Alphonse Allais fut un humoriste de génie et un écrivain de la plus savoureuse originalité. […] Car le singulier génie de déformation qui habitait le cerveau d’Alphonse Allais ne le rendit jamais impropre à la vie. […] Historien et philosophe, très lié avec Michelet et Quinet, il n’eut ni le violent génie du premier, ni même le talent fumeux du second. […] Il tient à ne pas aliéner sa clairvoyance et à la conserver intacte, ce qui semble lui être aisé, car Balzac, je le répète, s’il l’intéresse par son génie, ne le fascine pas par le spectacle des conditions dans lesquelles ce génie s’est développé. […] Les auteurs, qu’ils soient de génie ou de talent, ont tous un style, ou s’efforcent d’en avoir un.
La sagacité, l’expérience et le génie de ces philosophes politiques dépassent les Machiavel, les Montesquieu, les J. […] Mirabeau seul était grand politique, mais il était vicieux ; le vice chez lui a servi l’éloquence, mais il a vicié et stérilisé le génie. […] « Un enfant pur comme le cristal naîtra, dirent à la mère les génies protecteurs de la famille (l’esprit des ancêtres) ; il sera roi, mais sans couronne et sans royaume ! […] Dès sa naissance, la tendre superstition de ses parents remarqua des lignes de génie, de sagesse future et de faveur du ciel sur toute sa personne. […] Dieu, les génies, les ancêtres ne doivent pas être honorés d’une même façon ; il en est ainsi par rapport aux hommes avec qui l’on vit ; on ne doit pas rendre les mêmes honneurs aux citoyens investis de différentes dignités.
C’étaient quelques vers lyriques ; ils me plurent, mais sans m’enivrer : le génie du jeune homme n’était pas là ; le cadre était trop étroit pour son âme ; il lui fallait, comme à Jasmin, cet autre chanteur sans langue, son épopée pour se répandre. […] Et maintenant relisons, si vous voulez, une troisième fois ensemble ; je vais feuilleter page à page ce divin poème épique du cœur de la Chloé moderne avec vous ; vous jugerez si le charme qui m’a saisi à cette lecture vient de mon imagination ou du génie de ce jeune Provençal. […] Il y respire une pureté d’images, une verve de bonheur, une jeunesse de cœur et de génie qui ne peuvent avoir été écrites que par un poète de vingt ans. […] Bien des génies littéraires morts ou vivants ont évoqué dans leurs œuvres leur âme ou leur imagination devant nos yeux pendant des nuits de pensive insomnie sur leurs livres ; nous avons ressenti, en les lisant, des voluptés inénarrables, bien des fêtes solitaires de l’imagination. […] Ces génies ne poussent qu’en plein air, ou en plein champ, ou en pleine mer.
Quoi qu’il en soit, on s’extasie de surprise et d’admiration quand on voit une terre qui a perdu l’empire du monde, puis sa propre liberté, puis ses dieux, puis sa langue même ; une terre qui avait produit Cicéron, Horace, Virgile, reproduire tout à coup, dans une autre langue, mais dans un même génie, Dante, Arioste, Pétrarque, le Tasse et Machiavel. […] On n’est pas toujours d’humeur de s’amuser ou de plaisanter, même avec le plus beau génie des temps modernes. […] Ce secret, c’est le caractère national des Italiens, c’est le génie du lieu et du peuple. […] — Vous dites mieux que vous ne pensez, reprit le professeur en disant sourire, car vous allez voir que l’Arioste ne déride jamais son génie jusqu’à la bouffonnerie, ce défaut de ses prédécesseurs dans la poésie héroï-comique, mais seulement jusqu’à la légère plaisanterie. […] Et maintenant que le livre est fermé, que pensez-vous du chant de Ginevra et du génie d’Arioste ?
Mais l’individu, quel que soit son génie, ne peut guère se flatter de faire à son tour la science complète ; il en achève quelques parties, il en ébauche quelques autres, il en néglige plusieurs, et c’est la rançon de son inévitable faiblesse. […] C’est à ce besoin instinctif et si réel qu’Aristote a obéi ; il a satisfait l’esprit humain dans la mesure de son génie et de son temps. […] L’étendue du génie d’Aristote se montre par la généralité de ses vues ; celle de ses connaissances, par la multiplicité des exemples qu’il rapporte successivement. […] C’est à l’atteindre qu’ils consacrent leur génie et qu’ils attachent leur gloire. […] Je ne dis pas qu’Aristote soit déjà sur la pente fatale ; et, à bien des égards, son vaste génie n’a pas de supérieurs, si même il a des égaux.
Grâce à la révolution de 1849, Wagner se trouva subitement délivré de toutes les entraves qui paralysaient le libre essor de son génie personnel. […] Ces lignes auront suffi à indiquer quelle puissante impulsion le génie de Wagner doit à ce séjour à Zurich, et combien merveilleuses pour une production artistique étaient les conditions qu’il y trouva réunies72. […] Toutefois, nous réserverons nos plus grandes admirations pour le génie créateur. […] Toute possibilité d’« intrigue » est abolie par ce coup de génie. — Et je prie qu’on observe quel emploi dramatique l’auteur fait dans toute la suite du drame de cet incident principal. […] J’ai préféré m’étendre sur un point, plutôt que de faire le catalogue de toutes les inventions de l’auteur ; car je crois avoir ainsi mieux pu faire ressortir les qualités spéciales de son génie.
Mais il ne put que la pétrir dans l’argile, au lieu de la tailler dans le marbre ; la matière lui manqua, non point le génie. […] Le génie grec s’y montre dans sa sérénité légère, planant sur les dangers et les catastrophes, jouant de la lyre et lançant des disques par-dessus les armées aux prises. […] La civilisation aurait été jetée dans un autre moule, et aucune des nobles formes que le génie grec lui a imprimées n’aurait pénétré cette épaisse enveloppe. […] Le Théâtre, cette grande invention du génie attique, aurait été interrompu dans ses fondements. […] Mais que de cordes arrachées à cette grande lyre, que de conjonctions d’étoiles arrêtées, que de génies retenus dans les limbes au moment où ils alIaient en surgir !
Le Comte Léon Tolstoï Il y a deux ans à peine, le nom du comte Léon Tolstoï était inconnu en France ; l’on n’a cessé d’y ignorer la gloire de cet auteur, l’un des plus grands de ceux qui vivent dans ce temps, que pour apprendre le mépris et l’abandon qu’il fait lui-même de son génie. […] Mais ce n’est point en ces créations pour ainsi dire instantanées, en ces générations pullulantes que se marque le génie particulier de Tolstoï. […] L’émotion de sympathie cordiale que suscite le spectacle de vies humaines bien conduites et heureuses, s’attache à l’union aimante de Lévine et de sa femme Kitty, à la noblesse naturelle de leur condition que tempèrent si véridiquement la médiocrité de leurs pensées, leurs inclinations simples comme leurs manières, tous les incidents ordinaires de leur ménage, des singuliers accès de jalousie du mari à la transformation graduelle de la femme en une ménagère sans grand génie. […] En ces omissions énormes, en ces penchants trop exclusifs se marquent les limites de génie de Tolstoï, et se définit sa nature. […] III À ce point de notre étude, les grands traits du génie de Tolstoï nous sont connus.
On juge de son attrait pour M. de Chateaubriand, le grand génie de cette magnifique corruption du style. […] Il fallait un décorateur du passé qu’on voulait faire revivre et régner sous ses deux formes de trône absolu et d’autel populaire ; l’auteur du Génie du Christianisme, grand poète qui cherchait un poème, s’offrit avec ses magiques pinceaux. […] Et le Génie du Christianisme ne tarda pas à paraître. […] Je me souviens qu’un jour, assis avec quatre de ces condisciples sur un tronc d’arbre au bord du Rhône, nous lûmes pendant toute la récréation quelques chapitres du Génie du Christianisme et que nous en fûmes émus jusqu’aux larmes d’admiration. […] Mes amis se récrièrent alors sur la sévérité de ce jugement précoce, qu’ils ont ratifié depuis ; ils m’ont rappelé bien souvent plus tard cette précocité de bon sens qui se laissait séduire, mais qui ne se laissait pas tromper par ce grand génie de décadence.
Il avait une grande facilité à rimer ; mais Des Yveteaux lui parla là-dessus comme aurait pu faire Malherbe, et, démêlant mieux son génie, lui conseilla de s’appliquer de préférence à la politique et à l’histoire. […] Ce n’est pas en des temps de Fronde qu’il eût appris à les concevoir, et c’est pour avoir, en ses jeunes années, en sa saison de verve et d’entreprise, vu réunies entre les mains de Richelieu les pièces merveilleuses de cet assemblage, c’est pour lui avoir vu reconquérir ce Roussillon aliéné depuis un siècle et demi, et lui avoir vu refaire en tous sens une France, qu’il a su mêler lui-même à son Histoire cet esprit français étendu, cette intelligence d’ensemble qui y subsiste à travers les remarques plus ou moins libres et les réflexions conformes à notre vieux génie populaire. […] C’est Mézeray qui, dans son Abrégé chronologique, à la suite de l’article de Hugues Capet, a dit que « le royaume de France a été tenu, plus de trois cents ans durant, selon les lois des fiefs, se gouvernant comme un grand fief plutôt que comme une monarchie ». — « Tout ce qu’on a rabâché depuis sur les temps féodaux n’est que le commentaire de cet aperçu de génie », a dit M. de Chateaubriand, qui a prononcé sur Mézeray quelques paroles décisives. […] [NdA] Cette acception du mot développer est encore mieux définie dans la phrase suivante, qui se rapporte à Marguerite, sœur de François Ier : « Les nouveaux Évangélistes l’avaient autrefois pensé embrouiller dans leurs erreurs : mais ce puissant génie, ayant reconnu la vérité, en était heureusement développé. »
Il note partout, comme un futur capitaine et politique, l’assiette des places, leurs fortifications, leur commerce, le génie des nations, la forme des gouvernements. […] Rohan institue, en concluant son récit, une manière de parallèle entre le génie des différents peuples et leur gouvernement. […] Il roulait comme il pouvait, quelquefois trois mois durant, avec ces troupes sans paye, tenant tête aux armées ennemies, faisant plusieurs sièges, et il était forcé après cela de se désister de ce qu’il était près d’atteindre, « tant à cause de la mauvaise humeur de ses mestres de camp, que parce que les moissons approchaient, qui est un temps où les pauvres gens gagnent gros au bas Languedoc. » Ce ne sont là que des aperçus, mais qui donnent idée de la nature de génie et de constance qu’il lui fallut pour faire si bonne mine en un tel genre de guerre : je laisse à d’autres à l’en admirer. […] Et cependant ce grand homme rapportait à la fortune tous les succès qu’il avait ; car, soit qu’il écrivît à ses amis de Corinthe, soit qu’il haranguât les Syracusains, il disait souvent qu’il savait gré à Dieu de ce que, voulant sauver la Sicile, il s’était inscrit sous son nom ; et dans sa maison, ayant érigé une chapelle à la Spontanéité (à ce qui vient de soi-même), il y sacrifia ; et la maison même, il la dédia au Génie sacré.
Son fils, qui devint bientôt M. le Prince, était un homme d’esprit qui avait, quand il le voulait, bien du fin et du galant avec le génie des fêtes, d’ailleurs le plus capricieux, le plus singulier des hommes, au point de paraître atteint de manie. […] À prendre l’ouvrage dans sa forme définitive, tel qu’il était déjà à partir de la cinquième édition, c’est, je l’ai dit, un des livres les plus substantiels, les plus consommés que l’on ait, et qu’on peut toujours relire sans jamais l’épuiser, un de ceux qui honorent le plus le génie de la nation qui les a produits. […] Dans sa ferveur de légitimité, il insulte à Guillaume III, sans daigner entrer dans la profondeur et la réalité de ce grand personnage ; mais ce qui était permis à un honnête homme étroit comme Arnauld, ou à un génie essentiellement oratoire comme Bossuet, ne l’était pas à un sage comme La Bruyère. […] Il contenait de frappants et ingénieux portraits des plus éminents académiciens, et notamment des cinq grands écrivains, des cinq génies que la Compagnie possédait alors, La Fontaine, Boileau, Racine, Bossuet, Fénelon : lui entrant faisait le sixième.
Je suppose qu’une ou deux de ces grandes séries aient paru, non pas arrangées, non pas triées et écourtées, mais telles quelles, par une de ces indiscrétions et de ces imprudences heureuses dont tout le monde profite ; que cette âme vive, émue, expansive, passionnée et généreuse, magnanime, pour tout dire, cette intelligence avide, empressée, ouverte de toutes parts, divinatrice et sympathique, touchant au génie, se soit montrée et comme versée devant tous dans une multitude de lettres familières, affectueuses, éloquentes, inachevées chacune, mais s’achevant l’une l’autre : les nouvelles générations auraient fait connaissance avec elle plus directement encore que par les livres ; elle ne serait pas restée une gloire aristocratique, la plus haute renommée de salon, mais s’y renfermant ; elle balancerait Chateaubriand non seulement de mérite et de nom, mais de fait ; elle serait lue et encore présente au milieu de nous ; on la discuterait. […] Mais son naturel et son sentiment valent mieux que sa métaphysique, et sa belle intelligence touche à la puissance du génie. […] Il voudrait aller en Allemagne pour voir lui-même les grands génies, mais je lui conseillai plutôt d’aller en Grèce. » En ces journées de grande conversation, Sismondi craignait même tellement d’en rien perdre, qu’il allait jusqu’à en vouloir à Mme Récamier d’y apporter quelque distraction et de faire des a-parte à voix basse ; il le dit, et d’une plume assez peu légère : « Ici (Coppet, 30 août 1811) notre société est des plus brillantes, rien moins que deux Montmorency et Mme Récamier ; mais c’est pour peu de temps : eux repartent demain, et elle après-demain. […] C’est Mme de Staël qui définit ainsi la conversation, elle qui en était le Génie même.
Robert Wood, autrefois voyageur en Orient et dans la Troade, et qui préparait un Essai sur le génie d’Homère dont Goethe parle comme d’un des livres qui donnèrent à son esprit une impulsion propice, Wood, arraché un moment aux Lettres, occupait, à cette date, le poste de sous-secrétaire d’État dans le ministère dont le comte de Granville était le président. […] C’est le propre des plus grandes œuvres du génie en tout genre qu’à la première vue on est généralement désappointé. […] » vous qu’un sang généreux pousse aux nouvelles et incessantes conquêtes de l’art et du génie, et qu’impatiente, qu’ennuie à la fin cet éternel passé qu’on déclare inimitable, veuillez y songer un peu : les Anciens, si vantés qu’ils soient, ne doivent pas nous inspirer de jalousie ; trop de choses nous séparent ; la société moderne obéit à des conditions trop différentes ; nous sommes trop loin les uns des autres pour nous considérer comme des rivaux et des concurrents. […] Que l’admiration de nous à eux, des modernes aux vrais Anciens, à ceux qui ont le mieux connu le beau, s’entretienne de phare en phare, de colline en colline, et ne s’éteigne pas ; que l’enthousiasme de ce côté n’aille pas mourir, — ce serait une diminution du génie humain lui-même ; — non un enthousiasme crédule, aveugle et indigne d’eux comme de nous, mais un enthousiasme léger, clairvoyant, intelligent, divinateur et réparateur, qui n’est que l’émotion la plus délicate et la plus vive en face de tant de belles choses, accomplies une fois en leur juste cercle et à jamais disparues.
Enfin l’étincelle même du génie en ce qu’elle a d’essentiel, il ne l’a pas atteinte, et il ne nous la montre pas dans son analyse ; il n’a fait que nous étaler et nous déduire brin à brin, fibre à fibre, cellule par cellule, l’étoffe, l’organisme, le parenchyme (comme vous voudrez l’appeler) dans lequel cette âme, cette vie, cette étincelle, une fois qu’elle y est entrée, se joue, se diversifie librement (ou comme librement) et triomphe. — N’ai-je pas bien rendu l’objection, et reconnaissez-vous là l’argument des plus sages adversaires ? […] Et d’ailleurs, le cercle tracé autour de chacun fût-il très-étroit, chaque talent, chaque génie, par cela même qu’il est à quelque degré un magicien et un enchanteur, a un secret qui n’est qu’à lui pour opérer des prodiges dans ce cercle et y faire éclore des merveilles. […] Il a souvent exprimé l’âme et le génie de tels paysages naturels avec des couleurs et une saveur d’une âpreté vivifiante. […] Il reste toujours en dehors, jusqu’ici, échappant à toutes les mailles du filet, si bien tissé qu’il soit, cette chose qui s’appelle l’individualité du talent, du génie.
