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1079. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

Ce mot d’attachement, que j’ai employé à dessein, n’a-t-il pas un sens figuré, purement psychologique, qui est devenu plus usuel que le sens propre ? […] Il ne s’agit encore du ciel qu’au sens profane et païen. […] Son roman comporte un sens général et presque symbolique. […] Bref, le progrès, mais dans le sens de la nature. […] Le noumène n’échappe pas seulement à la vision, mais à tous nos sens.

1080. (1881) Le roman expérimental

Tout marche, je le répète, tout marche dans le même sens. […] Mais l’intérêt n’est pas là, la liste est un document précieux en ce sens qu’elle donne aux pensions faites aux écrivains leur véritable sens. […] C’est là un premier cas, un manque partiel du sens du réel. […] Rien ne remplace le sens du réel et l’expression personnelle. […] On ne veut pas comprendre que le sens moral n’a pas d’absolu.

1081. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Si la poésie n’a plus le droit de faire des mots, elle a celui de les détourner de leur propre sens, par des alliances qui changent leur signification. […] Qu’est-ce qu’un feu dépourvu de sens et dépourvu de lecture ? […] Son art est de plaisamment dessiner ce groupe, afin qu’il ne se meuve en aucun sens qui n’excite la moquerie. […] Elle satirise les choses sérieuses et les graves ouvrages, en les tournant de leur sens inverse. […] Longtemps enclin à la passion la plus excusable, puisque le feu des sens et du cœur y conspire, il se vantait d’être enfin échappé à l’amour comme à un maître dur et intraitable.

1082. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre III. L’Âge moderne (1801-1875) » pp. 388-524

La doctrine évangélique du renoncement à soi-même, si étrange au sens humain, n’est que la promulgation de cette grande loi sociale » [Cf.  […] Précisons bien le sens de ce mot ! […] Même n’ont-ils pas exagéré dans ce sens ? […] Deschanel, dans un sens, et de Sainte-Beuve et J.  […] Le Bernica, La Fontaine aux lianes] ; — son sens de la diversité des races [Cf. 

1083. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Leopardi discute donc, avec une curiosité aussi ingénieuse que pénétrante, le sens et la valeur de ces paroles, alors si étranges, de deux sages. […] Shelley abonde plutôt en ce dernier sens qu’il embellit, qu’il orne et revêt des plus riches couleurs ; on a volontiers chez lui l’hymne triomphal de la nature. […] Il a rang parmi le petit nombre de ceux qui ont le plus pénétré et retourné en tout sens l’illusion humaine. […] Cela ôte un peu au sens absolu qu’on y attache. […] Il met le stelle, les étoiles, et non le Ciel, dans le sens vulgaire où on l’emploie comme synonyme de Dieu.

1084. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

C’est à lui que je m’attacherai aujourd’hui, moins encore au savant qu’à l’homme ; moi, le dernier venu et le plus indigne de sa postérité directe, je veux gagner mon titre d’héritier et lui consacrer, à lui le grand sceptique, cet article tout pieux, au moins en ce sens-là. […] Ôtez encore une fois l’enveloppe et l’écorce, je résume le sens et j’appelle mon auteur par son vrai nom : un sceptique moraliste sous masque d’érudit. […] Il écrit en français, sauf l’esprit et le sens, comme le Père Garassus ou comme le Père Petau, quand ce dernier s’en mêle. […] Une brochure publiée au sujet du livre de Garasse avait traité Virgile de nécromancien et d’enchanteur au sens de l’enchanteur Merlin. […] Ses livres ont, à mes yeux, déjà la valeur de manuscrits, en ce sens que, selon toute probabilité, ils ne seront jamais réimprimés.

1085. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Il jouissait d’humilier les partisans du Tasse en leur montrant leur idole dégradée et privée de sens dans une loge de fous. […] L’intelligence immatérielle, ou ce qu’on nomme l’âme, a été assujettie, par une loi incompréhensible de son Créateur, à ne voir juste au dehors d’elle-même et en elle-même que par le miroir des sens. […] « Pendant qu’il parle, Herminie attentive recueille un discours dont la douceur l’enchante ; la sagesse du vieillard pénètre son cœur et calme l’orage de ses sens. […] La mort est sur son front et dans tous ses sens. […] « Dans ce mouvement lent et tranquille, le guerrier ne reprend point encore l’usage de ses sens ; mais de faibles soupirs prouvent qu’il conserve un reste de vie.

1086. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Mais c’est à la musique seule qu’appartient, spécialement, le pouvoir de révéler le sens intime et philosophique des symboles religieux. 2° Or, quel est ce sens, et pourquoi la musique chrétienne n’est-elle pas parvenue encore à l’exprimer complètement ? […] L’Eucharistie a ce seul sens : elle ordonne l’abstinence de nourriture animale ; la communion universelle dans le pain et le vin. […] On voit dans cet article combien les termes de wagnéristes, de wagnériens peuvent avoir des sens différents selon les contextes. […] Ses trois articles de mai à juillet 1886 sont en ce sens des références.

1087. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

En ce sens, l’historien qui écrit l’histoire peut faire de l’histoire et s’improviser sur place homme d’État. […] À quelque famille d’idées ou à quelque parti qu’on appartienne, si on respecte un peu en soi le sens critique, on conviendra, sans peine et sans exagération d’aucune sorte, que Granier de Cassagnac est un des premiers écrivains de ce temps. […] Pas plus tard qu’hier, Granier de Cassagnac était un orateur politique, d’une parole qui ressemblait à ses écrits, et d’un sens droit, ferme et pratique, à étonner ceux qui, l’ayant connu comme journaliste, l’avaient trouvé parfois paradoxal. […] Cela lui donne certainement une force que je sens très bien, quand il me tient, comme un cheval entre les piliers au manège, entre deux colonnes de verbes ou de substantifs qu’il compare. Mais cette force, que je sens très bien lorsque je lis son livre, je ne puis pas la déplacer.

1088. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Ne soyons pas injuste ni trop rigoureux pour Bernis ; il s’est jugé lui-même en homme de goût, en homme de sens, et comme s’il n’avait rien eu du poète. […] Il y aurait mauvaise grâce, après un tel jugement, si plein de sens et de candeur, à se donner le plaisir facile de railler Bernis sur ses vers. […] Ses actions imprudentes l’élevèrent, ses vues sages le perdirent ; il fut disgracié pour avoir parlé de paix… Et sur l’heure même de la disgrâce de Bernis, Frédéric parle de lui à Milord Maréchal dans le même sens : « On a trop exagéré le mérite de Bernis lorsqu’il était en faveur ; on le blâme trop à présent. Il ne méritait ni l’un ni l’autre. » Ce point important de l’histoire du xviiie  siècle ne sera complètement démontré et éclairci que lorsqu’un historien consciencieux aura été mis à même de travailler sur les papiers d’État, et qu’il les aura extraits dans toute leur suite : mais le sens général de la conclusion se peut prévoir et préjuger à l’avance.

1089. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Dacier jusqu’à une dizaine de fois, tantôt pour un beau sens, tantôt pour une belle conjecture ; et d’autre part M.  […] Accoutumée d’ailleurs à révérer l’Antiquité sous toutes ses formes, à reconnaître aux grands hommes, aux grands écrivains du paganisme des qualités et des vertus qui étaient un acheminement vers la morale chrétienne, elle trouvait mieux à concilier les objets de son admiration et de son culte dans la pleine et large doctrine de l’ordre catholique, dans cette voie latine qui ramène encore au Capitole, que dans ces autres voies plus strictes et particulières où la Réforme prise au sens de Calvin l’eût tenue confinée113. […] Dans une préface écrite avec sens et modestie, Mme Dacier explique son dessein : Depuis que je me suis amusée à écrire, dit-elle, et que j’ai osé rendre publics mes amusements, j’ai toujours eu l’ambition de pouvoir donner à notre siècle une traduction d’Homère, qui, en conservant les principaux traits de ce grand poète, pût faire revenir la plupart des gens du monde du préjugé désavantageux que leur ont donné des copies difformes qu’on en a faites. […] Il ne m’a point fait autant de plaisir ; mais dans la sagesse du plan, l’économie des détails, le rapport des épisodes, l’adresse des narrations, on reconnaît toujours Homère, et Homère plein de vigueur, d’âme et de sens.

1090. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Une petite guerre sur la tombe de Voitture, (pour faire suite à l’article précédent) » pp. 210-230

Cependant, sincèrement amoureux des lettres, dilettante à sa manière, il employait la fleur de ses matinées dans son joli et commode appartement, et en vue des jardins de l’évêché, à lire ou plutôt à se faire lire (goutteux et myope qu’il était) les modernes et même les anciens, à les parcourir en tous sens, à en tirer, non pas une science solide et continue, mais de jolies pensées, des anecdotes curieuses, des raretés galantes et graveleuses même dès qu’il s’en offrait, le tout pour en enrichir ses cahiers de lieux communs et ses tiroirs : il songeait qu’un moment pouvait venir où tous ces magasins d’esprit lui seraient utiles et lui feraient honneur à débiter. […] M. de Girac qui, dans sa solitude, lisait ses auteurs pour les connaître à fond et non pour en tirer d’agréables bribes et des gentillesses d’allusions à faire valoir à la rencontre, n’avait pas de peine à prendre le léger Voiture en faute en bien des endroits, tronquant ici un vers d’Horace, écorchant là un mot grec, donnant à un passage un sens hasardé, appelant quelque part Homère l’« aveugle Thébain », on ne sait pourquoi. […] [NdA] Contribuer avait alors le sens actif et latin. […] [NdA] C’est-à-dire, d’après l’étymologie, dans le sens de savoureusement, en fin gourmet.

1091. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

Je pense, donc je sens. […] Elle se lamente et se demande dans sa candeur si elle obéira, à l’égard de Rodrigue, au sentiment de sa dignité ou à l’attrait de son amour ; puis, sa gouvernante qui survient la conseillant dans le sens le plus fier, elle lui déclare qu’elle veut aller derechef donner Rodrigue à Chimène, comme si celle-ci avait besoin de permission pour le prendre. […] Il y a, en ce sens, toute une scène des plus caractérisées. […] moi, j’en ai remarqué deux… et cent. » Et il s’élève bientôt un hourra en sens contraire.

1092. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Bonhomme a mise à cette Correspondance de Collé et dans les notes dont il l’a assaisonnée, il n’est presque pas une page où il n’y ait fadeur, inutilité, phraséologie amphigourique et prétentieuse, incohérence de sens ; il n’y a presque pas une expression qui ne soit impropre, pas un jugement qui ne soit faux ou à côté. […] … Ailleurs, Collé est un acrobate ; ses vers font le grand écart… Tout autant de faux sens ou de contre-sens. — Et Piron comparé à Collé ; « Piron montait un vaisseau de haut bord armé en guerre avec lequel il affrontait la tempête, et Collé une barque légère… » — Et Panard donc, le gai Panard dont la muse est « un peu prude, un peu pincée ! […] Collé restait trop exclusivement gaulois et ne souffrait point qu’on fît un pas en avant ; il abondait dans son sens et dans ses goûts : c’était une fin et un bout du monde qu’une telle manière d’être non renouvelée. […] On plaît immanquablement davantage aux hommes, et encore plus aux femmes, en faisant valoir l’esprit ou la raison des autres, qu’en faisant briller le sien ou qu’en montrant son jugement. » Il y revient en plus d’un endroit avec beaucoup de sens et en homme qui sait son monde : « Vous vous plaignez de ce que vous ne savez pas être amusant dans la société.

1093. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

Tout un courant s’est créé en ce sens, et le vent y pousse. […] En quittant la terre natale et au moment de franchir la frontière de l’empire, probablement à Augsbourg, la jeune princesse écrit à son auguste mère une lettre remplie des meilleurs et des plus naturels sentiments : « Madame ma chère mère, « Je ne quitte pas sans une vive émotion et un serrement de cœur la dernière ville frontière de votre empire ; avant de traverser les derniers États qui me séparent de ma nouvelle patrie, je demande à couvrir vos mains de mes baisers et vous remercier comme je le sens pour toutes les bontés maternelles dont vous m’avez entourée. L’image de ma bonne mère, de toute ma famille, de mes bonheurs d’enfance, me sera toujours présente en même temps que vos conseils seront toujours devant mes yeux ; — j’arriverai sans expérience dans un pays nouveau qui m’a adoptée sur votre nom, je tremble à l’idée que je ne répondrai pas à l’attente ; le peu que je pourrai valoir, c’est à vous que je le devrai ; mais maintenant je sens que je n’ai pas assez profité de vos leçons si tendres : que vos bontés me suivent, je vous en conjure ! […] J’avais déjà bien du penchant pour les Français, et sans tous ces compliments qui montrent qu’ils attendent trop de moi, je sens que je serais à mon aise avec eux. » De Strasbourg on va à Nancy.

1094. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

Évidemment le titre d’un ouvrage anglais, les Réminiscences d’Horace Walpole, l’a séduit ; mais, en laissant à la charge de l’auteur anglais le mot de Réminiscences pris en ce sens, je nie qu’en français ce soit le mot juste. […] Nous avons à y mettre l’ordre et quelquefois le sens caché, en le lisant, et sans y parvenir toujours. […] Un jour, dans une querelle avec M. de Jouy, qui se laissait volontiers contredire et retourner en tous sens, (et qui avait « l’amour-propre bon enfant », Mme Gay réussit pourtant à le mettre en colère. […] Je sens bien qu’il est resté fort au-dessous de ce qu’il pouvait être, mais il me paraît en même temps s’être élevé fort au-dessus de tous ses contemporains.

1095. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

A conjecturer pourtant, comme il est permis, d’après l’ensemble et le terrain courant des générations survenantes, l’imagination pourrait sembler dorénavant avoir moins de chances pour les grandes œuvres, que l’érudition et la critique pour les travaux historiques dans tous les sens, et que l’esprit pour les charmants gaspillages de tous genres. […] Mais de nos jours, au milieu des respects et des hommages individuels et publics volontiers décernés à la religion, après le triomphe encore plus complet qu’espéré d’une politique conservatrice, venir réagir au delà dans le même sens et en passant outre, pousser par système et par mode à l’aristocratie, au despotisme, à l’ultramontanisme, c’est ne prouver autre chose que l’ennui de l’âme qui s’agite à vide et la vanité de l’esprit qui se monte à froid. […] Ce qu’on appelle réaction en littérature n’a aucun sens raisonnable, ou n’a que celui-là. […] Mais quand les grandes doctrines sont taries, qu’on ne peut plus que les simuler encore par simple gageure et jeu, quand les questions d’ambition personnelle et d’amour-propre débordent, que la popularité à tout prix est la conseillère, on devient facile et de bonne composition ; les acceptions distinctes s’effacent ; tous les efforts de l’Académie, bien loin de pouvoir rétablir les nuances entre les synonymes, ne sauraient maintenir leur sens moyen au commun des mots ; les termes d’homme de talent, d’écrivain consciencieux, se prodiguent pêle-mêle à chaque heure, comme de la grosse monnaie effacée.

1096. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

— C’est en ce sens que Buffon disait : « Je n’estimerais pas un jeune homme qui n’aurait point comme ncé par l’amour. » Quelqu’un de très-spirituel l’a dit encore : On doit faire dans la vie comme pour un voyage ; il faut toujours se mettre en route avec trop de provisions, au moral aussi ; on ne saurait être trop en fonds au départ, on a bien assez d’occasions de perdre et de dépenser. […] Ces propos piquants et familiers de Benjamin Constant sont aussi inséparables de l’esprit et du caractère de l’homme que le peuvent être, par exemple, les mots de M.Royer-Collard dans un sens si différent. […] Et, pour prouver que je n’ai aucun parti pris après non plus qu’avant, je veux citer de lui une lettre encore, mais toute différente de celles qu’on connaît, une lettre fort simple en apparence, et qui a cela de remarquable à mon sens, qu’entre toutes les autres que j’ai vues, elle est la seule où il témoigne avoir un peu de calme et de contentement dans la tête et dans le cœur. […] Ce genre d’explication rentre tout à fait dans l’opinion de Fauriel telle que je l’ai trouvée exprimée dans ses papiers ; celui-ci comparait Benjamin Constant à La Rochefoucauld en un sens : il attribuait le manque de principes qu’on lui voyait, et ce mépris des hommes qui s’affichait jusqu’à travers son républicanisme d’alors, au premier monde dans lequel il avait vécu.

1097. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

Pouvillon ; mais le Marinier, le Forestier, l’Étude Chandoux (sans compter, qu’il s’y rencontre des parties vraiment belles) m’amusent et me retiennent parce qu’à chaque instant je sens, je vois par qui ces romans ont été écrits. Je sens que l’auteur doit être un magistrat, un propriétaire rural, un agronome, un chasseur, un érudit-amateur et un bon humaniste. […] Le sens du livre reste un peu obscur. […] Mais on devrait écrire : quémenter, car le mot vient sans nul doute de « quément », forme primitive de l’adverbe comment ; d’où le sens littéral : « se quémenter, se demander comment.

