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1863. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

Le Dauphin, dans les premiers temps, n’en continue pas moins de servir fidèlement son père et de l’assister de son épée dans les sièges de Creil et de Pontoise contre les Anglais. […] Louis XI, réfugié auprès du duc de Bourgogne, vit et habite à Gennep, que le duc lui a donné pour résidence, et qui était le plus beau pays de chasse qui fût dans la Flandre et le Brabant ; il y partage son temps entre la chasse, la promenade et la lecture. […]  » Mais dans ses Mémoires secrets, dans cette histoire de son temps, qu’il a retracée en qualité d’historiographe, et qui n’a été publiée que longtemps après sa mort (1790), c’est là que Duclos, dit-on, s’est montré lui-même : « On y trouve, dit Grimm, ce qu’il sut pour ainsi dire toute sa vie, ce qu’il sut mieux que personne ; très répandu dans la société, M.  […] » Il y a une scène assez piquante dans les derniers temps de Louis XIV. […] [NdA] Ce mot dans sa concision est un peu arrangé à la moderne ; il n’est pas tout à fait exact ni du temps.

1864. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

L’abbé de Pons, qui avait fait paraître sa Lettre très peu de semaines après la publication de L’Iliade française de La Motte et avant que les érudits eussent encore eu le temps d’y répondre, protesta contre cette interprétation. […] » Il avait raison en un sens, il choisissait bien ses exemples ; mais il avait tort en ce qu’il confondait tous les âges et qu’il ne se figurait pas qu’il avait pu y avoir une belle jeunesse première, une saison d’efflorescence vigoureuse dans la mieux douée des races, se servant de la plus variée et de la plus euphonique des langues, et que sous des conditions uniques il en était sorti toute une poésie et un art primitif, plus voisin de la nature, et qui ne s’est vu qu’une fois : Homère, disait-il avec une sorte de naïveté contente de soi et de son temps et très commune alors, Homère aurait peut-être atteint à la perfection, s’il fût né dans le siècle d’Auguste ou dans le nôtre ; mais né dans des temps où l’art ne s’était point encore montré, n’étant guidé par aucunes règles, éclairé par aucun exemple, on lui doit tenir grand compte de son poème, tout monstrueux qu’il est. […] De même en son temps Homère. […] Je n’ai que le temps de noter de l’abbé de Pons son Nouveau Système d’éducation, sa nouvelle méthode pour former la jeunesse française. […] En un endroit, à propos d’un passage d’Horace (« pallida Mors aequo pulsat pede… »), il raille le plus joliment du monde les traducteurs de son temps, les oppose les uns aux autres, leur soutient qu’ils ne sont jamais bien sûrs de saisir la nuance exacte et vraie de ce qu’ils admirent si fort chez les anciens, et conclut qu’ils ne font le plus souvent que la soupçonner et la deviner.

1865. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Il m’est échappé de dire, il y a quelque temps, en parlant de la Grèce et à l’occasion d’une Dissertation de M.  […] Le très grand nombre des épigrammes amoureuses sont dans le sens épicurien, dans le sens d’Horace, pour rappeler que le plaisir est rapide et qu’il faut le cueillir dans sa fleur, tandis qu’il en est temps encore. […] Léonidas de Tarente était natif, comme son nom l’indique, de la Grande-Grèce ; il vivait du temps de Pyrrhus dont il a célébré l’une des victoires, environ l’an 276 avant Jésus-Christ. […] Pourtant, si Léonidas n’avait traité que de tels sujets, il y aurait lieu de regretter qu’il fut venu en un temps où la grande carrière était fermée, et que la misère l’eût confiné à des emplois si humbles. […] Une très belle épigramme de Léonidas, et qui tranche par le ton avec les précédentes, est celle qu’il fit pour un certain Phidon qui s’était donné la mort à lui-même, et qui paraît y avoir été poussé par pur dégoût de la vie, par une sorte de mélancolie méditative et philosophique : « Infini, ô Homme, était le temps avant que tu vinsses au rivage de l’Aurore ; infini aussi sera le temps après que tu auras disparu dans l’Érèbe.

1866. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SCRIBE (Le Verre d’eau.) » pp. 118-145

Il fit ainsi bien des essais dès le collége ou dans l’étude d’avoué où il entra pour quelque temps ; car sa mère, en mourant, avait exprimé le désir qu’il fût avocat, et M. […] Vers le même temps, il est vrai, la pièce, jouée en province, à Metz, à Bordeaux, devant un public moins en garde, réussissait entièrement. […] Homme heureux, il a compris de bonne heure que ce n’était plus le temps de l’élévation ni de la grande gloire, et il s’est mis à le dire sous toutes les formes les plus agréables, les plus flattées. […] Il paraît de tout temps s’être très-peu occupé de la presse, qu’on ne l’a vu braver ni solliciter. […] Mais plusieurs de nos remarques trouveront mieux place à propos du Verre d’eau, dont il est temps de dire quelque chose.

1867. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Sa pensée se reportait en arrière, et ce temps, dont il n’aurait pas voulu la continuation, il le regrettait par une sorte de contradiction singulière, et qui n’est pas si rare. […] ce n’eût pas été ainsi dans les premiers temps, » lui dit-elle alors, en respirant tristement la rose et le réséda du matin qu’il lui offrait ; et elle le fit souvenir du sentiment délicieux qu’elle avait eu en dormant chez lui à la campagne, sous son toit, dans ce premier printemps : « Oh ! […] Mme de Pontivy, emmenée par sa tante dans une campagne éloignée, dut ne pas voir durant tout ce temps M. de Murçay, qui (en refroidissement d’ailleurs avec Mme de Noyon pour quelques sorties un peu vives contre l’esprit persécuteur) se confina de son côté dans une terre isolée, autre que celle où il avait reçu une fois son amie. […] mais je vivrai d’un passé détruit, et ma vie sera une désolation éternelle et fidèle. » Et en parlant ainsi, il reprenait ses avantages près de ce cœur qui le revoyait s’animer comme au temps des premiers charmes. […] Elle recevait tout avec une grâce plus clairvoyante, avec un sourire plus pénétré, qu’elle-même n’en avait témoigné autrefois dans les temps de l’aveugle ardeur.

1868. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Je ne prétends pas manier, un par un, les cubes colorés qui forment ce qu’on pourrait appeler la Mosaïque littéraire de notre temps. […] Toujours, et de tout temps, les jeunes gens qui se préparent au noble service des Muses font la veillée d’armes et se cherchent des parrains. […] Les Légendes et les Mythes ont été, de tout temps, en faveur chez les poètes, chez ceux d’autrefois comme chez ceux d’aujourd’hui. […] Un Mythe est sur la grève du temps, comme une de ces coquilles où l’on entend le bruit de la mer humaine. […] Les Jean Rameau et les Maurice Bouchor ne comptent pas plus dans l’art d’un temps que les Viennet et les Ponsard dans l’art d’un autre.

1869. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

Le IVe et le Ve siècle ne sont si maigres et si superstitieux dans le monde latin qu’à cause des calamités des temps. […] Ce seraient quatre ou cinq heures de délicieuse promenade, et j’aurais le reste du temps pour les exercices de l’esprit qui excluent toute occupation manuelle. […] L’imperfection de l’état actuel, c’est que l’occupation extérieure absorbe toute la vie, en sorte qu’on est d’abord d’une profession, sauf ensuite à cultiver son esprit s’il reste du temps ou si l’on a ce goût. […] Mais il se peut qu’un jour l’humanité arrive à un tel état de perfection intellectuelle, à une synthèse si complète que tous soient placés au point le plus légitimement gagné par les temps antérieurs et que tous partent de là d’un commun effort pour s’élancer vers l’avenir. […] Tel objet, après y avoir pendu quelque temps, tombe, et c’est le tour d’un autre.

1870. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

On frise à tout moment le mot vif, le mot propre, et on s’arrête à temps. […] Ils sont venus à lui ; oui, tous, un peu plus tôt, un peu plus tard, ils sont venus reconnaître en sa personne l’esprit du temps, lui rendre foi et hommage, lui donner des gages éclatants. […] Parlant de la littérature du temps, dont il a passé en revue tous les noms (George Sand, Hugo, Dumas), il m’a dit que « notre malheur à tous avait été de débuter trop tôt, et que cela nous avait exposés aux palinodies ». […] Au lieu de se dire des injures, comme du temps de Voltaire et de Rousseau, on se visite, on se consulte, on est aux petits soins l’un pour l’autre. […] Celle de passer pour le seul vraiment sage de son temps.

1871. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

La voilà donc sur son cœur, c’est bon pour un instant ; mais le singulier, c’est qu’elle y resta assez de temps pour s’y endormir, car elle venait de passer plusieurs nuits en voyage, et elle mourait de fatigue. […] Cette aimable et joueuse enfant lui remet en pensée le temps où il était meilleur, plus vraiment heureux, où il n’avait pas encore détourné et en partie sacrifié à la contemplation et à la réflexion du dehors son âme primitive, intérieure et plus délicate. […] que ne puis-je aller en Tyrol, et y arriver à temps pour mourir de la mort des héros !  […] Il composait durant ce temps-là, durant les jours de Wagram, son froid roman des Affinités électives, afin de détourner sa pensée des malheurs du temps. […] Ces conversations de Beethoven sont admirablement rendues par Bettina : la naïveté d’un génie qui a le sentiment de sa force, qui dédaigne son temps et a foi en l’avenir, une nature grave, énergique et passionnée, s’y peignent en paroles mémorables.

1872. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

Les nouveaux venus n’ont pas tous été si conciliants que les parvenus du temps de La Bruyère. […] L’abbé Genest était auprès des princes ce qu’ils ont aimé de tout temps (même du nôtre), un mélange du poète et du bouffon. […] Le vrai goût discerne, examine ; il a ses temps de repos, et il choisit. […] M. le Duc (de Bourbon), propre frère de la duchesse du Maine, prit dans un temps un très grand goût pour elle ; ces sortes de goûts n’étaient pas rares dans la famille des Condé. […] L’homme a beau retourner et renverser les situations, il ne change pas ses défauts ni ses travers ; on les voit bientôt reparaître tous ; seulement ils se produisent, selon les temps, sous une forme plus ou moins noble, polie et agréable ; et cette forme-là, qui combinait l’excès de l’égoïsme avec la délicatesse d’esprit et la politesse, est plutôt celle du passé.

1873. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Après quelques visites qui suivirent le dîner de Versailles, ils se perdirent quelque temps de vue, et ne se retrouvèrent qu’aux États généraux. […] — À travers toutes ses déclamations et le mépris qu’il répandait sur les ministres, il se montrait monarchique, et répétait que ce n’était pas sa faute si on le repoussait et si on le forçait, pour sa sûreté personnelle, à se faire le chef du parti populaire : « Le temps est venu, dit-il, où il faut estimer les hommes d’après ce qu’ils portent dans ce petit espace, là, sous le front, entre les deux sourcils. » Ceci se passait à la fin du mois de juin 1789. […] À quelque temps de là, M. de La Marck fit dire un mot à la reine au sujet de ses liaisons déjà intimes et remarquées avec Mirabeau ; il faisait pressentir discrètement quel était son espoir en les entretenant, et qu’il y avait peut-être à tirer parti d’un tel homme, dans l’intérêt même de la monarchie. […] Et dans le même temps, dans une lettre à M. de La Marck (3 octobre 1790) : « Je pouvais imprimer hier à M. de La Fayette une tache ineffaçable que, jusqu’ici, je ne lui destine que dans l’histoire. […] Et ici l’adversaire à outrance se déclare ; son opposition de vues et son antipathie de nature se donnent toute carrière : Il n’est plus temps, écrit-il (20 juin 1790, à la veille de la Fédération), de se confier à demi, ni de servir à demi.

1874. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Il fit ses études dans le Midi sans doute et peut-être à Cavaillon ; ce dut être dans un séminaire, car il eut affaire à l’évêque, et il porta dans un temps le petit collet7. […] Mais toutes ces intentions premières furent interceptées et arrêtées avant le temps par le malheur des circonstances, et surtout par l’esprit du siècle dans lequel Rivarol vécut trop et plongea trop profondément pour pouvoir ensuite, même à force d’esprit, s’en affranchir. […] Cette capitale n’est qu’un vaste spectacle qui doit être ouvert en tout temps : ce n’est point la liberté qu’il lui faut, cet aliment des républiques est trop indigeste pour de frêles Sybarites ; c’est la sûreté qu’elle exige, et, si une armée la menace, elle doit être désertée en deux jours. […] La capitale a donc agi contre ses intérêts en prenant des formes républicaines ; elle a été aussi ingrate qu’impolitique en écrasant cette autorité royale, à qui elle doit et ses embellissements et son accroissement prodigieux ; et, puisqu’il faut le dire, c’était plutôt à la France entière à se plaindre de ce que les rois ont fait dans tous les temps pour la capitale, et de ce qu’ils n’ont fait que pour elle. […] Roederer, dans le temps, essaya de répondre à cette partie de l’ouvrage de Rivarol ; mais il ne l’a fait que dans le détail, et sans en atteindre la véritable portée ni en mesurer l’essor.

1875. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Voltaire et le président de Brosses, ou Une intrigue académique au XVIIIe siècle. » pp. 105-126

Ferney (octobre 1758) ; et, dans le même temps, il s’adresse au président de Brosses pour lui proposer d’acheter de lui, sous une forme ou sous une autre, sa terre de Tourney, qui est à l’extrême frontière de la Franche-Comté, et qui lui donnait un pied en France. […] En faisant son marché avec le président de Brosses, Voltaire a stipulé expressément qu’il jouirait de tous les droits seigneuriaux de Tourney ; on le voit en ce temps signer quelques-unes de ses lettres : Voltaire, comte de Tourney. […] Il propose au président d’acheter tout de bon sa terre, non plus à vie, mais à perpétuité ; tant que ce nouveau projet, qui n’est qu’un leurre, est sur le tapis, la reconnaissance ne se fait pas, et il gagne du temps pour changer l’état des lieux avant qu’on ait constaté le point de départ. […] On lui avait dit dans le temps de sa querelle : « Prenez garde ! […] J’ai si peu de temps à vivre, que je ne dois point craindre la guerre. » J’abrège ces ignominies.

1876. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

a repris la mère, les autres années, il y avait un peu plus que cela… Ton père, lui, il gagnait moins d’argent que toi — le cantonnier gagne 3 fr. 75 par jour — et cependant de son temps, à nos dîners du mardi-gras, il y avait bien plus. […] Depuis quelque temps, je suis exposé aux compliments d’un de ces individus. […] Mardi 3 mai Phrase typique pour la peinture d’un temps, dite par Talleyrand à M.  […] Dimanche 18 juillet Quel temps aurons-nous, monsieur le curé ? […] Mardi 20 juillet Dans la transparence glauque de l’eau, monte du fond de la rivière, comme une ombre en spirale, qui devient une forme aux flancs tigrés, se change en un poisson noir au petit groin blanc, et s’approche lentement de la mouche flottante, puis après un temps d’arrêt, la gobe dans un happement bruyant.

1877. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Aussi, pour Guyau, la métaphysique même est une expansion de la vie, et de la vie sociale : c’est la sociabilité s’étendant au cosmos, remontant aux lois suprêmes du monde, descendant à ses derniers éléments, allant des causes aux fins et des fins aux causes, du présent au passé, du passé à l’avenir, du temps et de l’espace à ce qui engendre le temps même et l’espace ; en un mot, c’est l’effort suprême de la vie individuelle pour saisir le secret de la vie universelle et pour s’identifier avec le tout par l’idée même du tout. La science ne saisit qu’un fragment du monde ; la métaphysique s’efforce de concevoir le monde même, et elle ne peut le concevoir que comme une société d’êtres, car, qui dit univers, dit unité, union, lien ; or, le seul lien véritable est celui qui relie par le dedans, non par des rapports extrinsèques de temps et d’espace ; c’est la vie universelle, principe du « monisme », et tout lien qui unit plusieurs vies en une seule est foncièrement social1. […] Les premiers poèmes et les premiers romans ont conté les aventures des dieux ou des rois ; dans ce temps-là, le héros marquant de tout drame devait nécessairement avoir la tête de plus que les autres hommes […] Ils consistent surtout à éloigner les choses ou les événements soit dans le temps, soit dans l’espace, « par conséquent à étendre la sphère de nos sentiments de sympathie et de sociabilité, de manière à élargir notre horizon ». […] Guyau, pour le montrer, passe en revue les grands poètes de notre temps, Lamartine, Vigny, Musset ; il insiste de préférence sur celui qui a vécu le plus longtemps parmi nous, et qui a ainsi le plus longtemps représenté en sa personne le dix-neuvième siècle : Victor Hugo.

1878. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

Un Mythe est sur la grève du temps, comme une de ces coquilles où l’on entend le bruit de la mer humaine. […] Fontanes, en son temps, paraissait un classique pur à ses amis ; voyez quelle pâle couleur cela fait à vingt-cinq ans de distance. Combien de ces classiques précoces qui ne tiennent pas et qui ne le sont que pour un temps ! […] Un temps, M.  […] Il serait temps d’abandonner nos petites psychologies, nos petites formules, nos petites pitiés et nos grands mots, et notre vague humanitarisme.

1879. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

Cet épris du dix-septième siècle a la politesse des honnêtes gens de ce temps, comme on disait alors, et, transportée dans notre siècle familier, c’est là une originalité et une noblesse. […] Homme de principes et de tradition en un temps où chacun culbute dans le sens de ses impressions personnelles, M.  […] En effet, s’il avait été dans la Critique un simple naturaliste sorti des pieds de Goethe, le Brahma littéraire de ce temps, il n’aurait, certes ! […] Nous n’aurons pas cette influence, mais, du moins, nous aurons dit que cette place doit être une des plus honorables dans la littérature du temps. […] Intellectuellement, en effet, ce livre n’est qu’une relation de petits faits qui ont leur intérêt, sans doute, puisqu’ils se rapportent aux deux plus illustres poètes de leur temps, mais cette relation est tellement saturée de citations, de vers et d’admiration poétique, qu’on se demande, non par quel scholar, mais par quel bas-bleu ces Souvenirs ont été écrits ?