L’amour de la vie, caractère dominant de son génie. […] Rabelais est de ces génies puissants qui dirigent leur puissance : ils construisent patiemment une œuvre fougueuse, qui souvent retouchée, calculée en toutes ses parties, garde un air d’intempérante spontanéité. […] Car voilà le trait dominant et comme la source profonde de tout son génie : il a aimé la vie, plus largement, plus souverainement qu’aucun de ses ancêtres ou descendants intellectuels, comme on pouvait l’aimer seulement en ce siècle, et à cette époque du siècle, dans la première et magnifique expansion de l’humanité débridée, qui veut tout à la fois, et tout sans mesure, savoir, sentir, et agir. […] Et par là Rabelais est en plein dans la pure tradition du génie français, qui jusqu’au milieu du xviie siècle ne connaît guère la femme et cette vie tout affective dont elle nous semble être essentiellement source et sujet.
Le hasard d’un procès, un incident ridicule révèlent au public le génie de Beaumarchais, que ses médiocres drames n’avaient pas fait percer. […] C’est là, mieux que dans ses deux larmoyants drames, que son génie dramatique se révèle. […] Reste le valet : et voici la trouvaille de génie de Beaumarchais. […] Beaumarchais a mis tous ses instincts de révolte ; par la bouche de Figaro, il verse le ridicule sur tout ce qui soutenait l’ancien régime : noblesse, justice, autorité, diplomatie ; il fait une revendication insolente des libertés de penser, de parler et d’écrire, il réclame contre l’inégalité sociale ; d’un côté, la nullité et la jouissance ; de l’autre, le mérite et la peine. « Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ; … vous vous êtes donné la peine de naître, rien de plus ; … tandis que moi, morbleu !
Car conclure de ce principe : « Le système ultérieur est toujours le meilleur », que tel esprit léger et superficiel qui viendra bavarder ou radoter après un homme de génie lui est préférable, parce qu’il lui est chronologiquement postérieur, c’est, en vérité, faire la part trop belle à la médiocrité. […] La perfection de l’humanité ne sera pas l’extinction, mais l’harmonie des nationalités : les nationalités vont bien plutôt se fortifiant que s’affaiblissant ; détruire une nationalité, c’est détruire un son dans l’humanité. « Le génie, dit M. Michelet, n’est le génie qu’en ce qu’il est à la fois simple et analyste, à la fois enfant et mûr, homme et femme, barbare et civilisé 155. » La science, de même, ne sera parfaite que quand elle sera à la fois analytique et synthétique ; exclusivement analytique, elle est étroite, sèche, étriquée ; exclusivement synthétique, elle est chimérique et gratuite. […] Ce tour, particulier au génie allemand, explique la marche singulière des idées en ce pays depuis un quart de siècle environ, et comment, après les hautes et idéales spéculations de la grande école, l’Allemagne fait maintenant son XVIIIe siècle à la française ; dure, acariâtre, négative, moqueuse, dominée par l’instinct du fini.
Elle est l’éternelle affirmation du génie toujours mobile de l’homme, de ses recherches d’un idéal que modifient les temps et les lieux, mais qui, sous ses formes changeantes, demeure cependant l’idéal. […] Et à chaque instant, quand nous voulons exprimer dans toute sa force quelque sentiment qui nous préoccupe, ne le trouvons-nous pas formulé tel que nous l’éprouvons par un de ces hommes de génie qui ont possédé le don si rare de l’expression ?... […] Et l’œuvre littéraire ou l’œuvre d’art cessa d’apparaître comme le produit spontané d’un homme de génie, renfermant en soi toutes ses causes, mesurable avec une règle commune. […] Car le « Romantisme » est bien un mouvement parallèle à celui de la Renaissance : en s’efforçant de retrouver la nature et la sincérité de l’impression — ce fut là, vous le savez, l’idéal dont tous les écrivains du commencement du siècle se sont réclamés, à quelque distance que beaucoup en soient restés, — il rencontre tout d’abord le Moyen-Âge, c’est-à-dire l’époque où le génie moderne avait pu se développer sans entraves, et il s’en empare avec passion.
S’il eût été homme appliqué et d’étude, il était d’âge à percer en plein règne de Louis XIV ; mais, son génie étant tout de hasard et de rencontre, il attendit les dernières années du règne et le commencement du xviiie siècle pour s’épanouir, pour se montrer tout entier lui-même ; on ne se le figure guère se couronnant de fleurs qu’en cheveux blancs, et à l’âge de près de quatre-vingts ans. […] J’ai dit qu’il y a deux aspects du siècle ou règne de Louis XIV, l’aspect apparent, imposant et noble, et le revers, le fond, plus naturel, trop naturel, et où il ne faut pas trop regarder ; ajoutons seulement qu’à une certaine heure, et au plus beau moment du règne, deux hommes montrèrent, en plus d’une œuvre, ce que pouvait le génie en unissant les deux tons, en rompant en visière au solennel, et en faisant parler hautement et dignement la nature : ces deux hommes sont Molière et La Fontaine. […] Ceux qui, à en juger par une lecture légère, croiraient Chaulieu un petit poète abbé, musqué et mythologique, se tromperaient fort : c’était une nature brillante et riche, un génie aisé et négligé, tel que Voltaire nous l’a si bien montré dans Le Temple du goût. […] Ce pétillement d’imagination qui le prenait au milieu des compagnies et des festins, l’abandonnait quelquefois, et il avait ses hauts et ses bas comme tous les génies.
Mazarin l’avait mis en méfiance du surintendant, et, en même temps, il lui avait offert le remède : « Sire, je vous dois tout, avait-il dit à son lit de mort, mais je crois m’acquitter en quelque sorte avec Votre Majesté en lui donnant Colbert. » Depuis longtemps, Colbert avait l’œil sur les procédés de Fouquet, sur ses irrégularités et ses dilapidations ; il avait adressé à Mazarin des mémoires détaillés à ce sujet ; il allait continuer plus expressément le même rôle auprès de Louis XIV et par son ordre ; et, s’il était poussé dans cette chasse ardente qu’il faisait au surintendant par tous les aiguillons de son ambition personnelle, il ne l’était pas moins par tous les instincts de sa nature exacte et rigide : intérêt à part, il devait en vouloir au surintendant de toute l’indignation et de toute la haine que peut avoir contre un magicien plein de maléfices et de prestiges le génie de la bonne administration et de l’économie. Fouquet, comme Retz, était d’ailleurs un personnage aimable, séduisant, doué de qualités brillantes et de ressources infinies ; d’un génie vaste, en prenant le mot vaste dans le sens de défaut, embrassant trop de choses à la fois, mais d’une âme élevée, d’un cœur libéral et généreux, aisément populaire. […] Il y faisait valoir les belles qualités de Fouquet, les importants services qu’il avait rendus sous Mazarin, sa fidélité au sein du Parlement sur la fin de la Fronde, ses ressources de financier dans les temps de guerre, cette vigueur, cette adresse, ce courage, ce génie naturel qu’il compare à un cheval trop emporté, mais généreux : Domptez-le, Sire, mais ne le tuez pas. […] [NdA] Pellisson, dans son Histoire de Louis XIV, où il n’est plus l’avocat de Fouquet, nous mène à l’explication de son caractère quand il le définit ainsi : « L’un était d’un génie élevé, fertile en expédients et en ressources, plein de vigueur et tempéré de beaucoup d’humanité. » Fouquet avait en lui la fibre humaine, il savait la toucher dans les autres, et elle lui répondit.
Il est proprement gai et plaisant sans complication aucune, et cette vive qualité naturelle, poussée jusqu’au génie, est ce qui lui assure la première place dans la comédie après Molière. […] Pendant qu’il crayonnait en vers quelques épîtres ou satires, et qu’il préludait à son génie comique par quelques farces données à la Comédie-Italienne en collaboration avec Dufresny, Regnard avait à Paris une maison qu’il nous a lui-même décrite ; elle était au bout de la rue de Richelieu, là où est aujourd’hui le faubourg Montmartre, c’est-à-dire située à peu près dans la campagne, ayant vue sur la butte et sur des marais. […] Heureux ces génies qui amusent tandis que nous raisonnons ! […] …………………………………… Les hôtes même, en entrant au château, Semblent du maître épouser le génie.
Il avait en littérature le génie de la recherche et de la découverte, qui est le vrai génie de la Critique. […] Il y avait vécu et il y avait écrit dans la langue du pays, comme Voltaire qui, jeune et fat comme un Français, s’était aussi permis d’y écrire, dans cette langue si opposée pourtant à son genre de génie. […] car le tous-les-jours de la vie des peuples est aussi bête que le tous-les-jours de la vie des hommes, et le Génie lui-même se morfondrait à la raconter.
Un cataclysme venant à détruire l’œuvre entière de nos civilisations, Faustus et Stella recommençant la vie humaine, on rebâtirait les empires, les religions, la science, mais nul ne nous rendrait Dante Alighieri… Mettons-les à la place d’honneur, ces poètes dont le génie entra dans l’absolu ; mais n’oublions pas les légions d’ouvriers modestes qui les ont préparés, sans lesquels ils ne seraient pas. […] Nous verrons aussi que la succession logique des trois genres est souvent troublée par des influences littéraires qui n’ont rien de spontané : traditionalisme ou au contraire tactique de combat (ainsi Hugo réagissant contre la tragédie du xviie siècle) ; ou par l’apparition d’un génie hors cadre (ainsi Racine) ; ou par une catastrophe politique (ainsi l’Italie du xvie siècle envahie par l’étranger). […] On pourrait même remarquer que chaque nation paraît avoir une aptitude spéciale pour l’un ou l’autre de ces genres, qui répond le mieux à son génie particulier et qui fleurit chez elle avec le plus d’intensité et le plus de durée. […] Croce verra combien mon « système » diffère de la classification rigide encore en usage) que la satire n’est pas un « genre », pas plus que l’idylle, ou le poème héroï-comique, ou le roman champêtre… Ces combinaisons variées, dont nul ne saurait fixer le nombre ni la forme, naissent parfois de la fantaisie d’un génie et meurent avec lui, car les imitations qu’elles suscitent ne sont le plus souvent que de mauvaises copies et ne révèlent qu’une mode sans âme ; — d’autres fois, ces combinaisons (celles-là surtout qu’on essaie de grouper en « genre didactique »), sont tout simplement des œuvres de morale ou de science ; leur style agréable ne suffit pas à en faire des œuvres littéraires ; il s’agit d’un domaine intermédiaire, comme il y en a tant dans la vie où tout n’est que transition ; dans ces cas-là, qu’on commence par rendre courageusement à la morale et à la science tout ce qui n’est pas œuvre d’art ; il y a des documents d’une grande valeur psychologique qui sont sans « forme » au sens précis du mot, donc sans art ; il faut les connaître, les utiliser, en dire l’intention, la signification ; mais, loin de les mettre au nombre des œuvres d’art, dire pourquoi ce ne sont pas des œuvres d’art.
Ce n’est point faire injure à un siècle ni à une race que d’expliquer ses croyances par ses inclinations primitives et par ses habitudes générales ; ce n’est point faire injure à l’éclectisme que d’expliquer sa réussite par le génie et par les inclinations de son pays et de son temps. […] Cousin dans le panthéisme, a réduit sa philosophie à un monceau de phrases inexactes, de raisonnements boiteux et d’équivoques visibles ; en sorte que, lorsque l’amour du dix-septième siècle lui eut plus tard enseigné le style simple, ses doctrines n’ont plus eu d’appui que le préjugé public, sa gloire de philosophe et son génie d’orateur. […] Défendu par des hommes médiocres, le système eût réussi, tant il était populaire ; défendu par des hommes de talent, dont quelques-uns eurent quelquefois du génie, il devait tout abattre et tout subjuguer. […] Soutenez la liberté française encore mal assurée et chancelante au milieu des tombeaux et des débris qui nous environnent, par une morale qui l’affermisse à jamais ; et cette forte morale, demandons-la à jamais à cette philosophie généreuse, si honorable pour l’humanité, qui, professant les plus nobles maximes, les trouve dans notre nature, et qui nous appelle à l’honneur par la voix du simple bon sens96. — Sorti du sein des tempêtes, nourri dans le berceau d’une révolution, élevé sous la mâle discipline du génie de la guerre, le dix-neuvième siècle ne peut en vérité contempler son image et retrouver ses instincts dans une philosophie née à l’ombre des délices de Versailles, admirablement faite pour la décrépitude d’une monarchie arbitraire, mais non pour la vie laborieuse d’une jeune liberté environnée de périls97.
Populaire avec tous les grimauds de lettres du dernier ordre, comme un arc trop violemment tendu, c’est en souffletant le génie qu’il se redresse et qu’il se venge de l’abaissement auquel le condamnent les besoins d’une vanité hystérique. […] Il faut bien que l’Académie représente le génie, l’esprit ou le goût des lettres françaises, s’il nous est démontré par M. de Pontmartin que George Sand appartienne à « la mauvaise littérature ». […] C’est très bien fait ; c’est arithmétiquement pur et irréprochable : il n’y manque que la clarté de l’idée, — cette lumière du génie mise sous le boisseau de la science. — C’est la lanterne magique enfin, moins la flamme de la lampe. […] Alexandre Dumas pour le génie de la Ristori. […] Si jamais un second Molière pouvait naître à la France, soyez persuadés que c’est avec les détritus de tous les vaudevilles qui jonchent la scène depuis vingt ans, que ce génie des temps nouveaux engraisserait la moisson des chefs-d’œuvre à venir !
* Ce fragment de dialogue entre Renan et Amiel, il en est peu qui expriment mieux des répliques naturelles à ces deux vieux adversaires : l’un des multiples génies français (celui dont le méridien passe par Ferney) et le génie genevois. […] Ritter, un de ces génies œkistes qui figurent à la naissance d’une science, l’épousent et l’informent de son intérieur en croissance. […] D’abord, et avant tout, les prêtres, dont le célibat atteste une idée de génie, ou surnaturelle, de l’Église. […] Cette effraction volontaire de la gloire, c’est pour le génie une manière de péché originel. […] Est-il donc étrange et contradictoire que Teste soit déclaré génie latent supérieur aux génies patents, du fait qu’il dédaigne de produire une peau ?
Ne pensez-vous pas qu’il serait habile aussi de découvrir l’autre face de votre génie ? […] Melchior de Voguë jouant la surprise, mon génie a deux faces ? […] Octave Mirbeau, lequel vous sacrera homme de génie. […] Mais j’ai de la patience… La patience est le génie de ma race. […] Il tâche d’être, grâce à son génie, la source intarie de progrès où les peuples viennent s’abreuver.
L’homme de génie reste à la porte d’un journal où trône une rédaction médiocre. […] Mais la difficulté de corriger est à l’invention ce qu’était l’esprit d’Aristarque au génie d’Homère. […] Le génie n’est pas donné à tout le monde. […] La magnificence du style a fait de Chateaubriand un vulgarisateur de génie. […] Le Génie du christianisme était une démonstration apologétique.
Son opinion sur le génie de La Fontaine. […] Appréciation du génie de Molière : caractères qu’il avait encore à tracer. […] Réponse de ce dernier à Louis XIV sur le génie de Molière. […] Le grand poète, l’homme de génie ne put faire absoudre le comédien. […] » Le trait peint son cœur, l’exclamation son génie.
Son but a été d’exposer sans flatterie & sans amertume ce que les écrivains les plus impartiaux ont pensé sur le génie, le caractère & les mœurs des hommes célébres dans tous les genres. […] Il faut prévenir pourtant le public que presque tous les faits & toutes les anecdotes rapportées par les deux écrivains, se trouvent dans le Dictionnaire historique, ou histoire abrégée des hommes qui se sont fait un nom par le génie, les talens, les vertus, les erreurs, &c. dont nous avons parlé dans l’alinéa précédent.
S’il faut une fermeté, un courage inouïs pour rectifier ce qui a été une fois mal institué, il faut tout son génie pour empêcher que ce qui a été une fois bien institué ne soit détruit ou gâté. […] de suppléer à son génie ?
Ronsard, l’astre le plus brillant de cette pleyade, avoit beaucoup de lettres, mais il avoit peu de génie. […] Il est venu depuis Ronsard des poetes françois qui avoient plus de génie que lui, et qui ont encore composé correctement.
Littérairement, ne soyez rien ou ayez du génie ; mais, si vous voulez beaucoup réussir, attachez la moindre loque politique en cocarde à votre œuvre : les taureaux, et même les bœufs de tous les partis, se mettront à meugler à l’unanimité, et feront ce vacarme que nous prenons si légèrement pour de la gloire ! […] L’auteur du Fils de Giboyer avait le droit, sinon la puissance, d’être féroce comme Aristophane contre Socrate, comme Voltaire contre Fréron, sans avoir besoin de demander pardon pour l’atrocité de son génie dans une préface sans esprit, sans style et sans fierté.
