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928. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

L’âge mûr est âpre, aride, occupé ; les rivalités et les ambitions, les passions sèches nous envahissent ; les haines nous troublent ; les injustices laissent des traces qui creusent et qu’on s’exagère : mais la jeunesse a échappé à tout cela ; ses douleurs même et ses infortunes ont revêtu je ne sais quel charme. […] Cela n’est sans doute pas moins vrai pour les savants livrés à ces études lentes et profondes, et qui n’ont que faire des passions d’alentour. […] On apprécie, grâce à lui, la portée de l’homme dont il vous entretient ; il vous fait mesurer avec poids la force de sa trempe ; il le classe en général à son vrai rang (si ce n’est qu’un savant, non un politique) ; il discute ses titres avec une passion sérieuse et une impartialité définitive (toujours si ce n’est qu’un savant).

929. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — I. » pp. 279-295

Deux grosses passions avaient en lui subjugué toutes les autresi : l’une était celle de s’instruire, et l’autre de se distinguer… Vicq d’Azyr avait gardé, même au milieu de ses succès académiques, un vif sentiment de ces premiers cours qu’il avait professés dans sa jeunesse et dans lesquels il s’était épanoui tout entier : « C’est un bel art, disait-il, que celui de l’enseignement. […] Il le montre jeune à Leyde, suivant les leçons de Boerhaave et d’Albinus : Mais ce qui lui inspira surtout, dit-il, le goût de l’anatomie et la passion du travail, ce fut la vue du superbe cabinet de Ruysch, où, au milieu de tant d’organes préparés d’une manière surprenante, au milieu de sujets qui y avaient, en quelque sorte, recouvré une nouvelle vie, il aperçut un vieillard nonagénaire, desséché par les ans, mais toujours laborieux et actif, qui, paraissant comme un Enchanteur au milieu de ces merveilles, semblait avoir joint au secret de les conserver celui de s’immortaliser lui-même. […] Deux grandes passions avaient en lui subjugué toutes les autres :

930. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

Guillaume Favre n’avait point de ces passions déterminantes et directrices pour son érudition ; il n’avait point de motif. […] Eynard, au réveil patriotique de la Grèce : mais dans l’ordre des études il n’eut la passion que de l’étude en elle-même ; il n’y apporte qu’un zèle pur, impartial, innocent, indifférent presque sur l’objet auquel il s’applique, et ne s’y appliquant pas moins en toute exactitude et en toute dilection. […] Vivre par la pensée dans d’autres temps et s’y oublier à volonté, tandis que l’on continue dans l’heure présente de jouir insensiblement et par tous les sens de l’air, de la lumière, de la pureté du ciel, de la limpidité des eaux, de la majesté des horizons, de tous les bienfaits naturels qui sont encore la plus vraie jouissance pour des êtres vivants, que faut-il de plus à l’homme qui est sorti de l’âge des passions et en qui elles n’ont point laissé la lie de leur philtre empoisonneur ?

931. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Il n’y a de vieilli en moi que les vices et les passions, et leurs organes : mon âme est dans sa vigueur et se réjouit de ce qu’elle a peu à faire avec le corps ; elle a déposé une grande partie de son fardeau ; elle se sent légère, et me fait mainte chicane sur la vieillesse ; à l’en croire, c’est sa belle saison à elle, c’est sa fleur… » Telles sont les spirituelles consolations d’un stoïcien qui essaye de se donner le change ; mais encore une fois, ce n’est point le cas de Bonstetten ; car il était alerte et dispos de corps comme d’esprit. […] Cependant le père de Bonstetten était alarmé ; il craignait pour son fils ainsi exposé au contact des idées et des passions genevoises, absolument comme un père aurait craint pour son fils exposé dans le Paris de 89 à la contagion révolutionnaire. […] Ce fut un rude coup pour le jeune homme, de qui Bonnet se plaisait à dire : « Il a du génie, un cœur droit, la passion de la vertu et du savoir. » On brisait sa vocation au moment où il croyait l’avoir rencontrée ; on intervenait brusquement dans sa crise morale au moment où elle allait trouver sa solution intérieure.

932. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

On dirait que son intérêt et sa passion, son point d’honneur et son engagement sont ailleurs. […] À vingt ans, et même à trente, on est comme un juré peu informé, ou peu corrigé, et qui se prononce d’après la passion ou la théorie ; à cinquante, on est comme un juré trop bien informé et très revenu, qui sait faire céder ses théories d’autrefois à l’évidence et à la toute-puissance des faits. […] Si l’on pouvait un moment avoir raison de la passion et du système qui s’identifient dans les intelligences élevées avec une idée exagérée de dignité et d’honneur, je ne demanderais qu’une chose aux esprits restés politiques ou destinés à le devenir : ne retombons pas dans la même faute qu’ont faite, sous la Restauration et sous le régime des dix-huit ans, les générations obstinées et excessives ; ne soyons pas, de parti pris, et au nom d’un principe, irréconciliables.

933. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

Tout ce qui est plaisir, il l’aimait avec une passion violente, et tout cela avec plus d’orgueil et de hauteur qu’on n’en peut exprimer, dangereux de plus à discerner et gens et choses, et à apercevoir le faible d’un raisonnement et à raisonner plus fortement et plus profondément que ses maîtres. […] Le prodige est qu’en très peu de temps la dévotion et la grâce en firent un autre homme, et changèrent tant et de si redoutables défauts en vertus parfaitement contraires… » Saint-Simon, en d’autres endroits, ajoute des détails encore plus significatifs sur les fougues et les passions du jeune prince, ses instincts précoces de libertinage, ses penchants effrénés pour toute espèce de volupté, son goût même pour le vin, son infatuation de lui-même et de ce qu’il était né, et son parfait mépris de tout ce qui l’entourait : — tout cet abîme enfin, d’où il sortit après des années un autre homme au moral, méconnaissable en bien et régénéré. […] Par les férocités, le manque d’équilibre et le déchaînement des passions brutales jointes aux vivacités et aux caprices de l’imagination, il y avait l’étoffe d’un monstre.

934. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

J’ai vu la société à un âge où il est dangereux de la voir ; j’ai épousé ses passions les plus orageuses avant même d’en soupçonner les premières conséquences. […] La douleur élague du cœur tout ce qui est chétif et petit, toutes les plantes parasites ; elle ne laisse vivre que les hautes passions, les sentiments sublimes. […] Lorsque j’étais parvenu dans une de ces profondes solitudes, où je croyais arriver seul, je m’y retrouvais avec toutes mes secrètes angoisses, avec mes passions à demi brisées, mes soifs ardentes de l’inconnu, mes dégoûts infinis et mes prodigieuses lassitudes.

935. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

L’élégie chez Millevoye n’est pas comme chez Parny l’histoire d’une passion sensuelle, unique pourtant, énergique et intéressante, conduite dans ses incidents divers avec un art auquel il aurait fallu peu de chose de plus du côté de l’exécution et du style pour garder sa beauté. […] Si Millevoye n’avait pas de passions littéraires, il en eut encore moins de politiques. […] … « Il a de la passion ; Millevoye n’en a pas. » 159.

936. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

Le monde ne souffre pas la passion, et en cela il est dans son droit. […] Les amoureux de la Nouvelle Héloïse échangent, pendant quatre volumes, des morceaux de style, et là-dessus une personne, « non seulement mesurée, mais compassée », la comtesse de Blot, dans un cercle chez la duchesse de Chartres, s’écrie « qu’à moins d’une vertu supérieure une femme vraiment sensible ne pourrait rien refuser à la passion de Rousseau304 ». […] On a des amies de cœur pour qui « on éprouve quelque chose de si vif et de si tendre que véritablement c’est de la passion », et qu’on ne peut se passer de voir trois fois par jour. « Toutes les fois que des amies se disent des choses sensibles, elles doivent subitement prendre une petite voix claire et traînante, se regarder tendrement en penchant la tête, et s’embrasser souvent », sauf à bâiller tout bas au bout d’un quart d’heure et à s’endormir de concert parce qu’elles n’ont plus rien à se dire.

937. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

Le duc de Rohan, qui avait les goûts très-littéraires et la passion des beaux vers, lui dit qu’à ses yeux le grand seigneur était celui qui avait le plus de parenté de nature avec Racine, et qu’il n’hésiterait pas à le prouver en venant lui-même chez moi solliciter mon amitié. […] On peut juger combien les doctrines d’un tel homme d’esprit devaient sourire à un très-jeune homme, qui en avait fait son oracle et qui portait dans ses votes populaires l’ardeur de son âge et l’illusion de sa passion du bien public. […] Mathieu de Montmorency, qui vivait alors séparé de sa femme, la vit et s’enthousiasma pour cette incomparable et énigmatique beauté d’un amour qu’il se déguisa à lui-même sous l’apparence d’une passion innocente, parce qu’elle lui semblait immatérielle.

938. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Elle a l’imagination troublée et fiévreuse, le cœur ardent, tumultueux, d’où jaillit une inépuisable source de passion. […] Ces romans ne valent que si l’on y cherche les passions et les idées de Mme de Staël : si on les considère dans leur objectivité d’œuvres d’art, ce sont de purs poncifs. […] Puis elle s’est aperçue que sa philosophie était insuffisante : que l’art d’ennoblir la vie par des passions nobles n’était pas une règle suffisante de vie, que le plaisir, même le plaisir de la pitié, n’était pas la vertu ni un fondement solide de vertu ; et Kant lui a offert son postulat du devoir.

939. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Alphonse Daudet  »

Mais il y a, dans cette fantaisie hétérodoxe et compromettante pour saint Pierre, un mélange tout à fait savoureux d’ingénuité, de grâce et de passion. […] Il n’y a, pourtant là ni passion, ni catastrophe, ni même souffrance. […] On peut, de la nervosité de MM. de Goncourt et de leur passion de la modernité, déduire leur œuvre presque tout entière.

940. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Oscar Wilde à Paris » pp. 125-145

J’adore cette vie exaltée, ce coudoiement humain, cet échange furtif des regards, ce voisinage de la fièvre et des passions. […] » * *   * Nous passions devant le Napolitain lorsqu’une voix grêle et pointue, une voix étrange de fausset, nous héla. […] Le dandysme veut une âme ferme à l’abri des à-coups de passion et ne s’accommode point de mouvements impétueux.

941. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Paragraphe sur la composition ou j’espère que j’en parlerai » pp. 54-69

Cependant, comme sur un visage où régnait la douleur et où l’on a fait poindre la joie, je retrouverai la passion présente confondue parmi les vestiges de la passion qui passe, il peut aussi rester au moment que le peintre a choisi, soit dans les attitudes, soit dans les caractères, soit dans les actions, des traces subsistantes du moment qui a précédé. […] Mais en laissant aux mots les acceptions reçues, je vois que la peinture de genre a presque toutes les difficultés de la peinture historique ; qu’elle exige autant d’esprit, d’imagination, de poésie même ; égale science du dessin, de la perspective, de la couleur, des ombres, de la lumière, des caractères, des passions, des expressions, des draperies, de la composition ; une imitation plus stricte de la nature, des détails plus soignés ; et que nous montrant des choses plus connues et plus familières, elle a plus de juges et de meilleurs juges.

942. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Élève de Jean-Jacques pour l’impulsion première et le style, comme madame de Staël et M. de Chateaubriand, mais, comme eux, élève original et transformé, quoique demeuré plus fidèle, l’auteur des Rêveries, alors qu’il composait Oberman, ignorait que des collatéraux si brillants, et si marqués par la gloire, lui fussent déjà suscités ; il n’avait lu ni l’Influence des Passions sur le Bonheur, ni René ; il suivait sa ligne intérieure ; il s’absorbait dans ses pensées d’amertume, de désappointement aride, de destinée manquée et brisée, de petitesse et de stupeur en présence de la nature infinie.  […] Cousin, alors dans sa nouveauté, occupait ces jeunes esprits ; les grands problèmes de la destinée humaine étaient leur passion ; Ossian, Byron, le songe de Jean-Paul, les partageaient tumultueusement.

943. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

Mais de ce que Properce est érudit et quelque peu difficile à entendre par endroits jusqu’au sein de la passion, la perte de ses étincelantes élégies serait-elle moins pour l’homme de goût une calamité littéraire ? […] Les caprices, les passions de quelques-uns avaient de temps à autre dérangé les lois ou même avaient paru les faire : maladie d’enfance, convulsions du bas âge !

944. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française — II. La Convention après le 1er prairal. — Le commencement du Directoire. »

Les efforts de pareils individus se perdaient alors dans le tourbillon universel ; les passions déchaînées suivaient leur développement fatal ; elles étaient l’âme de la Révolution, le moteur aveugle, irrésistible de cette machine vaste et puissante. […] Mais à la fin le ressort trop tendu éclata ; les passions s’épuisèrent et se dispersèrent : ce fut le signal pour recommencer d’agir.

945. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. IXe et Xe volumes »

En débrouillant ces démêlés confus où tant de passions et d’intérêts se croisent, M.  […] Les passions ne s’éteignent qu’avec les cœurs dans lesquels elles s’allumèrent.

946. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

De quelle façon pourrez-vous éviter par-là dans vos jugements littéraires (car vous jugez aussi) l’étroitesse, l’exclusisme et la passion ? […] Tout fait a sa cause, et toute littérature, toute œuvre d’art est un fait dont il suffît de chercher, dont il faut sans passion chercher la cause dans les mœurs, les idées et les goûts de la société qui l’a produite, dans l’esprit du siècle qui l’a inspirée, dans le génie de la nation qui lui a donné son caractère général, dans le tempérament, les habitudes et la vie de l’auteur original qui lui a imprimé son cachet particulier.

947. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

Comme une pierre jetée dans l’eau, elle troublera l’intimé de l’Être, éveillant des cycles de sensations antérieures. » Et Rimbaud, nullement ébranlé, selon moi, de répartir : « Vous énoncerez des idées touchantes, mais force vous sera de faire appel à mes passions, à mes sottises, à mes erreurs d’homme. […] Et où pourrait mieux se manifester ce retour au vrai ou au simple du poète que dans cette passion qui tout à coup le prend pour Desbordes-Valmore ?

948. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 140-155

Les ressources de l’esprit se tournent alors du côté de l’intérêt des passions. […] Du reste, renversant, détruisant, foulant aux pieds tout ce que les hommes respectent, ils ôtent aux affligés la derniere consolation de leur misere, aux Puissans & aux Riches le frein de leurs passions ; ils arrachent du fond des cœurs le remords du crime, l’espoir de la vertu, & se vantent encore d’être les bienfaiteurs du genre humain.

949. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Madame Therbouche » pp. 250-254

Il avait de la passion, mais c’était une vilaine, hideuse, lubrique, malhonnête et basse passion.

950. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Philippiques de la Grange-Chancel »

Écoutez Saint-Simon, ce grand écrivain de passion et d’imagination, quand il en parle ! […] En présence d’un mérite si mince et si solitaire, on comprendrait à peine, même pour une heure, la béotienne admiration des contemporains de La Grange-Chancel, si l’on ne savait que l’admiration des hommes n’est le plus souvent ni générosité ni justice, mais joie grossière de se retrouver, soi et sa passion, dans l’œuvre d’un écrivain qui vous fait miroir, comme le ruisseau le faisait à cet imbécille de Narcisse !

951. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Bruyère » pp. 111-122

Par suite donc d’affaires, comme dit le vieux Turnpenny dans Walter Scott, nos réimpressions n’ont été jusqu’à ce jour que des réimpressions purement ou impurement mercantiles, s’adressant à l’esprit de parti et aux passions les moins littéraires du public. […] C’était un homme probe et cultivé, de naissance médiocre, mais de mœurs élevées, placé par la fortune de son génie en dehors de toutes les prétentions et de toutes les passions de son temps, ayant le pied, — un pied digne du talon rouge, — et l’œil, — un œil capable de tout embrasser, — dans les deux sociétés qu’on nommait alors la cour et la ville, et que sa vocation était d’observer et de reproduire.

952. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Swift »

Fait, s’il l’eût voulu, pour devenir un moraliste énorme, il s’est ratatiné jusqu’à n’être qu’un pamphlétaire souvent immoral ; il a écrit enfin sur cette poussière que font les passions, politiques d’une époque, mais la plume dont on écrit là-dessus n’en change pas la nature, fût-elle une plume d’aigle ! […] On sait que, vieux, cet anglais, chez qui tout fut si anglais, fut aimé de deux femmes, dont l’étrange passion ne pouvait aussi exister que dans deux cœurs de femmes anglaises.

953. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Ranc » pp. 243-254

…), tiendrait actuellement son noble esprit plus haut que ses passions d’homme de parti ? […] Seulement, il l’est pour moi seul… Pour moi seul, qui voudrais ici un livre éternel, et qui n’y trouve qu’un livre de passion et de circonstance.

954. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Sainte-Beuve, ne lui avait vraisemblablement rien dit de la grande passion de M.  […] La passion de Sainte-Beuve n’était pas éteinte, ou du moins la blessure n’était pas cicatrisée. […] L’inquiétude d’esprit qui naît avec les premières passions, le jette de bonne heure dans le mouvement sourd des complots royalistes de la Bretagne, son pays natal ; mais au sortir de cette agitation passagère, qui n’a trompé qu’un moment les vrais besoins de son cœur, il se retrouve en face des passions dont la politique l’a distrait. […] Sa passion dure à travers ces désordres, toujours moins pure, il est vrai, et toujours plus troublée. […] Je conviens que nos passions, aussi bien que les livres qui les décrivent, étant devenues intellectuelles, on se les compose à plaisir, on en invente pour son usage, on est l’acteur de son propre rôle ; et à ce compte tout ce qui est possible comme pensée est possible comme passion.

955. (1927) Approximations. Deuxième série

S’il s’appuie sur la pensée de Montaigne, c’est pour l’approfondir, l’interroger, personnifier passions et idées, dans la fusion du sentiment et de la vue. […] Avec Les Profondeurs de la mer, le romancier décrit des états sentimentaux évolués mais aussi « l’élément sableux dans l’être humain », dans les passions comme dans l’indifférence. […] Mieux vaut chercher ailleurs le reflet de cette image de la passion, toujours la même, que je porte invariablement en moi. […] (Sans doute les passions comportent-elles quelque Égypte spéciale où la venue des sauterelles détient une valeur curative). […] Elle marque un tournant mémorable avec le chapitre sur le Vague des Passions qui dans le Génie du christianisme introduit à René, et avec René lui-même (Quel génie d’expression n’a-t-il pas fallu à Chateaubriand pour investir ce Vague des Passions — sans jamais le fausser en le trop précisant — de la souveraineté, et non moins de la généralité de langage d’un Bossuet !)

956. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Avec une de ses passions. […] » L’anticléricalisme n’est pas une passion d’une autre nature ; il est une passion ; il est d’ordre pathologique. […] On n’a pas seulement le droit de tuer un curé. » La passion parle là toute pure. […] Comme toute passion, l’anticléricalisme est terriblement exclusif, et toute passion, quelle qu’elle soit, fait d’un homme ou d’un peuple un être qui perd jusqu’à l’instinct de sa conservation, de sa défense et de sa persévérance dans l’être. […] Il est remarquable comme le goût de l’unité ne donne que la passion de la guerre civile.

957. (1888) Portraits de maîtres

La passion saigne et crie, et pourtant le symbolisme du sujet, la couleur orientale, prêtent à cette passion une ampleur, une dignité que la poésie personnelle eût difficilement atteinte. […] Or quel est un semblable idéal, sinon celui de Platon et de Pétrarque ; la passion en harmonie avec le devoir et cette harmonie créant la vertu ? […] Chez lui la passion se révéla prompte et primesautière. […] C’était donc pour un adversaire de ses opinions que Sainte-Beuve déployait tant de zèle charitable et de passion amicale. […] C’est, comme toujours, une œuvre de verve et de passion, de science et de lyrisme, où ne vit pas seulement une pensée, mais une âme, l’âme impétueuse et tendre de Michelet.

958. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Il eut la passion de l’État. […] Ses excès sont ceux de la force, ses passions celles de la vie exaltée à son paroxysme. […] Sa seule passion fut l’avidité : une avidité immense, insatiable, que ne rassasia pas la France dépecée et dévorée pendant quatorze ans. […] C’était l’image exacte de cette camarilla licencieuse, cernée par les haines et par les passions. […] Il y a de la méchanceté dans l’hystérie de leur danse : on dirait que ces cruelles baladines s’amusent à irriter la passion et à torturer le désir.

959. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Et cette passion si chaste, si discrète, si forte et émouvante néanmoins ! […] un jour vint où Dagobert s’entoura de ministres selon ses passions. […] Sa passion néanmoins a tous les mouvements de la sincérité. Et cette passion, encore que d’un caractère fort élevé, ne laisse pas d’être sensuelle. […] Il s’y promène avec passion et, aussi, avec esprit.

960. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

C’est le cas de parler d’une purification des passions, pour les transposer dans l’art. […] Quelle passion dans ses vers, n’est-ce pas ?  […] En sanctifiant notre corps, ils assujettissent les passions de la chair à notre volonté. […] Soudain vient la rafale qui met à nu les profondeurs de l’âme et qui fait déborder les flots tumultueux des passions. […] Cependant l’amant ne peut la sauver de sa misère morale : la passion, pour généreuse qu’elle soit, c’est l’adversaire pour elle.

961. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — La Vaudère, Jane de (1860-1908) »

Charles Fuster Son livre abonde en passion, en couleur intense, en cris de volupté ou de douleur.

962. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Sa passion débordait pour d’autres motifs encore. […] Mais je présume, en y laissant toujours une grande part aux Muses, que la passion du jeune Olivier fut plus naturelle. Cette passion a-t-elle été payée de retour par Louise ? […] Du moins, il faut le plaindre de s’être laissé emporter par un mouvement brusque et soudain de sa passion. […] Œdipe veut placer ses propres filles, et son déplaisir est grand, lorsque Thésée lui avoue sa passion pour Dircé.

963. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chansroux, Antoine »

. — La Passion de Jésus (1892).

964. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » p. 109

Les Lettres, qu’il aimoit avec passion, lui sont redevables de plusieurs Méthodes, beaucoup plus nettes & plus faciles que les anciennes, pour apprendre l’Histoire, la Géographie, les Généalogies, le Blason, &c.

965. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Il a admiré Lamennais, par exemple, dont la destinée n’est pas sans offrir quelque analogie avec la sienne ; aux passions près, toutefois, car M.  […] L’hystérie, dans dix cas contre deux, n’est donc qu’une perturbation nerveuse qui se produit le plus souvent héréditairement chez des femmes de nature froide et qui pervertit surtout les sentiments et les passions. […] Sans doute, on ne nous montre plus guère aujourd’hui ce qu’on appelait autrefois la « psychologie », c’est-à-dire la lutte entre le devoir et la passion ; mais on nous décrit de curieux conflits de passions contradictoires, des combats parfois dramatiques entre le sentiment et l’idée, des états d’âme singuliers ou attachants. […] Immoral, lui qui ne songe qu’à faire avancer le règne de la justice, lui dont chaque œuvre est un effort vers le bien, lui dont la pensée unique est d’adoucir la passion et de transformer le plaisir en vertu  quelle erreur et quelle injure ! […] Sans but précis, sans songer au perfectionnement de la morale, ils examinent en curieux comment s’arrangent ensemble les divers sentiments ou passions qui se partagent une âme ; ou même, plus frivoles encore, ils isolent une passion ou un sentiment pour les examiner en eux-mêmes.

966. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bazan, Noël (18..-19..) »

Ces vers, pour les sentiments qu’ils expriment, l’angoisse qu’ils traduisent, la passion qu’ils dépeignent, sont des plus beaux que nous connaissions.

967. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Souvestre, Émile (1806-1854) »

Charton Il ne voyait dans les lettres qu’un moyen de satisfaire sa passion la plus ardente, celle de se rendre utile selon ses facultés en exprimant les sentiments généreux dont son cœur était plein, en défendant les vérités de l’ordre moral proscrites, reniées, oubliées, au milieu des entraînements matériels du siècle.

968. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article »

Outre ses Sermons, qu'on ne lit plus, malgré l'utilité qu'on en pourroit retirer, nous avons encore de lui beaucoup d'autres Ouvrages, tels qu'un Traité de l'usage des passions, un autre du Devoir du Souverain, &c. ; Productions également oubliées.

969. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre premier. Division des Harmonies. »

., tiennent à la partie matérielle de l’architecture, tandis que les effets de la doctrine chrétienne, avec les passions du cœur de l’homme, et les tableaux de la nature, rentrent dans la partie dramatique et descriptive de la poésie.

970. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre II. Jean Calvin »

Calvin n’est pas poète : et l’on conçoit que le Bourguignon d’imagination chaude, de sensibilité vibrante, n’aime guère ce Picard au parler froid et précis, en qui la passion a plus de rigueur que de flamme. […] On peut prendre aussi, parmi les sermons recueillis, au tome XLVI, les 65 sermons sur l’Harmonie évangélique, et les 9 sermons sur la Passion, si on veut se faire une idée de la manière de Calvin.

971. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dumas, Alexandre (1802-1870) »

Ce type lui est d’abord apparu sous les traits de Saint-Mégrin, dans son drame de Henri III ; puis quand il a cédé à l’influence transitoire de la passion révolutionnaire, sous les traits de Robespierre dans l’histoire, d’Antony dans le drame ; dès que la passion de 1830 est refroidie, on voit reparaître dans ses ouvrages toute une famille de personnages dont Saint-Mégrin est l’aîné, intelligences avisées et pleines de ressources, caractères sans peur et sans scrupules, poignets vigoureux, beaux joueurs qui se font place dans le monde à la pointe de l’épée et de l’esprit : Saint-Mégrin, dans Henri III ; d’Artagnan, dans les Mousquetaires ; Bussy, dans la Dame de Monsoreau… Sans doute, M. 

972. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Laïs de Corinthe et Ninon de Lenclos » pp. 123-135

Enfin, quoi de plus ordinaire, dans la vie des femmes comme Laïs, que la passion longtemps bravée et méprisée les saisissant tout à coup, quand la vieillesse, cet affreux cancer, vient dévorer la beauté dont elles furent si vaines ? […] Ainsi Diane de Poitiers, qui fut aimée de deux générations, et avec une passion plus folle à la seconde qu’à la première ; ainsi madame de Maintenon, qui, sans jeunesse, inspira à Louis XIV blasé un amour durable, et fut plus forte dans ce cœur qui avait tout éprouvé que le spleen de la toute-puissance, sont des exemples éclatants de ce pouvoir étrange que les moralistes cherchent à expliquer, mais qui leur résiste et les étonne.

973. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

— quand nous voulons qu’elle soit autre que ce que nous sommes : c’est-à-dire une passion ou une idée (car l’homme n’est jamais que cela, lorsqu’il est quelque chose) ; quand, enfin, nous n’admettons pas que des faits qui passent à travers nos esprits, nos sensibilités, nos consciences, doivent nécessairement s’y colorer en y passant. […] Il est de ces esprits, impuissants et nerveux tout ensemble, pour qui le perfectionnement littéraire consiste à s’effacer jusqu’au néant, à éteindre la chaleur, à diminuer le relief, à soutirer la passion, et pour qui toute page vivement écrite ou âprement pensée produit l’effet de l’écarlate sur le taureau.

974. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Silvio Pellico »

C’est un chrétien que Pellico, sans rien plus que le bon sens, le sens apaisé du chrétien en face de la vie, Sans le Christianisme, il serait presque acéphale, cet homme sans esprit, sans talent, sans volonté, sans passion, sans amour, du moins comme le sentent les hommes. […] Assurément, un souffle qui n’est pas celui de la bouche d’un homme a passé dans le livre des Prisons, sur cette giroflée jaune du mur d’un captif que toute l’Europe a respirée, les yeux en larmes ; mais ce souffle ne s’est purifié, il n’est devenu complètement pur que dans cette Correspondance, très infime de tout : de vue, de pensée, de passion, d’éloquence et même d’événements, et que cependant il faut lire pour savoir quelle saine et adorable chose le Christianisme peut faire… avec rien !

975. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVII. Silvio Pellico »

Sans le christianisme, il serait presque acéphale, cet homme sans esprit, sans talent, sans volonté, sans passion, sans amour, du moins comme le sentent les hommes ! […] Assurément un souffle qui n’est pas celui de la bouche d’un homme a passé dans le livre des Prisons, sur cette giroflée jaune du mur d’un captif que toute l’Europe a respirée, les yeux en larmes ; mais ce souffle ne s’est purifié, il n’est devenu complètement pur que dans cette correspondance très infime de tout, de vue, de pensée, de passion, d’éloquence et même d’événements, et que cependant il faut lire pour savoir quelle saine et adorable chose le christianisme peut faire… avec rien !

976. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Barthélemy Saint-Hilaire »

Nonobstant la note très modeste que Barthélemy Saint-Hilaire a placée en tête de son ouvrage, pour nous apprendre que son livre avait paru par articles dans le Journal des Savants, au fur et à mesure que William Muir, Sprenger et Caussin de Perceval publiaient les leurs, je suis sûr qu’avec les habitudes de sa pensée, avec sa préoccupation si singulièrement philosophique et religieuse prouvée par la dissertation que je trouve, dans ce volume sur Mahomet, concernant les devoirs mutuels de la religion et de la philosophie, Barthélemy Saint-Hilaire, l’auteur déjà d’un livre sur Bouddha et sa religion, devait aller — de son chef — à cette grande figure de Mahomet, qui nous apparaît, en ce moment, comme une figure neuve en histoire, tant jusqu’ici elle avait été offusquée et enténébrée par l’ignorance, le parti pris et toutes les sottises, volontaires ou involontaires, des passions et du préjugé ! […] Nature nerveuse et contemplative, si nerveuse, sous les placidités extérieures de la force, qu’il ne pouvait rester dans les ténèbres, et si contemplative, que jusqu’à plus de moitié de sa vie il porta à son insu la puissance de l’action dans le fond mystérieux de son être, comme il y portait aussi la puissance des passions charnelles qui éclatèrent si tard en lui et qui finirent par dégrader sa calme et grande physionomie.

977. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

C’est ainsi qu’il en vint à méditer les idées intelligibles et parfaites des esprits (idées distinctes de ces esprits, et qui ne peuvent se trouver qu’en Dieu même), et s’éleva jusqu’à la conception du héros de la philosophie, qui commande avec plaisir aux passions. Ainsi fut préparée la définition vraiment divine qu’Aristote nous a laissée de la loi : Volonté libre de passion  ; ce qui est le caractère de la volonté héroïque.

978. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bengy-Puyvallée, Antoine de (1854-19..) »

Charles Fuster M. de Bengy-Puyvallée a trouvé des mignardises tout à fait délicates et délicieuses ; il s’est fait un moyen âge exquis, un dix-huitième siècle adorable, — et, à travers tout cela, la passion moderne jette parfois ses cris : l’ensemble est d’une originalité extrême, d’une fine saveur… Nous le répétons, c’est un art très particulier, très subtil et infiniment nuancé.

979. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Blanc, Joseph »

Les « Sonnets blonds », qui forment la plus grande partie du recueil, sont l’histoire d’une passion ardente, chaste et discrète, d’un de ces sentiments profonds et doux qui parfument le reste de la vie et demeurent l’honneur de celui qui les éprouva… Les parures naturelles du Quercy revivent, brillent ou chantent dans ces pièces.

980. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fréchette, Louis (1839-1908) »

Il sert de voix à tout un peuple, dont il rend, en beaux vers lyriques, la grande passion.

981. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

Jérusalem était épris d’une passion violente pour la femme future d’un de ses amis (la Charlotte du livre) : Charlotte était fiancée à un employé de la chancellerie impériale de Wetzlar. […] Il employa douze ans à le composer ; il y résuma, comme dans un poème séculaire, toute la passion, toute la foi, tout le scepticisme, toute la beauté morale et toute la laideur infernale de l’humanité. […] Goethe, quoique bien peu avancé dans la vie, puisqu’il n’avait que quarante ans quand il composait Faust, se montre un observateur consommé de la malice humaine et de la séduction par la passion. […] Faust insiste avec l’autorité et la véhémence de la passion qui veut être servie et non conseillée : « Quelque chose seulement d’elle, un fichu de son cou, une chose qui l’ait touchée ! […] Sors d’ici, misérable, et ne prononce pas le nom de l’angélique créature, et ne viens pas présenter à ma passion sainte un profane désir !

982. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

Nous ne conseillerons donc jamais à un homme dans la maturité active de la vie, de lire l’Arioste ; à l’âge où les passions sont sérieuses, on ne comprendrait pas ce badinage avec l’héroïsme ou l’amour. […] Il faut le lire avant l’âge des passions : c’est ainsi que nous l’avons lu la première fois nous-même, avant notre vingtième printemps ; c’est ainsi que nous le relisons aujourd’hui après notre soixantième hiver. […] Et puis cependant elle était si gaie et si jeune d’esprit que cet attendrissement, sans cesse dévié par son sourire, n’allait pas jusqu’à la passion et s’arrêtait au charme ; le charme est ce crépuscule et ce pressentiment de l’amour, où l’amour devrait s’arrêter éternellement, pour n’arriver jamais jusqu’au feu, jusqu’à l’amertume et jusqu’aux larmes. […] C’étaient ces heures nonchalantes de l’avant-soirée entre la sieste et la promenade du soir, que nous passions dans la grotte de rocaille à respirer l’air de la mer, à causer sans suite, à rêver tout haut, à jouer de la main avec l’eau courante qui scintillait et chantait dans la rigole de marbre à nos pieds. […] La magnifique invention du sujet, qui appartient tout à l’Arioste, a donné à cette tragédie de Voltaire un effet théâtral immense : mais Voltaire fait déclamer pompeusement la passion dans sa tragédie, et Arioste la fait chanter, raconter et pleurer comme la nature ; il n’y a pas un homme de goût, dans aucun pays, qui puisse comparer de bonne foi les vers sonores et faibles de la tragédie avec les stances simples et pleines du poème.

983. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Les préjugés dont il n’était pas subjugué, les passions factices dont il n’était pas la proie n’offusquaient point à ses yeux, comme à ceux des autres, ces premiers traits si généralement oubliés ou méconnus… En un mot il fallait qu’un homme se fût peint lui-même, pour nous montrer ainsi l’homme primitif, et, si l’auteur n’eût été tout aussi singulier que ses livres, jamais il ne les eût écrits… Si vous ne m’eussiez dépeint votre Jean-Jacques, j’aurais cru que l’homme naturel n’existait plus. […] De là l’émotion, la passion ; elle enveloppe le raisonnement, elle est le véhicule de la persuasion. […] Ce grand orateur, au lieu de chercher dans la raison universelle les matières de son raisonnement, les extrait de son moi le plus intime et le plus singulier : il transpose en arguments, en systèmes toutes les passions, toutes les vibrations de son cœur. […] Et leurs amours se développent en émotions poétiques plutôt qu’en analyses psychologiques : rien de plus édifiant à cet égard que la promenade à la retraite de la Meilleraie567 ; les impressions des deux amants sur ce lac, parmi ces rochers qui ont été témoins de leur passion maintenant assagie, épuisée, toujours délicieuse, cette joie mêlée d’un sentiment mélancolique de l’irréparable écoulement des choses et de l’être, c’est le thème, et plus que le thème, du Lac de Lamartine. […] Tout se mêle encore dans Rousseau, le moi et la nature, l’abstraction et la sensation, la logique et la passion, l’éloquence, le roman, la poésie, la philosophie, la peinture.

984. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

qu’il est heureux que la passion se charge de ces cruelles exécutions ! […] Du reste cette réhabilitation d’outre-tombe n’est pas pour eux de vigoureuse justice ; car, comme ils sont presque toujours immoraux, ils ont trouvé leur récompense dans la satisfaction de leurs brutales passions. […] Car de tels actes ne vont pas sans que la passion s’en mêle, et réciproquement de telles passions ne vont pas sans éveiller quelque vue désintéressée. […] Ceux-là seuls parlent au peuple un langage intelligible qui s’adressent à ses passions ou qui s’intitulent ducs ou comtes. […] Qu’un commissaire de police s’introduise dans une salle où quelques têtes faibles et vides échauffent réciproquement leurs passions instinctives, nous jetons les hauts cris : la liberté est violée.

985. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

D’autre part, chaque fois qu’elle veut dire les agitations d’un cœur troublé ou un conflit de passions entre plusieurs êtres, elle marche sur un terrain où elle peut rencontrer la musique. […] La poésie possède une faculté de précision qui manque à la pensée musicale ; elle est donc appelée à formuler l’idée mère du drame, à combiner les événements et les passions dont la rencontre et le conflit amèneront des situations terribles ou plaisantes ; elle détermine ainsi la voie où doit s’engager après elle l’inspiration du compositeur. […] Ce triomphe de la passion atteint la sculpture elle-même, bien qu’elle soit le plus calme et le plus rigide des beaux-arts, bien qu’elle recherche d’ordinaire la pureté des lignes et redoute les gestes trop violents. […] Est-ce qu’un éclat de voix et de passion ne détonnerait pas au milieu de ces agréables brimborions ? […] C’est la femme politique, suivant avec passion les débats du Parlement, buvant les discours des orateurs, écrivant au besoin un article sur les affaires publiques.

986. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

L’analogie dans la situation est évidente ; c’est une passion sans issue, qui ne peut mener qu’à la mort. […] C’est la conception même de ses mélodies, laquelle dans son ampleur, sa passion, sa dévorante sensualité est essentiellement italienne ; italienne, j’entends, dans le sens élevé et noble du mot. […] C’est précisément à cette époque que Wagner fut pris d’une passion violente pour une femme, jeune et d’une grande beauté. […] Cependant nous savons que Drystan (le Fougueux) était une des trois divinités de l’amour, et qu’il se consumait dans une passion sans espoir pour Essylte (voir : Davies, Mythology and Rites of the British Druids, Londres, 1809, et les commentaires de Mone sur cet ouvrage, dans une brochure sur « La légende de Tristan et les doctrines secrètes des Druides », 1822, Heidelberg). […] Wagner dit (IV, 174) : « Le poète prend de nombreux faits épars, tels que la raison les perçoit, des actions, des sentiments, des passions, et il les fait converger, autant que possible, en un seul point ; c’est ainsi qu’il peut arriver à agir sur l’émotion.

987. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Il ne vit aucun sujet d’instruction dans l’embrasement de la ville de Troie, causé par l’amour funeste de Pâris pour Hélène ; dans Ithaque délivrée par le retour d’Ulysse, c’est-à-dire, par un héros au-dessus de la fortune & des plus cruels revers, par un héros bon roi, bon père, bon époux ; dans l’exemple d’un prince qui fait céder la passion la plus violente à la voix des dieux & à l’ordre qu’il reçoit de fonder en Ausonie une nouvelle patrie ; dans un patriote comme Pompée, qui ne respire que la liberté Romaine & l’amour des loix. […] On convient généralement qu’Énée vivoit trois cens ans après Didon : sur quoi les sçavans, scrupuleux en fait de noms & de dattes, se récrient contre l’audace de Virgile ; lui demandent raison d’avoir fait rencontrer deux illustres personnages qui ont vécu dans des siècles différens ; d’avoir supposé à la reine de Carthage la passion la plus violente & la plus éloignée de son caractère, puisqu’à la mort de Sichée, elle lui voua une fidélité inviolable & préféra le bûcher à de nouveaux engagemens. […] Tous ces ouvrages, & principalement les derniers, font plaisir par la manière dont les passions y sont traitées, par la variété des épisodes habilement liés à l’action principale, par le naturel & les agrémens du stile. […] On abandonna les grandes aventures, les projets héroïques, les intrigues délicatement nouées, le jeu des passions nobles, leurs ressorts & leurs effets. […] Rien de plus dangereux que ce roman, par le mauvais exemple de l’héroïne, & par la manière vive & naturelle dont les passions & les foiblesses sont rendues.

988. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Massillon jeune a-t-il connu les passions ? […] Quand on lui demandait plus tard où il avait pris cette connaissance approfondie du monde et des diverses passions, il avait le droit de répondre : « Dans mon propre cœur. » Pendant qu’il professait la théologie à Vienne, il fut ordonné prêtre en 1692 ; il s’y essayait dans la chaire ; il y prononça l’Oraison funèbre de Henri de Villars, archevêque du diocèse ; il alla prononcer à Lyon celle de l’archevêque M. de Villeroi, mort en 1693. […] L’innovation de Massillon, venant après Bourdaloue, fut d’introduire le pathétique et un sentiment plus vif et plus présent des passions humaines dans l’économie du discours religieux, et d’attendrir légèrement la parole sacrée sans l’amollir encore.

989. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

Toute passion vive devient aisément cruelle quand elle se trouve en face de l’objet qui la gêne ou qui la brave. […] La chasse avait été longtemps une des grandes distractions ou plutôt une des passions de Madame. […] La comédie était une autre de ses passions, et qui tenait en elle à l’intelligence et au goût des choses de l’esprit.

990. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

De toutes les passions, la plus pleine d’illusion, c’est la joie. » Demandons-nous toujours : D’où nous vient-elle et quel en est le sujet ? […] Je ne fais qu’indiquer cette idée que je crois vraie, et qui ne revient pas tout à fait à ce que dit un biographe souverainement inexact : On compara avec passion, dit M. de Lamartine parlant de Bossuet et de Bourdaloue, ces deux émules d’éloquence. […] Ô justesse dans la vie, ô égalité dans les mœurs, ô mesure dans les passions, riches et véritables ornements de la nature raisonnable, quand est-ce que nous apprendrons à vous estimer ?

991. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poëme des champs par M. Calemard de Lafayette. »

Doué d’une harmonie pleine et d’un vaste pinceau, en possession d’une sorte de sérénité et d’impassibilité native ou acquise, désoccupé ou guéri de passions pour lui-même, il voyage à travers le monde de l’histoire et les diverses contrées, il revêt indifféremment et presque également bien les formes les plus diverses ; il exprime avec vigueur et relief les manifestations les plus variées de l’histoire, de la nature et de la vie. […] Qu’on lise, au début du volume, ces Conseils d’un homme qui a éprouvé la passion et qui en signale les périls et le malheur à un ami vrai ou supposé. Jean-Jacques, notre grand aïeul, a dit : « Quand le cœur s’ouvre aux passions, il s’ouvre à l’ennui de la vie. » Ç’a été notre histoire à tous, c’est l’épigraphe à mettre à tous les Werther, à tous les René et à ceux qui en descendent.

992. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Racine, à la différence de Shakespeare, n’a fait autre chose, dans sa poésie et dans sa peinture des passions, que de choisir de la sorte et de supprimer le laid qui est dans la réalité et dans la nature, pour ne laisser subsister que le beau qui lui sied et qu’il aime. […] L’un accepte et comprend les choses comme elles sont dans la nature et dans l’humanité ; il prend, sans les disjoindre (car tout cela se tient, se correspond et, pour ainsi dire, se double), le rat et le cygne, le reptile et l’aigle, le crapaud et le lion ; il prend le cœur à pleines mains, tel qu’il est au complet, or et boue, cloaque ou Éden, et il laisse à chaque objet sa couleur, à chaque passion son cri et son langage. L’autre ne veut et n’admet, même en peignant ses monstres, que les plus nobles formes, les plus belles expressions des passions humaines.

993. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Il ne décourage pas, il ne dénigre pas ; il n’applique aux passions ni le blâme ni le ridicule, ni un mode d’explication qui a sa vérité, je l’admets, mais qui dans l’action déjoue, déconcerte et stérilise. […] Il semblait plus facile, avec des intentions droites et des idées justes, de faire le bien des hommes et des peuples que cela ne s’est vérifié, au fait et au prendre ; on ne comptait assez ni avec les passions, ni avec les intérêts, ni avec les vices. […] Mais il en sortit et il surnagea, au milieu de ce flot de passions, j’allais dire de ce fleuve de sang, une plus grande connaissance des garanties, des forces et puissances sociales, et une idée, malgré tout persistante, d’espérance et de progrès pour l’espèce.

994. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Les Confrères de la Passion, auxquels il semble faire allusion, n’étaient point des pèlerins. Ces Confrères, honnêtes bourgeois et paroissiens de la capitale, qui se réunissaient d’abord à Saint-Maur, près Paris, vers 1398, et qui se constituèrent ensuite à Paris même, en 1402, avec privilège de Charles VI, pour jouer, comme leur nom l’indiquait, la Passion et Résurrection de Notre-Seigneur, ne firent d’ailleurs qu’inaugurer et fonder l’époque régulière du théâtre ; il y avait avant eux des représentations dramatiques de plus d’un genre, extraordinaires, locales, à certains jours de fête et de solennité. […] Noël, la Passion, Pâques et la Résurrection, c’étaient autant de sujets de dialogues ou de petites scènes dramatiques admises dans la liturgie ou tout à côté.

995. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Les démocraties sont de leur nature soupçonneuses et crédules ; l’accusation banale de trahison leur plaît et les trouve aisément accessibles : on ne s’en fit pas faute contre M. de Girardin ; il se vit très-promptement impopulaire, et d’une impopularité qui soulevait les passions les plus vives, les plus irritées. […] Ce nouvel état social, fût-il uniforme dans sa simplicité d’organisation, aurait donc, selon les lieux et les peuples, une physionomie autre et des destinées fort différentes ; il aurait, lui aussi, ses orages, ses luttes, ses accidents imprévus, peut-être ses catastrophes, résultat des passions et du peu de sagesse humaine. […] Dans l’Antiquité, les peuples, tels que la poésie ou l’histoire nous les montre, les peuples des différentes cités et des petits États, dans leurs mouvements impétueux et leurs révolutions, se décidaient d’eux-mêmes au gré de leurs passions, et, à défaut de presse, par la voix de leurs orateurs ; ou bien, quand l’oracle avait parlé, aveuglément superstitieux qu’ils étaient, ils lui obéissaient en aveugles.

996. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. »

Jean-Bon fut comme la plupart des hommes de cette époque : son esprit qui était ferme et net, et non supérieur, s’excitant et s’enflammant au foyer du cœur et au souffle de la passion, marcha avec les événements sans les devancer de beaucoup, et il est de ceux qui auraient pu dire en toute vérité avec le moraliste : « Les occasions nous font connaître aux autres, et encore plus à nous-mêmes. » Le 30 avril 1789, à l’occasion de l’Édit de Louis XVI en faveur des Protestants et en vertu duquel il leur était permis de s’avouer tels désormais sans péril et sans crainte, de pratiquer leur culte, de contracter mariage selon les lois et de jouir des avantages et des droits de citoyens, Jean-Bon prononçait à titre et en qualité de pasteur, « devant quelques vrais serviteurs de Dieu et divers citoyens amis de la religion, de la tolérance, de la patrie et de l’humanité », un discours ou sermon où il se montrait pénétré de reconnaissance envers « le bienfaisant monarque », et d’une sensibilité autant que d’une modération qu’il n’a que trop tôt démenties : « Mais peut-on se le dissimuler ? […] Le récit émoussé et assez vague de l’honnête Mathieu Dumas nous a ouvert un jour sur les circonstances locales qui enflammaient et attisaient les passions. […] Mais que celui qui, pendant la durée de l’orage, n’a été froissé par aucune secousse douloureuse, qui n’a sacrifié à aucune passion, n’a épousé aucun parti, n’a éprouvé aucun sentiment de haine ou de ressentiment, dont l’opinion a toujours été calme, l’esprit toujours froid, le jugement toujours impartial ; que celui qui peut dire avec Tacite, non dans une épigraphe pompeusement inscrite sur le frontispice de son livre, mais dans l’intérieur de sa conscience : Mihi Galba, Otho, Vitellius, nec amicitia, nec odio cogniti, que celui-là écrive pour nos contemporains l’histoire de la Révolution.

997. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. (Suite et fin.) »

Comme la vie politique n’est qu’une lutte entre les divers ordres de l’État et même entre les particuliers ; comme les tribunaux eux-mêmes sont à Rome une arène ouverte à toutes les passions, l’éloquence est un avantage que nul ne peut négliger, une arme qui sert à défendre son honneur ou sa fortune, à attaquer l’honneur ou la fortune d’autrui, et toujours à jouer un rôle dans la cité. […] Zeller, qui traite de l’histoire sans parti pris et sans passion exclusive, est loin de désespérer de Rome et de ses destinées à la chute de la République. […] Zeller hésite un peu sur ce point ; mais il n’hésite pas quand il attribue à César l’idée de fonder, sous un nom ou sous un autre, une monarchie populaire, universelle et, en quelque sorte, humaine : « Étendre le droit de cité à tous les hommes libres de l’Empire, régner sur le monde pour le monde entier, non pour l’oligarchie ou la démocratie quiritaires ; abaisser les barrières entre les classes comme entre les nations, entre la liberté même et la servitude, en favorisant les affranchissements et en mettant le travail en honneur ; avoir à Rome une représentation non du patriciat romain, mais du patriciat du monde civilisé ; fondre les lois de la cité exclusive dans celles du droit des gens ; créer, répandre un peuple de citoyens qui vivent de leur industrie et qu’on ne soit pas obligé de nourrir et d’amuser : voilà ce qu’on peut encore entrevoir des vastes projets de celui qu’on n’a pas appelé trop ambitieusement l’homme du monde, de l’humanité ; voilà ce dont témoignent déjà les Gaulois, les Espagnols introduits dans Rome, Corinthe et Carthage relevées, et ce qu’indiquent les témoignages de Dion Cassius, de Plutarque, de Suétone, bien qu’ils aient pu prêter peut-être à César quelques-unes des idées de leur temps. » César (s’il est permis d’en parler de la sorte à la veille d’une publication par avance illustre), César, au milieu de tous ses vices impudents ou aimables, de son épicurisme fondamental, de ce mélange de mépris, d’indulgence et d’audace, de son besoin dévorant d’action, et de cet autre besoin inhérent à sa nature d’être partout le premier, César, à travers ses coups de dés réitérés d’ambitieux sans scrupule et de joueur téméraire, avait donc une grande vue, une vue civilisatrice : il n’échoue pas, puisque son idée lui survit et triomphera, mais il périt à la peine, parce qu’il avait devancé l’esprit du temps, tout en le devinant et le servant, parce qu’il vivait au milieu de passions flagrantes et non encore domptées et refoulées.

998. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Mme de la Fayette arrive à la Princesse de Clèves, type du roman classique, fine étude de passion vraie, par Zayde, roman héroïque et précieux, qui amalgame les aventures impossibles et les grands sentiments : elle abrège Mlle de Scudéry avant d’être l’émule de Racine. […] Ce grand seigneur académicien, qui avait la passion des lettres, de l’esprit, et du style exact, et qui écrivait avec une précision si fine, encore qu’un peu sèche, ne se rangea jamais complètement au parti de Boileau. […] Le caractère et la personne du poète entrent parfois pour quelque chose dans son autorité : sa gravité d’honnête homme qui n’a pas connu les passions le met en crédit auprès des réformateurs scrupuleux, qui, après le manifeste de J. 

999. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

D’abord, à mesure que l’on avance, les polémiques personnelles et les rivalités de parti y tiennent plus de place ; les passions qui se donnent cours sont intenses, mais communes et sans finesse ; le spectacle n’en est pas très nécessaire à notre éducation psychologique. […] Il a des appétits, des passions physiques ; il a des facultés oratoires, le don de brider et de passionner : mais nulle sensibilité de l’âme, au fond ; toujours de sang-froid, maître de lui, l’esprit net, agile, subtil, un esprit à la Montesquieu, comme l’a très bien vu M.  […] Mais puisque Mme Roland, qui était l’âme du parti, n’eut pas accès à la tribune, puisqu’elle fut réduite à verser les passions et les idées qui la brûlaient dans ses Mémoires rédigés en prison, c’est à Vergniaud qu’il appartient, mieux qu’à personne, de représenter l’éloquence girondine632 .

1000. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jean Richepin »

Richepin a beau être un insurgé, avoir la passion des gros mots et des plus abominables crudités de pensée et de style, la perfection de sa rhétorique nous met en défiance. […] Richepin a pu contribuer elle-même à développer sa passion de la vie irrégulière et insurgée. […] Et le cynisme, la passion de l’ordure dans les mots et dans les images ne paraît point diminuer, il s’en faut.

1001. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

L’auteur ne manque jamais de l’étudier sous son double aspect physique et mental, rattachant ainsi la psychologie des passions à la physiologie des passions ; et exposant par là même, comme il le fait remarquer, les rapports du physique et du moral. […] Spinoza, on le sait, expliquait toutes nos passions par le désir, la joie et la peine, qu’il ramenait à l’inclination fondamentale de tout être : « être et persévérer dans son être. » Jouffroy arrivait à la même conclusion sous une autre forme et d’une autre manière.

1002. (1886) De la littérature comparée

Le chevalier normand allant conquérir l’Angleterre, écoutait avec autant de plaisir le trouvère Taillefer chanter les interminables exploits de Roland que les Grecs leurs aèdes ; une foule frémissait au spectacle des mystères de la Passion, comme une autre foule avait frémi jadis à celui des malheurs d’Œdipe ou de Prométhée ; le dévot s’extasiait devant la douloureuse figure d’un Christ en croix, comme jadis les Athéniens admiraient les chefs-d’œuvre du Parthénon. […] S’il est vrai que l’art ait pour but de manifester les caractères saillants de ses objets, et que la qualité de l’art dépende de l’importance du caractère et de la convergence des effets, il faut s’incliner devant ces arts et cette littérature qui — les cathédrales aux fines ciselures comme les drames monstrueux, comme la peinture souffreteuse, comme la scolastique subtile et angoissée et comme les élans passionnés de la poésie mystique — traduisent si bien les aspirations de l’âme vers le monde surnaturel, les tortures de la raison aux prises avec les insolubles problèmes de la foi, le mépris du corps transitoire et la passion de l’infini. […] Car le « Romantisme » est bien un mouvement parallèle à celui de la Renaissance : en s’efforçant de retrouver la nature et la sincérité de l’impression — ce fut là, vous le savez, l’idéal dont tous les écrivains du commencement du siècle se sont réclamés, à quelque distance que beaucoup en soient restés, — il rencontre tout d’abord le Moyen-Âge, c’est-à-dire l’époque où le génie moderne avait pu se développer sans entraves, et il s’en empare avec passion.

1003. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Pline a le culte et l’enthousiasme de la science, une admiration reconnaissante pour les inventeurs illustres, le sentiment du progrès indéfini des connaissances humaines, le regret de les voir négligées parfois et retardées par des intérêts subalternes, par des passions égoïstes et cupides. […] Jamais le sentiment littéraire proprement dit, la passion des belles études et de l’honneur qu’elles procurent, jamais l’amour de l’honnête louange, le culte de la gloire et de la postérité, n’a été poussé plus loin et plus heureusement cultivé que chez Pline le Jeune. […] Les après-midi d’été à la campagne, si vous voulez vous redonner un léger goût, une saveur d’Antiquité, si vous n’êtes trop tourmenté ni par les passions, ni par les souvenirs, ni par la verve car je vous suppose un peu auteur vous-même, tout le monde l’est aujourd’hui), prenez Pline, ouvrez au hasard et lisez.

1004. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

On croira que je me moque, mais laissons-la parler elle-même ; on n’est jamais mieux peint que par soi, du moment qu’on parle et qu’on écrit beaucoup : Cette nouvelle passion, dit-elle de son goût pour les exercices de cheval, ne me fit négliger ni la musique, ni l’étude. […] Mais tout ce qu’elle apprenait là en ce moment, remarquez-le bien, elle le rendra tout à l’heure à d’autres ; car, si elle a la passion d’apprendre, elle a surtout la verve d’enseigner. […] Voilà pourtant jusqu’où la passion entraînait le critique en titre, l’homme de goût de ce temps-là.