1880. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Philarète Chasles a toujours été la coqueluche de toutes les Philamintes, les Bélises et les Cathos de son temps, un temps déjà long. […] il n’est plus temps de rire ! […] Toute la logomachie de ce pauvre temps, dont nous sommes harassés, affadis, dégoûtés, toutes ces vieilles blagues à tabac sont ici. […] Dans un autre temps, il eût mieux aimé ceux de Jean Second et de Dorat. […] — du temps passé.

1881. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 430

Campigneules, [Charles-Claude-Florent Thorel de] Trésorier de France, des Académies d’Angers, de Ville-Franche, de Lyon, de Caen & des Arcades de Rome, né à Montreuil sur mer en 1737 ; Auteur qui a débuté par un Roman intitulé le Temps perdu, titre des plus convenables au temps qu’il a employé à le composer, & à celui que le Lecteur emploieroit à le lire.

1882. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

On se le demande ; ses amis se le demandèrent dans le temps et le pressèrent de questions, quelques-uns même d’instances. […] Dès ce temps et à travers les diversions commandées par la nécessité, il avait repris la suite de ses études médicales. […] Peu de temps auparavant, il comptait encore échapper à ce joug que la société impose et se croyait fait pour le célibat. […] Hachette m’a demandé dans le temps de réunir en brochure, sous le titre de Notice sur M.  […] Son père s’était déclaré avec énergie pour la Révolution ; il appartenait au parti montagnard et fut, dans un temps, maire de Saint-Étienne.

1883. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

On sait par saint Augustin que de son temps le peuple disait floriet pour florebit et ossum pour os. […] Enfin, il y a toute apparence que, vers le même temps, les Visigoths et les Burgundes avaient renoncé à leurs idiomes teutoniques. […] Fauriel, le perfectionne et le précise sur quelques points, et auquel il n’a manqué que plus de patience pour donner à son arbre le temps de prendre racine, à son drapeau le temps d’être reconnu. […] Il est temps de signaler le progrès qui s’est fait depuis Fallot dans ces intéressantes études. […] Ces langues sont pures dans leur transmission ; elles ont suivi, ou plutôt le latin a suivi en elles une marche nécessaire et ascendante, qui l’appropriait au nouvel esprit des temps nouveaux.

1884. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

. — Dans tous les cas, du moins pendant un instant, l’image n’a pas différé de la sensation correspondante, et c’est seulement au bout d’un temps long ou court que, dans l’apaisement du souvenir, par l’examen des circonstances, l’homme trompé a reconnu qu’il s’était trompé. […] « Si l’on s’approche d’un malade en proie à des hallucinations de l’ouïe et qu’on lui parle de manière à fixer son attention, on peut se convaincre que ses prétendus interlocuteurs invisibles se taisent pendant le temps que dure la conversation… » Un malade, observé par M.  […] Peu à peu, ils devinrent plus vaporeux, parurent se confondre avec l’air, tandis que quelques parties restèrent encore visibles pendant un temps considérable. […] Ces souvenirs sont eux-mêmes des images, mais coordonnées et affectées d’un recul qui les situe sur la ligne du temps ; on en verra plus tard le mécanisme. […] Quelque temps après, causant avec son maréchal des logis, il lui dit qu’il n’a pas bonne opinion des protestants.

1885. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Ces peintures, dont on voit les plus vieux vestiges à Sainte-Sophie de Constantinople, sont barbares comme le temps ; c’était la littérature des yeux d’un peuple usé et retombé dans l’enfance d’esprit. […] ces solitaires, pour qui les heures ne marquent que le retour périodique des mêmes saisons et l’immobilité au temps sur le cadran de leurs occupations toujours les mêmes, sonnent partout l’univers les heures agitées de la vie des villes. […] On retrouvait là tous les jeunes artistes du matin, confondus, comme du temps de Léon X, avec les puissants de la terre. […] À un but éternel il n’épargne pas le temps. […] Ceux-là n’ont pas le temps de s’amuser aux chimères, mais on voit qu’ils les regrettent, et qu’ils saisissent en passant quelques refrains de l’instrument ou quelques vers connus du récitatif.

1886. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

L’esprit de son temps était moins à l’héroïsme qu’aux aventures. […] C’était l’Hérodote des temps de Charlemagne. […] On n’est pas toujours d’humeur de s’amuser ou de plaisanter, même avec le plus beau génie des temps modernes. […] Ces légèretés du style de l’Arioste, au reste, étaient dans les mœurs de son pays et de son temps. […] Défiez-vous des autres : ils ne sont pas du bon temps ni de la bonne langue.

1887. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Voilà comment, à la veille des temps modernes, et après les grandes civilisations de l’Antiquité, le Moyen Âge a rappelé de nouveau les temps homériques et l’âge de l’enfance de l’humanité. […] Le Moyen Âge ressemble par certains côtés aux temps homériques, et qui voudrait pourtant appliquer à des états si divers la même dénomination ? […] Il est temps définitivement que la critique s’habitue à prendre son bien partout où elle le trouve et à ne pas distinguer entre les œuvres de l’esprit humain, lorsqu’il s’agit d’induire et d’admirer. […] Il est temps que l’on proclame qu’une seule cause a tout fait dans l’ordre de l’intelligence, c’est l’esprit humain, agissant toujours d’après des lois identiques, mais dans des milieux divers. […] Exigez donc aussi un texte semblable pour prouver que l’artillerie n’était pas connue aux temps homériques, et, en général, pour tous les résultats de la critique exprimés sous forme de négation.

1888. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

Toujours de bonne humeur, sans nulle susceptibilité, elle a seulement, par les temps lourds et orageux, le grognement d’un enfant qui a envie de dormir. […] C’était le temps de la disette, et on coupait aux pauvres enfants des lichettes de pain insuffisantes. […] Dans le temps où je faisais des fleurs artificielles, vous savez, pour les églises, je mettais toujours un clou de girofle dans mes œillets !  […] Voilà l’explication de l’exécrable nourriture, à l’heure présente, des grands restaurants de ce temps. […] Non, c’est pour, dans un temps donné, se caser en quelque coin de l’État, ou tout au moins être décoré.

1889. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

— Qui sait, si ce ne sera pas de l’histoire, dans quelque temps !  […] Jamais les hommes de lettres ne semblent nés plus morts, qu’en notre temps, et jamais cependant le travail n’a été plus actif, plus incessant. […] Dès ce temps, il avait une action sur la jeunesse des écoles. […] Pauvre prince, mélancolique personne royale, dont la douce folie fuit son temps et son pays, pour se réfugier dans du passé, dans du moyen âge, dans de l’exotique. […] Des ressouvenirs des figures de pierre de la cathédrale de Chartres, mêlés à des réminiscences des récits des temps mérovingiens, me revenaient, je ne sais pourquoi.

1890. (1894) Textes critiques

Des portraits : sur un plat lamé d’argent (le temps hiérarchique n’existe pas), collectionnées au tableau noir de son étal, les quatre têtes phosphoreuses de jeu de massacre. […] Il croit tout le temps que c’est arrivé, successivement militaire, socialiste et anarchiste, ce qui est la suite la plus accessible. […] Ceci n’est comparable qu’à là minéralité du squelette dissimulé sous les chairs animales, dont on a de tout temps reconnu la valeur tragi-comique. […] On devrait ne pas ignorer qu’il est à peu près prouvé aujourd’hui que jamais, au moins du temps de Shakespeare, on ne joua autrement ses drames que sur une scène relativement perfectionnée et avec des décors. […] Amusons-nous, certes, mais ne perdons pas notre temps en petits coups d’épingles puérils et à côté.

1891. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Ainsi une œuvre est faite pour tous les temps.     […] C’est l’homme de notre temps qui connaît le mieux la philosophie grecque. […] Faite de foi et de contemplation, peu suffit à la distraire du temps et des occurrences incolores. […] En ce temps-là, pendant des jours et des jours, un moine dictait à vingt ou trente copistes un même ouvrage. […] Tous ses livres de vers : Le Temps blanc, Le Temps rouge, L’homme crie contiennent de tristes hurlements, il nie tout, se nie soi-même.

1892. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Marcotte, son digne et incomparable ami de tous les temps, il lui exprimait, d’une manière un peu voilée, mais avec insistance, les regrets de l’homme du Nord, de l’homme plus intérieur et spiritualiste qui se sent jusqu’à un certain point exilé dans ce pays de la lumière et des sensations heureuses. […] Les premiers temps du séjour de Léopold Robert en Italie et à Rome ne furent qu’une rapide ivresse ; puis vint le travail : il s’agissait de se diriger, de trouver et de suivre son genre de talent. […] Léopold Robert eut de tout temps la plus grande préoccupation de trouver de ces modèles qui avaient échappé par leurs traits autant que par leur costume au contact et aux approches de la civilisation. […] Je souris involontairement en citant ces paroles, car à très peu de temps de là il arriva à Léopold Robert de rencontrer une Corinne véritable ou voulant l’être ; il y avait alors chez nous toute une race et une postérité de Corinne comme il y en a eu pour René. […] Plus je deviens vieux, plus je pense que c’est la meilleure chose pour un artiste qui aime véritablement son art. » — En octobre 1826, au moment d’une réunion avec sa mère, qu’il avait décidée à venir passer quelque temps à Rome, il écrivit au même ami M. 

1893. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

La vertu ou vraie prud’homie, que Charron veut édifier là-dessus, est à son tour « libre et franche, mâle et généreuse, riante et joyeuse, égale, uniforme et constante, marchant d’un pas ferme, fier et hautain, allant toujours son train, sans regarder de côté ni derrière, sans s’arrêter et altérer son pas et ses allures pour le vent, le temps, les occasions ». […] Goûté et suivi par ces hommes de l’école érudite et libre, La Mothe Vayer, Gassendi, Naudé, il eut l’honneur d’être burlesquement insulté par le père Garasse : Quant au sieur Charron, disait ce facétieux dénonciateur des beaux esprits de son temps, je suis contraint d’en dire un mot pour désabuser le monde et les faibles esprits qui avalent le venin couvert de quelques douces paroles et de pensées aucunement favorables, lesquelles il a tirées de Sénèque et naturalisées à la française, sans voir bonnement ce qu’il faisait ; car c’était un franc ignorant, et semblable à ce petit oiseau du Pérou, qui s’appelle le tocan, et qui n’a rien que le bec et la plume. […] Pourtant, par son jugement plein et sa ferme démarche d’esprit, par son style sain, grave et scrupuleux, et qui eut même son éclat d’emprunt, il mérite estime et souvenir comme tout ancien précepteur qui a été utile en son temps ; l’histoire littéraire lui doit de le placer toujours à la suite de Montaigne, comme à la suite de Pascal on met Nicole, — comme autrefois on mettait à côté de La Rochefoucauld M.  […] Il paraît qu’il avait été dans un temps le confesseur de la reine Marguerite, un confesseur commode, lorsqu’elle habitait dans le Midi. […] Tâchons comme lui de glisser doucement sur le fleuve du temps ; arrêtons-nous près des rives fleuries, et souvenons-nous pendant la tempête que le terme de notre course est aux îles Fortunées où meminisse juvabit.

1894. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Ce dernier, comme Machiavel, autre philosophe profond et plein de réalité, a trop donné à son observation si pénétrante et si durable la marque particulière des temps où il a vécu et qu’il a traversés. […] Il faut leur donner le temps de se faire entendre, et souffrir même qu’ils disent des choses inutiles. […] Avoir été professeur est un des accidents les plus ordinaires-de ce temps-ci, nous l’avons presque tous été ; tâchons seulement que le métier et le tic ne nous en restent pas. J’ai connu un homme qui était né professeur, il fut quelque temps avant de le devenir ; un jour enfin, il eut une chaire, et put s’y installer dans toute son importance. […] vii, verset 7.) — Et dans son langage tout naturel, Homère, introduisant Ulysse déguisé sous le toit d’Eumée, lui fait dire : « J’aimais de tout temps les vaisseaux garnis de rames ; j’aimais les combats, les javelots acérés et les flèches, tout ce qui paraît triste et terrible à beaucoup d’autres.

1895. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

Il ne fut éclairé sur la gravité de la situation que lorsqu’il vit le roi en personne s’emparer en peu de jours de Privas, et le roi d’Angleterre conclure en ce même temps la paix sans y comprendre les réformés. […] Il passa le premier temps de sa retraite (1630) occupé de la composition de ses mémoires sur les guerres de religion, qui ne furent publiés que plus tard, par les soins de Sorbière, en 164447. […] Ici une nouvelle carrière commence pour Rohan : le roi, sur le conseil du cardinal de Richelieu, le croit très propre à ses affaires en ces contrées, à cause des qualités mixtes et variées qu’il possède, négociateur, capitaine, très en renom à l’étranger, pouvant agir comme de lui-même et n’être avoué que lorsqu’il en serait temps. […] Les Grisons se plaignaient de la France, de tout temps leur protectrice, qui, par un traité avec l’Espagne, avait paru consentir à cet état tel quel ; la France, de son côté, avait intérêt à ce que les Grisons redevinssent maîtres de la Valteline et reprissent les clefs du passage. […] Pour plus de sûreté, et se méfiant même d’une troupe de cavaliers qui avait été vue à Versoix en ce temps-là, il passa le lac et traversa la Suisse par les terres de Berne ; il se rendit à l’armée du duc de Weimar, qui assiégeait Rhinfeld.

1896. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

Mme des Ursins n’a pas à se plaindre ; de même qu’à Mme de Maintenon, les années lui sont favorables : dans ce grand procès de révision qui remet tour à tour en scène et en lumière tous les personnages de son temps, sa réputation n’a point perdu ; elle a plutôt gagné en s’éclairant, et l’on peut dire qu’elle est aujourd’hui dans son plein. […] C’est son plus beau moment, où sa générosité, sa fierté d’âme, son courage et ses ressources d’esprit se déploient avec bien de l’avantage, et tournent au bien public comme à son honneur. « Laissez faire, disait quelque temps auparavant un spirituel étranger54 aux nobles Espagnols irrités contre elle ; si l’on touche à l’Espagne, elle sera plus Espagnole qu’aucun de vous. » Elle justifia ce pronostic. […] qu’avant de se décider à écrire sur quelque portion de ce beau siècle, on devrait bien s’y être préparé de longue main, et, pour cela, dès la jeunesse, dès l’enfance, avoir insensiblement reçu une première couche générale de connaissance classique française, de bon et juste langage, comme du temps de Fontanes et de la jeunesse de M.  […] M. le marquis de Torcy ne sait rien de toute cette affaire ; il verra, quand vous prendrez la peine de lui en parler, que je ménage son temps le plus que je puis, et que, par cette raison, je ne me prévaux des bontés qu’il a pour moi que lorsque je ne peux faire autrement. […] Je n’ai pas le moindre repos, et je ne trouve pas même le temps de parler à mon secrétaire.

1897. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Une monarchie en décadence, déboires de la cour d’Espagne sous le règne de Charles II, Par le marquis de Villars »

La reine descendit au Retiro aux portes de Madrid, et y resta quelque temps avant de faire son entrée solennelle. […] On affectait de donner mille ennuis et dégoûts au marquis de Villars au sujet des prérogatives attribuées de tout temps à nos ambassadeurs ; et sur les plaintes qu’il en faisait, le roi répondait : « Qu’on fasse partir cet ambassadeur, et qu’on m’envoie un autre gavacho !  […] Le peuple de Madrid ne vivait plus que de l’air du temps, comme nous dirions ; et, comme on dit là-bas, il ne vivait plus que de prendre le soleil. […] On vit, au commencement de 1681, déserter toutes les livrées des écuries royales, parce qu’il leur était dû plus de deux fins de gages, « Les rations que l’on donne à toutes les personnes du palais, jusqu’aux femmes de la reine, manquèrent aussi, et la table des gentilshommes de la Chambre, la seule qu’entretienne le roi, fut un temps sans être servie. […] Le Journal du Voyage d’Espagne, de Mme d’Aulnoy, une femme de beaucoup d’esprit, qui était allée à Madrid dans le même temps, et qui raconte à sa manière les mêmes choses, mériterait aussi (en tout ou en partie) une réimpression ; ce n’est pas moins piquant dans son genre que les Lettres du président de Brosses sur l’Italie.

