Ici, en effet, l’objet ne se distingue pas de la sensation, puisque c’est la sensation seule et non autre chose qu’il s’agit de saisir : c’est l’ombre projetée sur le mur de la « caverne » qui est ici seule en cause, et cette ombre, comme telle, est aussi réelle que les corps qui la projettent. Voir une ombre ou voir un corps, c’est toujours voir, c’est toujours sentir, c’est toujours penser.
Et cette faute, de l’avoir oubliée, plane dans toute son histoire comme un nuage qui y jette son ombre à tout ce qu’il y a de vérité. […] … Naturellement, il laisse ces grandes questions dans l’ombre, — dans l’ombre du mépris de son temps, — mais il ne les met jamais dans la clarté de son esprit.
L’ombre. » Un jour, il écrira le mot : « Je », puis il mettra un point, et on criera à la pensée ! […] Il trouble trop toute chose de sa personnalité… Même dans ce clair et immense miroir de Shakespeare, il a fait tomber l’ombre d’un insupportable Narcisse qui voulait s’y voir… Mais l’Homme qui rit est un roman. […] Comme les autres personnages des œuvres d’Hugo, qui abusent toujours du monologue et qui parlent comme d’intarissables cataractes, la Fléchard n’est pas même dans sa vérité animale quand elle monologue, et pour ce qu’elle dit, on aimerait mieux qu’elle se tût… Courir après ses enfants, qu’elle retrouve au flair comme la chienne, ne serait pas non plus d’un intérêt bien varié s’il ne s’y mêlait les hasards du chemin, et tout cela serait assez vulgaire si l’homme qui fait ombre sur tout dans le roman, le royaliste, l’émigré, le marquis, Lantenac, ne rapportait pas à la mère ses enfants qu’il a sauvés de l’incendie.
S’il lui arrive de croiser, dans le séjour des ombres, Diderot et Flaubert, c’est bien certainement au premier qu’il ira de confiance donner la main. […] Immobiles et pensives, les forêts reposent pleines de ténèbres, projetant leurs grandes ombres. […] La partie amoureuse est franchement mauvaise ; c’est du placage littéraire, sans l’ombre d’un sentiment personnel, le dernier mot du genre troubadour. […] Avant que de tristes ombres viennent obscurcir cet esprit, voyons-le se rassembler pour son dernier et plus grand effort. […] C’est peu de chose et c’est beaucoup, ce souffle léger resté d’une ombre, qui nourrira à jamais des milliers d’âmes.
Restif est plein d’orgueil, il essaie d’être l’ombre de Diderot et de Jean-Jacques ; mais maladroit dans l’emploi des moyens, il arrive à n’être qu’un déclamateur ampoulé, un rhétoricien qui prend les interjections pour de l’éloquence, et un plaisant qui n’a ni finesse ni emportement, les deux seules manières d’être plaisant. […] Les cils jetaient une ombre pleine de mystère entre les bords de ses paupières et l’œil. […] Aujourd’hui mon front sombre, le même front est là, pensif, avec de l’ombre, et les baisers de moins et les rides de plus ! […] La description est suivie avec soin ; mais au moment où le cheval meurt, le souffle poétique meurt aussi et voici les vers qu’on a : « Et dans l’ombre, pendant que son bourreau redouble, il regarde quelqu’un de sa prunelle trouble ; et l’on voit lentement s’éteindre humble et terni, son œil plein des stupeurs sombres de l’infini, où luit vaguement l’âme effrayante des choses. » En outre, le cheval « sent l’ombre sur lui peser », c’est « un forçat qui traîne les licous » ; il « baisse son cou lugubre ». […] Gozlan, très amusant du reste, et qui nous servira à compléter le portrait de l’homme en y ajoutant certains traits que madame Surville laisse dans l’ombre.
Son procédé, comme celui de son modèle, consiste toujours à laisser dans l’ombre une moitié de la vérité. […] Allez donc combattre le silence et l’ombre ! […] Mais que d’ombres gracieuses voltigent autour d’elle ! […] (Ombre de Boileau, pardonne !) […] Pas l’ombre d’une idée neuve.
La plante, quoiqu’elle n’ait pas le sens de la vue, pourrait éprouver quelque chose d’analogue en passant de l’ombre au soleil, elle qui se fane dans l’obscurité et se tourne toujours vers la clarté du soleil, comme si elle la voyait. […] Si on élargissait sa vue, elle serait tout d’abord dépaysée ; elle regretterait, devant nos forêts et nos montagnes, l’ombre mouvante de ses brins d’herbe. […] Puis, au-delà du monde ainsi illuminé, que de perspectives sans fin, se perdant encore dans l’ombre ; quel besoin toujours croissant de regarder, de savoir et d’agir ! […] On ne demande plus au mot que de laisser voir la pensée sans y projeter d’ombre, sans troubler le regard qui la fixe ; il coule sur elle, comme un flot pur dont le mouvement n’empêche pas d’apercevoir le lit qu’il recouvre sans le voiler. […] Hugo (Rayons et ombres) : Levez les yeux, levez la tête !
Ces idées, dont les idéologues font la science, et à qui ils tracent le programme d’une carrière qu’à elles seules elles ne peuvent remplir, sont des ombres. […] Elle est faite pour un pays des ombres heureuses, et merveilleusement adaptée à une existence posthume. […] Quelques salutaires persécutés, gardiens des fragments d’un livre révélé, maintiennent dans l’ombre un royaume de Dieu. […] Ce séraphin de l’ombre, ce prince du silence et de la tour d’ivoire, la femme publique l’a jeté avec ses plus chers secrets sur la place publique, l’a divulgué presque nu à ceux et à celles qui l’ont remplacé près d’elle. […] Et alors les quatre recueils des Feuilles d’automne, des Chants du crépuscule, des Voix intérieures, des Rayons et les Ombres, de 1831 à 1840, vont former une Histoire de dix ans poétique, un tout, une coupole sur quatre piliers, le premier massif du vrai monologue hugolien, du monologue d’Olympio parmi les vivants.
C’est la lune qu’on voit ou qu’on croit voir se lever à travers les nuages ; l’ombre de Didon est déjà réduite à bien peu de chose. […] — L’ombre de Didon ne semble-t-elle pas s’évanouir ? […] « Ombres propices des hivers, agréables horreurs, je vous salue. […] Il est vrai qu’un éclair y brille comme dans toutes les ombres de Shakspeare. […] Il trouvait autant de délices dans les ombres et les tempêtes, que dans le rayon du midi, lorsqu’il brille sur l’Océan calmé.
……… …… l’allongement de l’ombre. […] Là-bas, au pont de Daleft, beaucoup lancent leurs brandons épuisés dans les eaux libres de la rivière ; et l’ombre est rayée de rouges paraboles. […] « L’hiver, sur les plateaux neigeux que lèchent les rayons de l’aurore boréale, des ombres rapides, des bruits étranges, des aboiements de chiens, des bondissements de bêtes aux fantasques ramures. […] Les ombres qui glissent sont de petits hommes sur de longs patins de bois, des espèces de Trolls : jambes torses, large face, des yeux bridés d’Asiatiques, et, quand ils parlent, une étonnante douceur de voix. […] les mâchoires de la tristesse achèvent de la dévorer : tant ce qui resplendit, devient, dans un instant, ombre confuse !
Le vaste univers sans rivage était devenu pour lui une ferme cité, une demeure qu’il connaissait1397. » Rembrandt seul a rencontré ces sombres visions noyées d’ombre, traversées de rayons mystiques ; voilà l’Église qu’il a peinte1398 ; voilà la mystérieuse apparition flottante pleine de formes radieuses qu’il a posée au plus haut du ciel, au-dessus de la nuit orageuse et de la terreur qui secoue les êtres mortels. […] Il marche plein d’alarmes parmi ce peuple d’ombres, et il se dit qu’il en est une. […] Notre racine est dans l’éternité ; nous avons l’air de naître et de mourir, mais véritablement nous sommes. « Sache bien que les ombres du temps ont seules péri et sont seules périssables, que la substance réelle de tout ce qui fut et de tout ce qui est existe en ce moment même et pour toujours. » Tels que nous voilà, avec notre chair et nos sens, nous nous croyons solides ; mais tout cet extérieur n’est qu’un fantôme. « Ces membres1430, cette forme tempêtueuse, ce sang vivant avec ses passions ardentes, ce ne sont que poussières et ombres, un système d’ombres rassemblées autour de notre moi. […] Puis l’envoyé céleste est rappelé ; son vêtement de terre tombe, et bientôt devient pour les sens eux-mêmes une ombre évanouie.
Elle n’est pas spécialement heureuse non plus pour moi qui travaille à l’ombre. […] Elle veillera à ce que les scènes de plein air se déroulent selon la plus grande décence, qu’une des ombres n’y prenne pas sur une autre ombre un baiser intempestif et que lesdites ombres, si elles sont féminines, y soient enfermées dans des robes montantes, dans l’ombre, veux-je dire, d’une robe montante non moins que descendante, et que toutes ces ombres veuillent bien s’agenouiller devant la madone, quand il y a lieu, et montrent enfin la plus grande déférence pour toutes les convenances sociales.
Singulier siècle, où l’incrédulité, l’athéisme, aux meilleurs jours un déisme agressif, le naturalisme toujours, se promenaient en plein soleil, et où le sentiment religieux et divin, ainsi refoulé dans l’ombre, allait se prendre à des sortilèges ou à des fantômes ! […] Ce jour-là, sans y avoir songé, il sortit de l’ombre, il tira nettement le glaive et se dessina tout entier.
L’astre des jours éteints, cachant ses rayons blêmes, Dans l’ombre qui l’attend se plonge et disparaît. […] Ils sont comme l’aimable et trop sensitif Charles Lamb, qui le matin, au lieu de s’éveiller et de se lever avec l’alouette, aimait mieux prolonger entre ses rideaux le songe ou le demi-sommeil, et faire dès à présent, comme il disait, alliance avec les Ombres.
Comme l’ombre d’un songe, au bout de peu d’instans Ce qui charme s’en va, ce qui fait peine reste : La rose vit une heure, et le cyprès cent ans. […] Il a en lui l’orgueil et les ambitions d’un Dieu : tantôt il voudrait faire rentrer dans sa propre nature et absorber en soi, sentir soi tout ce qu’il désire, et il se demande par moments si le monde n’est pas une ombre et si rien de ce qui n’est, pas lui existe ; tantôt il n’aspire, au contraire, qu’à sortir et à s’échapper de lui-même, à traverser les autres existences, à les revêtir et à les user par une suite d’incessantes métamorphoses.