1005. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

La portion supérieure de son ouvrage est celle où il montre la décomposition de la société par les sophistes, espèce destructive si éloignée en tout de ces hommes à grand caractère et à grandes vues positives, qui ont fondé les sociétés et institué les peuples : « Le faux esprit philosophique est une lime sourde qui use tout. » Il distingue entre les diverses sortes de corruption publique : malgré sa bonté morale personnelle, il sait à quoi s’en tenir sur le fond de l’homme ; les passions étant les mêmes en tout temps, les mœurs aussi sont toujours à peu près les mêmes, ce ne sont que les manières qui diffèrent : mais la différence est grande, d’une corruption qui n’est que dans les mœurs, et à laquelle de sages lois peuvent remédier, d’avec cette corruption subtile qu’un faux esprit philosophique a naturalisée dans la morale publique et dans la législation. […] Tout a été détruit, tout est dissous : En cet état, il ne s’agit pas uniquement de rétablir, il faut régénérer ; il faut s’occuper des hommes encore plus que des choses, et créer, pour ainsi dire, un nouveau peuple. — Un libérateur, dit-il encore, doit donner des lois raisonnables, et non des lois de passion ou de colère. […] C’est un inconvénient grave, si des écrivains aigris ou mécontents se montrent ; leurs idées passent, filtrent à travers leurs passions et s’y teignent.

1006. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Cousin a le plus découvert sa passion pour Mme de Longueville, c’est en ce qui est de M. de La Rochefoucauld. […] Cousin devient éloquent dans la passion. […] Quelle passion personnelle avez-vous étouffée en vous ?

1007. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Michelet »

Il est des vieillards qui ont des passions de jeune homme, mais le livre de Michelet n’est pas un livre de jeune homme, une éruption de l’ancien volcan, la démence d’un esprit qui n’a pas su mûrir. […] En France, cette imagination-là est une femme, et ce que les femmes préfèrent à tout, c’est le joli et le petit, qu’elles appellent « le gentil », avec des passions dans la voix. […] On fera en yacht le tour du monde. » Supprimer la tempête, comme on doit supprimer la guerre, la misère, les passions, l’injustice, l’imprévu, le fatal, le providentiel !

1008. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

S’ils avaient perdu les habitudes d’analyse, ils avaient gardé la passion de la métaphysique ; ils étaient à la fois sentimentaux et systématiques, et demandaient des théories à leur cœur. […] Le rêve et l’abstraction, telles furent les deux passions de notre renaissance : d’un côté l’exaltation sentimentale, « les aspirations de l’âme », le désir vague de bonheur, de beauté, de sublimité, qui imposait aux théories l’obligation d’être consolantes et poétiques, qui fabriquait les systèmes, qui inventait les espérances, qui subordonnait la vérité, qui asservissait la science, qui commandait des doctrines exactement comme on commande un habit ; de l’autre, l’amour des nuages philosophiques, la coutume de planer au haut du ciel, le goût des termes généraux, la perte du style précis, l’oubli de l’analyse, le discrédit de la simplicité, la haine pour l’exactitude ; d’un côté la passion de croire sans preuves ; de l’autre la faculté de croire sans preuves : ces deux penchants composent l’esprit du temps.

1009. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

La nature rend les hommes éloquens dans les grands intérêts & dans les grandes passions. […] Il traite ensuite des passions & des moeurs que tout orateur doit connoître. […] Il est très à sa place dans un opéra françois, où d’ordinaire on effleure plus les passions qu’on ne les traite. […] Mais qu’il est à craindre que le pinceau ne soit guidé par la passion ! […] Cette faculté passive, indépendante de la réflexion, est la source de nos passions & de nos erreurs.

1010. (1890) Nouvelles questions de critique

Car, c’est surtout depuis vingt-cinq ans que la manie du document, jusque-là contenue dans les limites au moins de la passion, a paru dégénérer positivement en fureur. […] L’avocat se donne ses convictions ; il se fait sa passion ; et son éloquence n’en est pas moins sincère, mais elle en contracte pourtant quelque chose de factice. […] Et je ne dis pas, s’il vous plaît, que, de cette erreur même sur les conditions essentielles d’un genre, on n’ait pas tiré des effets extraordinaires, puisque au contraire je soutiens que l’étrangeté des effets nous a procuré quinze ou vingt ans d’illusion sur la portée de l’erreur… Ainsi, la passion, la fièvre, ou le délire décuplent les forces de l’homme, mais ce sont toujours le délire, la fièvre, ou la passion. […] Comme si tous, tant que nous sommes, nous ne passions pas notre temps à exprimer nos préférences, ou comme si, quand nous écrivons, nous avions d’autre ambition que de les faire partager aux autres ! […] D’autres ont mieux chanté l’amour, comme Lamartine ; ou la passion, comme Musset ; ou la nature et la joie de vivre.

1011. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Valette, Charles (1813-1888) »

J’y retrouve bien l’ami que j’ai perdu, le jeune poète aimable, fin, délicat, mais mutin, vif et fougueux à ses heures, l’écrivain chevaleresque et galant sans mignardise, joyeux sans forfanterie, mélancolique sans affectation, mais quelle que soit son humeur, toujours honnête et ne cessant de protester contre l’égoïsme, la sottise et toutes les mauvaises passions du siècle.

1012. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » p. 386

Ne serois-tu point l’interprete D’une autre passion secrete ?

1013. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » p. 398

On sent bien à quoi l’exposoit cette passion numismatique ; mais elle n’eut pas tout le mauvais succès qu’elle pouvoit avoir dans cette occasion.

1014. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Le crime même a plus de grandeur, quand il tient au désordre des passions enflammées, que lorsqu’il a pour objet l’intérêt personnel : comment donc pourrait-on donner pour principe à la vertu ce qui déshonorerait même le crime ?  […] « Les écrivains sans enthousiasme ne connaissent, de la carrière littéraire, que les critiques, les jalousies, tout ce qui doit menacer la tranquillité, quand on se mêle aux passions des hommes ; ces attaques et ces injustices font quelquefois du mal ; mais la vraie, l’intime jouissance du talent, peut-elle en être altérée ? […] La femme est l’être passionné ou elle cesse d’être femme : la passion et l’impartialité s’excluent. […] L’amour, qui débordait de son cœur comme de son esprit, avait trouvé tard, semblable à un repentir des jours perdus, son aliment dans un homme épris lui-même d’une sérieuse passion pour elle. […] Le mystère d’une passion que la vulgaire sagesse aurait désavouée avait ajouté à cet attachement mutuel les obstacles, les pudeurs, les charmes d’une secrète intelligence.

1015. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

Mais il a échappé par bonheur au pédantisme stérile : la passion religieuse emplit son œuvre — celle qui compte — et la fait sincère, intense et vivante. […] Vaincu, il a été dispensé de traduire en détestables faits ses passions et ses vengeances ; il a dû tourner ses yeux au ciel, remettre à Dieu de récompenser et de punir ; la défaite a ouvert, élevé son âme dure, elle y a mis, avec les larmes et les tendres regrets, la foi sereine, l’amour confiant, l’espérance et la soif de la justice. […] Il est remarquable que dans le matériel de la pastorale il a laissé toutes les machines qui servent à faire des changements à vue de passions, à créer ou détruire l’amour instantanément. […] L’horreur du vulgaire naturel qui, appliquée aux menues circonstances de la vie sociale, produisait la recherche spirituelle des petits vers, tourne en passion du romanesque quand il s’agit de former une conception générale de la vie. […] Les dames, telles que la marquise de Rambouillet, furent les institutrices de la haute société : elles firent de la galanterie et de la politesse les freins du tempérament ; elles substituèrent peu à peu des plaisirs et des goûts intellectuels aux passions et aux jouissances brutales.

1016. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Il y a encore des poètes, mais la poésie se meurt ; elle languit dans l’ingénieuse et stérile industrie du vers orné, ciselé et vide, ou dans l’exubérante fécondité de la description sans autre but et sans autre objet qu’elle-même, dans la mignardise de petits tableaux de genre où elle se tourmente à faire de la grâce, ou dans l’exaltation factice de passions imitées plutôt que ressenties. […] Il est naturel, dans cet épuisement momentané de la passion lyrique, que les vrais talents, ceux qui sentent leur force, se tournent ailleurs et cherchent s’il n’y a pas quelque part de nouvelles sources jaillissantes d’idée et d’émotion où la poésie puisse reprendre quelque chose de sa verdeur et de sa fraîcheur perdues. […] D’autre part, ce sont toutes ces théories, bien jeunes encore, bien peu assurées de leur avenir, mais enivrées de leurs premiers succès, enhardies à tout renouveler et, en attendant, à tout détruire, poursuivant à travers les ruines du passé un idéal inconnu, sans lequel l’humanité, dépouillée de l’ancien, ne pourrait subsister ni vivre une heure, s’avançant avec une intrépidité que rien n’arrête dans toutes les régions de la pensée, et soulevant autour d’elles des enthousiasmes et des colères également sans justice et sans mesure. — Enfin, entre les vieux dogmes que l’on prétend renverser et l’idéal nouveau que l’on n’aperçoit pas encore, il y a pour beaucoup d’âmes un état de crise vraiment pathétique dont un poète contemporain a su tirer un brillant parti pour son inspiration et l’occasion d’un grand succès, montrant par son exemple que la rénovation de la poésie est possible, à quelles conditions de talent, à quel prix de passion et de science3. […] Sa langue si pure, si habile, si nuancée, quand il reste dans les sujets antiques ou dans ceux qui n’ont pas d’âge, ceux que fournit le cœur humain, éternel dans ses douleurs, dans ses passions et ses joies, cette même langue s’embarrasse et se trouble dès qu’elle touche à des idées scientifiques ou à des pensées modernes que le vers français n’était peut-être pas encore en état de soutenir et d’exprimer. […] La poésie doit croire à quelque chose, ou bien, si elle doute, il faut que ce soit sous la forme de la passion, non sous la forme d’un dilemme.

1017. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Préface »

Cette passion malheureuse a ameuté contre ma personne, tant de haines, de colères, et donné lieu à des interprétations si calomnieuses de ma prose, qu’à l’heure qu’il est, où je suis vieux, maladif, désireux de la tranquillité d’esprit, — je passe la main pour la dire, cette vérité, — je passe la main aux jeunes, ayant la richesse du sang et des jarrets qui ploient encore.

1018. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Ils chantent infiniment et forment des danses allégoriques ; deux troupes s’avancent, les serviteurs de la Raison et les serviteurs de la Passion ; on décrit tout au long leurs chapeaux, leurs rubans et leurs tuniques. […] Nous aussi, nous avons des passions, mais nous ne sommes plus assez forts pour les porter. […] Mon esprit s’emploie à défendre une passion qui, pour récompense, le persécute de folles peines. […] Il nous fait quitter nos passions compliquées, nos mépris, nos regrets, nos haines, nos espérances violentes. […] Il recommande aux moralistes d’observer l’âme, les passions, les habitudes, les tentations, non en oisifs, mais en vue de la guérison ou de l’atténuation du vice, et donne pour but à la science des mœurs la réformation des mœurs.

1019. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

Le beau chant à la gloire de la Forêt, magicienne qui guérit les mauvaises passions et ennoblit ! […] Son œuvre éclate d’orgies joyeuses ; elle est l’apothéose de toutes les passions du Flamand matérialiste et jouisseur. […] L’univers l’émeut à ce point qu’il l’exaspère, le transfigure avec passion. […] Elle est condamnée à inspirer, sans répit, des passions funestes. […] Elle est formée de l’énergie, des désirs, des pensées, des souffrances, des passions de nos frères, et nous devrions connaître ces passions puisqu’elles sont pareilles aux nôtres.

1020. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

C’est que les religions sont des passions. […] Les hommes ont toujours cru qu’il ne suffisait pas de tuer par besoin ou par passion. […] C’est par là qu’ont passé les passions de son cœur pour devenir des systèmes, et ses émotions pour devenir une philosophie. […] Comme toujours, elle envoyait ses passions à la conquête de ses idées. […]  » C’est à cette loi du devoir devenue passion du devoir qu’elle se confie, qu’elle croit qu’il faut se confier.

1021. (1881) Le roman expérimental

Nous ne connaissons point encore les réactifs qui décomposent les passions et qui permettent de les analyser. […] Ils arrivaient avec la rébellion de la couleur, avec la passion de l’image, avec le souci dominant du rythme. […] Si nous passions à l’historien, nous le verrions, lui aussi, faire dans l’histoire une besogne identique, et avec le même outil. […] pourquoi ce bonhomme n’aurait-il pas tué ses deux filles, dans sa passion qui tournait tout son être à l’idée fixe ? […] Le monde, le voilà, quand une passion le secoue, quand un drame violent le jette en dehors de ses politesses et de ses conventions.

1022. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Scheffer, Robert (1889-1926) »

Vers étranges et singuliers, chansons qui sanglotent, voix qui mord, mélancolie et passion qu’exaltent l’eau qui passe, la feuille qui tombe, la rose qui saigne, l’étoile qui descend.

1023. (1930) Les livres du Temps. Troisième série pp. 1-288

Se moquant des modes factices et des passions de parti, M.  […] La passion est une preuve d’énergie. […] Heureux qui a une passion ! […] « Bonheur d’avoir pour métier sa passion. […] Cette passion, Flaubert reconnaît qu’il ne l’éprouve pas.

1024. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Il ne tarda pas, moitié par la passion de la propagande religieuse, moitié par l’autorité de son talent royaliste, à se former, dans un petit appartement d’un faubourg de Paris, une espèce de cour de jeunes gens fanatiquement dévoués à ses opinions changeantes, mais toujours extrêmes, qui lui faisait un cénacle. […] Ce n’était pas mon avis, je sentais le danger de discuter indéfiniment un plan de Constitution dans un mouvement démocratique et de donner à des passions qu’on ne pouvait pas satisfaire des solutions qu’on ne pouvait pas accepter. […] Les mouvements d’un grand peuple bien compris sont presque toujours plus humains que les passions d’un parti ; il n’a personne à craindre et personne à flatter. […] Il avait épousé l’actrice d’un petit théâtre, objet de sa passion, et elle n’avait pas hésité à suivre au bout d’un autre monde la destinée qui s’était perdue pour elle dans ce monde-ci.