1898. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

De tout temps le génie français a penché vers la gaieté, la légèreté, le bon sens prompt, mais pétulant, imprudent, frondeur et railleur, la satire, la malice et, j’ajouterai, la gaudriole ; si cet élément unique dominait et l’emportait, que deviendrait le caractère de notre langue, de notre littérature ? […] Considérez notre littérature depuis le Moyen-Age, rappelez-vous l’esprit et la licence des fabliaux, l’audace satirique et cynique du Roman de Renart, du Roman de la Rose dans sa seconde partie, la poésie si mêlée de cet enfant des ruisseaux de Paris, Villon, la farce friponne de Patelin, les gausseries de Louis XI, les saletés splendides de Rabelais, les aveux effrontément naïfs de Régnier ; écoutez dans le déshabillé Henri IV, ce roi si français (et vous aurez bientôt un Journal de médecin domestique, qui vous le rendra tout entier, ce diable à quatre, dans son libertinage habituel) ; lisez La Fontaine dans une moitié de son œuvre ; à tout cela je dis qu’il a fallu pour pendant et contrepoids, pour former au complet la langue, le génie et la littérature que nous savons, l’héroïsme trop tôt perdu de certains grands poëmes chevaleresques, Villehardouin, le premier historien épique, la veine et l’orgueil du sang français qui court et se transmet en vaillants récits de Roland à Du Guesclin, la grandeur de cœur qui a inspiré le Combat des Trente ; il a fallu bien plus tard que Malherbe contrebalançât par la noblesse et la fierté de ses odes sa propre gaudriole à lui-même et le grivois de ses propos journaliers, que Corneille nous apprît la magnanimité romaine et l’emphase espagnole et les naturalisât dans son siècle, que Bossuet nous donnât dans son œuvre épiscopale majestueuse, et pourtant si française, la contrepartie de La Fontaine ; et si nous descendons le fleuve au siècle suivant, le même parallélisme, le même antagonisme nécessaire s’y dessine dans toute la longueur de son cours : nous opposons, nous avons besoin d’opposer à Chaulieu Montesquieu, à Piron Buffon, à Voltaire Jean-Jacques ; si nous osions fouiller jusque dans la Terreur, nous aurions en face de Camille Desmoulins, qui badine et gambade jusque sous la lanterne et sous le couteau, Saint-Just, lui, qui ne rit jamais ; nous avons contre Béranger Lamartine et Royer-Collard, deux contre un ; et croyez que ce n’est pas trop, à tout instant, de tous ces contrepoids pour corriger en France et pour tempérer l’esprit gaulois dont tout le monde est si aisément complice ; sans quoi nous verserions, nous abonderions dans un seul sens, nous nous abandonnerions à cœur-joie, nous nous gaudirions ; nous serions, selon les temps et les moments, selon les degrés et les qualités des esprits (car il y a des degrés), nous serions tour à tour — et ne l’avons-nous pas été en effet ? […] Dans son beau livre sur Averroès, sur ce philosophe arabe dont le nom signifiait et représentait, bien qu’à tort, le matérialisme au Moyen-Age, il a parlé excellemment de Pétrarque, de ce prince des poëtes et des lettrés de son temps, qu’il proclame le premier des hommes modernes en ce qu’il a ressaisi et inauguré le premier le sentiment de l’antique culture, et « retrouvé le secret de cette façon noble, généreuse, libérale, de comprendre la vie, qui avait disparu du monde depuis le triomphe des barbares. » Il nous explique l’aversion que Pétrarque se sentait pour l’incrédulité matérielle des Averroïstes, comme qui dirait des d’Holbach et des Lamettrie de son temps : « Pour moi, écrivait Pétrarque cité par M.  […] Sous une forme ou sous une autre, il est conquis à Jésus ; il l’est surtout depuis qu’il a visité cette Palestine, objet et terme désiré de son voyage, ce riant pays de Génézareth, qui ressemble à un jardin, et où le Fils de l’Homme a passé le meilleur temps de sa mission à prêcher les petits et les pauvres, les pêcheurs et les femmes au bord du lac de Tibériade ; il faut entendre comme il parle à ravir et avec charme de ce cadre frais et de ce paysage naturel des Évangiles. […] Les temps ont marché ; les mots de tolérance et de liberté ont retenti : ne sont-ce que des mots ?

1899. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

J’ai souvent regretté qu’un travail tout spécial n’ait pas été fait en ce sens sur deux poètes amis qui vivaient du temps de Justinien, Agathias et Paul le Silentiaire, avocats tous deux, poètes et amoureux dans leur jeunesse, et qui devinrent, par la suite, des hommes sérieux comme on dit, l’un historien, l’autre fonctionnaire. […]   Mais j’en viens, il en est temps, à la seconde partie de mon dire, et j’ai à expliquer, sans trop vouloir le défendre, le mot qui m’a été amicalement reproché : « Les Anciens, je le crains, perdront tôt ou tard une partie de la bataille. » I. […] Savez-vous qu’elles sont plates et insipides, vos épigrammes, quand elles ne sont pas grossières ou alambiquées ; elles sont surtout très-fades la plupart du temps, et Perrault, La Motte et Fontenelle, dans cette querelle fameuse, avaient grandement raison lorsque, voulant parler de madrigaux sans pointe, d’épigrammes sans sel ni sauge, ils disaient d’un seul mot : « Ce sont des épigrammes à la grecque. […] Ce sont surtout les Anciens qui sont l’objet de cette idolâtrie ; et l’on ne pense guère la plupart du temps jusqu’où les meilleurs esprits peuvent se laisser entraîner. […] L’Antiquité ne perd pas au point de vue historique ; là-dessus je suis tranquille ; la Grèce, ainsi considérée comme un anneau d’or dans la chaîne des temps, se classe et se coordonne de plus en plus ; mais, au point de vue du goût et pour le sentiment direct, pour la familiarité véritable entretenue avec les sources, je suis moins rassuré, et je ne m’en prends de cela à personne ; je considère simplement les circonstances où nous vivons.

1900. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Si un tel spectacle attache fortement l’imagination, si l’on se plaît à retrouver dans la succession de l’espace ce qui semble n’appartenir qu’à la succession des temps, il faut se résoudre à ne voir que très peu de liens sociaux, nul caractère commun parmi des hommes qui semblent si peu appartenir à la même association. » S’il né semblait puéril et bien ingénu de prendre Talleyrand par le côté littéraire, on aurait à noter encore ce qui suit immédiatement, ces deux portraits de mœurs, le Bûcheron américain, le Pêcheur américain. […] Contentons-nous donc de dire désormais que si la plupart du temps, dans les écrits signés de son nom, Talleyrand laissait la besogne et le gros ouvrage aux autres, il se réservait dans les occasions et aux bons endroits la dernière touche et la fin17 . […] Il parut à toutes, mais y resta peu de temps. […] Il s’en tira d’ailleurs dans le temps par un mot, et tandis qu’un autre, en apprenant le meurtre du duc d’Enghien, disait cette parole devenue célèbre : « C’est pire qu’un crime, c’est une faute22 », Talleyrand répondait à un ami qui lui conseillait de donner sa démission : « Si, comme vous le dites, Bonaparte s’est rendu coupable d’un crime, ce n’est pas une raison pour que je me rende coupable d’une sottise23. » Quant à l’affaire du Concordat et aux négociations qui l’amenèrent, il y poussa et y aida de toutes ses forces ; il y avait un intérêt direct, c’était de taire sa paix avec le pape et de régulariser son entrée dans la vie séculière ; ce qu’il obtint en effet par un bref. […] Les plus avancés eux-mêmes mettent du temps à se corrompre.

1901. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Étienne dans ces derniers temps ; nous en parlerons très-brièvement en le montrant tel qu’il nous paraît avoir réellement été. […] Le temps d’arrêt n’était pas loin. […] Ses Lettres sur Paris eurent un grand, un rapide succès ; ce fut son dernier feu de talent et de jeunesse ; depuis ce temps, M.  […] On lui rend aujourd’hui plus de justice qu’il n’en rendait : il eut des talents divers dont la réunion n’est jamais commune ; jeune, il contribua pour sa bonne part aux gracieux plaisirs de son temps ; plus tard, s’armant d’une plume habile en prose, il fut utile à une cause sensée, et il reste après tout l’homme le plus distingué de son groupe littéraire et politique. […] Aussi n’est-ce point de la sorte que je l’entends : gardons nos vers, gardons-les pour le public, laissons-leur faire leur chemin d’eux-mêmes ; qu’ils aillent, s’il se peut, à la jeunesse ; qu’ils tâchent quelque temps encore de paraître jeunes à l’oreille et au cœur de ces générations rapides que chaque jour amène et qui nous ont déjà remplacés.

1902. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

Il n’aime pas les beaux esprits de son temps, raisonneurs et critiques ; il ne manque guère une occasion d’égratigner Voltaire. […] Il n’est pas de son temps non plus par le choix de ses modèles, de ses sources et de ses sujets. […] La première partie du roman, publiée en 1715, a été écrite dans les derniers temps de Louis XIV : ce ne sont que des scènes de la vie privée. […] Cependant l’immoralité foncière du temps se trahit dans son roman par le même parfum de sensualité que nous avons senti dans son théâtre ; mais ici il est plus âcre et plus fort. […] Saurin, Duclos, Marmontel, une foule d’autres font passer leur esprit aiguisé ou leur philosophie ronflante dans des récits, dont quelques-uns ont fait grand bruit en leur temps, et nous paraissent les plus ennuyeux de tous aujourd’hui.

1903. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

L’intrigant se fait familier avec les grands qui l’emploient insolent avec le bourgeois qui le méprise : les temps sont proche ; où son mérite aura la carrière ouverte et libre. […] Figaro se dresse devant lui, ayant le mérite, le droit, l’honnêteté relative : il a même la popularité, grand signe des temps. […] Entre temps Beaumarchais s’est mis sur les bras une affaire avec le duc de Chaulnes, qui l’a insulté, assommé, et qui, pour éviter un duel, le fait envoyer au For-l’Évêque. […] Il vit quelque temps à Hambourg, rentre en France en 1796, et meurt en 1799. […] Gudin de la Brenellerie, Paris, 7 vol. in-8. 1809. — A consulter : L. de Loménie, Beaumarchais et son temps, Paris, 1856, 2 vol. in-8.

1904. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

Le dix-huitième siècle ne le sentit pas : l’unité de l’homme conduisait à Dieu ; cela ne faisait pas le compte des préjugés du temps : elle fut niée. […] Mais Buffon n’en a pas fermé l’entrée à d’autres erreurs de son temps. […] Dans Buffon, plus naturaliste que métaphysicien, plus de justice envers les animaux n’eût été que séant, car si en regard du matérialisme de son temps il a mis l’homme très haut, il ne l’a pas mis assez près de Dieu pour qu’il fût besoin de lui donner pour piédestal la nature animale dégradée. […] Tandis que la plupart des hommes supérieurs, soit fatigue, soit défiance mélancolique dans les vues de l’esprit si souvent démenties, finissent par le détail, le fait, et s’éteignent dans les timides plaisirs de l’érudition, c’est le temps pour Buffon de l’invention, des affirmations hardies, de la foi dans l’esprit, de la passion pour cette recherche des causes où Virgile rêvait le bonheur du sage. […] Mais un site admirable et dominant, un rocher s’élançant à pic et surmonté d’une vieille tour qui s’y incruste et qui en semble le prolongement, font bientôt oublier les escaliers que le temps a disjoints, et les murs qui s’affaissent sous le poids des terrasses.

1905. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

D’un air de n’attacher aucune importance aux choses tristes qu’il disait, il me conta qu’il avait assez longtemps vécu très malheureux à Londres, pauvre professeur de français, qu’il avait beaucoup souffert dans l’énorme ville indifférente, de l’isolement et de la pénurie, et d’une maladie, comme de langueur, qui l’avait, pour un temps, rendu incapable d’application intellectuelle et de volonté littéraire. […] Verlaine, au contraire, y voyait la preuve d’un art vigoureux et sa plaquette des Poètes maudits qui parut peu de temps après et où figurait Mallarmé fut le second coup de gong qui devait éveiller l’attention autour de lui. […] » On y sent le vœu des poètes du temps de s’isoler du tumulte et des vaines agitations de la rue. […] Je contemplais à mon aise d’inappréciables instants : la fraction d’une seconde, pendant laquelle s’étonne, brille, s’anéantit une idée ; l’atome de temps, germe de siècles psychologiques et de conséquences infinies, paraissaient enfin comme des êtres, tout environnés de leur néant rendu sensible. […] Son inquiétante figure de sphinx grandit avec le recul du temps et se dresse plus obsédante que jamais à l’horizon.

1906. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

comme Victor Cousin est vieux ; il n’aura plus le temps de m’enseigner la vérité ! […] [Léon Bloy] Léon Bloy est un des rares écrivains et un des rares hommes de notre temps. […] Il est vraiment impossible à quelqu’un d’impartial, à quelqu’un qui fait profession d’hostilité et contre les catholiques et contre les libres-penseurs de troupeau, à quelqu’un qui vit en dehors des temps et qui refuse de se mêler aux laideurs des luttes pratiques, de confondre l’orthodoxie de la pensée avec sa puissance ou avec sa faiblesse. […] Tout en refusant encore de voir, je m’irritais et je reprochais à l’auteur d’obéir à une mode6 : « Une conversion est considérée depuis quelque temps, comme le plus élégant des dénouements : au lieu de marier ses héros ou de les tuer, on les agenouille. […] Ses opuscules font partie d’une collection, qui porte deux étiquettes : Science et religion et, au-dessous, Études pour le temps présent.

1907. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres inédites de la duchesse de Bourgogne, précédées d’une notice sur sa vie. (1850.) » pp. 85-102

Le goût des livres n’a fait que gagner dans ces derniers temps. […] Vers la fin du règne de Louis XIV, le goût de l’esprit et même du bel esprit reparut sans doute et trouva faveur dans les petites cours de Saint-Maur et de Sceaux ; mais le gros de la Cour pendant ce temps-là était en proie à la bassette, au lansquenet et à d’autres excès, parmi lesquels celui du vin avait sa bonne part. […] La duchesse de Bourgogne elle-même, en entrant dans un tel monde, eut peine à ne pas donner quelquefois dans ces vices du temps, dans ces travers dont le lansquenet était le plus affiché et le plus ruineux. […] Je me flatte que mon âge n’est pas encore trop avancé, ni ma réputation assez ternie, pour qu’avec le temps je n’y puisse parvenir. […] Il conférait sur ces graves sujets avec le duc de Bourgogne, vers le même temps qu’il cherchait à faire son chemin auprès de la duchesse.

1908. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

« Nous sommes comme les rivières, qui conservent leur nom, mais dont les eaux changent toujours. » C’est le grand Frédéric qui écrivait cela à d’Alembert, pour lui exprimer le changement qu’opère le temps dans les sentiments et dans les pensées de chaque individu. […] Mais, dès cette première phrase de M. de Lamartine, j’ai vu des personnes se demander ce que l’historien entendait par le milieu de la vie, et si, en effet, nous en étions encore à mesurer l’espace de nos jours et le nombre des soleils qui nous sont accordés, comme on le faisait au temps des patriarches. […] Mais, dans ce portrait du Napoléon de 1812, M. de Lamartine s’est trop abandonné à son nouveau style de prose, dans lequel il entre plus de Balzac que de Tacite, je parle de Balzac le romancier : L’Empire l’avait vieilli avant le temps, dit l’historien : l’ambition satisfaite, l’orgueil assouvi, les délices des palais, la table exquise, la couche molle, les épouses jeunes, les maîtresses complaisantes, les longues veilles, les insomnies partagées entre le travail et les fêtes, l’habitude du cheval qui épaissit le corps (tout ceci joue le Tacite), avaient alourdi ses membres et amolli ses sens. […] Parlant de Napoléon avec rigueur, et en ceci, je crois, avec une souveraine injustice, il dira : « Il y avait un arrière-souvenir de la Terreur de 1793 dans le gouvernement de cet homme, qui avait vécu, grandi et pratiqué les hommes de ce temps. » M. de Lamartine a dû méditer cette pensée avant de l’écrire, mais il n’a certainement pas relu sa phrase, car le style en est grammaticalement impossible. […] Lainé un Lamartine en germe et auquel il n’a manqué que le temps pour se développer.

1909. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

laissez-moi ce papier. » Mais Portalis, qui n’y avait rien écrit ou qui n’y avait tracé que des caractères insignifiants, demanda le temps de faire faire une copie au net, et il n’eut pas de peine à dicter, au sortir de là, à son secrétaire ce qu’il avait si fidèlement retenu. […] Il établit les maximes hospitalières consacrées chez tout ce qui n’est point barbare ; il y joint ses aphorismes habituels de justice et de civilisation : « Il faut faire, en temps de paix, le plus de bien, et, en temps de guerre, le moins de mal qu’il est possible. » Il cite à l’appui la belle réponse de ce gouverneur espagnol de La Havane au capitaine de vaisseau anglais, qui, au moment du naufrage, jeté dans le port par la tempête, vient se livrer à lui pendant la guerre de 1746 : « Si nous vous eussions pris dans le combat, en pleine mer ou sur nos côtes, votre vaisseau serait à nous, vous seriez nos prisonniers ; mais, battus par la tempête et poussés dans ce port par la crainte du naufrage, j’oublie et je dois oublier que ma nation est en guerre avec la vôtre. […] Le temps de la retraite de Portalis, après le 18 Fructidor, tient une place intéressante dans sa vie. […] La portion supérieure de son ouvrage est celle où il montre la décomposition de la société par les sophistes, espèce destructive si éloignée en tout de ces hommes à grand caractère et à grandes vues positives, qui ont fondé les sociétés et institué les peuples : « Le faux esprit philosophique est une lime sourde qui use tout. » Il distingue entre les diverses sortes de corruption publique : malgré sa bonté morale personnelle, il sait à quoi s’en tenir sur le fond de l’homme ; les passions étant les mêmes en tout temps, les mœurs aussi sont toujours à peu près les mêmes, ce ne sont que les manières qui diffèrent : mais la différence est grande, d’une corruption qui n’est que dans les mœurs, et à laquelle de sages lois peuvent remédier, d’avec cette corruption subtile qu’un faux esprit philosophique a naturalisée dans la morale publique et dans la législation. […] Il ne veut pas qu’on laisse du temps à l’ergotisation ou aux spéculations ambitieuses, sans quoi tout est perdu.

