificielle, telle qu’il se la fit à lui-même un peu avant le voyage de Rome et après. […] Saint-Simon se cache ; il fabrique sa prétendue histoire en secret, comme on fabrique la fausse monnaie… Il a tout son génie, toute sa vengeance dans un tiroir bien fermé. » Le tiroir ne s’ouvrira, le baril de poudre ne sautera que quand il n’y sera plus. […] Est-il possible de venir afficher à tout instant comme modèle, de proposer pour remède, ses recettes morales, ses pratiques dévotieuses, le secret des confessionnaux et des oratoires, devant des esprits, sensés d’ailleurs, quoique très-divers d’opinions, qui trouvent cela au moins de mauvais goût, ou qui se révoltent de la prétention et s’en irritent ?

91. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

On le voit plein des secrets de Dieu, mais on voit qu’il n’en est pas étonné comme les autres mortels à qui Dieu se communique : il en parle naturellement, comme étant né dans ce secret et dans cette gloire ; et ce qu’il a sans mesure, il le répand avec mesure, afin que notre faiblesse le puisse porter. » Ces pages sont de toute beauté. […] A l’entendre nous développer le secret de ce peuple-roi dans sa discipline, dans son ordre et sa tactique, dans son courage exempt du faux point d’honneur, comparer ensemble la phalange macédonienne et la légion romaine, puis pénétrer dans les conseils de son Sénat, dans cette conduite si forte au dehors, si ferme au dedans, Bossuet se montre historien philosophe, comme auparavant il était historien prophète. […] L’auteur conclut en revenant à son dessein principal et en rattachant cette troisième partie à la seconde par un rappel énergique des conseils divins et des ordres secrets de la Providence.

92. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Au contraire, le rêve du passé est plein de charmes secrets : il prolonge ma vie par-delà le berceau, il éveille en moi l’imagination pittoresque et il me fait éprouver que j’ai un bon cœur. […] Ainsi comprises, les études communes, poursuivies avec le même esprit dans tous les pays civilisés, forment au-dessus des nationalités restreintes, diverses et trop souvent hostiles, une grande patrie qu’aucune guerre ne souille, qu’aucun conquérant ne menace, et où les âmes trouvent le refuge et l’unité que la cité de Dieu leur a donnés en d’autres temps. » Et voici une autre page où cet amour de la vérité s’exprime comme ferait la foi jalouse d’un croyant, en laisse voir les scrupules, les délicatesses, les pieuses intransigeances : … Il y a au cœur de tout homme qui aime véritablement l’étude une secrète répugnance à donner à ses travaux une application immédiate : l’utilité de la science lui paraît surtout résider dans l’élévation et dans le détachement qu’elle impose à l’esprit qui s’y livre ; il a toujours comme une terreur secrète, en indiquant, au public les résultats pratiques qu’on peut tirer de ses recherches, de leur enlever quelque chose de ce que j’appellerai leur pureté. […] Ou plutôt c’est comme si, sous le flot envahisseur des lettres antiques, un courant secret, une Aréthuse avait persisté, qui, longtemps refoulée et opprimée, a percé peu à peu les couches d’eau supérieures et s’y est mêlée… Remarquez, je vous prie, que jamais depuis le moyen âge la littérature n’a été aussi dégagée qu’aujourd’hui de toute règle ni dans un plus superbe état d’anarchie.

93. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

Tandis que Péladan poursuit son Éthopée, que le poète Édouard Schuré trace, avec ses Grands initiés, l’esquisse de l’histoire secrète des religions qui paraîtra en 1889, tandis que Huysmans abjure la foi réaliste et retourne à Dieu où il se délecte, par haine de la banalité, comme à un vocable rare ou à une idée exceptionnelle et qu’il ébauche Là-bas, Stanislas de Guaita amasse les matériaux qui lui serviront à écrire l’histoire des Sciences maudites. […] L’ombre a gardé son secret. […] La lecture des grimoires éveille en lui des secrets dont il avait eu toujours la connaissance virtuelle. […] La revue La Connaissance (9, galerie de la Madeleine) annonce la publication d’extraits du Mémoire secret de Barras d’où il résulterait que Louis XVII, dont l’évasion du Temple ne fait plus aucun doute, serait mort à l’âge de vingt ans en Allemagne.

94. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »

N’est d’abord qu’un secret, puis devient des conquêtes. Ce vers, dont le tour est très-hardi, est fort beau pour exprimer la rapidité avec laquelle Louis XIV fit plusieurs conquêtes, celle de la Franche-Comté, par exemple ; le secret du roi avait été impénétrable jusqu’au moment où l’on se mit en campagne. […] Et que j’ai le secret de rendre exquis et doux. […] Au reste, toute cette pièce est très-agréable ; mais elle fait peut-être allusion à quelque petit secret de société qui la rendait plus piquante : par exemple, au peu de goût que mademoiselle de la Mésangère pouvait avoir pour le mariage, ou pour quelque prétendant appuyé par sa mère.

95. (1925) Portraits et souvenirs

Le hasard le lui a fourni et, destiné à demeurer secret, il en prend encore plus de force, de poids et de valeur. […] L’un nous livre le secret de son cœur, l’autre nous apporte le détail de sa vie ! […] Romantisme et classicisme ne sont pas inconciliables, mais ils ne se concilient pas sans lutte secrète. […] Barrès rencontra, lorsqu’il s’exerçait à saisir ce qu’il a appelé « le secret de Tolède ».Ce secret, que lui a révélé le vieux maître tolédan, M.  […] Vénitien de cœur et d’esprit, fixé depuis longtemps à Venise, le prince Frédéric de Hohenlohe en sait tous les secrets.

96. (1875) Premiers lundis. Tome III « Lafon-Labatut : Poésies »

Pellissier montre combien le poëte est peu disposé à s’abuser sur des productions qui sont, avant tout, pour lui, des consolations secrètes, des épanchements solitaires : nous ne craindrons point, après M.  […] La douleur est ma muse, elle a tous mes secrets ; Aussi, je l’avouerai, n’est-ce pas sans regrets, Sans cette pudeur fière, aux malheureux connue, Que je livre aux regards mon âme toute nue.

97. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVII » pp. 193-197

Molière, le plus âgé des quatre amis, le seul à portée de connaître les secrètes dispositions du roi ; La Fontaine, le plus répandu parmi les dames du grand monde, donnaient à leurs jeunes amis, l’un l’exemple de plaire au roi, l’autre celui de plaire aux femmes qui plaisaient au roi : ce qui ramenait toujours à plaire au roi. […] La Fontaine et Racine avaient besoin, l’un de l’imagination des femmes de la cour pour faire passer ses contes, l’autre de leur âme pour faire sentir plus vivement le pathétique dont la sienne renfermait le secret ; tous avaient besoin du roi pour obtenir la vogue, objet ordinaire de l’ambition des talents, et souvent leur unique récompense.

98. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VIII. La Fille. — Iphigénie. »

Nous n’avons pas besoin d’aller au spectacle pour y apprendre les secrets de notre famille ; la fiction ne peut nous plaire, quand la triste réalité habite sous notre toit. […] Racine n’a donné ce courage à son héroïne que par l’impulsion secrète d’une institution religieuse qui a changé le fond des idées et de la morale.

99. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

Comme l’arrangement léger de cet art, dont il faut mêler le secret à toute idéale jouissance, n’ôtait rien à l’effet sincère et complétait l’harmonie des sentiments ! […] M. de Chateaubriand, qui a eu l’initiative en tant de choses, l’a eue aussi par ses orages intérieurs et par les vicissitudes de doute et de croyance qui sont aujourd’hui le secret de tant de jeunes destinées. « Quand les semences de la religion, dit-il en un endroit de ses Mémoires, germèrent la première fois dans mon âme, je m’épanouissais comme une terre vierge qui, délivrée de ses ronces, porte sa première moisson. […] Il y a surtout, avant cette gloire publique, avant ce rôle d’apologiste religieux, de publiciste bourbonnien, de poète qui a chanté sa tristesse et qui s’est revêtu devant tous de sa rêverie, il y a, avant cela, trente longues années d’études, de travaux, de secrètes douleurs, de voyages et de misères ; trente années essentielles et formatrices, dont les trente  suivantes ne sont que le développement ostensible et la conséquence, j’oserai dire facile. […] Mais, chemin faisant, au milieu des peintures et des caractères, des récits enjoués ou des idéales rêveries, les indications abondent : on y sent passer les secrets voilés ; on saisit surtout cette continuité essentielle du héros, qui s’étend du berceau jusqu’à la gloire, qui persiste de dessous la gloire jusqu’à la tombe. […] Un Horace non châtié et le livre des Confessions mal faitestombèrent aux mains du jeune homme ; il entrevoyait d’une part la volupté flatteuse avec ses secrets incompréhensibles, de l’autre la mysticité délirante apprêtant des flammes et des chaînes. « Si j’ai peint plus tard avec vérité, dit-il, les entraînements de cœur mêlés aux syndérèses chrétiennes, je l’ai dû à cette double connaissance simultanée. » Le quatrième livre de l’Énéide, les volumes de Massillon où sont les sermons de l’Enfant prodigue et de la Pécheresse, ne le quittaient pas.

100. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

XI La maison à secret. […] Ce logis communiquait, par derrière, par une porte masquée et ouvrant à secret, avec un long couloir étroit, pavé, sinueux, à ciel ouvert, bordé de deux hautes murailles, lequel, caché avec un art prodigieux et comme perdu entre les clôtures des jardins et les cultures dont il suivait tous les angles et tous les détours, allait aboutir à une autre porte également à secret, qui s’ouvrait à un demi-quart de lieue de là, presque dans un autre quartier, à l’extrémité solitaire de la rue de Babylone. […] Grâce à d’habiles achats de terrains, l’ingénieux magistrat avait pu faire faire ce travail de voirie secrète chez lui, sur sa propre terre, et par conséquent sans contrôle. […] Il avait fait rétablir les ouvertures à secret des deux portes de ce passage. […] Les passants d’il y a quarante ans s’arrêtaient dans cette rue pour le contempler, sans se douter des secrets qu’il dérobait derrière ses épaisseurs fraîches et vertes.

101. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Et l’autre sœur, qui, plus brave et aventurière, émancipée de bonne heure, s’est ruée dans les hasards du monde, dans le tourbillon et la fange des capitales, qui n’a eu peur ni des goujats des camps, ni des théâtres obscènes, ni des rues dépavées, et qui, le front débarrassé de vergogne et la grosse parole à la bouche, s’est faite honnête homme cynique, n’espérant plus redevenir une vierge accomplie, ne la prenez pas trop au mot non plus, je vous conseille ; ne croyez pas trop qu’elle se plaise à cette corruption dont elle nous fait honte, à cette nausée éructante qu’elle nous jette à la face pour provoquer la pareille en nous, à cette lie de vin bleu dont elle barbouille exprès son vers pour qu’il nous tienne lieu de l’ilote ivre et qu’il nous épouvante ; osez regarder derrière l’hyperbole étalée et échevelée par laquelle, égalant la luxure latine, elle divulgue sans relâche et le plus effrontément la plaie secrète de ce siècle menteur, tout plein en effet de prostitutions et d’adultères ; osez percer au delà de cette monstrueuse orgie qu’elle déchaîne en mille postures devant nous, — et vous sentirez dans l’âme de cette muse une intention scrupuleuse, un effort austère, un excès de dégoût né d’une pudeur trompée, une délicatesse dédaigneuse qui, violée une fois, s’est tournée en satirique invective, une nature de finesse et d’élégance, que l’idéal ravirait aisément et qui ne ferait volontiers qu’un pas de la Curée au monde des anges. […] Marie, la gentille brune aux dents blanches, aux yeux bleus et clairs, l’habitante du Moustoir, qui tous les dimanches arrivait à l’église du bourg, qui passait des jours entiers au pont Kerlo, avec son amoureux de douze ans, à regarder l’eau qui coule, et les poissons variés, et dans l’air ces nombreuses phalènes dont Nodier sait les mystères ; Marie, qui sauvait la vie à l’alerte demoiselle abattue sur sa main ; qui l’hiver suivant avait les fièvres et grandissait si fort, et mûrissait si vite, qu’après ces six longs mois elle avait oublié les jeux d’enfant et les alertes demoiselles, et les poissons du pont Kerlo, et les distractions à l’office pour son amoureux de douze ans, et qu’elle se mariait avec quelque honnête métayer de l’endroit : cette Marie que le sensible poëte n’a jamais oubliée depuis ; qu’il a revue deux ou trois fois au plus peut-être ; à qui, en dernier lieu, il a acheté à la foire du bourg une bague de cuivre qu’elle porte sans mystère aux yeux de l’époux sans soupçons ; dont l’image, comme une bénédiction secrète, l’a suivi au sein de Paris et du monde ; dont le souvenir et la célébration silencieuse l’ont rafraîchi dans l’amertume ; dont il demandait naguère au conscrit Daniel, dans une élégie qui fait pleurer, une parole, un reflet, un débris, quelque chose qu’elle eût dit ou qu’elle eût touché, une feuille de sa porte, fût-elle sèche déjà : cette Marie belle encore, l’honneur modeste de la vallée inconnue qu’arrosent l’Été et le Laita, ne lira jamais ce livre qu’elle a dicté, et ne saura même jamais qu’il existe, car elle ne connaît que la langue du pays, et d’ailleurs elle ne le croirait pas. […] Si je l’osais dire, je trouverais dans ces comparaisons de l’artiste quelque secret rapport de conformité avec sa propre et intime organisation, avec ses sauvageries bretonnes, sa pureté un peu farouche, et cette ombrageuse vigilance qu’il nous a lui-même si délicatement accusée : J’aime dans tout esprit l’orgueil de la pensée Qui n’accepte aucun frein, aucune loi tracée, Par delà le réel s’élance et cherche à voir, Et de rien ne s’effraye, et sait tout concevoir : Mais avec cet esprit j’aime une âme ingénue, Pleine de bons instincts, de sage retenue, Qui s’ombrage de peu, surveille son honneur, De scrupules sans fin tourmente son bonheur, Suit, même en ses écarts, sa droiture pour guide, Et, pour autrui facile, est pour elle timide.

102. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

Éclairer, instruire, perfectionner les femmes comme les hommes, les nations comme les individus, c’est encore le meilleur secret pour tous les buts raisonnables, pour toutes les relations sociales et politiques auxquelles on veut assurer un fondement durable. […] L’amour-propre aussi de nos jours veut attribuer ses revers à des causes secrètes, et non à lui-même ; et ce serait l’empire supposé des femmes célèbres qui pourrait, au besoin, tenir lieu de fatalité. […] N’excitent-elles pas en secret la malveillance des hommes ?

103. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Eynard et les pièces qu’il produit, de ce besoin et aussi de ce talent inné de Mme de Krüdner, et combien elle s’entend de bonne heure à la mise en scène du sentiment : j’en suis presque effrayé à certains endroits, quand je songe à combien de choses cet art secret a pu se mêler insensiblement depuis, sans qu’elle-même s’en rendît peut-être bien compte. […] Eynard, sur ce point, ne nous laisse rien ignorer, et ce chapitre de son ouvrage est un des plus piquants que nous offre l’histoire secrète de la littérature. […] Un spirituel et sage moraliste, Saint-Évremond, qui avait vu en son temps bien des conversions de femmes du grand monde, a écrit d’agréables pages pour expliquer et démêler les secrets motifs et les ressorts qu’il continuait de suivre sous ces changements193. […] Si humble qu’on soit, l’amour-propre est flatté de cette idée de connaissance singulière et de privilège. — Une séduction secrète nous fait voir de la charité pour le prochain là où il n’y a rien qu’un excès de complaisance pour notre opinion199. […] « Où est dans tout cela le secret mobile ?

104. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

XV Mais le Télémaque était encore le secret de Fénelon ; il l’écrivait dans le palais de Louis XIV. […] Il n’en faut parler que dans le secret de la confidence avec ses directeurs spirituels. » La sourde conspiration des esprits sévères couva ainsi contre Fénelon longtemps avant d’éclater. […] Celui-ci s’indigna au bruit de la prochaine publication d’un livre dont on lui avait dérobé le secret. […] Rome hésitait, le pape Innocent XII dissimulait mal sa conviction secrète de l’innocence de Fénelon, de la pureté de ses mœurs, du charme de ses vertus. […] J’ai souffert bien des maux ; mais un de mes plus grands était de ne pouvoir vous dire ce que je sentais pour vous pendant ce temps, et que mon amitié augmentait par vos malheurs, au lieu d’en être refroidie… « … Ne montrez cette lettre à personne au monde, excepté à l’abbé de Langeron, car je suis sûr de son secret.

105. (1890) L’avenir de la science « II »

L’homme en face des choses est fatalement porté à en chercher le secret. […] Il faut marcher la tête haute et sans crainte vers ce qui est notre bien, et, quand nous faisons violence aux choses pour leur arracher leur secret, être bien convaincus que nous agissons pour nous, pour elles et pour Dieu. […] Les siècles crédules du Moyen Âge attribuent à des facultés secrètes, à un commerce avec le démon, toute science éminente ou toute habileté qui s’élève au-dessus du niveau commun. […] L’objet est là devant eux, aiguisant leur appétit ; ils se prennent à lui comme l’enfant qui s’impatiente autour d’une machine compliquée, la tente par tous les côtés pour en avoir le secret et ne s’arrête que quand il a trouvé un mot qu’il croit suffisamment explicatif. […] Le lien secret de ces doctrines n’est nulle part plus sensible que dans le dernier livre de M. 

106. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

On dit qu’il y a quelque brouillerie dans le ménage, et que cela vient de la jalousie qu’elle a d’une jeune fille de Madame, appelée Fontanges. » Madame de Montespan ne connaissait pas la passion du roi pour madame de Fontanges, elle ignorait sa grossesse, qui n’était plus un secret que pour elle. Elle était seulement blessée de la négligence du roi et de ses attentions pour cette jeune et belle personne, qu’elle appelait une belle idiote, et elle avait recours à son secret ordinaire pour rappeler sur elle l’attention, c’était de s’éloigner. […] Enfin, nul autre ami n’a autant de soin et d’attention que le roi en a pour elle : et ce que j’ai dit bien des fois, elle lui fait connaître un pays tout nouveau, je veux dire le commerce de l’amitié et de la conversation, sans chicane et sans contrainte ; il en paraît charmé. » Cette lettre du 21 juin renferme tout le secret de la faveur dont jouissait madame de Maintenon, et de celle où elle devait parvenir. […] Madame de Maintenon écrit à ce sujet à Gobelin, le 2 juin, de Saint-Germain, une lettre où se trouvent de légères traces de son secret amour pour le roi et une nouvelle indication de la tendresse du roi pour elle. […] En se défendant par l’intérêt de l’honneur, auquel le roi pouvait opposer la promesse du secret, elle l’aurait rebuté ; en se défendant par la religion, par un devoir et par un intérêt commun ; en se défendant par un devoir qu’elle représentait comme pénible à son cœur, et comme assez contraire à son inclination pour laisser au roi l’espérance d’en obtenir l’oubli dans un moment propice, elle parvenait à la solution habile de cette grande difficulté de renvoyer le roi toujours affligé, jamais désespéré ; en prolongeant son désir, elle en faisait une passion vive et profonde.

107. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

J’ai eu part à tant de négociations et d’affaires très secrètes de tous les États ennemis de la France, que des gens de cabinet trouveraient au moins de quoi s’amuser agréablement par des choses très variées et assez extraordinaires, que personne ne sait que moi, ou peu de gens qui ont intérêt qu’on les mette en oubli. […] Les affaires secrètes auxquelles il avait été initié depuis son entrée dans l’empire musulman, et qui « ne se pouvaient révéler sans crime et sans péril », auraient seules demandé un gros volume. […] Toujours il débutera vivement, brillamment, mêlant l’esprit à l’audace, la repartie à la bravoure ; il se montrera capable, des plus prompts à l’occasion, plein de promesses qu’il ne tient qu’à lui, ce semble, de réaliser : puis tout à coup, à un certain moment, une affaire d’honneur, de vrai ou de faux point d’honneur, l’arrêtera court, le fera sortir de la route tracée et le lancera dans une sphère d’action différente : il a en lui comme une force excentrique secrète qui le déjoue. […] Déjà, en étudiant Bussy-Rabutin, Saint-Évremond, ces spirituels disgraciés, et qui étaient à la veille d’être des guerriers illustres, on a pu noter l’effet d’un de ces défauts de caractère, de cet esprit de raillerie ou de libertinage, qui, comme une paille secrète, est venu altérer la trempe de l’ensemble et rompre le milieu d’une belle vie. […] Enfin nous retrouvons la détente secrète dont j’ai déjà parlé, et qui montre qu’on ne gagne rien sur son caractère en vieillissant.

108. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

Il eut, pendant qu’il voyageait en Allemagne dans l’été de 1774, chargé d’une mission secrète de Louis XVI, une aventure de brigands près de Nuremberg, et il en adressait des bulletins plaisants à ses amis de Paris. […] Recevoir, prendre et demander, voilà le secret en trois mots. […] Rien ne manqua à la solennité ni à l’éclat de cette première représentation : Ç’a été sans doute aujourd’hui, disent les Mémoires secrets, pour le sieur de Beaumarchais qui aime si fort le bruit et le scandale, une grande satisfaction de traîner à sa suite, non seulement les amateurs et curieux ordinaires, mais toute la Cour, mais les princes du sang, mais les princes de la famille royale ; de recevoir quarante lettres en une heure de gens de toute espèce qui le sollicitaient pour avoir des billets d’auteur et lui servir de battoirs ; de voir Mme la duchesse de Bourbon envoyer dès onze heures des valets de pied, au guichet, attendre la distribution des billets indiquée pour quatre heures seulement ; de voir des Cordons bleus confondus dans la foule, se coudoyant, se pressant avec les Savoyards, afin d’en avoir ; de voir des femmes de qualité, oubliant toute décence et toute pudeur, s’enfermer dans les loges des actrices dès le matin, y dîner et se mettre sous leur protection, dans l’espoir d’entrer les premières ; de voir enfin la garde dispersée, des portes enfoncées, des grilles de fer même n’y pouvant résister, et brisées sous les efforts des assaillants. […] Mais l’impression et la distribution, à ce qu’on assurait, s’étaient faites par ordre secret de Beaumarchais. […] Quelques jours après, c’était une lettre de lui qui courait et qu’on disait adressée à un duc et pair qui lui aurait demandé une petite loge grillée, d’où quelques femmes de la Cour voulaient voir la pièce sans être vues : Je n’ai nulle considération, monsieur le duc (disait Beaumarchais dans la lettre qui courait le monde), pour des femmes qui se permettent de voir un spectacle qu’elles jugent malhonnête, pourvu qu’elles le voient en secret ; je ne me prête point à de pareilles fantaisies.

109. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

Dans ces Études de critique littéraire, à propos de l’autorité, des deux morales, et particulièrement de l’aumône, vous sentez à quel point le Christianisme, compris avec cette intelligence de sa vérité la plus profonde et de ses beautés les plus secrètes, a pénétré la pensée de ce critique dont l’esprit, hier, pour vous et pour moi, paraissait rigoureux parce que la conscience était irréprochable, mais dont la politesse exquise, trouvée aujourd’hui dans ses livres, est peut-être de la charité ! […] Il sera resté longtemps chargé jusqu’à la gueule de ce secret plein d’horreur, de ce dévorant secret, et il n’aura pas éclaté ! […] Mais enfin tout a son terme, et l’auteur des Recollections creusera son livre, en effet assez creux, et il y déposera le secret impossible à garder que rediront toutes les plumes de l’Europe, comme les fameux roseaux : Midas, le roi Midas a des oreilles d’âne ! […] Dieu l’humiliait, mais il lui revenait par la tendresse, et voilà le secret de son scepticisme, à cet orgueilleux qui avait l’âme tendre !

110. (1928) Les droits de l’écrivain dans la société contemporaine

Je me demande parfois comment certaines idées, la découverte d’une terre qui tourne, d’un ciel infini, l’étude psychologique des passions secrètes dans l’inconscient et le rêve, en peinture les secrets de la perspective et des couleurs, comment toutes ces notions ont résisté à la pression formidable des familles, avec leurs parents, cousins et arrière cousins, des tyrans superstitieux, des chefs de gouvernements intéressés à leur destruction. […] Mais il faut que vous ayez donné cette propriété mobilière sans condition ni restriction ; fait qui n’a pas lieu lorsque votre lettre offre un caractère secret, confidentiel. […] qu’à condition que le secret ou la confidence restent entre le correspondant et vous. […] Je dis : en principe, ouvrant la porte à l’appréciation des tribunaux pour des cas d’espèce ; et réservant bien entendu, les lettres à secret, confidence et caractère strictement privé. […] Le Journal des Goncourt risque ainsi de devenir le symbole du secret perpétuel.

111. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

C’est ce faon léger des lointains mystérieux, ce daim à demi fuyant de l’Égérie secrète, que dans ses inspirations les plus heureuses Nodier vieillissant a suivi. […] Remarquez que le secret du malheur de ces écrivains tourmentés est en grande partie dans la disproportion de l’effort avec le talent. […] Même plus tard, on pourrait, comme faible secret, et en ne l’avouant jamais, préférer Valérie à Sophocle ; on peut, et en l’avouant, préférer le Lac des Méditations à Phèdre elle-même. […] Jean Sbogar et Smarra, et Mademoiselle de Marsan, furent, dès cette époque, ses secrètes et poétiques Conquêtes. […] Les travaux même non voulus, les heures assujetties dont on se plaint, gardent au fond plus d’un correctif aimable, bien des enchantements secrets.

112. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Leur intimité allait jusqu’à faire supposer entre eux une union plus intime par un mariage secret ; le cardinal n’était point lié aux Ordres. Elle passait pour avoir abjuré entre ses mains le protestantisme et pour pratiquer en secret le catholicisme. […] Remercions madame Lenormant, dépositaire de si doux secrets, de nous avoir au moins confié ces pages. […] C’est peut-être dans cette paternité morale qu’il faut chercher le secret du consentement que madame Bernard, pressentant sa fin prochaine, accorda à une union si disproportionnée par les années. […] Ce sont ces deux mystères qu’il faut respecter, mais qu’il faut entrevoir pour avoir le secret de toute la vie de madame Récamier, triste et éternelle énigme qui ne laisse jamais deviner son mot, même à l’amour.

113. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

« Pendant un an et plus, je fus camérier secret du Pape. […] Le pape, sans s’expliquer, le consola de cette disgrâce, en montrant à ses amis l’intention secrète de le réserver pour d’autres fonctions plus élevées et plus intimes. […] Ayant recommandé le secret à Braschi jusqu’à nouvel ordre, il le quitta et alla se mettre à l’œuvre. […] On fixa l’heure de la cérémonie, et, à dater de ce moment, la prochaine exaltation de Chiaramonti ne fut plus un secret pour le conclave. […] On ne peut douter que cet événement ne lui causât une satisfaction secrète.

114. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Marianne, comme le plus avisé des disciples féminins de La Rochefoucauld, nous expose le pourquoi de l’infidélité et son secret mobile, et aussi le remède : On ne le croirait pas, dit-elle, mais les âmes tendres et délicates ont volontiers le défaut de se relâcher dans leur tendresse, quand elles ont obtenu toute la vôtre : l’envie de vous plaire leur fournit des grâces infinies, leur fait faire des efforts qui sont délicieux pour elles ; mais, dès qu’elles ont plu, les voilà désœuvrées. […] Ses personnages, au lieu de vivre, de marcher et de se développer par leurs actions mêmes, s’arrêtent, se regardent, et se font regarder en nous ouvrant des jours secrets sur la préparation anatomique de leur cœur. […] Ce paysan est né observateur et moraliste : il lit à livre ouvert les physionomies et les visages : « Ce talent, dit-il, de lire dans l’esprit des gens et de débrouiller leurs sentiments secrets est un don que j’ai toujours eu, et qui m’a quelquefois bien servi. » L’auteur, en faisant faire à son personnage un chemin si rapide à la faveur de sa jolie figure, a échappé à un écueil sur lequel tout autre romancier aurait donné ; il lui a laissé de l’honnêteté et s’est arrêté à temps avant la licence. […] Il se découragea donc vers la fin ; la paresse le gagna, et il eut le chagrin secret de se survivre.

115. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Aujourd’hui c’est la sœur de ce poète, et en tout digne de lui par l’imagination comme par le cœur, qui, morte à son tour, vient livrer, par les soins d’amis pieux, le parfum de son âme et de ses secrets épanchements. […] L’auteur suppose qu’un des êtres de cette race intermédiaire à l’homme et aux puissantes espèces animalesx, un centaure vieilli raconte à un mortel curieux, à Mélampe, qui cherche la sagesse et qui est venu l’interroger sur la vie des centaures, les secrets de sa jeunesse et ses impressions de vague bonheur et d’enivrement dans ses courses effrénées et vagabondes. […] Son centaure, vieilli et contristé, déclare au visiteur humain qui le consulte que, pour être allé avec tant d’ivresse et de fougue et avoir tant pressé et tourmenté l’immense nature, il n’a pas surpris le grand secret et n’a rien arraché à la nuit des origines ; qu’il a senti seulement le souffle errer, sans saisir le sens ni les paroles, et que l’incompréhensible est pour lui le dernier mot comme le premier. — Mais je n’ai pas à analyser ici les productions de Guérin ; il me suffit d’en rappeler l’idée et d’en provoquer le réveil : ses œuvres complètes, on nous l’annonce enfin, vont paraître, prose et vers, lettres et fragments d’art, grâce aux soins des mêmes amis qui se sont voués à l’honneur de son nom et à la conservation de sa mémoire. […] Ici était ton portefeuille, si plein de secrets de cœur et d’intelligence, si plein de toi et de choses qui ont décidé de ta vie : je le crois, je crois que les événements ont influé sur ton existence.

116. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Il y eut dès lors dans la jeunesse toute une école choisie, une génération éparse d’admirateurs qui se répétaient le nom du Guérin, qui se ralliaient à cette jeune mémoire, l’honoraient en secret avec ferveur, et aspiraient au moment où l’œuvre pleine leur serait livrée, où l’âme entière leur serait découverte. […] Il y a quelque chose dans la nature, soit qu’elle rie et se pare dans les beaux jours, soit qu’elle devienne pâle, grise, froide, pluvieuse, en automne et en hiver, qui émeut non seulement la surface de l’âme, mais même ses plus intimes secrets et donne l’éveil à mille souvenirs qui n’ont, en apparence, aucune liaison au spectacle extérieur, mais qui sans doute entretiennent une correspondance avec l’âme de la nature par des sympathies qui nous sont inconnues. […] Quand on erre, on sent qu’on suit la vraie condition de l’humanité ; c’est là, je crois, le secret du charme » ; il essaye, à ce moment de sa vie, de concilier le christianisme et le culte de la nature ; il cherche, s’il se peut, un rapport mystique entre l’adoration de cette nature qui vient se concentrer dans le cœur de l’homme et s’y sacrifier comme sur un autel, et l’immolation eucharistique dans ce même cœur. […] En 1833, Guérin, ce Breton d’adoption et qui était alors bien plus Breton de génie et d’âme que Brizeux, vivait donc en plein de cette vie rurale, reposée, poétique et chrétienne, dont la sève montait à flots dans son talent et s’épanchait avec fraîcheur dans ses pages secrètes.

117. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

Mais il est plus probable que Catherine écrivait ces pages, destinées à rester secrètes et confidentielles, pour se rendre compte à elle-même de ses années de jeunesse, de souffrance et de plaisir, pour revenir sur les impressions mélangées, mais si vives, qu’elle y trouvait en y repassant. […] Il est vrai que l’impression croissante et totale, la conclusion irrésistible résultant de la quantité de détails accumulés chemin faisant, est qu’il était impossible que Pierre III régnât, et bien difficile que Catherine, au contraire, ne devint point Impératrice de son chef ; ce qui avait été sa première pensée en mettant le pied en Russie et n’avait cessé d’être son secret désir. […] Elle essuie donc du mieux qu’elle peut les larmes qu’elle verse en secret et va folâtrer avec ses femmes. […] Je n’en fis pas secret à Mr Tchoglokoff qui le redit à l’oreille de deux ou trois personnes, et de bouche en bouche, au bout d’un quart d’heure à peu près, tout le monde le sut. » Avec une galanterie des ce genre et moyennant cette adroite flatterie pour un caprice souverain, la grande-duchesse réparait pour quelque temps, dans l’esprit futile d’Élisabeth, bien des préventions contre elle, qu’on lui avait inspirées. — Mais voici le mieux, et je ne crois pas qu’un peintre de femmes, fût-il un Hamilton, eût jamais pu mieux faire ni mieux dire, s’il s’était proposé de nous donner le portrait de Catherine, à l’âge de vingt et un ans : « Aux bals de la Cour, où le public n’assistait pas, je me mettais le plus simplement que je pouvais, et en cela je ne faisais pas mal ma cour à l’Impératrice, qui n’aimait pas beaucoup qu’on y parut fort parée.

118. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre. »

Mais, pour mettre les lecteurs à même de bien juger de la valeur de tels travaux, de la confiance qu’ils méritent et des solides fondements sur lesquels ils reposent, j’ai à dire quelques mots de la position qu’occupait l’auteur, de l’accès qui lui fut ouvert de tout temps aux sources secrètes et aux documents indispensables à son entreprise. […] Ils étaient là, de père en fils, laborieux, instruits, secrets, sachant l’échiquier, alors si compliqué, des États de l’Europe, le personnel des Cours, le droit public et les traités, le mécanisme et l’organisme du Corps germanique et de l’Empire, les prétentions et les casus belli de tout genre, tous les mystères et les arcanes des chancelleries ; on leur demandait des mémoires sur les questions les plus ardues ; ils les rédigeaient aussitôt, du jour au lendemain, avec exactitude, clarté, sans qu’on eût même l’idée d’y rattacher leur nom. […] La stabilité et la tradition permettaient à ces utiles existences, dénuées d’avancement, de se continuer et de se transmettre, en quelque sorte, dans la même famille : on tenait le fil, on avait le secret des affaires et le chiffre ; on se le passait de la main à la main. […] Ce qu’il faut ajouter aussitôt et ce que m’attestent des confidents de ses plus secrètes pensées, c’est que les déceptions, si vives qu’elles aient dû être, n’ont jamais fait entrer l’amertume dans cette nature aussi élevée que modeste, dans cette âme où la distinction s’unissait à la bonté.

119. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

L’hypocrisie des pharisiens, qui en priant tournaient la tête pour voir si on les regardait, qui faisaient leurs aumônes avec fracas, et mettaient sur leurs habits des signes qui les faisaient reconnaître pour personnes pieuses, toutes ces simagrées de la fausse dévotion le révoltaient. « Ils ont reçu leur récompense, disait-il ; pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite, afin que ton aumône reste dans le secret, et alors ton Père, qui voit dans le secret, te la rendra 252. […] Pour toi, si tu veux prier, entre dans ton cabinet, et ayant fermé la porte, prie ton Père, qui est dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, t’exaucera.

120. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

C’est que ce Dandolo avait fait vibrer certaines fibres secrètes de son imagination et de son cœur. […] Le secret du retour était gardé entre très peu de personnes. […] Il était très prudent, très réservé et secret ; il eût même été dissimulé s’il l’avait fallu. […] Par un sentiment précurseur, et comme il arrive à ceux qui, loin du ciel natal, se sentent décliner et approcher du terme, il nourrissait depuis quelque temps un vif et secret désir de revoir la France.

121. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

Ses succès du monde, plus chers à sa vanité que ses succès littéraires, ne voilèrent de leur éclat ni pour les autres ni pour lui la plaie secrète, cette suppuration d’orgueil et d’envie qu’on sent en lui malgré les soins de sa double toilette, — malgré le musc et les opinions de son temps. […] Qui sait exactement la distance entre la volonté et l’intelligence, entre la théorie et l’action ; avec quelle violence la volonté entre en exercice pour abolir un état de choses qui la révolte ; avec quelle fureur elle allume le foyer des sociétés secrètes, des commandites saint-simoniennes, de toutes les prétendances en haut et en bas ? […] Il leur donne de l’appétit, en effet, contre les institutions sociales, ce livre de bâtard… et voilà le secret de son succès !

122. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

Des romanciers se sont plu à mettre en scène la femme de quarante ans, et ils ont eu beau se montrer sympathiques pour des souffrances qui ne dépendent pas du nombre des années, on voit percer une secrète ironie dans leurs peintures. […] Que craignait-il en laissant s’accréditer le bruit d’un mariage secret entre la comtesse et lui ? […] Parmi ces hommes qui comprennent si mal les hautes pensées et les sentiments généreux, il reste cependant encore une secrète admiration pour des vertus et un dévouement dont ils sont incapables. […] Son regard était toujours approprié à la personne qu’elle regardait, comme s’il y avait eu un secret entre elle et son interlocuteur. […] Tel fut évidemment le secret de son ascendant sur la comtesse d’Albany tant qu’il vécut, et de l’espèce de culte ostensible qu’elle lui rendit jusqu’après sa mort, en voulant lui bâtir un monument à deux.

123. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Cet homme, qui fut moins un poète qu’un entrepreneur de représentations théâtrales, était de l’école de Lope de Vega, au temps où Lope de Vega, sourd aux reproches secrets de son génie, enseignait, à titre de recette, l’art de faire deux mille pièces dans une vie d’homme. […] » Voilà le secret même de la tragédie ; voilà cette ressemblance avec la vie, qui en fait toute la vérité. […] En même temps qu’il donnait, sous la forme de règles, le secret des beautés de son théâtre, en critiquant ses propres défauts il donnait le secret des beautés qui lui ont manqué. […] L’admiration dont ce grand homme a trouvé le secret est bienfaisante et féconde. […] Il confondit les expédients avec l’art ; et cet homme qui avait réalisé dans le Cid et dans Polyeucte l’idéal de la tragédie, parut avoir perdu son propre secret.

124. (1914) Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne pp. 13-101

C’est le secret de la situation faite à l’histoire et à la sociologie et surtout aux historiens et aux sociologues dans les temps modernes. […] Empêcher l’homme de descendre certaines pentes sentimentales, certaines pentes morales, certaines pentes de conduite, n’est-ce point le travail et la plus grande partie du secret de tant d’arts et des plus grandes morales. […] Ce que je dis, c’est que justement parce que sa morale était provisoire, justement parce qu’elle n’entrait pas dans son système, parce qu’elle n’était pas arrêtée, parce que pour ainsi dire elle n’était pas officielle, justement parce qu’il s’y est moins défendu, moins observé, c’est elle qui nous livre son secret. Son secret c’est bien d’aller toujours dans le même sens et, le soir, d’arriver quelque part. […] Et que la plus grande erreur c’est encore d’« errer » : voilà sa nature même et la race de son secret.

125. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires relatifs à la Révolution française. Le Vieux Cordelier, par Camille Desmoulins ; Les Causes secrètes ou 9 thermidor, par Villate ; Précis du 9 thermidor, par Ch.-A. Méda, Gendarme »

Mémoires relatifs à la Révolution française Le Vieux Cordelier, par Camille Desmoulins ; Les Causes secrètes ou 9 thermidor, par Villate ; Précis du 9 thermidor, par Ch. […] Au Vieux Cordelier les éditeurs ont joint dans le même volume les Causes secrètes de Villate sur ce jour mémorable, et le Précis historique du gendarme Méda, qui y prit une part si importante.

126. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Introduction » pp. 2-6

est un secret entre sa conscience et lui, un secret qu’il lui est interdit de trahir dans ses jugements.

127. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — I »

∾ Nous touchons au secret, à la grande habileté du sage : c’est parce qu’il ne veut qu’une seule chose, qu’il finit toujours par l’obtenir. […] Céder sur les points incidents, pour être plus fort sur l’essentiel, c’est le secret des grands manieurs d’hommes.

128. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Il en demandait le secret à ses amis plus riches en expérience et encore humides du naufrage, comme on le voit dans les stances à Ulric Guttinguer : Ulric, nul œil des mers n’a mesuré l’abîme.. […] Il était d’une génération dont le mot secret, le premier vœu inscrit au fond du cœur, avait été la poésie en elle-même, la poésie avant tout. « Dans tout le temps de ma belle jeunesse, a dit l’un des poètes de cette même époque, j’ai toujours été ne désirant, n’appelant rien tant de mes vœux, n’adorant que la passion sacrée », la passion, c’est-à-dire la matière vive de la poésie. […] [NdA] Quelqu’un, à moi de bien connu, qui fut un moment compagnon de Musset dans cette vie d’imagination et d’effréné désir, a osé encore écrire une pensée que je surprends et que je dérobe, une pensée qui exprime à souhait, et plus qu’à souhait, cette forme de déréglement et de fureur passionnée si chère à la génération dite des enfants du siècle : « Je me fais quelquefois un rêve d’Élysée ; chacun de nous va rejoindre son groupe chéri auquel il se rattache et retrouver ceux à qui il ressemble : mon groupe, à moi, je l’ai dit ailleurs, mon groupe secret est celui des adultères (moechi), de ceux qui sont tristes comme Abbadona, mystérieux et rêveurs jusqu’au sein du plaisir et pâles à jamais sous une volupté attendrie. — Musset, au contraire, a eu de bonne heure pour idéal l’orgie, la bacchanale éclatante et sacrée ; son groupe est celui de la duchesse de Berry (fille du Régent), et de cette petite Aristion de l’Anthologie qui dansait si bien et qui vidait trois coupes de suite, le front tout chargé de couronnes : “κώμοι και μανίαι, μέγα χαίρετε…” (Anthol. palat.

129. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

Rien qu’à lire une de ses fables ou l’un de ses contes après l’Épître au Roi ou l’Iphigénie, on sent qu’il a son idiome propre, ses modèles à part et ses prédilections secrètes. […] Un critique éclairé du Journal des Débats, séduit par quelques traits de vague ressemblance, et cédant aussi à cette influence secrète qu’exerce le paradoxe sur les meilleurs esprits, estime que La Fontaine doit beaucoup « et à nos contes, et à nos poëmes, et à nos proverbes, depuis le Roman de Renart, dont on ne me persuadera jamais qu’il n’ait pas eu connaissance, jusqu’aux farces de ce Tabarin qu’il cite si plaisamment dans une de ses fables. » Quant aux farces de Tabarin, quant à nos contes, à nos poëmes imprimés, je pourrais tomber d’accord avec le savant critique ; mais le Roman de Renart, alors manuscrit et inconnu, où le bonhomme l’eût-il été déterrer ? […] Mais même en poussant aussi loin qu’on voudra cette exigence scrupuleuse de La Fontaine, et en estimant, d’après un précepte de rhétorique assez faux à mon gré, que chez lui la composition était d’autant moins facile que les résultats le paraissent davantage, on n’en viendra pas pour cela à comprendre par quel enchaînement d’études secrètes, et, pour ainsi dire, par quelle série d’épreuves et d’initiations, le pauvre La Fontaine prit ses grades au Parnasse et mérita, le jour précis qu’il eut quarante et un ans, de recevoir des neuf vierges le chapeau de laurier, attribut de maître en poésie, à peu près comme on reçoit un bonnet de docteur.

130. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

Bayet laisse à chacun la faculté de cultiver, à ses risques et périls, son « jardin secret ». — « L’art social, dit-il, s’abstiendra d’intervenir aux heures douloureuses de la vie intérieure. […] On déclare qu’il n’est pas une de nos pensées, un de nos sentiments, qui n’ait sa répercussion plus ou moins directe sur notre conduite et, par là, sur notre entourage. — Dès lors, comment l’art moral se désintéresserait-il de la vie intérieure, du « jardin secret » de l’individu ? Car c’est dans ce jardin secret que germent les semences qui s’épanouiront plus tard dans le grand jardin public de la vie sociale.

131. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

Qu’on se demande ce que les hommes qui ont pensé le plus fortement sur le cœur auraient dit et ajouté à leurs observations, s’ils avaient eu à leur convenance l’institution qui permet au plus simple des prêtres d’essuyer perpétuellement, de sa main consacrée, la sanie honteuse des plaies secrètes ? […] La vie lui a dit tous ses secrets les plus enivrants et les plus douloureux. […] Et, je le répète, tel est le secret de l’empire durable du P. 

132. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Un des grands secrets pour piquer la curiosité, c’est de rendre l’événement incertain. […] Lorsque, dans Stilicon, Félix est tué au moment qu’il va en secret donner avis de la conjuration à l’empereur, Honorius voit clairement que Stilicon ou Euchérius, ses deux favoris, sont les chefs de la conjuration, parce qu’ils étaient les seuls qui sussent que l’empereur devait donner une audience secrète à Félix. […] Un des grands secrets de l’art dramatique, c’est de faire sans cesse contraster les caractères avec les situations. […] Souvent il échappe aux gens du peuple des aveux naïfs dont l’effet est toujours sûr au théâtre : c’est le secret de Molière dans presque toutes ses pièces de comique bourgeois. […] Celui qui se montre sur la scène comique est toujours agréable, délicat, et ne nous cause aucune inquiétude secrète.

133. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Ce livre, répandu comme un secret parmi l’émigration, fit du gentilhomme savoyard le favori sérieux de la contre-révolution, des camps et des cours. […] On a dit qu’il n’y avait point de grand homme pour son valet de chambre ; on peut dire, après avoir lu ces innombrables lettres, qu’il n’y a point de secret pour la postérité. […] Et le ministre du roi de Sardaigne se concertant, à l’insu de son maître, avec le ministre de Bonaparte pour opérer un rapprochement intime et secret entre l’homme de Vincennes et le roi de Cagliari ! […] Écoutez son entretien secret avec Savary, et lisez quelques phrases du Mémoire que le comte de Maistre adresse à cet aide de camp de Napoléon pour être communiqué à Napoléon lui-même. […] Elle a d’ailleurs, à ce qu’il paraît, complétement deviné le grand secret de sa position : Ne faites pas attention aux distractions.

134. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

s’écrie-t-il, vous qui vîtes dans leur naissance les dérèglements des pécheurs qui m’écoutent et qui, depuis, en avez remarqué tous les progrès, vous savez que la honte de cette fille chrétienne n’a commencé que par de légères complaisances et de vains projets d’une honnête amitié : que les infidélités de cette personne engagée dans un lien honorable n’étaient d’abord que de petits empressements pour plaire, et une secrète joie d’y avoir réussi : vous savez qu’une vaine démangeaison de tout savoir et de décider sur tout, des lectures pernicieuses à la foi, pas assez redoutées, et une secrète envie de se distinguer du côté de l’esprit, ont conduit peu à peu cet incrédule au libertinage et à l’irréligion : vous savez que cet homme n’est dans le fond de la débauche et de l’endurcissement que pour avoir étouffé d’abord mille remords sur certaines actions douteuses, et s’être fait de fausses maximes pour se calmer : vous savez enfin que cette âme infidèle, après une conversion d’éclat, etc. […] La condition la plus heureuse en apparence a ses amertumes secrètes qui en corrompent toute la félicité : le trône est le siège des chagrins comme la dernière place ; les palais superbes cachent des soucis cruels, comme le toit du pauvre et du laboureur ; et, de peur que notre exil ne nous devienne trop aimable, nous y sentons toujours, par mille endroits, qu’il manque quelque chose à notre bonheur. […] Lui-même, après avoir ainsi conquis les simples ou les rebelles, après avoir abattu en public les orgueils et fait fondre les incrédulités, il n’avait pas toute la force suffisante pour rallier et fortifier les nouveaux fidèles dans le secret.

135. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Que lui sert d’être loué pour avoir lu presque en prophète dans les cœurs et dans les plus secrets penchants de ceux qui l’écoutent, si les penchants résistent, si les cœurs restent les mêmes et ne se corrigent en rien ? […] Massillon, dès ce temps-là, montre que, sans avoir vu les Childe-Harold et les René, et tant d’autres illustres dégoûtés à leur suite, il en savait sur leur mal aussi long que personne, et qu’il en avait appris le secret de Job et de Salomon, sinon de lui-même. […] Rien ne plaît parce qu’on ne saurait plus soi-même se plaire : on se venge sur tout ce qui nous environne des chagrins secrets qui nous déchirent ; il semble qu’on fait un crime au reste des hommes de l’impuissance où l’on est d’être encore aussi criminels qu’eux : on leur reproche en secret tout ce qu’on ne peut plus se permettre à soi-même, et l’on met l’humeur à la place des plaisirs.

136. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

Que de scrupules, quelle humiliation secrète il en eut ! […] » L’homme qui s’écrie ainsi dans le secret de son cœur et dans l’effusion de son amertume n’est pas un impie. […] Deleyre, qui resta encore quelques années à Parme, y vécut, à sa manière, dans le supplice de Rousseau ; il l’imitait, sans y songer, par un secret accord douloureux, jusque dans cette variété d’une même mélancolie. […] Au sentiment des maux publics se joint dans mon âme une raison puissante de désirer la fin de mes peines secrètes.

137. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Scipion et Salluste furent soupçonnés, l’un d’être l’auteur secret des comédies de Térence, l’autre d’avoir été l’acteur caché de la conspiration dont il était l’historien ; mais on ne voit point d’exemples dans Athènes, que le même homme ait suivi la double carrière des lettres et des affaires publiques. […] Ces ressorts, plus extérieurs qu’intimes, n’ont point permis à l’homme de connaître les secrets du cœur de l’homme ; et la philosophie morale y a perdu sous plusieurs rapports. […] On ne voit donc, dans la première époque de leur littérature, aucun ouvrage qui montre une profonde connaissance du cœur humain, qui peigne ni le secret des caractères, ni les diversités sans nombre de la nature morale. […] Dans le secret de la conscience se trouve aussi la source de l’attendrissement.

138. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

Il continue de développer cette idée d’une doctrine secrète qu’il faut réserver pour soi et pour le petit nombre : En ce qui vous regarde, mon ami, croyez-moi, vous êtes né, pour votre bonheur, trop tôt de quelques siècles. […] Réservez votre doctrine secrète pour un petit nombre d’amis sûrs, dans le sein de qui votre âme puisse s’épancher sans contrainte, et qui soient dignes de cultiver avec vous la philosophie et de rendre honneur à la vérité. […] Il continuait pour lui-même de former je ne sais quels projets dont il croyait le succès infaillible, et dont il se réservait de confier le secret à son ami. […] Il appliquait plus ou moins cette doctrine du secret dont nous l’avons vu chercher à se pénétrer de bonne heure.

139. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Émile Augier »

Très inférieur à Scribe, il n’en procède pas moins de ce maître du vaudeville français : il se sert du procédé de cet homme qui savait le secret du succès, secret honteux qui consiste en ceci, au théâtre : plus une plaisanterie est connue, plus elle réussit.

140. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Une difficulté surtout l’arrête : il ne parvient point à savoir les choses assez à son gré ; il n’est pas homme à se contenter des bruits de ville, comme l’avocat Barbier, il voudrait mieux et pouvoir remonter à la source ; mais il n’est pas dans le secret des affaires ni aux premières loges. […] Il l’admire comme poète ; il n’a pas assez d’éloges pour sa Henriade ; il n’a jamais rien vu de si beau, c’est du véritable enthousiasme, et qui donne la mesure de celui des contemporains : « (Février 1724.) — Le poëme de la Ligue, par Arouet, dont on a tant parlé, se vend en secret. […] Je le crois aussi ; mais, monsieur le voleur, nous avez bien fait, vous ne serez pas puni pour cela, et vous auriez été couronné à Lacédémone. » Il ne tarit pas là-dessus, il est comme notre ami Sacy ; il n’en a jamais assez de la relire : « Je suis enchanté, monsieur, de la manière dont vous parlez des Lettres de Mme de Sévigné ; elles m’ont fait la même joie, et je les relis comme elle relisait les lettres de sa fille, pour faire durer le plaisir. » Sur Mme de Motteville, dont les Mémoires parurent pour la première fois en 1723, on n’a jamais mieux dit que Mathieu Marais sous l’impression toute vive d’une première lecture : « Il n’y a jamais eu ensemble tant de faits secrets, tant de caractères bien marqués, tant de portraits ressemblants et une connaissance si grande de la Cour et des familles. Il fallait une historienne pour bien dire tous les détails de la vie d’une Régente, et il n’y a qu’une femme qui puisse bien savoir certains secrets des femmes. […] On sait l’affreuse histoire de Mme de Tencin, cette femme d’esprit et d’intrigue, qui a fait des romans de pur sentiment : un jour, le soir du 6 avril 1726, un de ses anciens amants, un M. de La Fresnaye, à qui elle avait voulu (il paraît bien) extorquer ou soustraire des sommes considérables, va chez elle furieux, hors de lui, se met sur un canapé et se loge quatre balles dans le cœur, dont il meurt sur le coup ; « Le canapé en frémit ; la dame en gémit : on avertit le premier président et le procureur général du Grand-Conseil, qui le font enterrer, la nuit, en secret, et le lendemain chacun conte l’histoire à sa manière, et il y en a cent.

141. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Le népotisme les envahit, l’intrigue les attire et les morcèle, la jalousie les ulcère ; leur vœu secret et leur but habituel ne se peuvent plus avouer désormais sans honte. […] Sa dévotion, malgré tant de lectures mélangées, continuait d’être pure et avait des accès de vivacité ; il allait souvent en secret adorer le Saint Sacrement dans des chapelles d’alentour. […] Quant à ceux qui répètent que le style de M. de La Mennais manque d’onction, ils n’ont pas prononcé avec lui ces belles, ces humbles prières dont il interrompt par instants et confirme sa recherche ardente ; ils n’ont pas tenu compte de cette intime connaissance morale qui, sous l’austérité du précepte ou du blâme, décèle encore la tendresse secrète d’un cœur.  […] Son vœu à l’origine, son faible secret ne fut autre, assure-t-il, que celui des poëtes, une solitude profonde, un loisir semé de fantaisie comme l’ont imaginé Horace et Montaigne, ou encore le vague des passions indéfinies, ou l’entretien mélancolique des souvenirs. […] « Il y en avait aussi qui semblaient, dans un recueillement profond, écouter une parole secrète, et puis, l’œil fixé sur le couchant, tout à coup ils chantaient une aurore invisible et un jour qui ne finit jamais.

142. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

La malignité secrète des hommes, et leur envie excitée par les avantages d’autrui, leur font goûter une certaine joie à saisir et à dénoncer les ridicules. […] Le secret de leurs pensées et de leur style se renferme dans la singularité de leur conception. […] L’imitation seule des ouvrages vous révélera donc les secrets de l’imitation de la nature. […] Sa contexture, ses situations, et sa fin, étant différentes, il lui faut d’autres secrets pour se développer. […] Le crédit de réputation, et même les secrètes disgrâces de cet illustre auteur à la cour de France, furent des motifs de l’accueillir dans la sienne.

143. (1886) Le roman russe pp. -351

Les questions d’art ont leur intérêt et leur grandeur ; mais il y a plus encore d’intérêt et de grandeur dans le secret qu’elles m’aident à poursuivre, le secret de cet être mystérieux, la Russie. […] Quelques personnes s’étonneront que je demande le secret de la Russie à ses romanciers. […] Tout ce que l’on renversait avait été sourdement miné par la vertu secrète de ce ferment. […] On respecte en lui le dépositaire d’un secret de vie ; un miracle si difficile ne peut être accompli que par une grâce spéciale d’en haut. […] Le secret de la célébrité facile est peut-être de ne pas bouger : on a pour soi tous les photographes.

144. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Cette vocation d’écrivain, qui se dégage et s’affiche pour nous si manifestement aujourd’hui, était cependant d’abord secrète et comme masquée et affublée de toutes les prétentions de l’homme de cour, du grand seigneur, du duc et pair, et des autres ambitions accessoires qui convenaient alors à un personnage de son rang. […] Et avec cela il est artiste, et il l’est doublement : il a un coup d’œil et un flair 93 qui, dans cette foule dorée et cette cohue apparente de Versailles, vont trouver à se satisfaire amplement et à se repaître ; et puis, écrivain en secret, écrivain avec délices et dans le mystère, le soir, à huis-clos, le verrou tiré, il va jeter sur le papier avec feu et flamme ce qu’il a observé tout le jour, ce qu’il a senti sur ces hommes qu’il a bien vus, qu’il a trop vus, mais qu’il a pris sur un point qui souvent le touchait et l’intéressait. […] Au défaut de bonnes fortunes dont son âge et sa figure l’excluoient, il y suppléoit par de l’argent, et l’intimité de son fils et de lui, de M. le prince de Conti et d’Albergotti, portoit presque toute sur des mœurs communes et des parties secrètes qu’ils faisoient ensemble avec des filles. […] Voltaire sur sa fin avait, dit-on, formé le projet « de réfuter tout ce que le duc de Saint-Simon, dans ses Mémoires encore secrets, avait accordé à la prévention et à la haine. » Voltaire, en cela, voyait où était le défaut de ces redoutables Mémoires, et aussi, en les voulant infirmer à l’avance, il semblait pressentir où était le danger pour lui, pour son Siècle de Louis XIV, de la part de ce grand rival, et que, lorsque de tels tableaux paraîtraient ; ils éteindraient les esquisses les plus brillantes qui n’auraient été que provisoires. […] Il dit quelque part, à l’occasion des joies secrètes et des mille ambitions flatteuses mises en mouvement par une mort de prince : « Tout cela, et tout à la fois, se sentait comme au nez. » 94.

145. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Mais il ne porte pas la vraisemblance dans les causes secrètes des événements, ni dans l’appréciation des motifs qui ont fait agir les hommes. […] Où Froissart aurait-il imaginé de pénétrer le secret de guerres suscitées par les moeurs belliqueuses du temps presque autant que par les intérêts ? Comment se serait-il inquiété de rechercher les mobiles secrets de ces rivaux de tournois ou de champs de bataille, qui n’entretenaient leur historien errant que de leurs grands coups d’épée ? […] Ils perdirent le secret des charmants récits de Froissart, et n’eurent pas la haute raison de Comines. […] Je vois, dans Comines, des causes et des effets, les passions et leurs conséquences, les desseins secrets sous les apparences publiques, moins de costumes que dans Froissart ; mais plus d’hommes ; je vois quels sont les mobiles politiques de l’époque, semblables à ceux de toutes les époques ; je vois pourquoi certains desseins échouent, et pourquoi d’autres réussissent ; lequel eût le mieux valu, dans certaines affaires, du courage ou de la prudence.

146. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Tel est le secret de la vie romantique… tel aussi le secret de l’âme d’Antoine Arnault. […] Cela, c’est presque tout le secret de l’art du poète. […] Seulement une excessive pudeur l’empêche de trahir son secret. […] Ici, rien qui ne soit voilé, secret, mystérieux. […] … Quelle n’est pas sa puissance sur l’artiste, pour qui elle devient le secret, le mystérieux secret de son inspiration !

147. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre V. Du jeu, de l’avarice, de l’ivresse, etc. »

Si l’on parvenait à rallier la nature morale à la nature physique, l’univers entier à une seule pensée, on aurait presque dérobé le secret de la Divinité. La plupart des hommes cherchent donc à trouver le bonheur dans l’émotion, c’est-à-dire, dans une sensation rapide, qui gâte un long avenir : d’autres se livrent par calcul, et surtout par caractère à la personnalité ; mécontents de leurs relations avec les autres, ils croient avoir trouvé un secret sûr pour être heureux, en se consacrant à eux-mêmes, et ils ne savent pas que ce n’est pas seulement de la nature du joug, mais de la dépendance en elle-même que naît le malheur de l’homme.

148. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Desbordes-Valmore, Marceline (1786-1859) »

que ma gloire est loin de sa candide aurore,  Quand, sur le luth nouveau, le cœur novice encore Cherchait l’être naïf de son tourment secret ! […] Goût de l’amour dès l’enfance, avant même de se douter de ce qu’est l’amour ; sentiment un peu sanglotant de la nature ; aspiration à se dévouer sans relâche, avec un secret contentement de souffrir pour son dévouement ; félicité de la meurtrissure sentimentale, optimisme extraordinairement vivace, abrité du scepticisme comme par une ouate de mélancolie douce… Ajoutez à ces dons naturels la vie la plus romanesque, romanesque jusqu’à l’invraisemblable, une gageure du destin tenue et gagnée contre les caprices de l’imagination : l’héritage sacrifié à la foi religieuse, les voyages tragiques, la guerre, la tempête, la séduction, l’abandon, le théâtre avec le succès d’abord, et bientôt la perte de la voix, la misère, la mort de l’enfant adoré, de quoi défrayer vingt romans conçus avec quelque économie.

149. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre cinquième. »

C’est là le grand mérite de La Fontaine, et c’est son secret qu’il nous donne. Tous les fabulistes ont fait parler les animaux ; mais La Fontaine entre, plus qu’eux tous, dans le secret de nos passions, quand il les fait parler.

150. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Or, c’est là le secret du naturel et de la variété. […] Composés dans un dessein secret, particulier, leur effet seul les trahissait. […] Qui a donné à ce chaste prêtre une pénétration à qui rien n’échappe de nos misères les plus secrètes, et cette infaillible science du mal ? […] Cet appui était d’ailleurs secret. […] L’abbé de Chanterac du côté de Fénelon, l’abbé Bossuet du côté de l’évêque de Meaux, sont coupables, l’un d’avoir caressé l’orgueil secret que cachait à Fénelon sa piété même, l’autre d’avoir poussé Bossuet, soit à livrer des secrets qu’il aurait dû tenir ensevelis, soit à conseiller l’emploi de la menace pour arracher au saint-siège une prompte condamnation.

151. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

Ses ennemis ne l’admirent guère moins que ses amis, et les mémoires secrets ne démentent point les éloges publics. […] A la vérité, c’est par le commandement même du roi que Bossuet lui tenait ce sévère langage : mais n’était-ce pas l’effet d’un secret mécontentement de soi-même que de commander à la voix la plus libre alors, à la voix de l’évêque, de lui parler de ses fautes ? […] L’imitation des mœurs étrangères, cette tyrannie secrète qui s’insinue dans une nation sous la forme d’une mode, y avait altéré insensiblement les caractères et les esprits. […] Qu’il y ait eu dans ses sentiments une secrète complaisance pour lui-même, le nier est presque aussi oiseux que le rechercher. […] En même temps que, par un devoir particulier de sa charge, Bossuet se faisait historien, le spectacle de tous les actes du gouvernement de Louis XIV lui apprenait, avec la langue de la politique, le secret de ces ressorts des empires dont la connaissance fait le grand historien.

152. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

Cette femme qui fut pendant quarante ans une épouse et une mère irréprochables, pourquoi nous livrer son douloureux secret ? […] Je disais, dans mon dernier feuilleton, que Marceline avait tu son secret à Valmore, n’ayant le courage ni de renoncer à la part de bonheur qu’elle pouvait encore attendre, ni de désespérer un brave garçon par l’inutile révélation d’une aventure dont les suites matérielles étaient totalement abolies. […] J’avais supposé bénévolement qu’un hasard ou le caprice d’une conversation tendre, les avait amenés à se révéler mutuellement la liste complète de leurs prénoms respectifs et qu’ils s’étaient réjouis entre eux d’une coïncidence dont les archives de l’état civil dérobaient le secret au public. […] Ce monsieur a goûté de secrètes joies (chose étrange) à ajouter pour quelques jours, à l’énorme et tragique somme d’erreurs dont pâtit l’humanité, une erreur infime et totalement insignifiante ; et il a joui de cette pauvre petite erreur où il m’induisait, uniquement parce que c’était tout de même une erreur. […] Je constatais qu’à travers tout une joie intérieure l’illuminait, et que le secret optimisme de cette martyre était renversant, et j’en cherchais les raisons… Mais il y en a d’autres que celles que je vous ai déjà dites ; et ce n’est pas seulement de l’excès même et de la continuité de sa déveine que lui vint son extrême sérénité.