1025. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 août 1885. »

Maintenant, en effet, une musique qui n’a de cet art que l’observance des lois très complexes qu’il se dicte, mais exprime d’abord le flottant et l’infus, confond les couleurs et les lignes du personnage avec les timbres et les thèmes en une ambiance plus riche de Rêverie que tout air d’ici-bas, déité costumée aux invisibles plis d’un tissu d’accords ; ou va l’enlever de sa vague de Passion, au déchaînement trop vaste pour un seul, le précipiter, le tordre : et le soustraire à sa notion, perdue devant cet afflux surhumain, pour la lui faire ressaisir quand il domptera tout par le chant, jailli dans un déchirement de la pensée inspiratrice. […] Dans la salle vaguement aperçue, tout à coup l’obscurité tombe, et un grand silence ; alors, en la nuit des yeux et des oreilles et de l’esprit, en la nuit vibrante des quinze cents âmes stupéfiées, un son naît, une résonnance voilée, une sonorité atténuée, emmêlée, dispersée, un mystique résonnement, — inlocalisable, — une intimement chaude mélodie, qui monte, qui s’enfle, et qui dans l’air invisible flotte, portant la pré-sensation des futurs tressaillements du Drame. — Ainsi le Drame se lève : — un rideau s’entrouvre, et, dans le fond, — saillant d’un cadre lointain, noir, obscur, vague, et indistinct, — un paysage apparaît, que nous attendions, et les hommes y sont, dont la vie, en nous inconsciemment vécue déjà, se va en nous revivre évidemment ; — tandis que, parmi l’angoisse des vivantes passions, des désespoirs, des joies, et des extases qui se poussent et s’appellent, parmi l’inéluctable empoignement des très réelles émotions, peu à peu nous descend, insensiblement et nécessairement, l’Explication, l’Idée, la Loi, le prodigieux troublement de l’Unité dernière, comprise. […] De même encore, Hegel et Wagner sont tous deux extrêmement préoccupés de l’action de l’art dramatique sur le public : le premier, dans le parallèle qu’il établit entre la poésie dramatique chez les anciens et chez les modernes, a marqué, dans le drame ancien « le caractère général éleve du but que poursuivent les personnages » en opposition avec la passion personnelle qui « fait l’objet principal » du drame moderne ; ailleurs, il assigne à l’art, une mission nationale. […] Dans son roman L’ombre s’étend sur la montagne (1907), Rod s’inspire de l’amour de Wagner et de Mathilde pour décrire la passion du violoniste Franz Lysel pour une femme aimée.

1026. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

La plupart, en le mêlant soit aux rêveries et aux passions humaines, soit aux systèmes philosophiques, l’ont prodigieusement altéré et corrompu ; deux seulement, la juive et la chrétienne, sont restées fidèles au fond commun religieux primitif, en le développant progressivement selon le plan et l’action de Dieu sur le genre humain. […] En montrant et surtout en faisant sentir que la religion apporte une consolation dans les chagrins, une force dans le combat des passions que la philosophie ne donne qu’à très-peu d’âmes, on se placerait, je crois, sur un terrain inexpugnable, sur le terrain de l’expérience intérieure, où chacun est seul juge de ce qu’il éprouve. […] Pourquoi dans les maux de l’âme, dans la douleur, dans la passion, n’aurions-nous pas recours au médecin ? […] D’ailleurs ce péché primitif lui-même, comment eût-il été possible sans tentation, sans passions, c’est-à-dire sans vices ?

1027. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

» La langue du poëte, même pour redire ce bonheur céleste, ne saurait trouver que des images mortelles ; mais la passion dont il est inspiré est toute spirituelle et tout idéale. […] Son expression trop vive matérialise le type qu’elle adore ; et, sous les noms d’amour et d’époux, le charme d’un culte tout spirituel, pour une beauté toute céleste, disparaît dans le trouble d’une passion qui semble trop humaine. […] L’admiration même nuisait à la liberté du génie ; et l’instinct poétique, au lieu de s’animer par la passion présente, chancelait confondu sous l’amas des souvenirs. […] Ce sont quelques paraphrases d’un psaume, quelques vers que Fénelon lui-même, si rigoureux à notre poésie, sera forcé d’admirer comme une œuvre antique ; ce sont aussi quelques accents vraiment lyriques, nés de la passion présente et d’un travail ardent de l’esprit.

1028. (1896) Les Jeunes, études et portraits

Toujours est-il que la passion échappe à ces professionnels de l’amour. […] Un jour viendra où ce grand amour s’étant apaisé, il ne lui restera qu’à faire le compte de tant de pertes irréparables qu’a causées cette passion, — la passion dont c’est l’essence de ne pas durer. […] Elles sont remplies de passions simples et grandes. […] La raison se met en travers de la passion. […] Il aime son métier à la passion.

1029. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 447

La dignité pastorale ne fut pas pour lui une occasion de mollesse & de repos ; il aima & cultiva les Belles-Lettres avec tant de passion, qu’il n’accordoit que trois heures au sommeil.

1030. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — Q. — article » p. 568

Ceux qui veulent connoître l’origine des passions animales, leurs progrès, leurs développemens, leurs excès, & leur contrepoison, y trouveront une sagacité singuliere, qui satisfait l’esprit, quoique les idées peut-être n’en soient pas toujours de la derniere évidence.

1031. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite et fin.) »

En vain l’on dirait encore qu’elle se montra humaine, même dans les caprices et les revirements de ses passions ; qu’elle ne traita jamais ses amants, quand elle rompait avec eux, comme fit une Christine de Suède ou une Élisabeth d’Angleterre : elle ne les tuait pas, en effet, mais, en les répudiant, elle les comblait de milliers de roubles, de vastes terres en cadeau, et de têtes de paysans. […] Catherine, sur un point essentiel, s’est donc laissé abuser par la passion.

1032. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

Bénédict, spirituel, instruit, ironique et né ennuyé comme les jeunes gens de ces dernières générations, a rapporté, à vingt-deux ans, sous le toit rural, un cœur ambitieux, mécontent, un besoin vague de passion et d’action, le dégoût de tout travail positif, des talents d’ailleurs, des idées, surtout des désirs, un sentiment très-vif et très-amer de son infériorité de condition et des ridicules de ses bons parents ; il n’épargne pas, dans son dédain, sa jolie et fraîche cousine Athénaïs qui n’aspire qu’à lui plaire. […] » je sourirais et je comprendrais cette joie enfantine qui a besoin de se répandre à l’entour par des témoignages ; mais Louise, Louise, la fille autrefois séduite, la femme sérieuse et prudente, qui a connu la passion et s’est usée dans les pleurs, Louise ne joue pas avec un baiser ; elle ne dira pas à Valentine d’en déposer un, même sacré, même fraternel, sur le front de Bénédict : Louise n’a jamais dit ni fait cela. 

1033. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — II »

Profondément distincte de ce qui tient aux passions personnelles, au milieu et comme au travers de leurs impressions, elle nous arrive plus désintéressée et plus pure, et ne nous parle que du beau, du sublime, de l’invisible. […] Mais que ces révélations, d’ordinaire fugitives et rares, se succèdent et se reproduisent incessamment dans une âme ; qu’elles se mêlent à toutes ses idées et à toutes ses passions ; qu’elles jaillissent, éblouissantes et lumineuses, de chaque endroit où se porte la pensée, des récits de l’histoire, des théories de la science, des plus vulgaires rencontres de la vie ; que, cédant enfin à ces innombrables sensations qui l’inondent, l’âme se mette à les répandre au dehors, à les chanter ou à les peindre, là est le signe, là commence le privilège du poète.

1034. (1874) Premiers lundis. Tome II « Alexis de Tocqueville. De la démocratie en Amérique. »

Le second volume nous montre cette démocratie et la souveraineté populaire qui en est l’âme, dans son influence continue et dans son esprit en dehors des lois écrites ; ici trouvent leur place les mœurs, les instincts, les passions politiques et publiques des gouvernés, des gouvernants ; ce qui résulte en bien et en mal de cette omnipotence de la majorité, les vices et les dangers qu’elle entraîne, en même temps que ce qui la tempère. […] L’agitation même de tous les intérêts et de toutes les passions autour de chacun de ces petits centres concourt à la stabilité de l’ensemble.

1035. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

En effet, les hommes peuvent toujours cacher leur amour-propre et le désir qu’ils ont d’être applaudis sous l’apparence ou la réalité de passions plus fortes et plus nobles ; mais quand les femmes écrivent, comme on leur suppose en général pour premier motif le désir de montrer de l’esprit, le public leur accorde difficilement son suffrage. […] Elles auraient beaucoup moins de moyens pour adoucir les passions furieuses des hommes ; elles n’auraient plus, comme autrefois, un utile ascendant sur l’opinion : ce sont elles qui l’animaient dans tout ce qui tient à l’humanité, à la générosité, à la délicatesse.

1036. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre II. Le Rire » pp. 28-42

Enfin je ne lui vois d’autres défauts qu’un peu de vanité, justement la passion aux dépens de laquelle la naïve réponse de Bodoni me fait rire. […] Il faut qu’on me présente des images naïves et brillantes de toutes les passions du cœur humain, et non pas seulement et toujours les grâces du marquis de Moncade6.

1037. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 326-344

Où l'Orateur se plaît sur-tout à nous promener, c'est dans le monde physique, dans le monde moral, le monde politique, le monde intellectuel…… Le plus doux de ses plaisirs est d'imprimer le respect, d'imprimer la crainte, d'imprimer à, d'imprimer sur, d'imprimer au dedans, d'imprimer au dehors…… Si nous le suivons dans des phrases de plus longue haleine, il nous dira d'abord que les passions, comme un limon grossier, se déposent insensiblement en roulant à travers les Siecles, & la vérité surnage ; que la Nature varie par des combinaisons infinies les facultés intellectuelles de l'homme, comme les propriétés des êtres physiques *. […] Il vous dira qu' il doit gouverner comme la Nature, par des principes invariables & simples, bien organiser l'ensemble, pour que les détails roulent d'eux-mêmes ; qu'il doit, pour bien juger d'un seul ressort, regarder la machine entiere, calculer l'influence de toutes les parties les unes sur les autres & de chacune sur le tout, saisir la multitude des rapports entre les intérêts qui paroissent éloignés ; qu'il doit faire concourir les divisions même à l'harmonie du tout, veiller sans cesse à retrancher la somme des maux qu'entraînent l'embarras de chaque jour, le tourment des affaires, le choc & le contraste éternel de ce qui seroit possible dans la Nature & de ce qui cesse de l'être par les passions *.

1038. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — La synthèse »

Saisie dans le jour blanc d’un musée ou fixée aux panneaux futilement ornés d’un salon, la toile dont les pigments réfléchissent les diaprures incluses du rayonnement solaire, refleurira par les mots, dans l’accord heurté ou doux à l’œil de ses nuances stridentes ou tragiquement mortes ; et il y aura des cadences de phrase pour la langueur innocente d’un beau corps nu, et des aurores verbales pour l’éveil religieux d’un blond rayon de lumière entre les ténèbres d’un fond où s’effacent de torturés ou humbles visages, et de pénétrantes périodes pour la sagace analyse de quelque froide et mince tète de roi ou de moine surgie du passé, avec ses yeux pleins de pensées mortes et ses traits sillonnés par des passions définitivement réprimées. […] L’on aura désigné ainsi par le dehors et le dedans, ta sorte d’Athénien, par exemple, qui s’attachait à Aristophane, et celle qui se sentait exprimée par Euripide ; le citadin de la renaissance italienne dont les goûts allaient aux peintures sévères de l’école florentine, et l’habitant de Venise qui, charmé d’abord par le colorisme des Titien et des Tintoret, versa dans les luxurieuses mythologies de leurs successeurs ; de l’habitué des concerts du dimanche à Paris qui, penché toute la semaine sur quelque besogne pratique, retrouve une fois par semaine une âme enthousiaste et grave, digne de s’émouvoir aux hautes passions d’un Beethoven, au religieux naturalisme de Wagner, au trouble de Berlioz.

1039. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Gustave III »

que de monter au bûcher tous les jours de sa vie ; — comme la femme, la vraie femme, aux passions et aux qualités de la femme, la Ménagère sublime qui fit vingt ans le ménage de la Russie, était aussi dans Catherine, et, malgré ses airs parfois hommasses, n’en bougea jamais ! […] Et, de fait, tout est masque dans Gustave III, tout est spectacle, faste, coquetterie, passion de femme qui a le besoin, le besoin enragé de faire de l’effet en se faisant voir !

1040. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Maintenon » pp. 27-40

— car on les trouve pêle-mêle dans les Mémoires du temps, léchés par la flamme de la Passion ou gravés sous les acides du Vice ; — mais, au contraire, la femme qui fait les mœurs et dont rien ne reste quand les mœurs d’un siècle ne sont plus : la femme générale, le type de toutes les autres femmes à une certaine hauteur de société. […] — jusqu’à la limite de ses passions.

1041. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres d’une mère à son fils » pp. 157-170

C’est une chrétienne comme on ne peut se dispenser de l’être quand on est femme et à une certaine hauteur de société, mais c’est une chrétienne au type effacé, et nous savons bien pourquoi : elle ressemble à la tête d’où elle est sortie ; elle fait partie de cette triste majorité de chrétiens involontaires que nous sommes tous, malgré nos systèmes, nos passions, nos sottises et nos vices. […] Elle aurait empêché la mère d’Adrien, madame d’Alonville, de vouloir faire l’éducation morale de son fils sur le seuil du monde, à la veille des passions qui vont tout à l’heure éclater.