1910. (1912) Le vers libre pp. 5-41

Sans doute, pendant le temps des épreuves il y essaya de nouveau et s’y satisfit. […] Ceci est vrai pour l’évolution de tous les arts en tous les temps. […] Il serait bon que nous demeurions encore quelque temps très libres, sans lisières ; on n’en a pas besoin. […] Sur ce terrain même, on verra certainement avec le temps, se produire d’autres recherches, d’autres comparaisons, d’autres études de scansion. […] C’est l’adhésion de ces jeunes groupes qui fortifie notre confiance dans l’avenir, comme ce sont les paroles de sympathie qu’ils nous ont apportées à propos de nos poèmes qui nous font croire que notre temps n’a pas été tout à fait perdu.

1911. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Et pourtant que d’artistes de ce temps-ci doivent à elle seule leur pauvre renommée ! […] La plupart des chapelles exécutées dans ces derniers temps, et distribuées aux élèves de M.  […] Même dans son bon temps, M.  […] Il revient de temps à autre à sa manière naturelle, qui est celle de tout le monde. […] Il serait temps, ce me semble, que M. 

1912. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Du temps de Molière, le premier chenapan venu pouvait réaliser Tartuffe. […] Le temps est passé, d’ailleurs, des attendrissements imbéciles. […] Il est temps enfin que les bons tremblent et que les méchants se rassurent. […] Je m’en tiendrai donc pour quelque temps encore à l’autre culte. […] Pour n’être pas les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous sans cesse !

1913. (1900) La culture des idées

Paru en des temps plus anciens, ce manuel eût certainement fait partie de la bibliothèque de M.  […] Cela donne au scepticisme le temps de se retourner et de préparer ses arguments. […] Le Temps, 31 octobre 1899. […] Cette pièce se trouve dans plusieurs Recueils du temps. […] Plus d’un esprit libre et logique de ce temps a relu dans Nietzsche telle de ses pensées.

1914. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

« La lumière est belle, disait un Grec du temps d’Homère. […] Heureusement nous ne sommes plus au temps des manichéens. […] Les raisonneurs du temps ont conclu logiquement de l’une aux autres. […] S’il était dur en ce temps d’être homme, il était plus dur d’être empereur. […] Un kalpa est le temps qui s’écoule entre un de ces commencements et une de ces destructions.

1915. (1878) Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. Tome I (2e éd.)

La seconde commence avec Haller, Lavoisier et Bichat, et se continue de notre temps. […] Le temps est une succession…, disait Laplace. Mais qu’est-ce qu’une succession, si l’on n’a déjà l’idée de temps ? […] C’est pourquoi il est enchaîné aux vicissitudes climatériques : engourdi en vie latente, dans les temps secs, ranimé dans les temps humides. […] Le phénomène nutritif s’accomplit en deux temps, et ces deux temps sont toujours séparés l’un de l’autre par une période plus ou moins longue, dont la durée est fonction d’une foule de circonstances.

1916. (1881) Le naturalisme au théatre

Le courant naturaliste a existé de tout temps, si l’on veut. […] Dans les premiers temps, le succès est médiocre. […] Dans la littérature du temps, la nature comptait peu. […] de tous temps, les médiocres ont dit cela ! […] Il faut laisser faire le temps.

1917. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires du marquis d’Argenson, ministre sous Louis XV »

Le marquis d’Argenson surtout, l'ainé des deux frères et l’auteur de ces Mémoires, mérita l’estime de son temps et mérite bien un regard du nôtre. […] Dans ces premiers temps où l’esprit de discussion se relevait des coups portés par la police de Louis XIV, le fils de son inexorable lieutenant, du destructeur de Port-Royal et de l’adversaire des parlements, ne fut pas le seul à ressentir de sages besoins de réforme et à désirer y satisfaire. […] Mais, d’un esprit moins profond, d’une âme moins forte que son frère, s’il appartient davantage à l’histoire politique du temps, il n’appartient que peu ou point à l’histoire morale et littéraire ; je reviens donc au premier.

1918. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 169-178

Mais on a décidé depuis long temps que nous étions dispensés de le comprendre, parce qu’il est évident qu’il ne s’est pas toujours compris lui-même. […] Le Fils naturel fut présenté il y a peu de temps sur le Théatre, au Public, qui le regarda comme un bâtard ignoble, &, par le mauvais accueil qu’il lui fit, força son Pere de le retirer. […] & ses Zélateurs ne sont-ils pas à la veille de ne conserver que le nom de Sophistes, le seul que dans tous les temps on a jugé propre à les caractériser ?

1919. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

Un homme ayant dit de mon temps : Je crois cela comme article de foi, tout le monde se mit à rire… Il y a un comité pour considérer l’état de la religion, mais cela est regardé comme ridicule. » Cinquante ans plus tard, l’esprit public s’est retourné ; « tous ceux qui ont sur leur tête un bon toit et sur leur dos un bon habit492 » ont vu la portée des nouvelles doctrines. […] Ajoutez que la mécanique sociale tourne d’elle-même, comme le soleil, de temps immémorial, par sa propre force ; sera-t-elle dérangée par des paroles de salon ? […] La tragédie du temps n’en diffère presque pas, sauf en ceci qu’elle a toujours l’air solennel et ne se joue qu’au théâtre ; l’autre prend toutes les physionomies et se trouve partout, puisque la conversation est partout. […] Nos bonnes gens n’ont plus le temps d’être gais, ils ont trop à faire ; il faut d’abord qu’ils mettent par terre Dieu et le roi ; tous et chacun, hommes et femmes, s’emploient en conscience à la démolition. […] En 1788, deux cents gentilshommes des premières familles du Dauphiné signent, conjointement avec le clergé et le Tiers-état de la province, une adresse au roi où se trouve la phrase suivante : « Ni le temps, ni les liens ne peuvent légitimer le despotisme ; Les droits des hommes dérivent de la nature seule et sont indépendants de leurs conventions.

1920. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IV »

D’ailleurs, je pense, comme Dumas, que seul le temps peut se charger de mettre les choses à leur vraie place. […] 4 avril, le Temps : feuilleton de M.  […] Nous les admettons en attendant pour passer le temps, à condition qu’ils s’inclineront devant le MAITRE, sans conditions. […] Autres temps, autres mœurs. […] Anatole France dans le Temps.

1921. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Toutes ses conditions vitales ont subi en ce laps de temps une révolution dont il n’y a pas d’exemple dans l’histoire universelle. […] De notre temps, contraire, la vapeur et l’électricité ont mis sens dessus dessous les habitudes d’existence de chaque membre des peuples civilisés, même du petit bourgeois le plus obtus et le plus borné, qui était complètement inaccessible aux pensées motrices du temps. […] On n’a pas laissé de temps à nos pères. […] Avec le temps, les préraphaélites ont dépouillé beaucoup de leurs bizarreries du début. […] Ces nombres naturellement ne sont pas fortuits ; ils passent depuis les temps les plus reculés pour mystérieux et sacrés.

1922. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 357-358

Les obscénités étoient les plaisanteries de son temps, & rendoient l’art de faire rire & d’amuser moins difficile. […] Le mot de Cocu, si souvent employe par ces deux Auteurs, mais surtout par le premier, est depuis long temps proscrit au Théatre, & même dans la société.

1923. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — I » pp. 246-260

Le caractère et les ouvrages de ce respectable abbé ont été, dans les derniers temps, l’objet d’études approfondies qui, en l’exagérant un peu, le font très bien connaître, M. de Molinari, au point de vue des économistes, nous l’a présenté par extraits, par citations resserrées et abrégées, seule manière dont l’abbé de Saint-Pierre soit lisible, et il l’a justement rapproché de son futur parent dans l’ordre des esprits, le philosophe utilitaire Bentham. […] Il fut pris, à dix-sept ans, de ce que son compatriote Segrais appelait la petite vérole de l’esprit, c’est-à-dire qu’il voulut se faire religieux ; par bonheur pour ses lecteurs futurs et pour le bien du genre humain (c’est lui-même qui nous le dit aussi naïvement qu’il le pense), on le jugea trop faible de santé pour soutenir les exercices du chœur, et sa fièvre de vocation eut le temps de se dissiper. […] Tant que d’autres esprits puissants et vigoureux, mais déjà en partie formés, imbus d’une forte éducation antérieure, nourris de la tradition et de la moelle des siècles passés, avaient pris du cartésianisme avec sobriété, à petites doses, en le combinant avec les autres éléments reçus, on n’avait eu que de ces résultats moyens, agréables, sans paradoxe, sans scandale, tels qu’on les rencontre chez Arnauld, chez Bossuet, chez Despréaux, chez La Bruyère ; mais quand le cartésianisme, je veux dire la méthode cartésienne, toute autorité étant mise de côté, présida dès l’origne à la formation et à la direction entière d’un esprit, on fut étonné du chemin qu’elle faisait faire en peu de temps sur toutes les routes. […] Ainsi de tout temps : à côté et au-dessous des réputations établies et qui font illusion au gros du monde en se prolongeant, il y a les jeunes groupes fervents et féconds, les cénacles cachés qui seront le règne et la pensée du lendemain. […] La curiosité lui vint, vers ce même temps, d’aller chez La Bruyère, dont Les Caractères avaient paru depuis peu et étaient le grand succès du moment ; mais là il lui arriva malheur.

1924. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

Du temps de Bossuet, un esprit des plus fins, M. de Tréville, jugeait assez sévèrement son caractère. […] Un jour, dans le cabinet de son père, qui venait de temps en temps à Dijon, le jeune Bossuet ouvre une Bible latine ; il en reçoit une impression profonde. […] Il ne s’y arrêta dans aucun temps aux difficultés particulières qu’il rencontrait, il en respirait l’esprit général, il en suivait les nombreux courants et les torrents. […] Il y arrive à temps pour voir Richelieu mourant, au retour du voyage du Midi, y faire son entrée en litière, avec une pompe voisine des funérailles.

1925. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

  On se plaint, et depuis assez de temps, qu’il ne s’élève point dans le champ de l’imagination et de l’invention proprement dite d’œuvre nouvelle, de talent nouveau du premier ordre, qui prenne aussitôt son rang et se fasse reconnaître à des signes éclatants, incontestables ; on ne saurait faire entendre cette plainte dans le monde de l’érudition et de la critique ; elle serait injuste, et l’on aurait à l’instant à vous répondre en vous citant des noms qui se sont produits depuis ces dix ou douze dernières années et qui ont acquis dès leur début une célébrité véritable. […] Cependant ces doutes naissants laissaient jour encore à bien des modes d’explication, et le jeune sulpicien en voie de transition se trouvait, j’imagine, dans une de ces phases de philosophie chrétienne, à l’une de ces stations intermédiaires que Malebranche, qu’il lisait alors, avait connues, et où le grand oratorien avait su en son temps s’arrêter comme à mi-côte, y dressant ses tentes légères et ses magnifiques pavillons. […] Renan, en passant du dogme à la science, offre avec Lamennais le plus notable contraste : c’est un Lamennais jeune, graduel, éclairé à temps, et sans ouragan ni tempête, un Lamennais progressif et non volcanique. […] Renan porte un bien grand respect et une bien haute révérence à sa majesté l’esprit humain, Mais dans un pays comme la France, il importe qu’il vienne de temps en temps des intelligences élevées et sérieuses qui fassent contrepoids à l’esprit malin, moqueur, sceptique, incrédule, du fonds de la race ; et M. 

1926. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « III. Quelques mots sur l’explication de textes »

On cherche à remplir le temps réglementaire de l’exercice. […] Mais après qu’on a vu ce que les Essais signifiaient pour Montaigne, et les Pensées pour Pascal, il est parfaitement légitime de se demander ce que ces ouvrages signifient pour nous, de les mettre en contact avec l’idéal, la mentalité et les préoccupations de notre temps. […] Du temps où je préparais ma licence, les Professeurs des Facultés ou de l’École Normale n’expliquaient pas les textes français : ils faisaient des leçons générales sur les ouvrages inscrits au programme et sur la biographie des auteurs. […] Dans une étude récente sur la Vie morale selon les Essais de Montaigne (Revue des Deux Mondes, 1er-15 février 1924), j’ai essayé de distinguer nettement la pensée de Montaigne, telle qu’elle peut apparaître quand on l’étudie historiquement selon les règles d’une exacte critique, et l’interprétation qu’une conscience d’aujourd’hui, se plaçant dans une attitude analogue à celle de Montaigne, mais développant sans embarras ou dépassant selon les besoins et selon les lumières du temps présent les indications des Essais, pourrait en tirer pour l’usage présent de la vie. Si la culture des Universités ou des Collèges prépare l’homme à la vie dans son milieu et dans son temps, il ne suffit pas de connaître la valeur historique des textes ; il faut en rechercher la valeur présente.

1927. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Les femmes de France : poètes et prosateurs  »

Comme leur sexe les rend très malléables aux influences extérieures, elles représentent avec moins de mélange peut-être que les hommes, l’esprit des temps où elles ont vécu ; et, en outre, comme la vocation littéraire chez les femmes suppose, plus que chez nous, par son caractère d’exception, un don spontané et original ou une vie un peu en dehors de la règle commune, presque toutes nous offrent, en effet, dans leur caractère ou dans leur existence, des traits imprévus et piquants. […] Si je ne me trompe, nous retrouverons quelque chose de cette honnête candeur chez Madeleine de Scudéry, la vierge sage, d’âme héroïque et d’esprit prolixe  Voici Marguerite d’Angoulême, très savante, très entortillée, toute fumeuse de la Renaissance, souriante, gaie et bonne à travers tout cela, avec son grand nez sympathique, le nez de son frère François Ier  Puis, c’est l’autre Marguerite, Marguerite de Valois, point pédante celle-là, dégagée, galante avec une entière sécurité morale, que rien n’étonne, qui raconte si tranquillement la Saint-Barthélémy ; la première femme de son siècle qui écrive avec simplicité ; une inconsciente, un aimable monstre, comme nous dirions, aujourd’hui que nous aimons les mots plus gros que les choses  Je mets ensemble les enamourées, les femmes brûlantes, les Saphos, chacune exhalant sa peine dans la langue de son temps : Louise Labé mettant de l’érudition dans ses sanglots ; Mlle de Lespinasse mêlant aux siens de la sensibilité et de la vertu, Desbordes-Valmore des clairs de lune et des saules-pleureurs… Mlle de Gournay est une antique demoiselle pleine de science, de verdeur et de virilité, une vieille amazone impétueuse que Montaigne, son père adoptif, dut aimer pour sa candeur, une respectable fille qui a l’air d’un bon gendarme quand, dans son style suranné, elle défend contre Malherbe ses « illustres vieux ». […] Voici Mme du Châtelet, l’amie de Voltaire, l’illustre Émilie, avec ses globes, ses compas, sa physique et sa métaphysique, esprit viril, n’ayant que des vertus d’homme, dépourvue de pudeur à un degré singulier si l’on en croit son valet de chambre Beauchamp  Puis, c’est Mme d’Épinay, l’amie de Jean-Jacques et de Grimm, bien femme celle-là, et bien de son temps ; très encline aux tendres faiblesses et parlant toujours de morale ; une brunette maigre et ardente gardant, avec sa philosophie et son esprit émancipé, on ne sait quelle candeur étonnée de petite fille ; bref, une de celles qui ont le plus drôlement et le plus gentiment confondu les « délicieux épanchements » de l’amour avec « l’exercice de la philosophie et de la vertu ». […] Et cependant nous songeons qu’elle fut dans son temps une grâce, un charme, un esprit, que cela est vrai, que cela est attesté par de nombreux témoignages ; et nous faisons un mélancolique retour sur nous-mêmes et sur la vanité de toutes choses. […] On n’en pourrait tirer une conclusion que si les femmes dont il s’agit faisaient toutes métier d’écrivain ; mais (sauf, si vous voulez, Mmes de Graffigny, du Bocage et Riccoboni, qui sont négligeables), la femme de lettres proprement dite n’apparaît guère que de notre temps.

1928. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Sa Société est la Société des grands hommes de tous les tems. […] Il admire également la clarté brillante d’un jour pur & serein, & les nuages orageux portés sur les aîles des tempêtes, & le calme auguste de la Nature qui se tait dans le fond des Forêts, & l’écho du Tonnerre qui du haut de son trône terrible & ténébreux, gronde avec majesté sous un Ciel déchiré par l’éclair, & le fleuve majestueux qui promenant lentement ses eaux, répete ses bords enchantés, & les vagues mugissantes qui frappent & blanchissent d’arides rochers de leur écume, & l’aspect magnifique d’un vaste & superbe Palais, & les débris antiques des colomnes renversées & rongées par la lime des tems. […] Le tems écoulé & perdu pour l’homme de Lettres a passé dans la solitude. Le tems écoulé & perdu pour l’homme vulgaire existe encore pour lui. […] Est-il rien deplus délicieux que de pouvoir jouir de la Nature, en tous les tems, en tous les lieux ; d’ouvrir son ame aux objets enchanteurs qui la décorent ?

1929. (1890) L’avenir de la science « XXI »

S’il est un lieu commun démenti par les faits, c’est que le temps des révolutions est peu favorable au travail de l’esprit, que la littérature, pour produire des chefs-d’œuvre, a besoin de calme et de loisir et que les arts méritent en effet l’épithète classique d’amis de la paix. […] Sitôt que le moindre nuage paraît à l’horizon, chacun se renferme, se flétrit sous la peur : « Que faire en des temps comme ceux-ci ? […] Il y en a qui se félicitent que le temps des controverses religieuses soit passé. […] Je regrette cette bienheureuse controverse protestante qui, durant plus de deux siècles, a aiguisé et tenu en éveil tous les esprits de l’Europe civilisée ; je regrette le temps où Lesdiguières et Turenne étaient controversistes, où un livre de Claude ou Jurieu était un événement, où Coton et Turretin, en champ clos, tenaient l’Europe attentive. […] Pour prendre goût à ces paisibles jouissances, il faut n’avoir rien à faire ni rien à craindre ; pour rechercher d’aussi innocentes diversions, il faut avoir le temps de s’ennuyer.