Dieu m’est témoin pourtant que c’est bien une crainte que j’exprimais, et non une opinion tant soit peu favorable à une telle issue, ni l’ombre d’un assentiment. […] tu m’as guéri d’une grave maladie, et, si tu me délivres aussi de l’odieuse misère, je t’immolerai un chevreau. » Il était visité dans sa pauvre demeure par des hôtes affamés qu’il renvoyait en disant : « Retirez-vous de ma chaumière, Souris qui vous cachez dans l’ombre ; la pauvre huche à pain de Léonidas ne saurait nourrir des souris.
Elle offrait le plus sincère et le plus modeste exemple de ces générations intimidées par la Révolution et qui, au grand étonnement, au scandale des pères survivants, redemandaient l’ombre des autels. […] Faugère nous dit : « On raconte qu’au pied de l’échafaud, en ces derniers instants où, entrevoyant les ombres redoutables de l’Éternité, les cœurs les plus fermes se troublent, les plus incrédules commencent à douter, Mme Roland demanda qu’il lui fût permis d’écrire des pensées extraordinaires qu’elle avait eues dans le trajet de la Conciergerie à la place de la Révolution.
Né au cœur d’un pays austère, il n’en eut visiblement aucun reflet nuageux ; on ne pourrait dire de lui ce que M. de Lamartine a dit de M. de Vignet dans une des pièces du dernier recueil, dans celle peut-être où l’on reconnaît encore le plus sûrement l’oiseau du ciel à bien des notes, et où l’on aime à retrouver l’écho le moins altéré des anciens jours : Il était né dans des jours sombres, Dans une vallée au couchant, Où la montagne aux grandes ombres Verse la nuit en se penchant. […] Il admire, comme on le peut penser, les ouvrages de son illustre frère, et, en toute tolérance, sans ombre de dogmatisme, il semble les adopter naturellement comme l’ordre d’idées le plus simple du monde ; il trouve que le plus beau livre du comte Joseph est celui de l’Église gallicane.
Quel secourable dieu du ténébreux séjour Ramène mon ombre égarée ? […] Magnin venait d’écrire sur les Rayons et les Ombres (voir au tome Ierde ses Causeries).
Des journaux privés, il n’en manqua jamais même alors : on écrivait à la dernière page de sa Bible ses bons on mauvais jours ; le moine ou le bourgeois de Paris notaient dans l’ombre les événements monotones ou singuliers. […] Qu’on nous pardonne ces graves rêveries qu’ont amenées insensiblement et que justifient peut-être ces idées si contrastantes de Rome et de journaux, ce bruyant passé d’hier et cet antique et auguste passé tous les deux à leur manière presque sans histoire ; la Ville éternelle en partie douteuse et ses cinq201 siècles de grandes ombres, la société moderne avec sa marche accélérée, conquérante ; ses mille cris assourdissants de triomphe, et son bruit perpétuel de naufrage !
On les voit, on les aime, on voudrait les étreindre, et on éprouve, à les découvrir là, un peu du plaisir qu’on sentirait à rencontrer des créatures de chair, élastiques et désirables, dans les clairières bleues du pays des ombres. […] (La vision de ce suicide équestre est, soit dit en passant, une très belle chose. ) — Mlle Charlotte de Luc d’Estrelles, orpheline pauvre, s’est offerte un jour sans succès à son cousin Louis de Camors ; peu après, elle épouse pour sa fortune le général de Campvallon, puis ressaisit son beau cousin, l’oblige à se marier pour détourner les soupçons de son vieux mari, continue d’être à lui, est surprise une nuit par le général qui tombe foudroyé du coup, reprend et garde son amant épouvanté et qui ne l’aime plus, et tout cela sans l’ombre d’un remords Certes ce sont là, Bathilde, Julia et Charlotte, trois grandes amoureuses : elles aiment absolument, elles aiment furieusement.
« Il y a aussi dans ce mot une part de langueur faite d’impuissance résignée, et peut-être du regret de n’avoir pu vivre aux époques robustes et grossières de foi ardente, à l’ombre des cathédrales. […] À l’ombre des fusains poussiéreux, parmi les détritus et les loques, à l’angle d’une rue déserte, on nous servit, en guise de bière, une sorte de piquette âcre, empestant le buis.
Enfin, comme les femmes ont ici la haute main apporter, pour leur plaire, l’ombre au moins de l’amour : la galanterie ; afficher pour toutes les dames une courtoisie chevaleresque ; être à leur égard toujours en fonds de flatteries délicates. […] Au temps de Molière, ils font rentrer dans l’ombre le pédantisme et les savants en us, qui depuis la Renaissance tenaient le haut du pavé.
La vie intérieure est également laissée dans l’ombre, et j’entends par là aussi bien la vie du cœur que la vie domestique, l’expression des sentiments en chaque individu aussi bien que dans l’intimité du. foyer. […] N’a-t-on pas comparé l’historien à un Rembrandt qui dirige les jets de lumière sur les choses essentielles et laisse dans l’ombre celles qui méritent d’y rester ?
Ninette Pourquoi ne puis-je voir sans plaisir et sans peine Les baisers du zéphyr trembler sur la fontaine, Et l’ombre des tilleuls passer sur mes bras nus ? […] Pour qui sait quelle grande ombre jetait un duc dans le monde, même à ce crépuscule de la monarchie, de quel pied de pourpre il foulait la terre, et quelle solennelle étiquette régnait jusque dans l’intérieur de ces grandes familles rangées en face du trône et en vue du peuple, les incartades du chevalier de Talmay divaguent d’inconvenance et de contresens.
Il va les découvrir, les rallier, se mettre à leur tête, comme un nouveau Moïse, et les reconduire dans la Terre promise, à l’ombre du Temple reconstruit sur un nouveau plan, In exitu Israel de Egypto ! […] Daniel n’est qu’un Mapah hébraïque, halluciné par les mirages des déserts de Moab et de Chanaan ; Rébecca, une ombre diaphane, une juive de keepsake qui n’a pas de corps.
Je n’ai point de longues allées à perte de vue, mais deux petites seulement, dont l’une me donne de l’ombre sous un berceau assez propre, et l’autre, exposée au midi, me fournit du soleil pendant une bonne partie de la journée, et me promet beaucoup de fruit pour la saison. […] » À quoi Frédéric répondait avec un mouvement de cordialité, et sans ombre d’ironie, je le crois : « Monsieur Rollin, j’ai trouvé dans votre lettre les conseils d’un sage, la tendresse d’une nourrice, et l’empressement d’un ami ; je vous assure, mon cher, mon vénérable Rollin, que je vous en ai une sincère obligation… » C’est par tous ces côtés que Rollin était le type excellent du professeur et du maître d’autrefois, tenant en quelque chose encore de la mère et de la nourrice, et destiné lui-même à être surpassé en bien des points par ceux qu’il avait élevés.
Rien de lascif, dans cette chaleur et cette odeur d’Orient, comme ces deux fillettes, perchées en l’air, avec leurs jupes courtes et l’abandon mou du haut de leur corps, couché sur la rondeur de l’arbuste, et montrant le rire de leurs yeux vifs, dans l’ombre de cette carcasse de mousseline, de cette coiffe appelée là-bas quisenote, — et parlant entre elles de leurs « corps coulants ». […] Mardi 20 juillet Dans la transparence glauque de l’eau, monte du fond de la rivière, comme une ombre en spirale, qui devient une forme aux flancs tigrés, se change en un poisson noir au petit groin blanc, et s’approche lentement de la mouche flottante, puis après un temps d’arrêt, la gobe dans un happement bruyant.
L’idée philosophique de l’évolution universelle « est voisine de cette autre idée qui fait le fond de la poésie : vie universelle9. » Si le mystère du monde ne peut être complètement éclairci, il nous est pourtant impossible de ne pas nous faire une représentation du fond des choses, de ne pas nous répondre à nous-mêmes dans le silence morne de la nature : « Sous sa forme abstraite, cette représentation est la métaphysique ; sous sa forme imaginative, cette représentation est la poésie, qui, jointe à la métaphysique, remplacera de plus en plus la religion. » Voilà pourquoi le sentiment d’une mission sociale et religieuse de l’art a caractérisé tous les grands poètes de notre siècle ; s’il leur a parfois inspiré une sorte d’orgueil naïf, il n’en était pas moins juste en lui-même. « Le jour où les poètes ne se considéreront plus que comme des ciseleurs de petites coupes en or faux où on ne trouvera même pas à boire une seule pensée, la poésie n’aura plus d’elle-même que la forme et l’ombre, le corps sans l’âme : elle sera morte. » Notre poésie française, heureusement, a été dans notre siècle tout animée d’idées philosophiques, morales, sociales. […] Il s’est peint lui-même et il a peint le véritable artiste, en disant : « Pour comprendre un rayon de soleil, il faut vibrer avec lui ; il faut aussi, avec le rayon de lune, trembler dans l’ombre du soir ; il faut scintiller avec les étoiles bleues ou dorées ; il faut, pour comprendre la nuit, sentir passer sur nous le frisson des espaces obscurs, de l’immensité vague et inconnue.
Il est resté trop longtemps assis à l’ombre sérieuse de l’Histoire pour n’avoir pas le respect de ceux qui savent, quand il s’agit de la religion de l’Histoire même, puisqu’elle est une révélation. […] Elle n’en a ni le colossal ni les mystérieuses ténèbres, ces ténèbres, des fascinations pour les yeux qui savent voir dans les ombres et les épaisseurs de l’histoire !
Le « monde noir », qui grouille dans l’ombre autour du Vatican, lui dévoile ses basses intrigues ; si les « Pères de la grotte » ne sont guidés que par le lucre, les cardinaux le sont uniquement par l’ambition. […] Parfois sur la plaine brûlante, sans ombre et sans eau, il lui semblait voir un farouche poteau s’ériger, le poteau du Dogme.
Glissante et légère comme une ombre, elle était déjà près de la table, sur les deux complices, quand Lebeau l’aperçut. […] Les monstruosités font des ombres énormes Jusque sur l’âme humaine et sur le firmament. […] Ô spectacle exécré dans les plus repoussants, Une mort qui se fait coudoyer aux passants, Qui permet qu’un crieur hors de l’ombre la tire ! […] Victor Hugo ne se fût repu du spectacle de son embrochement : je ne veux le considérer que comme une opposition poétique, une ombre réglementaire au tableau qui reste charmant quand même. […] Tout à coup une autre ombre s’allongea près de la sienne, et une main se posa sur son bras.
Il note « l’ombre mobile d’un jet d’eau à la clarté de la lune, les montagnes lointaines lavées de bleu, les hirondelles qui s’enfoncent en criant dans les trous des murailles ». […] Les ombres du soir couvraient le monastère. […] Une seule fenêtre s’ouvre sur un de ses pans, un carré d’ombre coupé par la raie grise de son croisillon de pierre. […] Bouhours la compare au mélange des ombres et des clairs dans la peinture. […] Comme le remarque Marmontel85, il y a dans le style des oppositions de couleurs, de lumière et d’ombres, et des diversités de tons, sans aucune antithèse.