1098. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

L’empereur aima donc cette netteté, cette précision, ce sens pratique dont il était lui-même si mal pourvu. […] Il était lui-même, par sa foi philosophique et sa conception de la cité, un Français de la Révolution, mais muni d’expérience historique, et de prudence et d’obstination romaines : quelque chose comme un idéologue pratique (je vous prie de donner au premier de ces deux mots son plus beau sens). […] Et ce qu’il fit, on peut dire, en un sens, qu’il le fit seul ; j’entends sans autre secours que celui de collaborateurs dont le zèle, communiqué et échauffé par lui, était son ouvrage encore. […] Tous ceux qui l’approchaient, soit dans son modeste appartement de Paris, soit à Villeneuve-Saint-Georges, où sa médiocrité de fortune lui avait pourtant permis d’acquérir la maison et le jardin du sage, l’aimaient pour sa bonté, sa douceur, la simplicité de ses mœurs et l’on peut bien ajouter, — car la chose était exquise chez un vieillard, et l’on sait ici le vrai sens des mots, — pour sa naïveté : disposition d’esprit franche et fière, qui n’excluait ni la connaissance des hommes ni la finesse, mais seulement les défiances et les moqueries stériles et le pessimisme d’amateur.

1099. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

(Ainsi l’ouïe et la vue, sens intellectuels par excellence, prêtent à des sensations plus relevées, plus nobles que le goût et l’odorat.) […] Une œuvre qui plaît aux sens vaudra mieux, si elle satisfait en même temps notre besoin d’émotions et notre intelligence ; elle sera une œuvre suprême, un vrai chef-d’œuvre, si elle est par surcroît largement douée de la beauté morale et de la beauté idéale. […] Les ordres inférieurs de beauté (sensoriel, sentimental, intellectuel) sont en revanche, non seulement les plus accessibles à la généralité des hommes et des artistes, mais encore indispensables à la réalisation des beautés d’ordre supérieur. « C’est une nécessité pour l’œuvre d’art, a dit Sully Prudhomme33, de caresser les sens. » Et de là, pour le dire en passant, l’importance extrême de la forme. […] De même, sans compter les dons naturels dont ne peut se passer l’historien, il faut qu’il ait aiguisé sa pénétration, sa sagacité, qu’il ait développé en lui le sens esthétique : On peut dire, à ce propos, qu’il faut encore de l’art pour faire de la science.

1100. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

3° La ségrégation : les forces en causant cette multiplication des effets produisent du mouvement en sens divers d’où résulte la convergence des unités mues dans le même sens, la divergence de celles qui sont mues en des sens différents. […] Puisque la science, par son processus d’évolution, sort de la connaissance commune, de celle que nous donnent la raison et les sens réduits à eux-mêmes ; et que la connaissance commune sort elle-même des simples perceptions, la genèse de la science devrait, à rigoureusement parler, prendre pour point de départ l’origine même de la connaissance.

1101. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Reste un article qui, à mon sens, tient assez à la personne pour qu’on en fasse mention, et que vous-même n’avez pas dédaigné : la façon de se mettre. […] Quelques phrases de lui, à elles adressées, dans les premiers billets, phrases toutes littéraires dont elle s’exagérait le sens, et qu’elle relisait sans cesse, lui avaient fait croire qu’elle avait pu, un instant, occuper dans son cœur je ne sais quelle place qui n’était plus vacante pour personne, depuis que Mme d’Houdetot y avait passé. […] À cette époque, la raison de Rousseau avait déjà reçu des altérations profondes ; il commençait, non pas seulement à paraître fou dans le sens vague et général du mot, mais à l’être trop réellement dans le sens précis et médical.

1102. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

Il y eut je ne sais quel fou qui, sous prétexte qu’il était à demi parent par alliance, se mit à faire feu en tous sens et adressa placet sur placet aux ministres du roi. […] Grimm en fut charmé, et, bien qu’amoureux, il ne l’était pas assez pour que son sens critique en fût troublé : « En vérité, disait-il de cet ouvrage, il est charmant. […] Dans cet état de vague et de langueur, la jeune femme s’excuse auprès de son amie : « Je crois que ce sont des vapeurs, je me sens bien mal à mon aise. » Ne vous gênez pas, me dit-elle. […] Cet esprit plein de grâce et de finesse acquit par lui toute sa trempe ; il démêla en elle et mit en valeur le trait qui la distinguait particulièrement ; « une droiture de sens fine et profonde ».

1103. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Montesquieu, après la publication de L’Esprit des lois, écrivait à l’abbé de Guasco, qui était alors en Angleterre : « Dites à milord Chesterfield que rien ne me flatte tant que son approbation, mais que, puisqu’il me lit pour la troisième fois, il ne sera que plus en état de me dire ce qu’il y a à corriger et à rectifier dans mon ouvrage : rien ne m’instruirait mieux que ses observations et sa critique. » C’est Chesterfield qui, parlant un jour à Montesquieu de la promptitude des Français pour les révolutions et de leur impatience pour les lentes réformes, disait ce mot qui résume toute notre histoire : « Vous autres Français, vous savez faire des barricades, mais vous n’élèverez jamais de barrières. » Lord Chesterfield goûtait certes Voltaire ; il disait à propos du Siècle de Louis XIV : « Lord Bolingbroke m’avait appris comment on doit lire l’histoire, Voltaire m’apprend comment il faut l’écrire. » Mais en même temps, avec ce sens pratique qui n’abandonne guère les gens d’esprit de l’autre côté du détroit, il sentait les imprudences de Voltaire et les désapprouvait. […] On a prétendu qu’il n’y avait rien de plus lourd, de plus maussade que lui, et on cite de Johnson un mot dur dans ce sens-là. […] Il aurait mieux valu presque avoir échoué totalement et n’avoir réussi à faire qu’un original en sens inverse, tandis qu’avec tant de soins et à tant de frais, n’en être venu qu’à produire un homme du monde insignifiant et ordinaire, un de ceux desquels, pour tout jugement, on dit qu’on n’a rien à en dire, il y avait de quoi se désespérer vraiment, et prendre en pitié son ouvrage, si l’on n’était pas un père. […] Des cinq sens que nous avons en partage, vous n’en avez qu’un seul qui soit affaibli, et milord Huntingdon assure que vous avez un bon estomac, ce qui vaut bien une paire d’oreilles.

1104. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

— « C’était mon mari, il est mort. » Mme Geoffrin eut une fille, qui devint la marquise de La Ferté-Imbault, femme excellente, dit-on, mais qui n’avait pas la modération de sens et la parfaite mesure de sa mère, et de qui celle-ci disait en la montrant : « Quand je la considère, je suis comme une poule qui a couvé un œuf de cane. » Mme Geoffrin tenait donc de sa grand-mère, et elle nous apparaît d’ailleurs seule de sa race. […] Mme Geoffrin, quand on la prenait là-dessus, avait mille bonnes réponses, et fines comme elle : « Ceux, disait-elle, qui obligent rarement, n’ont pas besoin de maximes usuelles ; mais ceux qui obligent souvent doivent obliger de la manière la plus agréable pour eux-mêmes, parce qu’il faut faire commodément ce qu’on veut faire tous les jours. » Il y a du Franklin dans cette maxime-là, du Franklin corrigeant et épaississant un peu le sens trop spirituel de la Charité selon saint Paul. […] » Quant à toute autre espèce de sens et de sagesse, je ne les ai jamais aimés, et maintenant je vais les haïr à cause d’elle. […] Écrivant à d’Alembert, de Varsovie également, elle disait, en se félicitant de son lot, et sans ivresse : Ce voyage fait, je sens que j’aurai vu assez d’hommes et de choses pour être convaincue qu’ils sont partout à peu près les mêmes.

1105. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

La nature lui avait donné tous les avantages, la taille, le port, la figure, la force, et une ardeur en tous sens que dominaient finalement la raison et la volonté. […] Lorsqu’il en venait à l’homme, ces explications tant soit peu mystérieuses se relevaient par des observations aussi sensées que fines sur les divers âges d’enfance, de puberté, de virilité et de vieillesse, sur les acquisitions et la sphère d’action des divers sens. […] Plus tard, Condillac, voulant redresser Buffon et le convaincre d’inexactitude, supposa, dans son Traité des sensations, cette singulière statue qu’il animait peu à peu en lui donnant successivement un sens, puis un autre. […] » Comme peintre de métaphysique, dans ce Discours et dans ceux qui sont relatifs aux sens, Buffon est du premier ordre.

1106. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Il la mérite, nous dit Montaigne, excellent juge, pour la « naïveté et pureté du langage en quoi il surpasse tous les autres », pour la « constance d’un si long travail », pour la « profondeur de son savoir », ayant pu développer si heureusement un « auteur si épineux et ferré » que Plutarque (car il n’est pas besoin de savoir le grec pour sentir qu’on est porté avec Amyot dans un courant de sens continu, et que, sauf tel ou tel point de détail, il est maître de son sujet et dans l’esprit de l’ensemble). […] M. de Chateaubriand en jugeait ainsi à son retour d’Orient, en les relisant la mémoire encore pleine du souvenir des plages historiques qu’il avait visitées : « C’est, selon moi, disait-il, le plus beau morceau de Plutarque, et d’Amyot son traducteur. » Dans les traités moraux de Plutarque, que de charmantes pages aussi, riches de sens, pleines d’aisance et de naturel, et qui ont un air de Montaigne ! […] La jeunesse, qui se plaît aux choses d’amour, ne lui a pas su un moindre gré, alors et depuis, de sa ravissante traduction du petit roman de Daphnis et Chloé, chef-d’œuvre que Paul-Louis Courier a retouché, corrigé et réparé quant au sens, tout en y respectant les belles et naïves expressions du premier interprète, et en les imitant de son mieux dans les parties inédites qu’il a retrouvées. […] Amyot a pu commettre, dans sa traduction de Plutarque, toutes les fautes et les inexactitudes soit de sens, soit historiques, géographiques, mythologiques, etc., dont on l’a taxé, et que Méziriac disait avoir remarquées jusqu’en « plus de deux mille passages » ; et cependant son mérite d’écrivain n’en est nullement atteint ; car ce mérite est d’un tout autre ordre, et il n’en est pas moins vrai, comme l’a dit Vaugelas, que personne n’a mieux su que lui le génie et le caractère de notre langue, n’a usé de mots et de phrases si naturellement françaises, sans aucun mélange des façons de parler des provinces : Tous les magasins et tous les trésors du vrai langage français, continue Vaugelas avec son enthousiasme du bien parler et du bien dire, sont dans les ouvrages de ce grand homme, et encore aujourd’hui nous n’avons guère de façons de parler nobles et magnifiques qu’il ne nous ait laissées ; et, bien que nous ayons retranché la moitié de ses phrases et de ses mots, nous ne laissons pas de trouver dans l’autre moitié presque toutes les richesses dont nous nous vantons et dont nous faisons parade.

1107. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

Ce titre de chef de parti était ce qu’il avait toujours honoré le plus dans les Vies de Plutarque, et quand il vit que les affaires s’embrouillaient, au point de lui en laisser venir naturellement le rôle, il en ressentit un chatouillement de sens et un mouvement de gloire qui semble indiquer qu’il ne concevait rien de plus beau ni de plus délicieux au-delà. […] Lorsque Saint-Simon, de son côté, nous peint les délices et le chatouillement qu’il éprouve à pouvoir observer les visages et les physionomies de la Cour dans les grandes circonstances qui mettent les passions et les intentions secrètes à nu, il ne s’exprime pas avec un sentiment plus vif de délectation que Retz nous rendant sa jouissance à l’idée de se saisir du rôle tant souhaité : on en pourrait conclure que l’un était dans son centre comme observateur, et l’autre comme agitateur, artistes tous deux en leur sens, et consolés après tout par leur imagination, quand il leur est donné de raconter leur plaisir passé et de le décrire. […] Bien des querelles, des perfidies, des avanies insultantes survenues depuis ont rabaissé la noblesse de cette première explication et en ont souillé le souvenir : pourtant on se plaît, en la relisant, à penser que ces grands esprits, ces cœurs impétueux et égarés, n’étaient point à l’origine aussi malintentionnés ni aussi livrés à leur sens tout personnel et pervers qu’ils le parurent depuis, quand les passions et les cupidités de chacun furent déchaînées. […] Il excelle à donner aux mots toute leur valeur de sens, toute leur qualité, et il la fait quelquefois mieux sentir en la développant.

1108. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Les États en révolution ne se sauvent point par des constitutions, mais par des hommes. » On voit assez le sens de cette brochure. […] Pour lui, il se fait auprès du consul le représentant et l’organe des anciennes forces conservatrices de la société, par antagonisme à ce qu’il y a, dans un autre sens, de forces et d’intérêts purement révolutionnaires. […] Tel est le sens général des observations que M.  […] Aussi ce projet du Berlinois l’inquiète en un sens : Si les têtes légères françaises parviennent à trouver un point de contact avec les têtes creuses allemandes, il est sûr qu’il faudra une société cosmopolite pour gouverner l’Europe ; les chefs de nation n’y pourront plus suffire.

1109. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Un des plus sévères contemporains de Louis XIV, Saint-Simon, qui ne le vit et ne le connut que dans les vingt-deux dernières années de sa vie, au milieu des analyses pénétrantes qu’il a données sur lui dans tous les sens, a dit : Il était né sage, modéré, secret, maître de ses mouvements et de sa langue. […] Pourtant, réduite et entendue dans un certain sens, cette idée a sa justesse : « Je ne crains pas de vous dire, écrit-il pour son fils, que plus la place est élevée, plus elle a d’objets qu’on ne peut ni voir ni connaître qu’en l’occupant. » Saint-Simon, que j’oserai ici contredire et réfuter, a dit de Louis XIV : Né avec un esprit au-dessous du médiocre, mais un esprit capable de se former, de se limer, de se raffiner, d’emprunter d’autrui sans imitation et sans gêne, il profita infiniment d’avoir toute sa vie vécu avec les personnes du monde qui toutes en avaient le plus, et des plus différentes sortes, en hommes et en femmes de tout âge, de tout genre et de tous personnages. […] Si l’on suppose un instant Fouquet restant au pouvoir et s’y établissant, et Louis XIV le laissant faire, on peut très bien distinguer les éléments et l’esprit de la littérature qui aurait prévalu : ç’aurait été une littérature plus libre en tous sens que sous Louis XIV, et le xviiie  siècle eût été en partie devancé. […]        Comme maître premièrement, Puis comme ayant un sens meilleur que tous les nôtres.

1110. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Il incline vers les destinées de Hamlet et de Werther, des grands irrésolus, dont toute la sève se dépense à agiter des idées fatalement impuissantes, des êtres oscillants, ballottés entre tous les mobiles, n’en concevant plus d’assez passionnel et d’assez impératif pour se résoudre à agir en un sens unique et constant. […] Il a pour son malheur « des idées esthétiques », c’est-à-dire qu’il aime à faire des vers mélancoliques et sceptiques, à rêver vaguement à la suite de son imagination, que ses sens délicats apprécient le luxe, une nourriture saine, la beauté féminine. […] Je sens moi-même que je ne suis bon à rien. […] Avec une intelligence très belle, une âme très noble, des sens non pas acérés, mais déliés et attentifs, ce géant débonnaire et lent qu’était Tourguénef, eut le défaut et l’infortune de manquer d’une vue arrêtée sur le futur, d’ignorer en l’homme ce qu’il y a de générique, de gros et de fort, de ne ressentir ni haines ni enthousiasmes violents, de vivre en dépaysé et en dilettante.

1111. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Pour peu qu’on eût le sens de voir et le courage de sa raison, qui fait conclure d’après ce que l’on a vu, quelque blessure que ce doive être pour ses convictions ou ses espérances, on conviendrait qu’on n’a pas le droit d’apporter, comme preuve de la vérité reconnue d’une doctrine, des circonstances sans gravité, accidentelles, éphémères, et qui n’ont avec cette doctrine aucun rapport de cause à effet. […] En effet, l’Église catholique a tant agi sur la pensée des hommes qu’elle l’a passionnée à outrance dans les deux sens où se passionne la pensée : l’amour et la haine ; si bien que presque tous les livres qui ont traité de l’Église politiquement ont faussé les choses au profit de ces sentiments opposés. […] Malgré tout ce que dit l’auteur allemand de la fermeté d’Innocent (et bien contrairement aux idées répandues par des écrivains passionnés dans le sens opposé à Hurter), nous pensons, nous, que le Pape n’osa pas toujours se servir de l’omnipotence d’opinion dont il était nanti par le fait de l’éducation et des développements de l’humanité au xiiie  siècle. […] Comme l’évidence était trop complète, comme il ne pouvait pas ne point voir quel coup de fortune c’était pour l’Église que la prise de Constantinople, il ne s’abstint pas entièrement d’agir dans le sens éternel de la position de ses prédécesseurs et de la sienne.