Voilà près d’un demi-siècle, voilà quarante-quatre années du moins que M. de Chateaubriand a inauguré notre âge par Atala, par le Génie du Christianisme, et s’est placé du premier coup à la tête de la littérature de son temps : il n’a cessé d’y demeurer depuis ; les générations se sont succédé, et, se proclamant ses filles, sont venues se ranger sous sa gloire ; presque tout ce qui s’est tenté d’un peu grand dans le champ de l’imagination et de la poésie procède de lui, je veux dire de la veine littéraire qu’il a ouverte, de la source d’inspiration qu’il a remise en honneur ; ce qu’on a, dans l’intervalle, applaudi de plus harmonieux et de plus brillant est apparu comme pour tenir ses promesses et pour vérifier ses augures ; il a eu des héritiers, des continuateurs, à leur tour illustres, il n’a pas été surpassé ; et aujourd’hui, quand beaucoup sont las, quand les meilleurs se dissipent, se ralentissent ou se taisent, c’est encore lui qui vient apporter à la curiosité, à l’intérêt de tous, un volume impatiemment attendu, et qui n’a, si l’on peut dire, qu’à le vouloir pour être la fleur de mai, la primeur de la saison. Il n’est pas jusqu’à cette vogue religieuse du moment qui ne semble jusqu’à un certain point devoir se rapporter à lui : sans doute, en ce qu’elle aurait de tout à fait sérieux et de profond, lui-même il n’en accepterait pas l’honneur, et il l’attribuerait à une cause plus haute ; sans doute, en ce qu’elle offre d’excessif et de blessant, il aurait le droit d’en décliner la responsabilité, lui qui a surtout présenté la religion par ses aspects poétiques et aimables ; mais enfin il est impossible de ne pas remarquer que la vogue religieuse, dont le Génie du Christianisme fut le signal, est encore, après toutes sortes de retours, la même qui va accueillir la Vie de Rancé. […] Un voyageur qui visita la Trappe du temps de l’abbé de Rancé raconte qu’étant au réfectoire pendant qu’on lisait quelque chapitre du Lévitique, il entendit un endroit qui l’effraya : Exterminaituur de populo anima ejus qui non fecerit Deo sacrificium in tempore suo, « et je compris mieux que jamais, dit-il, quel malheur c’est que de manquer le temps du sacrifice. » — Celui à qui est dû le Génie du Christianisme ne manqua point ce moment ; il sut mettre, à l’heure marquée, son talent en offrande sur l’autel : l’éclair brilla, mais alors même tout se répandit en lumière et en encens. […] L’amour reproduisait à sa mémoire ornée le sacrifice de Simèthe cherchant à rappeler un infidèle par un des noms d’un passereau consacré à Vénus ; il invoquait la Nuit et la Lune… » Je ne sais s’il fit, en effet, toutes ces choses que le génie, cet autre enchanteur, peut à son gré remuer et évoquer. […] Génie inconsolablement mélancolique, imagination inépuisée, il a évoqué cette existence mortifiée avec un cœur relaps à la jeunesse.
C’est pour cela qu’il avait consacré en Grèce et en Italie ses réserves commerciales, à faire arriver en masse à Rome, à Florence, à Venise les débris du naufrage intellectuel de l’Ionie, et les maîtres dépaysés du génie homérique et platonique : il était à lui seul la Renaissance, il avait affrété la monarchie de l’esprit humain. […] IX Côme, en mourant, laissa son héritage à Pierre de Médicis, son fils, et son génie à Laurent de Médicis, son petit-fils. […] Ses deux fils, Laurent et Julien de Médicis, donnèrent à Florence de magnifiques tournois, célébrés par les poëtes et particulièrement par Politien, très jeune homme dont les vers révélèrent le génie antique. […] Mariotto, abbé du monastère, présenta les uns aux autres ses doctes amis ; et le reste du jour, car c’était vers le soir que cette rencontre eut lieu, se passa à écouter les discours d’Alberti, dont Landino nous peint le génie et les talents sous le jour le plus favorable. […] Politien, génie vraiment antique et digne d’Horace ne s’enivra pas de cette faveur ; il était né d’une bonne famille à Montepulciano, petite ville de la Toscane, comme Flaccus, en Calabre ; c’est de là qu’il prit son nom. « Je ne me sens pas plus enorgueilli des flatteries de mes amis, ou humilié des satires de mes ennemis, disait-il, que je ne le suis par l’ombre de mon corps ; car, quoique mon ombre soit plus grande le matin ou le soir qu’elle ne l’est au milieu du jour, je ne me persuaderai point que je sois plus grand moi-même dans l’un ou l’autre de ces moments que je ne le suis à midi. » XI Le pape étant mort en ce temps-là, Laurent de Médicis fit un voyage à Rome, pour recommander Julien, son jeune frère, à Sa Sainteté, dans le but de le faire élire au cardinalat.
C’est trop de condescendance que de se résigner à la vulgarité bourgeoise, parce qu’en poursuivant un type élevé, on risque de ressembler aux grands hommes manqués et aux aspirants malheureux du génie. […] Les vrais personnages historiques du temps sont des écrivains, des philosophes, des hommes d’esprit ou de génie. […] Notre Journal des Débats eût fait gorge chaude de ces gens-là, et cependant ils ont vaincu, et, quatre siècles après, les plus beaux génies se sont fait gloire d’être leurs disciples et, au XIXe siècle encore, des intelligences distinguées les tiennent pour des inspirés. […] Ce peuple semblait résigné à la mort, il avait perdu toute conscience et ne comptait plus comme individualité dans le monde, quand un groupe incomparable de génies, Gœthe, Schiller, Kant, Beethoven sont venus le révéler à lui-même. Ce sont là les vrais fondateurs de l’unité allemande ; du moment où toutes les parties de ce beau pays se sont retrouvées dans la langue, la gloire et le génie de ces grands hommes, elles ont senti le lien qui les unissait et elles ont dû tendre à le réaliser politiquement.
Or notre langue maternelle ne nous est devenue familière qu’avec le temps, et les réflexions que nous trouvons toutes simples aujourd’hui, enfants, elles eussent fait honneur à notre sagacité ; enfin, l’inspiration et la verve supposent un esprit cultivé et exercé : d’ordinaire, on n’est inspiré que dans l’ordre d’idées sur lequel la réflexion se porte de préférence ; le génie, a-t-on dit, est une longue patience ; en d’autres termes et plus exactement, la découverte est l’effet et la récompense d’une longue et patiente recherche ; si l’on trouve sans chercher, c’est qu’on avait cherché sans trouver244. […] Aussi le sens commun et le bon sens ne cherchent-ils pas leurs mots ; mais les grands, les vrais penseurs cherchent leurs mots ; à moins que le génie de la pensée ne soit complété chez eux, — chose bien rare, — par le génie du style, ils connaissent par leur propre et fréquente expérience cet état d’esprit qu’on a voulu contester, dans lequel on poursuit l’expression claire, adéquate, saisissante, d’une pensée déjà bien arrêtée. […] Si les plus grands philosophes des temps modernes, comme Kant et Maine de Biran, sont de si maladroits écrivains, s’ils sont morts avant d’avoir trouvé l’expression limpide où chacun aurait pu lire sans équivoque leur vraie pensée, c’est que la grandeur même de l’œuvre entreprise imposait à leurs facultés d’expression une tâche qu’ils n’ont pas eu le loisir ou le courage ou la générosité d’entreprendre ; la plupart ont laissé à leurs disciples le soin de les vulgariser, moins par dédain de la postérité que par suite de cette loi de la nature humaine qui veut que l’on perde en souplesse ce que l’on gagne en profondeur et que la spécialité soit la rançon du génie. […] L’explication que nous donnons ici de l’inspiration et du génie n’est que partielle ; nous ne prétendons pas nier le propre de l’inspiration, c’est-à-dire ce qui reste en elle de mystérieux, même après qu’on a montré qu’elle est à l’avance préparée par la réflexion.
Ainsi : la condition imposée à un passager transporté par un génie de ne pas prononcer le nom de Dieu (Conte des calenders. […] L’enfant promis à un génie (de l’eau dans la plupart des cas), promesse qui n’est pas tenue : Cf. […] — Un génie substitue un enfant de sa race à un enfant de race humaine. […] Pas de légendes relatives aux génies de là terre ou du sous-sol, non plus qu’aux génies de la montagne.
Assurément, il n’arrive à personne de parler de la beauté, de la grandeur d’un feuilleton, de célébrer le style de Ponson du Terrail, l’harmonie des périodes chez Xavier de Montépin, de rechercher, parmi les génies grecs, latins ou français, la filiation littéraire de M. […] Un homme de génie a essayé chez nous quelque chose de semblable. […] L’orgue a-t-il été inventé pour l’unique plaisir des riches, ou n’est-il pas plutôt la preuve d’un effort de génie, pour assembler tous les instruments sous les doigts d’un seul homme et les faire entendre à des foules ignorantes, et, d’autre part, peut-on douter que l’âme de ces foules en ait été embellie et réjouie ? […] Ils ne le croyaient point indigne de leur génie. […] « On n’a pas apprécié à sa valeur, disait-il très justement, l’instrument d’influence que peut être le roman-feuilleton, au point de vue de l’éducation intellectuelle et littéraire, et de la formation morale. » Et il ajoutait ces lignes, que je cite parce qu’elles indiquent bien un des caractères du roman populaire, qui doit être approprié au génie de la nation.
N’en déplaise à Boileau, si Molière est unique, c’est parce qu’il est, avec son génie, le moins académique des auteurs comiques, et le plus près de Tabarin. […] Mais il ne faut pas partir de là pour larmoyer aux pièces de Molière : le triomphe de son génie comique, c’est précisément d’avoir saisi la gaieté latente dans chaque type et chaque situation. […] De là vient que, parmi tous les sujets qui se sont ‘ offerts à son génie, il a choisi toujours de préférence ceux qui louchaient aux conditions du bonheur domestique et de la vie de famille. […] Au lieu que le génie de Molière n’est que les qualités françaises portées à un degré supérieur de puissance et de netteté. […] Comme il n’avait pas apporté une théorie nouvelle, ni une forme nouvelle de son art, et que les qualités personnelles de son génie faisaient la valeur de son œuvre, il n’exerça pas l’influence qu’on aurait pu croire.
Il y a quelque chose de singulier dans son cas : il compte comme un génie lyrique, et il a toujours employé les formes impersonnelles de la littérature. […] Le génie, qu’il s’appelle Moïse ou Chatterton, a un privilège de souffrance. […] Vigny n’avait pas précisément le génie de l’écrivain. […] Il avait l’orgueil adroit, l’art d’imposer son génie, de le présenter en beau jour. […] Hugo s’achèvera, s’épanouira précisément à l’heure où le naturalisme recueillera la succession du romantisme : c’est alors qu’il donnera la mesure de son génie, et que nous essaierons de le définir tout entier.
C’est là une noble tâche, et c’est peut-être le génie même de l’érudition de trouver ainsi les pièces justificatives à l’appui des jugements portés par une grande nation sur la suite de sa littérature. […] L’esprit et la langue en sont si conformes au génie de notre pays, que la lecture en est encore facile après tant de changements survenus dans la syntaxe et le vocabulaire de notre langue depuis plus de cinq cents ans. […] C’est ainsi que le génie d’une littérature s’enrichit du génie de chaque écrivain en particulier. […] Si ce style manque de nerf, s’il n’est pas marqué de ces expressions de génie qui sont comme des pas que fait la langue vers sa perfection, c’est que la source unique de ces expressions est la raison découvrant les vérités générales, et se servant de l’imagination et de la sensibilité pour en donner des images qui demeurent. […] Ceux qui ont manqué de génie ont mérité d’être oubliés.
Législatrice, source des constitutions justes ; Démocratie 6, toi dont le dogme fondamental est que tout bien vient du peuple, et que, partout où il n’y a pas de peuple pour nourrir et inspirer le génie, il n’y a rien, apprends-nous à extraire le diamant des foules impures. […] c’était pour les sauver des mauvais génies de la nuit », et rebâtiront tes murs au son de la flûte, pour expier le crime de l’infâme Lysandre. […] Ô Archégète, idéal que l’homme de génie incarne en ses chefs-d’œuvre, j’aime mieux être le dernier dans ta maison que le premier ailleurs. […] Parfois je prenais la fuite, éperdu, comme poursuivi par les génies du passé. […] Je ne comprenais que vaguement, déjà cependant j’entrevoyais que la beauté est un don tellement supérieur, que le talent, le génie, la vertu même, ne sont rien auprès d’elle, en sorte que la femme vraiment belle a le droit de tout dédaigner, puisqu’elle rassemble, non dans une œuvre hors d’elle, mais dans sa personne même, comme en un vase myrrhin, tout ce que le génie esquisse péniblement en traits faibles, au moyen d’une fatigante réflexion.
Les artistes de génie ne débutent pas autrement. […] Cela ne témoigne pas assurément d’un grand génie politique. […] Il n’y a pas eu un homme de génie heureux depuis que l’humanité existe. […] Je ne connais d’elle que son génie, et je suis on ne peut plus surpris, je l’avoue, que M. […] Si le travail pouvait devenir du génie, assurément M.
À Daudet : Dickens a du génie, mais il écrit mal. […] la croisade du Génie ! […] Chaque génie y occupe son palais. […] Hugo a été une exception monstrueuse de génie. […] La difficulté même excite le génie de l’artiste.
A son génie pour les lettres, il joignit la qualité de bon Capitaine. […] L’auteur écrit certainement de génie ; il a de la force & de la chaleur ; il n’a pu manquer de plaire aux spéculatifs. […] Turpin, leur successeur, n’a pris la maniere d’aucun d’eux ; il suit l’impulsion de son génie. […] génie universel, partage le sien entre trop de genres. […] On sent en effet en lisant l’ouvrage du Roi de Prusse qu’il est écrit de génie, & qu’il n’appartient qu’à lui.
Le Génie même ne s’est pas baissé pour si peu. […] C’est une chose tellement précieuse qu’il est impossible de s’en passer et tellement vulgaire qu’il faut avoir du génie pour s’apercevoir de ce qu’elle vaut. […] Peut-être aussi n’eût-il rien dit et se fût-il contenté de sangloter dans le silence de son génie ! […] Mais la grosse foule ignorera longtemps, sans doute, un génie si peu fait pour elle. […] Que de livres n’a-t-on pas écrits sur l’infortune des gens de génie !
C'est de lui ce vers naïf et douloureux : Il est dur d’être seul à sentir son génie. […] — Un autre poëte, moins docte, plus facile et souvent aimable, Ulric Guttinguer, connu de nous pour avoir chanté autrefois notre lac, et qui vient aussi de rassembler ses vers en un seul volume sous ce titre : Les Deux Ages, cite, dans sa préface que nous avons sous les yeux, un passage de Jules Lefèvre, en l’accompagnant d’éloges qui prouvent au moins que tout n’est pas épine dans le sentier : il accorde sans hésiter à son confrère non-seulement la conscience poétique noble et puissante (ce qui n’est que juste), mais encore le génie intime et pénétrant. — Nous ne nous chargeons que de noter en courant : les Aristarques de l’avenir décideront.
c’est une question qu’il devient même inutile de se poser, puisqu’il ne le pouvait certainement avec sa nature personnelle et avec la forme absolue de son génie. […] — Le duc de Raguse vient de publier sous ce titre, Esprit des institutions militaires, un volume plein de feu, d’intérêt, de science et d’agrément ; il rend accessibles au lecteur une foule de questions qui semblaient du ressort des hommes spéciaux ; il fait comprendre la guerre, l’empereur, Wellington, le génie de la France et de l’Angleterre.
Le volume qui contient Atala, René et Le Dernier Abencerage, renferme à peu près tout le génie de Chateaubriand artiste : si l’on y joignait, entre René et le Dernier Abencerage, la confession d’Eudore, extraite des Martyrs et contenant l’épisode de Velléda, on aurait toute son œuvre d’art en abrégé, exquise. […] Joubert, l’ami intime, l’ami du cœur et du génie de M. de Chateaubriand, écrivait à madame de Beaumont, inquiète et craintive, à la veille de la publication d’Atala (mars 1801), cette lettre qui est restée le jugement définitif et qu’enregistre la postérité : « Je ne partage point vos errantes, car ce qui est beau ne peut manquer de plaire ; et il y a dans cet ouvrage une Vénus, céleste pour les uns, terrestre pour les autres, mais se faisant sentir à tous.
S’ils étaient moins savants et moins raffinés que leurs rivaux, s’ils n’étaient pas aussi riches en inventions galantes ou burlesques, les comédiens français de la rue Mauconseil avaient pourtant leurs verves, comme disait Montaigne, et, dans leurs batelages, perçait parfois un génie comique qui promettait de dépasser la commedia dell’arte elle-même. […] Il faut qu’il s’écoule un demi-siècle au moins pour qu’on en vienne à être assez maître de son propre génie pour le garder tout entier, même en présence des modèles que nous offraient les littératures plus avancées que la nôtre.