1930. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires touchant la vie et les écrits de Mme de Sévigné, par M. le baron Walckenaer. (4 vol.) » pp. 49-62

Walckenaer est un des savants de ce temps-ci les plus laborieux et les plus divers, un savant presque universel. […] supposez un moment qu’après tout à l’heure deux siècles, d’Hacqueville soit revenu au monde, qu’il se mette à se ressouvenir de ce temps-là, à nous entretenir de Mme de Sévigné et de ses amis, à vouloir tout nous dire et ne rien oublier ; imaginez le récit intime, abondant, interminable, que cela ferait, un récit doublé et redoublé de circuits sans nombre et de toutes sortes de parenthèses ; ou, mieux encore, imaginez une promenade que nous ferions à Saint-Germain ou à Versailles en pleine cour de Louis XIV, avec d’Hacqueville pour maître des cérémonies et pour guide : il donne le bras à Mme de Sévigné, mais il s’arrête à chaque pas, avec chaque personne qu’il rencontre, car il connaît tous les masques, il les accoste un à un, il les questionne pour mieux nous informer ; il revient à Mme de Sévigné toujours, et elle lui dirait : « Mais, les d’Hacqueville, à ce train-là, nous n’en sortirons jamais. » C’est tout à fait l’idée qu’on peut prendre du livre de M.  […] Le soir même du mariage, qui s’était célébré à grande pompe, et où la reine avait fait à la mariée l’honneur de lui donner la chemise (style du temps), à peine tout ce monde retiré, Sidonia comprit dès les premiers mots qu’elle avait affaire, dans M. de Courcelles, à un homme grossier et vil, et elle le méprisa. […] Elle aurait dû naître à temps pour être de la Fronde ; elle y aurait pris place régulièrement après Mme de Chevreuse, Mme de Longueville et la Palatine, à côté de Mmes de Montbazon, de Châtillon et de Lesdiguières. […] Dans un temps où il y aurait encore une librairie de luxe, on devrait bien réimprimer ce petit volume de Mme de Courcelles2.

1931. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre I : Philosophie religieuse de M. Guizot »

Guizot L’un des plus nobles spectacles que présente notre temps si décrié est celui de l’indomptable vitalité de quelques hommes illustres qui, sur des théâtres et à des titres divers, occupent encore le premier rang, quoique par leur âge ils semblent appartenir à une autre époque. Sans citer tant d’exemples présents à tous les esprits, voici un écrivain qui a débuté dans la carrière des lettres il n’y a pas loin de soixante ans, qui a reçu les encouragements de Mme de Staël, qui déjà joua un rôle politique important sous la première restauration, qui pendant les quinze années du gouvernement des Bourbons fut à la fois un publiciste populaire et un professeur de premier ordre, déployant avec une égale énergie son activité dans les luttes de la politique et dans les recherches ardues de la science, qui plus tard, après 1830, passant de l’opposition au pouvoir, se révélait comme le plus grand orateur politique de son temps, dépensait chaque jour pendant une lutte de dix-huit ans toutes les forces réunies de l’éloquence et du caractère contre le flot toujours montant de la révolution, et qui enfin un jour était emporté par elle ! […] Pourquoi ces systèmes ont-ils apparu dès les temps les plus anciens et se sont-ils depuis reproduits partout et toujours ? […] On la prouvera mieux encore en examinant chacun des grands systèmes philosophiques de notre temps en particulier. […] Dans tous les temps, on a cru à la réversibilité du dévouement, et souvent des victimes innocentes se sont offertes pour sauver les coupables.

1932. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Quoique homme d’action, il avait, de tout temps, beaucoup regardé dans son âme, — dans cette âme à laquelle il ne croyait pas ! […] Esprit de demi-jour et même quelquefois de ténèbres, cet Excentrique prémédité passa dans la littérature, ou plutôt à côté de la littérature de son temps, « embossé » dans une cape hypocrite, ne montrant qu’un œil, à la façon des Péruviennes sous leur mantille, un seul œil noir, pénétrant, affilé, d’un rayon visuel qui, pour aller à fond, valait bien tous les stylets de l’Italie, mais qui avait, croyez-le bien ! […] On y a trouvé certainement quelque chose de très intéressant encore, mais non pas le dessous de masque auquel on s’attendait un peu et auquel on avait eu grand tort de s’attendre ; car, au bout d’un certain temps, le masque qu’on porte adhère au visage et ne peut plus se lever ! […] D’autres ont la grâce, d’autres ont l’ampleur, d’autres encore ont l’abondance ; Stendhal, lui, a la force, c’est-à-dire, après tout, la chose la plus rare qu’il y ait, dans ce temps de cerveaux et de cœurs ramollis. […] Car on se demande, en lisant ces lettres, dont quelques-unes valent en critique ce que leur auteur a jamais écrit de plus profond et de plus piquant dans ses livres, on se demande ce qu’il eût été, ce Stendhal-Beyle, s’il avait été spiritualiste et chrétien, c’est-à-dire ce qu’aucune intelligence moderne, ce qu’aucun esprit de ce côté du temps ne peut se dispenser d’être sans à l’instant même se rompre, en plus ou en moins, se dessécher, se rabougrir.

1933. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Quoique homme d’action, il avait, en tout temps, beaucoup regardé dans son âme, — dans cette âme à laquelle il ne croyait pas ! […] Esprit de demi-jour et même quelquefois de ténèbres, cet Excentrique prémédité passa dans la littérature, ou plutôt à côté de la littérature de son temps, « embossé » dans une cape hypocrite, ne montrant qu’un œil, à la façon des Péruviennes sous leur mantille, un seul œil noir, pénétrant, affilé, d’un rayon visuel qui, pour aller à fond, valait bien tous les stylets de l’Italie, mais qui avait, croyez-le bien, la prétention d’être vu et même d’être trouvé beau. […] On y a trouvé certainement quelque chose de très-intéressant encore, de très-piquant, de très-instructif, mais non pas le dessous de masque auquel on s’attendait un peu, et auquel on avait eu grand tort de s’attendre ; car, au bout d’un certain temps, le masque qu’on porte adhère au visage et ne peut plus se lever. […] D’autres ont la grâce, d’autres ont l’ampleur, d’autres encore ont l’abondance : Stendhal, lui, a la force, c’est-à-dire, après tout, la chose la plus rare qu’il y ait dans ce temps de cerveaux et de cœurs ramollis. […] Car on se demande, en lisant ces lettres, dont quelques-unes valent en critique ce que leur auteur a jamais écrit de plus profond et de plus piquant dans ses livres, on se demande ce qu’il eût été, ce Stendhal-Beyle, s’il avait été spiritualiste et chrétien, c’est-à-dire ce qu’aucune intelligence moderne, ce qu’aucun esprit de ce côté du temps ne peut se dispenser d’être, sans, à l’instant même, se rompre en plus ou en moins, se dessécher, se rabougrir.

1934. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

Un autre pamphlet, mal compris encore, le mène en prison, le force à payer une caution de huit cents livres, et c’est juste à temps qu’il reçoit le pardon de la reine. […] C’est la grande preuve qu’on offre alors aux incrédules ; le grave Johnson lui-même tâchera de voir un revenant, et il n’y a point d’événement qui en ce temps-là soit mieux approprié aux croyances de la classe moyenne. […] Et véritablement je crois que si le temps calme eût continué, j’aurais emporté tout le navire pièce à pièce1026. » À ses yeux, le travail est chose naturelle. […] Bien plus, il a la brutalité du temps ; il la rudoie, lui parle comme à une négresse, et se croit encore bien bon. […] Sa femme, qui a toute l’éducation du temps, est parfaite cuisinière, sait presque lire, excelle dans les conserves, et conte à table l’histoire et les mérites de chaque plat.

1935. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Et il y avait en ces temps anciens énormément de contrefaçons. […] Mais je crois que leur moralité est d’une moyenne très supérieure à celle de leur temps. […] Maeterlinck ne discute même pas la réalité objective du temps et de l’espace. […] Voir que le temps sur eux s’épaissit et s’étire ! […] Il y a eu en tout temps de ces petits philistins.

1936. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 459

Sa Cour Sainte ne mérite pas les railleries qu’en a faites le Marquis d’Argens : cet Ouvrage respire la piété, la douceur, une morale pure, & est écrit d’un style supérieur à celui de bien de Ecrivains de son temps. […] Nous nous garderions bien de donner une pareille preuve en faveur de certains Ouvrages de notre siecle, qui, sans être bons, ont eu le même sort ; mais du temps du Pere Caussin, les Auteurs n’avoient pas l’adresse d’envoyer leurs Productions aux Princes étrangers : l’utilité seule en faisoit la vogue.

1937. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXXXIXe entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

« Il faut t’en retourner, il en est encore temps. […] « Et tous sont larges d’épaules, et il est temps pour celui qui veut se défendre ! […] Peu de temps après, on en vint à une terrible catastrophe. […] Combien de temps pourrions-nous résister dans cette mêlée ?  […] Le Dieu du ciel nous laissera encore vivre heureux quelque temps.

1938. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Des chefs héréditaires de peuplade ou de village, appelés rois du temps d’Ulysse, s’appelaient seigneurs de nos jours. […] Elle demandait du temps ; elle leur avait promis de se prononcer enfin quand elle aurait fini de broder un voile, mais elle défaisait la nuit ce qu’elle avait fait le jour, afin de prolonger le délai. […] Pourquoi les hommes et les femmes de tous les temps ont-ils ainsi la pudeur de la douleur ? […] Pendant ce temps j’irai à Lacédémone, féconde en belles femmes, avertir ton fils et l’amener à Ithaque. […] Lui, pendant ce temps-là, privé de nourriture, erre misérablement dans quelques villes lointaines, au milieu de peuples inconnus, si toutefois il respire et jouit encore de la clarté du soleil.

1939. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Après ce temps écoulé, j’étais sûr que les Aphis devaient avoir besoin d’excréter. Je les guettai pendant quelque temps à la loupe, mais pas un seul n’excréta. […] Une fois que je constatai un exemple frappant de ces irrégularités, je replaçai les rayons dans la ruche, et laissai les Abeilles reprendre pendant quelque temps leur travail interrompu. […] Mais si cette manière de voir est juste, nous devons trouver de temps à autre, dans la même espèce et dans le même nid, des neutres présentant diverses gradations de structure. […] Leurs instincts ont donc eu tout le temps de se modifier, ainsi que leurs organes reproducteurs.

1940. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Comme tous les grands poètes, Corneille a triomphé du temps par le style. […] Le temps a touché à peine la ville de Saint-Antonin. […] Et telle, en effet, nous la montrent deux croquis du temps. […] Voici un temps bien contraire à vos maux. […] Le temps s’écoula vainement, Rachel partit ; elle alla triompher en Angleterre.

1941. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

» Saint-Victor me disait ces jours-ci, — et il est tout là : — « Quel temps, où l’on ne peut plus lire un livre !  […] — « Est-ce qu’il a le temps de s’occuper de n’importe quoi !  […] Ce n’est pas qu’il n’y aurait pas quelque chose à tenter, à trouver peut-être, mais le temps manque, le temps manque pour faire l’expérience en grand… et la faire accepter donc ! […] Il y a de l’hiver aujourd’hui dans le temps. […] Les gens, qui dansaient là, dans les temps calmes, y légifèrent aujourd’hui.

1942. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Il fut le dramaturge le plus contesté de son temps. […] Cela demande du temps, vois-tu une découverte, on ne règle pas cela à sa guise. […] Mais ceux du temps de Louis XIV ? […] Pour combien de temps ? […] Il n’a pas le temps de s’ennuyer.

1943. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

s’il n’avait pas le temps de finir ! […] Devançant sur ce point presque tous les esprits de son temps, il considère l’Etat comme un organisme. […] Aussi rencontrait-on, dans les âmes de ce temps-là, presque toujours, un fonds de sécheresse. […] Même le courage, en ces temps heureux, se faisait léger et coquet, pimpant et enrubanné. […] Taine dégage sous une pleine lumière quand il met en saillie les grandes causes génératrices des œuvres d’un temps.

1944. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » p. 206

Quoique ses Poésies ne soient pas si originales & aussi naïves que celles de Marot son contemporain, elles n'en furent pas moins accueillies de son temps. […] Son nom ne conserve pas aujourd'hui toute l'estime qu'il mérite ; telle est l'influence du temps sur les suffrages des hommes : mille petits Auteurs, qu'on compare à Chapelle & à Chaulieu, ne seroient pas dignes d'être comparés à Saint-Gelais.

1945. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

Le temps passe plus vite. […] TITI. — Nous avons l’temps. […] oui, pas mal le temps ! […] Est-ce que j’ai le temps de t’écouter ? […] Mais le temps a passé, les idées ont changé.

1946. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

BRESSOL. — À quoi passes-tu ton temps ? […] Oh, les affaires deviennent d’un difficile par le temps qui court ! […] Ô temps des sabots débridés, troués, fendus, temps d’entre-lueurs et de rêveries. […] « Combien de temps dura mon bien-être ? […] Il est temps que je rende guerre pour guerre !

1947. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Rousseau parut en un de ces temps de dangereuse mobilité. […] Il est temps de revenir à l’occupation solitaire de son âme. […] regrets des temps qui coulent inutiles ! […] L’Inconstance est de tous les temps. […] A leur école, on pratiquerait quelque temps la vertu avec plaisir.

1948. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Mais les temps sont autres, les devoirs ont changé, les applications directes qu’on prétendrait tirer seraient trompeuses. […] Parmi les lettres adressées à Bosc et publiées dans la dernière édition des Mémoires, il n’y en a que très-peu qui se rapportent à cette époque, c’est-à-dire à l’intervalle de 80 à 92, aux derniers temps de son séjour à Lyon, aux premiers mois de son arrivée à Paris. […] Elle se porte du premier pas à l’avant-garde, elle le sait et le dit : « En nous faisant naître à l’époque de la liberté naissante, le sort nous a placés comme les enfants perdus de l’armée qui doit combattre pour elle et triompher ; c’est à nous de bien faire notre tâche et de préparer ainsi le bonheur des générations suivantes. » Tant qu’elle demeure dans cette vue philosophique générale de la situation, son attitude magnanime répond au vrai ; le temps n’a fait que consacrer ses paroles. […] Né dans un pays où Brissot séjourna d’abord, à Boulogne-sur-mer où il travailla avec Swinton, où il se maria, parent des personnes qui l’accueillirent alors et de cette famille Cavilliers qui l’a précisément connu en ces années calomniées, je n’ai jamais ouï un mot de doute sur son intégrité constante et sa pauvreté en tout temps vertueuse. […] Ils n’eurent pas le temps d’y réfléchir, de reprendre et de remanier leurs idées de gouvernement et de constitution.

1949. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Un des beaux livres qui ont été écrits ces derniers temps, Marie-Claire, a été écrit par une femme qui, je crois, ne connaît pas un mot de latin. […] Le lecteur, s’il est cultivé, est, la plupart du temps, au-dessus de sa lecture. […] C’était le temps où l’on commençait à détruire la vieille Sorbonne pour édifier la somptueuse caserne universitaire que nous admirons aujourd’hui. […] Alors on saurait mieux le français, pouvant lui accorder plus de temps. Jusque-là vous perdez votre temps.

1950. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

C’était donc là la grande nouveauté du temps. […] On appela tout cela l’éloquence, et l’on se fit de l’éloquence un idéal auquel j’aime à voir tous les auteurs du temps aspirer, même au risque d’un peu d’emphase, et de cette « raisonnable fureur » à laquelle Balzac avoue naïvement s’être laissé parfois emporter. […] Aussi le blâmaient-ils d’employer hors de temps la magnificence du langage, et de chercher de grands mots pour amplifier de petites choses. […] Un jeune feuillant, frère André, avait publié un petit écrit « De la Conformité de l’éloquence de M. de Balzac avec celle des plus grands personnages du temps passé et du présent.  » Cet écrit était injuste. […] Soit frivolité, soit plus de justesse d’esprit, il parut n’abonder dans les fautes de son temps que pour y être plus à l’aise.

1951. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Au bout de quelque temps, M.  […] Quelque temps, je continuai de les voir, surtout M.  […] Je ne partage pas l’erreur des jugements littéraires de notre temps. […] Je n’ai quelque temps fait cas de la littérature que pour complaire à M.  […] Le temps qui peut me rester à vivre, en tout cas, sera consacré à des recherches de pure vérité objective.

1952. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « I »

Ajoutons que ces nouvelles nous viennent de journaux allemands et que nous n’avons pas eu le temps de les contrôler. […] J’y arrive donc, puisqu’il en est temps encore. […] Il n’est pas étonnant qu’il ait accepté avec enthousiasme cette philosophie, lui qui de tout temps prêchait la suprême importance de l’art. […] Déroulède, qui a sacrifié son temps, ses relations, sa fortune, à la cause qu’il soutient, n’a jamais songé à partir en guerre contre les drames du maître. […] Grande fut et sera l’influence du maître Richard Wagner sur l’art de notre temps.

1953. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Il fut ensuite quelque temps secrétaire d’un riche Liégeois qu’il suivit en Allemagne, et avec qui il ne tarda pas à rompre. […] Certain quaker, personnage non moins essentiel de la pièce, venait compléter cette morale naturelle de Betty et empêcher à temps l’ingrat Belton de la sacrifier, ce qu’il était bien près de faire. […] Il ne s’élevait pas au-dessus des conditions de son cercle et de son temps, et c’est en quoi, avec tout son esprit, comme l’a très bien remarqué Roederer, il n’était pas véritablement éclairé. […] Sa voix était flexible, ses modulations suivaient les mouvements de son âme ; mais, dans les derniers temps de mon séjour à Paris, elle avait pris de l’aspérité, et on y démêlait l’accent agité et impérieux des factions. […] Il ne l’avait pas désirée assez à temps pour mériter d’en être témoin.

