/ 1941
34. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

Mais, comme on le verra plus tard, c’est là une opération ultérieure engendrée par l’expérience ; un groupe d’images s’est associé la sensation pour lui attribuer cette position ; ce groupe lui donne une situation qu’elle n’a pas, et d’ordinaire la place à l’extrémité du nerf dont l’action la provoque. […] La rigueur de la méthode exige donc qu’en ce moment nous le laissions à part pour étudier d’abord la sensation à part. — Ainsi circonscrite, elle est ce premier événement intérieur, connu sans intermédiaire, accompagné d’images associées qui le situent, excité par un certain état des nerfs et des centres nerveux, état inconnu et qui d’ordinaire est provoqué en nous par le choc des objets extérieurs. […] Chacun sait que dans un accord il y a deux sons, que dans une couleur ordinaire il y a plusieurs couleurs ; il faut avancer d’un pas et voir si les sensations de son, de couleur et les autres qui nous paraissent simples ne sont pas, elles aussi, composées : de sensations plus ; simples. — La psychologie est aujourd’hui en face des sensations prétendues simples, comme la chimie à son début était devant les corps prétendus simples. […] Or il est un groupe de sensations dans lequel la réduction peut être complète ; ce sont celles de l’ouïe, et de celles-ci on peut à bon droit conclure aux autres : la solution partielle atteinte indique la solution générale qu’on atteindra. — En apparence, les espèces de sons sont fort nombreuses, et l’observation, ordinaire y démêle beaucoup de qualités qui semblent simples. […] Les sensations élémentaires qui composent directement nos sensations ordinaires sont elles-mêmes des composés de sensations moindres en intensité et en durée, et ainsi de suite.

35. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXIII » pp. 133-140

Les hautes dignités elles-mêmes du clergé ne paraîtraient plus aujourd’hui aux enfants de ces familles nobles, d’ordinaire encore très-religieuses, une considération sociale suffisante et une compensation pour ce qu’ils perdraient. […] Mais ces enfants, même en étudiant avec soin ce qu’on leur apprend, ignorent une quantité de choses de la société et de la vie, et du monde moderne, qu’on apprend d’ordinaire par l’air, dans l’atmosphère générale et par les relations de tous les jours : ils arrivent au sacerdoce, bons prêtres peut-être quant à la piété et à la connaissance théologique et liturgique spéciale, mais ignorants d’ailleurs, grossiers de manières et incapables d’agir dans une sphère un peu élevée. […] Saint-Marc Girardin ne semble pas avoir eu beaucoup de jeunesse, ni avoir ressenti bien vivement aucune des passions qui agitent d’ordinaire cet âge et qui ont particulièrement secoué le nôtre.

36. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 42, de notre maniere de réciter la tragédie et la comedie » pp. 417-428

Nous voulons encore que ces acteurs parlent d’un ton de voix plus élevé, plus grave et plus soutenu que celui sur lequel on parle dans les conversations ordinaires. […] Cette maniere de réciter est plus pénible à la verité que ne le seroit une prononciation approchante de celles des conversations ordinaires ; mais outre qu’elle a plus de dignité, elle est encore plus avantageuse pour les spectateurs, qui par son moïen entendent mieux les vers. […] Les françois ne varient pas leur prononciation par de certains accens qui sont ordinaires en Italie, même dans les conversations familieres.

37. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 18, qu’il faut attribuer la difference qui est entre l’air de differens païs, à la nature des émanations de la terre qui sont differentes en diverses regions » pp. 295-304

Le même été plus chaud à Paris qu’à l’ordinaire, supposeroit un été plus chaud à Madrid que les étez ordinaires. Un hyver très doux à Paris supposeroit qu’il seroit encore plus doux à Madrid que les hyvers ordinaires.

38. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Dans cette recherche, la conscience, qui est notre principal instrument, ne suffit pas à l’état ordinaire ; elle ne suffit pas plus dans les recherches de psychologie que l’œil nu dans les recherches d’optique. […] En cela consiste la principale difficulté de l’analyse. — Pour ce qui est des pures idées et de leur rapport avec les noms, le principal secours a été fourni par les noms de nombre et, en général, par les notations de l’arithmétique et de l’algèbre ; on a pu ainsi retrouver grande vérité devinée par Condillac et qui depuis cent ans demeurait abattue, ensevelie et comme morte, faute de preuves suffisantes. — Pour ce qui est des images, de leur effacement, de leur renaissance, de leurs réducteurs antagonistes, le grossissement requis s’est rencontré dans les cas singuliers et extrêmes observés par les physiologistes et par les médecins, dans les rêves, dans le somnambulisme et l’hypnotisme, dans les illusions et les hallucinations maladives. — Pour ce qui est des sensations, les spécimens significatifs ont été donnés par les, sensations de la vue et surtout par celles de l’ouïe ; grâce à ces documents et grâce aux récentes découvertes des physiciens et des physiologistes, on a pu construire ou esquisser toute la théorie des sensations élémentaires, avancer au-delà des bornes ordinaires jusqu’aux limites du monde moral, indiquer les fonctions des principales parties de l’encéphale, concevoir la liaison des changements moléculaires nerveux et de la pensée. — D’autres cas anormaux, empruntés également aux aliénistes et aux physiologistes, ont permis d’expliquer le procédé général d’illusion, et de rectification dont les stades successifs constituent nos diverses sortes de connaissances. — Cela fait, pour comprendre la connaissance que nous avons des corps et de nous-mêmes, on a trouvé des indications précieuses dans les analyses profondes et serrées de Bain, Herbert Spencer et Stuart Mill, dans les illusions des amputés, dans toutes les illusions des sens, dans l’éducation de l’œil chez les aveugles-nés auxquels une opération rend la vue, dans les altérations singulières auxquelles, pendant le sommeil, l’hypnotisme et la folie, est sujette l’idée du moi. — On a pu alors entrer dans l’examen des idées et des propositions générales qui composent les sciences proprement dites, profiter des fines et exactes recherches de Stuart Mill sur l’induction, établir contre Kant et Stuart Mill une théorie nouvelle des propositions nécessaires, étudier sur une série d’exemples ce qu’on nomme la raison explicative d’une loi, et aboutir à des vues d’ensemble sur la science et la nature, en s’arrêtant devant le problème métaphysique qui est le premier et le dernier de tous. […] La psychologie aussi a le sien, d’autant plus élevé qu’elle remonte à l’origine de nos connaissances et dépasse tout de suite le point de vue ordinaire, qui est bon seulement pour l’usage et la pratique. — Au sortir de ce point de vue, on s’aperçoit qu’il n’y a rien de réel dans le moi, sauf la file de ses événements ; que ces événements, divers d’aspect, sont les mêmes en nature et se ramènent tous à la sensation ; que la sensation elle-même, considérée du dehors et par ce moyen indirect qu’on appelle la perception extérieure, se réduit à un groupe de mouvements moléculaires. […]   Si maintenant, après l’esprit, nous considérons la nature, nous dépassons aussi, dès le premier pas, le point de vue de l’observation ordinaire. […] L’écriture est autre que son écriture ordinaire.

39. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Son père, Pierre Bertaut, était gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi. […] Elle se tient d’ordinaire dans le cabinet, c’est-à-dire dans la chambre royale ; elle en fait son centre et s’étend le plus volontiers sur les scènes qui s’y sont présentées à son observation. […] Dans quelques endroits même on trouverait quelque luxe d’images, de fleurs de roses et d’épines, quelque trace du mauvais goût de Louis XIII ; mais ce ne sont que des instants, et le bon sens chez elle règle d’ordinaire le langage comme le jugement et la pensée. […] On a trouvé ces réflexions trop multipliées et trop longues, ce qui peut être vrai pour la dernière partie des Mémoires ; mais elle sait d’ordinaire les entremêler aux circonstances mêmes qui les lui inspirent. […] Mme de Sénecé, que le cardinal avait jusque-là maltraitée et qui faisait la haute, est choisie par lui pour garder ses nièces lorsqu’elles arrivent d’Italie, et la voilà tournée en un jour : Tel paraît vaillant contre le favori qui, au moindre adoucissement de sa part, devient poltron ; et d’ordinaire cette hauteur se termine à une véritable bassesse que la rage d’en avoir été méprisé lui a fait colorer de générosité, de vertu et d’amour du bien public.

40. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Cette vapeur idéale des contours, qui d’ordinaire, pour naître et pour s’étendre, a besoin de la distance et de l’horizon, il la portait et la voyait autour de lui jusque dans les habitudes les plus prochaines. […] Il est assez ordinaire, on le sait, d’être bon dans la première partie de la vie ; cette première bonté tient à la nature, à la jeunesse, à ce superflu de toutes choses qu’on sent au-dedans de soi ; on a de quoi prêter et rendre aux autres. […] De même, pour le talent de l’artiste et du poëte, je dirai qu’il y a une certaine générosité inhérente qui lui est assez ordinaire dans la jeunesse ; mais le développement ultérieur qu’il prendra dépend étroitement de l’usage du premier fonds. […] Prenez épigrammes, non dans le sens particulier de Martial, mais dans le sens plus général de petites pièces, y compris les idylles, comme les anciens l’entendaient d’ordinaire.

41. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Barbusse, Henri (1873-1935) »

Henri Barbusse semble tout à fait étranger au mode de concevoir qui fut habituel à la plupart des poètes de l’âge précédent… Par la volonté des dieux propices, il échappa à la contagion d’idées très précieuses par elles-mêmes, mais que l’indécente familiarité des sots avait avilies, comme toujours… De là ce livre où l’on ne retrouve pas l’air de famille ordinaire aux livres de début qui s’impriment en France et en Belgique. […] Un volume a été immédiatement reconnu comme sortant de l’ordinaire, et son auteur, encore très jeune, peut être tout de suite placé à côté des poètes dont nous avons le droit d’être fiers.

42. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre II. Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments » pp. 189-236

Par un heureux coup de chimie psychologique, nous la retirons du composé ternaire où l’enfermait le cours ordinaire des choses et où la théorie seule la démêlait. […] Leur assemblage fait une couleur spectrale. — Plusieurs couleurs spectrales réunies forment le blanc, le pourpre, et une infinité de composés d’après une loi fixe ; et l’addition du noir, c’est-à-dire l’affaiblissement de la sensation totale, introduit encore une infinité de nuances dans tous ces produits. — Ces produits eux-mêmes, en se combinant, forment les couleurs ordinaires que nous observons dans le monde environnant. […] Le sulfate de soude est franchement salé en avant, et franchement amer en arrière. » L’acétate de plomb, frais, piquant, styptique en avant, devient sucré en arrière. — Il suit de là qu’une sensation ordinaire de saveur, outre les quatre éléments qui peuvent lui être fournis par les sensations adjointes, peut posséder par elle-même plusieurs éléments distincts. […] Dans l’un et dans l’autre, il s’agit de mouvements dont la petitesse, la vitesse et le nombre sont tout à fait disproportionnés aux grandeurs ordinaires que nous pouvons apprécier dans le temps et dans l’espace. […] « Chaque filet nerveux du toucher ne peut, dit Fick, transmettre qu’une seule et même sensation, laquelle n’est capable que de degrés… Mais les excitants extérieurs ordinaires n’atteignent point des filets élémentaires isolés ; ils atteignent un groupe de filets pris ensemble.

43. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine. (suite et fin.) »

Renaudot y a bien mis au vrai le caractère de son ami : il s’est mépris seulement à la qualité de gentilhomme ordinaire, car le défunt ne l’était pas de la maison, charge d’environ quinze mille livres, mais de la Chambre, ce qui vaut cinquante mille livres. […] Vuillart donne à sa manière le récit de faits assez connus d’ailleurs, mais il y met une précision qui ne laisse rien à désirer : « Et disons, pour finir cet ordinaire (car j’ai affaire à sortir demain dès le matin), que M.  […] L’aîné avait la survivance de gentilhomme ordinaire ; il est dans sa vingt-unième année. […] Leur tous-les-jours était assez ordinaire. — Non, il ne l’était pas autant qu’on le croirait, et cette simplicité, cette vertu, cette prud’homie touchante de Racine, couronnée d’une belle et douce mort, est-ce donc chose si ordinaire ?

44. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

L’homme le plus ordinaire ayant ce sentiment à exprimer, l’aurait-il énoncé en d’autres termes que Corneille ? La seule différence entre l’homme ordinaire et le grand homme, c’est que le dernier a trouvé ce sentiment dans son âme, et que l’autre aurait eu besoin qu’on le lui suggérât. […] On peut juger sur ces principes, combien il y a loin de la véritable éloquence à cette loquacité si ordinaire au barreau, qui consiste à dire si peu avec tant de paroles. […] La plupart des poètes, accoutumés au langage ordinaire de la versification, le transportent comme malgré eux dans leur prose : ou s’ils font des efforts pour la rendre simple, elle devient contrainte et sèche ; et s’ils s’abandonnent à la négligence de leur plume, leur style est traînant et sans âme. Aussi nos poètes ont-ils pour l’ordinaire assez mal réussi dans la prose.

45. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 21, du choix des sujets des comedies, où il en faut mettre la scene, des comedies romaines » pp. 157-170

Des raisons opposées me font croire qu’il faut mettre la scene des comedies dans les lieux et dans les tems où elle est répresentée : que son sujet doit être pris entre les évenemens ordinaires, et que ses personnages doivent ressembler par toutes sortes d’endroits au peuple pour qui l’on la compose. […] Or les hommes de tous les païs et de tous les siecles sont plus semblables les uns aux autres dans les grands vices et dans les grandes vertus, qu’ils ne le sont dans les coûtumes, dans les usages ordinaires, en un mot dans les vices et les vertus que la comedie veut copier. […] Les atellanes étoient des pieces telles à peu près que les comedies italiennes ordinaires, c’est-à-dire, dont le dialogue n’est point écrit.

46. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 16, objection tirée du caractere des romains et des hollandois, réponse à l’objection » pp. 277-289

Or, ces canaux ne sont pas si avant sous terre, que la chaleur qui est très-grande à Rome durant la canicule, n’en éleve des exhalaisons empestées, qui s’échappent d’autant plus librement que les crévasses des voûtes ne sont bouchées qu’avec des décombres et des gravas qui font un tamis bien moins serré que celui d’un terrain naturel ou d’un sol ordinaire. […] Il parle du Tibre pris dans Rome comme d’un évenement ordinaire. […] De pareilles révolutions sur la surface de la terre, qui causent toujours beaucoup d’altération dans les qualitez de l’air, et qui ont encore été suivies d’un si grand changement dans les alimens ordinaires, que les nouveaux habitans se nourrissent en pêcheurs et en jardiniers, au lieu que les anciens habitans se nourrissoient en chasseurs, de pareilles révolutions, dis-je, ne sçauroient arriver sans que le caractere des habitans d’un païs cesse d’être le même.

47. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre premier. De la stérilité d’esprit et de ses causes »

De la stérilité d’esprit et de ses causes Oui, j’écris rarement, et me plais de le faire, Non pas que la paresse en moi soit ordinaire, Mais, sitôt que je prens la plume à ce dessein, Je crois prendre en galère une rame à la main. […] À mesure du reste que cette activité vous deviendra plus ordinaire, l’effort aussi deviendra moindre, et l’on fera plus et mieux avec moins de peine.

48. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

Mais aussi il y a augmentation de notre personnalité en ce sens que, dans cette vie d’emprunt, nous nous sentons vivre plus puissamment, plus amplement, plus magnifiquement qu’à l’ordinaire. […] Ce sont des livres oit nous sont présentés des êtres dont l’intérêt même est d’être en dehors de la moyenne, en dehors de la vie connue et en dehors de la vie telle que, à l’ordinaire, nous voudrions qu’elle fût. […] Ils échappent un peu aux moyens ordinaires de lecture. […] Aussi le lecteur de romans idéalistes n’est pas dédaigneux à l’ordinaire, mais le lecteur des poètes l’est presque toujours. […] C’est quelquefois et même assez souvent un homme à penchants romanesques qui fait sa lecture ordinaire des romans réalistes, et ici l’on pourrait citer Flaubert lui-même, qui, romanesque et romantique éperdument, se corrigeait et rectifiait lui-même non seulement en lisant des romans réalistes, mais en en faisant.

49. (1813) Réflexions sur le suicide

La plupart des hommes ne comprennent guère que deux Puissances dans la vie, le Sort et leur Volonté, qui peut, à ce qu’ils croient, influer sur ce sort ; ils passent donc d’ordinaire de l’irritation à l’orgueil. […] Les douleurs qui sont dans le cours ordinaire des choses accablent mais ne révoltent pas. […] D’ordinaire le Dévouement conduit plutôt à recevoir la mort qu’à se la donner ; cependant il y a chez les Anciens des Suicides de dévouement. […] Il y a des exemples de Suicide chez la nation Française, mais ce n’est d’ordinaire, ni à la mélancolie du caractère ni à l’exaltation des idées, qu’on peut les attribuer. […] L’on ne connaît d’ordinaire que l’extérieur du caractère de l’homme, ce qui se passe en lui-même peut offrir encore des aperçus nouveaux pendant des milliers de siècles.

50. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 343-347

Il ne faut donc pas s’étonner que la plupart de ses Ouvrages se ressentent de cette incertitude d’idées, fruit ordinaire d’une érudition indigeste, qui marche au hasard & n’a point d’étoile polaire pour la diriger. […] Tel est donc l’effet ordinaire de l’abus des talens ; ils deviennent un poison entre les mains des Frénetiques qui s’en trouvent malheureusement pourvus.

51. (1890) L’avenir de la science « XI »

Fixée d’ordinaire dans une littérature antique, dépositaire des traditions religieuses et nationales, elle reste le partage des savants, la langue des choses de l’esprit, et il faut d’ordinaire des siècles avant que l’idiome moderne ose à son tour sortir de la vie vulgaire, pour se risquer dans l’ordre des choses intellectuelles. Elle devient en un mot classique, sacrée, liturgique, termes corrélatifs suivant les divers pays où le fait se vérifie et désignant des emplois qui ne vont pas d’ordinaire l’un sans l’autre.

52. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre quatrième. L’aperception et son influence sur la liaison des idées »

Les mêmes remarques s’appliquent à un autre exemple de Wundt : « En chemin de fer, dit-il, nous pouvons transformer en un air quelconque le bruit régulier des roues ; nous modifions donc les sensations par l’aperception. » Non, mais nous enchevêtrons un souvenir d’air, une association de notes par contiguïté avec le dessin rythmique des bruits de roue : un enchevêtrement de plusieurs images ou de plusieurs associations n’exige pas un mode de liaison supérieur à l’association ordinaire, ni un acte vraiment libre. […] Il n’y a pas là de lien particulier provenant d’un « acte d’aperception » libre et dégagée des lois de l’association ordinaire. […] Y a-t-il dans tout cela l’action d’un pouvoir indépendant et supérieur à l’association ordinaire ?

53. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

car le cours ordinaire de la pensée, livrée à elle-même, en est exempt. […] Faut-il, comme on le fait d’ordinaire, les attribuer à la fatigue de l’organe sensoriel ? […] La langue courante elle-même établit une distinction entre la forme ordinaire et la forme attentive des états de l’esprit. […] Traduisons : la conscience suit son cours ordinaire, normal. […] Cette circonstance  différencie cet état de la distraction ordinaire.

54. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

L’une a dû son titre au roi de France, et a montré au plus haut degré les défauts et les qualités ordinaires de la noblesse française ; l’autre était d’origine celtique et vraiment bretonne. […] D’ordinaire, elle était à peu près immobile, l’air sombre, égaré, l’œil terne et fixe. […] Sa vive imagination s’éveillait alors, et, comme il arrive d’ordinaire aux vieillards, c’étaient les souvenirs d’enfance qui lui revenaient le plus souvent à l’esprit. […] — Et cette folle, lui dis-je, qui était d’ordinaire sous l’auvent et qui nous faisait peur, à Guyomar et à moi ? […] Ce surnom, ainsi qu’il arrive d’ordinaire, prit la place du nom véritable, et ce fut de la sorte qu’il fut universellement désigné.

55. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires sur la mort de Louis XV »

Cependant cette inquiétude du roi ne paraissait encore point fondée, et Lemonnier, qui connaissait sa disposition naturelle à s’effrayer de rien, regardait cette inquiétude plutôt comme un effet ordinaire d’une telle disposition que comme le présage d’une maladie. […] M. de Beauvau, d’ailleurs très-facile à vivre dans l’ordre ordinaire de la société, est ce qu’on appelle susceptible dans les choses qui tiennent à sa charge. […] J’y voyais aussi mon intérêt, car j’acquérais par une conduite assidue pendant sa maladie, et par dix nuits passées auprès de son lit, le droit de reprendre après sa guérison mon train ordinaire de vie. […] La famille royale, fort inquiète, était revenue après son souper voir le roi, et se préparait à rester tard dans la chambre à côté pour voir le commencement de la nuit, quand tout à coup la lumière, approchée du visage du roi sans la précaution ordinaire, éclaira son front et ses joues, où l’on aperçut des rougeurs. […] Premier médecin ordinaire.

56. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Cette orthodoxie, il est vrai, pouvait bien sembler un peu étroite et se ressentir de ces excès de rigueur qui sont ordinaires aux grands convertis ; mais il y avait lieu aussi de penser qu’une fois hors du cercle des thèses universitaires et en possession des gloires du doctorat, rentré dès lors dans le champ libre de la littérature, l’auteur trouverait un juste tempérament, et que l’ami, et un peu le disciple de Stendhal, saurait échapper aux formules du dogme. […] André Chénier a imité dans les idylles attribuées à Théocrite celle qui a pour titre et pour sujet l’Oaristys, c’est-à-dire la conversation familière d’un pasteur et d’une bergère au fond des bois ; c’est une des pièces dont on trouverait le plus d’imitations chez nos vieux poëtes, qui d’ordinaire l’ont plutôt paraphrasée et légèrement parodiée en y substituant quelque chasseur moderne qui rencontre une villageoise. […] Il voudrait avant tout que le poëte eût débuté autrement ; car les Anciens commencent d’ordinaire par définir leur sujet, par dire : Je chante tel homme ou telle chose. […] De plus, lorsqu’un poëte, un peintre, a un style à lui et une manière reconnue, on lui passe d’ordinaire quelque mélange : ainsi La Fontaine se laisse souvent aller dans ses plus franches peintures à je sais quelles teintes du goût Mazarin. […] » Les critiques difficultueux peuvent se demander si, en procédant ainsi, en se livrant à ces délices de poésie qui d’ordinaire suivent les grands siècles, il se montrait rigoureusement fidèle à l’esprit de ces grands siècles eux-mêmes.

57. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LA REVUE EN 1845. » pp. 257-274

Il est vrai que c’est dans une comédie qu’il dit cela, et qu’on ne peut pas prendre tout à fait au sérieux ces sortes de saillies ; mais il faut pourtant reconnaître que, si les honnêtes gens en ce monde sont moins mal partagés d’ordinaire et dans les temps réguliers que Ménandre ne le dit, il est aussi des instants de crise où ils se conduisent de manière à avoir tout l’air en effet de ne venir qu’après les flatteurs, les calomniateurs et ceux qui vivent à petit bruit de la corruption. […] Je suis trop poëte moi-même (quoique je le sois bien peu) pour prétendre dire aucun mal de ce qui n’est qu’une conséquence, après tout, d’une sensibilité plus prompte et plus vive, d’une ambition plus vaste et plus noble que celle que nourrissent d’ordinaire les autres hommes ; mais, encore une fois, on ne se figure pas, même quand on a pu considérer les ambitions et les vanités politiques, ce que sont de près les littéraires. […] Qu’il y ait lieu, par instants, en littérature, à une critique d’allure tranchée, plus dogmatique et systématique, plus dirigée d’après une unité profonde de principes, nous ne le nions pas, et simplement, sans exclure de son à propos cette haute critique d’initiative, ce n’est point celle à laquelle la Revue d’ordinaire prétend. […] Les politiques, restés plus avisés, le savent bien pour leur compte, et, dans leur politesse, qui ressemble un peu à celle de Platon éconduisant les poëtes, ils renvoient d’ordinaire ces gens d’esprit, qui ne sont que cela, à la littérature.

58. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Dernière semaine de Jésus. »

Un petit événement, comme l’entrée d’un étranger quelque peu célèbre, ou l’arrivée d’une bande de provinciaux, ou un mouvement du peuple aux avenues de la ville, ne pouvait manquer, dans les circonstances ordinaires, d’être vite ébruité. […] Une grande tristesse paraît, en ces dernières journées, avoir rempli l’âme, d’ordinaire si gaie et si sereine, de Jésus. […] Par un travers fort ordinaire dans les fonctions actives, il en sera venu à mettre les intérêts de la caisse au-dessus de l’œuvre même à laquelle elle était destinée. […] Jésus, avec sa finesse ordinaire, lui exprima quelques doutes.

59. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — L’orthographe, et la prononciation. » pp. 110-124

Cet inconvénient l’obligea de mettre, à côté de ce qu’il faisoit imprimer suivant sa réforme, la même chose écrite à la manière ordinaire. […] Comme l’auteur se doutoit bien de la peine qu’on auroit à le lire, il eut l’attention de faire écrire souvent, dans une même page, les mêmes mots suivant l’usage ordinaire, & suivant ses nouvelles idées. […] « L’ancienne nous échappe tous les jours ; &, comme il ne faut point se presser de la rejetter, on ne doit pas non plus faire de grands efforts pour la retenir. » Le changement dans toute matière a des attraits : de même qu’on a changé en grande partie l’orthographe, on a aussi essayé de substituer aux notes ordinaires de la musique d’autres signes ; inventions dont les auteurs n’ont pas été bien reçus du public, & qui les en ont même fait mépriser dès qu’elles ont paru.

60. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Dante »

Seulement, sa rhétorique, à lui, était doublée et lestée de catholicisme, ce qui en ôtait le creux, ordinaire à toute rhétorique. […] Il avait la sensibilité terrible qui dans la vie ordinaire fait souvent de ces êtres sublimes des fléaux. Mauvais mari comme le fut Byron, il n’eut pas beaucoup plus que Byron des mœurs réglées, ce sinistre… De cœur, de cette fidélité ordinaire aux âmes fortes, il fut moins vaillant que Pétrarque, et sa Béatrix a besoin d’être transfigurée dans ses chants pour n’être pas un enfantillage ou un mensonge.

61. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 122-127

Au lieu du Prix ordinaire de Poésie, établi dans l'Académie des Jeux Floraux, les Magistrats de la ville de Toulouse déciderent qu'on lui feroit présent d'une Minerve d'argent massif. […] De là, cette Pléiade, dont il se fit l'Astre dominant, genre de folie si ordinaire aux Distributeurs des rangs, qu'ils ne manquent jamais de se donner le premier.

62. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LI » pp. 198-202

On met encore en avant beaucoup de noms ; mais ces promesses magnifiques tiennent peu d’ordinaire, et le vieux Constitutionnel, en voulant se rajeunir comme Éson, pourrait bien avoir le destin de Pélias. […] — Le carême produit cette année son courant ordinaire ; il y a foule de retraites, de conférences ; l’abbé de Ravignan à Notre-Dame, ailleurs l’abbé Bautain et d’autres attirent la jeunesse et les fidèles.

63. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre V. Des personnages dans les récits et dans les dialogues : invention et développement des caractères »

Les événements ordinaires de la vie, les situations sans nombre que créent les devoirs multiples, parfois contraires, de la famille, de la société, de la conscience, voilà le pays où il faut situer les caractères qu’on veut faire vivre. […] Dans la tragédie comme dans la comédie, sous la mythologie, sous l’histoire, sous les fictions convenues, n’est-ce pas vraiment la vie ordinaire qu’ils peignent, et ne sont-ce pas au fond des incidents communs, dans le raccourci vigoureux ou l’agrandissement idéal que les règles imposent ? Les sujets historiques, que la tradition offre généralement à traiter dans les compositions de collège, poussent forcément à l’invention romanesque : on ignore trop le détail particulier des événements réels, les ressorts cachés, les causes secrètes, les passions individuelles, les accidents insignifiants, mais gros de conséquences ; et dans la brume vague, dans le recul majestueux, où les hommes de l’histoire apparaissent comme de grands fantômes sans consistance, on n’ose rien soupçonner de médiocre ou d’ordinaire : on ne veut rien que de grand, de surprenant : du sublime et de l’horreur.

64. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 151-168

Ils méprisent d’abord ses Satires ; & pour rendre ce sentiment intéressant, ils affectent une fausse bénignité, ressource ordinaire & très-commode aux esprits médiocres, qui ont plus d’amour-propre que de talent. […] S’il s’en trouve quelques-unes de médiocres, cette médiocrité même a toujours son prix ; elle est celle d’un homme de haute taille qui se baisse, sans que les tailles ordinaires & communes puissent en tirer avantage pour s’égaler à lui. […] Il est si ordinaire de paroître sensible dans un Discours ou une Epître, & d’être impitoyable dans la Société, que l’éloge du sentiment a toujours l’air d’un blasphême, dans ceux qui en parlent avec trop d’affectation.

65. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre huitième. »

C’est La Fontaine dans tout son talent, avec sa grâce, sa variété ordinaire. […] Il fût devenu fou : la raison d’ordinaire…. […] La société ordinaire offre une multitude d’occasions, où ses avantages deviennent frappans ; et l’Apologue de La Fontaine ne prouve pas assez en faveur de la science.

66. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

La nature se peint par-tout dans ces images fortes devenues ordinaires. […] Il est très à sa place dans un opéra françois, où d’ordinaire on effleure plus les passions qu’on ne les traite. […] Les nouveaux parvenus sont d’ordinaire plus glorieux que les autres. […] Il sera permis alors de douter de tous les événemens qui ne sont pas dans l’ordre ordinaire des choses humaines. […] Les hommes occupés de calculs ou d’affaires épineuses, ont d’ordinaire l’imagination stérile.

67. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

Un traité de géométrie, une lettre d’affaires, un manuel de la parfaite cuisinière n’ont rien à voir d’ordinaire avec la littérature. […] C’est par la vue que nous constatons d’ordinaire le mouvement, que l’ouïe et le toucher nous font aussi connaître. […] Tel autre, comme Zola, met d’ordinaire en action les appétits grossiers et puissants par lesquels l’homme plonge dans l’animalité. […] C’est ce qui arrive d’ordinaire aux époques de compression politique ou religieuse.

68. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre III. Le cerveau chez l’homme »

Gratiolet cite encore le cerveau de Schiller, dont les dimensions, mesurées par Carus, ne dépassent pas les conditions ordinaires. […] Selon moi, l’idiot est celui dont le cerveau contiendrait le moins de phosphore ; le fou, celui dont le cerveau en contiendrait trop ; l’homme ordinaire, celui qui en aurait peu ; l’homme de génie, celui dont la cervelle en serait saturée à un degré convenable. » En Allemagne, Feurbach avait pris tellement au sérieux cette théorie du phosphore, qu’il n’hésitait pas à signaler comme une cause de l’affaiblissement des caractères en Europe l’usage exagéré de la pomme de terre, qui contient peu de phosphore. […] Suivant lui, le cerveau des hommes ordinaires contient 2,50 pour 100 de phosphore ; celui des idiots de 1 à 1,50 ; celui des aliénés, de 4 à 4,50. […] On a dit qu’il n’était pas un bien grand géomètre, soit ; mais, après tout, un mathématicien, même ordinaire, est encore très supérieur à un singe.

69. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVI. Miracles. »

Telle est la faiblesse de l’esprit humain que les meilleures causes ne sont gagnées d’ordinaire que par de mauvaises raisons. […] Ces fous, qu’on laissait errer, comme cela a lieu encore aujourd’hui dans les mêmes régions, habitaient les grottes sépulcrales abandonnées, retraite ordinaire des vagabonds. […] Le miracle est d’ordinaire l’œuvre du public bien plus que de celui à qui on l’attribue.

70. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

Ce qui la sauva de tout cela, ce fut la piété, la piété, mère surnaturelle de cette simplicité, d’ordinaire si peu naturelle dans les femmes d’amour-propre et d’esprit, quand elles sont cuites à l’infernale chaleur de serre chaude de ces horribles éducations ! […] Il fallut qu’il s’y ajoutât quelque chose ; et ce quelque chose ne fut pas non plus la dévotion, la dévotion ordinaire aux vieilles femmes dévotes, dont je n’ai pas, du reste, à dire du mal, car je les ai toujours aimées… Il faut bien l’avouer, cette dévotion-là, ne fût-elle pas pédante ou pincée, a une discrétion qui baisse ses coiffes, même sur le front d’une Mme de Maintenon, tandis que la piété de Mme Swetchine ne baisse pas les siennes, car elle n’a pas de coiffes ; elle a le front tout nu, sous ses cheveux blancs et dans ses rides, comme il convient à une vieille femme, heureuse d’être, par la vieillesse, devenue une voisine de Dieu ! […] … Il y avait naturellement, en Mme Swetchine, bien avant que le Catholicisme la prît pour lui baptiser le cerveau dans sa nappe de lumière, il y avait dans cette tête, au visage un peu kalmouck, une régularité de raison qui démentait l’angle facial, et dans l’imagination de cette Russe, quelque chose de doux et de savoureusement sage que n’ont pas d’ordinaire ses compatriotes, l’opposé de leurs neiges, dont J. de Maistre nous a dit : « Qu’ils feraient sauter en l’air les citadelles, si on les bâtissait sur leurs désirs ! 

71. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Je ne nie pas que les poëtes ne joignent d’ordinaire beaucoup d’orgueil à leur vanité. […] Le malheur est qu’on s’en tient à la marche ordinaire, et que content de faire le mieux qu’il est possible dans la méthode reçûë, on ne s’avise pas de raisonner sur la méthode même. […] Quelquefois un homme d’un bon sens ordinaire sent tout-à-coup au théatre ce qui est échapé dans le cabinet à la réflexion des connoisseurs. […] D’autres moins difficiles sçurent gré de leurs larmes à l’auteur, et se contenterent de dire que, malgré la supériorité du spectacle ordinaire, on pourroit encore se divertir à celui-ci. […] Pourquoi ce reste de musique dans la représentation des choses ordinaires ?

72. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIII. Retour de Molière à Paris » pp. 225-264

Ce ne fut qu’au dix-huitième siècle que ce comédien fît un extrait de la pièce de Nicolo Secchi dans ce dessein, et la fit représenter plusieurs fois sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, sous le titre de La Creduta maschio (la Fille crue garçon), avec un nouveau dénouement que son auteur raconte ainsi : « Lelio, sous le nom de sa sœur Virginia, écrit un billet à Fabio, en lui demandant pardon de n’avoir point avoué devant son père la secrète intelligence qui existe entre eux, et lui donne à l’ordinaire un rendez-vous dans sa chambre pour la soirée prochaine. […] Les Français prirent alors les jours ordinaires, c’est-à-dire le dimanche, le mardi et le vendredi, qui étaient plus favorables à la représentation43. […] Admettons qu’il existait, avant Molière, quelque imbroglio fondé sur l’équivoque du portrait : il n’est guère douteux que cette intrigue ne provienne de la source ordinaire des quiproquos et des méprises comiques, c’est-à-dire de la commedia dell’arte. […] Chapuzeau nous explique pourquoi l’on donnait la préférence aux jours ordinaires : « Ces jours ont été choisis avec prudence, dit-il, le lundi étant le grand ordinaire pour l’Allemagne et pour l’Italie, et pour toutes les provinces du royaume qui sont sur la route ; le mercredi et le samedi, jours de marché et d’affaires où le bourgeois est plus occupé qu’en d’autres, et le jeudi étant comme consacré en bien des lieux pour un jour de promenade, surtout aux académies et aux collèges.

73. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

J’ai beau leur parler de la beauté de la saison, des nouvelles qui courent et de toutes les choses qui font la conversation ordinaire, ils en reviennent toujours à leur point : et ils sont si persuadés que je me contrains pour leur parler ainsi, qu’ils se contraignent pour me parler d’autres choses qui m’accablent tellement que je voudrais n’être plus Sapho quand cette aventure m’arrive. […] Ses idées sur l’éducation des femmes sont pleines de justesse et de mesure dans la théorie : Sérieusement, écrit-elle, y a-t-il rien de plus bizarre que de voir comment on agit pour l’ordinaire en l’éducation des femmes ? […] Un des premiers sujets qu’elle y traite est celui de la Conversation même : Comme la conversation est le lien de la société de tous les hommes, le plus grand plaisir des honnêtes gens et le moyen le plus ordinaire d’introduire non seulement la politesse dans le monde, mais encore la morale la plus pure et l’amour de la gloire et de la vertu, il me paraît que la compagnie ne peut s’entretenir plus agréablement ni plus utilement, dit Cilénie (un de ces personnages qu’elle aime), que d’examiner ce que c’est qu’on appelle conversation. […] Leur conversation est, sans doute, moins enjouée quand il n’y a point de dames, que quand il y en a ; mais, pour l’ordinaire, quoiqu’elle soit plus sérieuse, elle ne laisse pas d’être raisonnable ; et ils se passent enfin de nous plus facilement que nous ne nous passons d’eux. […] Tout ce chapitre « De la conversation » est très bien observé ; et, après avoir parcouru les différents défauts d’une conversation, Cilénie ou Valérie, ou plutôt l’auteur, dans un résumé qui n’a d’inconvénient que d’être trop exact et trop méthodique, conclut que, pour ne pas être ennuyeuse, pour être à la fois belle et raisonnable, la conversation doit ne point se borner à un seul objet, mais se former un peu du tout : Je conçois, dit-elle, qu’à en parler en général, elle doit être plus souvent de choses ordinaires et galantes que de grandes choses : mais je conçois pourtant qu’il n’est rien qui n’y puisse entrer ; qu’elle doit être libre et diversifiée selon les temps, les lieux et les personnes avec qui l’on est ; et que le secret est de parler toujours noblement des choses basses, assez simplement des choses élevées, et fort galamment des choses galantes, sans empressement et sans affectation.

74. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVII »

Les mots les plus ordinaires et les locutions courantes peuvent faire figure de surprise. […] Nous avons dit que « la marque du cliché, de l’expression toute faite, ce n’est pas d’être simple, ordinaire, déjà employée ; c’est qu’on peut la remplacer par une autre plus simple ; c’est que, derrière elle, il y a la vraie, la seule, celle qu’il faut mettre à tout prix, l’eût-on dite mille fois ».‌

75. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre II. Les couples de caractères généraux et les propositions générales » pp. 297-385

Il n’y en a guère d’autres chez les enfants, les sauvages, les esprits incultes, et on n’en exprime guère d’autres dans la conversation ordinaire. […] Et cependant, d’ordinaire, vous n’avez pas de preuve en main. […] Observons d’abord que la définition ordinaire de la ligne droite est mauvaise ; on dit qu’elle est la plus courte qui puisse être menée d’un point à un autre. […] Dans cette science, les axiomes ne concordent pas avec les inductions de l’expérience ; du moins ils ne concordent pas avec les inductions de l’expérience ordinaire. […] Le son ordinaire, c’est-à-dire provoqué par un antécédent extérieur, et non pas le son subjectif, provoqué par un état spontané de l’organe auditif.

76. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LA FAYETTE » pp. 249-287

Néanmoins il faut s’en fier à votre habileté, elle est au-dessus des maximes ordinaires ; mais enfin persuadez-le. […] M. de La Rochefoucauld est dans cette chaise que vous connoissez : il est d’une tristesse incroyable, et l’on comprend bien aisément ce qu’il a. » Ce qu’a sans doute M. de La Rochefoucauld de pire que la goutte et que ses maux ordinaires, c’est de manquer de Mme La Fayette. […] C’est assez que d’être, disait-elle d’ordinaire, en acceptant son état inactif. […] Valincour écrivit très-incognito un petit volume de critique qu’on attribua au Père Bouhours, et un abbé de Charnes riposta par un autre petit volume qu’on supposa de Barbier d’Aucourt, critique célèbre d’alors et adversaire ordinaire du spirituel jésuite. […] Tallemant des Réaux, ce rapporteur ordinaire des mauvaises paroles, en attribue une à Mlle de La Vergne sur son maître Ménage : « Cet importun Ménage va venir tantôt. » Il la rapporte au reste à bonne fin, et pour montrer que le pédant galant n’était pas du dernier bien avec ses belles élèves.

77. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier. »

Voilà donc les nouveaux époux et conjoints vivant en Italie, à Rome, sous le nom de comte et de comtesse d’Albany ou Albanie (c’était le nom d’un duché d’Écosse, apanage ordinaire des fils cadets de rois). […] mais à sa douce et charmante femme qui n’en pouvait mais, il donnait, quand il était ivre, tous les noms injurieux et humiliants, accompagnés de traitements cruels, de coups et une certaine nuit, à la fête de Saint-André qu’il avait célébrée en buvant encore plus qu’à l’ordinaire, il tenta de l’étouffer et de l’étrangler. […] Des tribulations pourtant s’y mêlèrent encore : le monde romain eut de ces susceptibilités auxquelles il est peu sujet d’ordinaire ; on estima que la comtesse et Alfieri étaient trop promptement et trop aisément heureux. […] » L’accent dantesque et irrité, qui est le plus ordinaire chez Alfieri, se retrouve ici dans toute sa vibration chez l’amant.

78. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Oscar Wilde à Paris » pp. 125-145

Là, ils avaient licence de s’isoler de la clientèle ordinaire, clientèle assez mêlée et aussi peu experte en bonnes façons qu’en beau langage, à l’exception toutefois d’un cocher de fiacre, le père Moore, qui, piqué de la tarentule des vers, usait de la complicité de la poste, sans discrétion, pour bombarder de ses élucubrations les gens célèbres. […] Rien n’avait été changé au protocole ordinaire, sauf qu’un bouquet de fleurs ornait la table. […] Son plastron étincelait comme une cuirasse au soleil et ses cheveux, plus calamistrés qu’à l’ordinaire, témoignaient que lui aussi voulait se produire à son avantage. […] De même, le poète s’affranchit des lois ordinaires et des nécessités communes.

79. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

Son style, toujours élégant et noble, s’élève au-dessus du style ordinaire de l’histoire ; mais il ne se permet nulle part ces mouvements, ces tours périodiques et harmonieux, qui semblent donner plus d’appareil aux idées et un air plus imposant au discours. […] « Mon cœur rempli de toi, dit-il, a cherché cette consolation, sans prévoir comment ce discours sera reçu par la malignité humaine, qui, à la vérité, épargne d’ordinaire les morts, mais qui quelquefois aussi insulte à leurs cendres, quand c’est un prétexte de plus de déchirer les vivants. » Cet éloge funèbre doit être mis au rang des ouvrages éloquents de notre langue. […] On citerait les grandes actions ; on citerait cette foule de traits qui, dans le cours d’une campagne ou d’une guerre, échappent à des héros que souvent on ne connaissait point ; car il est des hommes qui, simples et peu remarqués dans l’usage ordinaire de la vie, déploient dans les grands dangers un grand caractère, et révèlent tout à coup le secret de leur âme.

80. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 13, de la saltation ou de l’art du geste, appellé par quelques auteurs la musique hypocritique » pp. 211-233

Mais c’étoit le nom le plus ordinaire que les grecs donnassent à leurs comédiens. […] Quoiqu’on joignit sur le théatre la parole avec le geste dans les representations ordinaires, l’art du geste étoit néanmoins enseigné dans les écoles comme un art qui montroit à s’exprimer, même sans parler. […] saltare et gestum agere, s’emploïent si bien indistinctement, qu’on disoit danser une piece dramatique pour dire la réciter sur le théatre, et cela, non-seulement en parlant des représentations des pantomimes, qui joüoient sans ouvrir la bouche, comme nous le dirons tantôt, mais même en parlant des représentations des tragédies ou des comédies ordinaires dans laquelle la récitation des vers faisoit une partie de l’execution de la piece.

81. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

Une caresse est rare et semble une grâce ; d’ordinaire, en présence des parents, les enfants sont muets, et le sentiment habituel qui les pénètre est la déférence craintive. […] La marquise sa mère, auteur d’opéras mythologiques et champêtres, a fait bâtir un théâtre dans le château : il y vient de Bourbon-Lancy et de Moulins un monde énorme ; après douze semaines de répétitions, la petite fille, avec un carquois et des ailes bleues, joue le rôle de l’Amour, et le costume lui va si bien qu’on le lui laisse encore pendant neuf mois à l’ordinaire et toute la journée. […] Car, sans lui, comment faire avec aisance, mesure et légèreté les mille actions les plus ordinaires de la vie courante, marcher, s’asseoir, se tenir debout, offrir le bras, relever l’éventail, écouter, sourire, sous des yeux si exercés et devant un public si délicat ? […] En temps ordinaire, la bombance et la joie ne sont guère moindres. […] D’ordinaire le spectacle finit par une parade empruntée aux contes de La Fontaine ou aux farces des bouffons italiens, non seulement vive, mais plus que leste, et parfois si crue, « qu’on ne peut la jouer que devant de grands princes ou des filles293 » ; en effet, un palais blasé se dégoûte de l’orgeat et demande du rogomme.

82. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — II » pp. 18-35

Cette harangue fut prononcée le 2 janvier 1685 ; et le vendredi 5, à Versailles, on lit dans le journal de Dangeau : Le roi ne fit point les Rois, il soupa en famille à l’ordinaire ; mais, après souper, il fit porter un gâteau chez Mme de Montespan. — Le matin il se fit réciter par Racine la harangue qu’il avait faite à l’Académie le jour de la réception de Bergeret et du jeune Corneille, et les courtisans trouvèrent la harangue aussi belle qu’elle avait été trouvée belle à l’Académie. […] Ainsi il est dit comme indifféremment à la date du mardi 21 septembre 1688, à Versailles : « Le roi en sortant de la messe alla chez Mme de Montespan à son ordinaire. […] On fait revenir les enfants à Paris, et ils seront élevés dans notre religion. » — « Samedi 26. — Le roi monta en calèche au sortir de la messe, et alla avec les dames voir voler ses oiseaux. » Ce vol des oiseaux, disons-le en passant, était une grande affaire et un des plaisirs ordinaires du roi. […] Folleville, qui est en ce pays-là avec son régiment, a marché à eux et avait mis des milices derrière les endroits où ils se retiraient d’ordinaire.

83. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Voiture. Lettres et poésies, nouvelle édition revue, augmentée et annotée par M. Ubicini. 2 vol. in-18 (Paris, Charpentier). » pp. 192-209

Au milieu des légèretés (qu’il continue d’écrire aux beautés de sa connaissance, on entrevoit là cependant un Voiture plus sérieux que celui qu’on s’imagine d’ordinaire, et M.  […] Voiture, dans une lettre fort belle et qui porte plus que d’habitude un cachet de vérité, lui dit : (De Madrid, 8 juin 1633.)… Ceux qui occupent des places comme la vôtre sont d’ordinaire traités comme les dieux ; plusieurs les craignent, tous leur sacrifient, mais il y en a peu qui les aiment, et ils trouvent plus aisément des adorateurs que des amis. […] Je vois des choses en vous plus éclatantes que votre fortune, et des qualités avec lesquelles vous ne sauriez jamais être un homme ordinaire. […] Voiture, en écrivant à son familier Costar, a pu d’ailleurs se donner les airs de parler une fois avec aisance sur un sujet qui d’ordinaire lui plaisait moins.

84. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Journal de la santé du roi Louis XIV »

Dans ce lit à ciel pompeux, ce sont quelques punaises qui l’ont, cette nuit, éveillé plus tôt qu’à l’ordinaire, à moins que ce ne soit quelque accident de gravelle, — le grain de sable de Cromwell, — logé en lieu douloureux, qui ait causé l’insomnie. […] Le roi et feu Monsieur aimaient beaucoup les œufs durs. » Fagon nous donne l’aperçu d’un souper du roi déjà vieux (1709), qui répond bien à un tel dîner ; il est vrai que cela avait toutes les peines du monde à passer : « La variété, dit-il, des différentes choses qu’il mêle le soir à son souper avec beaucoup de viandes et de potages, et entre autres les salades de concombres, celles de laitues, celles de petites herbes, toutes ensemble assaisonnées comme elles le sont de poivre, sel, et très fort vinaigre en quantité, et beaucoup de fromage par-dessus, font une fermentation dans son estomac, etc. » Si tel était un souper ou un dîner ordinaire de Louis XIV, il est curieux de voir quelles étaient ses diètes, quand on le mettait au régime ; par exemple (1708) : « Le roi, fatigué et abattu, fut contraint de manger gras le vendredi, et voulut bien qu’on ne lui servit à dîner que des croûtes, un potage aux pigeons, et trois poulets rôtis ; le soir, du bouillon pour y mettre du pain, et point de viandes… Le lendemain, il fut servi comme le jour précédent, les croûtes, un potage avec une volaille, et trois poulets rôtis, dont il mangea, comme le vendredi, quatre ailes, les blancs et une cuisse !  […] Le Roi qu’après cette lecture le Louis XIV, tel qu’il sort pour nous des mains de ses premiers médecins, « n’est plus le brillant héros que l’histoire nous a dépeint, mais bien un jeune homme valétudinaire, atteint successivement de maladies fort graves, puis un homme toujours souffrant, condamné à un régime sévère, obligé de supporter de graves opérations, et enfin, un vieillard podagre, continuellement tourmenté par la gravelle, dont la gangrène vient enfin terminer l’existence. » Ce portrait est trop noir ; cette suite de maladies et d’indispositions présentées en détail et à la file fait un tableau trop sombre ; nous ne voyons pas assez les intervalles, les saisons de bonne santé, les mortes-saisons du médecin ; et puis il y a dans tout cela maint malaise qui, dans une vie ordinaire et où l’on n’aurait pas le temps de s’écouter, ne compterait pas. […] Léouzon-Leduc. − Le même portrait du roi se retrouve presque identique dns le Palais-Royal ou les Amours de Madame de La Vallière, l’un des pamphlets qui sont imprimés d’ordinaire à la suite de l’Histoire amoureuse des Gaules de Bussy-Rabutin.

85. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Établi à Passy dans une belle maison, avec un jardin, jouissant d’un voisinage aimable, Franklin, d’ordinaire, et dans les premières années du moins, avant que sa santé se fût affaiblie, dînait dehors six jours sur sept, réservant le dimanche aux Américains qu’il traitait chez lui. […] Ces mots de miss Shipley, qu’elle met ainsi en français, donnent bien l’idée de Franklin dans l’ordinaire de la vie. […] En envoyant ce portrait à ses amis d’Amérique, il faisait remarquer, par manière d’excuse, ce caractère propre à la nation française, de pousser l’éloge à l’extrême, tellement que la louange ordinaire, toute simple, devient presque une censure, et que la louange extrême finit, à son tour, par devenir insignifiante. […] Je lui dis que cela avait été généralement entendu de l’action d’un orateur avec les gestes en parlant, mais que je croyais qu’il existait une autre sorte d’action bien plus importante pour un orateur qui voudrait persuader au peuple de suivre son avis, à savoir une suite et une tenue dans la conduite de la vie, qui imprimerait aux autres l’idée de son intégrité aussi bien que de ses talents ; que, cette opinion une fois établie, toutes les difficultés, les délais, les oppositions, qui d’ordinaire ont leur cause dans les doutes et les soupçons, seraient prévenus, et qu’un tel homme, quoique très médiocre orateur, obtiendrait presque toujours l’avantage sur l’orateur le plus brillant, qui n’aurait pas la réputation de sincérité… Tout cela était d’autant plus approprié au jeune homme, que lord Shelburne, son père, doué de tant de talents, avait la réputation d’être l’opposé du sincère.

86. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre IV. L’espace et ses trois dimensions. »

Si nous considérons divers systèmes d’impressions et que nous les comparions entre eux, nous reconnaissons souvent que deux de ces systèmes d’impressions ne peuvent être discernés (ce que l’on exprime d’ordinaire en disant qu’ils sont trop voisins l’un de l’autre, et que nos sens sont trop grossiers pour que nous puissions les distinguer) et nous constatons de plus que deux de ces systèmes peuvent quelquefois être discernés l’un de l’autre, bien qu’étant indiscernables d’un même troisième. […] Pour nous, qui ne savons pas encore la géométrie, nous ne pouvons pas raisonner de la sorte, mais nous constatons que cette prévision se réalise d’ordinaire ; et nous pouvons toujours expliquer les exceptions en disant que l’objet A a bougé entre les instants α et α′, ou l’objet B entre les instants β et β′. […] Voilà le sens de mon assertion, je me borne à affirmer un fait expérimental qui se vérifie d’ordinaire. […] Comme S et S′ sont inverses l’une de l’autre, on aura S + S′ = O, et par conséquent S + S′ + Σ = Σ + S + S′ = Σ, ou encore Σ + S + S′ + Σ′ = Σ + Σ′ mais il ne s’ensuit pas que l’on ait S + Σ + Σ′ = Σ ; car bien que nous ayons employé le signe de l’addition pour représenter la succession de nos sensations, il est clair que l’ordre de cette succession n’est pas indifférent : nous ne pouvons donc, comme dans l’addition ordinaire, intervertir l’ordre des termes ; pour employer un langage abrégé, nos opérations sont associatives, mais non commutatives. […] Quoi que l’on doive penser de cette hypothèse, qu’on soit séduit par sa simplicité, ou rebuté par son caractère artificiel, le seul fait que Hertz ait pu la concevoir, et la regarder comme plus commode que nos hypothèses habituelles, suffit pour prouver que nos idées ordinaires, et, en particulier, les trois dimensions de l’espace, ne s’imposent nullement au mécanicien avec une force invincible.

87. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

Il y a là, sous l’écorce peu flatteuse de personnages des plus ordinaires, des cordes morales bien démêlées, bien senties. […] Là où l’on est plus sûr de les retrouver et où leur signature apparaît authentique, c’est dans ces peintures ordinaires d’intérieurs de fermes, de repas de famille, de brebis qu’on fait boire à l’abreuvoir, etc. ; toutes scènes domestiques ou champêtres, peu variées, ou qui ne semblent guère que des variantes d’un même fond de tableau, mais toutes d’un ton juste, d’une couleur un peu grise ou crayeuse, mais saine, où rien ne dépasse d’une ligne la stricte réalité, et où elle nous est livrée encore plus que rendue dans son jour habituel, dans son uniformité même et sa rusticité. […] Oui, tu as besoin, à tout instant, d’être renouvelée et rafraîchie, d’être relevée par quelque endroit, sous peine d’accabler et peut-être d’ennuyer comme trop ordinaire. […] Il te faut encore, et c’est là le plus beau triomphe, il te faut, tout en étant observée et respectée, je ne sais quoi qui t’accomplisse et qui t’achève, qui te rectifie sans te fausser, qui t’élève sans te faire perdre terre, qui te donne tout l’esprit que tu peux avoir sans cesser un moment de paraître naturelle, qui te laisse reconnaissable à tous, mais plus lumineuse que dans l’ordinaire de la vie, plus adorable et plus belle, — ce qu’on appelle l’idéal enfin.

88. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Il ne s’agit à l’ordinaire que d’un oui à faire dire : mais comment ce oui sortira-t-il ? […] Telle est cette comédie de Marivaux, si peu comique au sens ordinaire du mot, si solide et si substantielle en son extrême subtilité, d’une pénétrante sentimentalité qui n’est jamais fade ni fausse, puissante parfois par un pathétique intérieur et contenu, où l’on ne sent jamais la tricherie d’un adroit faiseur. […] Mais, en même temps, dans cette société le sentiment est rare ; il n’en devient que plus précieux, et transfère sa valeur à l’idée du sentiment, qui est son substitut ordinaire. […] La comédie plaisante se renferme dans la peinture des ridicules mondains : cette peinture est à l’ordinaire sans largeur et sans couleur, sèche, fine, spirituelle.

89. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

Par exemple, quand il passe en Dauphiné, il dira de l’Isère : « Nous passâmes ensuite à l’embouchure de l’Isère, rivière infâme s’il en fut jamais : c’est une décoction d’ardoise. » Et à Marseille : « On trouve en cette province, à chaque pas, l’agréable et jamais le nécessaire ; aussi, à vous parler net, la Provence n’est qu’une gueuse parfumée . » À propos d’une danseuse qu’il voit à Vérone, et qui surpasse tous les maîtres en entrechats : « De sorte, ajoute-t-il, qu’à l’égard de la légèreté, la Camargo est auprès d’elle une danseuse de pierre de taille. » Parlant du Giorgione à Venise, et le comparant, pour le coloris, à ce qu’est Michel-Ange pour le dessin, il dira : « Ces deux maîtres sont les czars Pierre de la Peinture, qui en ont banni la barbarie ; mais ce n’a pas été sans férocité. » Et en débarquant à Livourne : « Figurez-vous une petite ville de poche, toute neuve, jolie à mettre dans une tabatière, voilà Livourne. » Je cite ces mots au hasard, non comme des mots (car quelques-uns pourraient sembler maniérés, s’ils étaient faits pour être détachés et mis en relief), mais comme faisant partie du mouvement et du pétillement d’esprit ordinaire au président de Brosses. […] La dispersion d’études chez le président de Brosses n’était donc pas celle d’un érudit ordinaire qui ne gouverne pas ses idées et que la poursuite même égare, mais plutôt le signe d’activité d’un amateur ardent et libre, qui travaillait selon l’occasion et la veine, pour son plaisir et non pour la gloire. Les contemporains nous l’ont peint tel qu’il était dans la société et dans l’habitude ordinaire, très vif, extrêmement aimable, plein de saillies originales, plaisant, mais sans causticité, « facilement ému par la résistance et par la contradiction » ; ayant « de petites colères qui faisaient rire ceux qui en étaient témoins, et dont il ne tardait pas aussi à rire lui-même » ; il avouait qu’il lui était plus facile de se contenir sur de grands objets que sur de petits. […] Diderot, qui vit sans doute un jour de Brosses dans son appareil de magistrat, a dit quelque part de lui : Le président de Brosses, que je respecte en habit ordinaire, me fait mourir de rire en habit de Palais.

90. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mémoires de Casanova de Seingalt. Écrits par lui-même. »

Sauf un petit nombre d’exceptions mystérieuses et de véritables monstruosités morales, l’homme est libre, bien que plus ou moins enclin ici ou là ; il peut lutter, bien qu’il lutte trop peu ; il peut s’appuyer sur certains principes qu’il sait bons et utiles, nouer alliance avec ses facultés louables contre ses penchants plus dangereux15, bien que d’ordinaire ce soit pour ceux-ci qu’il se déclare. […] Vers ce même temps, Casanova fut présenté chez une courtisane et actrice à la mode, J…, qu’il trouva singulière, et aux impertinences de laquelle il résista : « Chaque fois qu’elle me regardait, elle se servait d’un lorgnon, ou bien elle rétrécissait ses paupières comme si elle eût voulu me priver de l’honneur de voir entièrement ses yeux, dont la beauté était incontestable : ils étaient bleus, merveilleusement bien fendus, à fleur de tête et enluminés d’un iris inconcevable que la nature ne donne quelquefois qu’à la jeunesse, et qui disparaît d’ordinaire vers les quarante ans, après avoir fait des miracles. […] A cette vue, Casanova convient qu’il eut peur, et que son premier mouvement fut d’éloigner son amie ; mais elle, qui, d’ordinaire, avait peur de la moindre couleuvre, ne craignant rien à cette heure et en ce moment, continuait : « Son aspect me ravit, te dis-je, et je suis sûre que cette idole n’a de serpent que la forme, ou plutôt que l’apparence. » Et elle redoublait de bonheur et d’oubli.

91. (1890) L’avenir de la science « Préface »

On voyait bien tout cela, mais cela sortait des habitudes ordinaires de la langue et du moule des phrases bien faites. […] Il est devenu trop clair, en effet, que le bonheur de l’individu n’est pas en proportion de la grandeur de la nation à laquelle il appartient, et puis il arrive d’ordinaire qu’une génération fait peu de cas de ce pour quoi la génération précédente a donné sa vie. […] Même la gloire, comme force de traction, suppose à quelques égards l’immortalité, Le fruit n’en devant d’ordinaire être touché qu’après la mort.

92. (1874) Premiers lundis. Tome I « Hoffmann : Contes nocturnes »

En un temps où on est las de toutes les sensations et où il semble qu’on ait épuisé les manières les plus ordinaires de peindre et d’émouvoir, en un temps où les larges sentiers de la nature et de la vie sont battus, et où les troupeaux d’imitateurs qui se précipitent sur les traces des maîtres ne savent que soulever des flots de poussière suffocante, lorsqu’on avait tout lieu de croire que le tour du monde était achevé dans l’art, et qu’il restait beaucoup à transformer et à remanier sans doute, mais rien de bien nouveau à découvrir, Hoffmann s’en est venu qui, aux limites des choses visibles et sur la lisière de l’univers réel, a trouvé je ne sais quel coin obscur, mystérieux et jusque-là inaperçu, dans lequel il nous a appris à discerner des reflets particuliers de la lumière d’ici-bas, des ombres étranges projetées et des rouages subtils, et tout un revers imprévu des perspectives naturelles et des destinées humaines auxquelles nous étions le plus accoutumés. […] Mais le brave professeur vient de mourir, laissant une respectable veuve de soixante-quatre ans, et une petite nièce de quatorze, et lorsque Eugène se met, dès le matin qui suit l’enterrement, à contempler comme à l’ordinaire le galanthus nivalis et l’amaryllis reginæ, il est interrompu par la bonne veuve, qui l’avertit en rougissant qu’il faudra bien, pour éviter les malins caquets, ne plus continuer de loger ensemble sous le même toit.

93. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Mais alors, l’opération pratique et par conséquent ordinaire de la mémoire, l’utilisation de l’expérience passée pour l’action présente, la reconnaissance enfin, doit s’accomplir de deux manières. […] La seconde, celle que les psychologues étudient d’ordinaire, est l’habitude éclairée par la mémoire plutôt que la mémoire même. […] Ainsi des mécanismes d’une complication extrême, assez subtils pour imiter l’intelligence, peuvent fonctionner d’eux-mêmes une fois construits, et par conséquent obéir d’ordinaire à la seule impulsion initiale de la volonté. […] C’est dire que nous jouons d’ordinaire notre reconnaissance avant de la penser. […] Mais alors, il faudra se représenter autrement qu’on ne fait d’ordinaire le mécanisme de la perception distincte.

94. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

La Didon de Virgile est une imitation combinée, car Virgile aime d’ordinaire à combiner ses imitations pour mieux laisser jour dans l’entre-deux à son originalité. […] Et ce chant (notez-le) n’est pas un chant de dimension ordinaire ; il n’a pas moins de 1,400 vers ; si l’on y joint les 250 premiers vers du suivant, qui exposent les derniers actes de Médée en Colchide et sa fuite à bord du vaisseau Argo, on a là une suite de plus de 1,600 vers pleins de beautés diverses, animés de feu, de passion et de grâce. […] Plus ordinaire chez les femmes que chez les hommes, qui ont trop de facilités pour la prévenir ou la dissiper, elle ne laisse pas d’être devenue assez rare chez les femmes elles-mêmes qui, en certains pays et dans certain train de société, ont mille moyens gracieux de l’éluder, de s’en prendre ou de s’en tenir aux semblants. […] Heureusement, chez nous autres Modernes (rendons-nous justice), tout cela a bien changé ; la terminaison se dissimule d’ordinaire, se recouvre d’hommages prolongés, et, chez les natures délicates, s’enveloppe d’un culte d’amitié et de souvenirs. […] On lit ainsi encore dans les Lettres portugaises, mais toujours à l’image près, toujours avec cette différence de l’analyse délicate à la poésie : « Vous me dites hier au soir de jolies choses, et j’aurois souhaité que vous eussiez pu vous voir vous-même dans ce moment comme je vous voyois… Vous vous seriez trouvé tout autre qu’à votre ordinaire.

95. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

Richelieu, déjà cardinal, en parle comme Bois-Robert : « Les conceptions de vos lettres, lui écrit Richelieu, sont fortes, et aussi éloignées des imaginations ordinaires qu’elles sont conformes au sens commun de ceux qui ont le jugement relevé6. » Bois-Robert, pour le louer plus dignement, emprunte le langage de l’ode : Balzac, tes discours relevés Par ses caractères gravés Étonnent comme les miracles ; Et je croirais assurément Que ce serait autant d’oracles, Si tu parlais moins clairement. […] C’est son éloquence que vante Racan dans une ode où il ne veut pas rester en arrière de Bois-Robert : Les choses les plus ordinaires Sont rares quand il les écrit, Et la clarté de son esprit Rend les mystères populaires. […] C’est à la faveur de ces préoccupations du jour ou simplement des idées à la mode, que s’introduisait la réforme littéraire ; et le goût se formait par ce qui d’ordinaire le corrompt. […] A ceux qui reprochaient à Balzac le titre de Lettres donné à ses pièces d’éloquence, disant qu’une inscription si basse ne devait couvrir que des choses ordinaires, ses admirateurs répondaient « qu’il n’avait tenu qu’à la fortune que ce qu’on appelait Lettres n’eussent été harangues ou discours d’Etat ; mais que, dans un pays où la volonté d’un seul avait remplacé le gouvernement populaire, n’y ayant ni peuples opprimés à défendre devant un sénat, ni oppresseurs à accuser, il n’y avait pas lieu à l’éloquence politique ; que quant au barreau, les affaires y étaient tellement étouffées par la chicane, que là non plus il n’y avait pas place pour l’éloquence judiciaire : qu’il restait les chaires des prédicateurs, mais que ce n’étaient pas des hommes tels que M. de Balzac qu’on appelait aux fonctions ecclésiastiques », — allusion à Richelieu, qui l’avait critiqué et ne l’avait pas fait évêque, pas même abbé, à quoi Balzac, dit-on, s’était rabattu ; — « que dès lors il avait fallu que son éloquence s’enfermât dans ce petit espace. » C’est là, en effet, le malheur de cette éloquence. […] Enfin, il refuse le don de faire un livre à cet homme, « qui, pour avoir écrit, dit-il, moins de lettres qu’un banquier n’en dépêche pour un ordinaire, a déjà épuisé tous les panégyriques13. »« Après tout, dit-il ailleurs, il fait voler de malheureux tronçons avortés par force de son esprit, que je juge incapable de produire jamais un ouvrage en perfection14. » Goulu avait prédit juste.

96. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Quant il venait me voir, le soir, à la rue de l’Abbé-de-l’Épée, nous causions pendant des heures ; puis j’allais le reconduire à la tour Saint-Jacques ; mais, comme d’ordinaire la question était loin d’être épuisée quand nous arrivions à sa porte, il me ramenait à Saint-Jacques du Haut-Pas ; puis je le reconduisais et ce mouvement de va-et-vient se continuait nombre de fois. […] Il est certain, en effet, que l’amitié ordinaire suppose qu’on n’est pas trop convaincu que tout est vain. […] Une des idées que j’ai le plus souvent à combattre, c’est que l’amitié, comme on l’entend d’ordinaire, est une injustice, une erreur, qui ne vous permet de voir que les qualités d’un seul et vous ferme les yeux sur les qualités, d’autres personnes plus dignes peut-être de votre sympathie. […] Je vois trop bien que rendre un bon service à quelqu’un, c’est d’ordinaire en rendre un mauvais à un autre ; que s’intéresser à un compétiteur, c’est le plus souvent commettre un passe-droit envers son rival. […] Le déplacement d’un atome rompait la chaîne de faits fortuits qui, au fond de la Bretagne, me prépara pour une vie d’élite ; qui me fit venir de Bretagne à Paris, qui, à Paris, me conduisit dans la maison de France où l’on pouvait recevoir l’éducation la plus sérieuse ; qui, au sortir du séminaire, me fit éviter deux ou trois fautes mortelles, lesquelles m’auraient perdu : qui, en voyage, me tira de certains dangers où, selon les chances ordinaires, je devais succomber ; qui fit, en particulier, que le Dr Suquet put venir à Amschit me tirer des bras de la mort, où j’étais enserré.

97. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

La maladie, en effet, n’est-elle pas conçue par tout le monde comme un accident, que la nature du vivant comporte sans doute, mais n’engendre pas d’ordinaire ? […] Seulement elle n’est pas fondée dans leur nature normale ; elle n’est pas impliquée dans leur tempérament ordinaire ni liée aux conditions d’existence dont ils dépendent généralement. […] Les crimes proprement dits y seront inconnus ; mais les fautes qui paraissent vénielles au vulgaire y soulèveront le même scandale que fait le délit ordinaire auprès des consciences ordinaires. […] Le crime, de son côté, ne doit plus être conçu comme un mal qui ne saurait être contenu dans de trop étroites limites ; mais, bien loin qu’il y ait lieu de se féliciter quand il lui arrive de descendre trop sensiblement au-dessous du niveau ordinaire, on peut être certain que ce progrès apparent est à la fois contemporain et solidaire de quelque perturbation sociale.

98. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

On cite d’ordinaire ses deux maîtres de philosophie, célèbres pour le temps, Frey et Padet ; mais il serait plus essentiel de rappeler ce que Guy Patin, son ami de jeunesse, nous apprend. […] Jeune, d’ordinaire, on en sent moins le prix ; on les ouvre, on les lit, on les rejette aisément. […] Et c’est l’ordinaire des esprits, dit-il, de suivre ces fougues et changements divers, comme le poisson fait la marée. […] Jeune, d’ordinaire on estime l’humanité en masse, et l’on est plutôt de la politique libérale. […] c’est le cercle ordinaire, le manège de l’esprit humain.

99. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Selon Huber, qui avait en Suisse de nombreux moyens d’observation, les esclaves travaillent habituellement avec leurs maîtres à construire la fourmilière ; elles seules en ouvrent les entrées le matin et les referment le soir ; mais, d’ordinaire, leur principale occupation serait la chasse aux Aphis. […] Chaque prisme hexagone fut ainsi construit sur les bords ondulés d’un bassin aplani, au lieu de l’être sur les bords droits des faces d’une pyramide trièdre, comme dans le cas des cellules ordinaires. […] En quelques endroits, des fragments plus ou moins considérables de rhombes avaient été laissés entre les bassins opposés ; mais par suite des conditions anormales dans lesquelles s’était accompli ce travail, il n’avait pu être aussi bien exécuté qu’à l’ordinaire. […] Dans les rayons ordinaires j’ai cru remarquer que parfois le travail avance plus d’un côté que de l’autre, car j’ai trouvé à la base de cellules à peine commencées des cloisons rhomboïdales légèrement concaves du côté où je devais supposer que les Abeilles avaient creusé trop vite, et convexe du côté opposé, où sans doute elles avaient travaillé trop lentement. […] Une Fourmi ouvrière, ou tout autre insecte neutre, se rencontrerait à l’état ordinaire que je n’hésiterais pas un instant à considérer tous ses caractères comme ayant été lentement acquis par sélection naturelle, c’est-à-dire à l’aide de modifications individuelles transmises par voie d’hérédité et accumulées dans la postérité des individus modifiés.

100. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Quand Tallemant des Réaux, par exemple, s’appuyant du manuscrit d’un ancien secrétaire de Du Plessis-Mornay, c’est-à-dire d’un témoignage ennemi, s’amuse à nous conter que tous les soirs, à l’Arsenal, jusqu’à la mort de Henri IV, Sully, déjà arrivé à la cinquantaine, continuait d’aimer si fort la danse « qu’il dansait tout seul avec je ne sais quel bonnet extravagant en tête, qu’il avait d’ordinaire quand il était dans son cabinet », une telle anecdote, qui n’a aucun rapport prochain ni éloigné avec les actes publics de Sully et qui ne saurait être contrôlée, est indigne d’être recueillie par un historien et n’est propre (fût-elle exacte à quelque degré) qu’à déjouer et à dérouter le jugement général, bien loin d’y rien apporter de nouveau. […] On peut regretter en ce style incommode, dans lequel on s’adresse continuellement à lui à la seconde personne, de ne pas trouver l’agrément ni la rapidité des mémoires ordinaires, et de n’y reconnaître qu’à peine le trait d’expression et la marque originale du narrateur ou de l’inspirateur même : mais n’est-ce pas aussi un premier caractère d’originalité, et plus significatif que tous les autres, qu’une telle forme ainsi adoptée et imposée durant une narration si longue ; et n’y voit-on pas déjà le ton et l’étiquette rigoureuse qui régnait dans ce château de Sully quand on s’adressait au maître ? […] Il commence à servir, comme le plus simple soldat, parmi l’infanterie, ce qui n’était pas ordinaire alors aux gentilshommes : à ceux qui l’en voulaient divertir, il répondait qu’il avait à cœur d’apprendre le métier des armes dès ses premiers commencements. […] Pendant une peste ou maladie contagieuse qui avait régné dans le pays de Rosny en 1586, il était venu la visiter, la tranquilliser ; il l’avait trouvée enfuie du château, réfugiée dans celui d’une tante, avec trois ou quatre de ses gens ; et là, s’étant enfermé avec elle, et n’ayant lui-même pour tout monde avec lui qu’un de ses gentilshommes, un secrétaire, un page et un valet de chambre, il demeura tout un mois en compagnie de sa douce moitié, sans être visité de créature vivante, tant chacun fuyait la maison comme pestiférée : Et néanmoins, écrivent les secrétaires, à ce que nous vous avons souvent ouï dire depuis, vous n’avez jamais fait une vie si douce ni moins ennuyeuse que cette solitude, où vous passiez le temps à tracer des plans des maisons et cartes du pays ; à faire des extraits de livres ; à labourer, planter et greffer en un jardin qu’il y avait léans ; à faire la pipée dans le parc, à tirer de l’arquebuse à quantité d’oiseaux, lièvres et lapins qu’il y avait en icelui, à cueillir vos salades, les herbes de vos potages, et des champignons, columelles et diablettes que vous accommodiez vous-même, mettant d’ordinaire la main à la cuisine, faute de cuisiniers ; à jouer aux cartes, aux dames, aux échecs et aux quilles… Et n’allons pas oublier le dernier trait que notre fausse délicatesse supprimerait et qui sent son vieux temps : « à caresser madame votre femme, qui était très belle et avait un des plus gentils esprits qu’il était possible de voir ».

101. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

Or, nous avons vu que l’émotion esthétique est une forme inactive de l’émotion ordinaire, et que chacune de ces dernières peut tour à tour devenir esthétique, et résulter, avec quelque modification, de la vue ou de l’audition d’une œuvre d’art. D’autre part, on ne peut classer les émotions esthétiques sous les différents chefs que l’on applique aux émotions ordinaires, parce que celles-là manquent précisément du caractère sur lequel se basent les classifications rationnelles de celles-ci : le plaisir et la peine5 cq — ou tout au moins ne le possèdent qu’à un degré très faible. […] Sans vouloir nous étendre sur un problème qui ne fait pas partie intégrante de ce travail, nous croyons qu’il faudra à l’avenir distinguer dans l’émotion ordinaire (non plus esthétique) : d’une part, l’excitation, l’exaltation neutre qui la constitue, qui est son caractère propre et constant : de l’autre, un phénomène cérébral additionnel, qui est l’éveil d’un certain nombre d’images de plaisir ou de douleur, venant s’associer au forni originel, le colorer ou le timbrer pour ainsi dire, et produire la peine ou la joie proprement dites, quand elles comprennent le moi comme sujet souffrant et joyeux. […] Les mots « sensation du beau » sembleront donc désigner cette situation d’esprit : excitation intense d’un ou plusieurs sentiments ordinaires ; absence des images positivement c’est-à-dire personnellement douloureuses, qui accompagnent et timbrent d’habitude cette excitation intense ; en d’autres termes, le transport, le heurt de la douleur, sans son amertume ou sa terreur.

102. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Sur l’École française d’Athènes »

On va d’ordinaire étudier la peinture et l’architecture en Italie, c’est bien : la peinture y vit tout entière dans ses chefs-d’œuvre les plus éclatants et les plus accomplis ; l’architecture y règne dans ses plus majestueux développements. […] Si nous n’avons pas à tracer ici de programme à une noble pensée, nous ne prétendons pas non plus en présenter un idéal anticipé ; ce que nous voudrions, ce serait, en remerciant M. de Salvandy de son heureuse initiative, de l’y encourager, si ce mot nous est permis, et de maintenir, pour peu qu’il en fût besoin, l’idée première dans sa libre et large voie d’exécution : ce qui rapetisserait, ce qui réduirait trop cette idée, ce qui la ferait rentrer dans les routines ordinaires, en compromettrait par là même la fécondité et en tuerait l’avenir.

103. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

Mais d’ordinaire tant de causes nous échappent dans les événements humains ; et de celles que nous entrevoyons, un si grand nombre sont inappréciables de leur nature, que leur liaison avec les effets reste nécessairement indéterminée ; que d’un fait à un autre on ne peut assigner souvent d’autre rapport que celui d’être venu avant ou après, et qu’alors ce qu’a de mieux à faire l’historien est de s’en tenir scrupuleusement à l’empirisme d’une narration authentique. […] L’homme, en effet, par les déterminations soudaines dont il est susceptible, peut à tout moment faire intervenir dans les événements auxquels il prend part une force nouvelle, imprévue, variable, qui dans beaucoup de cas en modifie puissamment le cours, et dont en même temps l’ordinaire mobilité ne permet pas l’exacte mesure.

104. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XV »

Le style des débutants, des élèves, des écrivains ordinaires, sera-t-il meilleur, si on leur dit : « Ne corrigez pas, c’est inutile. […] Ce n’est pas précisément le cas des écrivains ordinaires.

105. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome I

Il importe que vous connaissiez les divers réactifs ou les moyens les plus ordinaires dont nous ferons usage pour constater la présence de cette matière dans les différents liquides ou tissus animaux. […] Nous la décolorons par les moyens ordinaires, nous la traitons par notre réactif cupro-potassique ; vous voyez qu’elle ne le réduit pas. […] Au point de vue de la circulation, les mêmes choses se passent : le sang chargé de ce sucre arrive comme à l’ordinaire dans le cœur et de là dans le poumon. […] Le foie d’un canard ordinaire ne m’a présenté que 1,27 pour 100 de matière sucrée. […] L’appareil digestif a été mis à nu : nous prenons un morceau du foie de chacun de ces animaux, et nous le faisons bouillir avec de l’eau ordinaire.

106. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — I » pp. 248-262

Après tous les témoignages rassemblés par Le Dieu, il n’y a plus moyen d’en douter, le caractère ordinaire des discours de Bossuet, tels qu’il les faisait avec une grande abondance de cœur et une appropriation vive de chaque parole à son auditoire, c’était d’être touchants, d’ouvrir les cœurs de tous comme il y ouvrait le sien, de faire couler les larmes, de persuader enfin, grand but de l’orateur. « Comment faites-vous donc, monseigneur, pour vous rendre si touchant ? […] Nous y apprenons en quoi consistait la manière ordinaire essentielle à Bossuet, et en quoi elle différait notablement de celle de Bourdaloue, ou même de Massillon. […] Bossuet n’a rien d’un homme de lettres dans le sens ordinaire de ce mot ; ayant de bonne heure connu ces triomphes de la parole qui ne laissent rien à désirer en satisfactions immédiates et personnelles (s’il avait été disposé à les savourer), s’étant dès sa jeunesse senti de niveau avec la haute renommée qui lui était due, naturellement modéré, et avec, cela habitué à tout considérer du degré de l’autel, on ne le voit rechercher en rien les occasions de se produire par la plume et de briller.

107. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

C’est un cerveau très affiné, un cerveau supérieur depuis qu’il est malade. » Et Xaxier Aubryet, en temps ordinaire strictement homme d’esprit42, atteignait au plus terrible pittoresque dès qu’il peignait ses douleurs : « Je deviens aveugle, disait-il, de jour en jour, je descends dans l’ombre ; j’ai vu, tour à tour, disparaître les barreaux de ma fenêtre puis la vitre elle-même ; et maintenant je n’aperçois plus qu’une tache de lumière lorsqu’elle m’arrive à bout portant ! […] Il se crut perdu, puis dans l’accablement qui l’écrasa, une énergie d’homme acculé le mit sur son séant, lui donna la force d’écrire à son médecin. » Traitement par les lavements nutritifs à la peptone d’abord, puis préparés suivant la formule : Huile de foie de morue 20 grammes Thé de bœuf 200 grammes Vin de Boulogne 200 grammes Jaune d’œuf N°1   « Puis l’estomac se décida à fonctionner », les nausées et les vomissements sont domptés par la bière de gingembre et la potion antiémétique de Rivière et on parvient à lui faire avaler, par les voies ordinaires, un sirop de punch à la poudre de viande. […] Tous les alcaloïdes, la morphine en particulier, ne sont que peu volatils à 250°, température ordinaire à laquelle l’opium bout et s’évapore en dégageant des vapeurs (et non fumée) bleuâtres que le fumeur absorbe.

108. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

« Toute l’opération, dit-il, consiste à découvrir, par des comparaisons nombreuses et des éliminations progressives, les traits communs qui appartiennent à toutes les œuvres d’art, en même temps que les traits distinctifs par lesquels les œuvres d’art se séparent des autres produits de l’esprit humain. » Considérant donc les cinq grands arts, peinture, sculpture et poésie, architecture et musique, se fondant sur des faits que fournissent l’expérience ordinaire, l’histoire des grands hommes, celle des arts et des lettres, observant tantôt l’œuvre de Michel-Ange ou celle de Corneille, tantôt les peintures de Pompéi ou les mosaïques de Ravenne, il fait cette première induction, que l’objet de l’œuvre d’art semble être l’imitation de la nature. […] Les choses au contraire où l’on hésite sur la certitude et qui sont pourtant certaines, sont à l’ordinaire des propositions universelles, dont l’esprit, peu habitué aux abstractions, ne saisit pas clairement la portée et la clarté. […] Dans le passage des principes aux conséquences, il n’est pas ordinaire d’errer : cependant on se trompe parfois, et voici comment.

109. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

Interprète de l’écriture, antécédent ordinaire de la parole audible, expression naturelle et immédiate de la pensée silencieuse, la parole intérieure est toujours au premier rang parmi les facteurs de la vie sociale et de la vie individuelle. […] Dans la conversation, d’ordinaire, on invente peu, on répète plus volontiers ce que l’on a déjà dit, appris ou pensé ; la parole intérieure, au contraire, est le langage de la pensée active, personnelle, qui cherche et qui trouve et s’enrichit par son propre travail ; elle a donc pour mesure chez la plupart des hommes l’énergie et la vivacité de la pensée. […] Les grandes lignes du système de Bonald sont magistralement coordonnées ; les vues de détail par lesquelles il prétend les confirmer sont d’ordinaire inexactes ; elles sont souvent puériles quand elles portent sur la grammaire, l’étymologie, les rapports mystérieux des mots et des idées. […] IV, § 3, 6, 8 ; etc.] ; ces distinctions, disons-le en passant, ne se confondent pas plus entre elles qu’avec celle que nous écartons : car, dans la lecture, par exemple, le mot précède l’idée, et pourtant nous innovons ; et, dans la remémoration verbale, l’idée, d’ordinaire postérieure aux mots, peut quelquefois aider à les retrouver93. […] Il contient sur l’union de la parole et de la pensée une fine et lumineuse esquisse, où la présence ordinaire de la parole intérieure dans la méditation silencieuse est comme montrée à la conscience de chacun de nous en quelques pages limpides et persuasives123.

110. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (2e partie) » pp. 161-239

Il n’est pas non plus soutenu, d’ordinaire l’oiseau se contentant de voltiger d’un buisson ou d’une pierre à l’autre. […] Le seuil, si je puis dire, se compose de brindilles très flexibles, de fortes tiges d’herbe et jeunes pousses, le reste étant feutré de la manière ordinaire. […] Quand le nid repose par terre, sa base et souvent tout l’extérieur se composent de feuilles et de brins de paille ; mais, lorsqu’il est autrement placé, le dehors est d’ordinaire plus lisse, mieux soigné, et principalement formé de mousse. […] Mon chien vint le flairer à plusieurs reprises ; mais, entendant que je lui parlais de mon ton de voix ordinaire, il nous quitta, et se mit à faire ses tours non loin de nous, prêt à revenir au premier coup de sifflet. […] La venaison et les pommes de terre avaient un air bien tentant, et j’étais dans une position à trouver excellent un ordinaire beaucoup moins savoureux.

111. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Nous le voyons nous-mêmes, le zèle d’avant-garde, l’ardeur de l’escarmouche a emporté l’abbé de Pons, et lui, d’ordinaire poli, il a de gros mots. […] S’il était besoin d’expliquer d’ailleurs cette indignation d’un homme d’esprit et philosophe envers un si misérable adversaire, et la forme sous laquelle elle se produisit, il faut se rappeler que le livre de Gacon avait paru avec l’approbation d’un censeur, l’abbé Couture, approbation donnée dans les termes ordinaires : « J’ai lu par ordre de Mgr le chancelier, etc. […] Rendant hommage au mérite de M. de La Motte, qu’il ne craint pas d’appeler, « de l’aveu de tout le monde littéraire, un des premiers hommes de son siècle », l’abbé de Pons s’exprimait en paroles bien senties et moins contestables sur son caractère moral et ses vertus de société : Cette supériorité24, disait-il, est d’ordinaire compagne de l’orgueil immodéré ; mais le souverain éloge de M. de La Motte, c’est d’avoir su allier aux talents les plus éminents la plus modeste opinion de lui-même ; c’est de n’avoir jamais cherché dans les ouvrages de ses rivaux que le beau pour le protéger, et de s’être imposé un silence religieux sur les fautes dont il aurait pu triompher. […] J’ose assurer que nous ferons plus de progrès dans une année, que l’on n’en fait pour l’ordinaire dans tout le long cours des humanités.

112. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Il a fait, sans se douter qu’il en faisait, des transpositions d’art étonnantes pour le temps : il a rendu par des mots, dans des vers, des effets qu’on demande d’ordinaire au burin ou au pinceau. […] Pardonnons-lui d’avoir usé de l’alexandrin classique, coupé à l’hémistiche, et qui proscrit l’hiatus et l’enjambement : il a du reste varié ses coupes plus qu’on ne le remarque d’ordinaire. […] Ce « naturalisme », c’était précisément ce qui manquait aux victimes des Satires, dont l’ordinaire défaut était de déformer la nature ou de l’exclure. […] Il ne faut pas par conséquent attacher trop de sens, ni un mauvais sens, à toutes les expressions de Boileau qui nous semblent des dérogations à la probité ordinaire de son naturalisme.

113. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre V : Rapports du physique et du moral. »

Ce problème, au sens où on l’entend d’ordinaire, est fatalement insoluble, puisqu’on se borne à opposer deux substances inconnues l’une à l’autre, à se demander comment l’esprit (qu’on ne connaît pas) peut agir sur la matière (qu’on ne connaît pas). […] La seule difficulté réelle des rapports entre l’esprit et le corps, c’est qu’il est impossible, contradictoire, de concevoir cette union sous la forme de l’étendue (puisqu’il nous est impossible de penser à l’esprit, sans nous placer en dehors du monde de l’espace) ; et que, d’autre part, toutes les unions ordinaires nous sont données sous la forme d’une connexion dans l’espace.

114. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XV. Des ouvrages sur les différentes parties de la Philosophie. » pp. 333-345

Ce seroit, dit-il, une immense carriere à fournir que la lecture de tous les ouvrages qui se rapportent à la Philosophie, & parmi ces ouvrages, il y en a beaucoup qui sont fort au-dessus de la portée des lecteurs ordinaires. […] in-8°. qui peuvent suffire aux lecteurs ordinaires.

115. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 14, comment il se peut faire que les causes physiques aïent part à la destinée des siecles illustres. Du pouvoir de l’air sur le corps humain » pp. 237-251

Non-seulement la fermentation qui prépare un orage agit sur notre esprit, de maniere qu’il devient pesant et qu’il nous est impossible de penser avec la liberté d’imagination qui nous est ordinaire, mais cette fermentation corrompt même les viandes. […] Comme nous changeons d’air en voïageant, à peu près comme nous en changerions si l’air du païs où nous vivons s’altéroit, l’air d’une contrée nous ôte une partie de notre appetit ordinaire, et l’air d’une autre contrée l’augmente.

116. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 14, de la danse ou de la saltation théatrale. Comment l’acteur qui faisoit les gestes pouvoit s’accorder avec l’acteur qui récitoit, de la danse des choeurs » pp. 234-247

Ce fut lui et non pas des Brosses ou Beauchamps, dont Lulli se servoit pour les ballets ordinaires, qui composa les ballets de la pompe funébre de Psyché et de celle d’Alceste. […] Il n’y entroit point un seul pas de notre danse ordinaire.

117. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome II

Au bout de quelques instants de contact à la température ordinaire, on filtra les deux mélanges. […] Si l’on prend au contraire une glande parotide, l’eau conservera sa fluidité ordinaire. […] Dans de l’eau ordinaire, j’ai mis de la fibrine, du gluten, qui sont insolubles dans l’eau froide. […] Tout le reste de l’expérience se passa comme à l’ordinaire, et le chien guérit. […] La plaie fut recousue comme à l’ordinaire.

118. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre II. Principale cause de la misère : l’impôt. »

En général, dans les pays de grandes fermes, le propriétaire touche 10 livres par arpent si la culture est très bonne, 3 livres si elle est ordinaire. […] En Champagne, sur 100 livres de revenu, le contribuable paye 54 livres 15 sous à l’ordinaire et 71 livres 13 sous dans plusieurs paroisses660. […] Dans la Haute-Guyenne662, « tous les fond de terre sont taxés, pour la taille, les accessoires et les vingtièmes, à plus du quart du revenu, déduction faite seulement des frais de culture, et les maisons au tiers du revenu, déduction faite seulement des frais de réparation et d’entretien ; à quoi il faut ajouter la capitation, qui prend environ un dixième du revenu, la dîme qui en prend un septième, les rentes seigneuriales, qui en prennent un autre septième, l’impôt en remplacement de la corvée, les frais de recouvrement forcé, saisies, séquestres et contraintes, les charges locales ordinaires et extraordinaires. […] En Toulousain665, à Saint-Pierre de Bajourville, le moindre journalier, n’ayant que ses bras pour vivre et gagnant dix sous par jour, paye huit, neuf, dix livres de capitation. « En Bourgogne666, il est ordinaire de voir un malheureux manœuvre, sans aucune possession, imposé à dix-huit ou vingt livres de capitation et de taille. » En Limousin667, tout l’argent que les maçons rapportent en hiver sert à « payer les impositions de leur famille ». […] Tant pis pour lui s’il n’a pas de quoi payer ce sel supplémentaire ; il n’a qu’à vendre sa bête et s’abstenir de viande à Noël ; c’est le cas le plus fréquent, et j’ose dire que, pour les métayers à vingt-cinq francs par an, c’est le cas ordinaire. — Défense d’employer pour pot et salière un autre sel que celui des sept livres. « Je puis citer, dit Letrosne, deux sœurs qui demeuraient à une lieue d’une ville où le grenier n’ouvre que le samedi.

119. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Si l’homme s’abandonnait au mouvement de sa nature sensible, s’il n’y avait ni loi sociale ni loi morale, ces explosions de sentiments violents seraient l’ordinaire de la vie. […] D’ordinaire, ce genre de comique est assez grossier. […] Tel est le mécanisme ordinaire de l’illusion du rêve. […] D’ordinaire, l’un des personnages est le dormeur lui-même. […] Ou bien encore il aura conscience de parler et d’agir comme à l’ordinaire ; seulement il parlera de lui comme d’un étranger avec lequel il n’a plus rien de commun ; il se sera détaché de lui-même.

120. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal de Dangeau. tomes III, IV et V » pp. 316-332

Tout son monde de Versailles est là, même Racine, le gentilhomme ordinaire, qui prend ses notes pour l’histoire dont il est chargé et qu’il n’écrira pas ; on a de lui une lettre intéressante à Boileau, aussi exacte et circonstanciée que peut l’être la relation de Dangeau lui-même. […] M. de Barbezieux est malade depuis quelques jours, et le roi travaille encore plus qu’à son ordinaire. […] Parti de Versailles le 18 mai 1693 pour l’armée de Flandre, Louis XIV, plus lent qu’à l’ordinaire, n’ayant rien arrêté de précis et s’étant, trouvé pendant quelques jours malade au Quesnoy, fait mine de s’avancer du côté de Liège ; puis tout d’un coup, le 9 juin, au camp de Gembloux, il déclare qu’il s’cn retourne à Versailles.

121. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Quinze ans d’ordinaire font une carrière ; il est donné à quelques-uns de la doubler, d’en recommencer ou même d’en remplir une seconde. […] Quoi de plus ordinaire en public que la profession et l’affiche de tous les sentiments nobles, généreux, élevés, désintéressés, chrétiens, philanthropiques ? […] Le disciple, d’ordinaire, charge, ou parodie le maître sans s’en douter : dans les écoles élégantes, il l’affaiblit ; dans les écoles pittoresques, et crues, il le force, il l’accuse à l’excès et l’exagère : c’est un miroir grossissant.

122. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Cette suite de notes et d’analyses, bien que décousues d’ordinaire et tout à bâtons rompus, représente donc bien les événements et les faits dans leur expression la plus précise et avec un parfait caractère d’authenticité. […] Le progrès, la grandeur et la décadence se suivent de près et sont d’ordinaire renfermés dans le cercle de trois générations. […] Le temple démoli, et privés de leurs ministres ordinaires, qui étaient relégués, par ordre, au moins à six lieues de là, les protestants de Montauban se voyaient obligés d’envoyer leurs enfants à quelque ville voisine pour y être baptisés, et souvent ces nouveau-nés mouraient en chemin.

123. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite et fin.) »

Il est bien dommage que cette réputation de chevaleresque fût bornée à la bravoure un jour d’action, et qu’elle se crût compatible avec des actes si vilains dans la conduite ordinaire de la vie. […] Trois ou quatre jours auparavant, le maréchal de Belle-Isle, ministre de la guerre, ayant reçu un courrier du comte de Clermont, qui n’apportait que des détails sur la position de l’armée, jugea pourtant devoir en rendre compte immédiatement au roi ; il le trouva dans la cour du château, déjà en carrosse, prêt à partir pour le pavillon de Saint-Hubert, et il n’hésita pas à faire arrêter le carrosse pour donner les lettres à lire : « Cela dura un demi-quart d’heure, nous dit M. de Luynes, et fit un spectacle, car il n’est pas ordinaire de voir un secrétaire d’État, ni qui que ce soit, faire arrêter les carrosses du roi, et c’est peut-être la première fois que cela est arrivé, au moins depuis longtemps. » Une victoire, en effet, eût été un grand soulagement après une aussi triste campagne, et, sans réparer les fautes, elle les eût couvertes ; l’honneur du comte de Clermont eût été sauvé. […] « Le roi lui dit qu’il le trouvait maigri ; il lui parla de sa santé, de la ville de Cologne, de l’élection du pape ; enfin il fit la conversation avec lui pendant trois quarts d’heure comme à l’ordinaire. » Roi et prince du sang, voilà des gens assurément d’humeur commode et sans bile : je ne les en félicite pas.

124. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

J’en sais, dans ce temps-ci, un assez grand nombre, de distingués et même d’assez ordinaires, simples majors ou caporaux déjà vieillis dans le régiment dont ils ne seront jamais colonels. […] Si ces hommes, je parle des plus ordinaires, se hasardent à la prose, au roman, à l’histoire, à l’éloge académique, que sais-je ? […] Dans les Ternaires, à travers bien des rayons et des élans, d’ordinaire une poésie virile se fortifie et se complique d’une pensée consommée.

125. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 16, des pantomimes ou des acteurs qui joüoient sans parler » pp. 265-295

Elle en étoit plus propre à joüer le sujet, c’est-à-dire, suivant ma conjecture, le chant noté des vers, ou la déclamation qui se récitoit dans les représentations ordinaires : car on voit par un passage de Cassiodore rapporté ci-dessous que la flute dactilica étoit soutenuë par d’autres instrumens qui servoient apparemment de basse continuë à son chant. […] Lucien dit dans son traité de la danse, que le masque du pantomime n’avoit pas une bouche béante comme les masques des comédiens ordinaires, et qu’il étoit beaucoup plus agréable. […] Comme les pantomimes étoient dispensez de rien prononcer, et comme ils n’avoient que des gestes à faire, on conçoit aisément que toutes leurs démonstrations étoient plus vives, et que leur action étoit beaucoup plus animée que celle des comédiens ordinaires.

126. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

On peut critiquer cette distinction ; car, d’ordinaire, la passion ne s’éveille pas sans susciter à quelque degré l’imagination, et, réciproquement, il n’est pas d’imagination sans quelque passion. […] Pour l’ordinaire, la divinité des faits de sa vie intérieure n’était qu’une théorie née dialectiquement des principes de sa philosophie ; c’était une conclusion, ce n’était pas une évidence. […] Nous croyons en conséquence que le veto divin, sous sa forme la plus ordinaire, n’était autre chose qu’un sentiment vif et inexpliqué d’éloignement que Socrate éprouvait subitement pour l’action qu’il se préparait à faire ou pour les paroles qu’il allait prononcer ; alors le nom véritable du phénomène était l’empêchement divin, […] ; mais est-il possible qu’il se produisit toujours sans être jamais exprimé intérieurement, ne fût-ce que par un monosyllabe comme notre mot non ? […] Le faux aparté traduit en langage extérieur une parole qui devrait rester intérieure ; le véritable consiste d’ordinaire à dire à mi-voix, par peur, ce qu’on voudrait, par amour-propre, crier à très haute voix. […] Il reste donc vrai que la parole intérieure animée est la transition ordinaire de la parole intérieure calme à la parole extérieure, et de celle-ci à la parole intérieure calme.

127. (1911) Psychologie de l’invention (2e éd.) pp. 1-184

Un esprit parfait, entièrement coordonné, n’inventerait plus au sens ordinaire du mot. […] Le sentiment est une des conditions ordinaires de l’idée créatrice, et les lois de la psychologie générale permettaient de le prévoir. […] On trouve chez de très grands esprits des côtés très ordinaires. […] Les actes ordinaires de la vie s’enchaînent à peu près automatiquement, comme les idées habituelles s’associent sans peine et sans trouble. […] Tout au moins, cela n’est pas très ordinaire.

128. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 37, des défauts que nous croïons voir dans les poëmes des anciens » pp. 537-553

Tite-Live raconte que les champions ne furent pas des gladiateurs ordinaires pris chez le marchand, mais des barbares dont peut-être Scipion étoit bien aise de se défaire, et qui se battirent l’un contre l’autre par differens motifs. […] Ce qui étoit ordinaire de leur temps, ce qui est commun dans leur patrie, peut paroître blesser la vraisemblance et la raison, à des censeurs qui ne connoissent que leur temps et leur païs.

129. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 15, observations concernant la maniere dont les pieces dramatiques étoient représentées sur le théatre des anciens. De la passion que les grecs et les romains avoient pour le théatre, et de l’étude que les acteurs faisoient de leur art et des récompenses qui leur étoient données » pp. 248-264

L’opera des bamboches, de l’invention de la grille, et qui fut établi à Paris vers l’année mil six cens soixante et quatorze, attira tout le monde durant deux hyvers, et ce spectacle étoit un opera ordinaire, avec la difference, que la partie de l’action s’executoit par une grande marionnette, qui faisoit sur le théatre les gestes convenables aux récits que chantoit un musicien, dont la voix sortoit par une ouverture ménagée dans le plancher de la scéne. […] Quand on est accoutumé une fois à faire une chose plus difficile que les fonctions ordinaires de son emploi, on en remplit mieux et de meilleure grace ces fonctions.

130. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Avant-propos de la septième édition »

Ce que l’on tient d’ordinaire pour une plus grande complication de l’état psychologique nous apparaît, de notre point de vue, comme une plus grande dilatation de notre personnalité tout entière qui, normalement resserrée par l’action, s’étend d’autant plus que se desserre davantage l’étau où elle se laisse comprimer et, toujours indivisée, s’étale sur une surface d’autant plus considérable. Ce qu’on tient d’ordinaire pour une perturbation de la vie psychologique elle-même, un désordre intérieur, une maladie de la personnalité, nous apparaît, de notre point de vue, comme un relâchement ou une perversion de la solidarité qui lie cette vie psychologique à son concomitant moteur, une altération ou une diminution de notre attention à la vie extérieure.

131. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Et ses farces pratiques dans la vie ordinaire ! […] On me l’exposait ainsi tout récemment : « D’ordinaire, les étrangers quittent Paris sous le coup d’une fausse impression. […] Il y a beaucoup plus de véritable humanité dans un vieux soldat qu’on ne le croit d’ordinaire. […] Personne, si ce n’est des gens mal élevés, n’oserait railler aujourd’hui la piété dans la conversation ordinaire. […] Ce qui est factice se manifeste sous forme de réclame ; et d’ordinaire les sentiments profonds se dissimulent.

132. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Rupture et fuite parce qu’il lui manque, à un degré paradoxal, ce qui d’ordinaire forme ici un contrepoids, le don oratoire. […] Et le même titre, en son sens ordinaire, avertit, c’est-à-dire détourne le lecteur, ordinaire aussi, le prévient, comme une étiquette appliquée, que l’usage du livre lui est lointainement externe : afin que nul pli dans les roses de son contentement et dans la conscience de sa raison saine ne froisse ce passant, l’auteur assume tout le ridicule de la divergence et la met entière sur le compte de sa propre folie. […] Ainsi, d’ordinaire, dans la prose de Mallarmé. […] L’ironie, qui faisait une des ressources ordinaires de son génie, d’habitude se dissimule et se fond dans l’allusion. […] Comme un homme, au demi-réveil, fait d’un mauvais songe, il essaie de la résoudre dans sa logique ordinaire, de la situer et de la dégrader dans les plans réguliers de son esprit.

133. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Tout cela bien aprétié, n’est qu’une imagination heureuse, mais qui pour l’ordinaire nuit au jugement, à mesure qu’elle est forte et dominante. […] Il faut purger leur éducation de la contradiction ordinaire qui y regne. […] Découvrons ici quelques artifices ordinaires à ceux qui disputent. […] La voilà legislatrice malgré sa modestie ordinaire qui ne se propose que de maintenir les régles établies par les autres. […] L’exemple de ces deux excès n’est que trop ordinaire.

134. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Le véritable galant homme ne devrait être qu’un honnête homme un peu plus brillant ou plus enjoué qu’à son ordinaire, un honnête homme dans sa fleur. […] Les jeunes gens qui ne sont pas encore faits, pour l’ordinaire n’ont pas le bon air, ni même de certains agréments de maître. » Le chevalier revient plus d’une fois sur cette idée que « ce qu’on appelle le goût bon, il ne faut pas l’attendre des jeunes gens, à moins qu’ils n’y soient extrêmement nés ou que l’on n’ait eu grand soin de les y élever. » Les jeunes gens, par une impétuosité naturelle, vont d’abord à ce qui leur paraît le plus nécessaire, et le reste les touche fort peu. […] Il faut longtemps jouir de ce plaisir-là pour aimer toujours, car on ne se plaît guère à recevoir ce qu’on n’a pas beaucoup désiré, et quand on l’a de la sorte, on s’accoutume à le négliger, et d’ordinaire on n’en revient plus. » Pour le coup, on reconnaît, tissez bien, ce me semble, le maître de Mme de Maintenon ; et qui donc sut mettre en pratique, comme elle, cet art de douce et puissante lenteur ? […] Cela l’obligea de me laisser jusqu’à l’âge de vingt-deux ans au collège, et lorsque j’en fus sorti, je connus par expérience qu’excepté le latin que j’étois bien aise de savoir, tout ce qu’on m’avoit appris m’étoit non-seulement inutile, mais encore nuisible, à cause que je m’étois accoutumé à parler dans les disputes sans entendre ni ce qu’on me disoit, ni ce que je répondois, comme c’est l’ordinaire. […] Les personnes qui en usent trop souvent, et d’ordinaire pour ne rien dire, leur ont donné cette aversion ; mais encore qu’il se faille soumettre au jugement et même à l’aversion de ces dames, je crois pourtant que l’on ne feroit pas mal de s’en rapporter quelquefois à tant d’excellents hommes qui jugent sainement et sans caprice, et qui sont assemblés depuis si longtemps pour décider du langage. » Il aurait eu voix au chapitre en bien des cas, s’il avait siégé parmi ces excellents hommes.

135. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

C’est la même chose dans la carrière de la littérature : la décision des connaisseurs peut seulement avoir un effet plus lent, parce qu’elle se trouve d’ordinaire traversée d’un trop grand nombre de décisions injustes et bruyantes. […] Pour se convaincre de ce que j’avance sur l’opinion peu relevée qu’on se forme communément dans le monde de l’état des gens de lettres, il suffira de faire attention à l’espèce d’accueil qu’ils y reçoivent pour l’ordinaire. […] La forme trop ordinaire de nos épîtres dédicatoires est une des choses qui ont le plus avili les lettres. […] Mais les hommes sont si attentifs à saisir tout ce qui peut leur donner de la supériorité sur leurs semblables, qu’un bienfait accordé est regardé pour l’ordinaire comme une espèce de titre, une prise de possession de celui qu’on oblige, un acte de souveraineté dont on abuse pour mettre quelque malheureux dans sa dépendance. […] Ils n’ont pas même pour l’ordinaire de plus grands ennemis que ceux qui ont fait fortune par les lettres ou par l’apparence des lettres.

136. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Une Providence indulgente la servit encore en préservant ses dernières années de l’isolement qui d’ordinaire les accompagne. […] Le jeune homme est souffrant de santé, et pourtant, le soir d’ordinaire, en rentrant, il joue de la flûte. […] Aussi, malgré la bonne disposition du maître et des sujets, les choses se sont-elles passées à peu près comme à l’ordinaire, et, de retour à Madrid, chacun est rentré volontiers dans ses habitudes, les uns reprenant avec leur logement le droit de commander, les autres l’obligation d’obéir247. » Et les réflexions qui suivent sont d’une parfaite et triste justesse : « Au fond, ma sœur, le cérémonial des cours, dont on se plaint souvent, a, ce me semble, quelque chose d’utile et même de moral. […] Elle s’exagérait un peu l’accès de la religion, la difficulté des œuvres, la nécessité des épreuves peu ordinaires ; le respectable ecclésiastique la rassurait. […] Un jour, à je ne sais quelle occasion, et à Saint-Cloud, je crois, l’Empereur avait fait venir, pour jouer, les comédiens des petits théâtres, et il permettait, il désirait que ce fût plus gai que ne le sont d’ordinaire les spectacles de cour.

137. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

De là deux choses ordinaires : La renommée croit dans sa marche ; elle perd sa force pour ce qu’on voit de près (fama crescit eundo ; minuit præsentia famam). […] Il nous reste deux grands débris des antiquités égyptiennes ; 1º Les Égyptiens divisaient tout le temps antérieurement écoulé en trois âges, âge des dieux, âge des héros, âge des hommes ; 2º Pendant ces trois âges, trois langues correspondantes se parlèrent, langue hiéroglyphique ou sacrée, langue symbolique ou héroïque, langue vulgaire ou épistolaire, celle dans laquelle les hommes expriment par des signes convenus les besoins ordinaires de la vie. […] Le plus sublime effort de la poésie est d’animer, de passionner les choses insensibles. — Il est ordinaire aux enfants de prendre dans leurs jeux les choses inanimées, et de leur parler comme à des personnes vivantes. — Les hommes du monde enfant durent être naturellement des poètes sublimes. […] Passage précieux de Lactance, sur l’origine de l’idolâtrie : Rudes initio domines Deos appellarunt, sive ob miraculum virtutis (hoc verò putabant rudes adhuc et simplices) ; sive, ut fieri solet, in admirationem præsentis potentiæ ; sive ob beneficia, quibus erant ad humanitatem compositi  ; au commencement, les hommes encore simples et grossiers divinisèrent de bonne foi ce qui excitait leur admiration, tantôt la vertu, tantôt une puissance secourable (la chose est ordinaire), tantôt la bienfaisance de ceux qui les avaient civilisés. […] Les Gentils eurent seulement les secours ordinaires de la Providence, les Hébreux eurent de plus les secours extraordinaires du vrai Dieu, et c’est le principe de la division de tous les peuples anciens en Hébreux et Gentils.

138. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Bolingbroke, parlant d’un écrit de Pope (son Essai sur l’Homme, je crois) et du bien qui pouvait en résulter pour le genre humain, écrivait à Swift (6 mai 1730) : « J’ai pensé quelquefois que si les prédicateurs, les bourreaux et les auteurs qui écrivent sur la morale, arrêtent ou même retardent un peu les progrès du vice, ils font tout ce dont la nature humaine est capable ; une réformation réelle ne saurait être produite par des moyens ordinaires : elle en exige qui puissent servir à la fois de châtiments et de leçons ; c’est par des calamités nationales qu’une corruption nationale doit se guérir. » Voilà encore une de ces paroles qui serviraient bien d’épigraphe et de devise à une histoire de la Révolution française. […] voici du reste ma remarque de lecteur dans toute sa simplicité et sa sincérité : « Je suis pour le moment en plein Louis XIV, je lis les Négociations d’Espagne publiées par M.Mignet ; je vois de près l’ordinaire et le tous-les-jours de ce grand style que nous sommes accoutumés sans cesse à glorifier d’après quelques échantillons. […] mais en réalité nous ne nous arrangerions pas mieux, si nous y étions condamnés, de l’ordinaire du style écrit de ce temps-là que de l’ordinaire du régime politique de ce grand règne. — Cela est très-vrai. » (Longueur rebutante de phrases et enchevêtrement continuel, amphibologie de sens, manque de précision, de netteté, etc., etc.)

139. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Enfin tout le monde sait combien les vrais artistes sont sobres à l’ordinaire de considérations générales, et qu’ils ne se lancent pas à l’ordinaire dans les hauteurs nuageuses de l’esthétique : ils laissent le développement littéraire aux littérateurs, et soit en enseignant, soit en jugeant, ils se jettent de prime abord dans la technique : ce n’est pas qu’elle soit tout pour eux. […] En réduisant la raison au respect de la nature, Boileau ne perd pas de vue, autant qu’il semble, le sens ordinaire et familier du mot. […] Quand le poète exprime les choses telles qu’il les sent et les souffre, non telles qu’elles sont, c’est cette altération, cette amplification même des impressions ordinaires et communes, qui est significative, et qui est vraie d’une vérité universelle.

140. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Ce qu’était Buffon dans l’habitude de la vie, dans le train et le ton ordinaire de sa pensée, on le sait à présent, et l’on peut s’en faire une idée exacte, sans exagération, sans caricature. […] Il est manifeste qu’en les écrivant (à part un petit nombre de cas solennels qui tranchent sur le sans-gêne ordinaire), il n’avait aucune arrière-pensée de publicité non plus qu’aucune recherche d’agrément : il croyait n’écrire que pour l’ami à qui il s’adressait, sur ce qui l’occupait dans le moment, sur ses affaires, ses intérêts, ses affections. […] Je sais qu’il faut faire la part de ce qui a été perdu, de ce qui ne s’est point transmis ; mais des hommes célèbres du siècle avec lesquels on le compare d’ordinaire, il en est peu avec qui Buffon paraisse avoir été en commerce habituel de lettres.

141. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LE COMTE MOLÉ (Réception à l’Académie.) » pp. 190-210

Mais ces petits groupes très-mobiles, et formés d’ordinaire à l’encontre d’une seule personne, n’avaient rien de persistant ; ce n’étaient pas des partis. […] La seconde édition des Essais de Morale et de Politique (1809) contenait de plus une Vie de Mathieu Molé, où se mêlent avec convenance, à une manière nette et tout à fait saine, quelques traits d’imagination et de sentiment : « Pendant que Troie était en flammes, écrit l’auteur en commençant, peu de gens ont imité le pieux Énée ; pour moi, moins heureux que lui, je n’ai pu sauver mon père, mais je ne me suis jamais séparé de mes dieux domestiques. » Les dernières pages offrent quelque chose de méditatif, une sorte de reflet détourné, mais sensible, du jeune contemporain de René : « Au terme de sa carrière, dit-il de son grand-aïeul, on ne vit point se réveiller en lui ces regrets si ordinaires aux vieillards. […] Perrault, qui mettait les modernes si fort au-dessus des anciens, comptait parmi les plus beaux avantages de son siècle cette cérémonie académique dont il était le premier auteur : « On peut assurer, dit-il, que l’Académie changea de face à ce moment : de peu connue qu’elle étoit, elle devint si célèbre qu’elle faisoit le sujet des conversations ordinaires. » Les Grecs avaient les jeux olympiques, les Espagnols ont les combats de taureaux, la société française a les réceptions académiques.

142. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Molière, penseur profond, triste au dedans, ayant hâte de sortir de lui-même et d’échapper à ses peines secrètes, sera cette fois d’un comique plus grave ou plus fou qu’à l’ordinaire. […] Il faut espérer que, quand elle verra la mort de plus près, elle changera de langage comme font d’ordinaire la plupart de ces gens qui font tant les fiers quand ils se portent bien. […] Le procédé en est d’ordinaire analytique et abstrait ; chaque personnage principal, au lieu de répandre sa passion au dehors en ne faisant qu’un avec elle, regarde le plus souvent cette passion au dedans de lui-même, et la raconte par ses paroles telle qu’il la voit au sein de ce monde intérieur, au sein de ce moi, comme disent les philosophes : de là une manière générale d’exposition et de récit qui suppose toujours dans chaque héros ou chaque héroïne un certain loisir pour s’examiner préalablement ; de là encore tout un ordre d’images délicates, et un tendre coloris de demi-jour, emprunté à une savante métaphysique du cœur ; mais peu ou point de réalité, et aucun de ces détails qui nous ramènent à l’aspect humain de cette vie.

143. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mme de Graffigny, ou Voltaire à Cirey. » pp. 208-225

Croyez-en ma parole, le monde entier se renverserait plutôt, que la constance de mon étoile à me persécuter. » Ce sentiment habituel du malheur s’exprime quelquefois chez elle par des mots touchants, qui se font remarquer au milieu d’un langage dont le ton ordinaire n’était pas toujours très distingué. […] Il y a des jours où l’on sort pourtant de ce train ordinaire de Cirey, et où il y a gala, représentation, fête à grand orchestre. […] Collé, qui passe pour caustique, parle mieux de Mme de Graffigny mourante : « Sa mort m’a été très sensible, écrit-il dans son Journal ; elle était du petit nombre des personnes que je m’étais réservé de voir depuis que je ne vais plus dans le monde. » Il paraît que, dans le monde et dans les salons, Mme de Graffigny ne portait qu’un esprit assez ordinaire et même commun ; elle n’avait toute sa valeur et son mérite que dans l’intimité.

144. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Et ces métamorphoses dépassent les limites du jeu ordinaire ; la feinte risque à tout moment de devenir réalité : il arrive que le hardi chasseur, à l’affût derrière un tronc d’arbre, soit pris de panique, à entendre le rugissement du tigre qui s’approche et qu’il s’enfuie en courant vers les genoux de sa bonne. […] La même incompétence motive ses jugements : impuissant à concevoir les raisons des opinions les plus ordinaires, à ressentir les goûts les plus simples, il se prévaut de cette impuissance pour se targuer de sublimité. […] Son souci est de ne point penser selon les modes ordinaires car il ignore que les hommes ne diffèrent pas entre eux par leurs opinions qui sont marchandises communes, mais par les raisons, selon qu’elles sont superficielles ou profondes, ’grossières ou délicates, qui les persuadent de ces opinions.

145. (1887) La banqueroute du naturalisme

Zola : que le fumier ne sent pas bon ; que si l’on boit trop de vin ou de cidre, on se grise ; qu’il est arrivé quelquefois à la grêle de hacher les blés ; qu’il est plus dur de moissonner que de cracher dans un puits pour y faire des ronds ; que, d’ailleurs, ce ne sont point des clubmen qui hantent d’ordinaire les cabarets de village ; et que le paysan aime âprement la terre. […] Zola, mais à quelques-uns aussi de ses disciples, les vaudevillistes qu’ils étaient, on me permettra de ne revenir ici ni sur le choix de leurs sujets ordinaires, qui appartiennent plutôt au répertoire du Palais-Royal, ni sur leur façon de les traiter, qui ressemble à celle d’un Paul de Kock lugubre et pédant, ni sur leur goût à tous pour la caricature et surtout pour l’équivoque. […] Mais chez nous, ils éveillent, aussitôt qu’entendus, toute une série d’images bien autrement déplaisantes qu’eux-mêmes ; ils nous transportent avec eux dans leur milieu d’origine, qui n’est pas d’ordinaire le milieu même où on les emploie couramment ; ils associent enfin les sentimens qu’ils sont censés traduire à des sentimens souvent très éloignés de ceux du personnage que le romancier fait parler.

146. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

L’emploi du style régulier et des mots généraux contribuait encore à effacer l’originalité des idées ; souvent une remarque ordinaire, écrite en style familier ou tournée en manière de paradoxe, amuse ; mais alors le tour familier eût paru bas, et le tour paradoxal eût semblé choquant. […] Au contraire, priez un lecteur ordinaire de lire l’histoire de Mme de Sablé et de Mme de Longueville ; l’expérience est aisée, et je l’ai faite : il n’emportera qu’une impression vague ; il ne pourra dire exactement quel fut l’esprit de cette époque ; il saura seulement que, selon M.  […] On est transporté à l’instant à mille lieues des idées ordinaires.

147. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre IV. Moyens de déterminer les limites d’une période littéraire » pp. 19-25

Du moins Voltaire semble-t-il avoir entrevu que les variations du goût littéraire se lient aux grands événements politiques, et aussi que dans une monarchie absolue la disparition du souverain est d’ordinaire le signal d’une réaction contre les idées et les pratiques du règne précédent. […] Rien de bruyant qui sorte du train ordinaire des événements.

148. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « V. Saint-René Taillandier »

Taillandier les procédés ordinaires ? […] Taillandier son train-train de critique ordinaire, et cette partie du livre n’a plus pour noué le même intérêt.

149. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Ranc » pp. 243-254

C’est, pour le fond, la crânerie ordinaire, illusionnée et bête, de toutes les conspirations. […] Mais elle obéissait si peu a une vocation, que le roman qu’elle a songé tout d’abord à faire n’est ni de fantaisie, ni de sentiment, ni d’observation, mais un roman politique qui se rapprochait de ses préoccupations ordinaires.

150. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

Le premier de ces trois discours est l’Apologie ; qu’on se peigne un vieillard de soixante-dix ans, qui toujours a été vertueux et juste, paraissant dans les tribunaux pour la première fois ; intrépide et simple devant ses juges, comme il l’était dans les actions ordinaires de sa vie, dédaignant l’artifice et les vains secours de l’éloquence, n’en connaissant d’autre que la vérité, et jurant de parler son langage jusqu’au dernier moment, priant ses juges avec l’autorité d’un vieillard et d’un homme de bien, d’examiner si ce qu’il va leur dire est juste ou ne l’est pas, parce que c’est là leur fonction, comme la sienne est de dire la vérité, parlant de ses accusateurs sans colère comme sans dédain, du reste, tranquille sur son sort, qu’il soit condamné ou qu’il soit absous, abandonnant à Dieu le succès, et se justifiant pour obéir à la loi : tel paraît Socrate dans son début. […] « Et moi aussi, dit Socrate, j’ai une famille, j’ai trois fils, dont l’un est sorti de l’enfance et les deux autres ont encore besoin des secours de leur père ; je n’en ferai cependant paraître aucun pour vous attendrir, et ce n’est ni par mépris ni par orgueil, ces sentiments ne peuvent entrer dans le cœur de Socrate ; mais la gloire de ses juges, la sienne, celle de la république lui défendent de donner un tel exemple, à son âge surtout, et avec le nom qu’il porte ; car, dit-il, que ce nom soit mérité ou ne le soit pas, on est persuadé que Socrate est au-dessus des hommes ordinaires.

151. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

Cette définition n’a pas dans l’usage ordinaire des Grammairiens, toute l’étendue qui lui convient effectivement. […] La construction usuelle est donc simple ou figurée : simple, quand elle suit sans écart le procédé ordinaire de la langue ; figurée, quand elle admet quelque façon de parler qui s’éloigne des lois ordinaires. […] Il n’y a point là d’hypallage ; car sopitos, selon la construction ordinaire, se rapporte à ignes. […] Cela est si ordinaire, qu’il ne passe pas pour figure, mais pour une propriété de la langue latine. […] (Gramm.) c’est une façon de parler éloignée des usages ordinaires, ou des lois générales du langage, adaptée au génie propre d’une langue particuliere.

152. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Pendant trois longs actes, la vie ordinaire suit son cours, et le drame est pour ainsi dire abandonné à l’action humaine. […] Comment a-t-il réussi à rendre obéissantes toutes ces opinions contradictoires, d’ordinaire récalcitrantes et tyranniques ? […] L’effet ordinaire du sentiment de la justice est de suspendre en nous le respect et l’amour ; Dante renverse cette loi ordinaire de notre nature. […] Le touriste moderne est bien d’ordinaire le personnage le plus banal et le plus servile qu’il y ait au monde. […] D’ordinaire, la laideur est une négation de la beauté ; ici, elle n’en était que la joyeuse et amusante parodie.

153. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » p. 62

Auteur singulier, qui n'a écrit que sur des sujets singuliers, & dont les Ouvrages en vingt volumes in-folio, conduisirent Boissat, son Libraire, à l'Hôpital : fin aujourd'hui plus ordinaire aux Auteurs qu'aux Libraires.

154. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article »

Chastelet, [Gabrielle-Emilie de Breteuil, Marquise du] née en 1706, morte en 1749, s’est élevée au dessus de son sexe, par des qualités qui ne lui sont pas ordinaires, l’amour de l’étude & la profondeur des Sciences.

155. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Drouais, fils »

À l’ordinaire, la plus belle craie possible.

156. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article »

Chambre, [Marin Cureau de la] Médecin ordinaire du Roi, de l’Académie Françoise, mort à Paris en 1669, âgé de 75 ans.

157. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article »

Ryer, [André du] Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi, né dans le Mâconnois, mort à Paris vers l'an 1650.

158. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Ce jour-là donc, qui était le cinquième de l’assassinat du premier ministre, le roi, vêtu tout de rouge, selon la manière du pays, qui fait que le roi s’habille de cette façon lorsqu’il doit faire mourir quelque grand seigneur ; le roi, dis-je, se rendit le matin à la salle où tous les grands seigneurs étaient assis à l’ordinaire, et s’adressant à Janikan, Sa Majesté lui dit: « Perfide, rebelle, de quelle autorité avez-vous tué mon vizir ?  […] Les chambres d’en haut ont chacune une antichambre et un balcon ; et c’est d’ordinaire où les marchands logent avec leurs femmes, lorsqu’ils en mènent, le bas étage leur servant communément de boutique ou de magasin. […] Il ne demeure d’ordinaire dans ces grands caravansérais que des marchands en magasin. […] C’est pour donner à boire aux passants: car, dans les pays où l’on est souvent altéré et où l’on ne boit que de l’eau, c’est une des charités les plus ordinaires, et qu’on croit l’une des plus méritantes, que de donner à boire aux passants ; et c’est pour cela que, dans toutes les bonnes villes, on trouve non-seulement de grandes urnes de terre pleines d’eau, à divers coins de rue, mais qu’aussi il y a des hommes gagés, qu’ils appellent sacab (sâqâb) ou porteurs d’eau, qui vont dans les rues, surtout en été, une grosse outre pleine d’eau sur le dos et une tasse à la main, présentant à boire à tous les passants. […] On les mène d’ordinaire dans des espèces de cunes ou de berceaux qu’on appelle cajavé (kadjâbah, ou Kadjâvah), qui est une machine large de deux pieds et profonde de trois, avec une haute impériale en arc, couverte de drap.

159. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VI : Difficultés de la théorie »

Richardson, la partie postérieure de leur corps un peu élargie et la peau de leurs flancs plus développée qu’à l’ordinaire, jusqu’aux Écureuils dits volants. […] J’y fais allusion ici seulement pour montrer que, si nous sommes incapables de nous rendre compte des différences caractéristiques de nos races domestiques, que cependant nous considérons généralement comme ayant été produites par voie de génération ordinaire, nous ne devons pas ajouter trop d’importance à notre ignorance sur les causes précises des différences analogues qui distinguent les espèces sauvages. […] La structure interne des organes électriques n’est pas essentiellement différente de celle des muscles ordinaires, et l’on peut concevoir un passage graduel de l’une à l’autre. […] « Il existe dans les annales de la médecine des faits bien constatés de flammes aperçues sur le corps de certains malades ; on a parlé de transpiration phosphorescente aux pieds, et il est curieux d’avoir à noter l’analogie qui se présente entre l’odeur de la substance phosphorescente du ver luisant et celle de la sueur ordinaire des pieds. […] Peut-être aussi quelque huile volatile séparée de la fleur phosphorescente, brûlant à la température ordinaire, peut être la cause de cette lumière. » Matteucci rappelle, en finissant, la belle expérience faite par M. de Quatrefage sur la phosphorescence des Annélides et des Ophiures.

160. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — O. — article » p. 434

Ses Ouvrages sont enterrés sous ceux qu’on a fait depuis dans le même genre, sort ordinaire des Livres élémentaires, bientôt effacés par ceux qui viennent après.

161. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article »

POULCRE, [François le] Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi Charles IX, né vers l’an 1545, au Mont de Marsan, petite ville de Gascogne, au Diocese d’Aire, mort vers l’an 1589.

162. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alexandre Dumas. Mademoiselle de Belle-Isle. »

M. de Maistre, qui, dans admirables pages sur l’art chrétien, s’est pris à regretter que Molière, avec sa veine, n’ait pas eu la moralité de Destouches, est tombé, contre son ordinaire, dans une inadvertance ; il a demandé là une chose impossible et contradictoire. […] Les prédicateurs eux-mêmes ont d’ordinaire enseigné qu’on n’était pas obligé de tenir les serments téméraires : qu’importe ?

163. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Charles Monselet »

un jour, — un soir plutôt, — à souper, — toujours le souper pour encadrure dans la vie ordinaire de Monselet !  […] Ici se révèle, mêlée à ses qualités ordinaires, une supériorité de sensibilité et de sérieux qui ne s’était jamais produite, même dans les meilleures inspirations de Monselet, avec cette netteté, et qui nous a causé presque de la joie.

164. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Francis Wey » pp. 229-241

Mais, fonctionnaire trop vivant pour s’encadrer exactement dans sa fonction sans la dépasser jamais, et s’endormir quand elle est remplie, c’est en courant des Archives d’un département aux Archives d’un autre département qu’il nous a écrit son Dick Moon, ce Guide des voyageurs comme on n’en avait pas encore vu, ce livre de poste intellectuel dans lequel, à travers tant de choses, l’Érudition trotte et galope, légère, court vêtue, en petite veste, les houppes rouges au fouet qui claque et qui cingle, et ne s’était point vue en pareil costume et à pareille course, cette formidable cul-de-jatte d’Érudition, décente Callipyge qui d’ordinaire reste assise et qui n’a jamais enlevé sa base de plomb dans les airs ! […] III Eh bien, voilà, selon moi, le meilleur de Francis Wey et de son Dick Moon à Paris, c’est-à-dire en province, car il faut s’entendre avec ce narquois de Wey, qui sait pourtant, d’ordinaire, dire très bien la chose comme elle est !

165. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Mistral. Mirèio »

pour qui n’aurait à son service que des facultés de sensibilité et d’imagination ordinaires ; matière d’épopée, comme toute chose peut l’être, sous la main d’un homme de création et de fécondité ! […] Cette poésie ne nous donne plus la sensation ordinaire de l’Étrange, mais la sensation extraordinaire du Naturel, tel que les Anciens l’ont conçu et réalisé toujours, et Shakespeare quelquefois après eux.

166. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre XI. De la géographie poétique » pp. 239-241

Aussi lorsque Tite-Live nous dit en général que les asiles furent le moyen employé d’ordinaire par les anciens fondateurs des villes, vetus urbes condentium consilium , il nous indique la raison pour laquelle on trouve dans l’ancienne géographie tant de cités avec le nom d’Aræ. […] C’est aussi de ce mot Ara, prononcé et entendu d’une manière si uniforme par tant de nations séparées par les temps, les lieux et les usages, que les Latins durent tirer le mot aratrum, charrue, dont la courbure se disait urbs (le sens le plus ordinaire de ce mot est celui de ville) ; du même mot vinrent enfin arx, forteresse, arceo, repousser (ager arcifinius, chez les auteurs qui ont écrit sur les limites des champs), et arma, arcus, armes, arc ; c’était une idée bien sage de faire ainsi consister le courage à arrêter et repousser l’injustice.

167. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 116

Abram,[Nicolas] Jésuite, né en Lorraine en 1589, mort à Pont-à-Mousson en 1655 ; Auteur du Commentaire latin sur les Oraisons de Cicéron, où le texte est noyé dans la multitude & la longueur des notes ; défaut assez ordinaire à ces sortes d’Ouvrages, où la forme emporte le fond.

168. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » p. 411

On voit, par ces Ecrits, qu’il n’étoit pas sans talent ; qu’il écrivoit avec une sorte de facilité peu ordinaire dans la Province.

169. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 501

Elle est écrite avec une force de style peu ordinaire dans les personnes de son sexe, dont l’esprit est naturellement plus sensible & délicat que robuste & vigoureux.

170. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fréchette, Louis (1839-1908) »

Eugène Ledrain Louis Fréchette, né au Canada, n’est pas un poète ordinaire, chantant ses impressions fugitives, ses joies et ses douleurs particulières.

171. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article »

En fait d’Ouvrages d’Erudition & de Recherches, il est assez ordinaire que les derniers venus fassent oublier leurs prédécesseurs, quand ceux-ci ne sont pas du premier mérite.

172. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

Peu importe que la sensation soit purement cérébrale et naisse spontanément, sans l’excitation préalable du bout extérieur du nerf, en l’absence des objets qui d’ordinaire provoquent cette excitation. […] Le patient croit sentir dans sa bouche la chair fondante d’une orange absente, ou sur ses épaules la pression d’une main froide qui n’est pas là, voir, dans la rue vide, un défilé de personnages, entendre, dans sa chambre muette, des sons bien articulés. — Donc, lorsque la sensation naît après ses précédents ordinaires, c’est-à-dire après l’excitation de son nerf et par l’effet d’un objet extérieur, elle engendre le même fantôme intérieur, et forcément ce fantôme paraît objet extérieur. […] Mais ce n’est point là le jugement primitif ni ordinaire ; il faut être devenu savant pour le porter ; l’explication est ultérieure et surajoutée. — D’ailleurs, la difficulté n’est que déplacée : munis de la théorie, nous disons que les molécules de l’air ou de l’éther ont le pouvoir, lorsqu’elles oscillent, de provoquer en nous les sensations de son ou de couleur. […] Mais d’ordinaire ce rapport ne se rencontre pas entre une sensation actuelle et une autre. […] Mais, à un autre point de vue, quoique les corps ne soient que des possibilités de sensations, ces changements n’en sont pas moins des changements des corps, et c’est à ce point de vue que d’ordinaire nous les considérons.

173. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Rien de plus ordinaire que ces miracles de transsubstantiation artistique. […] Beaumarchais déjà lançait l’aphorisme fameux : « Ce qui ne vaut pas la peine d’être dit, on le chante. » Scribe, le librettiste ordinaire de Meyerbeer, a commis des vers qui sont des péchés impardonnables contre la poésie et même contre la langue française. […] Ce triomphe de la passion atteint la sculpture elle-même, bien qu’elle soit le plus calme et le plus rigide des beaux-arts, bien qu’elle recherche d’ordinaire la pureté des lignes et redoute les gestes trop violents. […] L’un, Nicolas de Clémengis, rappelle que d’ordinaire le diable est peint sous la figure d’une femme cornue. […] David et ses élèves ne se contentent pas d’être les conseillers ordinaires des femmes du monde qui veulent être drapées en statues ; ils ont adopté pour eux-mêmes une espèce de tunique dont la coupe se retrouverait sur les bas-reliefs de la colonne Trajane.

174. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Et que l’on joigne à ce chef-d’œuvre, d’autres livres plus ordinaires, des nouvelles esquissées, un roman comprenant la double analyse de deux amours contraires, dans tout le mouvement de la vie urbaine et rurale dans la Russie actuelle, des pages de souvenirs dans lesquels revit le siège de Sébastopol, que l’on dénombre en chacune de ces œuvres, la foule des êtres humains, caractérisés, spéciaux, marqués de tout le particularisme de l’individualité et manifestés par des actes et des paroles, situés en des lieux décrits, participant à des actions d’ensemble, disposés, errants, angoissés, soucieux de leur sort, jetés dans des bras aimants ou culbutés dans la fosse, sûrement cette pyramide humaine, de sa large base populacière à son faite d’âmes d’élite, paraîtra de taille à se mesurer avec les plus bailles qu’aient dressées les grands créateurs d’hommes dans nos littératures ; l’ensemble des incidents, des types et des sites condensés et évoqués dans l’âme des lecteurs de ces quelques cents pages semblera équivaloir aux expériences de plus d’années, à plus d’observations et de souvenirs qu’il n’eût paru croyable qu’un seul cerveau pût concentrer et ressusciter. […] Le prince Pierre est sans doute par certains côtés le Russe et la Russie, lourd, bon, à peine dégrossi, avec de pesants instincts animaux, sourdement inquiet cependant et ne sachant comment vivre ; mais il est aussi un débauché ordinaire, un idéologue enthousiaste de Napoléon, de la franc-maçonnerie, un homme timide, gauche, myope, amoureux, d’une certaine sorte d’humeur avec ses domestiques, un mari ayant avec sa femme des relations particulières de colère et de faiblesse. […] Le dessin fléchit puis s’accentue en gros traits, distribuant autrement que le sujet ne le commande le fort et le faible, soulignant, résumant en de brèves formules, lâchant de nouveau et tombant dans l’ordinaire, comme les croquis d’un artiste négligent, tantôt sensible, tantôt fermé au charme de ce qu’il dépeint, avec les détaillements ennuyés et les soudaines énergies d’un homme que tout intéresse et qui de tout est distrait par autre chose. […] L’émotion de sympathie cordiale que suscite le spectacle de vies humaines bien conduites et heureuses, s’attache à l’union aimante de Lévine et de sa femme Kitty, à la noblesse naturelle de leur condition que tempèrent si véridiquement la médiocrité de leurs pensées, leurs inclinations simples comme leurs manières, tous les incidents ordinaires de leur ménage, des singuliers accès de jalousie du mari à la transformation graduelle de la femme en une ménagère sans grand génie. Et ce tableau véridique si charmant du mariage ordinaire est loin encore des scènes familiales dans La Guerre et la Paix, de la vie de château et de palais des Rostow avec leurs enfants, leurs amis et leurs domestiques.

175. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Mais la question est de savoir si certaines conditions, que nous tenons d’ordinaire pour fondamentales, ne concerneraient pas l’usage à faire des choses, le parti pratique à en tirer, bien plus que la connaissance pure que nous en pouvons avoir. […] La division est l’œuvre de l’imagination, qui a justement pour fonction de fixer les images mouvantes de notre expérience ordinaire, comme l’éclair instantané qui illumine pendant la nuit une scène d’orage. […] À cette confusion Zénon était encouragé par le sens commun, qui transporte d’ordinaire au mouvement les propriétés de sa trajectoire, et aussi par le langage, qui traduit toujours en espace le mouvement et la durée. […] Elle représente, en effet, une forme ordinaire de l’action utile, mal à propos transportée dans le domaine de la connaissance pure. […] Ce qui nuit d’ordinaire au rapprochement, c’est l’habitude prise d’attacher le mouvement à des éléments, — atomes ou autres, — qui interposeraient leur solidité entre le mouvement lui-même et la qualité en laquelle il se contracte.

176. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Il fait ses vers en s’éveillant d’ordinaire et de grand matin, en se promenant l’été dans le jardin de l’abbaye à grands pas et avec gestes. […] Il rencontre à chaque pas bien des gens de sa connaissance ; il les aborde, il les embrasse et on l’embrasse ; c’est la méthode ordinaire avec lui. […] Un chrétien de Port-Royal, loin d’être un commencement de déiste, est un redoublement de chrétien ; loin de douter de la divinité de Jésus-Christ, il y croirait, s’il était possible, deux fois plus qu’un chrétien ordinaire.

177. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

En y réfléchissant, on voit que ce n’est qu’une manière moins prévue de dire ce que chacun sait, — que les diables sur la terre ont d’ordinaire plus d’esprit que les anges, qui souvent sont un peu bêtes. […] » MmeSwetchine est plus qu’un spiritualiste et qu’un bon chrétien ordinaire, c’est une maîtresse dans la vie spirituelle, et elle vient nous dire, au contraire, sur tous les tons, à la fois les plus encourageants et les plus sévères : « Vieillissez ! […] Dans ses méditations sur la vieillesse, Mme Swetchine pense surtout aux femmes, si négligées d’ordinaire dès qu’elles ont passé la moitié de la vie.

178. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Une monarchie en décadence, déboires de la cour d’Espagne sous le règne de Charles II, Par le marquis de Villars »

Elle dort à l’ordinaire dix à douze heures. […] Je suis persuadée que je ne suis ni assez plaisante ni assez agréable pour la mettre en cette bonne humeur, et qu’il faut qu’elle ne soit pas chagrine d’ordinaire. […] Elle est particulièrement agréable à nous parler du Mançanarès, qui a si peu d’eau et sur lequel on a bâti deux énormes ponts, assez larges pour laisser passer le Rhin ou le Danube : « Je veux vous parler (24 mars 4680) d’une promenade où je fus hier, qui est la plus ordinaire quand il fait chaud, et il en fait déjà beaucoup ici.

179. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Cette manière était noble sans être exagérée, et quoique ce prince fût naturellement timide, il avait assez travaillé sur son extérieur pour que sa contenance ordinaire fût ferme, sans la moindre apparence de morgue ; en public, son regard était assuré, peut-être un peu sévère, mais sans autre expression : en particulier, et surtout lorsqu’il adressait la parole à quelqu’un qu’il voulait bien traiter, ses yeux prenaient un singulier caractère de bienveillance, et il avait l’air de solliciter l’affection de ceux auxquels il parlait. […] Le roi et la reine arrivèrent une heure plus tard qu’à l’ordinaire. […] Le Roy, le veneur ordinaire, un La Bruyère à cheval : « Né avec un goût vif pour les femmes, nous dit-il du roi, des principes de religion, et plus encore beaucoup de timidité naturelle, l’avaient tenu attaché à la reine, dont il avait eu déjà huit ou dix enfants.

180. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Prenant successivement les quatre ou cinq grandes idées auxquelles d’ordinaire puisent les poëtes, Dieu, la nature, le génie, l’art, l’amour, la vie proprement dite, nous verrons comme elles se sont révélées aux deux hommes que nous étudions en ce moment, et sous quelle face ils ont tenté de les reproduire. […] Sur ce terrain critique et didactique, il laisse bien loin derrière lui Boileau et le prosaïsme ordinaire de ses axiomes. […] Son talent, il est vrai, ne réclamait pas d’ordinaire, dans la durée d’une même rêverie, plus d’une corde et plus d’un ton.

181. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres inédites de l’abbé de Chaulieu, précédées d’une notice par M. le marquis de Bérenger. (1850.) » pp. 453-472

Le nombre des acteurs se montait à dix-sept ou dix-huit, entre lesquels brillaient M. et Mme de Bouillon, et M. de Vendôme, lequel, suivant son train ordinaire, perdit au moins la moitié de l’hôtel de Vendôme. […] La vieillesse, qui affaiblit d’ordinaire les talents, servit plutôt celui de Chaulieu. […] On ne sépare pas d’ordinaire La Fare de Chaulieu, et je ne voudrais pas non plus les séparer ici, car ils se complètent, et par des côtés plus dignes de réflexion qu’on ne suppose.

182. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Après l’avoir peint dans son costume ordinaire, avec ses bottes de velours, son habit de drap bleu, et avoir décrit ainsi sa tête : « Sa chevelure, artistement relevée et contournée par le fer des coiffeurs sur les tempes, se renfermait derrière la nuque dans un ruban de soie noire flottant sur son collet » (ce qui, sans périphrase, veut dire qu’il avait une queue) ; après avoir ajouté, en parlant toujours de sa tête : « Elle était poudrée à blanc à la mode de nos pères, et cachait ainsi la blancheur de l’âge sous la neige artificielle de la toilette », le peintre en vient au caractère de la personne et au visage : On eût dit que le temps, l’exil, les fatigues, les infirmités, l’obésité lourde de sa nature, ne s’étaient attachés aux pieds et au tronc que pour faire mieux ressortir l’éternelle et vigoureuse jeunesse du visage. […] Dans un style ordinaire, réfléchi et raisonnable, que de pensées ainsi resteraient grandes ou charmantes ! […] Voici ce qui en résulte : Pour toute la partie positive et les textes des pièces politiques que d’ordinaire les historiens vont chercher dans les sources mêmes, qu’ils empruntent au Moniteur ou aux diverses publications, et dont ils ne font des extraits qu’après avoir lu le tout, M. de Lamartine s’est contenté de prendre ces extraits purement et simplement, tels qu’ils ont déjà été faits par M. 

183. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

Le temps et les délais sont pour lui, au rebours de ce qui a lieu en ces sortes d’entreprises qui, désespérées d’ordinaire, veulent être enlevées dans un premier succès. […] Le 13 avril 1606, il présida le conseil comme à son ordinaire, mais tous les boyards furent frappés de l’altération de ses traits. […] M. de Musset ne sait bien d’ordinaire que les commencements et les premiers pas ; il se laisse mener par ses amoureux, eux par lui, et tous ensemble, pour s’en être bien trouvés si souvent, ils se plaisent à compter sur ce que leur diront les buissons du chemin.

184. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Les mœurs, selon le cours ordinaire des choses, ont marché avec la révolution du temps ; les opinions, au contraire, ont marché en avant avec la révolution des hommes. […] Je pourrais dire, ce que je crois vrai, que la masse d’une nation, qui d’ordinaire suit une marche progressive, mais lente, et par conséquent ne fait qu’obéir à une impulsion imprimée de plus haut et de plus loin, maintenant a une marche rapide et spontanée, et aide elle-même au mouvement, ce qui change toutes les données sociales. […] On pourrait citer quelques exceptions à une règle aussi générale ; mais je parle ici du train ordinaire des choses.

185. (1923) Paul Valéry

Imaginant que les plus grands hommes sont ceux qui meurent sans avouer, Valéry ajoute : « L’induction était si facile que j’en voyais la formation à chaque instant » Il suffisait d’imaginer les grands hommes ordinaires purs de leur première erreur. » Trop facile, je crois. […] Il a rêvé, à ses intervalles de rêve (car la destinée a rempli de pensées plus ordinaires sa vie réelle) d’une technique pure comme il y a une mécanique pure. […] Ces mots, qu’en fait d’ordinaire le poète ? […] D’ordinaire on donne satisfaction à cette pratique, à cette logique, au non-poétique par une transaction ou par une transition : celle des comme, des pareils, etc… qui font passer l’unité de la chose et de l’image en contrebande sous la figure de leur dualité logique. […] Le langage ordinaire appelle univers la totalité supposée du monde sensible qui nous entoure.

186. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Avertissement] » p. 2

On les a réunis à ceux que l’auteur a depuis donnés dans Le Moniteur à son jour ordinaire, et ils n’en diffèrent en rien.

187. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLII » p. 172

Quoi qu’il en soit, Pyat a lancé un article foudroyant que le Charivari, dont il est rédacteur ordinaire, n’a pas osé insérer en son entier, mais que la Réforme a accueilli.

/ 1941