Tous deux, encore imparfaits, donnaient pourtant, déjà, des gages de leur génie futur. […] Leur avantage était d’être enracinés de fortes lectures, au moment même où l’on proclamait que le génie supplée à tout, et qu’à voyager dans les livres, l’écrivain risque de perdre son originalité.
La Fontaine lui a donné le fatal exemple, et leur génie ne les absout pas plus que son esprit en prose n’absout le d’ailleurs “affreux” Voltaire. […] Sans s’embarrasser d’une barrière inutile, il donna au vers ternaire le droit de cité : Il a vaincu — la Femme belle — au cœur subtil… Néoptolème — âme charmante — et chaste tête… Et sur mon cœur — qu’il pénétrait — plein de pitié… Ces braves gens — que le Journal — rend un peu sots… Quoi que j’en aie — et que je rie — ou que je pleure… Rien de meilleur — à respirer — que votre odeur… Pour supporter — tant de douleur — démesurée… Pour, disais-tu, — les encadrer — bien gentiment… Cette coupe nouvelle de vers, d’où l’on allait tirer des effets si imprévus, offrait toutes les garanties d’une réforme née viable, puisqu’elle était l’épanouissement naturel d’une idée lentement mûrie et qu’elle avait subi le contrôle à la fois du Génie et du Temps.
Elles décident qu’elles font époque, que le feu du génie s’allume enfin en France, et qu’elles en ont recueilli les premières étincelles. […] Alors les charlatans triomphent, et ils se sentent persuadés de leur puissant génie, en descendant de cette chaire professorale où ils sont montés avec la conscience chargée des avertissements de leur nullité.
Henri IV choisissait, pour rendre témoignage de son règne, Mathieu, l’écrivain de génie, que, par parenthèse, on devrait bien rééditer. […] Il ne reprit point en sous-œuvre l’idée de l’ancienne Monarchie pour l’empreindre du cachet de son génie à lui, et pour donner à cette idée tout son accomplissement et toute sa force ; et l’organisateur par excellence, qui a laissé même jusqu’à ce mot d’organiser dans la langue du xixe siècle, oublia d’organiser l’Histoire et la laissa aux partis qu’il avait vaincus !
On conçoit comment il put louer Stilicon, qui n’était pas à la vérité un citoyen, mais qui était à la fois et un ministre et un général ; mais Honorius, qui toute sa vie fut, comme son frère, un enfant sur le trône ; qui, mené par les événements, n’en dirigea jamais aucun ; qui ne sut ni ordonner, ni prévoir, ni exécuter, ni comprendre ; empereur qui n’avait pas même assez d’esprit pour être un bon esclave ; qui, ayant le besoin d’obéir, n’eut pas même le mérite de choisir ses maîtres ; à qui on donnait un favori, à qui on l’ôtait, à qui on le rendait ; incapable d’avoir une fois du courage, même par orgueil ; qui, dans la guerre et au milieu des périls, ne savait que s’agiter, prêter l’oreille, fuir, revenir pour fuir encore, négocier de loin sa honte avec ses ennemis, et leur donner de l’argent ou des dignités au lieu de combattre ; Honorius, qui, vingt-huit ans sur le trône, fut pendant vingt-huit ans près d’en tomber ; qui eut de son vivant six successeurs, et ne fut jamais sauvé que par le hasard, ou la pitié, ou le mépris ; il est assez difficile de concevoir comment un homme qui a du génie, peut se donner la peine de faire deux mille vers en l’honneur d’un pareil prince. […] Une imagination qui a quelquefois l’éclat de celle d’Homère, des expressions de génie, de la force quand il peint, de la précision toutes les fois qu’il est sans images ; assez d’étendue dans ses tableaux, et surtout la plus grande richesse dans ses couleurs ; voilà ses beautés.
C’est le parfait gentilhomme étranger, naturalisé par le génie dans la vraie patrie des lettres. Je dis génie et je ne le dis point par politesse. […] L’originalité en tout est le caractère du génie ; l’originalité en est le sceau. […] La tendresse triste forme le fond de leur génie. […] Deux frères ne se ressembleraient pas davantage : jumeaux du génie qui ont sucé le même lait.
C’est pourquoi il faut subir les conséquences d’une grande passion, quelle qu’elle soit, accepter la fatalité d’un talent, et ne pas marchander avec le génie. […] On sait que les grands génies ne se trompent jamais à demi, et qu’ils ont le privilège de l’énormité dans tous les sens. […] Elle est le résultat de la peinture elle-même ; car elle gît dans l’âme du spectateur, et le génie consiste à l’y réveiller. […] Gavarni, qui ne sont pourtant pas des génies supérieurs, l’ont bien compris : — celui-ci, le poëte du dandysme officiel ; celui-là, le poëte du dandysme hasardeux et d’occasion ! […] Il faut entendre par la naïveté du génie la science du métier combinée avec le gnôti séauton, mais la science modeste laissant le beau rôle au tempérament.
Ceux-ci perdent tout génie en perdant leur fièvre ardente. […] Le même poëte lyrique peut être tour à tour une brute et un homme de génie, parce que son génie vient et s’en va comme une maladie, et qu’au lieu de le posséder, il le subit : « Année du Seigneur, 611. […] Par-delà cette barrière, qui séparait invinciblement la civilisation de la barbarie, il y en avait une autre non moins forte qui séparait le génie saxon du génie latin. […] Si le christianisme y est entré, c’est par des affinités naturelles et sans altérer le génie natif. […] Si le vieux génie poétique disparaît après la conquête, c’est comme un fleuve qui s’enfonce et coule sous terre.
Il est d’expérience que la nature condamne au malheur celui à qui elle a départi le génie, et celle qu’elle a douée de la beauté ; c’est que ce sont des êtres poétiques. […] Quelle différence, m’écriai-je, du génie et du sens commun de l’homme tranquille et de l’homme passionné ! […] Tout juste après le siècle du génie et des productions divines. […] Le génie crée les beautés, la critique remarque les défauts ; il faut de l’imagination pour l’un, du jugement pour l’autre. […] La discipline militaire naît quand il n’y a plus de généraux ; la méthode, quand il n’y a plus de génie.
C’est dommage que le génie manque même à ces braves gens. […] Pendant près de deux siècles, les mêmes genres seront cultivés : entre tous, la ballade sera la forme maîtresse de la poésie, chérie des gens du métier (Eustache Deschamps en compose 1374), pratiquée des amateurs (le livre des Cent Ballades est l’œuvre collective des princes et seigneurs de la cour de Charles VI) : la ballade sera ce que fut dans la décadence de la Renaissance, avant la maturité du génie classique, le sonnet. […] Ce bourgeois de Valenciennes, pour se mettre au ton de ses nobles patrons, renie ses origines, et la source même de son génie. […] Né dans une contrée où s’était éveillé de bonne heure le goût des vastes compositions historiques, il a fait une œuvre toute flamande encore à d’autres égards : le génie de cette Flandre opulente, matérielle, sensuelle, pays des cortèges somptueux et bizarres, des tapisseries immenses et splendides, de l’éclatante et grasse peinture, où, sous les ducs de Bourgogne, la féodalité mourante étala ses plus riches et plus étourdissantes mascarades, ce génie est bien le même qui s’exprime dans le talent de Jean Froissart, l’incomparable imagier. […] La portée d’une œuvre comme celle de Bercheure est incalculable : Tite-Live apparaissant en français, c’est la révélation de l’antiquité authentique sans fables, du moins sans autres fables que celles dont son propre génie l’a parée : c’est la confusion de tous les « romans de Rome la grant », et, à plus ou moins bref délai, la substitution du héros au chevalier dans l’idéal des intelligences cultivées.
La mélancolie de Marceline, ses beaux yeux, ses cheveux éplorés, son long visage pâle, expressif et passionné, d’Espagnole des Flandres, émurent vivement le jeune « artiste » ; il connaissait d’ailleurs les vers de Marceline et lui croyait du génie. […] Outre qu’elle aimait naturellement la beauté, le bonheur et le génie des autres, elle aimait encore, dans ses illustres amis, la bonté émue et amusée qu’elle-même leur communiquait dans le temps qu’ils étaient en sa présence. […] J’ai rappris en une heure la puissance du génie. […] Quel génie ! […] Sainte-Beuve est le meilleur garant de la qualité d’âme de Marceline et de son génie intermittent, attendu qu’il fut, à coup sûr, le plus clairvoyant de ses amis.
Michelet ne l’avait dit avant moi : « Après la conversation des hommes de génie et des savants très spéciaux, celle du peuple est certainement la plus instructive. […] L’homme raffiné trouve niaises les choses auxquelles le peuple et l’homme de génie prennent le plus d’intérêt, les animaux et les enfants. Le génie, c’est d’avoir à la fois la faculté critique et les dons du simple. Le génie est enfant ; le génie est peuple, le génie est simple.
À défaut d’un autre, il aura toujours eu ce génie. […] De Callot, le bohème de génie, à Sedaine, le maçon d’Opéra-Comique, et même à Armand Gouffé, le chansonnier du Caveau, la Tentation de saint Antoine est un sujet inépuisable de caricature. […] Mais le génie, le tempérament, l’esprit, et surtout le comique, un comique immense, qu’il mêle à ces images, en diminuent le dégoût et le danger. […] a été le plus volontaire des écrivains ; et il faut bien que la patience ne soit pas le génie pour qu’avec la sienne il n’en soit pas devenu un. […] Seulement, il y a des folies qui donnent au talent d’un homme une outrance d’intensité qui peut monter jusqu’au génie, mais ce ne fut point l’histoire de la sienne.
À partir de cet âge, couronné par les règnes d’Antonin et de Marc-Aurèle, la décadence commence, et Gibbon va en retracer l’histoire avec exactitude, avec regret, en s’attachant à tout ce qui la retarde, en répugnant à tout ce qui l’accélère ; une belle histoire où le génie de l’ordre, de la méthode, de la bonne administration, domine ; une narration revêtue de toutes les qualités fermes, continues et solides, qui la font ressembler, jusque dans ses dégradations successives et inévitables à travers les temps barbares, à une large chaussée romaine. […] Et, par exemple, en voyant Voltaire jouer de sa personne la tragédie à Lausanne où il était en ces années, et tout en convenant que sa déclamation était plus emphatique que naturelle, Gibbon sentit se fortifier son goût pour le théâtre français : « et ce goût, confesse-t-il, a peut-être affaibli mon idolâtrie pour le génie gigantesque de Shakespeare, laquelle nous est inculquée dès l’enfance comme le premier devoir d’un Anglais ». […] Il se pénétra du génie de Cicéron et de celui de Xénophon. […] Ainsi considéré, Virgile, dans ses Géorgiques, n’est plus seulement un poète, il s’élève à la fonction d’un civilisateur et remonte au rôle primitif d’un Orphée, adoucissant de féroces courages. — Touchant, en passant, les travaux de Pouilly et de Beaufort qui, bien * avant Niebuhr, avaient mis en question les premiers siècles de Rome, Gibbon s’applique à trouver une réponse, une explication plausible qui lève les objections et maintienne la vérité traditionnelle : « J’ai défendu avec plaisir, dit-il, une histoire utile et intéressante. » Celui qui exposera le déclin et la chute de l’Empire romain se retrouve ici, comme par instinct, défendant et maintenant les origines et les débuts de la fondation romaine. — En ce qui est de l’usage que les poètes ont droit de faire des grands personnages historiques (car Gibbon, dans cet Essai, touche à tout), il sait très bien poser les limites du respect dû à la vérité et des libertés permises au génie : selon lui, « les caractères des grands hommes doivent être sacrés ; mais les poètes peuvent écrire leur histoire moins comme elle a été que comme elle eût dû être ».
Parmi les mauvaises connaissances que l’amour du plaisir lui fit contracter et dont ce sentiment d’honneur le retira à temps, il nous présente très gaiement un M. de Saint-Maurice, chevalier d’industrie, qui vivait de sa fourbe et faisait croire à de riches adeptes qu’il était en rapport avec les Génies. […] Duclos a prononcé sur lui-même un mot qui explique le manque absolu de charme par où pèchent ses romans : « Je les aimais toutes, dit-il en parlant des femmes, et je n’en méprisais aucune. » Lorsqu’on pense ainsi des femmes, eût-on le génie poétique d’un Byron dans Don Juan, il est difficile qu’on nous intéresse particulièrement à aucune : qu’est-ce donc lorsqu’on est, comme Duclos, la prose même ? […] [NdA] Duclos disait de je ne sais quel artiste de son temps : « Il est bête comme un génie. » C’est bien là un mot d’homme d’esprit. Le poète Le Brun, comme s’il y avait vu après coup une personnalité, y a répondu par l’épigramme suivante : Bel esprit fin, mais non sans tyrannie, Pour se venger de n’être que cela, Duclos disait : Bête comme un génie.
Suivre par la pensée leurs masses diverses dans tous ces mouvements compliqués que leur imprime le génie du chef ; calculer à chaque moment leur nombre sur chaque point ; distribuer avec précision le matériel dont on dispose, apprécier celui que peut fournir le pays ; tenir compte des distances, de l’état des routes, y proportionner ses moyens de transport, pour qu’à jour nommé chaque corps, la plus petite troupe, reçoive exactement ce qui lui est nécessaire : voilà une faible idée des devoirs de l’administrateur militaire. […] Daru en ces années, fut le rapport qu’il rédigea en 1811 sur le Génie du christianisme de Chateaubriand. […] Le seul défaut que j’y relèverai, c’est que le sage rapporteur n’y marque pas assez ce qui fut le charme et l’enchantement dans la manière du nouvel écrivain, ce par quoi il a fait avènement à son heure, et qu’il ne nous dit pas assez nettement ce qu’il faut toujours dire et proclamer à la vue des génies, même incomplets et mélangés : « La veille, il y avait un être de moins au monde ; le lendemain, il y a une création de plus. » De tout ce qu’on vient de lire il résulte, ce me semble, que si l’on veut considérer la littérature dite de l’Empire dans ses productions les plus saines, les plus honorables, on ne court aucun risque de s’attacher à M. […] Littérairement, Fontanes fut le critique accepté et autorisé de l’Empire : c’était lui que l’Empereur aimait à faire causer et à entendre sur ces questions délicates et dans ces discussions animées où son actif génie se délassait.
Taine, qui pense que chaque chose peut être bonne en son lieu, que chaque organisation se justifie elle-même dans son cadre naturel, a estimé qu’une thèse proprement dite n’était nullement déplacée en Sorbonne, même au xixe siècle ; il a trouvé piquant d’appliquer cette forme dans ce qu’elle a de rigoureux au plus libre et au plus irrégulier, au plus doucement enthousiaste des génies, à La Fontaine ; car si cette forme est, en quelque sorte, impertinente par rapport à La Fontaine, elle est très convenable, très bienséante et légitime en Sorbonne, dans ce vieil empire d’Aristote. […] Taine a montré le même sujet de fable traité dans les trois manières, Le Renard et la panthère — par Ésope (genre didactique) —, puis par un des ysopets du Moyen Âge (genre enfantin), — et enfin Le Singe et le léopard de La Fontaine (genre de génie, et qui est la perfection) : Ce même sujet, dit-il, trois fois raconté, distingue les trois sortes de fables. […] Les soins qu’on mettrait à toucher ces endroits défectueux pour la morale ou pour l’art, et les précautions qu’on apporterait à l’en convaincre (lui toujours supposé invisible et présent), seraient un hommage de plus au génie et à la renommée, et ne feraient que communiquer à la critique je ne sais quelle émotion contenue et quelle réserve sentie, qui aurait sa délicatesse, et qui, venue de l’âme, irait à l’âme. […] Si inventeur que soit un esprit, il n’invente guère ; ses idées sont celles de son temps, et ce que son génie original y change ou ajoute est peu de chose.
Bien que je sache que mon Dieu ne finira pas en poussière sous les yeux d’un puissant génie, toujours est-il que je suis tenté de crier au génie : “Croyez, et fermez les yeux !” […] A présent, quand on parle d’un grand poëte, on dit génie. […] Tu préfères Béranger à Lamartine, parce que tu connais l’un et non l’autre ; mais juge de la différence : en parlant de Lamartine, on vante son génie, et de moi on ne doit vanter que l’esprit.