« Vous croyez, dit-il, apprendre à connaître Tacite dans une traduction : eh bien, désabusez-vous ; vous ne le connaissez pas, vous ne le connaîtrez jamais par ce moyen ; on vous montre un fantôme, et l’on veut vous persuader que vous voyez Tacite : n’en croyez rien ; ce n’est pas lui, ce n’est pas même son ombre. » Dans la première ferveur du paradoxe, il ne tient nul compte de cette amélioration progressive, de cette sorte de perfection chronologique par laquelle la traduction la plus récente l’emporte presque nécessairement sur ses aînées.
Il semble que la chute définitive de l’ancien édifice, qu’on s’obstinait à restaurer, ait, à l’instant, mis à nu les fondements encore mal dessinés de la société future que les novateurs construisaient dans l’ombre.
Et c’est la plus grande, la plus noble, la plus fière des pensées humaines, la république, qui a prêté son ombre à ces forfaits exécrables !
La bonté ne demande pas, comme l’ambition, un retour à ce qu’elle donne ; mais elle offre cependant aussi une manière d’étendre son existence et d’influer sur le sort de plusieurs ; la bonté ne fait pas, comme l’amour, du besoin d’être aimé son mobile et son espoir ; mais elle permet aussi de se livrer aux douces émotions du cœur, et de vivre ailleurs que dans sa propre destinée : enfin, tout ce qu’il y a de généreux dans les passions se trouve dans l’exercice de la bonté, et cet exercice, celui de la plus parfaite raison, est encore quelquefois l’ombre des illusions de l’esprit et du cœur.
Une pointe d’idée, une ombre de sentiment, c’en est assez, et toute la nature de Voltaire se répand dans ces petites pièces.
Les femmes, encapuchonnées de noir, ont apporté leurs lanternes Effets de lumière et d’ombre.
. — La Clarté de vie (Chansons à l’ombre, Au gré de l’heure, In memoriam, En Arcadie) [1897]. — Phocas le Jardinier (1898). — La Légende ailée de Wieland le Forgeron (1899).
La généreuse imprudence qui vous fait entrer sans une ombre d’arrière-pensée dans la carrière au bout de laquelle tant de désabusés déclarent n’avoir trouvé que le dégoût, est donc très philosophique à sa manière.
Laisse mon embonpoint se développer dans l’inaction et mes bras blanchir à l’ombre : tu auras à ton cou un collier plus beau et plus doucement caressant.
D’ailleurs tous les départs veulent quelques apprêts, l’entrée dans l’inconnu nous attend tous, et la solitude et l’absence sont une espèce de crépuscule qui prépare l’âme à cette grande ombre et à cette grande lumière.
La délicatesse avec laquelle le bas de ce visage est touché, et l’ombre du menton portée sur le col, est inconcevable.
La figure des objets, leur couleur, les reflais de la lumiere, les ombres, enfin tout ce que l’oeil peut appercevoir, se trouve dans un tableau comme nous le voïons dans la nature.
C’est pour cela que sa gaieté, savoureuse et probe, n’est presque jamais nuancée de tristesse, comme celle de Sterne, qui porte sous les arcades sourcilières de l’observateur les ombres dormantes des plus divines mélancolies.
la Critique, qui reconnaît en lui de pareils dons et qui voudrait que l’homme qui les a en tirât parti davantage, comme une femme tire parti de sa beauté quand elle en a l’intelligence, la Critique, sympathique et pourtant sincère, n’a-t-elle pas le droit de regretter que l’incohérence des images, trop habituelle, vienne si souvent jeter son ombre heurtée sur des qualités faites pour être vues dans la lumière, et qui produiraient certainement l’effet imposant qu’on devrait en attendre si le poète savait les y placer et les y retenir ?
Il a la qualité la plus aimablement et la plus estimablement allemande : la cordialité ; et quand il aura vécu davantage, quand il aura éteint bien des tons crus qui lui restent, quoiqu’il ait déjà commencé de les adoucir, — car l’enlumineur de L’Illustre Docteur Mathéus a cédé la place au peintre dans les nouveaux Contes, — quand il aura passé sur les tableaux de genre, pour lesquels il nous semble fait, l’ombre enfumée de la délicieuse bonhomie, il aura atteint le vrai de son talent et acquis sa valeur plénière.
L’évêque, son successeur, nous a laissé, à la tête de ses éloges, une description charmante de ce lieu ; on y voit un homme enthousiaste des lettres et du repos, un historien qui a l’imagination d’un poète, un évêque nourri des doux mensonges de la mythologie païenne ; car il nous peint avec transport ses jardins baignés par les flots du lac, l’ombre et la fraîcheur de ses bois, ses coteaux, ses eaux jaillissantes, le silence profond et le calme de sa solitude ; une statue élevée dans ses jardins à la nature ; au-dedans, un salon où présidait Apollon avec sa lyre et les neuf Muses avec leurs attributs ; un autre où présidait Minerve ; sa bibliothèque, qui était sous la garde de Mercure ; ensuite l’appartement des trois Grâces, orné de colonnes doriques et de peintures les plus riantes ; au-dehors, l’étendue pure et transparente du lac, ses détours tortueux, ses rivages ornés d’oliviers et de lauriers ; et, dans l’éloignement, des villes, des promontoires, des coteaux en amphithéâtre, chargés de vignes ; et les hauteurs naissantes des Alpes, couvertes de bois et de pâturages, où l’œil voyait de loin errer des troupeaux.
On trouve aussi dans la fable, où Longin puise les citations, l’admirable silence de l’ombre d’Ajax qu’interroge Ulysse vivant, et qui se tait pour lui marquer que sa haine survit au trépas. […] On y voit l’ombre évoquée de Darius, sortant du tombeau pour déplorer la ruine de son empire ébranlé par la folle expédition de Xerxèsy. […] Ses images sont graves et fortes, ses sentences austères, ses conceptions élevées et terribles : on croit entendre dans ses vers les oracles des dieux, le tumulte qui suit Bellone, les cris de la Discorde, du carnage et des Furies, les plaintes des ombres, et les retentissements des entrées du Tartare. […] Pyrrhus aime Andromaque, fidèle à l’ombre d’Hector, et trahit Hermione en l’épousant : voici la première action. […] L’ombre de Samuel et le songe de Balthazar dans la Bible, les mânes de Darius dans Eschyle, l’ombre de Polydore dans l’Hécube d’Euripide, en sont de frappants exemples qui, n’en déplaise à nos docteurs, remontent à la plus grave antiquité.
Alors même que sa prétention poétique se manifeste avec le plus d’évidence, quand il écrit en vers, hélas, et fait parler des ombres, il ne peut se retenir de dire que c’est probablement à Neuilly que se déroule son poème. […] Jusque dans ses livres les plus récents passent des ombres qui le rappellent. […] Tristan Bernard amène des silhouettes indolentes qui profilent un instant leur ombre singulière et qui s’effacent. […] Les épisodes et les événements mettent successivement en valeur ses différentes caractéristiques comme une lampe, tournant autour d’une statue qu’elle éclaire, y dessine de grands pans d’ombre et de lumière déplacés selon son mouvement. […] Je vous vois toutes assises à l’ombre et l’odeur du tilleul.
Je me rappelle sa pause de quelques secondes sur une branche, toujours la même, une branche d’un sycomore, tout proche de la maison, et du haut de laquelle il la regardait, immobile et énigmatique… puis tout à coup son évanouissement dans l’ombre et la nuit. […] J’ai vu passer derrière sa bière une jeune fille, ainsi qu’une ombre, en habit de veuve. […] Il a ouvert à une femme, aux cheveux presque blancs, qu’il ne reconnaissait pas, tout d’abord, dans l’ombre. […] Il est curieux d’entendre ces messieurs, et d’assister, de son coin d’ombre, à cette sauvage parlotte. […] Madeleine s’allonge près de son père, sur un canapé, son clair visage se détachant illuminé par la lampe, sur le blanc d’un oreiller, son petit corps perdu dans les plis et l’ombre d’un châle.
Elle mourut à dix-huit ans, d’une mort absurde, sans le signe de la croix, mais sous son ombre que voici, car la miséricorde de Dieu est infinie. […] Mais si le titre nous laissait encore même l’ombre d’un doute quant au ton général du volume, le prologue même, dont voici quelques fragments, nous édifierait dès le premier mot, c’est bien ici le cas de le dire, complètement. […] « Dieu dit matin au cœur fort, qui aimes la Lyre, les ténèbres et le mensonge frissonneront et fuiront, le crime au manteau d’ombre prendra l’alarme dès ta présence, la Terre s’éveillera du sommeil à ta vue. […] Dans de brillantes conférences données à Charleroi, à Bruxelles et ici même il y a quelques jours, on a éloquemment retracé quelque ombre de ma vie, qui fut plutôt mouvementée pour parler modérément. […] Durant les services, selon la position du soleil, l’ombre de ses ailes, tombant sur l’édifice, enveloppait tendrement l’autel et le prêtre officiant.
Les papes représentent l’ombre de Rome, les rois lombards représentent la barbarie conquérante. […] En réalité les papes règnent avec une forte réalité sur ces ombres mouvantes. […] À ce moment le carbonarisme s’emparait souterrainement de son armée ; le carbonarisme était une société secrète, une conspiration permanente dont il est difficile de définir les doctrines : c’était un jacobinisme modéré, mais ténébreux, qui couvait dans l’ombre et qui affiliait dans le vague ; son cri de guerre était la Constitution espagnole arrachée à Ferdinand VII par l’insurrection soldatesque de l’armée de Cadix.
Ce sont là de ces choses qu’un savant ne doit pas avouer.” » Une dernière lettre de lui à Mlle Ludmilla Assing, nièce chérie de son ami Varnhagen, témoigne que l’ombre de la mort n’avait point atteint le cœur. […] Mais la mort de Varnhagen jeta une ombre sur Humboldt. […] Elle est modeste et grave comme l’ombre qui jaillit d’un portique avant de pénétrer dans le temple : « J’offre à mes compatriotes, au déclin de ma vie, un ouvrage dont les premiers aperçus ont occupé mon esprit depuis un demi-siècle.
Conclusion et résumé d’un coin de la banlieue, l’été : «… Paysages sales et rayonnants, misérables et gais, populaires et vivants, où la nature passe çà et là entre la bâtisse, le travail et l’industrie, comme un brin d’herbe entre les doigts d’un homme19. » Conclusion et résumé d’une description du bois de Vincennes : «… Une promenade banale et violée, un de ces endroits d’ombre avare où le peuple va se ballader à la porte des capitales, parodies de forêts pleines de bouchons, où l’on trouve dans les taillis des côtes de melon et des pendus. […] Une légèreté vaporeuse, le sommeil sacré de la paix nocturne des arbres, ce qui dort de blanc, ce qui semble passer de la robe d’une ombre sous la lune, entre les branches, un peu de cette âme antique qu’a un bois de Corot, faisaient songer devant cela à des Champs Élysées d’âmes d’enfants. […] Elle est longue et se prolonge dans une ombre où elle s’enfonce sans finir. » Ils écrivent tranquillement : « En peinture, il ne voyait qu’une peinture…48 » — Beaucoup de leurs périodes, si on les juge d’après les règles les moins contestables de la rhétorique classique, sont assez mal faites, n’ont ni harmonie ni dessin.