1112. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre premier. La Formation de l’Idéal classique (1498-1610) » pp. 40-106

On appelle de ce nom d’humanistes les poètes, les beaux esprits, — et aussi les pédants, — qui ranimèrent ou plutôt qui retrouvèrent le sens perdu de l’antiquité. […] Imaginez que de nos jours on ne prétendît voir dans Rabelais ou dans Molière que les « précurseurs de la Révolution française », qu’ils sont bien dans une certaine mesure ou en un certain sens ; et comptez, de leurs traits les plus caractéristiques, essayez de compter combien il y en aurait de perdus pour nous. […] Un rapprochement inconscient s’opère, dont l’effet, s’il est d’une part d’abolir en nous le sens historique, — je veux dire le sens de la diversité des époques, — est d’autre part de nous enseigner l’identité foncière de la nature humaine. […] Le sens du Roman ; — et n’étant pas nécessaire qu’un roman ait un sens ou une philosophie ; — comment se fait-il qu’on en cherche une dans le roman de Rabelais ? […] — De ce qu’il a plu à Boileau de le tirer de l’ombre ; — de ce qu’il est Gaulois ; — et de ce qu’en un certain sens, par la force de quelques-uns de ses vers, il fait un des anneaux entre Rabelais, par exemple, et Molière.

1113. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

Dans ces termes, en effet, s’il lui était arrivé de vouloir s’arrêter sur des pièces vraiment amusantes comme elle en a rencontré, elle eût paru y attacher un sens et une portée morale qui, en vérité, eût étonné les spirituels auteurs eux-mêmes. […] La Commission exprime donc le vœu que, dans l’avenir, il soit apporté en ce sens à la rédaction de l’arrêté ministériel une modification qui laissera plus de liberté et permettra plus de justesse au travail des Commissions futures.

1114. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXIX » pp. 117-125

La parole et l’accent sont là pour déterminer le sens quand on a affaire à l’orateur ; mais un écrivain, c’est autre chose, et je cours risque de me noyer dans ces grandes flaques d’eau douce qui ne me portent plus en aucun sens. — Après tout, c’est un bon et méritant ouvrage, qui dispense de beaucoup d’autres et qu’il faut conseiller aux gens du métier.

1115. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Préface »

Chacun disait de son modèle : « Voilà la vraie demeure de l’homme, la seule qu’un homme de sens puisse habiter ». À mon sens l’argument était faible : des goûts personnels ne me semblaient pas des autorités.

1116. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

C’est que Buffon est avant tout un philosophe : les faits particuliers ne l’intéressent que par le sens qu’ils contiennent, par la lumière qu’ils apportent dans un essai d’explication générale de l’univers. […] En un sens, il est plus grand, plus haut que Rousseau.

1117. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

Il est étrange de songer que ce cerveau, en qui la réalité avait reflété des images si nettes, qui avait su interpréter, ramasser, coordonner ces images avec une vigueur et dans des directions si décidées, et nous les renvoyer, plus riches de sens, à l’aide de signes si fortement ourdis, n’ait plus, à partir d’un certain moment, reçu du monde extérieur que des impressions confuses, incohérentes, éparses, aussi rudimentaires et aussi peu liées que celles des animaux, et pleines, en outre, d’épouvante et de douleur, à cause des vagues ressouvenirs d’une vie plus complète ; et que l’auteur de Boule-de-Suif, de Pierre et Jean, de Notre Coeur, soit entré, vivant, dans l’éternelle nuit. […] Mais on souffre ; et, par la porte de la souffrance, entrent la réflexion, la curiosité, l’inquiétude et l’appréhension de l’inconnu et, sous une forme ou sous une autre, l’idéalisme, et le rêve, et des besoins d’expliquer ce qui échappe aux sens… À partir d’un certain moment, cela est visible, Maupassant s’attendrit.

1118. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XII. Ambassade de Jean prisonnier vers Jésus  Mort de Jean  Rapports de son école avec celle de Jésus. »

Mais, en un sens plus général, Jean resta dans la légende chrétienne ce qu’il fut en réalité, l’austère préparateur, le triste prédicateur de pénitence avant les joies de l’arrivée de l’époux, le prophète qui annonce le royaume de Dieu et meurt avant de le voir. […] Je rappelle que Sabiens est l’équivalent araméen du mot « Baptistes. » Mogtasila a le même sens en arabe.

1119. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVIII » pp. 198-205

« Je ne vois, dit l’auteur de la pièce, rien de si ridicule que cette délicatesse d’honneur qui prend tout en mauvaise part, donne un sens criminel aux plus innocentes paroles, et s’offense de l’ombre des choses. […] On est ravi de découvrir ce qu’il y peut avoir à redire ; et, pour tomber dans l’exemple, il y avait l’autre jours des femmes à cette comédie, vis-à-vis de la loge où nous étions, qui, par les mines qu’elles affectèrent durant toute la pièce, leurs détournements de tête, et leurs cachements de visage, firent dire de tous côtés cent sottises de leur conduite, que l’on n’aurait pas dites sans cela ; et quelqu’un même des laquais cria tout haut, qu’elles étaient plus chastes des oreilles que de tout le reste du corps 59. » L’autorité que je reconnais à Molière ne m’empêchera pas de dire qu’il y a peu de bonne foi à reprocher aux critiques d’avoir donné un sens criminel aux plus innocentes paroles et de s’offenser de l’ombre des choses.

1120. (1898) Inutilité de la calomnie (La Plume) pp. 625-627

Combien je sens qu’ils s’appliqueront à s’emparer de nos pensées, et à prendre enfin cette riche aptitude qui nous porte à être extasiés, perpétuellement, ici et là, au sujet d’une coquille marine, d’une belle demoiselle dénouant sa ceinture, ou bien d’un rouge grain de grenade. […] Ce livre, à mon sens, n’est pas beau.

1121. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

Si d’ailleurs, on s’enhardit à donner un sens au fait même de l’existence phénoménale, il semble qu’il faille mettre à sa source un désir de connaissance. […] Se diviser à l’infini, associer selon les proportions les plus variées le sujet, avec l’objet, se faire l’acteur de toutes les aventures afin d’en être le spectateur, tel apparaît le vœu de l’être phénoménal, à la fois inventeur et deviner d’énigme, auteur des charades sans nombre dont il cherche et divulgue le sens.

1122. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence du barreau. » pp. 193-204

Cet avocat, né avec un sens droit, un esprit clair & juste, avec une passion forte pour la vérité, sentit qu’elle étoit continuellement étouffée par un étalage ridicule de paroles inutiles & pompeuses. […] L’époque décidée de la révolution importante arrivée au barreau n’est fixée qu’à notre siècle : il n’a été donné qu’à lui de voir créer, en un sens, cette éloquence.

1123. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre VI. Suite des Moralistes. »

Ce n’était pas par défaut de génie, sans doute, que ce Pascal, qui, comme nous l’avons montré, connaissait si bien le vice des lois dans le sens absolu, disait dans le sens relatif : « Que l’on a bien fait de distinguer les hommes par les qualités extérieures !

1124. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Elles apprendront ainsi quel effort elles ont à faire pour s’intensifier, et pour se dilater dans le sens même de la vie. […] Un des principaux objets de cet Essai était en effet de montrer que la vie psychologique n’est ai unité ni multiplicité, qu’elle transcende et le mécanique et l’intelligent, mécanisme et finalisme n’ayant de sens que là où il y a « multiplicité distincte », « spatialité », et par conséquent assemblage de parties préexistantes : « durée réelle » signifie à la fois continuité indivisée et création.

1125. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Tandis que Racine enfant, l’esprit tout plein de Théagène et Chariclée, ne voyait rien de plus agréable au cœur et aux yeux (comme cela est en effet) que le vallon de Port-Royal-des-Champs, les religieuses et les solitaires s’en faisaient un lieu désert, sauvage, mélancolique, propre à donner de l’horreur aux sens ; ils n’avaient pas même la pensée de se promener dans les jardins. […] Le talent, je le sais, est bien à l’origine un talent gratuit, une sorte de prédestination non méritée, une grâce en un mot dans toute la rigueur du sens augustinien et janséniste, indépendamment de la volonté et des œuvres ordinaires de la vie. […] Son livre, et en général tous ses ouvrages depuis les Études jusqu’aux Harmonies, sont en ce sens une espèce de compromis entre l’ancien spiritualisme chrétien et l’observation irrécusable, je dirai aussi, le culte croissant de la nature : dans ses croyances à l’immortalité, il essaye, par exemple, de donner au ciel chrétien une réalité naturelle en faisant aller les âmes dans les planètes ou dans le soleil. […] Nulle part il n’a montré aussi vivement que dans ces deux ouvrages, et dans la Chaumière surtout, qui, après Paul et Virginie, approche le plus, comme a dit Chénier, de la perfection continue, ce tour de pensée et d’imagination antique, oriental, allant naturellement à l’apologue, à la similitude, qui enferme volontiers un sens d’Ésope sous une expression de Platon, dans un parfum de Sadi. […] Le sens visuel trop dominant éteint les autres.

1126. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

La pétition qui a été rapportée devant vous a eu tant de retentissement, les commentaires qu’elle a provoqués au dehors ont pris tant d’extension et d’importance, qu’il n’y a pas à hésiter quand on a sur ce sujet des convictions profondes, et pour mon compte je me sens comme obligé de dire mon mot. […] C’est une maxime gouvernementale. — Oui, mais dans des matières aussi indépendantes et aussi distinctes de la religion, l’enseignement, s’il ne doit pas être irréligieux, ne doit pas être religieux non plus (ce qui n’aurait aucun sens) : il doit être strictement scientifique. […] Que mon excellent et ancien ami et collègue d’autrefois durant mon court passage dans l’Université, que M. le ministre de l’instruction publique, si zélé pour le bien, si occupé en ce moment même, avec des ressources restreintes, de doter la science des instruments qui lui sont indispensables, que ce parfait et honnête représentant en haut lieu de la classe moyenne éclairée, me permette de le lui dire : Il a lui-même beaucoup pris sur lui en déclarant que la thèse « contient la négation du principe même de la morale et de l’autorité des lois pénales. » Telle n’est point, à mon sens, la conclusion obligée de cette thèse, quelque jugement qu’on en porte. […] Tant il est vrai que depuis nous avons beaucoup marché : reste à savoir en quel sens ! […] Dans de telles conditions, il ne saurait être raisonnable de faire au clergé cette concession exorbitante dont il userait aussitôt moins dans le sens de la science même que dans l’intérêt de sa propre influence à lui.

1127. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

La société politique, nullement délibérée, mais instinctive et fatale dans le sens divin du mot fatal (fatum, destinée), est un acte par lequel l’homme, né forcément sociable, se constitue en société avec ses semblables. […] La justice est une révélation divine qui n’a été inventée par aucun sage, aucun philosophe, aucun législateur, mais que tout homme, sauvage ou civilisé, a apportée dans sa conscience humaine ou dans son instinct organique et naturel en venant au monde, comme il y a apporté un sens invisible, le sens de la société. Le sens de la sociabilité, c’est le vrai nom de la justice. Sans ce sens divin de la justice, aucune société n’aurait pu exister une heure. L’équité est un sens composé de deux poids égaux que Dieu a mis, pour ainsi dire, dans chaque main de l’homme ; poids au moyen desquels l’homme pèse forcément en lui-même si tel de ces poids est égal à l’autre, et si l’équilibre moral est établi ou rompu entre les choses.

1128. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

Vous qui avez perdu une femme adorée, vous pouvez concevoir ce que je sens. […] Il est certain qu’il y a peu de femmes qui puissent se vanter d’avoir eu un ami tel que lui ; mais aussi je le paye bien cher dans ce moment, car je sens cruellement sa perte. […] Le sens de cette démarche, qui dut paraître si extraordinaire alors, n’est plus un secret pour nous aujourd’hui : on craignait que Chateaubriand, ayant visité Florence, n’eût appris bien des choses qui pouvaient nuire un peu à l’idéale peinture des amours d’Alfieri et de la comtesse. […] Il y a deux ou trois hommes d’esprit et de sens : du reste, c’est une ignorance dans les nobles dont je ne me faisais pas l’idée. […] Là il trouve une Laure à adorer dans une femme couronnée qui flatte sa vanité et ses sens.

1129. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

En homme d’un sens pratique prématuré, il s’occupa de sa fortune. […] IX Ces études, ces publications, ces représentations théâtrales, ces activités d’esprit dans tous les sens, ces correspondances s’associaient en lui au goût des plaisirs dans des sociétés d’élite. […] XII Cependant cette diversion malséante à des travaux multiples et sérieux en poésie, en histoire, en érudition de tout genre, n’empêcha pas Voltaire de grandir en tout sens. […] Le jour où cette indépendance, qui ne peut pas être éloignée et que les hommes de philosophie libre désirent ardemment, sera venue, ce jour-là seulement l’influence définitive de Voltaire sera fixée, et il ne restera de son nom et de son œuvre que ce qui doit en rester pour l’immortalité, c’est-à-dire : Un poëte lyrique sans flammes, sans ailes, sans enthousiasme ; Un poëte dramatique doué d’une certaine illusion théâtrale, mais d’un style au-dessous de Corneille, de Racine, style de parterre, qu’on peut entendre avec plaisir, mais qu’on ne peut relire avec admiration ; Un poëte badin au-dessous d’Arioste ; Un poëte familier égal à Horace ; Un historien inférieur à Thucydide, à Tacite, à Gibbon, à Montesquieu, sans profondeur dans les jugements, sans pathétique dans les sentiments, sans couleur et sans chaleur dans le récit, mais clair, rapide, sensé, judicieux, élégant, sincère, instruisant beaucoup, amusant toujours, ne trompant jamais son lecteur ; Un écrivain de lettres familières, tel qu’il n’en parut jamais dans l’antiquité ou dans les temps modernes, supérieur à Cicéron en facilité de style, égal en charme, en souplesse, en naturel à madame de Sévigné elle-même, féminin par la grâce, viril par le grand sens de ses lettres ; c’est là qu’il faut le chercher tout entier, ses imperfections sont dans ses œuvres, son génie est dans sa correspondance ; homme à la toise de beaucoup d’autres hommes si on le mesure quand il est vêtu, homme incommensurable en déshabillé ; Un polémiste dont on ne peut comparer l’éloquence aux éloquences de Cicéron, de J. […] Cet aveu n’est pas une médiocre louange, car l’universalité, ce n’est pas seulement l’étendue des facultés, c’est leur justesse ; l’universalité, c’est l’équilibre ; l’équilibre, c’est le bon sens ; le bon sens par excellence, c’est plus que le sens du génie, c’est le sens de la vérité.

1130. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Pierre Camo, de sa terre natale a retenu le sens des couleurs, des parfums, l’harmonie voluptueuse des paysages. […] C’est un “barbare” qui ignore ou dédaigne les jeux de la pensée et les effusions du sentiment, pour s’adonner à la griserie des sens… » M.  […] … Et puis ne sens-tu pas, d’une force invincible,                    Que ton âme a raison ? […] Elles sont enguirlandées de mélisse et de réglisse, de cityses et de citrons, de résine et de menthe dont elle excelle à pénétrer, à saturer ses poèmes, comme des sachets avec un sens de l’olfactif qui aromatise le terme et donne à l’expression quelque chose d’odorant qui ne se rencontre avec cette intensité que dans le style de d’Annunzio. » Servie par une culture très classique et un sensualisme très païen, elle sait le prix de l’heure qui s’enfuit. […] Elle a encore la sens des attitudes plastiques.

1131. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

Le sens historique, qui manquait au siècle, manquait à l’écrivain. […] Il examine devant vous son sens intime et vous convie à partager son expérience. […] Le juge littéraire doit avoir l’instinct du vrai, le sens de l’art. […] — Non ; le mouvement social n’étouffe point le sens littéraire : tout ce qui éveille l’intelligence d’une nation est moins pour la poésie un obstacle qu’un moyen. […] Gottlieb Baumgarten qui lui donna ce nom, parce qu’il lui assignait pour origine l’impression produite sur les sens (Ἀσθήσεις) : il la définissait : Scientia cognitionis sensitivæ .

1132. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Pour elle, le devoir est un mot vide de sens. […] Pour pénétrer le sens mystérieux des drames de M.  […] Il ne faut pas avoir usé ses yeux dans de longues veilles pour connaître le sens et la valeur de ces noms. […] C’est aux sens, et aux sens seulement, que s’adressent les ouvriers dramatiques ; or, si les joies de l’âme sont infinies, rien n’est plus étroit que le plaisir des sens ; c’est une vérité triviale, un aphorisme vulgaire. […] Pour les sens c’est le libertinage ; pour l’esprit, c’est l’ignorance ; pour le cœur, c’est l’égoïsme.

1133. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

dans quel sens ? […] Ils ont leur intérêt sens doute, mais cet intérêt est secondaire. […] Car, si c’est en un certain sens mettre Racine au-dessous de Corneille, en un certain sens, aussi c’est involontairement reconnaître que le drame de Racine est, comme nous le dirions aujourd’hui, « vécu ». […] Pour dominer, pour maîtriser, pour diriger l’opinion, dans quel sens fallait-il agir ? […] » C’est là le dernier mot de sa philosophie de l’histoire : il n’a pas le sens des grandes choses.

1134. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Il donna un coup de barre dans le sens du flot. […] Fouché le sentit, en homme de sens et d’expérience. […] Une épée fée n’a pas de sens. […] c’est qu’il y avait beaucoup de sens. […] Car, enfin, si c’est dans ce sens restreint, dans ce sens limitatif et ultra-limitatif que la grande sous-commission a employé le mot amour, pourquoi l’a-t-elle employé ?