Qu’il eût reçu de la nature un génie prompt, facile et brillant, c’est ce que les contemporains ont reconnu généralement, et ce qu’il serait cruel, après ses malheurs, de venir lui refuser. […] » Ce n’est pas sans sourire que le spirituel auteur aboutit à cette conclusion un peu récréative ; mais, qu’il rie ou non, il n’en est pas moins certain, d’après l’ensemble de sa critique et de sa pratique en bien des cas, qu’il paraît, en effet, placer toute la poésie, tout le génie, dans le tempérament. […] A l’âge où le génie doit être dans toute sa force et fructifier dans sa maturité, ils ont déjà comme épuisé la nature, et ils tendent les bras à la muse, qui s’enfuit plus vite encore que la jeunesse. […] Saint-Amant, à le bien voir, est un poëte rabelaisien fort réjoui et de bon cru ; « il avait assez de génie pour les ouvrages de débauche et de satire outrée, » c’est Boileau qui lui accorde cet éloge, et qui lui reconnaît aussi des boutades heureuses dans le sérieux : ce jugement reste vrai et irréfragable.
Ce ne fut qu’après Richelieu, après la Fronde, sous la reine-mère et Mazarin, que tout d’un coup, du milieu des fêtes de Saint-Mandé et de Vaux, des salons de l’hôtel de Rambouille1 ou des antichambres du jeune roi, sortirent, comme par miracle, trois esprits excellents, trois génies diversement doués, mais tous les trois d’un goût naïf et pur, d’une parfaite simplicité, d’une abondance heureuse, nourris des grâces et des délicatesses indigènes, et destinés à ouvrir un âge brillant de gloire où nul ne les a surpassés. Molière, La Fontaine, et Mme de Sévigné appartiennent à une génération littéraire qui précéda celle dont Racine et Boileau furent les chefs, et ils se distinguent de ces derniers par divers traits qui tiennent à la fois à la nature de leurs génies et à la date de leur venue. […] C’est sans doute faute d’avoir fait ces remarques et de s’être rendu compte de la différence des temps, que plusieurs esprits distingués de nos jours paraissent assez portés à juger avec autant de légèreté que de rigueur un des plus délicieux génies qui aient existé. […] Mais à côté de ce genre d’écrire, toujours un peu uniforme et académique, il en est un autre, bien autrement libre, capricieux et mobile, sans méthode traditionnelle, et tout conforme à la diversité des talents et des génies.
Il est même à remarquer que le sens dramatique, loir de se développer à mesure qu’on s’éloigne de Jodelle, va s’atrophiant et s’effaçant : Montchrétien, supérieur par le génie poétique, n’a plus guère de ces lueurs d’invention théâtrale qu’on pouvait encore surprendre chez Garnier, dans sa Bradamante, par exemple, ou ses Juives. […] Cinna (1640), Polyeucte (1643), Rodogune (1644-1045), Nicomède (1651), développeront par des expressions variées l’originalité du génie de Corneille, et la conception qu’il s’était faite du mécanisme moral de l’homme. […] Nicomède marque le point d’arrêt du génie de Corneille : à partir de ce point, il ne fera pas toujours des choses indignes de lui, mais il n’ajoutera rien à la définition que les ouvrages précédents nous donnent de son génie.
Il sentit alors « une forte tendance à descendre de l’abstrait au concret, à envisager sous toutes ses faces la vie nationale » : alors se fit la complète éclosion de son génie d’historien831. […] Puis les défauts, l’injustice, la folie iront en s’accusant837, jusqu’à ce que Michelet regagne la Révolution : çà et là, le penseur et le poète, l’historien de génie se retrouvent. […] Les pages qu’il lui consacre, où il analyse les causes de tout ordre qui ont produit et fait réussir la mission de Jeanne d’Arc, peuvent être étudiées comme contenant tout le génie de Michelet. […] On comprendrait moins bien le génie historique de Michelet, si l’on n’avait vu dans ces ouvrages à quel point la poésie de son style et ce don d’évocation qui rend ses récits si vivants résultent d’une communion d’âme avec toutes les manifestations de la vie.
Mais du moins le nouveau livre du poète des Rougon-Macquart m’a donné la joie d’assister au développement prévu de ce génie robuste et triste, de retrouver sa vision particulière, ses habitudes d’esprit et de plume, ses manies et ses procédés, d’autant plus faciles à saisir cette fois que le sujet où ils s’appliquent appelait peut-être une autre manière et se présentait plutôt comme un sujet d’étude psychologique (je risque le mot, quoiqu’il soit de ceux que M. […] Le peintre Claude Lantier, génie novateur et incomplet, rencontre sur son chemin une fille charmante, Christine, qui l’adore et lui est passionnément dévouée. […] Car voici éclater le génie particulier de M. […] Une petite fille de dix ans eût beaucoup mieux raconté que lui (qui a pourtant du génie) l’histoire d’Angélique.
Mirbeau, malgré quelque génie, n’est pas Molière ; mais, si Molière faisait des articles pour nos journaux, soyez certains qu’il les ferait mauvais. […] André Gide, esprit fin, délicat et ingénieux, qui aime le talent comme un homme poli aime la politesse, mais que le génie blesse comme une offense personnelle. […] Et admirez le génie du musicien Paul Kotchouleff qui « chanta, d’une voix large et pure, pendant une heure durant, de nobles mélodies d’un grand souffle inspiré ». […] Montégut est un incompressible poète, un orgue de barbarie monté pour cinquante ans et, s’il ne se défendait contre son génie prosodique, ses romans seraient d’interminables mirlitonnades à la François Coppée.
La vie de ce premier lieutenant de Voltaire, qui appelait Voltaire papa, que Voltaire appelait mon fils, et qui, en mourant converti, saluait le Génie du christianisme de Chateaubriand et en bénissait presque l’auteur, est des plus diverses et des plus compliquées. […] Ses articles nous semblent assez froids aujourd’hui ; mais les plaignants et les blessés appelaient cela des satires pleines de fiel, et si on le lui reprochait, comme l’honnête Dorat le fit un jour, il répondait naïvement : « Je ne puis m’en empêcher, cela est plus fort que moi. » Voilà le critique, celui à qui Voltaire n’avait pas besoin de crier Macte animo , comme il fit tant de fois, celui dont il a eu tort de dire que « son courage était égal à son génie », mais égal, et même supérieur à son goût, c’est ce qu’il eût fallu dire. […] Voltaire le plus souvent cédait et criait de sa place, en s’apercevant du changement : « Le petit a raison ; c’est mieux comme cela. » Tel il était jeune à Ferney près de Voltaire, tel près de Chateaubriand à la fin de sa carrière, quand il disait à l’auteur du Génie du christianisme : « Enfermez-vous avec moi pendant quelques matinées, et nous ôterons tous ces défauts qui les font crier, pour n’y laisser que les beautés qui les offensent. » Je tiens à bien marquer en La Harpe cette nature essentielle de critique qui, à travers tous ses écarts, est son titre respectable ; qui fait que Voltaire a pu l’appeler à un certain moment « un jeune homme plein de vertu » (ce que les Latins auraient appelé animosus infans), et qui fait aussi que Chateaubriand l’a défini, « somme toute, un esprit droit, éclairé, impartial au milieu de ses passions, capable de sentir le talent, de l’admirer, de pleurer à de beaux vers ou à une belle action ». […] Il n’eut que le temps d’écrire une première lettre où se trahit une émotion violente ; il s’excuse, il se justifie ; il a parlé de Voltaire, dit-il, comme il eût parlé d’un classique, d’un ancien ; il a parlé de Zulime comme il eût fait de l’Othon de Corneille, sans prétendre rabaisser le génie du poète lui-même.
Paul-Louis Courier, né à Paris sur la paroisse Saint-Eustache, le 4 janvier 1772, d’un père riche bourgeois, et qui avait eu maille à partir avec un grand seigneur, fut élevé en Touraine sous les yeux et par les soins de ce père qui le destinait à servir dans le corps du génie et qui l’appliqua en attendant aux langues anciennes. […] Nommé lieutenant d’artillerie en juin 1793, il alla en garnison à Thionville ; il écrivait de là à sa mère (10 septembre 1793) pour lui demander des livres, Bélidor sur le génie et l’artillerie, et surtout deux tomes de Démosthène et il ajoutait : Mes livres font ma joie, et presque ma seule société. […] Mais Courier va plus loin, il doute de l’art militaire même et du génie qui y a présidé dans la personne des plus grands capitaines ; il doute d’Annibal, il doute de Frédéric, il doute de Napoléon ; lui qui a l’honneur de servir sous Saint-Cyr et qui le reconnaît « le plus savant peut-être dans l’art de massacrer », il ne prend nul goût à s’instruire sous ce maître ; il a l’air de confondre Brune et Masséna ; la première campagne d’Italie pour lui n’est pas un chef-d’œuvre. […] On peut dire qu’il n’avait embrassé ni senti à aucun instant l’esprit et le génie de cette grande époque ; le côté héroïque comme le côté social lui avait échappé ; il n’y avait vu partout que les excès et les désordres, les bassesses ou les ridicules.
Le président de Brosses, avec un esprit prodigieux, un goût vif et fin, et des parties de génie, n’est pas connu aussi généralement qu’il devrait l’être. […] Aussi n’attaqua-t-il jamais à fond rien d’essentiel dans l’ordre de la société ; ses plaisanteries même et ses licences, nées de son humeur et du génie du terroir, n’eurent rien de systématique ni d’hostile ; et, en mêlant à ses propos de tous les jours bien des grains de Rabelais, il n’y mit jamais le venin qui blesse malignement et qui tue. […] le joli génie, simple et naturel ! […] Dans cette course rapide et ce séjour de dix mois à travers l’Italie, il y a certes des côtés qu’il n’a fait qu’entrevoir en courant, et où d’autres talents trouveront matière à conquête ; la Campagne romaine, par exemple, les collines d’alentour, Tibur, la Villa Adriana, sont des lieux dont Chateaubriand un jour évoquera le génie attristé et nous peindra les mélancoliques splendeurs : de Brosses reste le premier critique pénétrant, fin, gai et de grand coup d’œil, qui a bien vu dans ses contradictions et ses merveilles ce monde d’Italie.
Il semblait que la société parisienne, légèrement hébétée depuis nos malheurs et désaccoutumée des gens d’esprit, tout à coup en retrouvait un qui lui redonnait la sensation que donne l’esprit, cette faculté ineffablement charmante, qui n’est pas le talent et que le plus grand talent, et même le génie, n’ont pas toujours ! […] Gustave Planche, ce critique qui fut une momie, avant d’être mort, osa lui imputer jusqu’à du génie. […] C’était une quinze-millième épreuve, plus ou moins effacée, de ce type, grandiose dans le frivole, qui s’appelle Célimène et qui parle, au théâtre, à travers le génie et la langue de Molière. […] Stendhal, qu’il a imité et qu’il n’égala jamais d’aucune manière, Stendhal, qui s’était mêlé aux polémiques du temps et qui venait de publier son étrange chef-d’œuvre de Rouge et Noir, avait eu pour lui les bontés que le génie a pour le talent, mais l’homme qui travailla le plus, dans ce temps-là et depuis, à le faire célèbre, fut, nous l’avons dit plus haut, Gustave Planche, presque oublié maintenant, mais qui tenait alors, à la Revue des Deux-Mondes, le bâton haut d’une critique redoutée.
Et notez que, connaisseur des Anciens comme personne et versé dans toute religion classique, il restait ouvert et des plus sensibles aux découvertes et aux merveilles du génie moderne. […] Gaillard, laissant bien voir tout ce qu’il y avait d’irrésistible et d’involontaire dans ses entraînements de voyageur, et combien il était à la merci du génie des lieux. […] Et puis, tenez, une idée philosophique à laquelle je tiens beaucoup, c’est que le génie des peuples modernes n’a pas tant besoin d’être ni excité ni endoctriné par tels ou tels hommes.
Théodore de Banville L’auteur des Fleurs du mal est non pas un poète de talent, mais un poète de génie, et de jour en jour on verra quelle grande place tient, dans notre époque tourmentée et souffrante, son œuvre essentiellement française, essentiellement originale, essentiellement nouvelle. […] Ferdinand Brunetière Les vers de Baudelaire suent l’effort ; ce qu’il voudrait dire, il est rare, très rare qu’il le dise ; et sous ses affectations de force et de violence, il a le génie même de la faiblesse et de l’impropriété de l’expression… Prenez, une à une, dans ces Fleurs du mal, les pièces les plus vantées, à peine y trouverez-vous une douzaine de vers à la suite qui soutiennent l’examen ; et un examen où il en faut venir, parce que Baudelaire est un pédant… Le pauvre diable n’avait rien ou presque rien du poète que la rage de le devenir. […] L’œuvre de ceux-ci fut en horizon ; le génie de Baudelaire est en profondeur.
» Mais, dans le domaine intellectuel, combien il est difficile de préciser, alors que le génie national se manifeste sous des apparences s. diverses, ce qui appartient à la race, et surtout ce qui lui appartient exclusivement ! […] « Les grandes pensées viennent du cœur », disait déjà Vauvenargues, et il entendait par là qu’il n’est point de génie ni d’héroïsme sans passion. […] » — La raison, dit-il encore42, produit des hommes d’esprit ; le sentiment fait les hommes de génie.
La civilisation, la vie, sachons-le bien, est chose apprise et inventée, perfectionnée à la sueur du front de bien des générations, et à l’aid’une succession d’hommes de génie, suivis eux-mêmes et assistés d’une infinité d’hommes de goût. […] En réfléchissant à ce qu’étaient ce qu’on appelle les grands siècles et pourquoi ils l’ont été, toujours il m’a semblé qu’indépendamment des beaux génies et des talents sans lesquels la matière aurait fait faute, il s’était rencontré quelqu’un qui avait contenu, dirigé, rallié autour de lui. Autrement le concert manque avec les plus riches éléments, et les beaux génies eux-mêmes courent risque de se dissiper.
C’est alors, c’est à partir de ce moment seulement que l’écrivain de génie peut demander et recevoir la gloire : Paris-centre a seul la voix assez puissante pour faire entendre au monde entier le nom qu’il lui crie. […] * * * Autre argument en faveur de la Décentralisation : Combien d’hommes de génie Paris, avec ses coteries et ses cabales (encore !) […] Regardez : ils ramassent leurs manuscrits dédaignés, — les voilà partis pour aller se faire délivrer un certificat de génie par l’Académie prochaine.
Son génie consiste à avoir compris l’importance du fait… C’est en ce sens qu’il a été vraiment chef d’école… initiateur d’une analyse qui a renouvelé le roman français… Il a influencé tous les grands écrivains de son époque, Taine, Mérimée, Balzac, Flaubert, Bourget, Chuquet, Erekmann-Chatrian… Il a créé Tolstoï… Taine a appelé Stendhal le plus grand psychologue du siècle. […] Si M. de Gourmont consent à la rigueur à reconnaître le génie de Racine, c’est, dit-il, parce que « maintenant, nous n’avons plus rien ou presque lien à craindre de Racine ». Il est heureux que le génie de Racine ne puisse plus nuire à personne.
C’est, en effet, dans le bavardage, que s’évapore le génie littéraire des nations en décadence. […] Selon le comte de Gasparin, ce Pape, qui fut grand, mais certainement moins grand que Grégoire VII, — qui, à distance de plus d’un siècle, sut lui paver la voie Appienne de sa grandeur future, — représente pourtant, sinon le plus haut degré du génie absolu de l’Église, au moins le plus haut point de sa fortune, et c’est pour cette raison que le comte de Gasparin, en le choisissant, l’a frappé. […] Il n’y a pas d’exception à cela, même pour le génie.
Inutile sacrifice, du reste, au génie matériel de ce temps ! […] Un poète individuel fonde une école parce que le succès ou l’admiration déduit une poétique de ses œuvres, parce que le chêne n’est pas responsable, après tout, des glands qui tombent autour de lui et qui poussent comme ils peuvent dans les mille hasards du terrain où s’enfoncent ses racines ; mais si un poète individuel fonde une école malgré lui, ou s’il accepte cet orgueilleux et dangereux titre de chef d’école, il s’y énerve, y expose et finit par y perdre l’originalité de son inspiration et le meilleur caractère de son génie. […] Les larmes que les yeux de l’homme ont pleurées gardent la chaleur du cœur qui les répandit, et quand ce sont les yeux d’un homme de génie, elles se réchauffent encore, pendant des siècles, à la chaleur généreuse de celles qu’elles font verser !
Ainsi, un des premiers, il y a déjà bien des années, Alfred de Musset l’avait dansée, cette Sainte-Manon, dans des vers qui ne le compromettent pas, car ils sont superbes, — et d’ailleurs un poète de génie est toujours un danseur… par les ailes ! […] L’abbé Prévost, à qui on a donné du génie à jour fixe, l’abbé Prévost, qui ne valait peut-être pas l’abbé Cottin, a continué d’être, dans son roman de Manon Lescaut, l’infatigable distillateur d’eau claire qu’il a été dans les cinquante volumes qui ont ruisselé de sa plume et inondé le xviiie siècle ; et même la boue de Manon n’y a rien changé, et, c’est là le seul phénomène de ce livre, elle ne l’a teinté d’aucune couleur. […] Mais il les a peintes à la flamme de son génie, et cette flamme brûle tout et purifie tout.