1042. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sophie Arnould »

Mais cela n’a pas empêché les baisers de toute une époque de pleuvoir sur cette bouche empoisonnée, qui se purifiait peut-être une minute au feu de l’esprit et de la passion qui y passait. […] Leur Sophie Arnould, telle que la voilà, est certainement l’un des livres les plus brillants qu’ils aient jamais écrits, ces esprits brillants qui aiment tant ce qui brille qu’ils ne peuvent voir ce qui ne brille plus… Seulement, ce livre, tout de passion, n’a pas d’autorité.

1043. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Valmiki »

On se rappelle qu’il n’y a pas encore bien longtemps, l’Allemagne s’éprit de l’Inde avec cette candeur de passion, cette facilité d’abusement, cette bonne volonté d’être trompée qui distingue aussi bien ses critiques et ses savants que l’âme charmante prêtée si généreusement à ses jeunes filles. […] de passage pareil, pour l’émotion, la main plongée au cœur, le secret de la passion, l’empire enfin sur la sensibilité humaine, vous n’en trouverez pas dans tout le long poème de Valmiki, lequel peut bien être un mystagogue, un fakir, un thériaki, tout ce qu’il y a de plus prisé et de plus estimé aux Indes, mais qui n’est pas un poète, du moins dans le sens inspiré que les hommes, depuis qu’on chante leur bonheur, leur gloire et leur misère, ont donné à ce titre-là.

1044. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ch. de Rémusat. Abélard, drame philosophique » pp. 237-250

C’est très bien, très convenable, mais cela ne respire ni l’amour sacrilège, ni les affreux regrets des passions coupables, ni la rapide corruption du péché, ni la nature humaine outragée, rien enfin de ce que Shakespeare, par exemple, y aurait mis, si ce sujet d’Héloïse et d’Abélard était tombé dans ses terribles mains… Je te plains de tomber dans ses mains effroyables, Ma fille ! […] Il manque de plan, d’organisme, de vie, de passion de caractère, de couleur franche, de traits hardis.

1045. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Charles De Rémusat »

L’Histoire, cette grande chose, existe par elle-même d’une vie si profonde qu’elle existe encore sous la main de ceux qui la gâtent, et qu’elle ne dépend ni du talent qui peut l’orner, ni de l’opinion qui l’interprète, ni de la passion qui s’en sert. […] Le talent a très peu orné son histoire ; l’opinion qui y interprète les événements et veut y marquer le sens des choses et des hommes est ce qu’on peut nommer, en ce moment, l’opinion parlementaire éplorée, et la passion qui se sert de cette histoire… n’est pas l’amour des institutions actuelles de la France.

1046. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Ronsard »

Ce poète, ce grand seigneur, cet homme de cour, qui n’aima jamais que deux paysannes, deux filles tout près de la nature, rencontrées au bord des rivières et des bois : Simples glayeuls, à couleur arc-en-cine, et qu’il engrava en ses vers sous les noms, de Marie et de Cassandre, — car la troisième, qu’on y trouve aussi sous le nom de Synope, il n’est pas bien sûr qu’il l’ait aimée, — aima donc au-dessous de lui, comme les hommes vraiment grands, qui descendent presque toujours vers la femme qu’ils aiment, tandis que les petits veulent monter vers elle, — et il eut dans l’expression de son double amour une ampleur d’embrassement, un si vaste réchauffement de cœur, un emportement de geste si impérieux dans la caresse, que ses Sonnets et ses autres pièces intitulées : Amours, effacent par la passion, le mouvement et l’image, tout ce qui a jamais parlé d’amour. […] Dans les ardentes fantaisies légères qu’il a jetées à tous les vents, dans ces poésies qui sont comme les bulles de savon de sa muse, mais dont la passion colore toujours la diaphanéité, Ronsard, ce poète jupiterréen de la Renaissance, ne peut déguiser ce qu’il est et garder l’incognito de sa divinité.

1047. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IX. Suite des éloges chez les Grecs. De Xénophon, de Plutarque et de Lucien. »

Les grâces dans le même temps avaient, au rapport des anciens, embelli l’esprit, le caractère et l’âme de Socrate ; il allait quelquefois les étudier chez Aspasie : il en inspirait le goût aux artistes, il les enseignait à ses disciples, et probablement Xénophon et Platon les reçurent de lui ; mais Platon, né avec une imagination vaste, leur donna un caractère plus élevé, et associa pour ainsi dire à leur simplicité un air de grandeur ; Xénophon leur laissa cette douceur et cette élégante pureté de la nature qui enchante sans le savoir, qui fait que la grâce glisse légèrement sur les objets et les éclaire comme d’un demi-jour ; qui fait que peut-être on ne la sent pas, on ne la voit pas d’abord, mais qu’elle gagne peu à peu, s’empare de l’âme par degrés et y laisse à la fin le plus doux des sentiments : à peu près comme ces amitiés qui n’ont d’abord rien de tumultueux, ni de vif, mais qui, sans agitation et sans secousses, pénètrent l’âme, offrent plus l’image du bonheur que d’une passion, et dont le charme insensible augmente à mesure qu’on s’y habitue. […] On sait qu’il était né dans cette ville où la plus étonnante des institutions avait créé une nature nouvelle ; où l’on était citoyen avant que d’être homme ; où le sexe le plus faible était grand ; où la loi n’avait laissé de besoins que ceux de la nature ; de passions que celle du bien public ; où les femmes n’étaient épouses et mères que pour l’État ; où il y avait des terres et point d’inégalité ; des monnaies et point de richesse ; où le peuple était souverain quoiqu’il y eût deux rois ; où les rois absolus dans les armées, étaient ailleurs soumis à une magistrature terrible ; où un sénat de vieillards servait de contrepoids au peuple et de conseil au prince ; où enfin tous les pouvoirs étaient balancés, et toutes vertus extrêmes.

1048. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVII. Des panégyriques ou éloges adressés à Louis XIII, au cardinal de Richelieu, et au cardinal Mazarin. »

On sent bien qu’un tel caractère est peu favorable aux éloges ; mais les panégyristes poursuivent encore plus les rois, que souvent les rois ne sont empressés à les fuir ; il paraît même que Louis XIII en fut importuné ; peut-être même que son esprit naturel lui fit haïr de bonne heure un genre d’éloquence qui, le plus souvent, n’a rien de vrai, et qui au moins est vide d’idées ; peut-être aussi qu’un homme calme et sans passions doit mieux sentir le ridicule de ce qui est exagéré ; et c’est le vice nécessaire de tout ce qui est harangue ; peut-être enfin que tant d’éloges sur de grands événements auxquels il avait peu de part, lui rappelaient un peu trop sa faiblesse et une gloire étrangère. […] Ils l’ont peint comme un esprit souple et puissant, qui, malgré les ennemis et les rivaux, parvint aux premières places, et s’y soutint malgré les factions ; qui opposait sans cesse le génie à la haine, et l’activité aux complots ; qui, environné de ses ennemis, qu’il fallait combattre, avait en même temps les yeux ouverts sur tous les peuples ; qui saisissait d’un coup d’œil la marche des États, les intérêts des rois, les intérêts cachés des ministres, les jalousies sourdes ; qui dirigeait tous les événements par les passions ; qui, par des voies différentes, marchant toujours au même but, distribuait à son gré le mouvez ment ou le repos, calmait la France et bouleversait l’Europe ; qui, dans son grand projet de combattre l’Autriche, sut opposer la Hollande à l’Espagne, la Suède à l’Empire, l’Allemagne à l’Allemagne, et l’Italie à l’Italie ; qui, enfin, achetait partout des alliés, des généraux et des armées, et soudoyait, d’un bout de l’Europe à l’autre, la haine et l’intérêt. 

1049. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XII. »

Mais les mœurs poétiques de la Grèce, sa passion des lettres et de l’éloquence, la variété croissante de son génie, durèrent plus d’un siècle après lui. […] À mesure que s’étendait l’horizon de l’empire grec, et que le génie de la liberté se perdait dans l’unité de la puissance, la grande poésie, l’audace de l’imagination et l’ardeur de la passion durent insensiblement diminuer et disparaître.

1050. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

La Cythère de Baudelaire est colonisée par les mêmes passions et les mêmes dégoûts que la Trézène où Vénus, attachée à sa proie, la mène aux fureurs et à la mort. […] Une passion vraie, quoique superficielle en apparence, quand elle date de loin, a par cela même des racines profondes et des liaisons insaisissables avec tous les faits survenus depuis son origine. […] Et voici : « À qui est échu ce rôle de recevoir des aveux et d’être pris pour directeur et confident contre lui-même et contre la passion dont il était l’objet ? […] « À mon pupitre, je puis ressentir toutes les passions humaines successivement ; mais aucune ne m’emprisonne, c’est là ce qui me sauve. » Et ce qui le perd. Qu’est-ce qu’une passion qui n’emprisonne pas, au moins temporairement, par persuasion sinon par force, et par curiosité sinon par persuasion ?

1051. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 142-143

Dans le chapitre qui concerne le Beau dans les Mœurs, la raison, le sentiment, la vérité, ne se sont jamais mieux exprimés que par sa plume ; on y voit briller une philosophie supérieure qui connoît aussi bien les passions du cœur, que les ressorts de la politique humaine.

1052. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 279-280

Cet Ouvrage décele un homme qui a su bien lire l'Histoire, & démêler le ressort des passions & de la politique.

1053. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

L’éclectisme, qui est l’attitude de la vérité dans les philosophes, est la faiblesse des hommes d’État dans les temps de passion. […] Je croyais de plus, dans mon ignorance des assemblées, qu’il suffisait de monter plein de pensées, de passions et de raison à la tribune, pour y trouver, dans l’inspiration du marbre et du bois, des paroles capables de dominer ou d’enthousiasmer l’auditoire ; je voulais en faire l’épreuve le plus tôt possible, prendre la tribune d’assaut, et fixer mon rang dans l’éloquence, puisque je ne pouvais pas encore fixer ma politique dans les partis. […] Il n’avait ni l’éloquence ni la passion des deux ministres défectionnaires de la couronne, qu’il avait à combattre à la tribune et dans la presse. […] Molé et du parti conservateur contre les deux ministres devenus chefs de faction, et contre les passions ameutées que ces deux assembleurs de nuages groupèrent dans la chambre et dans la presse contre la couronne qu’ils avaient eux-mêmes forgée en 1830, M.  […] Ne sommes-nous pas tous les expiateurs de nos passions ?

1054. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » p. 305

Ont-ils oublié ce qu’ils ont dit tant de fois, qu’un bon Historien ne doit être d’aucune Secte, d’aucun parti ; qu’il faut qu’il soit exempt de tout préjugé, de toute passion, & qu’il n’ait d’autre but que la vérité ?

1055. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 461-462

La recherche & la connoissance des anciens monumens étoit, dans M. de Caylus, plutôt une passion, qu’un simple goût.

1056. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Briard  » pp. 159-160

Là on aurait vu des hommes de tout âge, de tout sexe, de tout état, toutes les espèces de douleurs, et de passions, une infinité d’actions diverses, des âmes emportées, d’autres qui [seraient] retombées ; celles-ci se seraient élancées ; celles-là auraient tendu les mains et les bras.

1057. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

Enfin, des deux côtés, les passions sont simples et violentes. […] Ce sont nos passions grandies, et il n’y a là qu’une différence d’intensité ou de degré. […] Legouvé aime à la passion le théâtre, ses pompes et ses œuvres. […] Comment s’accordent en lui deux passions si contraires à première vue ? […] oui, car Séverine n’est que passion.

1058. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

Et j’aime, — sous tout cet esprit, sous toute cette observation, et sous toute cette passion, — cette candeur. […] … Fais-moi la confidence de ta passion nouvelle. […] Vivants, ils le sont par le fond de leur être et par les passions et les sentiments plus que par l’expression. […] Il déborde de passion. […] De quelle passion grondeuse, bougonne, troublée de remords peut-être, et d’autant plus incurable !

1059. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Sans doute ces timidités, quant aux mots, ne seraient que médiocrement fâcheuses, quoique fort répréhensibles, mais les timidités quant aux idées, quant aux passions du drame, sont infiniment regrettables. […] Comme ils sont rares, depuis que s’étaient dispersées nos primitives cantilènes, comme ils sont rares, en trois siècles littéraires, les cris de la véritable passion, les plaintes simples d’une tendresse ! […] Du moins, la tendresse vraie, l’émotion sincère, la passion, en un mot, l’exprimaient-ils parfois ? […] La poésie sans passion et sans pensée ? […] La passion !

1060. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Abadie, Michel (1866-1922) »

Mais enthousiasme ne signifie pas seulement violence et passion, n’oublions pas que ce mot représente encore, et mieux, l’émotion naturelle du cœur.

1061. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Ricard, Louis-Xavier de (1843-1911) »

Il s’est distingué par des élans fréquents d’indignation et de passion virile.

1062. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » p. 11

Elle y paroît pédante, orgueilleuse, livrée à toutes les passions, sans décence, & presque sans jugement.

1063. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 221-222

A cela près, il étoit difficile de réunir dans cet Ouvrage plus de sagacité pour démêler les passions & les caprices des hommes, plus d’adresse à les développer, plus d’énergie & de vivacité pour les peindre.

1064. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

. ; qu’on assemblât les États généraux de deux en deux ans, etc. » Dans toutes ces parties de son Histoire, l’opinion et les préférences personnelles de Mézeray percent assez : pourtant il n’y met pas de système ; il s’accommodera fort bien que, sous Henri IV, on arrive au bien public sans toutes ces machines qui sont à double fin en temps de passion, et qui ne sont parfaites que dans l’esprit des vertueux. […] Une des choses qui me plaisent le plus dans Mézeray, à côté de l’agencement plein et facile de la narration, c’est le talent naturel et presque insensible avec lequel sont traités les caractères ; on les voit se développer successivement et sans parti pris selon les circonstances, avec tous leurs flux et reflux de passions ; Mézeray ne les fait jamais poser, il les laisse marcher et on les suit avec lui. […] Il est trop souvent de ces côtés bizarres et secrets dans le tempérament d’un chacun, de ces recoins de passion ou de vice qui se démasquent et se creusent en vieillissant : avec les années les goûts cachés se découvrent.