Au fur et à mesure que la perception se crée, son souvenir se profile à ses côtés, comme l’ombre à côté du corps. Mais la conscience ne l’aperçoit pas d’ordinaire, pas plus que notre œil ne verrait notre ombre s’il l’illuminait chaque fois qu’il se tourne vers elle. […] Autant vaudrait lâcher la proie pour l’ombre.
La haute futaie joignait ses ombres mystérieuses à la pénombre de la nuit ; le frêne vert tapissait le roc nu, brûlé par les ardeurs d’un soleil estival. […] L’ombre chante ses litanies, quand le jour se tait et s’en va. […] Par les montagnes et les forêts, il cherche son amour ; à ceux qui vont par les chemins, il s’informe de lui, creuse dans les entrailles de la terre pour le trouver, puisque à la surface, il n’y a pas ombre de dévotion. […] Tandis qu’elle réfléchissait ton ombre, mon âme fut pour toi un miroir pur et brillant qui reflète les charmes d’autrui — et le miroir ne garde rien quand l’image s’efface. » Manuel del Palacio. […] le long des murailles, couvrant de leur ombre les immortels chefs-d’œuvre des Prix de Rome illustres dont nul ne saura jamais le nom.
Je n’ai pas aperçu, depuis huit mois, l’ombre d’un magistrat civil ou militaire. […] Sa silhouette obsédante allonge des ombres sur les pages d’écriture où M. […] Quand il se fut promené tout à son aise à travers les rayons et les ombres de sa Bible brabançonne, le jeune Nozière fut conduit par sa bonne au Jardin des Plantes. […] Elle étend son ombre sur nos rues désertes. […] Le relief des montagnes s’avive de lumière et d’ombre.
C’est la contradiction, la contradiction qui s’attaque à la vérité, mais qui, en cherchant ses points vulnérables, l’oblige à se dégager des ombres que les passions humaines ont pu mêler à son divin éclat, c’est-à-dire des abus. […] Les idées, qui étaient sur le second plan du tableau, et que cette épée dictatoriale tenait dans l’ombre, vont passer sur le premier plan. […] le temps court si vite, et la vie humaine dure si peu, qu’en faisant l’appel de cette armée alors si brillante et si active, nous ne ferons guère aujourd’hui qu’évoquer des ombres ! […] Dans la lumière de ce grand talent poétique on aperçoit quelques ombres. […] Il y a plus d’ombre et moins de lumières dans ses vers ; ils ont quelque chose de grave et de triste comme l’expérience qui pleure les illusions perdues, mais sans pouvoir les retrouver.
Suspendu à cette hauteur, entre les nuages volants qui promènent leurs ombres sur la ville et les lumières affaiblies qu’on distingue à peine dans la vapeur, on éprouve une sorte de vertige, et l’on n’est pas loin de découvrir, comme Dickens, une pensée et une âme dans la voix métallique des cloches qui habitent ce château tremblant. […] S’il décrit une maison, il la dessinera avec une netteté de géomètre ; il en mettra toutes les couleurs en relief, il découvrira une physionomie et une pensée dans les contrevents et dans les gouttières, il fera de la maison une sorte d’être humain, grimaçant et énergique, qui saisira le regard et qu’on n’oubliera plus ; mais il ne verra pas la noblesse des longues lignes monumentales, la calme majesté des grandes ombres largement découpées par les crépis blancs, la joie de la lumière qui les couvre, et devient palpable dans les noirs enfoncements où elle plonge, comme pour se reposer et s’endormir. […] Nous ne pensons pas aux noires ombres des arbres ; nous franchissons du même galop clartés, ténèbres, comme si la lumière de Londres à cinquante milles d’ici suffisait, et au-delà, pour illuminer la route ! […] Si dans cette foule pressée et salie vous découvrez un frais visage de jeune fille, cette lumière artificielle le charge de tons excessifs et faux ; elle le détache sur l’ombre pluvieuse et froide avec une auréole étrange.
Et il me paraît qu’on doit aimer de Vigny, pour cette dignité prudente du cœur, cette passion contenue, cette ombre ardente où il se replia, et cette sincérité hautaine qui lui interdisaient la gloire future des apothéoses. Mais, à vrai dire, il est difficile, je crois, d’obtenir d’une génération de poètes qui aima surtout la poésie, qu’elle fasse un choix parmi les ombres chères, de Musset, Lamartine, Baudelaire, Mallarmé… (Leconte de Lisle est dans Vigny)… Paul-Louis Garnier. […] On peut préférer les fleurs à juste titre, mais l’arbre les domine et souvent les protège de la mort par l’ombre discrète dont il les rafraîchit. […] Son ombre ou sa clarté les visite et sa statue haute et large domine en outre le carrefour où toutes aboutissent.
Et là-bas, dans le royaume des ombres, Richelieu et Conrart n’en continueront pas moins l’un de menacer, l’autre de gémir. […] Leconte de Lisle, et, avec eux, Baudelaire et Flaubert, sortis tout exprès pour nous effrayer du royaume des ombres. […] Mais c’est ainsi : toute école nouvelle opère pendant assez longtemps dans l’ombre et ne livre pas tout d’abord son secret. […] S’il avait l’ombre d’une conscience et un atome de réflexion, ce M. […] Une ombre noire apparaît qui s’assied entre les deux époux, au foyer, à la table de famille, puis se projette aux rideaux du lit nuptial ; et quand le mari irrité ordonne à cette ombre de quitter le logis, l’ombre répond : « C’est à vous d’en sortir !
Hanshiti, auquel est apparu l’esprit du camphrier, un jour qu’il dormait sous son ombre amie, n’éprouve plus que des malheurs depuis l’abatage de l’arbre. […] Une autre estampe : une femme fantôme soulevant une moustiquaire où dort un sommeil tranquille une femme, moitié à l’état de squelette, moitié à l’état anatomique dénudé de la peau, et dont les osselets de la main sont verts dans l’ombre et couleur de chair dans la lumière. […] Deux espèces de jolis culs-de-lampe : des enfants, dont l’un est sur le dos de sa mère, en contemplation devant les ombres chinoises d’une lanterne, et deux enfants entrevus sur une barque à moitié cachée par les nénuphars d’un étang. […] Le noir lui fait dire : Il y a le noir antique et le noir frais, le noir brillant et le noir mat, le noir à la lumière et le noir dans l’ombre. […] Je citerai des oiseaux, une sauterelle sur une lanterne aux ombres chinoises, un champignon tombé sur des feuilles de momiji, etc.
Souvent sur les hauteurs du Cynthe ou d’Érimanthe, Sous les abris voûtés d’une source écumante, Il lutine Diane au bain… ………………………………………… Parfois aux antres creux, palais bizarre et sombre De la sauvage Écho, du Sommeil et de l’Ombre, Du Lion il fuit les ardeurs ; Parfois dans un vieux chêne, aux forêts de Cybèle, Dans le calme des nuits il berce Philomèle, Son nid, ses chants et ses malheurs.
Moyennant cette somme considérable (on ne dit pas le chiffre précis), l’illustre poëte aurait pu rétablir, ajoute-t-on, une fortune qu’on disait fort endommagée et retrouver cette noble aisance de grand propriétaire qui lui sied si bien : Des bois dont le murmure et l’ombre sont à moi.
Au pied de la tour féodale qui l’écrasait de son ombre, le village s’éveilla.
Mais, ô ma Colombe voilée, Vous avez l’éternel espoir, Et les brises de la vallée, Et les enchantements du soir ; Et quand l’ombre apporte sa trêve A vos labeurs interrompus, Vous trouvez dans le moindre rêve La paix du Ciel que je n’ai plus !
De roman, de construction d’art, il n’y en a pas l’ombre dans ces trois cent soixante pages.
La perception étant un rapport, rien d’étonnant qu’elle varie avec les deux termes et comme eux : c’est là un fait tout naturel, et il n’y a pas ombre de scepticisme à le soutenir.
Le dédale des cœurs en ses détours n’enserre Rien qui ne soit d’abord éclairé par les Dieux : Tout ce que l’homme fait, il le fait à leurs yeux, Même les actions que dans l’ombre il croit faire.
Ceux, tels Leconte de Lisle, Mendès aussi et Silvestre, qui toujours ont gardé intact le culte de la Vénus ancienne, adorèrent uniquement les formes pleines et sans ombres, les contours nets, accusés lie la sorte dure et rigide qui caractérise la statuaire grecque.
Une ombre dans Sémiramis l’a révolté.
Un chien qui est dans l’eau trouble l’eau, et ne saurait y voir l’ombre de sa proie.
Voyez cette foule d’esprits incoercibles et véloces sortis de la tête de Bouchardon et accourants à la voix d’ Ulisse qui évoque l’ombre de Tirésias .
Notre experience sçait dissiper en un moment bien des ombres de difficultez que le raisonnement seul ne viendroit peut-être point à bout d’éclaircir.
Il vit que cette nature si riche avait des rapports avec lui ; les astres lui prêtaient leur lumière ; des fruits naissaient sous ses pas, ou se détachaient des branches pour le nourrir ; les arbres le protégeaient de leur ombre et offraient un asile à son repos ; les cieux, pendant son sommeil, semblaient se couvrit d’un voile, et n’envoyaient à son séjour qu’une lumière douce et tranquille.
On n’osait approcher ; on n’osait même adresser la parole à un prince toujours caché dans l’ombre, et fuyant les regards, et qui ne sortait de sa profonde solitude que pour faire de Rome un désert.
« Ô toi, dit-il, soit que, porté à travers les cieux sur le char de la gloire, à la hauteur où montent les grandes âmes, tu dédaignes la terre et te ries des tombeaux, soit que tu habites, aux bords élyséens, le bocage de paix où s’assemblent les guerriers de Pharsale, et que les Pompée et les Caton accompagnent ton noble chant ; soit que, fière et sacrée, ton ombre ignore le Tartare, et que tu entendes de loin les supplices des méchants, et n’aperçoives que derrière toi Néron, pâle sous le regard irrité de sa mère, apparais-nous dans ton éclat !