1135. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Le Français a même à cet égard comme un flair particulier, comme un sixième sens. […] Mais il faut reconnaître que, tout à côté de leur vanité, ils ont un certain sens pratique. […] En un mot, il est despotiste démocrate, ou plutôt il est démocrate dans le sens précis du mot. […] Peu de propositions parlementaires, cependant, à ma connaissance, furent faites en ce sens. […] Le mot « État dans l’État », qui fait frémir tout démocrate français, n’a pas d’autre sens.

1136. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — I » pp. 248-262

Si quelqu’un semblait né pour être prêtre au plus beau et au plus digne sens du mot, c’était bien Bossuet. […] Les facultés merveilleuses qu’il avait reçues et qui se faisaient aussitôt reconnaître s’accoutumèrent sans aucun effort à trouver leur forme favorite et leur satisfaction dans les exercices graves qui remplissaient la vie d’un jeune ecclésiastique et d’un jeune docteur, thèses, controverses, prédications, conférences ; il y mettait tout le sens et toute la doctrine, il y trouvait toute sa fleur. […] Bossuet n’a rien d’un homme de lettres dans le sens ordinaire de ce mot ; ayant de bonne heure connu ces triomphes de la parole qui ne laissent rien à désirer en satisfactions immédiates et personnelles (s’il avait été disposé à les savourer), s’étant dès sa jeunesse senti de niveau avec la haute renommée qui lui était due, naturellement modéré, et avec, cela habitué à tout considérer du degré de l’autel, on ne le voit rechercher en rien les occasions de se produire par la plume et de briller.

1137. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Ma vie est suspendue à ces fragiles nœuds, Et je suis le captif des mille êtres que j’aime : Au moindre ébranlement qu’un souffle cause en eux, Je sens un peu de moi s’arracher de moi-même. […] crois un peu ; « Tu mords l’inconnu, je le couve ; « Je suis immortel, je sens Dieu. » L’intelligence lui dit : « Prouve. » C’est sincère. […] à mes pensers le signe se dérobe, Mon âme a plus d’élan que mon cri n’a d’essor ; Je sens que je suis riche, et ma sordide robe    Cache aux yeux mon trésor.

1138. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gautier, Théophile (1811-1872) »

Dans ce sens, il a vraiment innové : il a fait dire au vers français plus qu’il n’avait dit jusqu’à présent ; il a su l’agrémenter de mille détails faisant lumière et saillie et ne nuisant pas à la coupe de l’ensemble ou à la silhouette générale. […] Quand je me remets à feuilleter et à parcourir en tous sens, comme je viens de le faire, ce recueil de vers de Gautier, qui mériterait, à lui seul, une étude à part, je m’étonne encore une fois qu’un tel poète n’ait pas encore reçu de tous, à ce titre, son entière louange et son renom… J’aime infiniment mieux M.  […] grâce à lui, la raison reprend peu à peu sa place légitime, celle de frein dans les impulsions de l’imagination et de la sensibilité, et c’est là le vrai sens de la boutade : « Mes métaphores se tiennent, tout est là » ; c’est beaucoup du moins ; et comme on l’avait oublié autour de lui, Vigny et Sainte-Beuve exceptés !

1139. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

L’Homme est jetté dans l’Univers avec un esprit, des sens & des passions. […] Il fixe alors cette vaste étendue du Ciel, cette immense Nature, qui, fiere dans toutes ses productions n’a point fait d’esclaves, elle n’a point bâti de murs, elle n’a point forgé de chaînes ; cet oiseau qui sur une aîle hardie, franchit l’espace, cet animal des bois qui erre sans guide au gré de son instinct, l’ouragan qui passe, tout parle éloquemment à son cœur, & il apperçoit au milieu de l’Univers la liberté, & il s’écrie : c’est à toi que j’adresse mes vœux, ame des nobles travaux, mere des vertus & des talens ; toi qui formes les ames vigoureuses, les esprits élevés & lumineux ; toi qui ne faisant point d’opprimé, ne fais point d’oppresseur ; toi dont la main sacrée grave dans le cœur de l’homme le caractère primitif de la Justice ; c’est à toi que je voue mes jours, conduis mes pas & ma langue ; je le sens, tu éleveras ma pensée, tu la rendras digne de l’Univers. […] Voilà le sens que présentent ces mots.

1140. (1842) Essai sur Adolphe

Comme il n’y a pas dans ce tableau mystérieux un seul trait dessiné au hasard ; comme tous les mouvements, toutes les attitudes des deux figures qui se partagent la toile sont étudiés avec une sévérité scrupuleuse et inflexible, d’année en année nous découvrons dans cette composition un sens nouveau et plus profond, un sens multiple et variable malgré son évidente unité, qui ne se révèle pas au premier regard, mais qui s’épanouit et s’éclaire à mesure que notre front se dépouille et que notre sang s’attiédit. […] Tout ce qui se passe autour de nous avait pris un aspect nouveau, un sens imprévu.

1141. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre I : Philosophie religieuse de M. Guizot »

Il faut déraciner ces problèmes de son cœur pour se borner à l’étude du monde tel qu’il est ; mais en même temps qu’on croit écarter ces questions comme insolubles, on les tranche néanmoins dans un sens ou dans l’autre, et l’on prouve par là même qu’elles sont indestructibles. […] D’une part, ils soutiennent avec Condillac que toutes nos idées viennent des sens, et par là ils sont logiquement conduits à nier tout ce qui est au-delà ; de l’autre ils invoquent une prétendue loi historique d’après laquelle l’homme passerait de l’état théologique à l’état métaphysique, et de l’état métaphysique à l’état positif. Ces deux arguments succombent, l’un devant la philosophie, qui avec Kant et Leibniz découvre dans l’esprit humain des idées supérieures aux sens, l’autre devant l’histoire qui nous montre les trois états d’Auguste Comte, non pas successifs, mais toujours simultanés.

1142. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre V. Les figures de lumière »

quel sens pourrait-on bien trouver à une telle affirmation ? […] La première était à la fois une égalité de lignes de lumière et une égalité de durées psychologiques, c’est-à-dire de temps au sens où tout le monde prend ce mot. […] L’expression de « Temps physique » eût parfois été à double sens ; avec celle de « Temps mathématique », il ne peut pas y avoir d’équivoque.

1143. (1915) La philosophie française « I »

Celui de la relation de l’esprit à la matière, abordé dans un sens plutôt matérialiste, fut posé cependant par les philosophes français du XVIIIe siècle avec une précision telle qu’il appelait aussi bien, dès lors, d’autres solutions. […] Par l’appel qu’il a lancé au sentiment, à l’intuition, à la conscience profonde, il a encouragé une certaine manière de penser que l’on trouvait déjà chez Pascal (dirigée, il est vrai, dans un sens tout différent), mais qui n’avait pas encore droit de cité en philosophie. […] Mais, à sa manière, et dans un sens assez différent, il a eu, lui aussi, cette religion de l’humanité qu’avait rêvée le fondateur du positivisme.

1144. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre premier. Table chronologique, ou préparation des matières. que doit mettre en œuvre la science nouvelle » pp. 5-23

Là s’éleva le grand prêtre Manéthon15, qui donna à toute l’histoire de l’Égypte l’interprétation d’une sublime théologie naturelle, précisément comme les philosophes grecs avaient donné à leurs fables nationales un sens tout philosophique. […] Guidés par les principes de la science nouvelle, nous éviterons ces terribles écueils de la mythologie ; nous verrons que ces fables, détournées de leur sens par la corruption des hommes, ne signifiaient dans l’origine rien que de vrai, rien qui ne fût digne des fondateurs des sociétés. […] On sent ce qu’ont de sérieux ces communications entre les premiers peuples, qui, à peine sortis de l’état sauvage, vivaient ignorés même de leurs voisins, et n’avaient connaissance les uns des autres qu’autant que la guerre ou le commerce leur en donnait l’occasion.Ce que nous disons de l’isolement des premiers peuples s’applique particulièrement aux Hébreux. — Lactance assure que Pythagore n’a pu être disciple d’Isaïe. — Un passage de Josèphe prouve que les Hébreux, au temps d’Homère et de Pythagore, vivaient inconnus à leurs voisins de l’intérieur des terres, et à plus forte raison aux nations éloignées dont la mer les séparait. — Ptolémée Philadelphe s’étonnant qu’aucun poète, aucun historien n’eût fait mention des lois de Moïse, le juif Démétrius lui répondit que ceux qui avaient tenté de les faire connaître aux Gentils, avaient été punis miraculeusement, tels que Théopompe qui en perdit le sens, et Théodecte qui fut privé de la vue. — Aussi Josèphe ne craint point d’avouer cette longue obscurité des Juifs, et il l’explique de la manière suivante : Nous n’habitons point les rivages ; nous n’aimons point à faire le négoce et à commercer avec les étrangers.

1145. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

. —  Le sens moral en Angleterre. […] Cette politesse transplantée est un mensonge, cette vivacité un manque de sens, et cette éducation mondaine ne semble propre qu’à faire des comédiens et des coquins. […] Ce n’est pas l’esprit de société qui l’a faite, c’est le sens moral, et la raison en est que l’homme là-bas est autre que chez nous. […] C’est le sens moral qui, après lui avoir gardé la fidélité des basses classes, lui a conquis l’assentiment des hautes intelligences. C’est le sens moral qui de la conscience publique le fait passer dans le monde littéraire, et de populaire le rend officiel.

1146. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Ses deux vocations le tiraient en sens contraire : il dut opter entre elles à une certaine heure. […] Faut-il chercher un sens moral, philosophique, à ce poème ? […] Elle lui laissa, somme toute, moins de regrets que de réflexions de toute sorte qu’il se mit à agiter en tout sens. […] Molé, à armer ce discours en guerre, à l’amorcer en ce sens. […] En un endroit, on se demande ce que c’est que Le bon Sens qui se voit, la Candeur qui l’avoue, avec leurs majuscules.

1147. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

Ce visage est un concert de deux sens ! […] Mais les hommes doués du sens musical, tels que ces grands compositeurs ou tels que ceux qui sont dignes de les comprendre, qu’en ont-ils besoin ? […] Est-ce que cette langue des sons, par son vague même et par l’illimitation de ses accents, n’est pas plus illimitée dans ses expressions que les langues où le sens est borné par la valeur positive du mot et par la syntaxe, cette place obligée du mot dans la phrase ! […] « Maintenant, je suis plus maître de mes sensations, et je me sens en état, mon cher Théodore, de t’indiquer ce que j’ai cru saisir dans l’admirable composition de ce divin maître. […] Je sens les douces vapeurs des parfums italiens qui me firent pressentir hier la présence de ma voisine ; un sentiment indéfinissable, que je ne pourrais exprimer que par le chant, s’empare de moi.

1148. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

* * * — Un curieux mot de mère pieuse, de femme honnête à son gendre, lent à arriver à l’acte du mariage, mot que ne trouverait jamais une femme qui ne serait pas pieuse et pas honnête : « Mon cher Henry, c’est à vous à éveiller les petits sens de votre femme !  […] … ce n’est pas dans le dictionnaire… C’est une expression de peintre, ça… Tout le monde n’est pas peintre… C’est comme un ciel de couleur rose thé, rose thé… Qu’est-ce que c’est, une rose thé… » Et il répète une ou deux fois : « Rose thé », ajoutant : « Il n’y a que la rose, ça n’a pas de sens !  […] on ne peut être partout, et suffire à tout, les horizons de nos projets de travail sont si grands et si étendus en tous les sens ! […] » * * * — Nous, torturés de malaises continus, douloureux, presque mortels au travail et à la production spirituelle, nous ferions volontiers ce pacte avec Dieu : ne nous laisser qu’un cerveau pour créer, nos yeux pour voir, et une main avec une plume au bout, et prendre tout le reste de nos sens et les misères de nos corps, pour que nous ne jouissions plus en ce monde que de l’étude de l’humanité et de l’amour de notre art. […] … Moi aussi, depuis quelque temps, avec les choses qui se passent en politique, je me sens dans un état nerveux… » Et la scène finit dans la douceur d’un silence ému, où se retrempe et se resserre l’amitié.

1149. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

Par Dieu, — fixons encore le sens de ce mot, — nous entendons l’infini vivant. […] Pierre disait : On peut détourner les paroles de Paul en de mauvais sens. […] Le rieur est fin, acéré, poli, délicat, presque galant, et courrait même le risque quelquefois de se rapetisser dans toutes ces coquetteries s’il n’avait le profond sens poétique de la renaissance. […] Peut-être même dégage-t-elle un sens plus profond et un plus haut enseignement dans le second que dans le premier. […] Creusez en effet le sens de ces mots, posés comme des masques sur les mystérieuses qualités des génies.

1150. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Un dilettante, au sens élevé, en a besoin absolument pour continuer ses enquêtes et ses expériences. […] Le sens général de l’article est que tous les citoyens devraient avoir un intérêt à être patriotes. […] Alors… le mot de patrie ne pourrait avoir pour eux qu’un sens odieux ou ridicule. […] Elle les aspirait et les possédait par tous ses sens. […] D’ailleurs, nulle contradiction avec Vogüé pour ce qui tombe sous les sens.

1151. (1894) Études littéraires : seizième siècle

« Qui est celui qui voudrait nier le sens n’eu être grandement corrompu ? […] Or il sait que le premier devoir du médecin c’est d’amuser (le mot a deux sens), c’est d’amuser la maladie en amusant le malade. […] Il consiste, par exemple, dans les enfilades de mots qui riment entre eux avec un semblant de sens. […] Mais ce n’est pas là paradoxe dans le vrai sens du mot. […] Il devait devenir une libre philosophie, en s’abandonnant à ce « sens propre » que personne n’a plus redouté ni détesté que Calvin.

1152. (1886) Le roman russe pp. -351

D’ailleurs, la contradiction apparente était trop forte : d’une part, l’interprétation étroite de l’Évangile, — ce qu’on pourrait appeler le sens juif ; — d’autre part, une révolution qui semblait dirigée contre lui, tandis qu’elle était le développement naturel du sens chrétien. […] J’avoue ne la comprendre pas, du moins dans le sens où on l’entend aujourd’hui. […] Pour conclure, notre littérature réaliste ne nous a laissé que le choix entre ces deux formes du pessimisme, parce qu’elle a manqué du sens divin et du sens humain. […] Si les mots de notre langue ont un sens défini, Nicolas Vassiliévitch ne fut pas un mystique. […] Cet homme qui fut un naïf, au plus noble sens du mot, pour tant de choses inférieures, a bien pu l’être en politique.

1153. (1930) Le roman français pp. 1-197

Il avait le sens, et parfois le souci de la cadence. […] Aux deux sens, le propre et le figuré. […] Il venait donner « aux mots de la tribu » un sens sinon plus pur, du moins rajeuni. […] Et, dans un certain sens, il fut le précurseur du roman féminin écrit par les femmes. […] Olive Schreiner, la romancière sud-africaine, a là-dessus une phrase profonde : « La vie a des apparences extérieures volontiers aimables — et un sens intérieur qui est tragique. » Estaunié poursuit ce sens intérieur des choses.

1154. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Le premier trait du caractère espagnol, c’est le manque de sens pratique. […] Tous les sens sont pris, et à l’extrême, par un pétillement de séductions bizarres et poignantes. […] À mon sens, il y en a trop, et parmi tant de diamants, on rencontre quelques pierres fausses. […] L’autre ouvrage, au contraire, sur les Sens et l’Intelligence, est capital. […] Je le sens, et là-dessus l’exemple de M. de Loménie suffirait pour m’instruire.

1155. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

C’est un chant qui, comme un vers de poëte, contient mille choses par-delà son sens littéral, et manifeste la profondeur, la chaleur et les scintillements de la source dont il est sorti. […] Tout est pris ici, le cœur et les sens. […] Ces hommes ont les sens neufs et n’ont point de théories dans la tête. […] C’est que les grandes idées qui mènent un siècle finissent, en s’épuisant, par ne garder d’elles-mêmes que leurs vices ; le superbe sentiment de la vie naturelle devient le vulgaire appel aux sens. […] S’il voit les mille raisons qui poussent dans un sens, il voit aussi les mille raisons qui poussent dans le sens contraire.

1156. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

Trépidans a de la sensibilité, de l’instruction, du sens : mais quelle crainte qu’on ne s’en aperçoive pas assez tôt ! […] J’irai plus loin : tout artiste à la longue, tout grand artiste est hypocrite, comédien, en ce sens qu’il se domine et se possède en se livrant ; et aussi en cet autre sens qu’il juge et connaît par les deux bouts cette humanité qu’il charme. […] Une fois sortis de la première enfance, nous courons le long de notre petit rivage dans le même sens que le grand fleuve, et plus vite que lui : nous le devançons. […] On leur prête un grand sens qu’elles n’ont pas eu. […] le goût, le jugement, le sens critique, subtile, acre judicium ; la louange qui tombe juste ; ne pas dire précisément le contraire de ce qui est !