1954. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1870 » pp. 321-367

Le temps était beau, et les petites allées étaient pleines d’hommes et de femmes, à l’air heureux de gens qui sortent de l’hiver et respirent le printemps. […] * * * Depuis quelque temps — et cela est plus marqué tous les jours — il y a certaines lettres qu’il prononce mal, des r sur lesquels il glisse, des c qui deviennent des t dans sa bouche. […] Temps d’orage. […] Mercredi 22 juin Il fait un temps magnifique. […] Ravaut est l’antique cocher de mes vieilles cousines de Villedeuil : brave homme, qui, il y a près de trente ans, — et je ne l’avais pas revu depuis ce temps, — faisait le bonheur de mon Jules, en le prenant à côté de lui sur son siège, et lui mettant les rênes de ses chevaux, entre ses petites mains.

1955. (1913) La Fontaine « II. Son caractère. »

Mais remarquez — ce qui lui fait honneur — remarquez que dans ses relations avec les grands seigneurs du temps, cet instinct de l’indépendance se marque encore d’une façon tout à fait extraordinaire. […] Puisse le tout, ô charmante Philis, Aller si loin que votre nom franchisse La nuit des temps. […] La duchesse de Bouillon, dont je n’ai pas eu le temps de vous parler dans la biographie de La Fontaine, a été très aimée de La Fontaine et elle l’a beaucoup aimé. […] Tout son temps en a été persuadé. […] Ai-je passé le temps d’aimer ?

1956. (1896) Hokousaï. L’art japonais au XVIIIe siècle pp. 5-298

À partir de ce temps, il signa ses impressions Sakino Hokousaï, Taïto (ancien Hokousaï Taïto). […] » le refrain d’une chansonnette du temps. […] Dans ce temps meurt assassinée la femme de Tadanobou. […] La fabrication des objets change selon le temps. […] Signé de la signature de ses derniers temps.

1957. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 447

Castellan, [Pierre] Evêque de Tulle, & grand Aumônier de France, mort à Paris en 1552, étoit l’homme le plus savant & le plus éloquent de son temps ; ce qui ne prouve pas qu’il dut l’être beaucoup. […] Castellan se servit, sous Henri II, du crédit que lui donnoit sa place de Grand-Aumônier, pour assurer des fonds qui fournissent à la subsistance des Filles-Repenties, qui, avant ce temps, alloient mendier le jour, & ne revenoient que le soir dans leur retraite ; genre de vie qui pouvoit les exposer à de nouveaux repentirs.

1958. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 483-484

Le blâme & la louange, dans tous les temps, n’ont pas été équitablement distribués ; & cette injustice est encore plus particuliere à notre Siecle. […] Quand la nécessité inspire les talens, elle ne leur donne pas le temps de se perfectionner.

1959. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre II. Les couples de caractères généraux et les propositions générales » pp. 297-385

Axiomes qui concernent le temps et l’espace. — Idée mathématique du temps et de l’espace. — Toute durée ou étendue déterminée a son au-delà. — Analyse de cette conception. — Toute grandeur artificielle ou naturelle déterminée a pareillement son au-delà, et se trouve comprise dans une série infinie. — Exemples. — Un nombre. — Une ligne droite. — Démonstration de l’axiome. — Il est une proposition analytique. — Toute addition effectuée implique une addition effectuable. — Dégagement des idées d’identité et d’indifférence incluses et latentes dans les termes de l’axiome […] Le cas est un de ces cas rares où la nature fait l’expérience pour nous, de la même manière que nous la ferions nous-mêmes, c’est-à-dire en introduisant dans l’état antérieur des choses une circonstance nouvelle, unique et parfaitement définie, et en manifestant l’effet si rapidement que le temps manquerait pour tout autre changement considérable dans les circonstances antérieures. […] Car, au point de vue du temps, sa forme est simple, puisque, à tous les moments, sa vitesse est la même ; et, au point de vue de l’espace, sa direction est simple, puisque la ligne qu’il décrit, étant droite, se trouve la plus simple des lignes. […] Soit une droite inflexible AB ; supposons qu’elle remonte tout entière et de façon à rester toujours parallèle à sa première position ; au bout d’un certain temps elle devient A′B′ parallèle à AB, et nous convenons que ce laps de temps est une seconde. […] Donc, puisque les temps employés sont les mêmes et que les espaces parcourus sont différents, la vitesse du mouvement composé ne sera pas la même que celles des mouvements composants ; elle sera représentée par la diagonale, et celles-ci seront représentées par les deux côtés de l’angle, ces trois lignes étant la mesure des espaces parcourus pendant l’unité de temps.

1960. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1894 » pp. 185-293

» Daudet soutenait que les locutions des gens sont, la plupart du temps, en rapport avec la nature de leurs facultés. […] À peu de temps de là, Audiger obtenait son brevet de M.  […] À l’entrée, sur les escaliers, sous le péristyle, trois ou quatre rangées d’hommes ou de femmes, passant tout le temps de l’exposition, à regarder les gens qui entrent. […] Là, en descendant de diligence, elle trouvait, pour ainsi dire, dans la rue, un vieil Anglais, que son histoire intéressait, et qui la mettait quelque temps dans un couvent, pour la dégrossir, puis l’épousait. […] C’était dans les premiers temps que j’écrivais au Figaro, vers mes dix-sept ans.

1961. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

C’est un comédien, dans un temps où l’acteur est encore un paria social. […] Du temps de l’Empereur, Julien eût été un fort honnête homme. J’ai vécu du temps de l’Empereur. […] Il était d’un pays, d’un temps, d’une classe sociale. […] Autant vaudrait dire qu’il n’y aura plus d’espace ni de temps.

1962. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite et fin.) »

Elle avait beau s’armer de philosophie : « Son caractère, écrivait l’ambassadeur français, M. de Breteuil, n’est pas formé à ce genre, quoiqu’elle m’ait fait souvent l’honneur de m’assurer du contraire. » Plus juste que M. de Breteuil, nous disons : la philosophie pour elle était un pis aller, il était toujours temps d’y recourir. […] Et qu’on ne dise pas qu’elle mourut à temps ; car elle eut pour son dernier général Souvarof, lequel, s’il ne devait pas vaincre en définitive, allait promener le drapeau russe avec gloire là où il ne s’était jamais vu encore, et balancer tout au moins les destinées. […] On ne fait pas la part au scandale : il gagne et s’étale avec le temps. […] Depuis ce temps, elle se plaisait à signer : Votre imperturbable ; et en pesant exprès sur chaque syllabe, elle lui disait longuement : « J’ai donc de l’im-per-tur-ba-bi-li-té.

1963. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre III. Du récit des faits. — Antécédents et conséquents. — Causes et effets »

 » Un ne pouvait dire plus de choses en moins de mots : mais, comme il suffisait de dire : « Je ne le trouvai pas chez lui », le grand nombre des circonstances fait longueur… La clarté consiste à dire d’abord ce qui s’est fait dès le premier instant, à garder l’ordre des temps et des faits, à raconter les choses comme elles se sont passées ou auront pu se passer. Il faut éviter ici la confusion, l’entortillement, les digressions, ne point remonter trop haut, ni descendre trop bas ; ne rien omettre qui ait rapport à la cause ; enfin tout ce que j’ai dit pour la brièveté trouve aussi son application ici… La vraisemblance consiste à donner au récit tous les caractères de la réalité ; à observer la dignité des personnages ; à montrer les causes des événements ; à faire voir qu’on a eu le moyen, l’occasion, le temps, de faire ce qu’on a fait ; que le lieu aussi convenait à l’exécution de la chose ; que cette chose même n’a rien qui choque le caractère de ceux qui l’ont faite, ou la nature humaine ou l’opinion des auditeurs. […] Le duc échappa, mais le roi eut le temps de tuer quatre hommes avant qu’on pût l’arrêter. […] L’histoire a répudié le ton oratoire et moralisant des anciens : elle n’admet l’évocation dramatique des temps passés que si elle éclaire l’enchaînement des causes et des effets dont le tissu est vraiment l’histoire.

1964. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre II. Précurseurs et initiateurs du xviiie  siècle »

On raisonne donc, on examine, on pose des principes, mais par jeu, pour passer le temps, sans méthode suivie, sans intention de propagande. […] Il n’accorde guère aux anciens que le mérite un peu négatif d’avoir diminué le nombre des erreurs possibles, d’avoir en quelque sorte usé les plus fausses absurdités, qui auraient eu chance, s’ils ne les avaient essayées, de retenir quelque temps la raison moderne. […] Avec l’indigeste, substantielle, et copieuse pâte que leur fournissait Bayle, ils firent ce qu’on appela en ce temps-là « les petits pâtés chauds de Berlin » ; ils découpèrent dans les effrayants et peu maniables in-folio de petits livres portatifs, amusants, lus de tout le monde. […] « Divertissements, parties de plaisir, jeux, collations, voyages à la campagne, visites, et telles autres récréations nécessaires à quantité de gens d’études, à ce qu’ils disent, ne sont pas mon fait : je n’y perds point de temps.

1965. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Coppée, François (1842-1908) »

[Le Temps (1870).] […] [Le Temps (20 novembre 1871).] […] [Le Temps (10 avril 1873).] […] C’est d’être, à un degré qui rend la chose originale en ce temps de septentriomanie, — peut-être, il est vrai, finissante, — un beau drame français, écrit en français, avec une ingénuité, une générosité, une chaleur et une clarté toutes françaises, par un Parisien de Paris.

1966. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVIII. Gentils conteurs » pp. 218-231

Au temps du Tiroir de Mimi Corail, on ne pouvait que sourire à la joliesse aguichante des polissonneries Louis XV. […] Et, dans la mesure où il est libre, il ne peut élire que des idées qui arrivent à lui un temps nécessairement longs après leurs conceptions, soit après que la nature des choses les avait suggérées à des penseurs, par conséquent au moment même où les choses qui n’ont garde de stagner imposent à des synthétistes plus récents des philosophies plus adéquates. […] Mais encore y inclura-t-il tout ce qu’il y veut mettre, et les petites phrases n’y parviendraient pas, qui disloquent les rapports que la période souligne : « … Car c’est moins le temps qui use nos sentiments que le crédit qu’on leur accorde et, si les raisons d’aimer sont en nous-mêmes, c’est d’autrui d’où proviennent d’ordinaire celles qui font que nous n’aimons plus. » M. de Régnier est triste, et la mélancolie des Contes qu’il s’est faits à soi-même nuira à leur succès. […] France l’écrivait ce matin : « Il en est des strophes des poètes comme des femmes ; rien n’est plus vain que de les louer : la mieux aimée sera toujours la plus belle… » IV. — Lorrain Voici un bon écrivain et le meilleur chroniqueur de ce temps.

1967. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXI. Le littérateur chez les peintres » pp. 269-282

Voici des Salons ennuyeux, mais il y en a eu de charmants, en des temps, il est vrai, lointains, et les prochains seront peut-être délicieux. […] D’autres temps s’accommodaient d’autres systèmes. […] En temps que novateurs, je les aime. […] * * * Est-il temps d’aborder cette modeste question : « De la nature et de la fin de l’art de peindre ? 

1968. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVI. Miracles. »

L’exégèse du temps consistait ainsi presque toute en jeux de mots, en citations amenées d’une façon artificielle et arbitraire. […] La différence des temps a changé en quelque chose de très blessant pour nous ce qui fit la puissance du grand fondateur, et si jamais le culte de Jésus s’affaiblit dans l’humanité, ce sera justement à cause des actes qui ont fait croire en lui. […] On racontait au sujet de ses cures mille histoires singulières, où toute la crédulité du temps se donnait carrière. […] Les personnes qui résident en Orient sont parfois surprises de se trouver, au bout de quelque temps, en possession d’une grande renommée de médecin, de sorcier, de découvreur de trésors, sans qu’elles puissent se rendre bien compte des faits qui ont donné lieu à ces bizarres imaginations.

1969. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

Avec le raisonnement des idéalistes, il faudrait soutenir que je ne puis concevoir un temps où je n’existais pas, par exemple le siècle de César, puisque ce temps où ma conscience n’existait pas est cependant dans ma conscience à l’état d’idée et conçu par elle. […] Mais la conscience n’est pas une région de l’espace ni du temps ; le seul fait d’avoir conscience d’une sensation présente, joint au souvenir d’avoir eu conscience d’une sensation passée et contraire, nous permet déjà de concevoir, au-delà de la sensation présente, d’autres sensations possibles, et, derrière cette possibilité de sensations, une activité réelle autre que notre sensation même. […] Je puis me figurer très aisément des sensations, des émotions, des appétitions comme les miennes ; l’imagination n’a pas pour unique objet des phénomènes dans l’espace : elle roule aussi sur les phénomènes dans le temps et sur les sujets conscients de ces phénomènes.

1970. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — II. La versification, et la rime. » pp. 257-274

Ils l’appellèrent une invention nouvelle & barbare, une production monstrueuse, enfantée dans le temps que les langues étoient informes. […] En effet, n’a-t-elle pas été pratiquée dans tous les temps & chez toutes les nations ? […] C’est dit l’abbé Desfontaines, comme si un musicien faisoit ce raisonnement : Douze mesures à quatre temps n’ennuient point ; par conséquent, douze cens mesures à quatre temps ne doivent pas ennuyer.

1971. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

Ainsi les imitations font leur effet sur nous, elles nous font rire ou pleurer, elles nous attachent avant que notre raison ait eu le temps d’agir et d’examiner. […] Le lecteur en faisant attention aux temps, aux lieux, comme à la nature de l’ouvrage dont il sera particulierement question, comprendra beaucoup mieux encore que je ne pourrois l’expliquer, à quel étage d’esprit, à quel point de lumieres et à quelle condition le public dont je voudrai parler sera restraint. […] Le mot de public est encore ou plus resserré ou plus étendu, suivant les temps et suivant les lieux dont on parle. […] Avant que d’être jugez, ils demeurent un temps, pour ainsi dire, sur le bureau.

1972. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIII. Henry Gréville »

Les journaux, ces efféminés, qui ne demandent qu’à s’efféminer davantage, ont pris ses romans avec l’empressement qu’ils ont, en général, pour les œuvres des femmes, et d’ailleurs, disons-le pour les excuser, ces romans avaient un accent étranger, une saveur de terroir lointain, qui leur faisait une originalité, dans un temps où il n’y en a plus, ni petite ni grande… On jabotait que Mme Henry Gréville revenait de Russie. […] Par un pareil temps, un peu de pureté, cela peut paraître bon… Un peu de bonne compagnie, après les goujats et les filles publiques qui regorgent depuis trop longtemps dans notre littérature, c’est un changement de sensation ! […] À travers champs et Autour d’un phare ne sont, en effet, que deux nouvelles médiocres — comme toutes les femmes d’un temps, si prodigieusement et si aisément écrivailleur, pourraient en écrire. […] Seulement, si l’œuvre n’est pas ce qu’elle aurait dû être, on voit — avec regret — ce qu’était primitivement la tête de la femme qui l’a conçue et la santé d’un esprit dans lequel la grande idée de la Chute et du Péché originel, si impopulaire et si insultée en ce temps de bâtardise et de révolte orgueilleuse, est restée debout, comme une colonne, dans le vide des autres idées écroulées, qui auraient pu la corroborer et la soutenir… II Mais cette tête que je crois née très bien faite, a été pétrie par le monde moderne qui l’a déformée et appauvrie.

1973. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

Edmond et Jules de Goncourt se sont imaginé pouvoir arrêter facilement, comme une bague qui roule et qu’on rattrape, le kaléidoscope d’une société dont ils avaient à nous démontrer le mécanisme après nous en avoir fait jouer les couleurs, ce kaléidoscope-tourbillon — comme dirait Carlyle — que le Temps tourne incessamment dans ses vieilles mains infatigables, à la lumière électrique de chaque événement ! […] ces frères siamois de la littérature — comme on les appelle déjà — sont aussi les neveux siamois de l’auteur du Solitaire (ils tiennent par le mauvais côté à d’Arlincourt comme parle bon à Jules Janin) ; supposez donc qu’ils se résolvent à parler simplement et virilement cette belle langue française que nous devrions tous respecter comme la parole de notre mère, et qui semble, sous leur plume, contracter quelquefois l’accent des Incroyables du temps de Garat (serait-ce pour se faire mieux accepter comme les Alcibiades de l’histoire ?)  […] Comme la plupart des esprits troublés de notre temps, ils ont pris Paris pour la France, et, au lieu de nous donner l’histoire de la société française pendant la Révolution, ils nous ont donné l’histoire de la société parisienne. […] Quand le marquis de Mirabeau, cet écrivain à l’emporte-pièce, dont la gloire posthume sera de nous avoir diminué son énorme fils, inventait ce mot méprisant de « s’enversailler « pour la noblesse de son temps, qui courait avec une si sublime niaiserie se précipiter dans ce magnifique piège de Versailles, dans les toiles de pourpre tendues par la Royauté à ces lions héraldiques, trop amoureux de sa grandeur, le marquis de Mirabeau protestait au nom de la vraie société française, que la Féodalité avait créée, il faut bien le dire du fond de toutes nos ingratitudes, qu’elle avait épanouie, et qu’une civilisation différente allait diminuer en l’agglomérant.