1065. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

D’anciens officiers retirés de plusieurs services dans des terres voisines de celles de mon père entretenaient ma passion. […] Aimez ce métier au-dessus des autres à la passion ; oui, passion est le mot.

1066. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Ce sentiment modéré de contentement animera toute la vie de Gibbon, et, même dans ses courtes passions, le tiendra à égale distance des ravissements et des désespoirs. […] J’insisterai peu sur ce premier et cet unique amour de Gibbon, passion qui n’était que naturelle en son moment et qui de loin peut sembler un ridicule. […] Même lorsqu’il est le plus amoureux, Gibbon garde la marque de sa nature essentiellement modérée ; il s’accommode de son malheur sans trop d’orage : au fond, il est doux et tranquille, même aux heures de passion.

1067. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Au resteh, à cette date, Duclos ne songeait qu’à vivre, à se livrer à l’ardeur et à la fougue de ses sens, à cette vivacité courante de son esprit qui se dépensait chaque jour, qui faisait feu à bout portant ; et l’idée de composer des livres ne lui vint qu’ensuite et par degrés : encore ne s’y appliqua-t-il jamais dans le silence du cabinet, avec cette passion concentrée et dominante qui est le signe et la condition de toute œuvre littéraire mémorable. […] En voulant parler de passion ou de sentiment, il est évident qu’il parle une langue qui n’est pas la sienne. […] Je n’étais embarrassé que sur le choix… (Et après l’exposé de son idée d’imaginer une histoire sur les estampes :) Je ne sais, mon cher public, si vous approuvez mon dessein ; cependant il m’a paru assez ridicule pour mériter votre suffrage ; car, à vous parler en ami, vous ne réunissez tous les âges que pour en avoir tous les travers : vous êtes enfant pour courir après la bagatelle ; jeune, les passions vous gouvernent ; dans un âge plus mûr, vous vous croyez plus sage parce que votre folie devient triste ; et vous n’êtes vieux que pour radoter… Duclos n’avait pas tout à fait l’ironie de Platon : la sienne est rude et presque brutale.

1068. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

Lié avec Mme du Châtelet, qui s’éprit pour lui d’une vive passion, il parut y répondre ; on a publié assez récemment un extrait de leur correspondance. […] Cowper voit dans cette disposition et dans ce vœu universel un cri de la conscience qui, longtemps méconnue, mais non abolie, rappelle toute créature humaine à son origine et à sa fin, et l’avertit de sortir du tourbillon des villes, de cette atmosphère qui débilite et qui enflamme, pour revenir là où il y a des traces encore visibles, des vestiges parlants d’un précédent bonheur, et « où les montagnes, les rivières, les forêts, les champs et les bois, tout rend présent à la pensée le pouvoir et l’amour de Celui qui les a faits. » Et dans une description minutieuse et vivement distincte, où il entre un peu trop d’anatomie, mais aussi de jolis traits de pinceau, il donne idée de la manière d’interpréter et d’épeler la création, et il montre qu’ainsi étudié, compris et consacré, tout ce qui existe, loin d’être un jeu d’enfant ou un aliment de passion, ne doit plus se considérer que comme une suite d’échelons par où l’âme s’élève et arrive à voir clairement « que la terre est faite pour l’homme, et l’homme lui-même pour Dieu. » Tout cela est grave et solennel sans doute, il faut s’y accoutumer avec le poète : Cowper, c’est à bien des égards le Milton de la vie privée. […] Un petit nombre abandonne la foule, demande les yeux levés la richesse du ciel, et gagne les seuls biens réels, vérité, sagesse, grâce, et une paix pareille à celle de là-haut… Alors il se met à examiner les différents jeux, ces cailloux de différentes couleurs que s’amusent à ramasser les hommes et qu’ils continuent souvent de rechercher jusque dans la retraite et la solitude : car la plupart ne la désirent que pour s’y plus abandonner à leurs goûts favoris, et pour mieux caresser leur passion secrète.

1069. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

Que si l’on veut rompre avec l’École en en sortant, si l’on se sent épris des fantaisies, des descriptions mondaines, piqué du démon de raillerie et curieux du manège des passions, on s’y jouera dès l’abord avec un art d’expression plus savant, plus consommé, et une ivresse plus habile que celle de personne : il n’y a plus de noviciat à faire en public ; il s’est fait dès auparavant et à huis clos. […] Un degré de chaleur dans l’air et d’inclinaison dans le sol est la cause première de nos facultés et de nos passions. […] Cette expression est l’âme du paysage ; or, autant d’expressions diverses, autant de beautés différentes, autant de passions remuées.

1070. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

Mme de Choiseul a été saisie et crayonnée par Horace Walpole en quelques traits qui sont bien d’un peintre compatriote de Spencer et de Shakespeare : Ma dernière nouvelle passion, et aussi, je pense, la plus forte, écrivait-il pendant un séjour à Paris (janvier 1766), est la duchesse de Choiseul. […] Il faut entendre cette jolie petite personne, cette jolie chose, avec sa mignonne figure de cire, s’animer, parler des choses publiques, de la littérature, des auteurs, de Rousseau, de Voltaire, de l’impératrice Catherine, les remettre à leur place, causer, disserter (car elle disserte quand elle se sent à l’aise, là est peut-être un léger défaut) ; il faut l’entendre en ces moments se révolter, s’indigner, jeter feu et flamme : elle n’a plus d’hésitation alors ni de timidité ; elle dit tout ce qu’elle pense, tout ce qu’elle a sur le cœur ; c’est la réflexion qui déborde comme une passion contenue. […] Au fond, je ne suis pas aimable ; aussi n’étais-je pas fait pour vivre dans le monde : des circonstances que je n’ai pas cherchées m’ont arraché de mon cabinet, où j’avais vécu longtemps, connu d’un petit nombre d’amis, infiniment heureux parce que j’avais la passion du travail, et que des succès assez flatteurs, dans mon genre, m’en promettaient de plus grands encore.

1071. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Célibataire heureux et régulier, l’amour (sinon à l’état de sentiment, du moins à l’état de passion) paraît l’avoir laissé assez tranquille. […] Il ne manquerait cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille, s’appelât travailler. » Il se flatte aujourd’hui d’avoir à peu près réalisé ce plan qu’il s’était proposé, d’avoir vécu en sage et en philosophe, étranger à ce qu’on appelle succès, indifférent à ce qu’on appelle gloire, et de s’être uniquement « attaché, en cultivant les lettres, à mettre en jeu les ressources de son intelligence, dans l’espoir de prendre une idée de l’ensemble des choses de ce monde où il ne fera que passer, et de purifier, autant qu’il est possible, son esprit et son âme par la méditation et l’étude. » Ce sont ses propres termes, et je n’ai pas voulu affaiblir l’expression de cette satisfaction élevée ; mais il est résulté de cette conscience habituelle de sa propre sagesse et de cette confiance tranquille en soi, qu’il a été enclin à voir les autres plus fous ou plus sots qu’ils n’étaient peut-être ; il se disait, en les écoutant, en les voyant animés de passions diverses : « Est-il possible que tous ces gens-là ne soient point raisonnables et sages comme moi-même ?  […] Par aversion pour le clinquant, il fait trop fi des richesses de la parole et des magnificences légitimes qu’en tirent la passion, la-fantaisie ou l’éloquence.

1072. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

Il s’agit de ceux qui ont le goût et la passion des collections. […] Quoi qu’il en soit, tout le petit roman roule sur cette passion et cette manie, qui devient assez à la mode. […] Gardilanne, chef de bureau, grand, sec, pâle, sobre, l’homme d’une seule passion, est donc possédé du démon de la faïence, et il est arrivé, après plus de trente ans de patience et de chasse infatigable, à se faire avec ses maigres appointements une collection unique, digne d’un musée.

1073. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

Un père me disait un jour, en voyant son fils pâlir dès l’âge de douze ans sur les vieux livres, non pour les lire et en tirer des pensées, mais pour en admirer les vignettes, les fermoirs, les reliures (et le fils est devenu depuis un bibliophile féroce) : « Au moins il a un noble goût. » Un galant marquis, âme ardente, qui avait connu toutes les passions, chasse, amour, cavalcades effrénées, et qui finissait par les livres, répondait à quelqu’un qui s’en étonnait : « Après tout, c’est encore moins ruineux que les femmes, les chevaux et les chiens. » Ainsi il peut être utile en même temps qu’il est honorable à un jeune homme de s’adonner aux curiosités des livres, et c’est rassurant pour les siens de le voir commencer par là ; mais alors pourquoi ne pas s’en tenir au simple goût d’amateur ? […] » Il soutenait en effet que l’intérêt était partout, était tout, inspirait tout ; il ne croyait pas à l’essence des vertus : « La vertu est un fantôme formé par nos passions, à qui on donne un nom honnête, afin de faire impunément ce qu’on veut. […] Que ceux qui, dans leur vie, se sont accoutumés à céder volontiers à des sentiments d’âcre passion ou à des calculs d’intérêt immédiat vous prêtent ces uniques mobiles, peut-on s’en étonner ou s’en plaindre ?

1074. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

Malgré cela, la passion avance peu de son côté ; elle fait des objections, des raisonnements sans fin ; on lui répond, et c’est en entrant dans son idée qu’on essaye de l’amener insensiblement plus loin : « Vous ne pouvez pas m’aimer encore, parce que vous êtes une femme, et que les femmes n’aiment pas ainsi pour un oui, pour un non. […] Si elle s’avance jusqu’à la passion, c’est pour n’en tirer que l’amertume ; elle se plaît à voir dans l’amour lui-même avec ses félicités « une couronne d’épines. » Michel épuise avec elle toutes les nuances de l’affectueux et du tendre : « Que n’êtes-vous, Marie, une pauvre fille habitant quelque mansarde ! […] » Mais quand il lui parlait avec cette effusion, avec ce naturel d’un amant artiste et philosophe, la grande dame en elle se réveillait avec ses hauteurs ; elle parlait avec dédain de ces filles du peuple comme ignorant le noble et le fin de la passion.

1075. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

On se le représentera facilement, si l’on pense que cette reine aimait à la passion son époux, qu’elle le voyait lui échapper entièrement, dans la fleur encore de sa jeunesse à lui, et à l’âge où elle-même elle commençait à se flétrir ; qu’elle avait pour dames du palais, nommées pour l’accompagner et la servir, précisément ces mêmes sœurs rivales qui lui enlevaient à tour de rôle le cœur du roi et se le disputaient entre elles, de manière à compromettre aussi le salut éternel de son âme. […] Le Dauphin de son côté, ses sœurs aussi, Mesdames filles du roi, partirent le même jour, n’écoutant que leur passion filiale. […] « Ses vertus ont, pour ainsi dire, le germe et la pointe des passions.

1076. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « CHRISTEL » pp. 515-533

Pour deviner qu’une passion était en jeu, il aurait fallu être un rival, ou il fallait être une mère, une mère prudente, inquiète et malade, qu’éclaire encore sur l’avenir secret de sa fille la crainte affreuse de la trop tôt quitter. […] Le monde l’a repris ; les passions politiques l’ont distrait, peut-être aussi d’autres passions de cœur, si ce n’en est pas profaner le nom que de l’appliquer à des attraits si passagers.

1077. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Il faut qu’il ait pratiqué lui-même les conseils, les assemblées, les négociations, les délibérations, les affaires publiques, afin d’avoir observé de ses propres yeux le jeu des passions, des intérêts, des ambitions, des intrigues, des caractères, des vertus ou des perversités qui s’agitent dans les cours, dans les camps, dans les comices, dans la place publique. […] « Tu es parvenu à cet âge où l’on a déjà échappé aux passions de la jeunesse ; ta vie est telle que tu n’as aucune indulgence à demander pour ton passé. […] Citons cette page, que nous avons lue tant de fois nous-même vivante sur les pavés de nos places publiques : « Les dispositions dans le camp n’étaient déjà plus douteuses, et la passion en faveur d’Othon était déjà si furieuse que les soldats, non contents de le couvrir de leurs corps et de leurs armes, le portent, au milieu des aigles des légions, sur un tertre où s’élevait, quelques moments avant, la statue d’or de Galba, et l’entourent de leurs étendards.

1078. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Ne voit-on pas encore aujourd’hui l’Évangile de la Passion se lire à trois voix, le prêtre disant la partie de Jésus-Christ, un diacre parlant pour les autres personnages, un autre débitant les morceaux de pure narration ? […] Même de toute façon, pour la conduite de l’action, pour le sens dramatique ou poétique, ce vieux drame est supérieur à la Passion du xve  siècle, comme au mystère du Vieux Testament, partout où on les peut comparer. […] De même voit-on jouer pendant le xive  siècle la Nativité à Toulon et à Baveux, l’Assomption à Bayeux, la Résurrection à Cambrai et à Paris, un Jeu de sainte Catherine à Lille ; on atteint ainsi les Confrères de la Passion et les Mystères, et l’intervalle se trouve comblé entre les productions du xiie et celles du xve  siècle.

1079. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

Zola l’écrase sous une impuissance absolue et sous un malheur absolu  Et Claude Lantier n’est pas seulement un artiste amoureux de son art : c’est un possédé de la peinture, un fou, un démoniaque en qui la passion unique a étouffé tout sentiment humain. […] Elle « devine Félicien ignorant de tout, comme elle, avec la passion gourmande de mordre à la vie ». […] Ou bien (243) : « Un flot de sang montait, l’étourdissait… elle se retrouvait avec son orgueil et sa passion, toute à l’inconnu violent de son origine ».

1080. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Le duc de Bourgogne, avec des passions et même des vices, avait du moins du ressort, et trahissait en lui le feu sacré. Les naturels vifs et sensibles, a dit excellemment Fénelon, sont capables de terribles égarements : les passions et la présomption les entraînent ; mais aussi ils ont de grandes ressources et reviennent souvent de loin…, au lieu qu’on n’a aucune prise sur les naturels indolents. […] Nous avons eu, depuis lors, de frappants modèles de cet antique étudié et refait avec passion et avec science.

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