1157. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

Il y en a pour les sens, dans ces appartements que l’on commence à chauffer, dans ces lits qu’on garnit d’oreillers, dans ces carrosses dont pour la première fois on fait usage. […] Pour achever de les endurcir, les institutions travaillent dans le même sens que la nature. […] Dans cet universel retour aux sens, et dans cet élan des forces naturelles qui fait la Renaissance, les instincts corporels et les idées qui les consacrent se débrident impétueusement. […] Un rêve bien vain, bien ridicule. » Certainement, il est bien conté et encore mieux choisi, de sens profond, et de sens fort clair. « Charmant démon, dit tout bas son frère, l’entremetteur, elle lui apprend sous couleur de rêve à expédier son mari et la duchesse. » En effet, le mari est étranglé, la duchesse empoisonnée, et Victoria, accusée des deux crimes, est amenée devant le tribunal. […] —  Non pas l’amour des sens.

1158. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Colletet, « homme de peu de sens, dit le même Tallemant, mais qui aime fort à chopiner », renchérissait sur Scarron, et menait sa femme dîner et coucher en ville. […] Ainsi, pour avoir le vrai sens de l’admiration qu’inspire à Boileau cette facilité à trouver la rime, il faut se souvenir qu’il l’entend de la rime enchaînée au joug de la raison, de la rime qui enrichit le sens au lieu de le gêner, de la rime telle que la manie Molière dans le Misanthrope. […] Toute la querelle de Boileau avec les poètes contemporains porte sur la rime qui ne sert pas au sens. […] Au lieu de chercher des rimes qui enrichissent le sens, il en laisse échapper qui ne l’indiquent même pas ou qui l’obscurcissent. […] L’imitation, au sens défavorable qu’on y attache, n’existe pas entre écrivains de génie ; je ne la reconnais que chez un esprit médiocre qui fait des emprunts à un esprit excellent.

1159. (1888) Impressions de théâtre. Première série

Le Cid est, en un sens, une œuvre insurrectionnelle. […] Ou bien on y a cherché des sens profonds, on en a dégagé la philosophie abstruse. […] Ils ont, de plus, « le sens du mystère » : on le leur a dit. […] Je ne sens en moi qu’un vague grouillement d’idées banales ou d’idées confuses. […] Nous avons besoin que l’univers ait un sens, et qu’il ait celui-là.

1160. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — III. (Fin.) » pp. 371-393

C’était le moment où Bonaparte, nommé consul à vie (août 1802), instituant la Légion d’honneur, créant les sénatoreries, faisait subir à la première Constitution consulaire une modification essentielle qui l’inclinait dans le sens monarchique. […] Il en était encore à un certain projet de listes nationales de notabilités, projet conçu et adopté dans le premier ordre consulaire et provenant de Sieyès : comme Roederer avait été le rédacteur de ce projet de loi, il continuait de le croire existant, non incompatible avec les changements survenus, et il en écrivit en ce sens au premier consul, qui crut sentir à l’instant qu’il n’était plus compris. […] Et comme il était question un peu de tout avec Napoléon, et que sa pensée se portait en mille sens, je trouve encore, dans une de ces conversations, du 6 mars 1809, ce brusque jugement sur les unités et la règle des vingt-quatre heures, à propos de la tragédie semi-romantique de Walstein qu’avait publiée Benjamin Constant. […] Prenant acte de ces paroles de Brantôme et leur donnant un sens rigoureux, Roederer avait tâché d’en tirer toute une série de conséquences.

1161. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Elle fait effet, elle règne à la manière des puissants du siècle, et même plus qu’eux : Ils n’agissent que sur les esprits, et j’ai le cœur et les sens de plus dans mon domaine… Suis-je une dupe, dites-le-moi, de jouir à la manière des héros et des ministres, d’avoir sans peine ce qui leur coûte des années de travail, ce qui leur fait passer tant de mauvaises nuits dans la crainte d’en être privés ? […] [NdA] Il avait dit aux femmes de son temps bien des impertinences en effet et aussi des vérités ; il les avait montrées plus faciles à séduire par l’éclat et la vanité, que par le sentiment ou même les sens ; il avait dit par exemple : Louez, admirez, soyez étonné, en extase, ne craignez pas d’outrer les flatteries, l’enthousiasme auprès des femmes ; faites croire, si vous pouvez, à celle que vous voulez séduire qu’elle est une substance particulière plus près de l’ange que de la femme : vous serez cru ; que dis-je ? […] Il y avait tout à côté des réparations cependant et des hommages : « Celui, disait-il, qui a été aimé d’une femme sensible, douce, spirituelle et douée de sens actifs, a goûté ce que la vie peut offrir de plus délicieux. » Il avait dit encore (car M. de Meilhan n’oublie jamais ce qui est des sens) : « Un quart d’heure d’un commerce intime entre deux personnes d’un sexe différent, et qui ont, je ne dis pas de l’amour, mais du goût l’une pour l’autre, établit une confiance, un abandon, un tendre intérêt que la plus vive amitié ne fait pas éprouver après dix ans de durée. » Tout cela aurait dû lui faire trouver grâce, d’autant plus qu’il flattait les hommes moins encore que les femmes : « La femme, remarquait-il, est bien moins personnelle que l’homme, elle parle moins d’elle que de son amant : l’homme parle plus de lui que de son amour, et plus de son amour que de sa maîtresse. » — (Dans l’édition de 1789, l’auteur, en corrigeant, a supprimé çà et là quelques jolis traits.)

1162. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

Là où je verrais une contradiction et une séparation tranchée, ce serait si l’on comparait cette vie nouvelle qui s’essaie en tous sens à ce qu’étaient les vieilles femmes spirituelles du dernier grand monde avant l’ouverture du siècle et avant la renaissance de 1800, Mme Du Deffand, Mme de Créqui par exemple ; il y avait là goût parfait, jugement net, mais sécheresse ; rien au-delà. […] Toutes ces formes bizarres viennent de ce que ces pauvres arbres sont torturés dans leur jeunesse pour servir de clôture, et alors ils poussent comme ils peuvent et se tortillent dans tous les sens. […] Je me sens libre comme l’air et sauvage comme le vent. […] Mérimée a pour devise et pour marque aux livres de sa bibliothèque : « Μέμνησο ἀπιστεῖν », « Souviens-foi de ne pas croire. » — Le mot est emprunté du plus ancien des poètes comiques, Épicharme, mais un peu détourné de son sens.

1163. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Il a creusé en tout sens le sillon et l’a considérablement fécondé. […] Ainsi en jugeait le duc de Rohan quand il écrivait : « Philippe II poussa ses affaires si avant, que le royaume de France n’est échappé de ses mains que par miracle. » De loin, quand les événements ont tourné d’une certaine façon, on ne se représente pas aisément à combien peu il a tenu qu’ils ne tournassent dans un sens tout autre ; on voit des nécessités et des dénoûments tout simples là où il y a eu des bonheurs et de merveilleux secours. […] Si sur quelques points l’auteur est enclin et entraîné à trop accorder à Henri IV, à le faire plus libéral dans le sens moderne qu’il ne l’était, à donner une trop grande consistance à ce qui n’a été que fort court, à croire qu’il aurait tout fait s’il avait plus vécu, il y a un train général de bien-être et de félicité bien ordonnée pendant ce règne, sur quoi il est pleinement dans le vrai et ne se méprend pas ; et il nous apporte toutes les pièces à l’appui, les démonstrations victorieuses. […] J’aime peu ces réactions en sens divers ; car on laisse toujours tomber en chemin quelque vérité.

1164. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Laboulaye, l’estimable introducteur et commentateur, qui se plaît à retrouver dans ces écrits ses principes et sa propre doctrine, est un homme de l’école américaine, à prendre le mot dans le meilleur sens ; il est sincèrement d’avis que la liberté en tout, le laisser dire, le laisser faire, le laisser passer, est chose efficace et salutaire ; qu’en matière de religion, d’enseignement, de presse, d’industrie et de commerce, en tout, la liberté la plus entière amènerait les résultats en définitive les meilleurs, et que le bien l’emporterait sur le mal ; il pense que cela est également vrai chez toute nation civilisée et à tous les moments. Cette doctrine libérale, au sens le plus étendu du mot, Benjamin Constant la professa, du moins dans la presque totalité de ses écrits, et c’est ce qui fait de lui le publiciste par excellence aux yeux de M.  […] Je ne savais pas alors qu’il n’y avait au fond de républicain en France que moi et ceux qui craignaient que la royauté ne les fit pendre. » Pour réparer son tort, il se hâta de se réfuter en composant pour Louvet un discours en sens opposé, et que celui-ci prononça à la tribune peu après, mais qui ne réussit pas. […] Benjamin Constant était tout à fait, après le 18 fructidor, dans l’esprit et le sens du Directoire.

1165. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

Gavarni, « pendant ce séjour dans un pays pittoresque, en face des Pyrénées, essayait en tous sens son crayon : il dessinait des modes, des costumes pyrénéens, des paysages, des courses de chevaux, des descentes de diligence, etc. ; on me cite, entre autres dessins, les Contrebandiers et l’Inondation, qu’il fit imprimer à Bordeaux : sa première manière était, me dit-on, d’un soigné naïf. […] La caricature est l’outrage au vrai, — outrage dans le sens d’outrance. […] Il y eut dix années, où, à partir de 1837, il s’empara de la curiosité publique, de la vogue ; et lui et Balzac, ils se mirent à peindre, à silhouetter dans tous les sens la société à tous ses étages, le monde, le demi-monde et toutes les espèces de mondes. ; ils prirent la vie de leur temps, la vie moderne par tous les bouts. […]   Est-ce à dire pourtant que Gavarni, maître comme il est de ses sujets et se tenant au-dessus, soit un moraliste dans un autre sens que celui de peintre de mœurs, et qu’il ait prétendu, dans la série et la succession de son œuvre, donner une leçon ?

1166. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

C’était l’heure précisément où l’on venait de reprendre Corbie sur les Espagnols (14 novembre 1636), où Voiture écrivait à ce sujet la lettre si éloquente et si française qui, en révélant dans ce bel esprit un sens politique supérieur, est, à sa manière, une pièce d’histoire. […] Création, dans le sens de faire quelque chose de rien et de tout tirer de soi, il n’en saurait être question ici, puisque toute l’étoffe est fournie d’ailleurs : la création de Corneille est et ne saurait être que dans le ménagement habile, dans le travail complexe qu’il a su faire avec une décision hardie et une aisance supérieure. […] Tout ce qui est visible, accentué aux sens, tout ce qui parle distinctement aux yeux et qui dessine vivement et même bizarrement le monde extérieur tel qu’il est, il l’absorbe, il l’abstrait en quelque sorte, il le fait passer à l’état de sentiment pur, d’analyse raisonnée et dialoguée ; il le transpose de la sphère visuelle dans celle de l’entendement, mais d’un entendement net, étendu, sans vapeur, non nuageux, de cet entendement clairement défini, bien qu’un peu nu, tel que va le circonscrire et l’éclairer philosophiquement, dans son Discours de la Méthode et ailleurs, Descartes, ce grand contemporain du Cid. […] Dans cette scène pourtant, Chimène soutient le dialogue ; elle dit encore de belles choses, et qui sont bien dans le sens de sa passion.

1167. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

Il y a dans les Mémoires de Malouet une phrase dont je ne saisis pas bien le sens : c’est lorsque, venant de parler des projets de M. de Bouille pour le rétablissement de l’autorité royale, il ajoute : « J’imaginai cependant de donner un successeur à Mirabeau ; et la reine, qui ne connaissait pas mon projet, quoique j’en eusse prévenu M. de Montmorin, eut un moment d’humeur contre moi, et dit publiquement à son jeu qu’elle ne concevait pas comment M.  […] Raynal, emporté et hors de mesure, n’était plus qu’un prophète de malheur décontenancé et désappointé, s’agitant et déclamant comme toujours, bien qu’en sens contraire. […] Il paraît bien qu’après le premier tumulte toute la fin de la lettre avait été entendue assez patiemment ; Robespierre tira de là son exorde : « J’ignore quelle impression a faite sur vos esprits la lettre dont vous venez d’entendre la lecture ; quanta moi, l’Assemblée ne m’a jamais paru autant au-dessus de ses ennemis qu’au moment où je l’ai vue écouter avec une tranquillité si expressive la censure la plus véhémente de sa conduite et de la Révolution… Je ne sais, mais cette lettre me paraît instructive dans un sens bien différent de celui où elle a été écrite… Je suis bien éloigné de vouloir diriger la sévérité, je ne dis pas de l’Assemblée, mais de l’opinion publique, sur un homme qui conserve un grand nom ; je trouve pour lui une excuse suffisante dans une circonstance qu’il vous a rappelée, je veux dire son grand âge. […] Malouet se décide donc à rester, quoique inutile et n’ayant prise sur aucune des trois personnes royales : « Je n’étais pour eux qu’un serviteur fidèle, qu’ils ne pouvaient employer dans leur sens ni dans le mien.

1168. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

Les limites dans lesquelles leur sens propre peut s’exercer et se mouvoir publiquement sont fort étroites, et, comme cette contrainte est inséparable de leur grandeur et même la préserve, ils s’y résignent facilement ou plutôt n’ont point à s’y résigner, car ils ne la considèrent pas comme une contrainte. […] Le voyage en sens contraire ne se fait point. […] Mais, à mesure qu’on vit, on acquiert un sens plus exact des réalités. […] Je m’en sens si profondément incapable que je commence à admirer ceux qui ont cette puissance en eux.

1169. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre premier »

Deux causes nous en dérobaient depuis longtemps la vue : l’ignorance qui avait perdu le sens de ses monuments, et la scolastique, qui obstruait de sa fausse science la source même de la vraie science, c’est-à-dire les livres où elle est consignée. […] Pareils à ces Juifs dont parle Pascal, qui gardaient d’autant plus fidèlement le dépôt des divines promesses, qu’ils en comprenaient moins le sens, les catholiques, du fond de leur ignorance, avaient défendu la tradition sans la comprendre, par les vaines arguties de la scolastique et par la violence. […] Ces tours si vifs et si heureux cette élégance peu ornée, parce que l’ornement gâterait le sens, ces proverbes populaires semés dans l’entretien à l’appui des réflexions, ce sont les vraies traditions de la comédie, et de tous ces ouvrages de formes diverses, dont la vie sociale est la matière. […] C’est, dit Marot, épître ii, La dame de cueur Mieulx excusant les esprits et le sens Des escribvains, tant soient-ils innocents, Et qui plustost leurs misères, déboute.

1170. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

Il passa donc toute sa jeunesse en savant dégagé et libre, se promenant avec une curiosité infatigable dans le champ du savoir et de l’esprit humain, véritable amateur, au sens antique, parcourant toutes les sciences sans s’attacher à aucune, n’excluant rien, ne méprisant rien, mais se gardant aussi de surfaire. […] La curiosité, après tout, le plaisir de connaître et d’embrasser en tout sens, l’emportait chez lui sur le jugement même, sur la vivacité de l’impression et la netteté du choix. […] Il n’est pas de ceux qui aiment à se singulariser ni à rien outrer ; il se disait dans les petites choses, et peut-être dans les grandes, ce qu’il écrivait un jour à Ménage : « Vous voyez que tout le monde le fait ; il fait bon suivre le torrent, et ne se faire remarquer ni dans un sens ni dans l’autre. » Quand il était à l’état profane et naturel, il se trouvait par inclination sceptique et pyrrhonien. […] [NdA] On cite quelquefois une phrase de Huet comme ayant un air de prophétie ; elle est dans son Histoire du commerce et de la navigation des anciens, qu’il écrivait sous le ministère de Colbert ; il parle des Russes, qu’on appelait encore Moscovites : « Que s’il s’élevait parmi eux quelque jour, dit-il, un prince avisé qui, reconnaissant les défauts de cette basse et barbare politique de son État, prît soin d’y remédier en façonnant l’esprit féroce et les mœurs âpres et insociables des Moscovites, et qu’il se servît, aussi utilement qu’il le pourrait faire, de la multitude infinie de sujets qui sont dans la vaste étendue de cette Domination qui approche des frontières de la Chine, et dont il pourrait former des armées nombreuses ; et des richesses qu’il pourrait amasser par le commerce, cette nation deviendrait formidable à tous ses voisins. » Je ne donne pas la phrase comme bien faite, mais elle est curieuse et prouve que Huet, avec un tour très latin en français, est capable, plus qu’on ne croirait, d’un sens très moderne.

1171. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

Il eut un gouverneur et suivit les cours des Écoles centrales ; mais surtout il s’appliqua ensuite à refaire de lui-même ses études, et à les étendre, à les fortifier en tous sens par le travail et la réflexion. […] Nous touchons là à l’un des traits principaux qui caractérisent l’esprit de M. de Broglie, et en général l’esprit doctrinaire, en prenant ce mot dans son vrai sens primitif. […] Dans ce sens et en présence des choses, il se pique d’être un homme pratique, et il l’est certainement. […] S’adressant aux amis du genre classique et à ceux du genre romantique, il posait avec un grand sens et avec une haute impartialité l’antagonisme et la concurrence légitime des deux genres ; il en présentait en quelque sorte la Charte, — hélas !