La pâleur lumineuse du ciel perçait entre leurs branches, et, sur les ruisseaux rayés par leurs ombres, la lune secouait une draperie d’argent. […] Ils descendent en des creux ou le soleil ne pénètre pas, et font une ombre sépulcrale. […] Mais, jusqu’à cinquante ans, elle avait été la plus belle personne du siècle ; sa grâce était encore la même, et sa pureté n’avait jamais été ternie par l’ombre d’un soupçon. […] Comment amener un rayon de lumière sur cette foule que l’ombre a recouverte et qui semble être descendue pour toujours dans les profondeurs de l’oubli ? […] Il a laissé un peu dans l’ombre le faiseur et le charlatan, le gamin et le polisson.
Intelligence platonique, vivant au pur soleil des idées, il ne voyait volontiers dans ce flambeau de notre univers qu’une, lanterne de plus, un moment allumée pour la caverne des ombres. […] Le panégyriste s’étend un peu sur les anecdotes d’enfance, puerilia : un jour, on trouva l’enfant occupé à souffler de toutes ses forces le feu dans une chambre sans lumière : « Je travaille, dit-il, pour faire revenir mon nègre », il appelait ainsi son ombre. — Eugène fut un enfant préservé. […] Il n’était pas homme, comme les mystiques, comme Saint-Martin et les autres, à supposer je ne sais quelle petite Église secrète et quelle franc-maçonnerie à voix basse, dont le sacerdoce catholique n’eût été qu’un simulacre sans vertu, une ombre dégradée et épaissie. […] On y regardera désormais à deux fois, on s’avancera en vue du brillant et provoquant défenseur, sous l’inspection de sa grande ombre. […] Nous donc, son disciple aussi, son disciple libre et respectueux, si notre voix avait la moindre valeur en tel sujet, au milieu de voix si hautes et si imposantes, nous lui dirions : « Consolez-vous, Ombre illustre !
S’il n’était pas exaltant d’évoquer les ombres des grands hommes sur le sol même qu’ils foulaient autrefois, la poésie de la nature et celle de l’histoire ne seraient donc que chimère et que mensonge. […] Il ne pose pas sa personnalité et ne projette pas son ombre au loin, comme Chateaubriand ; mais son abdication n’est qu’apparente. […] les choses de ce monde s’évanouissent comme l’ombre… Tu te souviendras, n’est-ce pas, de ta pauvre petite Isabelle ? […] J’aurai passé dans ta vie comme une ombre… Mon bien aimé, je te pardonne ! […] Sans hâte, gravement, ces éclatants cortèges traversaient le village pour s’enfoncer dans l’ombre d’une grange où se tenait la fête.
La première, Rêve d’enfer, qui se passe dans le monde des démons, conte, au milieu d’une diablerie naïve, l’histoire d’un homme qui n’a pas d’âme, comme Schlemihl n’avait pas d’ombre. […] La casquette de Charbovari, « cette énorme casquette qui étend son ombre sur le papier de son voisin ». […] Ainsi quand elle vient de s’abandonner à Rodolphe : « Les ombres du soir descendaient, le soleil horizontal, passant entre les branches, lui éblouissait les yeux. […] Sur la fosse, entre les sapins, un enfant pleurait, agenouillé, et sa poitrine, brisée par les sanglots, haletait dans l’ombre, sous la pression d’un regret plus doux que la lune et plus insondable que la nuit. […] Flaubert, en y ressuscitant des jours écoulés, jette un filet sur sa vie antérieure, nous donne une ombre, une idée des mémoires qu’il n’a pas écrits, et de la couleur sous laquelle lui revenait le passé.
Ces grandes ombres y étaient déjà si connues qu’elles ne s’y trouveront pas dépaysées. […] Sur mon rideau j’ai vu passer une ombre ; Elle vint s’asseoir sur mon lit. […] Elle dépoétisera l’arc-en-ciel, comme jadis elle fit pour la tendre Lamia, qui s’est dissoute en une ombre… » (Keats, Lamia.) […] Plus sombres et plus sombres les ombres s’accumulent. […] Voilà, je crois, tout ce qu’il y a d’essentiel à la poésie. » C’est lui qui, continuant d’une marche assurée, a critiqué Homère, a montré qu’il était plein de défauts, l’a massacré pour l’embellir, a resserré en douze chants les vingt-quatre chants de l’Iliade ; et encore a-t-il fait comparaître l’ombre d’Homère, pour le féliciter personnellement, lui, La Motte, d’avoir accompli un si beau travail.
Il songeait à Thérèse, il songeait à ces vies trop parfaites qui se corrompent sitôt qu’elles sont sorties de l’ombre. […] Il n’y a là, du reste, pas même une ombre de romantisme, puisqu’au lieu d’affranchir trop l’individu, il l’étouffe sous un couvercle de plomb. […] Le Cœur innombrable avait excité une surprise ravie ; l’Ombre des jours et les Éblouissements avaient confirmé et encore accru ce premier triomphe. […] faut-il que mes yeux s’emplissent d’ombre un jour ! […] Mon domaine à moi est celui du soleil, et vous ne détruirez ni l’eau, ni les palmiers, ni la fleur du rosier, ni l’ombre du cyprès.
Nul détail, aucune lueur, l’ombre partout. […] Flaubert ne fait pas même « petit » : si Mâtho a l’épaisseur et la solidité d’un éléphant, Narr’Havas n’a pas plus de consistance qu’une ombre. […] Flaubert est comme descriptif, il faut répéter ce que nous avons dit plus haut : il est curieux, soigneux, patient ; mais de création et de génie, pas l’ombre. […] Non seulement ils ne veulent pas qu’on soupçonne en eux ombre d’émotion, mais ils ne veulent pas être émus ; bien plus, ils seraient désolés d’émouvoir ! […] Pas l’ombre d’une image où se reposer l’esprit, fatigué par ce vide et ce néant !
» ajoute-t-il, « dans cette atmosphère de pureté et de repos, sous cette ombre et ce recueillement, je me pourrissais, petit à petit, sans qu’il en parût rien, comme une nèfle sur une paille. […] Leurs ombres l’effleurent, la surveillent. […] Sa distraction morne est de regarder, balancée à son fil, une araignée, créature précaire comme lui, ou bien, projetée sur le mur du fond par ce soupirail, l’ombre mouvante des passants. […] » dit-il ailleurs, « j’ai su, dans mon antre sombre, ce que le Juif rêvait en bâtissant des pyramides, abrité sous son ouvrage commencé ; ce que l’homme du moyen âge songeait en menant son sillon dans l’ombre de la tour féodale ! […] … Des ombres sortaient alors des ténèbres de sa mémoire, sveltes fantômes des armes depuis longtemps disparues.
Mais pas de père sur qui ne plane l’ombre du sac et du bâton, avec Scapin dans la coulisse. […] Ou des fleurs au printemps, ou du fruit en automne, L’ombre l’été, l’hiver les plaisirs du foyer. […] Né dans l’ombre des statues, il en est évidemment sorti, mais les gouttes de cette ombre se mêlent encore à son soleil. […] Les jeunes catholiques se méfient de l’ombre de Chateaubriand. […] Mallarmé fut une de ces personnalités dont une ample Vie à l’anglaise, écrite par qui de droit, éclairerait patiemment le visage que j’ai laissé, par incompétence, dans une ombre presque impersonnelle.
Pour moi, je suis une ombre, et je t’ai dit maintenant tout ce que je pouvais te dire en si peu de paroles. […] Que signifie cette passion pour les ombres ? […] Lorsqu’on découvrit, en 1840, le portrait de Dante par Giotto, sur la muraille d’un vieux palais qui sert aujourd’hui de prison, Giusti adressa des vers à l’ombre du grand Florentin. […] Elle ne reproche pas en face à l’homme heureux le bonheur dont il jouit ; elle va choisir, dans l’ombre, un homme justement ignoré, et tâche d’appeler sur lui l’attention de la foule. […] Après avoir lu les citations qu’il prodigue, il est impossible de conserver l’ombre d’un doute sur la valeur politique de cette loi.
Si le premier Consul avait eu l’ombre de philosophie dans sa politique, c’était là le seul concordat qu’il y eût à faire entre Rome et lui. […] Les diplomates y trouveront des monuments de diplomatie savante, admirablement scrutés et éclairés d’un jour qui ne laisse rien dans l’ombre ; mais la masse des lecteurs superficiels, qui s’attache exclusivement aux événements et aux hommes, laisseront ces riches études aux érudits. […] « On verra, dit le premier Consul dans cet accès d’éloquente colère, quels ménagements peut mériter une famille… » (La famille des Bourbons, dont l’ombre lui fermait encore l’accès du trône sur lequel il méditait de s’asseoir bientôt après cet événement.)
* * * — Dans une lettre de Flaubert à Mme Sand, mon ami dit qu’il me voit uniquement préoccupé de coller, dans mes livres, un mot entendu dans la rue, et proclame qu’il n’y a absolument au monde parmi les hommes de lettres que lui, pour savourer « l’ombre nuptiale » de Ruth et Booz. […] Mais aussitôt, c’est l’avenue de l’Opéra, ce sont les boulevards, avec les enchevêtrements de milliers de voitures, la bousculade des trottoirs, les populations tassées au haut des tramways et des omnibus, le défilé à pied ou en voiture de cette innombrable humanité d’ombres chinoises, sur les lettres d’or des industries des façades ; avec dans la nuit l’éveil agité et pressé, le mouvement, la vie d’une Babylone. […] Comme les Rothschild ont épuisé tous les genres de chasse, et qu’il n’y a plus de bête sur la terre, qui les intéresse à chasser, on promène, le matin, une peau de cerf dans le bois, et avec des chiens au nez tout particulier, on chasse, tout l’après-midi, cette odeur de bête absente, dans une sorte de poursuite d’une ombre.
. — On dit souvent du mal de vous (c’est à Mme de Staël qu’il écrit) ; mais un mot de vous-même pèse des volumes de ce que ces gens-là peuvent dire, et les mots ne font pas plus d’effet sur l’opinion qu’on a de vous que les coups des ombres n’en pouvaient faire dans les enfers sur Énée ou sur Hercule. — Je n’ai jamais entendu louer quelqu’un de distingué sans y ajouter de mais. […] Il me semble que nous ne sommes que des ombres jusqu’au moment où nous aimons ; là commence la réalité.
Montaigne qui a passé sa vie à faire son portrait ne s’est pas montré à nous plus à nu, et ne s’est pas livré surtout avec une plus entière bonne foi : il n’y a pas ici ombre de coquetterie comme chez Montaigne. […] S’il y a l’ombre d’un inconvénient, ne me le dites pas. » Mes articles faits et publiés (ceux qu’on vient de lire), le digne ami de Tocqueville et qui était bien près alors d’aller le rejoindre lui-même, aussitôt sa lâche pieuse accomplie, M. de Beaumont m’écrivait de Tours, a la date du 6 janvier 1866 : « On dit que les auteurs ne sont jamais complètement satisfaits de ce qu’on publie même de plus louangeur sur leurs œuvres.