André Chénier, vivant, eût été le grand poëte français, immédiatement antérieur à M. de Chateaubriand, lequel date du Christianisme renaissant, du culte restauré, et d’un ordre de sentiments spiritualistes que le génie d’André n’eût sans doute pas accueillis. […] Or, un tel rôle était beau dans des circonstances encore paisibles et au milieu de cette espérance unanime de progrès ; c’était, avec plus de candeur d’âme et avec plus d’efforts aussi et d’artifice de talent, quelque chose du rôle d’Horace introduisant dans la langue latine le génie lyrique de la Grèce et enrichissant le Capitole.
Être le frère d’un grand homme, d’un de ces génies de civilisation et de ces fondateurs qui créent tout autour d’eux et qui inaugurent leur race, est à la fois un grand honneur et un grand fardeau. […] Il ne me manque point de vaisseaux, ni de matelots, ni d’un grand nombre d’officiers de zèle, mais il me manque des chefs qui aient du talent, du caractère et de l’énergie. » Le désir, le besoin de Napoléon eût été de susciter quelque part, dans les rangs trop éclaircis de ses flottes, un grand homme de mer et du premier ordre, qui pût tenir en échec la puissance rivale dans cette moitié flottante de l’empire du monde ; mais un tel génie, à la fois supérieur et spécial, se rencontre quand il plaît à la nature, et ne se suscite pas.
La gloire, la vertu, le génie viennent se briser contre cette force destructive ; elle met une borne aux efforts, aux élans de la nature humaine, son influence est souveraine ; car qui blâme, qui déjoue, qui s’oppose, qui renverse, qui se saisit enfin de la force destructive, finit toujours par triompher. […] La France ne peut être sauvée que par ce moyen, et les partisans de la liberté, les amateurs des arts, les admirateurs du génie, les amis d’un beau ciel, d’une nature féconde, tout ce qui sait penser, tout ce qui a besoin de sentir, tout ce qui veut vivre, enfin, de la vie des idées, ou des sensations fortes, implore à grands cris le salut de cette France.
Ils commencent par croire, — d’une foi étroite et furieuse de fanatiques, — premièrement, que la littérature est la plus noble des occupations humaines et la seule convenable à leur génie ; que les autres métiers, la culture de la terre, l’industrie, les sciences et l’histoire, la politique et le gouvernement des hommes sont de bas emplois et qui ne sauraient tenter que des esprits médiocres ; et, secondement, que c’est eux, au fond, qui ont inventé la littérature. […] Eux qui ne savent rien, qui n’ont même, le plus souvent, aucune connaissance historique de la langue (et il y paraît à la barbarie de leur syntaxe et aux impropriétés de leur vocabulaire), ils ont des mépris imbéciles et entêtés pour les plus beaux génies et pour les plus incontestables talents, dès qu’ils ont reconnu ces dons abominables : le bon sens, une vision lucide des choses et l’aisance à la traduire.
et s’il fut plus coupable que nous ne souhaiterions, dans quelle mesure fut-il excusé par l’agacement si naturel que donne un homme de génie à un homme extrêmement intelligent, et par l’impossibilité où étaient les deux amis de se comprendre et de se pénétrer, impossibilité que leur intimité même devait rendre plus irritante ? […] Tous ces hommes de génie ont sur nous assez d’avantages ; et notre instinct de justice trouve son compte dans toutes ces divulgations, dussent-elles les rabaisser un peu.
Maurice Le Blond Parmi les poètes parnassiens, celui dont, toujours, nous avons aimé le haut talent et admiré le pur génie, c’est Léon Dierx, le poète de Odeur sacrée , du Gouffre, de l’Ode à Corot, de tant de chefs-d’œuvre d’une sensibilité si frémissante et si aigue, qui n’est point sans analogie avec celle des naturistes. […] Son génie est suave et brûlant.
Mais je salue en lui toutes les fougues et tout le ruissellement de sang et d’or des hommes de génie. […] Nul, depuis Villiers de l’Isle-Adam, n’a donné plus complètement que dans cette œuvre l’impression du « génie ».
Sully Prudhomme conclut que le vers, d’après la contribution capitale qu’il doit au génie de V. […] J’admirais beaucoup ces vers un peu maigres, mais d’une correction des plus plaisantes en cette période de jeunes poètes lâchés, lamartiniens sans génie, hugolâtres sans talents, mussetistes, qui n’avaient du maître que l’envers de sa paresse divine.
Le génie de Ronsard se tourna d’abord du côté de la guerre & des négociations. […] Il donna l’essor à son génie, & se plaça dans les nues.
À vrai dire, les Époques littéraires ne doivent être datées que de ce que l’on appelle des événements littéraires1 : — l’apparition des Lettres provinciales, ou la publication du Génie du christianisme ; — et non seulement cela est conforme à la réalité, mais c’est encore le seul moyen qu’il y ait d’imprimer à l’histoire d’une littérature cette continuité de mouvement et de vie, sans laquelle, à mon sens, il n’y a pas d’histoire. […] Enfin, — et parce que ni l’originalité, ni le génie même, ne consistent à n’avoir point d’ancêtres ou de précurseurs, mais le plus souvent à réussir où beaucoup d’autres avaient échoué, — j’ai donné plus d’attention qu’on n’en accorde d’habitude aux Époques de Transition.
Je l’aime mieux pour lui, pour moi, pour tous ceux qui l’environneront, avec une belle âme, qu’avec un beau génie. […] On a de la vertu, de la probité, des connaissances, du génie, même du goût, et l’on ne plaît pas.
Nous avons bien lu quelque part qu’autrefois on avait soupé ou dîné à Auteuil, entre gens de lettres et de génie, et qu’au dessert chacun disait des vers, qui se sont trouvés des chefs-d’œuvre retentissants et immortels ! […] Encore une fois, quel rapport y aurait-il là entre ces dînettes du génie chez soi et les gros bataillons de toute une littérature s’attablant bruyamment dans un phalanstère de cuisine attrayante, et consommant matériellement, non les perles de Cléopâtre, mais dix francs, pour produire intellectuellement d’autres perles et relever victorieusement l’esprit français sur la pointe de leurs fourchettes !
Tout le génie d’Homère est dans la priorité. […] Le génie éblouit ; mais si on le regarde trop longtemps, comme le soleil, il perd ses rayons. […] Il était homme, après tout, et même avec le génie, l’humanité ne perd pas ses droits. […] Je voudrais qu’on me montrât un grand génie qui n’ait pas été en même temps un grand réaliste. […] Chez elle le génie est le contraire du travail.
Iblis endure le supplice du froid puisque, pour un génie né du feu, il n’y a pire châtiment que le froid glacial. […] Une vocation si impérieuse, si exclusive, marque le génie d’un caractère de prédestination. […] Ce n’est pas leur faute s’ils se sont heurtés à l’étonnant génie de Pascal. […] Ils n’entendent rien au génie germanique. […] Le génie de Michelet ne le sauva pas de cette contagion d’hystérie mystique.
L’unique occupation du génie dramatique serait-elle donc de fouiller, dans les replis des cœurs faibles et corrompus pour en sonder toute la misère et toute la turpitude ? […] On entendit, pour la première fois sur le théâtre, le plus grand philosophe et le plus sublime historien de l’antiquité, s’exprimer par l’organe du plus éloquent et du plus pathétique des poètes modernes : c’était le génie de Tacite, mis en œuvre par le génie de Racine ; jamais la tragédie n’avait pris un ton aussi austère, aussi mâle. […] La supercherie de Néron est une cruauté maligne et raffinée qui découvre bien le génie de ce tyran. […] Nous prodiguons aujourd’hui le génie aux plus minces rimeurs ; tout le monde a du génie ; on ne parle que du génie : dans le siècle de Louis XIV, très abondant en hommes de génie, le mot était fort rare ; on se contentait de dire du plus grand écrivain : il a bien de l’esprit. […] Quoi qu’il en soit, ce double effort de son génie créateur n’est pas très glorieux : le genre épisodique est vicieux et contraire aux règles fondamentales de la poésie dramatique.
Ils ont toujours en main leur manuel de poésie : si vous êtes conforme au patron établi, vous avez du génie ; sinon, non. […] Ils réduisent le génie à l’éloquence, la poésie au discours, le drame au dialogue. […] Il est curieux de le voir, le compas à la main, bridé par Bossu, empêtré de raisonnements infinis et de phrases académiques, atteindre tout à coup, par la force de l’émotion naturelle, les hautes régions inexplorées où Milton est soulevé par l’inspiration de la foi et du génie. […] Mon cœur se fondait dans un secret ravissement… Le Génie me conduisit alors vers la plus haute cime du roc et me posa sur le faîte. […] Ne juge pas que l’homme ait été fait en vain, puisqu’une telle éternité lui a été réservée. — Je contemplai avec un plaisir inexprimable ces îles bienheureuses. — Maintenant, dis-je au Génie, montre-moi, je t’en supplie, les secrets cachés derrière ces noirs nuages qui couvrent l’Océan de l’autre côté du roc de diamant. — Comme le Génie ne me répondait pas, je me tournai pour lui faire une seconde fois ma demande, mais je trouvai qu’il m’avait quitté.
Rousseau, ou du Génie du christianisme de Chateaubriand. C’était le génie de la révolution française en action dans une histoire ; c’était en même temps le drame du siècle. […] Le génie de l’homme d’État manquait, selon mes idées politiques, à cette parole. […] Homère, dont la poésie divine n’est que le bon sens en relief, illustré par le génie du langage et de la couleur, aurait évidemment bien gouverné plus de peuples que les rêveries prosaïques de Platon n’en auraient corrompu et anarchisé. […] Allait-il au centre, il n’y trouvait plus qu’un troupeau sans chef, dépourvu de ces supériorités oratoires qui groupent les partis à leur voix, centre prompt à voter, incapable de gouverner, vide d’hommes politiques, foule qui soutient tout par discipline et qui laisse tout crouler par incapacité de génie et de volonté.
Il faut en tenir compte au brillant, aimable et intermédiaire génie dont nous parlons. […] Girod de Chantrans, ancien officier du génie, forcé de quitter Besançon par suite du décret qui interdisait aux ci-devant nobles le séjour dans les places de guerre, alla habiter Novilars, château à deux lieues de là ; il emmena le jeune Nodier avec lui. […] Il avait déjà fait imprimer à Besançon, en 1801, et tirer à vingt-cinq exemplaires Quelques Pensées de Shakspeare, avec cette épigraphe de Bonneville : Génie agreste et pur qu’ils traitent de barbare. […] Vers 1786, en tête d’un Choix de petits romans imités de l’allemand, il avait mis pour son compte une préface où il pousse le cri famélique et orgueilleux des génies méconnus. […] On distinguera cette belle page sur l’hiver, datée du 10 octobre : « Oui, je le répète, l’hiver dans toute son indigence, l’hiver avec ses astres pâles et ses phénomènes désastreux, me promet plus de ravissements que l’orgueilleuse profusion des beaux jours… » Si cette page se fût trouvée aussi bien dans l’Émile ou dans le Génie du Christianisme, elle aurait été mainte fois citée.
Aussi ce livre de la République passait-il à Rome et en Grèce pour l’apogée du génie, de la philosophie et de la politique de Rome. […] Cicéron ne fut pas dans ce beau livre le Platon, mais le Montesquieu romain ; autant au-dessus de Montesquieu que le génie est au-dessus du talent, et que l’éloquence est au-dessus de la sagacité. […] « Alors, Scipion, ta prudence, ton génie, ta grande âme, devront éclairer et soutenir ta patrie. […] il vivra toujours ; car c’est le génie qui l’a planté, et jamais plant aussi durable n’a pu être semé par le travail du cultivateur que par les vers du poète. […] XXI Voilà Cicéron écrivain, moraliste, philosophe, politique, approchant du terme de ses jours, mais non des bornes de son génie.
Je n’aspirais pas au génie, l’âme me suffisait ; tous mes pauvres vers n’étaient que des soupirs. […] L’affectation gâte même le génie. […] Le poète tragique piémontais, qui avait été jusque-là le plus ardent et le plus inflexible des démocrates, à condition que la démocratie ne touchât ni aux privilèges de la noblesse piémontaise, ni aux prétentions littéraires de son pâle génie, s’indigne contre la double profanation des républicains français. […] Je supposai que lord Byron vivait encore et que le génie, qui lui avait inspiré les quatre premiers chants de son poème, inspirait encore à son génie le récit de sa propre mort. […] La Nature, immuable en sa fécondité, T’a laissé deux présents, ton soleil, ta beauté ; Et, noble dans ton deuil, sous tes pleurs rajeunie, Comme un fruit du climat enfante le génie.
Sous prétexte d’apprendre, puis d’enseigner la philologie, il a passé toute sa jeunesse à s’imprégner du génie grec. […] Sans être comparable à Keats ou à Tennyson, Beddoes était, lui aussi, un poète de génie. […] Jusqu’à la fin, le génie de Poe s’est développé et a vécu dans une solitude tragique, sans que personne se soit trouvé pour en deviner la grandeur. […] Et j’eus l’impression, en considérant une fois encore l’étrange figure du vieux poète, que son génie ressemblait de très près à son apparence extérieure. […] Un sourd travail s’accomplit en nous sans interruption : c’est le génie de notre race qui reprend conscience de lui-même ».
. — Le génie de la mystification […] On y verra jusqu’où il pousse la hardiesse et le génie de la mystification. […] Comment, ayant bien plus de volonté que de génie, M. […] Je regrette que, outre les six ans, il n’y ait pas mis un peu de génie. […] Mais il y faudrait un cœur de citoyen en même temps qu’un génie de poète.
… » Son génie tient de la magie. […] Seulement Restif, dans son ignominie, a une espèce de génie très amusant : ridicule, abominable, une espèce de génie cependant. […] Les Claudeliens auront beau dire : le génie de leur grand homme ne semble pas un génie français. […] infanterie, artillerie, génie, aviation. […] Il est vrai que le Russe a du génie, à son étrange manière.
Ou, en d’autres termes, le classicisme s’est trompé d’abord sur le caractère unique, inimitable de l’œuvre de génie. […] les vers de Mahomet lui ont révélé son génie poétique. […] — non, mais dans les Martyrs et dans le Génie du christianisme lui-même. […] Pour ces raisons et quelques autres, il n’appartient pas à la famille des génies bienfaisants. […] Et, au fait, quand on n’a pas de génie, n’est-ce point surtout alors qu’il faut avoir du talent, du métier, et de la main ?
Trompés par le malin génie de la nature, nous nous efforçons vers la mort en croyant nous efforcer vers le progrès. […] Il fournit, en effet, le plus admirable type qu’il nous soit donné de concevoir : celui du génie conscient. […] La portée de la vérité ainsi entrevue par l’artiste fait la portée de son génie. […] La plupart des écrivains pèchent par un excès de confiance dans l’infaillibilité de leur génie. […] Il faut décrire cette nature pour comprendre cette œuvre, comme pour comprendre le génie d’un peintre il faut décrire son œil.
Au commencement et jusqu’au milieu du xviie siècle, au contraire, on a vu des hommes, sans autre mission que le sentiment de leurs talents et de leur courage, tenir à leur solde des corps de troupes, réunir autour de leurs étendards particuliers des guerriers qu’ils dominaient par le seul ascendant de leur génie personnel, et tantôt se vendre avec leur petite armée aux souverains qui les achetaient, tantôt essayer, le fer en main, de devenir souverains eux-mêmes. […] Cependant le génie de Wallstein préside à ce désordre apparent. […] Il serait impossible de transporter sur notre théâtre cette singulière production du génie, de l’exactitude, et je dirai même de l’érudition allemande ; car il a fallu de l’érudition pour rassembler en un corps tous les traits qui distinguaient les armées du xviie siècle, et qui ne conviennent plus à aucune armée moderne. […] Elles forcent le poëte à négliger souvent, dans les événements et les caractères, la vérité de la gradation, la délicatesse des nuances : ce défaut domine dans presque toutes les tragédies de Voltaire ; car l’admirable génie de Racine a été vainqueur de cette difficulté comme de tant d’autres. […] Sans doute l’admirable génie de Racine, qui triomphe de toutes les entraves, met de la diversité dans cette uniformité même.