1172. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

Quant aux phrases que je cite des anciens écrivains, persuadé du grand sens de cette devise de la Communauté des savetiers : Nihil sub sole novum, Rien de nouveau sous le soleil, plagiat pour plagiat, j’ai cru qu’autant valait être l’écho d’Homère, de Cicéron et de Plutarque, que de l’être des clubs et des cafés, que d’ailleurs j’estime beaucoup. […] Il chauffe l’opinion, la passion, dans le sens où elle veut être chauffée, et il se vante d’être toujours de six mois, ou même de dix-huit mois, en avance. […] Je consultai ensuite mes amis, et leur demandai si je devais lui répondre pour confondre ses inepties, le faire rougir de son insigne mauvaise foi, et détruire, autant que je pourrais, le venin dont son nouvel écrit est rempli : ils m’observèrent tout d’une voix que lorsqu’un auteur tronque ou falsifie tout ce qu’il cite, en dénature le sens, vous prête des intentions qu’il est évident que vous n’avez point eues, un homme d’honneur ne doit point lui répondre, parce qu’il est au-dessous d’un homme d’honneur de prendre la plume contre un homme à qui l’on ne peut répondre que par des démentis ; que vouloir le faire rougir est une entreprise folle qui passe tout pouvoir humain ; que détruire ses discours, est inutile, parce que cet homme est trop connu pour être dangereux ; que, même dans ce qu’il appelle son parti, il ne passe que pour un bouffon, quelquefois assez divertissant, et qu’il serait difficilement méprisé par personne plus qu’il ne l’est par ses amis, car ses amis le connaissent mieux que personne. […] Deux ans auparavant, il avait été moins poli envers cet énergumène, lorsqu’il lui disait, dans une occasion où il était en polémique avec lui : Tu auras beau me dire des injures, Marat, comme tu fais depuis six mois, je te déclare que, tant que je te verrai extravaguer dans le sens de la Révolution, je persisterai à te louer, parce que je pense que nous devons défendre la liberté, comme la ville de Saint-Malo, non seulement avec des hommes, mais avec des chiens 12.

1173. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

Il sortit de Paris le 31 mars au matin, ayant reçu un choc électrique dans un autre sens que sa religion militaire. […] Une réponse fut faite en ce sens par Marmont aux ouvertures du prince de Schwarzenberg, et, en attendant l’acceptation définitive, une autre lettre fut préparée par lui et adressée à l’Empereur, dans laquelle il lui disait qu’ayant rempli ce qu’il devait au salut de la patrie, il venait désormais remettre en ses mains sa tête et sa personne. […] Marmont s’est trouvé en face d’événements plus forts que les hommes ; tout s’arrangera ; il nous reviendra avant peu. » Dans tout ce que je dis ici sur Napoléon, je sens combien la lutte est inégale entre lui et Marmont, et je ne prétends nullement l’établir : mais j’aime à recueillir les bonnes paroles, celles qui tendaient à réparer. Marmont, aux heures habituelles, aimait à résumer ainsi le sens de toute sa conduite avec Napoléon : « Tant qu’il a dit : Tout pour la France, je l’ai servi avec enthousiasme ; quand il a dit : La France et moi, je l’ai servi avec zèle ; quand il a dit : Moi et la France, je l’ai servi avec dévouement.

1174. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

bientôt sur ce canevas si follement tracé viendra une musique tout assortie, rapide, brillante aussi, légère, tendre, fine et moqueuse, s’insinuant dans l’âme par tous les sens, et elle aura nom Rossini. […] Il se trompait là dans le sens de la prose, et c’est tant mieux qu’il se soit trompé. […] Rien de charmant, de vif, d’entraînant comme les deux premiers actes : la comtesse, Suzanne, le page, cet adorable Chérubin qui exprime toute la fraîcheur et le premier ébattement des sens, n’ont rien perdu. […] Un homme d’esprit et de sens, que j’aime à consulter sur ces choses et ces personnages d’expérience humaine28, me fait remarquer qu’il y a de la prétention et du métier dans les mots et les reparties de Figaro.

1175. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Il semble que Heine, — et ce trait lui est commun avec d’autres, — ne peut subir qu’une seule affection, dont le mécanisme devenu prédominant et constamment dispos, a atrophié les autres ; tous les ébranlements transmis par ses sens, causés par ses souvenirs, sont réfléchis suivant un angle mystérieux vers le même point vif de son âme, aboutissent à une même et constante tristesse songeuse. […] Heine fut, entre tous les poètes, un analyste de lui-même ; il se divisa, s’examina et sous ses yeux perçants, moqueurs et tristes, se donna carrière dans tous les sens. […] Que l’on réfléchisse que Heine n’était pas un philosophe chez qui domine la faculté raisonnante, mais un artiste nerveux, irritable et fantasque, qui avait passé sa vie à ciseler des souffrances à demi imaginaires dans de jolies chansons moitié mélancoliques, moitié railleuses, qu’à ce constant exercice de sa sensibilité, celle-ci s’était hypertrophiée et affinée, que sa volonté était plus vaniteuse que forte ; — Henri Heine, comme beaucoup d’autres, se mit à refaire en sens inverse l’évolution religieuse de sa vie. […] Et comme sous l’influence dissolvante de l’âge et de la maladie, l’âme dépouille d’abord ses acquisitions les plus tardives, suivant en sens inverse, dans sa ruine, les étapes par où elle a passé de la jeunesse à l’âge stérile, ce sont les premières assises cérébrales, les notions héréditaires ou enfantines, qui subsistent les dernières.

1176. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

Tel est le sens véritable du vitalisme, considéré au point de vue expérimental et rigoureusement physiologique. Sans doute introduire une force vitale comme un deus ex machina qui dispenserait de l’étude des phénomènes, c’est retomber dans la scolastique, c’est ressusciter la vertu dormitive et toutes les facultés occultes : c’est ce que Leibnitz appelait la philosophie paresseuse, qui prend les mots pour les choses ; mais en un autre sens l’expression de force vitale est d’une grande utilité. […] Ne dites pas qu’il en est de même des fonctions physiologiques, dont le comment échappe à nos sens : je répondrais que le comment de la pensée nous échappe également, mais que le phénomène de la pensée nous est parfaitement connu et qu’il ne nous est connu qu’intérieurement ; bien plus, qu’il ne peut être en aucune façon représenté sous une forme objective. […] En quoi consiste précisément cette idée, c’est ce qu’il n’est point facile de dire ; mais le sens intime nous atteste que nous avons un tel pouvoir, quoi qu’en puisse dire la physiologie.

1177. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

Dans un sens différent, MM.  […] Polti, — avec une éducation très complète de l’intelligence scénique, — le sens de la continuité, de l’influence et des ressorts d’une idée dramatique, idée que le ciel, la race, la terre ont créée. […] Jacques Boulenger. — Avec un soin scrupuleux servi par un sens psychologique très averti ouvre les Comptes de Louise de Savoie et s’intéresse aux Protestants de Nîmes après l’édit de Nantes. […] Henri Dagan dont l’intelligence large, éclairée, précise, le sens esthétique, l’enthousiasme sans sectarisme ont groupé autour de l’Œuvre Nouvelle quelques libres esprits.

1178. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

Un être né homme, avec des sens, un sexe, un cœur, un cerveau, une volonté, une conscience. […] Il entre au séminaire, possédant en germe des facultés dont le développement normal constituerait son existence future : des sens en éveil, une aube de joie de vivre, une tendance à exercer la fonction intellectuelle, un appétit de sentir, de jouir, de connaître. […] Pour ce qui est de ses sens, dès le premier jour, on s’efforce d’en arrêter tout net l’épanouissement. […] Ne sens-tu point la honte d’une pareille servitude ?

1179. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — II »

Il dégage en nous, il ravive, il divinise ces empreintes chères à nos sens et dont tant de fois s’est peinte notre prunelle, ces comparaisons presque innées, les premières qui se soient gravées dans le miroir de nos âmes. […] De là aussi plusieurs défauts qui sautent aux yeux des moins habiles et qui découlent immédiatement des précédentes qualités : trop de lumières, des ombres vagues, des contours quelquefois indécis ; du débordement et de l’exubérance ; une expansion en tous sens, qui laisse se glisser, dans les intervalles des choses sublimes, quelques idées, trop faciles, trop promptes, écloses avant terme.

1180. (1874) Premiers lundis. Tome II « Charles de Bernard. Le nœud Gordien. — Gerfaut. »

Quoique un vrai talent dramatique s’y marque jusqu’au bout, j’avoue que cette fin me plaît peu, et, sans me gâter le reste, ne l’achève pas, à mon sens, avec autant de vérité qu’on a droit d’attendre. […] Gerfaut, homme célèbre d’aujourd’hui, a tué à la chasse le baron de Bergenheim ce matin ; madame de Bergenheim s’est jetée à rivière ; on a supposé qu’en épouse passionnée elle n’avait pu survivre à son mari, que Gerfaut lui-même était au désespoir de son coup de fusil maladroit : les journaux ont inséré l’article nécrologique en ce sens.

1181. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

Vous vous pénétrerez de votre nature, pour ne pas la contrarier et pour la diriger au contraire plus sûrement dans le sens où elle se porte : on n’écrit bien qu’à ce prix. […] On tient en grande estime la grammaire et l’orthographe : les candidats aux diplômes écrivent correctement les mots dont ils ne comprennent pas le sens, et analysent très exactement toutes les proportions qui composent une phrase : il n’y a que l’idée, dont ils ne savent que dire, ni si elle est juste ni si elle est fausse, ni même quelle elle est.

1182. (1897) Manifeste naturiste (Le Figaro) pp. 4-5

Bien qu’il nous ait, parfois, conviés à assister aux pires situations du monde, nous n’en conçûmes aucun dégoût, et si passionné qu’il pût être, il ne le fut jamais au point de perdre le sens des solides proportions dont nous ont pourvus les Latins. […] D’ailleurs ces grands artistes ne contentèrent point tout à fait des hommes à qui la compagnie de Napoléon, des héros guerriers, des postes grecs et de Wagner, ont, malgré tout, communiqué un sens plus étendu de la beauté humaine.

1183. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre I. Les travaux contemporains »

Le second volume surtout intéressera les philosophes par des analyses psychologiques fines et neuves sur les sens, l’imagination, les rêves, les hallucinations. […] Tandis que certains physiologistes portaient leurs études jusque sur les confins de la philosophie, il est juste de dire que les philosophes de leur côté essayaient une marche en sens inverse.

1184. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre V. Le mouvement régionaliste. Les jeunes en province » pp. 221-231

Voici, à titre d’exemple, le programme d’une ces jeunes revues63 : celle-ci « prétend refléter l’âme nouvelle de la jeunesse, ses préoccupations sociales sans s’inféoder à aucune politique, son souci d’art national, simple, vigoureux, méthodique, suivant le sens de l’esprit latin. […] — Or j’ai fait desceller pour toi la tombe ancienne Où dorment les aïeux, où ma place m’attend, Et descendre moi-même au fond, pieusement, Ton cercueil de bois blanc sur les bières de chêne, Et j’ai pleuré…………………………… Puis, un jour, par hasard j’ai connu ton histoire, Pastoure qui chantais dans les seigles d’été, J’ai compris ton amour maternel, ta bonté, L’énigme de tes yeux qui hantait ma mémoire, Servante dont les doigts noueux étaient câlins… Je me sens aujourd’hui, sacrilège, ô servante, Dors, l’orgueil d’un poème est indigne de toi… Ô pays, le printemps va fleurir tes sous-bois : Les tourdelles déjà grapillent dans le lierre ; Plateaux et vous, blés noir, qu’un aïeul cultiva Terre dont j’ai compris la pauvreté hautaine C’est peut-être, en mon cœur, elle, qui réveilla L’atavisme endormi de ma race lointaine, L’orgueil des champs, l’orgueil des fruits, l’orgueil du sol Et dans le dernier fils des aïeux cévenols !

1185. (1879) Balzac, sa méthode de travail

La pensée éclate en paraboles qui se projetant en tous sens, font penser à des batteries vomissant des obus et des grenades. […] Qui verrait aujourd’hui, dans une vente d’autographes, le prix d’un manuscrit complet de l’auteur de la Tour de Nesle comparé à une simple page semblable à celle ci-dessus, se rendrait compte que les récompenses de la postérité sont en sens inverse de la fortune des écrivains pendant leur vie.

1186. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 1, idée generale de la musique des anciens et des arts musicaux subordonnez à cette science » pp. 6-19

Il est à mon sens le plus methodique de ces ouvrages ; et comme son auteur grec de nation frequentoit tous les jours les romains, puisqu’il a vécu dans le temps que tous les païs habitez par les grecs étoient soumis aux successeurs d’Auguste, il a dû sçavoir l’usage qu’on faisoit de la musique à Rome et dans la Grece. […] Comme les chants qui étoient l’ouvrage de la composition, se nommoient alors quelquefois ainsi qu’ils se nomment à present : de la musique absolument, les anciens divisoient la musique prise dans le sens que nous venons de dire, en trois genres, sçavoir, le genre diatonique, le genre chromatique et le genre enarmonique.

1187. (1897) L’empirisme rationaliste de Taine et les sciences morales

Suivant les rationalistes, au contraire, le mystère n’existe qu’à la surface et pour les sens ; tout l’effort de la réflexion doit tendre à le dissiper. […] Or, ils ne paraissent pas se douter des recherches qui sont faites dans ce sens.

1188. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

L’un des plus grands de ce siècle, et qu’on n’accusera pas, tout poète qu’il fut, de manquer du sens profond de la réalité, — car c’est précisément ce sentiment incomparable qui fit le plus pur de sa gloire, — Walter Scott avait pensé toute sa vie à traiter le sujet qui a tenté Louandre, et sur ses derniers jours il écrivit, trop à la hâte, hélas ! […] À notre sens, il y avait donc deux manières d’écrire ou de concevoir cette histoire de la Sorcellerie qui n’a pas encore été carrément abordée, malgré l’essai de Walter Scott, et qui, riche en détails, en monographies, ressemble à un bloc de marbre dégrossi attendant le ciseau du maître !

1189. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VII. D’Isocrate et de ses éloges. »

D’abord, un des principaux mérites d’Isocrate, était l’harmonie ; on sait combien les Grecs y étaient sensibles ; nés avec une prodigieuse délicatesse d’organes, leur âme s’ouvrait par tous les sens à des impressions vives et rapides ; la mélodie des sons excitait chez eux le même enthousiasme que la vue de la beauté ; la musique faisait partie de leurs institutions politiques et morales ; le courage même et la vertu s’inspiraient par les sons. […] Je sens l’un ; il me poursuit, il me presse ; je vais lui répondre.

1190. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

* * * — Il y a de la pacotille dans l’humanité, des gens fabriqués à la grosse, avec la moitié d’un sens, le quart d’une conscience. […] Peut-être est-ce ce qu’on devrait le moins lui apprendre, car c’est lui créer un sens d’aspiration à ce qui n’est pas. […] La maison encore sens dessus dessous du déménagement du ménage Catulle Mendès. […] On aimera follement une femme, pour sa putinerie, pour la méchanceté de son esprit, pour la voyoucratie de sa tête, de son cœur, de ses sens ; on aura le goût déréglé d’une mangeaille pour son odeur avancée et qui pue. […] — Au fait, vous savez, ça n’a aucun sens, jette Renan, il y a une société d’Allemands qui a trouvé un autre sens.

1191. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

C’est là le sens de cette fameuse comparaison du poète avec le pélican. […] L’idéal, en ce sens, c’est la Géométrie mise en vers. […] Si cependant vous creusez un peu cette idée, vous verrez qu’elle est pleine de sens. […] Victor Hugo a le sens de l’histoire, mais il n’entre pas dans les détails. […] Nous ne comprenons pas, parce qu’il n’y a rien à comprendre, parce que ces vers n’ont pas de sens, parce que les auteurs n’ont pas voulu qu’ils eussent de sens.

1192. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Dans son livre sur le choix et la méthode des études, il a montré un sens droit et juste, un amour vif et éclairé de l’antiquité, sans pédanterie ni affectation. […] On voyait que, dans ses ouvrages, tout commençait à tendre au même but, ou, pour parler plus exactement, à marcher dans le même sens. […] Les sens apportent plus ou moins de matière à l’activité de leur flamme. […] C’est en ce sens que Fénelon, tout admirateur qu’il était de l’antiquité, parla toujours de la politique française. […] Je me sens, aussi, exigeant envers moi-même, et je voudrais trouver des paroles égales à mes impressions.

1193. (1881) Le naturalisme au théatre

Un sens me manque peut-être. […] Il finira par avoir le sens que nous lui donnerons. C’est uniquement ce sens qui est la grande affaire. […] Décidément, ce prêtre d’Isis manque de sens moral. […] Ici, je me sens les bras cassés.

1194. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Notre critique n’a plus de sens. […] Labiche, Indiana et Robert Macaire, tout a chez lui le même sens, un sens terrible, mais monotone. […] Comme tout cela, d’ailleurs, était plein de sens ! […] Il a en ce sens une spécialité de génie vraiment terrible. […] quelle musique qui vous prend à la fois l’oreille, l’âme et les sens !