Vers 1672, la Trappe était arrivée à sa haute perfection, à sa pleine renommée monastique, et un monument original de plus s’ajoutait dans l’ombre à l’admirable splendeur qui éclaire ce moment de Louis XIV. […] Quelle aimables ombres verrais-je dans les temps à venir ?
Près du drapeau que dans l’ombre on replie, Au fond du verre où l’infortune oublie, Autour du punch et des jeunes gaîtés, Même au cou nu des folâtres beautés, Oh ! […] Dans l’action que ton génie épouse, Si, du champ clos sentinelle jalouse, Prompt au clairon, et, pour trêve aux assauts, Ne l’égarant qu’aux plus voisins berceaux, Tu hantais peu les ombres des vallées, L’esprit lointain des cimes non foulées, Silence !
La révolution de Juillet, en brisant, du moins en droit, le système insoluble de la Restauration, a permis à M. de La Mennais de se produire enfin politiquement dans une pleine lumière : après sa mémorable série dans l’Avenir sur la réorganisation catholique et sociale, il n’est plus possible à un lecteur de sens et de bonne foi de garder l’ombre d’un doute aujourd’hui. […] « Pendant qu’ils passaient, mille ombres vaines se présentèrent à leurs regards : le monde que le Christ a maudit leur montra ses grandeurs, ses richesses, ses voluptés ; ils les virent, et soudain ils ne virent plus que l’éternité.
… Dans une pièce de vers qui obtint, il y a peu d’années, le prix à l’académie de Lausanne, je trouve ces beaux traits de nature ; il s’agit d’un voyageur : Il voit de là les monts neigeux Et les hauts vallons nuageux : Puis il entend les cornemuses Des chevriers libres et fiers, Perdus dans la pâleur des airs Par-dessus les plaines confuses ; et cette autre gracieuse peinture des ébats auxquels se plaisent les nains et les sylphes de la montagne : Sur les bords de l’eau claire, à l’ombre des mélèzes. […] Car c’est le repentir d’avoir aimé trop peu Qui, de l’exil, vers vous la rappelle angoissée, Comme une ombre sortant de sa tombe glacée, Surprise par la mort sans avoir fait d’adieu.
Dante l’a bien senti, lorsqu’il le place, non pas dans le groupe des poëtes païens au chant IV de l’Enfer, mais à titre de chrétien (ce qu’il suppose), dans deux chants à part du Purgatoire (XXI et XXII), plus seul alors en face de Virgile, nommant Virgile avec amour, sans savoir que c’est à lui qu’il parle, souhaitant de l’avoir vu au prix même d’une journée de plus dans les limbes, tombant à ses pieds dès qu’il l’entend nommer, et oubliant, dans cet élan d’embrassement, qu’il n’est qu’une ombre devant une ombre !
Il va sans dire que nulle ombre d’unité, au sens classique du mot, n’existait dans de telles pièces. […] C’est moins parce qu’on rit des dupes que par la façon dont on en rit, absolument de tout cœur et sans arrière-pensée, ni ombre de restriction, que l’insuffisance morale de la pièce éclate.
Il lui dit : « L’ombre du Terrible 2 m’a adopté, et de son tombeau m’a nommé Démétrius. […] Dans l’ombre, parmi les poteaux, se balance un cadavre suspendu à une traverse de chêne.
Et, dans la Chevauchée, des banalités telles que celles-ci : Sa vie avait une ombre de tristesse. […] L’ombre scelle d’un doigt les lèvres du Silence : Je vois fleurir des fleurs de roses à ta main, Et par-delà ta vie autre et comme d’avance De grands soleils mourir derrière ton Destin.
Nous avons songé aux préjugés d’éducation de quelques-uns d’entre eux, au cerveau peu développé de leur chef, relaps fanatique et obstiné des conspirations de 1804, blanchi avant l’âge sous l’ombre humide des prisons d’État, aux nécessités fatales de leur position commune, à l’impossibilité d’enrayer sur cette pente rapide où la monarchie s’était lancée elle-même à toute bride le 8 août 1829, à l’influence trop peu calculée par nous jusqu’alors de la personne royale, surtout à la dignité que l’un d’entre eux répandait comme un manteau de pourpre sur leur malheur. […] N’est-il pas vrai que, tandis qu’il écrit, sous sa table, dans l’ombre, il a probablement le bourreau accroupi à ses pieds, et qu’il arrête de temps en temps sa plume pour lui dire, comme le maître à son chien : — Paix là !
Écartant d’une main les ombres d’un passé néfaste, Michelet découvre à nos yeux la forme vivante et frémissante de l’humanité que nous sommes, faisant jaillir de sa libre fécondité sa vie physique et spirituelle, nourrie elle-même de ses divines énergies qui la font renaître, enfin consciente de ses éternelles richesses. […] Quand nous voyons un enfant approcher naïvement la main d’un charbon rouge, nous saisissons le bras de l’enfant pour arrêter son geste, sans l’ombre d’une hésitation, d’un élan de libre sympathie, en obéissant à la plus nette, à la plus positive impulsion.
Seulement la pauvre alouette ne chantait jamais. » Il montre Cosette qui travaille, et qui regarde jouer les enfants de Thénardier, Cosette qui tremble quand on lui parle, Cosette à qui la marâtre commande d’aller, la nuit, puiser de l’eau dans la forêt, et qui a peur des branches, de l’ombre, du silence, Cosette qui rencontre dans les bois Jean Valjean, un étranger cependant, et qui a tout de suite confiance, Cosette, à qui l’inconnu, entré avec elle dans l’auberge, donne une poupée, et qui n’ose pas croire d’abord à la joie, et puis s’abandonne au rêve de ses six ans, saisit la poupée, et l’endort avec des gestes et un recueillement maternels. […] Autour de moi, des abricotiers, non pas grêles et difformes comme ceux de nos vergers, mais des arbres de haute venue, aux formes pleines, aux feuilles luisantes et groupées en corbeilles ouvertes, couvraient le sol de leur ombre étoilée.
Quelle poésie légère, insaisissable, dans ce chœur des Nuées : « Nuées éternelles133, élevons-nous, dans notre mobile et vaporeuse essence, du sein paternel de l’Océan tumultueux, sur les cimes ombragées des hautes montagnes, d’où nous voyons au-dessous de nous de lointaines perspectives, et la terre sacrée fertile en moissons, et les frémissements des fleuves divins, et la mer bruyante ; car l’œil infatigable de l’éther brille d’une éclatante lumière ; et, quand nous avons écarté l’ombre épaisse des pluies, nous donnons à nos regards qui percent au loin, pour vision éternelle, la terre…. […] Mais toi qui fais si bien résonner sur la lyre les doux sons du printemps, commence pour nous des anapestes : « Ô vous, hommes, plongés dans les ténèbres de la vie, semblables à une génération de feuilles, êtres imbéciles, fange animée, foule insaisissable et pareille à une ombre, êtres éphémères sans plumes, misérables mortels, hommes qui ressemblez à des rêves, songez à nous, race immortelle, à nous, vivant toujours dans notre vie aérienne, exempte de vieillesse, contemplateurs des choses éternelles : et, de la sorte, ayant une fois appris de nous la vérité sur le monde céleste, connaissant à fond par moi l’essence des oiseaux, la filiation des dieux et des fleuves, de l’Érèbe et du Chaos, vous direz de ma part à Prodicus de désespérer du reste.
L’Ombre de Napoléon projetée sur les nuages grossissants de l’horizon de l’avenir, voilà pour la réalité historique ; une inspiration orientale nous arrivant à travers les Nibelungen, et faisant pour la première fois invasion dans notre poésie, c’en est assez le caractère littéraire.
Cet homme eut l’oppression des montagnes sur le cœur ; il en eut la noble infirmité et le chaos dans les hasards de ses délirants systèmes ; il en eut les contours et la virginité dans le galbe sans soleil de son style blanc et terne. » Mais c’est en entrant dans le Valais seulement que l’on comprend bien certaines descriptions désolées d’Oberman et ces contrées d’un amer abandon : le pays et le livre s’expliquent l’un par l’autre, et je me suis dit tout d’abord à cette vue : Et l’ombre des hauts monts l’a durement frappé !
Seulement, dans l’ombre, en province, çà et là se ralliaient à cette nuance quelques autres jeunes hommes comme eux.
S’il a des platanes et le loisir de se promener à leur ombre, il peut, comme ce naïf Bornier, se frapper fièrement la poitrine et se déclarer : « C’est un académicien qui se promène sous mes platanes !
Point de jugement, point de conduite dans la contexture ; nulle ombre de vraisemblance dans les situations.
Après avoir dit que Roscius plaçoit des ombres dans son geste pour relever davantage les endroits qu’il vouloit faire briller, il ajoute : le succès de cette pratique est si certain que les poëtes et les compositeurs de déclamation s’en sont apperçûs comme les comediens.
L’étendue est immense et les champs n’ont point d’ombre, Et la source est tarie où buvaient les troupeaux, La lointaine forêt dont la lisière est sombre Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.
Il n’a pas effacé de son front ce grand et beau reflet de Dieu, qui s’y débat contre les ombres du doute quand tous les autres l’ont éteint sur le leur.
ou n’êtes-vous qu’une ombre ? […] Il n’appartenait qu’à l’exquise sensibilité de Virgile d’offrir un tableau si vrai des mœurs spéciales de l’exil et de l’affliction : la tristesse se plaît à se figurer les objets qu’elle a perdus : elle s’amuse à faire revivre en des simulacres et par des monuments l’ombre des morts et l’aspect des grandeurs en ruines. […] En vain un savant père s’efforce-t-il à nous dévoiler les trois vertus théologales sous l’emblème des trois Grâces, et les autres figures mystiques sous l’allégorie des nymphes de la fable : si l’obscurité de ce système symbolique n’empêchait pas même d’entrevoir l’ombre des saintetés qu’il explique avec tant de bonne foi, le ridicule des fictions du poème éclaterait plutôt que leurs beautés. […] Les voilà marchant dans l’ombre, et cherchant à travers les dangers, et dans la foule des morts, le précieux cadavre de leur maître. […] Son Atayde ses amis n’étaient plus : il ne lui restait qu’un serviteur indien qui descendait chaque soir quêter dans l’ombre pour la nourriture de son maître.
Nous descendions doucement un escalier étroit où l’ombre paraissait de glace… Nous étions seuls. […] Et sur le sol de feuilles mortes, sur cette tombe des automnes, les ombres marchaient. Cendres, fumées et ombres paraissaient ici suivre la grande loi. […] Le moment est beau avec quelques ombres. […] Dans quelques heures je ne serai plus pour vous qu’une ombre qui aura passé.