Quand les sociétés n’ont plus la flamme qui crée les grandes œuvres et l’intérêt palpitant qui s’y attache longtemps avec une passion, qui est au génie ce qu’un cœur tendre est à un grand cœur, l’amour de l’archéologie, ce touche-à-tout des vieillards redevenus enfants, s’empare de ces esprits qui baissent, et on joue aux bagatelles de l’histoire, aux curiosités, aux minuties. […] Enfin, si nous ajoutons à ces deux raisons de notre temps la raison de tous les temps, qui fait si dur le métier des hommes de génie, à savoir, hélas ! […] but chimérique portant dommage à ses amis, amours des brouillons, de Buckingham, « le paladin sans génie », de Charles IV, « l’aventurier » de Chalais, « l’étourdi assez fou pour s’engager contre Richelieu sur la foi du duc d’Orléans », de Châteauneuf, « impatient du second rang sans être capable du premier », emploi et trafic de sa personne au profit de sa politique, et de sa politique au profit de la passion du jour, qu’est-ce que le cardinal de Retz a dit de plus déshonorant pour l’esprit et le caractère ? […] Elle avait le génie superficiel et violent de l’échauffourée. […] Les Précieuses, honnies depuis par les valets de Molière, génie positif qui comprenait fort peu le Royaume du Tendre, prirent la tête de cette réaction, et Mme de Hautefort fut l’une d’elles.
Pour un génie synthétique, qui sait généraliser sa pensée et qui échappe par sa grandeur même, vous avez la multitude des esprits qui analysent et qui se complaisent dans les finesses du détail. […] Cette lettre, éclaboussée de sang, est le Traité du Prince de ce Machiavel de père, supérieur à son élève, le contraire justement du Machiavel de l’histoire, très inférieur à Borgia, et qui n’écrivit son Traité du Prince que sous la dictée des actions de cet homme, qui fut, en somme, tout son génie. […] Bon an, mal an, cet écrivain, la veine sans déveine, — et qui ne s’ouvre pas les veines pour faire un livre, comme les affreux passionnés du génie, — pond et lèche son petit roman, mondain et moral, à travers la minceur transparente duquel on voit, comme le poisson dans un filet d’eau, la pièce de théâtre qu’il en tirera. […] Le génie est comme l’Océan. […] Il a débuté par des essais dramatiques à la Revue des deux mondes, et il sait d’ailleurs que ce qu’il sacrifie à la scène, ce n’est pas le génie d’un grand romancier.
….Que l’homme est malheureux et méchant, que le génie est un don nuisible et Dieu une puissance malfaisante ? […] On le nomme un génie aimable, un philosophe consolant ; il n’y a qu’un mot à dire : il avait compris l’univers, et l’univers bien compris n’est point désespérant, mais offre au contraire de sublimes perspectives. » Je n’ai pas craint de citer, parce que tout l’instinct de l’homme se révèle déjà dans ces premiers écrits, et que, si l’on a sans doute un peu au delà de Vauvenargues dans ce besoin d’action si caractérisé, on a déjà beaucoup de M. […] Il avait des amis artilleurs à Vincennes, il causait et discutait sur le terrain avec eux, se faisait démontrer les fortifications, l’attaque, la défense, et rien ne le flattait tant que d’être salué par eux, à cette fin d’école, un bon officier du génie. […] s’écrie-t-il et a-t-il droit de s’écrier dans cet égoïsme de l’artiste amoureux de son objet ; on m’a été prendre Alexandre du fond de l’antiquité, et on me l’a mis là, de nos jours, en uniforme de petit capitaine et avec tout le génie de la science moderne. » Pour la première fois donc l’historien a fait, a voulu faire un ouvrage. […] « Tout cela peut sans doute se faire médiocrement, comme toute chose d’ailleurs, car on est poëte, savant, orateur médiocre aussi ; mais cela fait avec génie est sublime.
Telle fut la vigueur de ton sobre génie, Tel fut ton chaste amour pour l’âpre vérité, Qu’au milieu des langueurs du parler d’Ausonie, Tu dédaignas la rime et sa molle harmonie, Pour ne laisser vibrer sur ton luth irrité Que l’accent du malheur et de la liberté. […] Un prêtre de l’endroit, l’abbé Sanchini, lui enseigna les premiers éléments du latin ; quant au grec, l’apprenant dès l’âge de huit ans dans la grammaire dite de Padoue, l’enfant jugea cette grammaire insuffisante, et, décidé à s’en passer, il se mit à aborder directement les textes qu’il trouvait dans la bibliothèque de son père ; il lut ainsi sans maître, et bientôt avec une surprenante facilité, les auteurs ecclésiastiques, les saints Pères, tout ce que lui fournissait en ce genre cette très-riche bibliothèque domestique ; le premier débrouillement fait, il lut méthodiquement, par ordre chronologique, plume en main, et, de même que chez Pascal, avec qui on l’a comparé, le génie mathématique éclata comme par miracle ; ainsi le génie philologique se fit jour merveilleusement chez le jeune Leopardi ; il devint un véritable érudit à l’âge où les autres en sont encore à répéter sur les bancs la dictée du maître. On a souvent remarqué cette alliance, au premier abord singulière, du génie poétique et du génie philologique ; mais ici elle a cela de plus particulier encore que le poëte énergique et brûlant qui va nous apparaître ne finit point par la philologie, ne s’y retira point après son premier feu jeté, mais qu’il débuta par là, et que, si ses souffrances précoces ne l’avaient impérieusement détourné des études suivies, c’est de ce côté sans doute qu’il aurait, avant tout, frayé sa voie et poussé sa veine patiente. […] Il serait trop extraordinaire pourtant que celui dont on admirera tout à l’heure le génie mâle et la pureté sévère n’eût pris d’abord l’antiquité que par ce côté des rhéteurs, des sophistes ou même des écrivains ecclésiastiques et qu’il eût négligé précisément les chefs-d’œuvre de grandeur et de grâce qu’elle nous a légués. […] du moins, lors de la grande renaissance des lettres, la ruine de l’Italie n’était pas consommée ; l’étincelle du génie circulait dans l’air au moindre souffle.
C’est elle qui d’abord échauffa son génie, et en fit sortir des œuvres admirables ; c’est elle qui plus tard, rebutée et désespérée, assombrit son intelligence et détruisit sa raison. […] Prudent par calcul, imprudent par tempérament, téméraire par génie, Swift ne put jamais épargner ceux même qu’il voulait défendre. […] Déjà Swift s’abandonne à son génie pour l’invective ; il revêt la satire d’une allégorie qui n’ôte rien à sa violence. […] Mais il avait compté sans son génie emporté, sans son aveuglement sur lui-même. […] Il réfléchit amèrement sur sa destinée et comprit que son génie avait nui à sa fortune.
les génies plastiques les plus vigoureux, les Michel-Ange, les Salvator Rosa, ne sauraient animer et faire repousser ces hommes sans relief, rongés de nullité encore plus que de vices, ces larves sans physionomie, ces restants de la Révolution française en orgie sur les tombeaux qu’ils avaient faits. […] Depuis que les Partageux, qui se retrouvent au fond de toutes les révolutions comme les rats au fond de toutes les ruines, ont reparu, flanqués de théorie, dans ces derniers temps, on a essayé de faire de Babeuf, lâche et faussaire, un grand génie et presque un grand homme, comme si l’insecte qui perce la planche d’un vaisseau était plus qu’un ver ! […] Ce n’est qu’une raison d’amoureux que s’applique sur la conscience Cassagnac, pour satisfaire sa bizarre passion de linguistique, quand il parle de l’influence de l’origine de la langue sur sa destinée et sur son avenir, et qu’il croit possible d’en diriger à volonté l’incoercible génie. […] Le Génie de l’action l’avait pris au Génie de la pensée, et quoique la pensée ait tenté de le reprendre à l’action, toute sa vie le Génie de l’action l’emportai Granier de Cassagnac est donc, avant tout, pendant tout, après tout, un grand journaliste. […] Si Granier de Cassagnac, avec un génie d’écrivain qui pouvait le mener droit à la gloire, n’est allé qu’à la renommée ; s’il n’a pas laissé derrière lui un de ces livres achevés, accomplis, qui barrent le flot du temps et que le temps n’emporte pas, c’est qu’il y eut évidemment pour lui un intérêt supérieur à l’intérêt de sa personne et de sa gloire.
Il y eut là, tout au sortir de l’enseignement de Malherbe, dans notre poésie française lyrique, une veine trop peu abondante, trop tôt distraite et interrompue, mais très pure, très française, neuve, élevée et douce : il en est resté quatre ou cinq odes au plus, mais dignes d’Horace, qu’on y retrouve imité sans servilité et avec génie, et bien faites surtout pour enchanter et inspirer, comme cela a dû être, la jeunesse de La Fontaine. […] Son genre d’esprit et de génie avait besoin d’ailleurs d’un régime fixe, régulier ; l’ordre public rétabli par Henri IV devait naturellement appuyer et précéder cet ordre tout nouveau à établir également dans les lettres et dans les rimes. […] C’était un heureux et facile génie que Racan, peut-être mieux doué, à quelques égards, que Malherbe, et en poésie comme en distraction un vrai précurseur de La Fontaine. […] Racan était doué d’une naïveté charmante et d’une élévation naturelle : mais distrait, paresseux, modeste à l’excès, privé trop tôt des conseils de Malherbe et abandonné à son instinct, il vécut au hasard, s’oublia volontiers aux champs, et n’eut que des accidents de génie dont j’ai noté les meilleurs.
Thomas Moore posait en principe que génie et bonheur domestique sont deux éléments antipathiques et qui s’excluent. Un jour qu’on demandait en présence de Wordsworth s’il en était nécessairement ainsi, le grave poète des lacs répondit : « Ce n’est point parce qu’ils ont du génie qu’ils font leur intérieur malheureux, mais parce qu’ils ne possèdent point assez de génie : un ordre plus élevé d’esprit et de sentiments les rendrait capables de voir et de sentir toute la beauté des liens domestiques23. » J’ai le regret de rappeler que Montaigne n’était pas de cet avis et qu’il penchait du côté du déréglement : citant les sonnets de son ami Étienne de La Boétie, il estime que ceux qui ont été faits pour la maîtresse valent mieux que ceux qui furent faits pour la femme légitime, et qui sentent déjà je ne sais quelle froideur maritale : « Et moi, je suis de ceux, dit-il, qui tiennent que la poésie ne rit point ailleurs comme elle fait en un sujet folâtre et déréglé. » Nous nous sommes trop souvenus en France de cette parole de Montaigne, et nous nous sommes laissés aller à cette idée de folâtrerie. […] L’éclair de la poésie et du génie ne cessait de briller de temps en temps à travers les éclipses et les ombres.
Serré de près dans ses retranchements, Vauvenargues répond et ne peut dissimuler quelques-unes des idées que nous lui savons sur et contre la littérature : Je n’ignore pas les avantages que donnent les bons commerces ; je les ai toujours fort souhaités, et je ne m’en cache point ; mais j’accorde moins que vous aux gens de lettres : je ne juge que sur leurs ouvrages, car j’avoue que je n’en connais point ; mais je vous dirai franchement, qu’ôtez quelques grands génies et quelques hommes originaux dont je respecte les noms, le reste ne m’impose pas. Je commence à m’apercevoir que la plupart ne savent que ce que les autres ont pensé ; qu’ils ne sentent point, qu’ils n’ont point d’âme ; qu’ils ne jugent qu’en reflétant le goût du siècle, ou les autorités, car ils ne percent point la profondeur des choses ; ils n’ont point de principes à eux, ou s’ils en ont, c’est encore pis ; ils opposent à des préjugés commodes des connaissances fausses, des connaissances ennuyeuses ou des connaissances inutiles, et un esprit éteint par le travail ; et, sur cela, je me figure que ce n’est pas leur génie qui les a tournés vers les sciences, mais leur incapacité pour les affaires, les dégoûts qu’ils ont eus dans le monde, la jalousie, l’ambition, l’éducation, le hasard. […] J’en sais plus que vous sur votre propre compte, si vous ne vous connaissez pas une grande étendue de génie. Le coup a porté : Vauvenargues a beau dire, il est homme de lettres plus qu’il ne croit ; il est sensible plus qu’il ne le voudrait à cette idée de génie, à cette image d’une gloire sous sa main, et qu’il ne tient qu’à lui de cueillir : « Vous ne sentez pas vos louanges, écrit-il à Mirabeau, vous ne savez pas la force qu’elles ont, vous me perdez !
Il nous racontait son origine bretonne et, par les femmes, quelque peu irlandaise, origine qui jette un certain jour sur la nature de son génie, son enfance presque sauvage, ses études solitaires au bord do la mer, sa passion pour le cheval, la chasse, les armes, et son audacieux défi à Surcouf, le fameux corsaire qui faisait trembler l’océan Indien : sa jeunesse opulente (?) […] » Sa correspondance d’alors donne l’idée d’une vie toute d’étude, de prière, à peine accidentée par quelques voyages de La Chesnaie à Saint-Malo, traversée par de courts et brusques éclairs de gaieté, assujettie d’ailleurs à bien des soins domestiques et de ménage, fort occupée dans un temps à la construction d’une chapelle à La Chesnaie ; mais bientôt la maladie que vous appellerez, si vous le voulez, la maladie du génie, l’inquiétude vague, le mécontentement et la nausée du présent, qui sera l’état fondamental et constitutionnel de La Mennais, se dessine et se déclare, et pour ne plus cesser. […] Il y avait entre les deux frères, alors si unis en apparence, un malentendu secret qui les séparait à leur insu et qui allait grandir et grossir de plus en plus et démesurément : ce malentendu, c’était le génie, d’écrivain et la gloire, pour lesquels l’un était fait et pas l’autre. […] Le génie ne traduit pas, M. de La Mennais savait fort mal le latin et attribuait la complète incapacité où il était d’écrire dans cette langue à l’étude qu’il en avait faite solitairement.
Son génie précoce y éclata comme il avait éclaté à Cahors. […] Il le sentit lui-même et se résigna à la prose ; mais il ne cessa pas d’être le génie le plus poétique de son temps. […] L’évêque de Meaux s’imposait à Rome par ses services à l’Église, à laquelle il conquérait par la main du roi la France protestante au catholicisme ; il s’imposait à Versailles par son ascendant à Rome, au monde, par la sublimité de son génie. […] Il ne tarda pas à captiver la cour tout entière, à l’exception des envieux et du roi, qui avait contre le génie les préventions du plus simple bon sens, et qui n’aimait pas qu’on regardât trop un autre homme que lui dans sa cour.
Nisard commence par se former une idée générale, et comme purifiée, du génie français. […] Car le critique s’est d’abord formé, sans le dire, par une première revue rapide de la littérature anglaise, une idée du génie anglais (comme M. Nisard du génie de la France), et c’est de là qu’il a déduit les conditions et le milieu où les œuvres proprement anglaises pouvaient se produire. […] Taine est singulièrement systématique, partiale et incomplète ; mais comme le génie de M.
Cette base commune de toutes les œuvres belles et vraies, cette flamme divine, ce souffle indéfinissable qui inspire la science, la littérature et l’art, nous l’avons trouvé en vous, Monsieur ; c’est le génie. […] Tout passe, et nous ne passons pas ; car nous ne nous attachons qu’à deux choses qui, nous l’espérons, seront éternelles en France : l’esprit et le génie. […] Littré, n’est qu’une fonction, la dernière et la plus tranquille de toutes. » Pour moi, je la trouve odieuse, haïssable, insensée, quand elle étend sa main froidement aveugle sur la vertu et le génie. […] Vous nous apporterez surtout votre gloire, votre génie, l’éclat de vos découvertes.
Je ne l’aime pas quand elle est en adoration devant son idole, quand elle lui parle solennellement de l’univers, quand à propos d’un imprimé de lui, qu’il lui fait parvenir par la petite poste, elle s’écrie : « J’ai soupiré de ne pouvoir pas prendre l’univers à témoin d’une distinction si flatteuse. » Elle me paraît peu aimable quand elle lui dit encore : « Vous avez le plus beau génie du siècle ; moi j’ai le meilleur cœur du monde… Vous êtes digne qu’on vous élève des statues ; moi je suis digne de vous en élever. » Tout cela est déclamatoire, comme une page même de Jean-Jacques. […] On se sent humilié pour ce qu’on appelle talent humain ou génie, de penser que c’est à partir de ce temps que Rousseau a écrit quelques-unes de ses plus divines pages, les premiers livres des Confessions, la cinquième promenade des Rêveries. […] Pour nous, quoi que la raison nous dise, pour tous ceux qui, à quelque degré, sont de sa postérité poétiquement, il nous sera toujours impossible de ne pas aimer Jean-Jacques, de ne pas lui pardonner beaucoup pour ses tableaux de jeunesse, pour son sentiment passionné de la nature, pour la rêverie dont il a apporté le génie parmi nous, et dont le premier il a créé l’expression dans notre langue. […] Qu’avons-nous encore à dire de Mme de La Tour, l’une des dévotes et des victimes que ces génies de séduction entraînent au passage ?