153. (1772) Éloge de Racine pp. -

J’en développerai les raisons et les preuves : je les trouverai dans l’amour-propre et les intérêts de la médiocrité ; dans cet esprit des sectes littéraires, qui, comme toutes les autres, ont leur politique et leur secret ; enfin dans le petit nombre des hommes doués de ce sens exquis qu’on appelle le goût. […] Ces idées furent des traits de lumière pour cette ame si sensible et si féconde, qui, en descendant en elle-même, y trouvait les mouvemens de toutes nos passions, les secrets de tous nos penchans. […] Ajoutez à tous ces intérêts qui lui étaient contraires, cette disposition secrète qui, même au fond, n’est pas tout-à-fait injuste, et qui nous porte à proportionner la sévérité de notre jugement au mérite de l’homme qu’il faut juger. […] Combien vous deviez chérir l’écrivain qui paraissait avoir étudié son art dans votre coeur, qui semblait être dans le secret de vos faiblesses, qui vous entretenait de vos penchans, de vos douleurs, de vos plaisirs, en vers aussi doux que la voix de la beauté quand elle prononce l’aveu de la tendresse ! […] Sera-ce l’impérieux besoin d’une imagination active, qui se consume elle-même, et qui cherche à se répandre au dehors, ou ce retour secret, cette invincible pente qui ramène toujours vers la gloire ceux qui l’ont une fois connue ?

154. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

De même que M. d’Estrades, à l’époque de la conquête de Louis XIV, savait cette particularité si essentielle, ce secret des écluses dont la clef était à Muyden (mais il ne fut pas interrogé à temps), de même un homme dont on ne doit parler qu’avec bien de l’estime, le Père Griffet, continuateur du Père Daniel pour l’Histoire de France, l’excellent historien de Louis XIII, celui qui, sans l’exil qui le frappa avec tous les jésuites, allait nous donner un règne de Louis XIV de première main, le Père Griffet avait connu ces sources, y avait puisé et en avait tiré huit volumes de lettres qui sont imprimés (1760-1764) ; mais ces huit volumes, trop peu consultés eux-mêmes, sont peu de chose eu égard à l’immensité du dépôt. […] Que d’affaires, que de desseins, que de projets, que de secrets, que d’intérêts à démêler, que de guerres commencées, que d’intrigues, que de beaux coups d’échecs à faire et à conduire ! […] Nouer un commerce intime et de tête-à-tête avec les plus grands hommes d’un grand siècle ; tenir entre ses mains les lettres originales de Louis XIV, de Louvois, de Turenne, de Condé, de Vauban, de Luxembourg et de tant d’autres, dont l’écriture semble encore fraîche, comme si elle était tracée d’hier ; démêler sans peine tous les secrets de la politique et de la guerre ; assister à la conception et à l’éclosion des événements ; surprendre l’histoire, pour ainsi dire, à l’état natif, quelle plus heureuse fortune et quelle plus grande joie ! […] Ce n’est pas à réussir sur l’heure et pour un jour qu’il vise, comme cela suffit aux charlatans, c’est à s’acquérir l’estime des connaisseurs et de ceux qui en jugeront plus tard à l’usage : « Ce n’est pas ici un jeu d’enfants, écrivait-il à propos de ce même Dunkerque, et j’aimerais mieux perdre la vie que d’entendre dire un jour de moi ce que j’entends des gens qui m’ont devancé. » Plein de bonnes raisons, et de celles qu’il donne, et de celles qu’il garde par devers lui dans un art qui a ses secrets, il s’impatiente et s’irrite même des chicanes et des objections qu’on élève quand il a le dos tourné ; il s’en plaint au ministre et d’un ton parfois un peu brusque.

155. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Il y a de l’homme à la bête, à tout ce qui existe, des sympathies et des haines secrètes dont la civilisation, ôte le sentiment. […] Âme innocente, élevée, pure, non pas inexpérimentée, mais droite et simple, elle y cause avec elle-même, avec ses plus hautes et ses plus secrètes pensées, avec Dieu, priant, pleurant, se chantant parfois des vers, se disant « La solitude fait écrire parce qu’elle fait penser. […] Écoutez ce qui vient à la fin de ce joli récit, où son vœu secret lui échappe : « Le 14 mars 1836. — Une visite d’enfant me vint couper mon histoire hier (une histoire de pauvre vieille et de mendiante sur son grabat). […] Son voyage de Paris fut un grand événement dans sa vie : elle dut, selon son expression, y être fréquemment tentée ; son intelligence si ouverte put y donner plus d’un secret assaut à sa foi ou du moins à son cœur.

156. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Supprimez d’un seul coup toute la poésie en vers, ce sera plus expéditif ; sinon, parlez avec estime de ceux qui en ont possédé les secrets. […] à chaque feuille sur sa branche la plus secrète. […] Cette Épître nous montre par une suite d’exemples ou de remarques habilement choisies que pour qui veut connaître à fond un seul homme, un individu, tout trompe, tout est sujet à méprise, et l’apparence et l’habitude, et les opinions et le langage, et les actions même qui souvent sont en sens inverse de leur mobile : il n’y a qu’une chose qui ne trompe pas, c’est quand on a pu saisir une fois le secret ressort d’un chacun, sa passion maîtresse et dominante (the ruling passion), dans le cas où chez lui une telle passion existe. […] Et il nous montre, dans une série d’exemples, chaque homme resté de plus en plus fidèle en vieillissant à cette forme secrète qui survit à tout et se démasque avec les années, qui s’éteint la dernière en nous et qui met comme son cachet à notre dernier soupir : « Le temps, qui pose sur toutes choses sa main adoucissante, n’apprivoise point cette passion : elle se colle à nous jusqu’au dernier grain du sablier.

157. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre (suite et fin) »

Je garderai le secret que vous m’en demandez ; mais le tout est déjà public, et peut-être même plus enflé qu’il n’est, car vous savez qu’en ce pays l’on y va fort vite, soit d’une façon, soit d’une autre. […] L’inquiétude, le trouble même que d’Argenson montra à la réception de la lettre de l’abbé, me fait croire qu’il a eu part aussi bien que tous les autres ministres à la pitoyable conduite du maréchal. » De même que le roi avait des correspondances secrètes à l’insu de ses ministres, de même les ministres envoyaient des ordres secrets à l’insu du roi ; chacun se comportait en maître dans son tripot (c’est encore une expression de Mme de Tencin, qui s’y connaît, et qui était placée au foyer de toutes ces intrigues). […] On assiste pourtant à d’honorables tentatives et au travail secret qui décida le voyage de Metz, l’année suivante, et qui prépara, comme suprême triomphe, la présence de Louis XV à Fontenoy.

158. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « CHRISTEL » pp. 515-533

Pour deviner qu’une passion était en jeu, il aurait fallu être un rival, ou il fallait être une mère, une mère prudente, inquiète et malade, qu’éclaire encore sur l’avenir secret de sa fille la crainte affreuse de la trop tôt quitter. […] Si elle avait pu, du moins, sortir, se distraire par le monde, vivre de la vie de bal et s’étourdir comme la plus frivole dans le tourbillon insensé, ou mieux, s’échapper et courir par les bois, biche légère, et chercher, s’il en est, le dictame dans les antres secrets, au sein de la nature éternelle ! […] Un mouvement brusque eût éclairé sa fille, l’eût avertie qu’elle s’était trahie, eût, pour ainsi dire, donné de l’air à cet incendie secret qui autrement, toute issue fermée, avait chance de s’étouffer peut-être. […] Quoi qu’il soit devenu, et quoi qu’il fasse, il se ressouvient éternellement, du moins, de cette divine douleur de jeune fille, et, à ses bons et plus graves moments, sous cette neige déjà que le bel âge enfui a laissée par places à son front, il en fait le refuge secret de ses plus pures tristesses, et la source la plus sûre encore de ce qui lui reste d’inspirations désintéressées.

159. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame Sophie Gay. » pp. 64-83

voilà, dit-elle, tout le secret des chagrins de ma vie. » Arrivée chez son père, Léonie voit une tante, Mme de Nelfort, bonne personne, mais très exagérée, et qui a pour fils un Alfred, joli garçon, étourdi, dissipé, un peu fat déjà et lancé dans les aventures à la mode, colonel, je le crois, par-dessus le marché ; car la scène se passe dans l’Ancien Régime et à une date indécise. […] Alfred, auprès d’une si jolie cousine, ne demande pas mieux que de réparer ; une fois qu’il a le secret de ce dépit, il reprend aisément ses avantages. […] Anatole, le beau silencieux, est un sourd-muet de naissance, mais on ne le sait pas d’abord, et c’est là qu’est le secret. […] Quand elle le sait, il est trop tard, elle l’aime ; mais, comme bien peu de personnes ont le secret de cet amour, on la croit près d’épouser un chevalier d’Émerange, fat spirituel, qui jusqu’alors semblait enchaîné par Mme de Nangis, belle-sœur de Valentine, et qui lui est devenu infidèle.

160. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Il attribuait à la honte secrète qu’en ressentait Courier l’exagération avec laquelle il avait toujours nié, depuis, le génie des héros et des grands capitaines. Combien de théories ne viennent ainsi qu’en sous-œuvre et après coup, et comme en aide à nos actes passés, à nos faiblesses secrètes ! […] Carrel, comme le font volontiers les gens capables, fiers et un peu bilieux, dont on doute, se retirait d’autant plus et ne se proposait pas : il dut accumuler ainsi bien des mécontentements secrets, qui plus tard s’exhalèrent. […] Il fait plus, il remonte aux heures qui ont précédé ; il suit le malheureux dans ses derniers instants, dans ses lents préparatifs ; il nous fait assister à la lutte et à l’agonie qui a dû précéder l’acte désespéré ; il y a là une scène de réalité secrète, admirablement ressaisie : Quand on a bien connu ce faible et excellent jeune homme, on se le figure hésitant jusqu’à sa dernière minute, demandant grâce encore à sa destinée, même après avoir écrit quinze fois qu’il s’est condamné, et qu’il ne peut plus vivre.

161. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Entre tant de richesses étrangères et modernes dont on est tour à tour tenté et séduit, elle seule donne au critique la vraie loi du goût, à l’écrivain les vrais secrets du style, les procédés sûrs et sévères qui servent de garantie à l’innovation même et à l’audace. […] Ce scholiaste de Venise, en donnant beaucoup de détails sur les procédés, les libertés et les dissidences des grammairiens-éditeurs à l’égard d’Homère, introduisit, en quelque sorte, la critique moderne dans les secrets de ménage des Anciens : rien n’est plus périlleux que les secrets incomplétement saisis ; on les commente sans fin, on les pousse à perte de vue, on en abuse.

162. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

Nous avons vu que la littérature, chez Diderot, chez Rousseau, chez Bernardin de Saint-Pierre, devient décidément individualiste : faut-il rappeler que Voltaire même, dans sa forme classique, est constamment tyrannisé par son individualité, que ses théories religieuses et politiques tiennent aux plus secrètes inclinations de son moi, et qu’enfin il n’a pas craint d’appliquer la grave, l’impersonnelle tragédie à la représentation de sa personne, de son ménage et de ses goûts ? […] Et le type de la poésie voltairienne, avec les règles et la langue qu’elle impliquait, pesait sur la littérature, scrupuleusement maintenu par l’opinion du inonde, bien qu’en contradiction avec ses secrètes aspirations. […] Un amoureux qui a en effet des entretiens secrets avec Hédelmone donne de la jalousie à Othello : l’action est réduite à une rivalité d’amour, et l’intrigue est un long quiproquo, comme dans Zaïre.

163. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre IV. Le théâtre des Gelosi » pp. 59-79

Les acteurs peuvent donc jouer et circuler dans toutes les rues, se cacher, épier, écouter ou surprendre très naturellement des secrets et des mystères qui sont parfois impossibles à mettre en scène sur nos théâtres modernes. » Tel est en effet l’aspect général du théâtre figuré dans les comédies imprimées avec vignettes au seizième siècle, aspect non pas uniforme, cependant. […] Un faux marchand vient remercier tout haut le faux mendiant du service que celui-ci lui a rendu en lui donnant le secret d’avoir un héritier. […] Pedrolino ne peut leur révéler son secret, mais libre à eux d’éprouver l’excellence de ses connaissances occultes.

164. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’empire russe depuis le congrès de vienne »

L’empire russe depuis le congrès de vienne5 I Quoique l’influence des circonstances politiques meure au seuil des ouvrages de critique purement littéraire, il n’est pas moins vrai qu un livre sur la Russie publié à cette heure doit attirer vivement l’attention… En effet, solitairement et pour son propre compte, la Russie, ce colosse de neige, sort enfin de l’énigmatique immobilité qu’elle a gardée pendant quarante ans vis-à-vis de l’Europe, et qui était peut-être tout le secret de la fascination qu’elle exerçait sur les esprits. […] Les Mémoires secrets du sieur de Villebois sur la cour de Russie pendant les règnes de Pierre le Grandet de Catherine Ire 10, publiés par le comte Hallez, n’ont point satisfait une curiosité qu’on avait d’abord excitée. […] Mémoires secrets du sieur de Villebois sur la cour de Russie pendant les règnes de Pierre le Grand et de Catherine II (Pays, 25 février 1854 ; novembre 1852).

165. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « I » pp. 1-8

Ici pourtant Lamennais par l’injure a dépassé le but, et lui-même, ce me semble, à force de manier et de verser le poison, il a flétri son âme ; il en accuse les secrètes noirceurs. […] — Le combat contre le ministère se mitonne sourdement sur la question des fonds secrets.

166. (1874) Premiers lundis. Tome I « Hoffmann : Contes nocturnes »

C’est dans ce mélange habile, dans cette mesure discrète de merveilleux et de réel que consiste une grande partie du secret d’Hoffmann pour ébranler et émouvoir ; je l’aime bien mieux et le trouve bien plus original en ces sortes de compositions, dont la Cour d’Artus est le chef-d’œuvre, que dans les égarements capricieux d’un fantastique effréné, et les rêveries incohérentes d’une demi-ivresse. […] Il sait l’artiste à fond, sous toutes ses formes, dans toutes ses applications, dans ses pensées les plus secrètes, dans ses procédés les plus spéciaux, et dans ce qu’il fait et dans ce qu’il ne fera jamais, et dans ses rêves et dans son impuissance, et dans la dépravation de ses facultés aigries, et dans le triomphe de son génie harmonieux, et dans le néant de son œuvre, et dans le sublime de ses misères.

167. (1874) Premiers lundis. Tome II « H. de Balzac. Études de mœurs au xixe  siècle. — La Femme supérieure, La Maison Nucingen, La Torpille. »

Le portrait, la description de la personne et de la vie de la Torpille (c’est l’odieux nom de la pauvre fille perdue) accusent ces observations profondes et fines particulières à l’auteur, et respirent une complaisance amollie qui s’insinue bientôt au lecteur, si elle ne le rebute tout d’abord : c’est là un secret et comme un maléfice de ce talent, quelque peu suborneur, qui pénètre furtivement, même au cœur des femmes honnêtes, comme un docteur à privautés par l’alcôve. […] Quand le jésuite, qui la veut rendre digne de son jeune parent et protégé, l’a mise au couvent, le voile d’innocence ignorante et les restes secrets d’impudeur dans cette jeune fille sont poursuivis et démêlés comme les moindres veines sous-cutanées, comme les profonds vaisseaux lymphatiques par le préparateur anatomique habile et amoureux du cadavre.

168. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dierx, Léon (1838-1912) »

C’est qu’en cette poésie vibrent des accents d’un charme triste, auquel il faut être initié de naissance pour les comprendre et pour les aimer ; c’est que, sous ses rythmes en cristal de roche, ce rare poète, si peu soucieux de réclame et de « succès », connaît l’art de serrer le cœur ; c’est qu’il y a, chez lui, quelque chose d’attardé, de mélancolique et de vague, dont le secret n’importe pas aux passants. […] Sa destinée est secrète.

169. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXX » pp. 330-337

Madame de Sévigné, fort aimée de madame Scarron, était instruite, comme madame de Coulanges, de beaucoup de particularités secrètes des relations de la gouvernante avec madame de Montespan et le roi. […] I, p. 14) : « La marquise d’Heudicourt était la complaisante de madame de Montespan, et lorsqu’on faisait encore un mystère de l’existence du duc du Maine et de son frère, cette marquise avait à la cour un petit appartement où la maîtresse et la gouvernante se rendaient en secret.

170. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

Lui reprocher de se détromper elle-même par ses expériences, c’est l’accuser de sa bonne foi, et de n’être pas dans le secret de l’essence des choses. Et qui donc est dans ce secret, sinon cette intelligence première qui existe de toute éternité ?

171. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

» Enfin, quoi de plus frappant que le vers immortel dans lequel il a décrit la secrète angoisse qui empoisonne toutes nos joies ? […] En même temps, un mal secret, pressant, l’ennui, empoisonnait pour lui toutes les jouissances. […] Il nous révèle lui-même ce secret, dans une lettre que, bien des années après, il écrivait à Mme Récamier. […] Il faut donc penser qu’il subissait une influence secrète qui dominait les conditions même de son existence. […] Une tristesse secrète s’étendait comme un voile funèbre sur toute leur existence.

172. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Ce besoin de régler n’est que le désir secret de se débarrasser de toute contradiction et de jouir tranquillement de l’empire. […] Sans doute Louis XIV était cause d’une partie des maux qui accablaient la France ; mais lui seul avait le secret de les guérir, et ce secret c’était la victoire. […] » Mais il est tels secrets qu’il importe de savoir. […] Fénelon, qui, toute sa vie, désira d’entrer dans le gouvernement, avait-il, à l’insu de sa vertu, formé son élève pour ses secrètes espérances ? […] » Quel vif aveu du secret désir de gouverner, dans ces trois mots : ni par moi !

173. (1864) Cours familier de littérature. XVII « Ce entretien. Benvenuto Cellini (2e partie) » pp. 233-311

Le cardinal Cornaro le recueillit, le fit guérir et le garda dans une chambre secrète du palais. […] Indigné de cette modicité, Benvenuto fit ses préparatifs secrets de départ. […] « Ce M. de Villeroy était un homme de beaucoup d’esprit, fort riche, admirable en toutes choses, mais mon secret ennemi. […] Il me conduisit dans un cabinet secret, et alors je lui montrai le plan du vieillard. Il l’approuva beaucoup, et me dit qu’il s’en occuperait ; et, après un peu de réflexion : Au reste, ajouta-t-il, nous nous sommes accordés, le duc d’Urbin et moi, et c’est à lui à s’en charger ; mais gardez-en le secret ; je vous remercie de votre zèle.

174. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVe entretien. Ossian fils de Fingal »

Elle chantait les actions de Grudar, jeune objet des sentiments secrets de son cœur. […] Il est mon ami, le confident de mes plus secrètes pensées, et je lèverais mon épée contre lui !  […] La belle Agandecca entendit ses accents ; elle quitta la retraite où elle soupirait en secret et parut dans toute sa beauté comme la lune au bord d’un nuage de l’orient. […] Il fut l’objet des soupirs secrets de son cœur. […] Mon âme éprouvait une secrète joie, lorsque je voyais son épée étinceler sur les ennemis terrassés.

175. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Il est curieux de suivre dans l’ondoyante histoire des poètes leurs luttes contre le divin sphinx qui garde encore le dernier mot du secret. […]  » L’avenir de la poésie, je le répète, me semble donc être aux poètes de pensée qui seront doués aussi d’une sensibilité extrême et qui tâcheront de n’ignorer rien des secrets de leur art. […] Nous nous hâtons de recueillir, comme le plus précieux des héritages, la somme des certitudes acquises par ceux qui vinrent avant nous, dans le secret espoir d’ajouter au trésor ce qui lui manque… qu’est-ce à dire ? […] Mais sans cette « armature intellectuelle » qui se dissimule dans le poème et en fait la secrète et profonde vertu, il ne serait qu’agréable et vain jeu d’imagination : la beauté est le visage de la vérité, la vérité est l’âme de la beauté. […] L’art s’efforce de recréer un mysticisme sauveur en scrutant les secrets de la nature : d’instinct il appelle au secours vers ceux qui, de leur côté, cherchent le vrai, vers les philosophes et les savants.

176. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Parmi les remarques un peu longuement déduites, mais justes, au nombre de treize, qui précèdent les Mémoires de Sully, et dans lesquelles il est donné quelques conseils aux historiens futurs, il est une prescription qui est particulièrement vraie, et qu’il convient de nous appliquer à nous tous en l’étudiant, à savoir : Que les historiens ne témoignent point de vouloir faire des recherches trop exactes des défauts et des erreurs d’autrui, tellement secrets et cachés qu’ils ne sont connus d’aucune personne qui en ait reçu dommage ou offense, et desquels nulles voix publiques ne se sont jamais plaintes, ni que l’on ait su que les peuples en général ni en particulier en aient non plus reçu dommage visible et notoire. […] Encore une fois, Sully, comme s’il avait prévu à l’avance ces dénigrements de détail et ces dégradations de l’histoire, a dit ou fait dire par la plume de ses secrétaires : « Que si quelques grands rois, capitaines, magistrats ou chefs d’armées, de républiques et de peuples, qui ont acquis une générale réputation d’avoir été excellents ès faits d’armes, de justice et de police, ont eu quelques vices et passions particulières secrètes et cachées, qui n’aient point porté de préjudice au public, et dont la publication ne peut apporter aucun avantage », il est bienséant à un historien de les taire et de ne point passer sous silence « les vertus, belles œuvres et actions manifestes » pour s’en aller scruter et découvrir « les défauts et manquements secrets ». […] Et les fidèles secrétaires entrent dans quelques détails du commerce et de l’industrie auxquels se livrait leur maître, et ils ne nous laissent pas ignorer le secret de son aisance à cette date : il faisait chercher des chevaux, de beaux courtauds en quantité aux pays environnants et dans le Nord, jusqu’en Allemagne, et, les achetant à bon marché, il les revendait bien cher en Gascogne.

177. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

J’insiste sur ces jours intérieurs qu’il nous ouvre, parce que l’histoire secrète de Roederer fut celle alors de beaucoup d’autres, parce qu’il ne fut pas le seul à avoir ce qu’on peut appeler sa période de Rousseau, et pour qu’on voie aussi à quel degré primitif de chaleur mûrirent tant de qualités solides et fortes que plus tard on apprécia en lui. […] L’on vient de m’apprendre, écrivait Roederer à Mirabeau, que M. de Mirabeau axait dit ce matin à l’Assemblée au sujet des folies de M. d’Éprémesnil, qu’elles avaient découvert le secret de ceux qui ne veulent point d’assignats. Je ne veux pas d’assignats pour plus de 200 millions ; et M. de Mirabeau sait très bien, du moins je m’en flatte, que le secret de mon opinion n’est pas dans des vues malhonnêtes ou contraires à la Révolution. […] Ma liaison avec M. de Mirabeau ne peut qu’accréditer l’idée qu’il a surpris mon secret ; je tiens cette liaison pour rompue, afin qu’elle ne m’expose pas au même danger pour la suite.

178. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

On s’en moquera tant que l’on voudra ; le reste de la vie n’est que de la galanterie, de la convenance, des traités, dont la condition secrète est de songer à se quitter au moment que l’on se choisit, comme l’on dit que l’on parle de mort dans les contrats de mariage. […] Hénault raconte tous ces dessous de cartes en se jouant, et comme un homme qui tient plus à être dans le secret de la coulisse et à manier les ficelles qu’à obtenir le renom public et la gloire. […] , a dit Voltaire par un mot qui résume tout, et qui insinue le correctif dans la louange ; il a dit autre part du président en des termes tout flatteurs : « Il a été dans l’histoire ce que Fontenelle a été dans la philosophie ; il l’a rendue familière. » Il faut bien, au reste, se garder de prendre à la lettre tous les éloges que Voltaire donne au président en ces années où il croyait avoir besoin de lui en Cour, le président étant devenu surintendant de la maison de la reine ; il ne l’appelle pas seulement un homme charmant, à qui il dit : « Vous êtes aimé comme Louis XV » ; il le déclare son maître, « le seul homme qui ait appris aux Français leur histoire », et qui y a trouvé encore le secret de plaire. […] Dans ce dernier mot est tout le secret de cette colère et de cette grande vengeance.

179. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Ils s’asseyent, ils s’affermissent, ils se tassent en quelque sorte ; leur vie se réfugie au centre ; ils donnent moins parce qu’ils n’y sont pas excités, mais ils ne donnent rien contre leur désir, ni contre leur secrète loi. […] Il eut pourtant, du milieu de l’oubli qu’il cultive, le pouvoir d’exciter çà et là quelques admirations vives, secrètes, isolées, dont plusieurs sont venues vibrer jusqu’à lui, mais dont le plus grand nombre, sans doute, ne se sont jamais révélées à leur auteur. […] entre vous quelle conformité secrète à l’origine, quelle distance inouïe au terme ! […] Chaque écrivain a son mot de prédilection, qui revient fréquemment dans le discours et qui trahit par mégarde, chez celui qui l’emploie, un vœu secret ou un faible.

180. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Vivre, puisqu’il le faut, de la vie de tous, subir les hasards, les nécessités du grand chemin, y recueillir les enseignements qui s’offrent, y fournir au besoin sa tâche de pionnier ; puis se dédoubler soi-même, et dans une part plus secrète réserver ce qui ne doit pas tarir ; l’employer, l’entretenir, s’il se peut, à l’amour, à la religion, à la poésie ; cultiver surtout sa faculté de concevoir, de sentir et d’admirer : n’est-ce pas là une manière d’aller décemment ici-bas, après même que le but grandiose a disparu, et de supporter la défaite de sa première espérance ? […] C’est dans la vie réelle, à travers les passions et les épreuves, que ce cœur de femme, sans autre maître que la voix secrète et la douleur, a dès l’abord modulé ses sanglots. […] Hugo, a dit avec bonheur : Il est aussi, Victor, une race bénie Qui cherche dans le monde un mot mystérieux, Un secret que du ciel arrache le génie, Mais qu’aux yeux d’une amante ont demandé mes yeux. […] Ainsi, dans l’Indiscret, lorsqu’un de ces colporteurs désœuvrés et gauches, qui remuent sans s’en douter les secrets les plus chers, jase devant elle au hasard des infidélités de son amant, elle écoute d’abord avec patience, elle se contient et se dévore ; puis tout d’un coup : Ah !

181. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Le secret de la plaisanterie est, en général, de rabattre tous les genres d’essor, de porter des coups de bas en haut, et de déjouer la passion par le sang-froid. Ce secret sert puissamment contre l’orgueil et les préjugés ; mais il faut que la liberté, il faut que la vertu patriotique se soutiennent par un intérêt très actif pour le bonheur et la gloire de la nation, et vous flétrissez la vivacité de ce sentiment ; si vous inspirez aux hommes distingués cette sorte d’appréciation dédaigneuse de toutes les choses humaines, qui porte à l’indifférence pour le bien comme pour le mal. […] Souvent il fallait, sous la monarchie, savoir concilier sa dignité et son intérêt, l’extérieur du courage et le calcul secret de la flatterie, l’air de l’insouciance et la persistance de l’intérêt personnel, la réalité de la servitude et l’affectation de l’indépendance. […] Un auteur moderne, développant ces deux caractères dans la suite de leur vie, nous a fait voir Alceste généreux et dévoué dans l’amitié, et Philinte avide en secret et tyranniquement égoïste.

182. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

En dehors d’eux, trois systèmes dès lors étaient en présence : le premier visait à régénérer le pouvoir monarchique en changeant la personne du monarque : c’était la secrète pensée du parti d’Orléans. […] Dans les ouvrages de Barnave que nous avons sous les yeux, et qui ont été écrits durant sa captivité, on ne saurait s’étonner de ne voir aucune mention ni trace de ces relations secrètes, desquelles le simple soupçon allait suffire pour causer sa perte. […] Barnave n’était pas et ne se donna jamais pour républicain : c’était un royaliste constitutionnel qui, même en secret, ne dut jamais suggérer de conseils que dans ce sens. […] Tout ce qu’on peut en attendre, en général, ce sont des vœux secrets et quelques applaudissements lorsqu’on a vaincu pour lui.

183. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mlle de Lespinasse. » pp. 121-142

On déplora fort cette publication indiscrète ; on réprouva la conduite des éditeurs qui déshonoraient ainsi, disait-on, la mémoire d’une personne jusque-là considérée, et qui livraient son secret à tous sans en avoir le droit. […] Son grand art en société, un des secrets de son succès, c’était de sentir l’esprit des autres, de le faire valoir, et de sembler oublier le sien. […] Ce qui la prenait par une fibre secrète l’exaltait, l’enlevait aisément ; il n’est pas jusqu’au Paysan perverti auquel elle ne fît grâce, pour une ou deux situations qui lui étaient allées à l’âme. […] Ne cherchons donc la vérité sur les sentiments secrets de Mlle de Lespinasse que dans ses propres aveux et chez elle seule.

184. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

Leclercq leur a dérobé leur secret. […] C’était une scène ou plusieurs scènes qu’on écrivait ou que souvent on improvisait entre soi sur un simple canevas, et qui renfermaient un petit secret. Ce secret était le mot même du proverbe (par exemple, Selon les gens l’encens, ou bien Il ne faut pas jeter le manche après la cognée, ou bien Les battus paient l’amende, etc.), mot qui était enveloppé dans l’action, et qu’il s’agissait de deviner : « de manière, dit Carmontelle (le grand créateur du genre), que si les spectateurs ne le devinent pas, il faut, lorsqu’on le leur dit, qu’ils s’écrient : Ah ! […] Mitis est un laïque, un écrivain qui a de certains emplois secrets peu honorables, et qui finissent par tourner contre lui-même : « Il y a dans ce moment-ci, dit-il à un ancien ami qu’il veut séduire, deux partis très distincts dans le gouvernement, le parti religieux qui mène, et le parti politique qui se lasse d’être mené.

185. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Un des plus sévères contemporains de Louis XIV, Saint-Simon, qui ne le vit et ne le connut que dans les vingt-deux dernières années de sa vie, au milieu des analyses pénétrantes qu’il a données sur lui dans tous les sens, a dit : Il était né sage, modéré, secret, maître de ses mouvements et de sa langue. […] Louis XIV a lui-même exposé la première idée qu’il se fit des choses, et cette première éducation intérieure qui s’opéra graduellement dans son esprit, ses premiers doutes en vue des difficultés, ses raisons d’attendre et de différer ; car « préférant, comme il faisait, à toutes choses et à la vie même une haute réputation, s’il pouvait l’acquérir », il comprenait en même temps « que ses premières démarches ou en jetteraient les fondements, ou lui en feraient perdre pour jamais jusqu’à l’espérance » ; de sorte que le seul et même désir de la gloire, qui le poussait, le retenait presque également : Je ne laissais pas cependant de m’exercer et de m’éprouver en secret et sans confident, dit-il, raisonnant seul et en moi-même sur tous les événements qui se présentaient ; plein d’espérance et de joie quand je découvrais quelquefois que mes premières pensées étaient les mêmes où s’arrêtaient à la fin les gens habiles et consommés, persuadé au fond que je n’avais point été mis et conservé sur le trône avec une aussi grande passion de bien faire sans en devoir trouver les moyensm. […] Comme il possède le secret, cette qualité royale nécessaire au succès autant qu’à la considération, et dont la seule absence rejette si loin tant d’hommes politiques : « car les grands parleurs, remarque-t-il, disent souvent de grandes badineries !  […] Mais il est plus utile d’insister sur les ressorts élevés qu’il trouvait dans cette foi et dans cette conscience royale, ce qui lui faisait dire au milieu des hasards de la politique : « Mais au moins, quel qu’en soit l’événement, j’aurai toujours en moi toute la satisfaction que doit avoir une âme généreuse quand elle a contenté sa propre vertu. » Parlant de ces six volumes de Mémoires au moment où ils parurent, M. de Chateaubriand les a très bien jugés en disant : Les Mémoires de Louis XIV augmenteront sa renommée : ils ne dévoilent aucune bassesse, ils ne révèlent aucun de ces honteux secrets que le cœur humain cache trop souvent dans ses abîmes.

186. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Il nous dit son secret ; l’artifice est simple et innocent, il vient primitivement de Socrate ; gardons-nous de le confondre, dans aucun cas, avec le mensonge d’Ulysse. […] Les articles réussirent ; il en jouit intérieurement, et retint assez longtemps son secret jusqu’à ce qu’il eût épuisé ce qu’il avait à dire. […] Il éluda cette défense en passant le journal sous le nom de son frère, le jeune Benjamin, auquel il remit à cet effet, et pour la forme, son brevet d’apprentissage avec libération ; il fut convenu toutefois, par un nouvel engagement destiné à rester secret, que Benjamin continuerait de le servir comme apprenti jusqu’au terme primitivement convenu. […] Maltraité par son frère, qui était violent et qui en venait quelquefois aux coups, en l’un de ces jours de querelle il résolut de le quitter, et il s’autorisa pour cela du certificat d’acquittement, sachant bien qu’on n’oserait produire contre lui le second engagement secret.

187. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Grimm, vivant dans le monde, échappa à cette difficulté moyennant le secret de sa Correspondance ; mais, si la publicité est un écueil presque insurmontable pour la critique franche des contemporains, le secret est un piège qui tente à bien des témérités et à bien des médisances. […] Sa Correspondance, en un mot, fut secrète, jamais clandestine. […] retournez toutes ces propositions si vous voulez lui plaire : ne vous occupez guère de lui, mais ayez l’air de vous en occuper beaucoup ; parlez de lui sans cesse aux autres, même en sa présence, et ne soyez point la dupe de l’humeur qu’il vous en marquera. » Il ajoutait avec raison et ne cessait de redire que, déjà atteint de manie secrète, cette solitude absolue de l’Ermitage achèverait d’échauffer son cerveau et d’égarer son idée : et vers la fin de ce séjour, au moment où les soupçons et les extravagances de Rousseau commençaient à éclater : « Je ne saurais trop le dire, ma tendre amie, écrivait Grimm, le moindre de tous les maux eût été de le laisser partir pour sa patrie il y a deux ans, au lieu de le séquestrer à l’Ermitage.

188. (1874) Premiers lundis. Tome I « Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Deuxième édition. »

Il se plongea dans la solitude du cœur, et, persuadé qu’il n’y avait rien à faire au dehors, il s’abîma en lui-même ; de là une maladie incurable et singulière qu’il a pris soin d’observer avec une attention presque cruelle, et qu’avant de mourir il nous a racontée en vers et en prose, jusque dans ses détails les plus secrets. […] Même aujourd’hui, qu’après les tempêtes civiles, La Concorde au front d’or rit d’en haut sur nos villes, Et qu’il n’est ni couteau, ni balle à recevoir Pour le roi, pour le peuple, enfin pour un devoir ; Si du moins, en secret, des dévoûments intimes Pouvaient aux mains du sort échanger les victimes, Et si, comme autrefois, l’homme obtenait des cieux De racheter les jours des êtres précieux !

189. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

Dans les états monarchiques, où l’on dépend du caractère et de la volonté d’un seul homme ou d’un petit nombre de ses délégués, chacun s’étudie à connaître les plus secrètes pensées des autres, les plus légères gradations des sentiments et des faiblesses individuelles50. […] Mais comme les antithèses ne composent pas seules l’éloquence, les contrastes ne sont pas les seuls secrets de la gaieté ; et il y a, dans la gaieté de quelques auteurs français, quelque chose de plus naturel et de plus inexplicable : la pensée peut l’analyser, mais la pensée seule ne la produit pas ; c’est une sorte d’électricité communiquée par l’esprit général de la nation.

190. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Prosper Mérimée. »

On dirait que sa sécheresse la conserve. « La mort n’y mord. » Et, quand nous relisons ces ouvrages d’une aussi harmonieuse pureté, nous sommes étonnés de tout ce qu’ils contiennent sans en avoir l’air ; nous sommes ravis de cette exacte et précise traduction des choses, où rien d’essentiel n’a été omis, où n’a été admis rien de superflu ; nous en développons la richesse secrète ; nous nous apercevons que dans ces nouvelles, dont quelques-unes ont été composées voilà cinquante ou soixante ans, se trouvent déjà tous les sentiments, toutes les façons de voir et de concevoir le monde qui ont paru depuis et qui paraissent encore le plus originales. […] Dans le monde, il obtint la triste réputation d’insensible et d’insouciant ; et dans la solitude, son imagination inquiète lui créait des tourments d’autant plus affreux qu’il n’aurait voulu en confier le secret à personne. » Le croirons-nous ?

191. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Pronostics pour l’année 1887. »

À ce moment, l’élite des êtres intelligents, maîtresse des plus importants secrets de la réalité commencera de gouverner le monde par les puissants moyens d’action dont elle disposera, et d’y faire régner, par la terreur, le plus de raison et de bonheur possible. […] Le désir de la femme les mordra au cœur ; et la femme, introduite dans la place, les trahira, livrera au peuple les secrets des savants et les machines par lesquelles ils terrorisaient la multitude.

192. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Il n’en laissa rien savoir à ses parents, pour éviter leurs observations et leurs reproches, et ne se confia qu’au père Mersenne, auquel il avait fait promettre de lui garder le secret. […] Quant au secret de leur union, l’ignorance où nous sommes et serons toujours à cet égard détruit-elle la connaissance que nous avons de leur existence distincte ? […] Au lieu des personnes capricieuses, variables, ondoyantes du seizième siècle, je vois de belles et pures intelligences, auxquelles Descartes a transmis le secret de cette domination de l’âme sur le corps, de la raison sur la passion. […] L’exemple d’un tel écrivain est salutaire, parce qu’il nous met en défiance de tout ce qui ne vient pas en nous par la raison ; il est fécond parce qu’en nous défendant contre toutes les servitudes extérieures, et en nous ramenant sans cesse comme au centre de nous-mêmes, il nous apprend le secret de valoir et de produire. […] Ceux qui purent pratiquer sa méthode y trouvèrent le secret d’être à leur tour inimitables.

193. (1890) Dramaturges et romanciers

C’est cette révolte secrète, très légitime et très fondée, que M.  […] L’orateur qui prend le premier la parole s’attache à rechercher le secret de la beauté de ce cheval. […] Le secret de la résistance que rencontrent toujours plus ou moins les tentatives de M.  […] Émile Augier a-t-il appris le secret de ce demi-lyrisme qui distingue son dialogue ? […] Ce viol intime de la candeur juvénile accompli dans le secret de la famille par une prudence coupable, M. 

194. (1900) La culture des idées

Si le secret d’ennuyer est le secret de tout dire, le secret de plaire est le secret de dire tout juste ce qu’il faut pour être, non pas même compris, mais deviné. […] Cependant il n’y a pas de secrets. […] Le but secret du lieu commun, en se formant, est en effet d’exprimer une vérité. […] À chaque décès on consulte le sorcier afin d’apprendre de lui quel est l’auteur de ce crime secret et magique. […] Réduite à soi, c’est le prisonnier au secret.

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