1974. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Joseph de Maistre »

Comme celui qu’il a si grandement haï, chez qui il y eut deux physionomies : — celle du Consul, aux longs cheveux, et celle de l’Empereur, la médaille césarienne, — Joseph de Maistre n’eut pas deux temps de physionomie. […] Il s’est joué en elle, il a eu la force qui s’arrête à temps, et sa force a été doublée. […] Il a beau avoir de la grandeur de tête et de la vertu, Joseph de Maistre a un esprit du diable, comme on dit dans le pays des gens d’esprit, mais c’est le diable avant sa chute, dans le temps qu’il était ange encore et qu’il s’appelait Lucifer ! […] C’en est un autre de voir l’histoire de ces redoutables temps passer à travers la tête de Joseph de Maistre, et s’y teindre des idées et des couleurs de ce grand esprit éclatant !

1975. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Taine » pp. 231-243

Depuis quelque temps on n’a guère entendu sur les livres qui se publient que la vile réclame ou les quatre mots de l’amitié… Excepté le Shakespeare de M.  […] Il prenait par là possession de l’espace et du temps, et sa théorie, qu’il n’avait pas inventée, il la proclamait avec l’aplomb de la certitude, le dernier mot de l’avenir en littérature. […] Nulle théorie, du reste, plus faite que celle-là pour les lâchetés d’un temps comme le nôtre, où tous les genres de législation s’amollissent et où ce fameux mot de femme : « Tout comprendre, c’est tout pardonner », a été pourri par les hommes, qui en ont fait, jusque dans l’ordre littéraire : « Tout comprendre, c’est tout accepter !  […] « Il y a peut-être moins de génie — dit-il — dans Macaulay que dans Carlyle, mais quand on s’est nourri pendant quelque temps de ce style exagéré et démoniaque, de cette philosophie extraordinaire et maladive, de cette histoire grimaçante et prophétique, de cette politique sinistre et forcenée, on revient volontiers à l’éloquence continue, à la raison vigoureuse, aux prévisions modérées, aux théories prouvées du généreux et solide esprit que l’Europe vient de perdre, qui honorait l’Angleterre et que personne ne remplacera. » Certes, je n’accepte nullement, pour mon compte, ce jugement sur Macaulay, qui tient probablement à une idée préconçue que M. 

1976. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Gustave III »

Dans ce temps du xviiie  siècle, dans ce temps d’anarchie si universelle que le désordre semblait passer jusque dans la physiologie humaine, et où des Chevalières d’Éon intéressaient toute l’Europe, la monstruosité s’arrêtait à cette limite, chez Gustave III et Catherine II, que l’homme qui gagne les batailles, l’homme toujours l’épée au vent, quand le danger souffle, était perpétuellement debout en Gustave l’efféminé, dans le Sardanapale au miroir qui ne demandait pas mieux, ma foi ! […] Masqué de son casque à la Galaor, à la visière baissée, ce masque éternel avait l’esprit corrompu des roués de son temps. […] Cet Henri III des cours du Nord, qui eut peut-être tout du Henri III de France, excepté la dévotion, attendu qu’il était du xviiie  siècle et ne faisait pas avec son temps un anachronisme, cet Henri III des cours du Nord ne perdit pas comme l’autre, en se dépravant, son héroïsme.

1977. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres d’une mère à son fils » pp. 157-170

L’auteur est un charmant et facile esprit, d’une plume limpide, qui a de la raison et de la distinction dans le langage, chose assez rare dans ce temps d’esprits hâves, incorrects, troublés. […] … On le voit, dès le premier mot du livre, ce qui lui manque, c’est le robuste et le net d’une doctrine, d’une doctrine qui empêcherait un esprit aussi distingué que Corne de glisser dans les logomachies bêtes de ce temps ; c’est l’efficacité d’un enseignement précis ; ce sont les principes supérieurs qui engendrent forcément une pratique de vie et maîtrisent l’homme. […] Quand madame d’Alonville, qui a de l’esprit et qui aime à faufiler de la tapisserie de caractères, nous a parlé de la bienveillance, de l’égoïsme, de l’orgueil, de la vanité, du devoir d’être de son temps, de la grâce d’être jeune, de l’avantage d’être timide (quand on a vingt ans), de la susceptibilité, du loisir contraire à l’ordre de la nature, de l’esprit de conversation, de la réprobation de l’épigramme, des horreurs du jeu, de la Bourse (enfin !) […] Mais, au lieu d’être madame d’Alonville et d’avoir le sens des petites choses, elle aurait pu être une madame de Créqui, par exemple, et avoir le sens des plus grandes, s’il l’avait voulu et s’était moins perdu dans les vagues aspirations de son temps.

1978. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVI. M. E. Forgues. Correspondance de Nelson, chez Charpentier » pp. 341-353

L’identité de la vie qu’on raconte donne à deux livres d’histoire dont l’un a précédé l’autre dans le temps l’air d’un modèle et d’une copie : mais, de cette fois, il n’en est pas ainsi. […] Mais le temps les a bientôt séchées, et on n’en voit plus rien sur ce front qui fit illusion à ses contemporains, et qui ne fut jamais que physiquement épique, a dit justement lord Byron. […] Et cependant tout le temps qu’elle dura, cette incarnation, elle fut rongée par une passion, — une passion honteuse ; et ce lis d’honneur, pour la pureté, porta cette tache au fond de son calice, jusqu’au moment où il tomba dans le sang, versé pour le devoir, mais qui ne l’a pas effacée, car, lorsqu’on est si grand, rien ne s’efface. […] La spontanéité du cœur qu’il avait, cet être délicat, fragile, idéal, religieux, qui tenait si peu de place dans l’espace et qui en tiendra une si grande dans le temps, et qui placidement accomplit, hélas !

1979. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Nelson »

L’identité de la vie qu’on raconte donne à deux livres d’histoire, dont l’un a précédé l’autre dans le temps, l’air d’un modèle et d’une copie ; mais, de cette fois, il n’en est pas ainsi. […] En élevant aux yeux de l’Angleterre cette coupe pleine et débordante de la gloire de Nelson, quelques gouttes en tombèrent et brillèrent un instant sur le front de Southey, Mais le temps les a bientôt séchées, et on n’en voit plus rien sur ce front qui fit illusion à ses contemporains, et qui ne fut jamais que physiquement épique, a dit justement Lord Byron. […] Et cependant, tout le temps qu’elle dura, cette incarnation, elle fut rongée par une passion, — une passion honteuse ; et ce lys d’honneur, pour la pureté, porta cette tache au fond de son calice jusqu’au moment où il tomba dans le sang, versé pour le devoir, mais qui ne l’a pas effacée ; car, lorsqu’on est si grand, rien ne s’efface. […] La spontanéité du cœur qu’il avait, cet être délicat, fragile, idéal, religieux, qui tenait si peu de place dans l’espace et qui en tiendra une si grande dans le temps, et qui placidement accomplit, hélas !

1980. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XI. Gorini »

Sans l’honneur de l’Église indignement mis en cause par les historiens de ce temps, ce simple et doux abbé Gorini n’aurait pas songé à interrompre la plantureuse lecture de ce bréviaire qui renferme assez d’érudition pour un prêtre, et cela, afin de relever, un à un, dans les livres du dix-neuvième siècle, tous les mensonges et sophismes qui s’y étalent sous cette apparence d’impartialité, qui est l’hypocrisie de l’Histoire, quand ce n’en est pas la trahison ! […] En supposant que l’abbé Gorini n’eût pas été un prêtre, ayant l’esprit de son état, j’admettrais volontiers que ce milieu morne, désert, insalubre, dans lequel il fut obligé de vivre tout le temps qu’il fut l’humble curé de la Tranchère, l’aurait rejeté désespérément à la science pour l’arracher aux accablements de la solitude, mais de lui, je ne le crois pas. […] En effet, c’était quelque temps après 1830. […] Ce lynx de texte, qui déchiquetait si bien en détail les livres de ce temps, se fît myope, plus que myope pour les défauts et les débilités de l’auteur !

1981. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Auguste Vacquerie  »

Un autre jour, Voltaire, qui fut bien tout le temps qu’il vécut le diable de la vanité en tournée sur la terre, écrivit son Commentaire sur la Henriade, et le fourra sous le nom de son secrétaire Wagnière, parce qu’il s’y disait des choses très agréablement fortes, et que, selon Bridoison, on ne s’en dit pas à… à… à… soi-même ! […] Il s’y montre le Hugo de tous les temps, et d’abord le Hugo des anciennes préfaces qu’il faisait en prose autrefois, et qu’il fait en vers maintenant. […] Enfin, il s’y montre le Hugo des derniers temps, le Hugo sans fierté, à plat ventre devant Paris, quoique Paris, pour lui, ce soit surtout Hugo ! […] — d’avoir obtenu du bon Dieu des poètes la grâce de devenir, le temps d’un livre, Victor Hugo en ses vieux jours.

1982. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Mm. Jules et Edmond de Goncourt. » pp. 189-201

Jusque-là, dans leurs divers récits, ils avaient passé leur temps à nous bâtir et à nous débâtir des Babioles et des Bagatelles. […] Nous nous disions qu’ils étaient sortis du dix-huitième siècle par cette grande porte sanglante et qu’ils n’y rentreraient pas par la porte basse de quelque petite maison pour chercher le mouchoir oublié de quelque comédienne du temps, avec ces mains qui s’étaient purifiées en touchant pieusement les reliques de la reine de France. […] Comparez, dans le Grand Homme de province à Paris, les conversations qui s’y font, — mais à temps, mais amenées par les nécessités du récit et ses transitions, — ces conversations à points de vue supérieurs, à mots mordants ou profonds, à soudainetés renversantes, et placez-les en regard de ce ramassis foisonnant, qu’on nous jette à brûle-pourpoint, de mots qu’il semble que l’on ait entendus déjà, et il vous sera bien démontré, par tous ces rapprochements utiles, que l’imitation n’a pu être volontaire, tant elle eût été imprudente ! […] Il est vrai qu’à côté des quelques misérables de lettres dont MM. de Goncourt ont fait « Les Hommes de lettres », il y a deux ou trois opulents portraits, très-ressemblants, dans lesquels on reconnaît quelques littérateurs de ce temps qu’on aime à rencontrer partout, mais surtout là, où ils nous lavent et nous essuyent l’imagination des figures inventées par MM. de Goncourt, en mépris de la littérature.

1983. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. Des oraisons funèbres de Bourdaloue, de La Rue et de Massillon. »

Qui ne sait d’ailleurs qu’outre les beautés de tous les temps et de tous les lieux, il y a pour chaque genre, des beautés analogues au climat, au gouvernement, à la religion, à la société, au caractère national ? […] Ceux qui l’avaient précédé dans cette carrière, avaient célébré des temps de prospérité et de gloire. […] Dans ces temps de désastre, où la famine et la guerre étaient unies, où nos campagnes étaient couvertes de mourants, et les champs de batailles couverts de morts, il était profondément affecté des malheurs publics. […] Enfin, de douze mille francs qu’il avait par mois, il en employait onze à secourir des malheureux ; et, dans sa dernière maladie, peu de temps avant d’expirer, voulant honorer encore une fois l’infortune qu’il laissait sur la terre, il ordonna qu’on vendît ses pierreries pour la soulager.

1984. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hollande, Eugène (1866-1931) »

Sarcey conclut que, de son temps, les jeunes gens employaient mieux leur temps : ils prenaient des leçons de danse, l’hiver, et des bains froids, l’été.

1985. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » p. 258

Les Belles-Lettres furent l’étude de sa jeunesse, & la Poésie latine fut, tout le temps de sa vie, l’objet de ses délassemens. […] Les vers de du Bellay ont en général des graces que le temps n’a pu effacer.

1986. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Andrieux »

C’était en général à la diction que se bornait cette surveillance de l’aimable et fin aristarque ; on n’abordait pas dans ce temps les questions plus élevées et plus fondamentales de l’art, comme on dit ; quelques maximes générales, quelques préceptes de tradition suffisaient ; mais on savait alors en diction, en fait de vrai et légitime langage, mille particularités et nuances qui vont se perdant et s’oubliant chaque jour dans une confusion, inévitable peut-être, mais certainement fâcheuse. […] Il était érudit, studieux avec friandise, intimement versé dans Horace, dont il donnait d’agréables et familières traductions, sachant tant soit peu le grec, et par conséquent beaucoup mieux que les gens de lettres ne le savaient de son temps : car de son temps les gens de lettres ne le savaient pas du tout, et, quelques années plus tard, la génération littéraire suivante, dite littérature de l’Empire, et dont était M. de Jouy, sut à peine le latin.

1987. (1875) Premiers lundis. Tome III «  Chateaubriand »

On a fait bien des critiques d’Atala, et dans le temps même où elle parut et depuis. […] Je voudrais avoir le temps de vous expliquer tout cela, et de vous le faire sentir, pour chasser vos poltronneries ; mais je n’ai qu’un moment à vous donner aujourd’hui, et je ne veux pas différer de vous dire combien vous êtes peu raisonnable dans vos défiances. […] Mais trop pressé déjà par le temps, trop appelé et tenté par la politique et par ses passions dévorantes, il se hâta de dresser le monument de son souvenir ; il fit ses personnages un peu roides ; il les drapa : au lieu de donner le ton cette fois, il semble avoir suivi lui-même le goût des peintres de l’Empire.

1988. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les Zutistes » pp. 19-27

Il imitait à merveille l’aspect âpre et dur des choses — par un temps d’hiver : Chaque arbre a l’air d’un long balai debout dans l’air. […] Entre temps Willy, coiffé de son légendaire « bords-plats », venait, cordial et bedonnant. […] Il arrivait qu’on vît, au fort des récitations, se ruer dans la salle un flot d’aèdes en tournée qui s’y arrêtaient le temps d’évacuer quelques truculences dans le goût du jour et qui, chargés d’applaudissements frénétiques, libéralement octroyés pour prix de leur dérangement, repartaient aussitôt vers les cabarets de Montmartre dans le fiacre qui les avait amenés.

1989. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La réforme prosodique » pp. 120-128

« Notre langue, peu accentuée, prétendait-il16, ne saurait admettre le vers blanc, et ni Voltaire, vice-roi de Prusse en son temps, ni Louis Bonaparte, roi de Hollande au sien, ne me sont des autorités suffisantes pour hésiter, ne fût-ce qu’un instant, à ne me point départir de ce principe absolu. […] Pierre Dupont, qu’il est temps de revendiquer, tant même l’élite est ingrate ! […] Sans s’embarrasser d’une barrière inutile, il donna au vers ternaire le droit de cité : Il a vaincu — la Femme belle — au cœur subtil… Néoptolème — âme charmante — et chaste tête… Et sur mon cœur — qu’il pénétrait — plein de pitié… Ces braves gens — que le Journal — rend un peu sots… Quoi que j’en aie — et que je rie — ou que je pleure… Rien de meilleur — à respirer — que votre odeur… Pour supporter — tant de douleur — démesurée… Pour, disais-tu, —  les encadrer — bien gentiment… Cette coupe nouvelle de vers, d’où l’on allait tirer des effets si imprévus, offrait toutes les garanties d’une réforme née viable, puisqu’elle était l’épanouissement naturel d’une idée lentement mûrie et qu’elle avait subi le contrôle à la fois du Génie et du Temps.

1990. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

L’intérêt, quoique allongé par des dissertations étrangères au sujet, mais analogues au temps comme dans la Nouvelle Héloïse de J. […] Ils me disaient que cet homme, qui venait chaque jour me sommer de partir, leur rappelait ces temps de la terreur pendant lesquels les gendarmes venaient demander leurs victimes. […] On crut pendant quelque temps en France que le meurtre du duc d’Enghien était le signal d’un nouveau système révolutionnaire, et que les échafauds allaient être relevés. […] Le succès fut immense, le nom de madame de Staël atteignit ou dépassa toutes les renommées littéraires du temps. […] Elle séjourna quelque temps à Vienne et s’y prépara dans la société des poëtes et des hommes de lettres à illustrer la Germanie comme elle avait illustré l’Italie.

1991. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Il travaille dix heures par jour, mais il est un grand perdeur de temps, s’oubliant en lectures et faisant, à tout moment, des écoles buissonnières autour de son livre. […] Il ne surgit plus quelque grand toqué de gloire ou de foi, qui brouille un peu la terre et tracasse son temps à coups d’imprévu. […] Car tout va aujourd’hui à Paris : les cerveaux comme les fruits ; et Paris est en train de devenir une ville colossale et absorbante, une cité — polype, une Rome au temps d’Aurélien. […] Il est bête de venir en un temps en construction, l’âme y a des malaises comme un corps qui essuierait des plâtres. […] quel temps !

1992. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

Au fond, personne ne fait attention que ç’a été un pouvoir, un gouvernement constitué, ce qui est quelque chose par ce temps-ci, et un gouvernement fort, le plus humainement tempéré par les mœurs, la philosophie, la littérature. […] Il laisse échapper, que depuis quelque temps, il éprouve de telles souffrances, que maintenant, quand il va à un enterrement, il envie presque l’insensibilité de celui qu’on met en terre. […] C’est sublime, comme dédain du nombre, comme révolte d’un seul contre toute une société et tout un temps. […] Ils étaient vraiment dorés, les meubles de ce temps ! […] » — Quelqu’un définissait ainsi un musicien de talent de ce temps : « Il a l’esprit gros et la méchanceté fine ».

1993. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Venues de loin, issues d’une race étrangère, datées d’un temps presque passé, elles ont fait surgir dans mille têtes de jeunes gens, de jeunes filles de France, tout un monde de singulières imaginations, de lieux noirs et étranges, de faces grimées, touchantes, grotesques, risibles, effrayantes, d’aventures compliquées à faire peur, de scènes comiques ou pathétiques. […] Dickens est demeuré célèbre ; une part de la gloire littéraire de ce temps lui appartient presque en tous pays. Tandis que la France et, récemment la Russie se sont partagés le mérite de composer les grands romans réalistes de notre temps, Dickens a continué à représenter, seul et probablement le dernier, la tradition des conteurs anglais du XVIIIe siècle. […] Le fabricant et le député des Temps difficiles, M.  […] Dickens était un romancier riche et fameux, et depuis il marcha dans la carrière littéraire avec les triomphes que l’on sait, au point de devenir en peu de temps l’auteur et un des hommes les plus populaires d’Angleterre.