1195. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

De 1820 à 1824, il se mit, avec l’aide d’un ami alors bien jeune, mais doué d’un sens philologique remarquable, M.  […] Magnin, qu’il avait peut-être fallu un peu enhardir et pousser d’abord, demeura ensuite fidèle aux impressions de cette forme de drame où l’imagination et la fantaisie jouaient un si grand rôle et s’accordaient plus d’exagérations en tous sens que la fibre française, hélas ! […] Magnin des airs superbes, et il se sentait pour lui quelque dédain qu’il ne dissimulait pas ; il riait de lui voir des velléités de savoir en tous sens quand les instruments pour cela lui manquaient en partie ; il ne se prêtait pas toujours à le satisfaire, quand on le questionnait au nom de son curieux et friand collaborateur, sur les choses et les hommes d’au-delà du Rhin : « Ce sont des envies, des caprices d’érudition, disait-il ; il peut attendre. » Il triomphait avec supériorité de son accès aux hautes sources germaniques et de sa première nourriture de moelle de lion. […] Magnin, tout distingués qu’ils sont, laissent cependant quelque chose à désirer pour la netteté et le sens précis des conclusions. […] Il n’insista pas sur les vraies causes qui expliquaient et légitimaient suffisamment la réaction. : il s’efforça plutôt d’en atténuer le sens, comme s’il eût craint de rompre avec ceux qu’elle contrariait.

1196. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Je ne lui aurais pas conseillé de venir plus tard, même au temps de l’adorable Fénelon, qui eût déjà un peu trop abondé en son sens et peut-être bercé sa chimère198. […] Non, poursuivis-je, la beauté n’est vraiment irrésistible qu’en nous expliquant quelque chose de moins passager qu’elle, qu’en nous faisant rêver à ce qui fait le charme de la vie, au delà du moment fugitif où nous sommes séduits par elle ; il faut que l’âme la retrouve quand les sens l’ont assez aperçue. » « Tu le sais, mon ami, écrit Gustave, j’ai besoin d’aimer les hommes ; je les crois en général estimables ; et si cela n’était pas, la société depuis longtemps ne serait-elle pas détruite ? […] Vous n’êtes point captive dans les liens de la mort, comme tout ce qui n’a eu que le domaine du mal pour régner ou pour servir. » Et elle finit en montrant la Croix laissée dans ces lieux comme un autel magnifique qui doit tout rallier, et qui dira : « Ici fut adoré Jésus-Christ par le héros et l’armée chère à son cœur : ici les peuples de l’Aquilon demandèrent le bonheur de la France. » Ces pages expriment clairement en quel sens Mme de Krüdner concevait et conseillait la sainte-alliance ; mais ce qui était son rêve, ce qui fut un moment celui d’Alexandre, se déconcerta bientôt, et s’évanouit en présence des intérêts contraires et des ambitions positives, qui eurent bon marché de ces nobles chimères. […] Après tout, sous une forme particulière, dans son langage biblique vague, mais avec un sentiment vivant et nouveau, Mme de Krüdner n’a fait autre chose qu’entrevoir à sa manière et proclamer de bonne heure, du sein de l’orage politique, cette plaie du néant de la foi, de l’indifférence et de la misère moderne, qu’avec plus ou moins d’autorité, de génie, d’illusion et de hasard, ont sondée, adoucie, aigrie, déplorée et tourmentée tour à tour ceux qui, en des sens divers, tendent au même but de la grande régénération du monde, Saint-Martin, de Maistre, Saint-Simon, Ballanche, Fourier et La Mennais. […] Il y a ici une incorrection de langage (assistant ne se prenant point dans un sens absolu) ; l’auteur de Valérie, en se faisant instrument divin et prophétesse, soignait beaucoup moins son expression.

1197. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Il y a un calme, une douceur, une tristesse dans tout ce qui vous environne, qui pénètre par tous les sens ; et cette douceur, cette tristesse tombent vraiment goutte à goutte sur le cœur, comme la fraîcheur du soir. […] Non, tu n’avais pas tué l’amour dans ton cœur ; tu en étais plutôt resté au premier, au timide et novice amour ; mais sans la fraîcheur naïve, sans l’ignorance adorable, sans les torrents, sans le mystère ; avec la disproportion de tes autres facultés qui avaient mûri ou vieilli ; de ta raison qui te disait que rien ne dure ; de ta sagacité judicieuse qui te représentait les inconvénients, les difficultés et les suites ; de tes sens fatigués qui n’environnaient plus, comme à dix-neuf ans, l’être unique de la vapeur d’une émanation lumineuse et odorante ; ce n’était pas l’amour, c’était l’harmonie de tes facultés et de leur développement que tu avais brisée dans ton être ! […] ……… Dans cette retraite heureuse et variée, l’âme de Farcy s’ennoblissait de jour en jour ; son esprit s’élevait, loin des fumées des sens, aux plus hautes et aux plus sereines pensées. […] Ce jugement est assez favorable pour que je m’en honore, et il est à la fois assez sévère pour que j’ose le reproduire ici : « Dans le premier ouvrage (dans Joseph Delorme), dit-il, c’était une âme flétrie par des études trop positives et par les habitudes des sens qui emportent un jeune homme timide, pauvre, et en même temps délicat et instruit ; car ces hommes ne pouvant se plaire à une liaison continuée où on ne leur rapporte en échange qu’un esprit vulgaire et une âme façonnée à l’image de cet esprit, ennuyés et ennuyeux auprès de telles femmes, et d’ailleurs ne pouvant plaire plus haut ni par leur audace ni par des talents encore cachés, cherchent le plaisir d’une heure qui amène le dégoût de soi-même. […] « Ces goûts changeront ; cette sincérité s’altérera ; le poëte se révélera avec plus de pudeur, il nous montrera les blessures de son âme, les pleurs de ses yeux, mais non plus les flétrissures livides de ses membres, les égarements obscurs de ses sens, les haillons de son indigence morale.

1198. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

Je comparerais cette intelligence à un miroir presque plan, très-légèrement concave, qui a la faculté de s’égaler aux objets devant lesquels il est placé, et même de les dépasser en tous sens, mais sans en fausser les rapports. […] … Nous ne concevons pas que tant de gens de conscience se jettent dans les affaires politiques, et poussent le char de notre fortune dans un sens ou dans un autre, avant d’avoir songé à se poser ces grandes questions…. […] Le mot distingué, qui revient fréquemment dans cet article et qui s’applique si bien à la génération qu’on y représente, a commencé d’être pris dans le sens où on l’emploie aujourd’hui, à partir de la fin du xviie  siècle. […] Dans toutes les langues, et surtout dans les plus belles, les mots qui n’ont été employés d’abord qu’avec des régimes s’en séparent ensuite et conservent un sens très-précis, très-clair, même en restant tout seuls. » — Nous recommandons humblement cette note au Dictionnaire de l’Académie française. […] Jouffroy, depuis, s’est décidé à parler, et il l’a fait avec le succès que nous présagions, bien que dans un sens un peu différent de celui qui nous semblait probable à cette date de décembre 1833, et que nous eussions préféré.

1199. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

Ils disent : Ceci vient des sens, ceci vient de l’être immatériel. […] Il est une sorte de surabondance de vie et de sensations qui déborde des sens, et qui a besoin de se répandre en effusions mélodieuses, même quand ces effusions mélodieuses n’ont pas d’autre écho que notre oreille. […] Aussi, après quelques volées, toute ma douleur chantait en moi, en me déchirant les sens et le cœur ; mais ce désespoir chantait véritablement, sur les deux ou trois notes de la cloche, l’hymne de deuil et de tendresse à ma mère absente à jamais de mes yeux. […] C’était l’eau de feu de la Révolution qui distillait dans les sens et dans l’âme du peuple l’ivresse du combat. […] Tous les sens veulent porter leur tribut au patriotisme et s’encourager mutuellement.

1200. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

Je me sens la veine ouverte. […] C’est tantôt ici, tantôt là, à Paris, à Alby où est Mimi, aux montagnes, au ciel quelquefois, ou dans une église, enfin où je veux ; car je suis libre parmi mes entraves et je sens la vérité de ce que dit l’Imitation, qu’on peut passer comme sans soins à travers les soins de la vie. […] Pour moi, je sens que j’ai besoin d’une consolation surhumaine, qu’il faut Dieu pour ami quand ce qu’on aime fait souffrir. […] « Je me sens portée aux larmes ; cependant je ne suis pas malheureuse. […] C’est vrai, je le sens, et que mon être s’harmonise avec les fleurs, les oiseaux, les bois, l’air, le ciel, tout ce qui vit dehors, grandes ou gracieuses œuvres de Dieu. » XXIV Et voyez maintenant comme elle aime les bêtes !

1201. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

Non, je le sens trop ; non, je ne verrai jamais ton suffrage couronner mes efforts en faveur d’une tante, gloire de ma famille, et d’une aïeule de mon époux ; non, j’ai beau me hâter, la publication de cet unique essai ne devancera point la fin dont je suis menacée. […] Lors nul n’est estrangier à ma vive tendresse ; Te cuyde veoir ; me semble te parler : Là, me dis-je, ay receu sa dernière caresse… » Et jusqu’aux oz soudain me sens brusler. […] Lors n’avoit tendre amour de tant secret mystere Que pust céler à nos dezirs croissantz ; Playzir, dont espuysions la bruslante cratere Rien qu’en ung seul congloboit tous nos sens. […] M’ombroyerez cueillant des avelines, Tant que, sur toictz fumantz de nos hameaulx L’ombre croyssant ne tombe des collines, Maiz est ung feu, soict où m’aille tapir, Qui, sanz pitié, jour et nuict me consume : S’avec mes sens somme vient l’assoupir, Dès mon réveil, suivy de maint souspir, Comme au dedans, chasque object le rallume Entour de moy. […] Tant qu’à la fin sens mes genouils ployer ; Pasleur de mort ombroye ma figure ; Plus n’est en moy pouvoir de larmoyer, Et du trespas ce m’est propice augure.

1202. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Les plus forts ont fini, l’un après l’autre, par dire comme le vieux Corneille, mais dans un autre sens : Je suis vaincu du temps, je cède à son outrage. […] Je dirai en peu de mots ce que je sens sur cet ouvrage. […] Mais à ces époques voici ce qui arrive : ceux qui se réfugient ainsi dans la nature sans beaucoup songer à l’Humanité sont simplement poètes ; ceux qui, au sein de la nature, prient pour l’Humanité et s’occupent d’elle sont poètes dans un autre sens, dans un sens plus élevé. […] L’amour de l’Humanité à un haut degré et dans un large sens lui faisant défaut, et l’amour individuel se trouvant lui manquer aussi, en apparence par le simple effet d’un hasard, mais en réalité par l’imperfection des choses d’ici-bas, il tombe sous l’empire exclusif de ce sentiment d’artiste qu’il a pour la Nature.

1203. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

L’amour y est tellement dégagé des sens, qu’un de ces poëtes78, voulant transformer en cantiques spirituels ses chansons amoureuses n’y trouve à changer que quelques mots « de sorte, dit-il dans sa préface, que les mêmes vers qui, ci-devant tournés à l’envers eussent pu scandaliser le prochain, l’édifient maintenant, étant contournés à leur endroit. » Aucun de ces poëtes n’a laissé une pièce durable. […] « L’illustre Ronsard, dit Pasquier dans ses Recherches, a porté la poésie française à sa perfection, ou jamais elle n’y parviendra. » Montaigne d’un sens si juste, ne le trouve guère éloigné de la perfection ancienne, « aux parties en quoy il excelle87. » Exemple éclatant de l’illusion où sont toujours les contemporains, fût-ce des esprits excellents sur le mérite d’un auteur. […] « L’imitation des nostres, dit-il dans la préface de la première édition de ses Odes, m’est tant odieuse, d’autant que la langue est encores en son enfance, que pour cette raison je me suis eslongné d’eux, prenant style à part, sens à part, œuvre à part, ne désirant avoir rien de commun avec une si monstrueuse erreur. » Il attaque les rimeurs, et principalement les courtisans, « qui n’admirent qu’un petit sonnet pétrarquisé ou quelque mignardise d’amour qui continue toujours en son propos ». […] Ces vers, sont beaux ; le sens en est plein, l’expression forte et nombreuse. […] Rabelais, dans un passage où il semble prédire Ronsard, tourne le mot au sens ironique « Ce guallant cuyde ainsi pindariser. » Liv.

1204. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Le sens de ces origines obscures se perdit avec le temps. […] Au fond je sens que ma vie est toujours gouvernée par une foi que je n’ai plus. […] On sentait qu’il avait un cœur et des sens, mais qu’un principe plus élevé les dominait, ou plutôt que le cœur et les sens se transformaient chez lui en quelque chose de supérieur. […] Si le sens moral n’avait pas été chez elle aussi oblitéré qu’il l’était, elle n’eût pensé qu’à délivrer la sacristine ; mais elle n’y songeait guère.

1205. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

La mélodie est une musique produisant l’émotion par les rapports ce ses éléments : l’harmonie véritable est la reconnaissance, en chaque élément, d’un sens émotionnel distinct. […] Et notre musique, pareillement, n’offre aucun sens aux oreilles des Arabes. […] Ils négligèrent la signification émotionnelle des accords, des rythmes : ils s’ingénièrent à perfectionner une langue dont ils avaient oublié le sens. […]     Tel est ce drame de Tristan et Iseult, création inestimable et chef-d’œuvre au sens absolu. […] Etait-ce donc là le sens de ma communication ?

1206. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

V Ce n’est pas, du reste, la seule opinion qui diffère en moi de l’opinion de ces Corybantes forcenés, qui dansèrent si longtemps la Hugo, cette danse sacrée qui un instant remplaça la danse Saint-Guy… Une pièce intitulée Vision, qui ouvre, c’est vrai, le volume avec une majesté grandiose, a fait, selon moi, beaucoup trop croire à la toute-puissance visionnaire du poète (dans le sens prophétique et divinement inspiré du mot). À mon sens, Victor Hugo n’est pas si visionnaire que cela. […] Il met très bien, en ce sens, les rues dans les bois et les bois dans les rues, et c’est peut-être ainsi — qui sait ?  […] Et, de fait, si ce n’est pas là le sens réfléchi du Pape de Hugo, il n’en a plus aucun. […] ……………… Je sens rentrer sous cette robe L’âme que le manteau de pourpre nous dérobe.

1207. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

… On ne sait pas, de manière à n’en pas douter, même le sens que la douleur donne ici à sa plainte, et l’on se dit : Est-ce une vengeance et un pamphlet que ce livre ? […] VIII Daniel est un livre de contradiction bien plus que de conscience, et quand je dis conscience, je l’entends dans les deux sens du mot et je parle au double point de vue de la morale et de l’art. […] Pour lui, développer son talent dans le sens même de son talent n’est pas la question, mais prouver qu’il a du talent et de plusieurs sortes, et voilà pourquoi, après nous avoir plaqué du Flaubert dans Fanny, il nous plaque du Byron dans Daniel ; car M.  […] En effet, là est le sens du livre. […] Or, la passion qui ne s’ensanglante pas elle-même contre le devoir dans nos cœurs n’est plus qu’un désir assez ignoble, fait de sens et de vanité.

1208. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

La déclamation, dans le sens le plus élevé du mot, peut atteindre jusqu’à l’éloquence. […] Les mots sont souvent détournés de leur sens naturel, ou même pris à contresens. […] C’est là le sens intime du discours prononcé par M.  […] Si nous pouvions douter un seul instant du sens que nous attribuons aux paroles de M.  […] Ces trois écrivains personnifient nettement l’ardeur des sens, la splendeur du spectacle et l’élégie mélodieuse.

1209. (1925) Proses datées

Ces lettres arrivaient toujours, prétendait Mallarmé, et étaient une preuve évidente du sens poétique des facteurs. […] Sa merveilleuse activité s’est dépensée dans les sens les plus divers avec une abondance et un éclat extraordinaires. […] Viaud se montra en cet homme de sens et de courage. […] Ici je me sens concentré en un point unique de moi-même. […] Je me sens un doux besoin de solitude pour mieux goûter l’intime délice de Venise retrouvée.

1210. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

De bien des manières, par tous les sens, par le contact direct, mais aussi par la vue et même par la seule présence. […] Pas plus que Zoroastre (ou Zarathoustra), Ruskin n’avait le sens des relativités. […] Le monde entier doit connaître le nom de Ruskin, mais l’Angleterre doit le vénérer, car il a rénové en elle le sens de la justice sociale et le sens de la justesse artistique. […] Reste le sens génésique, dont il est admis que tous les hommes sont également pourvus. […] Nietzsche a été un révélateur, au nouveau sens photographique.

1211. (1887) George Sand

Les émotions des sens ne nous suffisent pas. […] C’est tout un avatar dont le sens reste souvent une énigme. […] De l’esprit, elle n’en avait pas, ni au sens parisien du mot, ni au sens gaulois. […] Dogmatique, en ce sens qu’elle avait des convictions fermes sur des choses fondamentales. […] Qu’on aille retrouver dans cette dernière évolution de sens la poésie écrite en roman ! 

1212. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

L’influence du barde n’a pas été d’ailleurs uniquement littéraire ; elle a été aussi nettement sociale, dans un sens national et humain que la politique donne rarement à ce mot. […] Telle, à mon sens, sera la forme future de notre poésie. […] Charles Maurras, peut être, politiquement, judicieuse ; elle n’a pas plus de sens pour le poète que pour le philosophe. […] sur le sens du mot Symbole. […] Ce qui manquait, voyez-vous, c’est la prose en musique, qui est, à mon sens, la véritable expression du drame lyrique.