Peu à peu l’œil s’y fait, comme il se fait à l’ombre. […] Ou bien les objets sont si gigantesques, qu’on ne peut les voir tout entiers, et qu’il en reste des parties dans l’ombre ; ou bien ils sont si parés, que leur parure les écrase ; ou bien, si ténus et si vaporeux, qu’ils n’ont de réalité que dans l’imagination du poète. […] Jamais peut-être… En attendant, vaine ombre, Oublié dans l’espace et perdu dans le nombre, Je vis. […] Admettez donc tout de lui, on bien n’en admettez rien, — ce qui est permis à tout le monde, après tout ; car le poète et le siècle sont deux solitaires qui marchent dans des voies opposées, et qui se cherchent dans l’ombre. […] Vous-même, dites-le-moi, auriez-vous déchiré, je ne dis pas votre charmante réponse, je ne dis pas un de vos bons feuilletons, mais quelques feuillets seulement de vos œuvres les plus légères, pour ne pas faire ombre à ces deux actes que je n’ai point prévus ?
La poésie la plus claire doit toujours laisser dans l’ombre et voiler de mystère quelques-uns des sentiments qu’elle exprime. […] Cette foule qu’il croit indifférente n’a pas appris sans tristesse qu’il lui faudrait bientôt dire adieu à l’ombre séculaire de ses forêts. […] La terre, selon M. de Lamartine, projette son ombre sur l’étoile du Christ, et voilà pourquoi le Christ s’obscurcit à nos yeux. […] Jusqu’à présent, nous avions cru que, pour apercevoir l’ombre projetée sur un corps céleste par un corps de même nature qui venait à passer devant lui, il fallait de toute nécessité être placé sur un troisième corps différent et distant des deux premiers. […] Si cette ode date vraiment de 1827, si elle précède de trois ans la publication des Harmonies, il est fort à regretter qu’elle ait quitté l’ombre hospitalière du portefeuille où elle était enfouie.
C’est le rêve d’une ombre. » On a cru voir aussi dans Hésiode, Simonide, Euripide, Sophocle, des indices de mélancolie. […] Au milieu de cette mise en scène un peu monotone, se meut un monde fantastique, où les ombres des héros qui ne sont plus se mêlent à la vague personnalité de leurs descendants. […] Tout l’alimente : « la fable et le roman, Didon, Tancrède, Héloïse, Werther, Paul et sa Virginie. » Elle aime l’ombre des bois, les bords d’un ruisseau, le coucher du soleil, les aspects de l’automne ; elle chérit les ruines, et plus particulièrement les cimetières. […] En lui tout est uniforme, et une ombre de mélancolie enveloppe sa vie entière et ses écrits. […] Il résolut enfin de quitter sa patrie… Rassasié de plaisirs, il soupirait presque après le malheur : pour changer de théâtre, il serait descendu volontiers même dans le séjour des ombres. » Tel est l’état de spleen dans lequel il entreprend son pèlerinage où je ne le suivrai pas.
« Un cheveu même a son ombre », dit Mahomet. […] Plus l’arbre est fort, plus il fait d’ombre. […] Le soleil et les bois, dans ces bocages sombres, Des feuilles sur leurs fronts faisaient flotter les ombres. […] Oui, avec de l’ombre dessus ; cela fait repoussoir, en même temps que c’est poétique : ne se prend-on pas à rêver, sitôt qu’on est en nacelle sur un lac ? […] Léonard de Vinci disait que rien n’enseigne mieux au peintre le jeu de la lumière et de l’ombre, que de modeler d’abord en terre.
De ses yeux, de sa vue, il ne se plaint point, et dit qu’il n’aime que les pays de soleil, qu’il n’a jamais assez chaud, qu’il s’est trouvé à un autre voyage, dans le Sahara, au mois d’août, et où il faisait 53 degrés à l’ombre, et qu’il ne souffrait pas de cette chaleur. […] Et c’était d’un grand effet, avec l’éclairage d’un quinquet à droite, laissant tout le bas des corps des figurants dans l’ombre, et leur sabrant la figure d’un coup de lumière de la tonalité blafarde, qui se trouve dans les têtes du fond des lithographies des courses de taureaux de Goya. […] Il me serait peut-être donné de composer un volume, ou plutôt une série de notes, toutes spiritualistes, toutes philosophiques, et écrites dans l’ombre de la pensée. […] Et l’admirable et dévote statuette de la Prière, que cette femme, la tête au ciel, dans cette tombée toute droite de sa robe, avec l’ombre de sa coiffe sur les yeux, et les mains jointes à la hauteur de sa bouche dans un mouvement de supplication. […] ce rire dans ces bouches bordées de lèvres, comme on en voit dans les masques antiques, et encore ces têtes avec des oreilles semblables à des ailes de chauve-souris, et avec l’ombre endormie et heureuse qu’elles ont sous leurs paupières fermées, et avec l’épatement sensuel, et avec la léthargie jouisseuse d’un sommeillant en une pollution nocturne… Tout ce monde de pierre a quelque chose d’hallucinatoire qui vous retire de votre temps et de votre humanité.
. — Lhermitte : de vieilles rues normandes, au puissant écrasis de pastel, balafrées en leur ombre bleuâtre, de coups de soleil dorés. […] Une planche très remarquable est une lithographie de Lunois, intitulée : « Danseuses espagnoles avant la danse. » Une planche du plus grand caractère, échappant à l’imitation japonaise, par l’intensité des tons, le bleu cru du fond, le jaune, le rouge franc des robes, les noirs d’ombre nocturne, en pleine figure. […] Une petite merveille du clair-obscur, c’est l’aquarelle de Jésus devant Pilate, intitulée : Premier entretien. — Oui, dans la demi-nuit, que l’Orient aime à faire dans les lieux qu’il habite, pendant la chaleur du jour, la robe blanche de Pilate est seulement éclairée par la grande baie au treillis de fer, et là se devine plutôt que ne se voit, la maigre silhouette du Christ, les mains liées derrière le dos, comme une apparition, dans l’ombre rosâtre d’une tunique, couleur de rose desséchée. […] Et cette remarque, ne l’avez-vous pas faite à Paris, par les beaux jours, de juin, et ne trouvez-vous pas que, ces jours-là, le visage de la Parisienne éclaire l’ombre des rues ? […] C’est comme fond, un blanc qui vous donne la sensation de la neige, et là-dessus, des oiseaux bleuâtres, ayant l’air de l’ombre portée de ces oiseaux, sur des glaciers.
Le commandant Dommartin, dans ses Lettres, rapporte que ces Marseillais, emportés par une fugue irrésistible, « disparaissaient comme des ombres chinoises ». […] Laissons-le donc conter sa haine Et répandre son ombre vaine Sur tes braves ensevelis ! […] À l’ombre des sapins, la terre est feutrée d’une mousse couleur d’émeraude, qui repose les yeux et amortit le bruit des pas. Les sentiers, rayés de soleil et d’ombre, s’enfoncent sous les feuillages tremblants et grimpent, en souples sinuosités, à l’assaut des cimes. […] Le scholar, récemment affranchi du quartier latin, se grisait d’arômes et de couleurs, de lumière et d’ombre, de magnificence et de beauté.
. — Les ombres frémissent sur les routes de l’Enfer, — jusqu’à ce que le feu de Surtr — ait dévoré l’arbre. — Le nocher Hrymr s’avance de l’Orient, un bouclier le couvre. — Izrmungandr se roule — avec une rage de géant. — Le serpent soulève les flots, — l’aigle bat des ailes, — l’oiseau au bec pâle déchire les cadavres. — Le navire Naglfar est lancé. — Surtr arrive du Midi avec les épées désastreuses. — Le soleil resplendit sur les glaives des dieux héros. — Les montagnes de rochers s’ébranlent, — les géantes tremblent. — Les ombres foulent le chemin de l’enfer, — le ciel s’entr’ouvre. — Le soleil commence à noircir, — la terre s’affaisse dans la mer. — Elles disparaissent du ciel, — les étoiles brillantes. — La fumée tourbillonne — autour du feu destructeur du monde. — La flamme gigantesque joue — contre le ciel même. » Les dieux périssent tour à tour dévorés par les monstres, et la légende céleste, lugubre et grandiose ici comme l’histoire humaine, annonce des cours de combattants et de héros.Nulle crainte de la douleur, nul souci de la vie. […] Ils allèrent vers la bauge, dans un endroit désert, refuge des loups, près des promontoires où le vent souffle, où « un torrent des montagnes se précipitant sous l’obscurité des collines, faisait un flux sous la terre. » « Les bois se tenant par leurs racines avançaient leur ombre au-dessus de l’eau. […] Chaque fois qu’il y pense, il la voit intérieurement, comme une rapide apparition lumineuse, et chaque fois sous une face nouvelle, tantôt ondulant sur les vagues limoneuses entre deux bandes « d’écume », tantôt allongeant sur l’eau son ombre énorme, noire, haute comme celle « d’un château, « tantôt enfermant dans ses « flancs caverneux » le fourmillement infini des animaux entassés.
Chateaubriaud a fait le sien ; il faut l’entendre, dans ses Mémoires, nous décrire ce prodigieux événement et s’efforcer d’en exprimer le grandiose à force d’images, il veut nous montrer Napoléon en marche, qui s’avance sans rencontrer d’obstacle : « Dans le vide qui se forme, dit-il, autour de son ombre gigantesque, s’il entre quelques soldats, ils sont invinciblement entraînés par l’attraction de ses aigles.
Ici il n’y a qu’ombre et noirceur.
retirées, et c’est tout si parfois, à travers les sables, sous l’aride chaleur ou le froid mistral, je trouve un instant à m’asseoir à l’ombre d’un rare tamarin.
Si l’invraisemblance n’avait pas eu lieu, si le duc de Richelieu avait reconnu, dès le second pas dans l’ombre, qu’il était mystifié, le troisième acte devenait tout différent, ou plutôt il n’y avait plus de troisième acte, mais seulement une dernière scène comique, un changement de tableau.
Ainsi, au premier acte, Cosima, qui n’entend parler depuis quelques jours, et à son oncle le chanoine, et à sa soubrette, que de son honneur à elle qu’Alvise son mari doit défendre, Cosima, ennuyée, excédée de cette surveillance qui la froisse comme femme de bien, et qui la tente comme toute fille d’Ève, s’écrie avec un sentiment douloureux d’oppression et en se dirigeant vers la fenêtre où elle apercevra peut-être l’ombre d’Ordonio ; « L’air qu’on respire ici depuis quelque temps est chargé d’idées blessantes et de paroles odieuses. » Si on murmure à une telle phrase au lieu d’applaudir, il faut renoncer, j’en demande pardon aux puristes du parterre, à faire parler la passion moderne au théâtre et à y traduire la pensée en d’énergiques images.