1994. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Dans le fagot épineux de l’éducation scolaire, il choisit la seule fleur, bien fanée sans doute, la versification latine, mais qui, comparée à l’érudition, à la théologie, à la logique du temps, est encore une fleur. […] Il écrit le journal satirique de l’homme qui va au club, apprend les nouvelles, bâille, regarde le baromètre, et croit son temps bien rempli. Il juge que notre temps est un capital, nos occupations des devoirs et notre vie une affaire. […] Il enseigne le maniement de l’éventail comme une charge en douze temps. […] Puis cent traits qui peignent le temps : le manque de lecture, un reste de croyance aux sorcières, des façons de paysan et de chasseur, des ignorances d’esprit naïf ou arriéré.

1995. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — N. — article » pp. 423-424

Quiconque ambitionne des succès durables, doit, avant toutes choses, nourrir son esprit par de bonnes lectures, le former par la réflexion, lui donner le temps de se fortifier & de mûrir, & ne point s’élancer dans la carriere, avant de la bien connoître & d’être en état de la parcourir. […] N’eût-il pas mieux valu pour sa gloire, nous le répétons, qu’il se fût borné à un seul genre, & eût employé, pour s’y former, tout le temps qu’il a perdu à composer des Brochures éphémeres ?

1996. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Préface »

Quoique la littérature française tienne pour nous, Français, la plus large place dans la littérature de notre temps, et que cet ouvrage soit plus particulièrement consacré à la littérature française, cependant, quand, dans les autres littératures contemporaines, marquera, à tort ou à raison, une œuvre ou un homme, nous les regarderons par-dessus leur frontière… À quoi bon, d’ailleurs, parler de frontière ? […] Quand on dit : littérature Française, littérature Anglaise, littérature Russe, etc., peut-être n’est-il plus temps d’entendre que LITTÉRATURE EUROPÉENNE, tant, à l’exception des langues, qui entreront aussi un jour dans la mêlée universelle, les littératures modernes sont en train de faire de l’unité monstrueuse dans leurs conceptions et leurs manières de sentir !

1997. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

. — Un temps vient ensuite où la scolarité enterre un auteur. […] L’injuste, ou n’est jamais considéré, ou n’est considéré qu’un temps. […] Ne fût-ce que pour un temps court, c’est déjà quelque chose de gagné. […] « Ajoute ceci : la perte de temps. […] Jusqu’à quel temps ?

1998. (1896) Le livre des masques

Maeterlinck voit venir des temps où les hommes se comprendront d’âme à âme, comme les mystiques se comprennent d’âme à Dieu. […] Telle est l’idée maîtresse de cette Gloire du Verbe, l’un des rares poèmes de ce temps où l’idée et le mot marchent d’accord en harmonieux rythme. […] Quelque temps après cette aventure, on apprit que M.  […] Le Temps n’a pu fléchir la courbe de mes seins. […] Il faut que l’éducation des sens ait eu le temps de se parachever et que l’expérience ait fortifié l’esprit dans l’art des comparaisons et du choix, de l’association et de la dissociation des idées !

1999. (1893) Impressions de théâtre. Septième série

Il y en a même qui deviennent des chefs-d’œuvre avec le temps. […] » ) agira sur elle quand elle aura pris le temps de la réflexion. […] Ils rappellent les belles mangeailles d’autrefois : c’était le bon temps. […] Elle hésite, elle voudrait bien gagner du temps. […] Anna passe son temps à se regarder sentir, tout en se moquant.

2000. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

Ce serait une chose instructive et curieuse que la réfutation de Cicéron par un orateur de ce temps. […] Et c’est ainsi que le zèle indiscret du peuple a, dans tous les temps, desservi le mérite et perdu l’innocence. […] Mais quels furent, et quels seront dans tous les temps les calomniateurs de Sénèque ? […] Il est un temps où il ne faut ni commander ni obéir : que faire donc ? […] Mais Agrippine apprit, avec le temps, qu’on ne travaille pas impunément à rendre son maître sot et méchant.

2001. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

La foule, aidée par le temps, agit comme cette mère : elle achève l’œuvre du poète, elle fait des vérités de ses erreurs. […] Le reste du temps, la surabondance de la forme n’est visiblement que l’effet du trop-plein de l’inspiration. […] dans l’espace, et si éphémère dans le temps, perdu dans l’humanité totale comme l’est une goutte d’eau dans la mer, et comme l’humanité l’est elle-même dans l’infini des mondes, le poète…. […] J’ai du temps, j’ai des pleurs ; et Dieu pour innocence Va te compter là-haut ma dure pénitence. […] Cette âme est située dans l’espace : elle est située aussi dans le temps et dans l’histoire.

2002. (1929) Amiel ou la part du rêve

La discussion de ce problème remonte à des temps très anciens. […] À trente-quatre ans il est grand temps de s’en faire une. […] Voici vingt-trois ans que les Dietrich de Berlin trouvaient que je gaspillais mon temps avec les dames. […] Il commence d’ailleurs à être temps. […] Et comme je vous ferais racheter le temps perdu ! 

2003. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

L’objet de ses tableaux ne se borne donc pas au temps où ils furent tracés. […] Qu’avais-je dit qui ne fût de tout temps dans mes pensées ? […] — Nos Athéniens consument leur temps en contestations vaines, et se persécutent entre eux. […] Ce sont là des beautés de tous les temps et de de tous les lieux. […] qui le lui avait disputé dans le monde jusqu’au temps où Boileau parlait ?

2004. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — Q — Quellien, Narcisse (1848-1902) »

Quellien, poète breton, d’une verve si originale, le seul homme de notre temps chez lequel j’aie trouvé la faculté de créer des mythes. […] À l’entendre, on croirait que renaissent, avec les histoires du temps de la duchesse Anne, tous les exquis poèmes d’un passé d’amour simple et de simple croyance.

2005. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Préface » pp. -

Mon assujettissement aux dates des faits, aux âges des personnes, à la nomenclature des ouvrages ; ma division en périodes, qui fait revenir souvent les mêmes noms sans autre motif que d’en présenter une revue à différentes époques, tout cela est très fastidieux ; et cependant comme mon but était de prouver que les notions généralement reçues confondaient des personnes, des choses sans relation, uniquement parce qu’on n’avait pas démêlé les temps de leur existence, j’ai voulu rendre aux amateurs d’histoire le service de remettre les choses en leur temps et les personnes à leur place.

2006. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » p. 64

COULANGES, [Philippe-Emmanuel de] Maître des Requêtes, né à Paris en 1631, mort dans la même ville en 1716 ; l’Anacréon du siecle dernier, & l’agrément des Sociétés de son temps, par la vivacité de son esprit & la gaieté de son caractere. […] L’Auteur ne parut pas satisfait de cette édition ; son dessein n’ayant pas été qu’on imprimât des Vers qu’il avoit faits seulement pour s’amuser & les personnes avec lesquelles il étoit en société. » Les Chansons de M. de Coulanges ont un mérite particulier ; elles contiennent des anecdotes curieuses sur les événemens de son temps : c’est par-là que ce genre frivole peut encore être utile.

2007. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxvie entretien. L’ami Fritz »

— Ta vieille Katel a fait son temps comme moi. […] interrompit Fritz, si la chose arrive… alors comme alors, il sera temps d’aviser. […] Le percepteur l’engage à l’accompagner dans une tournée pour passer le temps. […] « Pour combien de temps en avons-nous ? […] moi, je dis que nous devons fixer cela d’ici huit jours, juste le temps des publications.

2008. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Qu’importe donc aux préceptes les suffrages capricieux que l’ignorance accorde à de mauvais genres en tel temps ou en tel lieu ? […] On y voit que les lois fondamentales de l’imitation sont les mêmes pour tous les temps. […] Il se fait en peu de temps et une corruption générale dans toute son âme. […] Chaque plaisir a sa place comme son temps. […] Ils présument employer mieux leur temps en créant des ouvrages qu’ils laissent à la méditation des commentateurs.

2009. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

En tout temps et en tout pays, il suffit qu’un changement considérable s’introduise dans la conception de la nature humaine, pour que, par contre-coup, on voie aussitôt l’utopie et la découverte germer sur les territoires de la politique et de la religion  Mais cela ne suffit pas pour que la doctrine nouvelle se propage, ni surtout pour que, de la spéculation, elle passe à l’application. […] C’était le goût du temps ; M. de Malesherbes, si honnête et si grave, savait par cœur et récitait la Pucelle ; du plus sombre des Montagnards, Saint-Just, on a un poème aussi lubrique que celui de Voltaire, et le plus noble des Girondins, Mme Roland, a laissé des confessions aussi risquées, aussi détaillées que celles de Rousseau462  D’autre part, voici une seconde boîte, celle qui contient le vieux sel gaulois, je veux dire la plaisanterie et la raillerie. […] Car c’est là le trait le plus frappant de ce style, la rapidité prodigieuse, le défilé éblouissant et vertigineux de choses toujours nouvelles, idées, images, événements, paysages, récits, dialogues, petites peintures abréviatives, qui se suivent en courant comme dans une lanterne magique, presque aussitôt retirées que présentées par le magicien impatient qui en un clin d’œil fait le tour du monde, et qui, enchevêtrant coup sur coup l’histoire, la fable, la vérité, la fantaisie, le temps présent, le temps passé, encadre son œuvre tantôt dans une parade aussi saugrenue que celles de la foire, tantôt dans une féerie plus magnifique que toutes celles de l’Opéra. […] C’est un nouveau venu, un parvenu dans le vrai monde ; vous voyez en lui un plébéien, puissant penseur, infatigable ouvrier et grand artiste, que les mœurs du temps ont introduit dans un souper de viveurs à la mode. […] L’homme qui a écrit les Salons, les Petits Romans, les Entretiens, le Paradoxe du Comédien, surtout le Rêve de d’Alembert et le Neveu de Rameau, est d’espèce unique en son temps.

2010. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

La Chanson de Roland est le chef-d’œuvre de noire poésie narrative, parce qu’elle est, dans sa forme existante, le poème le plus voisin des temps épiques. […] Ces hommes sont barbares, violents, brutaux, sans délicatesse, de pauvres et étroits cerveaux peu garnis d’idées : où est la souplesse merveilleuse, la richesse épanouie de l’âme grecque, même aux rudes temps des guerres homériques ? […] A l’accent dont Turpin exhorte, bénit et absout les soldats martyrs qui meurent avec Roland, on sent que les temps sont proches où l’Occident lancera ses barons contre les infidèles gardiens des Lieux-Saints. […] Adenet, Jean Bodel, Jendeus de Brie, Bertrand de Bar-sur-Aube ne veulent pas perdre le bénéfice de leur travail ; s’ils tiennent au profit, ils aiment aussi la gloire, dont la recherche est un des symptômes caractéristiques de l’individualisme : cela seul nous avertirait que les temps épiques sont passés. […] , III, 209, une autre scène d’amour maternel ; Renaud est reconnu par sa mère à une cicatrice qu’il porte au front ; la scène est plus sèche, plus fruste, d’un beau sentiment encore et sans verbiage ; elle a bien l’air de remonter aux temps épiques.

2011. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Après sa mort, une lettre du supérieur de la maison professe, le père Martineauk ; un éloge mis en tête de ses Sermons par le religieux qui en fut l’éditeur, le père Bretonneau ; une lettre de M. de Lamoignon, son ami de tous les temps ; un autre hommage plus développé mais du même genre, par une personne de condition, Mme de Pringy, c’est tout ce qu’on a sur Bourdaloue ; et, je le dirai, quand on l’a lu lui-même et considéré quelque temps dans l’esprit qui convient, on ne cherche point sur son compte d’autres particularités, on n’en désire pas : on entre avec lui dans le sens de cette conduite égale, uniforme, qui est le caractère de la prudence chrétienne et le plus beau support de cette saine éloquence ; et l’on répète avec une des personnes qui l’ont le mieux connu : « Ce qui m’a le plus touché dans sa conduite, c’est l’uniformité de ses œuvres. » On ne sait rien ou à peu près rien non plus de la vie de La Bruyère ; mais, à l’égard de ce dernier, le sentiment qu’on apporte est, ce me semble, tout différent. […] On sait qu’on lui confia dans un temps à élever le jeune M. de Louvois, tout à l’heure ministre. […] Je sentais, au contraire, reparaître présente et vivante cette idée formidable de la mort au sens chrétien, idée souverainement efficace si on la sait appliquer à toutes les misères et les vanités, à toutes les incertitudes de la vie : ce fondement solide et permanent de la morale chrétienne m’apparaissait à nu et se découvrait dans toute son étendue par l’austère exposition de Bourdaloue, et j’éprouvais que, dans le tissu serré et la continuité de son développement, il n’y a pas un instant de pause où l’on puisse respirer, tant un anneau succède à l’autre et tant ce n’est qu’une seule et même chaîne : « Il m’a souvent ôté la respiration, disait Mme de Sévigné, par l’extrême attention avec laquelle on est pendu à la force et à la justesse de ses discours, et je ne respirais que quand il lui plaisait de finir… » À peine s’il vous laissait le temps de s’écrier, comme cela arriva un jour au maréchal de Grammont en pleine église : « Morbleu ! […] Répandez donc sur sa personne la plénitude de vos lumières et de vos grâces… Le vœu de Bourdaloue fut rempli : peu de temps après ce discours, le prince de Condé se convertit sincèrement, il s’approcha des autels ; cet esprit si brillant, si curieux, si altier, que les impies s’étaient flattés de posséder, leur échappa et se rangea humblement à la voie commune. […] Quant au Grand Condé, il reste à peu près prouvé qu’il y était très peu dans les derniers temps de sa vie.

2012. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

Gavarni, on l’a vu, a eu dans un temps, à un moment de sa jeunesse, non pas des prétentions, mais des velléités ou de vagues projets littéraires ; au nombre de ces projets était un roman, non terminé, dont, je puis cependant donner une idée assez précise et citer quelques pages arrachées qui seront autant de jours ouverts sur sa manière de penser et de sentir. […] Ce qui est certain, c’est que bientôt une liaison s’engage, et l’on a un roman tout de sentiment et d’analyse, comme on disait en ce temps-là. […] Il leur faut le temps. […] Ces petits amours sont des oiseaux fort farouches ; les grands mots surtout leur font peur. » En général, Michel se fait peu d’illusion sur les femmes ; il sait la vie, il sait ce que valent la plupart du temps ces grandes défenses : « La parole chez les femmes est toujours un mensonge convenu ; on peut facilement la mal traduire et se tromper de ruse. » Mais ici ce n’est pas le cas. […] Marie lit trop, je l’ai dit ; elle est pleine de ces livres du temps où l’on ne parlait jamais d’amour sans parler de croyances et sans faire intervenir l’humanité : « Marie, Marie !

2013. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Questions de mon temps, 1836 à 1856 65 Questions de l’année 66. […] Émile de Girardin est certainement une des figures de ce temps-ci les plus caractérisées et les plus en évidence. […] Il a dû changer d’armes plus d’une fois et se transformer pour se faire égal aux circonstances ; mais, certes, ce qui ne lui a jamais manqué, c’est le courage ; ce n’est pas non plus l’intelligence des temps, des moments et de la société moderne largement envisagée, hardiment comprise, et si souvent talonnée par lui ou devancée en plus d’un sens. […] « Pour surgir de l’obscurité il n’est plus qu’un moyen, grattez la terre avec vos ongles, si vous n’avez pas d’outils, mais grattez-la jusqu’à ce que vous ayez arraché une mine de ses entrailles… Quand vous l’aurez trouvée, on viendra vous la disputer, peut-être vous l’enlever ; mais, si vous êtes le plus fort, on viendra vous flatter, et, quand vous n’aurez plus besoin de personne, on viendra vous secourir. » Et ceci encore, qui est dit d’ailleurs en bonne part et sans amertume : « Le temps de la métaphysique a passé. […] Il imagina et entreprit coup sur coup plusieurs journaux et publications de divers genres qui répondaient à des besoins du temps, à des besoins encore vagues qu’il était l’un des premiers à deviner et à pressentir.

2014. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Pour être juste, il faudrait commencer par dire que Pope a parfaitement bien senti et bien admiré Homère ; que sa préface est d’une excellente critique pour le temps, et bonne encore à lire aujourd’hui ; que la grandeur, l’invention, la fertilité de l’original, cette vaste universalité première d’où chaque genre ensuite a découlé, sont admirablement comprises. […] Et il nous montre, dans une série d’exemples, chaque homme resté de plus en plus fidèle en vieillissant à cette forme secrète qui survit à tout et se démasque avec les années, qui s’éteint la dernière en nous et qui met comme son cachet à notre dernier soupir : « Le temps, qui pose sur toutes choses sa main adoucissante, n’apprivoise point cette passion : elle se colle à nous jusqu’au dernier grain du sablier. […] Taine, tel qu’il s’offre dans cette première forme une et entière, subsistera comme une des œuvres les plus originales de notre temps. […] Qu’on se figure le temps où une religion dominante interdisait toute dissidence dogmatique ou philosophique ; où tout hérétique ou schismatique ou mécréant était écrasé. […] Ne serait-il pas temps, hommes éclairés et qui êtes à la tête des intelligences, de faire un effort de plus et de donner à tous un exemple ?

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