1213. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Ledrain dans un sens tout à fait philosophique et esthétique. En ce sens, je répète que M.  […] Il ne trouve même plus un sens possible à la vie. […] Au sens philosophique du mot, ce n’est rien ; au sens vulgaire, c’est la plus triste des vertus. […] Or, quel est le sens primitif de callere ?

1214. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Car l’opinion du confrère « influence » toujours comme on dit maintenant, en un sens ou en un autre. […] Moréas a le sens du rythme approprié à la pensée et le sens du mouvement. […] Je me sens héroïque ; mais je ne vois jamais mon héroïsme éclater. […] Oui, c’est du style naturel, mais en ce sens, que là comme ailleurs, la nature abandonnée a remplacé l’effort, et l’a banni. […] Vous connaissez très exactement le sens de cette dénomination en 1833.

1215. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

tout accord des sens et des hasards se rompt. […] Enfin, je sens qu’il est possible. […] est-ce sa faute s’il lui est arrivé en sens inverse ce qui est advenu à M.  […] De même, en sens inverse, il est advenu à M.  […] Guitry, a montré beaucoup de tact, de goût et de sens du réel.

1216. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

D’ailleurs, deux sens sont convaincus et satisfaits à la fois par l’œuvre de l’artiste : l’œil voit, la main touche ; l’un de ces sens rend témoignage à l’autre, l’admiration enveloppe la statue par toutes ses faces ; la beauté, l’éclat et le poli de la matière d’où la statue semble naître immortelle, ravissent également le regard et le tact ; son éternité même imprime un respect de plus aux sens qui en jouissent. […] Quand on en voit ce que j’en ai vu seulement, avec ses majestueux lambeaux mutilés par les bombes vénitiennes, par l’explosion de la poudrière sous Morosini, par le marteau de Théodore, par les canons des Turcs et des Grecs, ses colonnes en blocs immenses touchant ses pavés, ses chapiteaux écroulés, ses triglyphes et ses statues emportées par les agents de lord Elgin, sur les vaisseaux anglais, ce qu’il en reste est suffisant pour que je sente que c’est le plus parfait poème écrit en pierre sur la face de la terre ; mais encore, je le sens aussi, c’est trop petit ! LVIII Je passe des heures délicieuses couché à l’ombre des Propylées, les yeux attachés sur le fronton croulant du Parthénon ; je sens l’antiquité tout entière dans ce qu’elle a produit de plus divin ; le reste ne vaut pas la parole qui le décrit ! […] LXVI Je ne sens point de tristesse ici ; l’âme est légère, quoique méditative ; ma pensée embrasse l’ordre des volontés divines, des destinées humaines ; elle admire qu’il ait été donné à l’homme de s’élever si haut dans les arts et dans une civilisation matérielle ; elle conçoit que Dieu ait brisé ensuite ce moule admirable d’une pensée incomplète ; que l’unité de Dieu, reconnue enfin par Socrate dans ces mêmes lieux, ait retiré le souffle de vie de toutes ces religions qu’avait enfantées l’imagination des premiers temps ; que ces temples se soient écroulés sur leurs dieux : la pensée du Dieu unique jetée dans l’esprit humain vaut mieux que ces demeuras de marbre où l’on n’adorait que son ombre.

1217. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

Peut-être même dégage-t-elle un sens plus profond et un plus haut enseignement dans le second que dans le premier. […] Il faut que tu aies perdu le sens. […] Illustre Glamis, digne Cawdor, élevé encore au-dessus de ces deux titres par le salut qui les a suivis, ta lettre m’a transportée au-delà de ce présent rempli d’ignorance, et je sens déjà l’avenir exister pour moi. […] Ce château occupe une riante situation ; l’air, doux et léger, pénètre agréablement dans les sens calmés. […] la folie s’est-elle emparée de tous vos sens ?

1218. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Fidèle à ces principes, suivez votre goût pour les lettres, et vous obtiendrez des gens de bien une sanction sans laquelle les plus grands talents n’ont rien qui soit digne d’être envié. » Certes, celui qui fait ainsi parler les grands esprits, et qui met dans leur bouche un sens si juste avec des paroles si complètes, est lui-même de leur postérité à bien des égards, et, si on ne le cite qu’au second rang, il ne fait pas d’injure au premier. […] Vicq d’Azyr avait à un haut degré le sentiment de la connexion et de la solidarité des sciences : en ce sens il avait l’esprit éminemment académique et encyclopédique, et, s’il nous paraît de loin aujourd’hui avoir été avant tout de la famille de ceux qui sont des messagers publics et des organes applaudis, nul ne peut dire de cet homme de talent sitôt moissonné, qu’il n’eût pas été aussi, à d’autres moments, un investigateur heureux et un inventeur. […] En janvier 1790, Morris a-t-il à faire parvenir au roi un avis sur la marche à suivre, en désapprouvant son idée de se rendre à l’Assemblée pour y déclarer qu’il se met lui-même à la tête de la Révolution, ce qui paraît à Morris d’une faible et dangereuse politique : « Cette note, dit-il dans son Journal, fut remise à la reine par son médecin Vicq d’Azyr. » Deux ans après, en janvier 1792, Morris est-il sur le point de partir pour Londres : « Vicq d’Azyr, le médecin de la reine, est venu ce matin, dit-il encore, pour me demander de la part de Leurs Majestés de communiquer au roi et à la reine tout ce que je pourrai apprendre en Angleterre de nature à les intéresser. » Ce ne sont que des indications, mais qui donnent le sens de tout un rôle suivi que l’on peut assez conjecturer.

1219. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — II » pp. 263-279

car si son talent n’était en rien de la même famille que celui de Bossuet, son esprit du moins était bien parent de ce grand esprit et de ce grand sens, et son cœur lui était tendrement attaché. […] Voilà le vrai de ces jugements, un vrai tout relatif ; en s’exprimant d’une manière si crue, Bossuet cédait trop à ses répugnances instinctives et abondait, comme on dit, dans son propre sens. […] Mme de Maintenon appuie Bossuet, et s’honore en l’appuyant ; l’accord entre eux est parfait ; leurs deux bons sens font alliance et se soutiennent.

1220. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

La vie ne paraît qu’un instant auprès de l’éternité, et la félicité humaine, un songe ; et, s’il faut parler franchement, ce n’est pas seulement contre la mort qu’on peut tirer des forces de la foi ; elle nous est d’un grand secours dans toutes les misères humaines ; il n’y a point de disgrâces qu’elle n’adoucisse, point de larmes qu’elle n’essuie, point de pertes qu’elle ne répare ; elle console du mépris, de la pauvreté, de l’infortune, du défaut de santé, qui est la plus rude affliction que puissent éprouver les hommes, et il n’en est aucun de si humilié, de si abandonné, qui, dans son désespoir et son abattement, ne trouve en elle de l’appui, des espérances, du courage : mais cette même foi, qui est la consolation de misérables, est le supplice des heureux ; c’est elle qui empoisonne leurs plaisirs, qui trouble leur félicité présente, qui leur donne des regrets sur le passé, et des craintes sur l’avenir ; c’est elle, enfin, qui tyrannise leurs passions, et qui veut leur interdire les deux sources d’où la nature fait couler nos biens et nos maux, l’amour-propre et la volupté, c’est-à-dire tous les plaisirs des sens, et toutes les joies du cœur… Vauvenargues avait vingt-quatre ans quand il écrivait ces lignes. […] Vauvenargues a eu ses orages et ses enthousiasmes, mais il ne paraît pas qu’il les ait eus en ce sens ; il y faut renoncer, et ne voir définitivement dans les morceaux tant discutés, et jusqu’ici restés énigmatiques, que les essais d’un écolier généreux, sincère en tant qu’apprenti, mais non les convictions vives de l’homme. […] Vauvenargues était de ces âmes royales au sens de Platon de ces âmes ingénues et d’hommes libres.

1221. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

C’était juste le contraire de Paris, où l’on est percé à jour en tous sens et à chaque heure par l’idée du voisin ou du passant. […] Est-il possible de venir interpréter publiquement au sens religieux strict et comme on le ferait entre soi, c’est-à-dire entre croyants, les événements de chaque matin, pluie, grêle, inondations, sinistres de tout genre, mort d’un adversaire, etc., sans appeler, par ces interprétations qui deviennent aussitôt téméraires, la colère ou les railleries de ceux qui ne pensent pas comme vous ? […] est-ce chrétien au sens où le monde l’entend ?

1222. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Chaque ouvrage d’un auteur vu, examiné de la sorte, à son point, après qu’on l’a replacé dans son cadre et entouré de toutes les circonstances qui l’ont vu naître, acquiert tout son sens, — son sens historique, son sens littéraire, — reprend son degré juste d’originalité, de nouveauté ou d’imitation, et l’on ne court pas risque, en le jugeant, d’inventer des beautés à faux et d’admirer à côté, comme cela est inévitable quand on s’en tient à la pure rhétorique.

1223. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

Gœthe, ne l’oublions jamais, n’était pas romantique dans le sens spécial du mot. […] Malgré son Gœtz de Berlichingen, Gœthe n’était point par goût et par choix dans le sens et l’esprit du moyen âge ; il n’aimait aucunement, même dans le mirage du lointain, la barbarie ni rien de ce qui y ressemblait : « De cette ancienne et ténébreuse Allemagne, disait-il un jour à propos d’une production de La Motte-Fouqué, il y a pour nous à tirer aussi peu que des chants serbes et des autres poésies barbares du même genre. […] Si chacun peut dire de soi la même chose, alors tout ira bien. » Et retournant l’épine de la calomnie qui tant de fois l’avait blessé et qu’Eckermann avait remuée sans le savoir, il agitait en tout sens l’amertume de ses pensées : « Je ne peux pas dire ce que je pense, murmurait-il.

1224. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

L’intendant Foucault, lui, n’était qu’un homme de son temps, et, s’il en servit le mouvement et le progrès dans le sens de bien des améliorations pratiques, il en partagea fortement aussi les préjugés et les erreurs. […] Il raconte que, dans une de ses tournées de début, un consul de Nogaro, qui était à la fois médecin, lui dit dans sa harangue « que le roi l’avait envoyé dans la province pour la purger de tous les fainéants et gens de mauvaise vie, et qu’au sentiment d’Hippocrate ce qui formait les humeurs peccantes était l’oisiveté. » L’idée, en un sens, n’était pas aussi fausse que l’expression était ridicule. — « Je gardai mon sérieux, ajoute Foucault, mai les assistants ne se crurent pas obligés à la-même gravité. » Foucault, comme autrefois Fléchier aux Grands Jours d’Auvergne, se moque des harangueurs surannés de la province ; il est un homme, de goût par rapport à ce consul. […] Puis, à côté de l’appât, les privations : on retranchait les protestants de toutes les charges, même municipales, des villes : « J’ai reçu (janvier 1679) un arrêt du Conseil qui exclut les habitants de la Religion prétendue réformée des charges politiques de la ville de Montauban, et ai proposé à la Cour d’en rendre un pareil pour toutes les autres villes. » Foucault aura souvent de ces propositions-là ; il aime à devancer la Cour, dans le sens de la Cour.

1225. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Je le sens aujourd’hui et reconnais ma faute en venant parler si tard des romans, des scènes et proverbes de M.  […] que je comprends, après cela, ce double cortège de pèlerines en sens contraire, et que quelqu’un ait dit : « Il y a un double courant de femmes, les femmes de Fanny et les femmes de Feuillet. » Et celles-ci, plus contenues, ne sont pas les moins ferventes. […] Feuillet un auteur qui s’est livré à cette veine de réhabilitation des bons ménages et des mœurs provinciales honnêtes par impuissance d’en comprendre et d’en peindre d’autres, ou, dans un autre sens, de faire de lui un auteur tout à fait dégagé, qui n’aurait choisi ce motif et ce thème de talent que comme le plus neuf et le plus opportun pour le quart d’heure, le plus susceptible de succès.

1226. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Or Bossuet combattit cet homme, Richard Simon, le dénonça comme coupable au fond « d’une dangereuse et libertine critique », d’une malignité profonde, « d’un sourd dessein de saper les fondements de la religion » ; il le fit taire tant qu’il put ; il déclara subversives du Christianisme, et des prophéties sur lesquelles il se fonde, les explications les plus irréfragables ou les plus vraisemblables qui sont du ressort de la philologie pure ; il l’accusa de substituer en toute rencontre des sens humains à ce qu’il appelait les sens de Dieu. […] Bossuet excelle à découvrir et à exprimer ces doubles sens qui sont l’attrait et le mirage des imaginations tournées au mystique, et où il triomphe après saint Augustin, après saint Bernard, après tant d’autres ingénieux talents ; car ce qu’il y a eu d’esprit, à proprement parler, dépensé à ces sortes de subtilités depuis tantôt deux mille ans est prodigieux.

1227. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

Dans l’histoire de l’art littéraire au xixe  siècle, deux faits généraux dominent : vers 1830, la littérature est romantique, vers 1860 elle est naturaliste ; deux grands courants semblent l’emporter successivement en sens contraire. […] Écrivains et artistes ont conscience d’être un même monde, de poursuivre pareilles fins par des moyens divers ; et ces rapports tendent à rendre aux écrivains le sens de l’art, leur rappellent qu’ils sont créateurs de formes et producteurs de beauté. […] Cette forte histoire est la démonstration historique d’un dogme : ce qui y manque le plus, c’est le sens historique.

1228. (1900) L’état actuel de la critique littéraire française (article de La Nouvelle Revue) pp. 349-362

Mais il est vrai, en principe, que si la critique dramatique demeure puissante, parce qu’elle est financièrement indispensable aux directeurs de théâtres, et contente une foule d’intérêts matériels, dans le même sens que la publicité de bourse ou de négoce, — la critique littéraire se meurt parce qu’elle s’occupe de questions de pensée qui n’intéressent qu’une minorité, ou alors de livres à succès facile que la réclame payée lance sans avoir besoin de critique sérieuse. […] Si, lors du mouvement symboliste, à peine terminé depuis trois ans après avoir occupé douze années, lors de cette confuse aspiration de la jeunesse française vers une réunion de tous les arts sous l’influence de Wagner et de l’internationalisme, un critique de haut sens moral s’était levé pour arrêter les polémiques inutiles et substituer la logique aux dédains des critiques et aux saillies des nouveaux venus, il aurait précisé l’un des plus curieux mouvements intellectuels du siècle, et peut-être développé deux ou trois conséquences fécondes de cette crise pleine d’intentions et de promesses ; il y avait là un rôle considérable et bienfaisant à remplir, le rôle de Heine dans le second romantisme allemand, après Schlegel et Tieck, le rôle de Baudelaire, de Gautier et de Nerval, en 1840, le rôle de Taine dans les débuts du rationalisme, le rôle de William Morris dans les tentatives de socialisation d’art qui suivirent le préraphaélisme, le rôle professoral de César Franck dans l’école symphonique après Wagner ; ce rôle, personne ne se présenta pour le tenir, et si le symbolisme a avorté, s’est restreint à un dilettantisme de chapelle alors qu’il était parti pour une bien plus grande tentative, c’est à cause des obstinées plaisanteries des critiques superficiels, à cause du manque d’intelligence logique dans l’école, autant et plus qu’à cause des défauts eux-mêmes des symbolistes. […] Mais il faut, pour cela, que se brisent les derniers liens qui unissent le critique au journalisme, c’est-à-dire qui rabaissent sa mission, lui donnent un sens d’utilité immédiate, et prolongent à son sujet l’éternel malentendu : pas plus que le roman ou le théâtre, la critique n’est une carrière, mais une vocation de l’esprit.

1229. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

Si nous prenons au sens le plus large les mots « couleur » et « ligne », celui-ci me paraît désigner un phénomène plus subjectif que celui-là. […] Les Parnassiens ont péché par exclusivisme ; chez eux le poème paraît avoir eu pour objectif la plastique en soi plutôt que la poésie — lorsqu’ils ne cherchaient pas « l’art » seul, au sens restreint, c’est-à-dire « le métier », de préférence à la Beauté qui le divinise. […] Celle-ci, dans l’action même, évoque le repos, en ce sens que chacun de ses mouvements paraît pouvoir se fixer en attitude ; au contraire une attitude élégante paraît vouloir se résoudre en un geste.

1230. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXIV. Arrestation et procès de Jésus. »

Ces débats les ennuyaient et leur paraissaient dénués de sens. […] Cette mort fut « légale », en ce sens qu’elle eut pour cause première une loi qui était l’âme même de la nation. […] C’est un fait juif, en ce sens que le judaïsme dressa pour la première fois la théorie de l’absolu en religion, et posa le principe que tout novateur, même quand il apporte des miracles à l’appui de sa doctrine, doit être reçu à coups de pierres, lapidé par tout le monde, sans jugement 1153.

1231. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Walckenaer. » pp. 165-181

Walckenaer était mort le 27 avril dernier, dans la quatre-vingt et unième année de son âge, au moment où il achevait de corriger les épreuves du cinquième volume de ses Mémoires sur Mme de Sévigné, mémoires infinis, courants en tous sens, amusement prolongé de sa vieillesse et qu’il ne devait point terminer. […] En ce sens, M.  […] La biographie n’y est plus seulement copieuse, elle y est éparse et se verse dans tous les sens.

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