À travers tant de dangers, il persista à ne prendre pour guide que les maximes d’une piété superstitieuse ; mais c’est à l’époque où la religion seule triomphe encore, c’est à l’instant où le malheur est sans espoir, que la puissance de la foi se développa toute entière dans la conduite de Louis ; la force inébranlable de cette conviction ne permit plus d’apercevoir dans son âme l’ombre d’une faiblesse ; l’héroïsme de la philosophie fut contraint à se prosterner devant sa simple résignation ; il reçut passivement tous les arrêts du malheur, et se montra cependant sensible pour ce qu’il aimait, comme si les facultés de sa vie avaient doublé à l’instant de sa mort, il compta, sans frémir, tous les pas qui le menèrent du trône à l’échafaud, et dans l’instant terrible où lui fut encore prononcé cette sublime expression : Fils de Saint Louis, montez au Ciel.
Le tout n’est pas, surtout pour vous, de pénétrer l’homme à fond, de mesurer sa grandeur ou de démêler sa complexité : c’est d’avoir et de donner la sensation du vivant : c’est d’avoir vraiment pris son contact ; et l’eût-on vu de profil, n’en eût-on vu que l’ombre, cela vaudrait mieux encore que d’avoir calqué une photographie antérieure.
votre récente victoire a dû vous détendre), je vous répéterais, sans ombre d’ironie, ce que je disais il y a un an : « La susceptibilité des hommes de lettres est, quand on y réfléchit, bien misérable… Pourquoi tant souffrir d’appréciations qui ne nous atteignent ni ne nous diminuent dans ce qui nous devrait seul importer, j’entends notre valeur morale ?
Comme il a parlé « de cette chaude jeunesse, arbre à la rude écorce, qui couvre tout de son ombre, horizons et chemins !
Edmond Rostand nous apporta Les Romanesques, et l’on se rappelle l’effet de surprise heureuse que firent sur les spectateurs ces vers amoureux, ces vers délicieux murmurés par deux fiancés de dix-huit ans, à l’ombre d’un vieux mur, sous la joubarbe et les aristoloches.
Des ombres traversent rapidement la cour inondée et viennent échouer dans le couloir avec un froissement d’étoffes mouillées, un bruit sec de parapluies refermés brusquement.
Ce n’étaient pas des poètes méconnus qu’une gloire soudaine sortait de l’ombre.
Puis, quand il se voit dans l’impossibilité de réaliser cet idéal multiple, quand il voit cette vie si courte, si partagée, si fatalement incomplète, quand il songe que des côtés entiers de sa riche et féconde nature resteront à jamais ensevelis dans l’ombre, c’est un retour d’une amertume sans pareille.
Quels faits met-il en vedette, quels autres laisse-t-il dans l’ombre ?
Les derniers traits de l’ombre empêchent qu’il ne voie Le filet….
Point de nuit ; scène de nuit peinte de jour ; la nuit, les ombres sont fortes, et par conséquent les clairs éclatans ; et tout est gris.
C’est un soir d’automne en Asie, peut-être plus triste à tout ce soleil que s’il se mourait dans les ombres.
Le Romantisme, ce Résurrectionniste, en ravivant, aux lueurs de son flambeau, toutes les gloires du seizième siècle, de ce siècle que le dix-septième et le dix-huitième, descendants ingrats de pères plus grands qu’eux, avaient cru pouvoir effacer, le Romantisme avait laissé dans l’ombre cette petite gloire d’une traduction qui est un bijou… Tous ou presque tous de ce siècle qui a la beauté d’une aurore, depuis Rabelais, Montaigne, Ronsard, d’Aubigné, Régnier, Amyot, Desportes, jusqu’à Mathieu, le splendide Pierre Mathieu, qui écrivait sous Henri IV et qui précéda immédiatement cette littérature, exécutée comme la Noblesse et dont Malherbe et Despréaux vont tout à l’heure être les Richelieu et les Louis XIV, tous avaient eu leur édition ou du moins leur page d’histoire ou de critique qui disait la nécessité ou la convenance de l’édition, comme on a la niche, en attendant la statue.
D’éloquence, il n’en avait pas l’ombre.
Or, voilà tout ce que nous savons à peine de Laïs ; voilà l’énorme découverte dont, avec l’ombre de son manuscrit grec, l’ingénieux Debay se sert pour nous ouvrir cette vie, jusque-là fermée et impénétrable, pour nous éclairer cette domination d’une femme sans mœurs qui a régné sur son époque, et qui n’a pas dit son secret !
Doctrinalement et de conviction, Ranke est toujours le même : un Allemand, un penseur politique, qui a plus ou moins vécu à l’ombre des philosophies de son pays.
Il est des gens qui s’y tromperont sans doute, qui prendront le mur plein d’ombre pour l’homme qui s’y appuie, la matière qui se montre, en ces poésies, pour l’âme qui s’y cache, et le dessus pour le dessous.
Hugo apportait plus de pitié, une foi panthéiste qui mettait en doute la philosophie courante en se bornant au témoignage de la nature pour reconnaître un Dieu ; il créait des sensations de bois, d’ombre, de rivières ; aussi il cherchait à rendre en des rythmes des sensations de musique et d’orchestre entendus. […] À côté de « il nous est permis de réaliser, désormais, de puissants fantômes, de mystérieuses présences mixtes… cependant ce n’est encore que du diamant brut, c’est le squelette d’une ombre attendant que l’ombre soit », pourquoi les inutiles descriptions de la chair artificielle, etc. […] Cette pièce n’est sans doute pas une des dernières écrites ; aussi, faut-il y voir, plutôt qu’une ombre jetée sur l’âme du poète par l’appétit de la mort, la préoccupation du tombeau ou quelque pessimisme, le souci simplement d’écrire une pièce aimable sur un sujet triste, ou même quelque narquoiserie de bon vivant en face de la Camarde. […] C’était bien, et voulu obstinément, le plongeon dans l’ombre, à moins qu’il n’ajournât tout après la conquête de cette indépendance qu’il se rêvait. […] Baudelaire se décourageait, et l’ombre paralysa des tentatives de romans, de contes, de poèmes de forme plus libre que celle qu’il avait pratiquée.
Il y a dans la petitesse de l’homme, dans la petitesse de sa terre, dans la brièveté de sa vie, quelque chose qui contraste singulièrement avec les énormes distances qu’il soupçonne, et les vastes intervalles de temps qu’il suppute et qu’il retrouve dans les ombres du passé. […] Le médecin et le philosophe poursuivent d’une égale réprobation ces hommes qui abusaient de la crédulité populaire pour vendre, les uns, une fausse médecine, les autres une fausse sagesse… Il fallait véritablement qu’Hippocrate eût été blessé du spectacle donné par l’effronterie des charlatans et par la crédulité du public pour insister auprès des médecins ses élèves avec tant de force, non pas seulement contre l’emploi d’un charlatanisme honteux, mais encore contre toute conduite dont le soin exclusif ne serait pas d’en écarter jusqu’à l’ombre la plus légère. […] Littré, par rapport à Auguste Comte : il lui a rendu, dans une suite de publications dont la dernière et la plus complète sortira tôt ou tard61, le même service, et plus grand encore, que celui que Dumont, de Genève, a rendu à Bentham : il l’expose, il l’éclaircit, et l’on peut dire que, s’il en reçoit un peu d’ombre, il lui rend de la lumière.
C’est au point que moi, qui n’ai plus depuis longtemps l’habitude de jouer, je commence toujours, avant d’aller dans mon coin, par bien regarder l’échiquier tel qu’il est au début, et c’est à cette première impression que je me rattache et que je reviens mentalement. » D’ordinaire, il ne voit ni le tapis vert, ni l’ombre des pièces, ni les très petits détails de leur structure ; mais, s’il veut les voir, il le peut. […] Puis, en m’éveillant sous la main qui me touche, je sens la figure s’effacer, se décolorer, s’évaporer ; ce qui m’avait paru une substance se réduit à une ombre. […] Sous cet effort, elle s’affaiblit, elle s’atténue, elle n’est plus qu’une ombre ; nous l’appelons image, fantôme, apparence, et, si vive ou si claire qu’elle puisse être, il suffit de cette négation qui lui est jointe pour la vider de sa substance, pour la déloger de son emplacement apparent, pour la distinguer de la vraie sensation.
La belle veuve et sa fille s’occupaient dans leur intérieur de quelques détails de ménage avec l’intendant, le majordome et les fermiers de la terre ; le chanoine disait sa messe ou lisait son office à l’ombre des longues allées de charmille du parterre ; le professeur annotait pour la centième fois son Arioste dans la bibliothèque, pavée de manuscrits. […] « Angélique s’arrête à la fin dans un délicieux bocage dont une brise légère fait frissonner les feuilles ; deux clairs ruisseaux murmurent à son ombre ; leur onde fraîche y fait verdoyer en tout temps des herbes tendres et nouvelles ; les petits cailloux dont leur courant était ralenti leur faisaient rendre une suave harmonie qui charmait l’oreille. […] Le jour, il faisait une large tache d’ombre sur la colline ; le soir, il rendait, en frissonnant au vent de mer, des frissons mélodieux qui faisaient chanter l’âme à l’unisson de ses branches dans la poitrine.
J’étais toujours sûr d’y voir quelque douce et belle fleur s’épanouir au soleil, et d’y rencontrer le vigilant roi-pêcheur en sentinelle à la pointe d’une pierre dont l’ombre se projetait au-dessus du limpide cristal des ondes. […] Puis il vola dans l’intérieur et en ressortit avec une rapidité incroyable : on eût dit le passage d’une ombre. […] Lisez cette description langoureuse des amours et des chants de l’oiseau moqueur : Quand le chant d’amour de l’oiseau moqueur perce les feuillages du magnolia de la Louisiane au vaste tronc et à l’immense coupole de verdure, l’Européen qui se rappelle l’hymne nocturne du rossignol tapi sous l’ombre des chênes ressent un secret mépris pour ce qu’il admirait autrefois.
En attendant, nous tiendrons la couronne suspendue sur deux trônes, quitte à couronner l’ombre pour la réalité, ou l’écho pour la voix. […] Cela dura jusqu’à quatre heures du soir ; alors la nuit commençait à venir, l’ombre entrait par les petites fenêtres, et songeant qu’il faudrait bientôt nous quitter, nous nous assîmes tristement près de l’âtre où dansait la flamme rouge. […] Sous la halle, dans l’ombre, nous nous arrêtâmes en nous embrassant.
. — Au dernier siècle encore, Nadir Shah faisait fustiger un arbre jusqu’à ce qu’on eût retrouvé des joyaux volés sous son ombre. […] Leurs types se résument dans ce roi de Ninive qu’une fresque assyrienne nous montre respirant longuement, les paupières closes, une fleur de lotus, tandis qu’un scribe accroupi numérote des têtes coupées au seuil de son trône. — Plus tard Xerxès, dans une vallée de la Grèce, devint amoureux d’un platane à l’ombre duquel il avait dormi. […] L’architecture de l’Acropole, d’une perfection si simple et si pure, dont chaque ligne a la souplesse d’un beau rythme, aurait-elle pu naître à l’ombre des Babels massives de l’Asie ?