J’ai voulu glisser cette réserve parce que j’admire toujours à quel point les natures étroites et négatives sont empressées de dire à tout génie supérieur : « Tu n’as fait que ceci dans ta vie jusqu’à présent ; la fortune t’a empêché de t’essayer dans une plus large et plus ouverte carrière, donc tu n’aurais pu faire autre chose. » Ces gens-là ont besoin, de temps en temps, de recevoir quelques démentis comme celui que leur donne, par exemple, un Dumouriez aux défilés de l’Argonne. […] Il était de ceux en qui l’humeur domine le caractère ; l’amour de son plaisir, le libertinage, l’intrigue pour l’intrigue, le goût des déguisements et des mascarades, un peu trop de Figaro, si je puis dire, gâtaient le sérieux et rompaient dans la pratique la suite des desseins que son beau et impétueux génie était d’ailleurs si capable de concevoir. […] L’homme qui sous Louis XIV, vers 1672, âgé de cinquante-huit ans, écrivait ces choses dans la solitude, dans l’intimité, en les adressant par manière de passe-temps à une femme de ses amies, avait certes dans l’esprit et dans l’imagination la sérieuse idée de l’essence des sociétés et la grandeur de la conception politique ; il l’avait trop souvent altérée et ternie dans la pratique ; mais plume en main, comme il arrive aux écrivains de génie, il la ressaisissait avec éclat, netteté et plénitude. […] L’expression y est gaie volontiers, pittoresque en courant, toujours dans le génie français, pleine d’imagination cependant et quelquefois de magnificence.
Sa figure commençait à se dessiner pour moi, et je voyais dans le maréchal Marmont un militaire des plus instruits, des plus éclairés, animé du génie de son art, en possédant la philosophie, à la fois plein de flamme et de cœur, et finalement malheureux. […] Le besoin de conservation éprouvé dès l’enfance développe dans l’homme un génie particulier. […] Le génie des deux nations et le caractère des deux chefs se dessinaient encore, même dans ces marches méthodiques et prudentes. Marmont, fidèle au génie français, et l’un des plus distingués capitaines de cette école de l’armée d’Italie, penchait encore pour l’offensive et en prenait volontiers l’attitude, même quand son rôle était purement défensif.
Henry est allé plus loin, il voudrait y joindre certaines convictions intimes en fait de religion, et, nous présentant le roi par un aspect allemand et tout nouveau, il dit : Frédéric voulait la loi et la religion avec toute la puissance de son génie ; c’était à la surface de son âme seulement qu’il plaisantait sur des sujets qui ne lui paraissaient pas tenir au fond des choses, et dans la pensée que ces plaisanteries n’arriveraient jamais à la connaissance du public. […] Il aura l’avantage des génies supérieurs qui est de se rendre, pour ainsi dire, maître des conjonctures, de les faire naître et de les gouverner à son gré par sa sagesse ou par sa constance, par sa modération ou par sa bravoure, selon le cas et le besoin. […] Ce passage a cela de remarquable qu’il définit admirablement à l’avance les caractères du génie et de la destinée du grand Frédéric, lequel en effet a dû s’appliquer à faire naître les circonstances, ou à s’y approprier au fur et à mesure qu’elles naissaient ; qui porte en tout et qui met à tout le cachet de la volonté, du travail et d’un certain effort, et qui ne le recouvre et ne le revêt point de splendeur, de spontanéité et de poésie, comme il arriva plus tard dans l’apparition étonnante et tout d’un jet de Napoléon. […] Il persiste à repousser toute comparaison, tout point de contact avec les héros, avec les conquérants ; il en est presque là-dessus aux lieux communs de la philosophie : Si les qualités du cœur peuvent entrer dans la composition d’un héros, si la fidélité et l’humanité peuvent tenir lieu de cette fureur brutale et souvent barbare des conquérants ; si le discernement et le choix des honnêtes gens peut être préféré au vaste génie de ceux qui conçoivent les plus grands desseins ; si enfin les bonnes intentions et la douceur sont préférables à l’activité de ces hommes remuants qui semblent être nés pour bouleverser tout le monde ; alors, et à ces conditions, je puis entrer en compromis avec eux.
Il vaut mieux %99 %faire observer qu’un précepte de facture reste une simple recette, que peindre d’une certaine façon ne veut jamais dire peindre bien de cette façon, que l’important est de peindre bien et que la façon n’y est pour rien, que Velasquez et Rubens se valent, que toutes les querelles et les gros mots sur les procédés manuels de l’art ne signifient rien, que la seule chose nécessaire est d’avoir du génie, que les procédés même de Cabanel, de Bouguereau, de Tony Robert Fleury, de Delaroche et d’Horace Yernet donneraient de magnifiques œuvres s’ils étaient employés par des artistes ayant le don, qu’enfin la formule du plein air est la dernière qu’il faille défendre, puisque, à l’heure actuelle, elle n’a pas encore donné un seul chef-d’œuvre ? […] Zola sur presque toute ses assertions par les autorités qu’il invoque et de lui montrer une bonne fois qu’il n’est plus permis aujourd’hui de lancer au hasard les affirmations que lui dicte son tempérament, qu’il y a des raisons aux choses et qu’en plusieurs points l’esthétique de ses adversaires, malheureusement médiocres et ineptes, des Feuillet, des Sand, est plus rationnelle que la sienne, qu’enfin Balzac, Tolstoï et même Flaubert, ont montré une bonne fois comment on peut embrasser la nature entière sans en omettre le couronnement et rester réalistes tout en analysant le génie et la noblesse morale. […] Autant cet écrivain nous paraît piètre penseur, mal renseigné et peu spéculatif, autant nous l’admirons pour son génie incomplet mais puissant. […] Avec le Flaubert de l’Éducation sentimentale, avec le Tolstoï de la Guerre et la Paix, avec tout Balzac, avec les psychologues comme Stendhal et les individualistes comme les de Goncourt, les Rougon-Macquart, seront les ancêtres du roman démotique futur, où il y aura des cerveaux et des corps, le peuple et les chefs, les dégradés et les génies, de la chair et des nerfs, le sang et la pensée.
Lerminier porte dans son enseignement un don trop invincible et trop naturel pour qu’on en puisse faire abstraction quand on parle de lui : c’est une faculté de parole, une puissance d’enthousiasme et d’images, un génie d’improvisation, entraînant, éblouissant, exubérant, qui me fait croire, en certains endroits, à ce qu’on nous rapporte des merveilles un peu vagabondes de l’éloquence irlandaise ; de la gravité toutefois, un grand art, des illustrations de pensée empruntées à propos à d’augustes poètes ; et puis un geste assuré, rhythmique, un front brillant où le travail intérieur se reflète, et, comme on le disait excellemment sous Louis XIV, une physionomie solaire et une heureuse représentation. […] Cette démocratie française se montrera avant tout calme, intelligente, civilisatrice, souverainement ingénieuse par ses arts et par son génie ; elle pratiquera la clémence et la gloire.
Sa philosophie simpliste à laquelle il est bien possible que les raffinés des derniers âges reviennent par le plus long était celle d’un jeune « Huron » de génie. […] À l’une des époques où notre littérature fut le plus complexe et nous distilla les boissons les plus travaillées, le génie conteur de Maupassant jaillit comme une source de belle eau merveilleusement claire.
Elle opposerait, il est vrai, des génies différents, mal prolifiques. […] Autant cet écrivain nous paraît piètre penseur, mal renseigné et peu spéculatif, autant nous l’admirons pour son génie incomplet et puissant ».
Depuis dix ans qu’il est sur la brèche, il n’a jamais cessé d’encourager les talents naissants, de mettre en lumière les génies méconnus. […] Le Génie force tous les silences.
Un génie invisible a été l’architecte qui présidait à l’ensemble et faisait concourir ces efforts isolés à une parfaite unité. […] Ce n’étaient certes pas des génies que Hervas, Paulin de Saint-Barthélemi, Pigafetta, qui peuvent être regardés comme les fondateurs de la linguistique.
Un million vaut un ou deux hommes de génie, en ce sens qu’avec un million bien employé on peut faire autant pour le progrès de l’esprit humain que feraient un ou deux hommes de premier ordre, réduits aux seules forces de l’esprit. […] Mais c’est égal ; cela fait des éclairs de génie.
Ce brave homme a eu vraiment une idée de génie. […] D’où viendrait le génie, qui est presque toujours le résultat d’un long sommeil antérieur ?
Afin de suppléer à un génie propre, ils empruntent celui de quelque écrivain et la parodie qu’ils en font demeure la plus fâcheuse du monde. […] Paul Fort vanta le génie de Le Blond.
Le Latin étoit encore trop en règne ; au lieu qu’il commença à déchoir sous Louis XIV, à mesure que nos grands écrivains parurent & que le génie de notre langue se développa. […] Qu’on choisisse seulement un homme de génie, & l’on verra de quoi notre langue est capable.
Aucune preuve n’a la même force, aucune idée la même évidence, aucune image le même charme pour tous les esprits ; mais je serais, je l’avoue, beaucoup moins flatté que l’homme de génie se retrouvât dans quelques-unes de mes pensées, que s’il arrivait à l’homme de bien de se reconnaître dans mes sentiments. […] Il y a telles de vos notes qui sollicitent une place dans les savants recueils de notre Académie des inscriptions : d’autres montrent de la finesse, du goût, de la philosophie, de la hardiesse ; toutes annoncent l’ami des hommes, l’ennemi des méchants, et l’admirateur du génie.
Ou nous répond que de très grands écrivains ont lu à tort et à travers et n’ont même pas lu du tout, comme si nous n’avions pas répété cent fois qu’un Cours de littérature n’est pas fait pour des hommes de génie. […] Il fera peut-être un chef-d’œuvre, s’il a du génie, mais, en général — et c’est au point de vue général qu’il faut se placer lorsqu’on enseigne, — l’éclosion, la révélation, l’éducation et la formation du talent se font à peu près pour tout le monde, par la lecture. « Le talent, a dit Flaubert, se transfuse toujours par infusion. » On pourra chicaner, distinguer, sophistiquer, alambiquer, citer des cas et des exceptions, voilà la règle, voilà le fait.
Quant aux lettrés de Vouziers, ils prennent un ton réservé, disant : Taine n’est pas venu à nous ; il ne nous a pas connus ; il ne rentrait à Vouziers que de loin en loin, descendait à l’hôtel et ne voyait que ses hommes d’affaires. » La supériorité de la vie contemplative sur la politique, c’est qu’il n’est pas besoin de délégation pour la représenter ; que le Rethelois, que l’Argonne, que nos régions de l’Est autorisent ou non Taine, elles s’expriment par son génie. […] Cette famille s’essaya lentement à créer le génie de celui qui vient de l’anoblir, et par M.
Philippe II, Henri VIII et Louis XI, n’auraient jamais dû voir Tacite dans une bibliothèque sans une espèce d’effroi. » Si de la partie morale nous passions à celle du génie, quel homme a dessiné plus fortement les caractères ? […] Le début, qui est d’une grande beauté, est d’une éloquence tout à la fois simple et forte ; il y parle de l’ancien usage de célébrer les grands hommes, de l’indifférence de son siècle pour ceux qui l’honorent, du danger de louer la vertu sous les tyrans, des effets de l’oppression, qui fait mourir les arts en étouffant le génie.
Mais, nous le répétons avec douleur, là s’arrête la divinité philosophique de Platon ; presque dans tous ses autres dialogues le saint disparaît, le rhéteur se montre, argumente, et le dialecticien, faisant un ennuyeux abus de la parole, se livre à des puérilités d’esprit qui font rougir le génie grec. […] Une fois entré dans le domaine du sophisme contre nature, il y a toujours un fou qui en dépasse un autre : la démence a son émulation comme le génie. […] Rousseau, où tout le génie montait en rêves. […] Il faut du génie pour la législation, il ne faut que du sens commun pour faire le gouvernement d’un peuple. […] Il fut l’instituteur et le conseiller politique du plus grand des Grecs en génie, en politique et en héroïsme : Alexandre.
Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. […] On se livre à lui malgré soi ; il s’empare de vous ; on ne croit que la moitié de ce qu’il dit, l’autre moitié vous fait peur ou horreur ; on voudrait raisonner contre lui, on n’en a pas le temps, on va, on va, on va ; c’est ce qu’on appelle la verve, la couleur, le feu du génie, le délire de la langue, la folie du mouvement. […] Victor Hugo, qui a, dit-on, une charmante épouse, des fils de talent, des filles de vertu dans sa famille, voulût accorder leur main aux fils ou aux filles de son héros Jean Valjean, si Jean Valjean, malgré son trésor dont le premier centime était l’argenterie de son évêque ou la pièce de quarante sous du pauvre enfant qui lui avait servi de guide, était de condition égale à la condition d’un honnête homme de génie. […] Je crois que vous avez raison, mon cher Baptistin, et que l’instinct, cette raison occulte, composée de mille raisons non raisonnées, raisonne mille fois mieux que le préjugé, contre lequel tout le génie de M. […] À quels excès d’aveuglement le génie même de la parole peut conduire !
Boileau, sur le point de mourir, entend lire une tragédie de Crébillon père et il s’écrie épouvanté : « Les Pradon étaient des soleils auprès de ces gens-là. » Voltaire écrira plus tard, frappé de cette stérilité soudaine : « La nature fatiguée après avoir produit tant de beaux génies sembla vouloir se reposer. » Et ce ne sont pas seulement les œuvres qui sont moins nombreuses, les grands hommes qui sont plus petits ; il y a aussi un changement profond dans l’esprit qui anime les auteurs. […] N’est-ce pas par l’intermédiaire de ce Français, né entre la France et l’Inde, qu’a pénétré en nous la vision la plus nette et la plus puissante des jungles où le tigre est aux aguets et l’esprit des doctrines où respire le génie endormeur de l’Inde antique ? […] Certes, il est impossible, en présence des merveilles que l’industrie a réalisées en si peu de temps, de ne pas admirer la puissance de la science et du génie humain. […] Aussi les hymnes au génie de l’homme ne manquent-ils pas dans la poésie de notre siècle. […] Après le règne de Louis XIV, on s’avise que de grands écrivains font autant pour la gloire d’un peuple que de grands capitaines ou de grands diplomates ; on s’aperçoit que les Corneille, les Molière, les Racine ont opéré des conquêtes plus durables que celles du grand roi, et si Voltaire peut traiter presque d’égal à égal avec des têtes couronnées, en sa qualité de roi de l’opinion publique, s’il a des correspondants et des flatteurs parmi les souverains d’Europe, il doit en partie ce prestige au souvenir de ses illustres devanciers, à l’admiration qu’ils ont inspirée, à la haute idée qu’ils ont donnée des droits sacrés du génie.
Les images, les mots que le génie inspire, Où l’univers entier vit, se meut et respire, Source vaste et sublime et qu’on ne peut tarir, En foule en son cerveau se hâtent de courir. […] Sainte-Beuve ne semblait pas le croire, et il a porté un jugement bien sévère et décourageant sur les tentatives de ce genre ; c’est à propos d’une idée émise par Chênedollé, qui aimait à expliquer le médiocre succès du Génie de l’Homme (un autre Hermès, achevé celui-là) en se disant à lui-même que le temps n’était pas venu d’appliquer la poésie aux sciences, que la science était encore trop verte, trop jeune, que dans l’état des choses actuelles, elle n’était pas encore nubile et qu’il ne fallait pas songer au mariage. […] Déjà Lamartine, Victor Hugo, l’avaient retrempée à des sources intérieures, découvertes par leur génie d’écrivain ; elle en était sortie avec une souplesse et un éclat nouveaux. […] Ainsi, même dans les interrègnes du génie, le travail qui s’est fait dans la poésie française n’a pas été perdu pour elle : il en a étendu et varié le vocabulaire ; s’il n’a pas produit beaucoup d’idées, s’il a été stérile en grandes œuvres, il aura préparé des ressources utiles aux poètes qui viendront plus tard et que tenteront les sujets nouveaux. […] C’est tout ce que voulait d’eux le génie de l’espèce ; la pudeur n’est qu’un artifice pour vaincre Le dégoût de peupler une terre aussi dure.
Voulait-il s’asseoir parmi les marbres inanimés, et demander à ces ruines éloquentes le génie des demi-dieux qui leur avait donné la vie ? […] Aucun de ces messieurs ne peut le réclamer comme sien ; il est seul et libre dans son génie, et n’accepte aucune fraternité jalouse. […] À notre avis, le génie de M. de Lamartine suffit à expliquer ce bonheur singulier. […] Génie heureux et prédestiné, il n’a eu qu’à être lui-même pour conquérir d’emblée la sympathie et l’admiration. […] Il avait en lui-même une puissance de génie et de volonté capable de réaliser les plus grandes pensées, les plus gigantesques entreprises.
Le mouvement religieux imprimé par le Génie du Christianisme se propage avec des chances et sous des formes diverses. […] Quand les lettres ont-elles ouvert, je ne dis pas même au génie, mais au talent, de plus brillantes carrières ? […] … Ô génie du mal, je me donne à toi ! […] Il se tue parce que la gloire se fait trop attendre et que la société tarde à reconnaître son génie ! […] âme mesquine, génie étroit.