C’était précisément le cas au lendemain de la mort de Mme Roland, et quand ses Mémoires furent publiés pour la première fois ; c’était le cas encore tant que vécut sa fille, à laquelle il eût été pénible de laisser percer dans les écrits de sa mère un sentiment dont son père aurait rougi et dont il avait souffert. Je le demande à tous ceux qui ont le sentiment et le culte de la famille : Mme Roland avoue qu’elle aima à la fin un autre homme que son mari, qu’elle l’aima en tout bien, tout honneur, mais enfin qu’elle l’aima d’amour et de passion ; elle confesse que son mari, à qui elle crut en devoir faire l’aveu, en souffrit, comme c’était bien naturel et en ressentit de la jalousie. […] Si j’étais libre, je suivrais partout ses pas pour adoucir ses chagrins et consoler sa vieillesse ; une âme comme la mienne ne laisse jamais les sacrifices imparfaits ; mais Roland s’aigrit à l’idée d’un sacrifice, et la connaissance une fois acquise que j’en fais un pour lui renverse sa félicité ; il souffre de le recevoir, et ne peut s’en passer. » Roland avait raison, et tous les hommes à sa place auraient souffert comme lui. […] Lanthenas, apparemment comme le vulgaire, content de ce qu’il a lorsque d’autres n’obtiennent pas davantage, s’aperçut que je ne demeurais point insensible, en devint malheureux et jaloux ; rien ne rend si maussade et même injuste : je le sentis, et j’étais trop fière pour l’épargner : il s’éloigna d’autant plus furieux, imaginant le pis ; ses opinions même prirent une nouvelle teinte ; son cœur l’empêchait d’être féroce comme les montagnards, mais il ne voulut plus voir comme moi, et bien moins comme celui qu’il me voyait chérir ; il prétendit se mettre entre le Côté droit dont il blâmait les passions, et le Côté gauche dont il ne pouvait approuver les excès ; il fut moins que rien, et se fît mépriser des deux parts. » C’est bien dur et bien écrasant pour Lanthenas, qui avait souffert pour elle, qui ne s’éloignait qu’à cause d’elle, et qui était dans le vrai en étant jaloux. […] Mais si l’infortune opiniâtre attache à tes pas quelque ennemi, ne souffre point qu’une main mercenaire se lève sur toi ; meurs libre comme tu sus vivre, et que ce généreux courage qui fait ma justification l’achève par ton dernier acte. » Mme Roland dans sa prison lisait beaucoup Tacite et cherchait à se pénétrer de sa forme : on s’en aperçoit à la condensation et à l’obscurité de la dernière phrase. — Cette apostrophe à la Caton, cette tirade à la Sénèque ou à la Lucain, très raturée dans le manuscrit, a été reconquise par le présent éditeur.
La Restauration lui causa une grande joie, mais elle la concevait à sa manière, et elle dut en souffrir bientôt et violemment, comme d’un objet qui échappe et qu’on aime. […] Elle ne put ignorer ces manéges, et elle en souffrait, et elle travaillait à se détacher en esprit d’un monde où les inimitiés sont si actives, où les amitiés deviennent trop souvent plus lentes et infidèles. […] Ses souffrances physiques étaient devenues par moments atroces, insupportables ; elle les acceptait patiemment, elle s’appliquait de tout son cœur à souffrir, elle y mettait presque de la passion, si l’on ose dire, une passion dernière et sublime. […] On pardonne pour être pardonné ; on pardonne parce qu’on se reconnaît digne de souffrir, c’est le pardon de l’humilité ; on pardonne pour obéir au précepte de rendre le bien pour le mal : mais aucun de ces pardons ne comprend l’excuse des peines qu’on nous a faites. […] Comment croire qu’on puisse causer de sang-froid et volontairement ces chagrins déchirants qui font souffrir mille morts avant de mourir ?
Il faut que le trouble organique soit en relation avec un être qui ne veut pas être troublé et qui réellement souffre d’être troublé. […] Le sujet, sans se représenter à lui-même, se sent jouir et souffrir ; en même temps, il a conscience de son consentement au plaisir, de son aversion pour la douleur, et cela au moment même où il accepte et repousse. Ce n’est plus de l’intelligence, ce n’est plus de la sensibilité pure, constatant qu’elle jouit ou souffre ; mais c’est encore de la conscience. […] Ou je souffre, et je n’ai pas besoin de penser ma souffrance, qui est ce qu’elle est sans qu’il faille la convertir en pensée ; ou je pense réellement que je souffre, et cette pensée n’est déjà plus ma souffrance ; elle est une classification que je fais du phénomène actuel pour le ranger dans la classe des douleurs avec accompagnement des mots : je souffre. Bref, en tant que je souffre, je ne connais pas ma souffrance ; en tant que je la connais, je ne souffre pas.
Pierre Quillard Le Songe de l’Amour : Ce sont ici des vers de l’amour, de plusieurs amours qui n’en sont qu’un, à cause du poète qui en ressentit la joie inquiète, réticente et farouche, se donnant et se reprenant avec une égale bonne foi et une égale fierté d’indépendance ; s’il a souffert, il n’a pas fait souffrir ; et, sans être dupe outre mesure du songe qu’il s’était créé, il a voulu en perpétuer l’illusion, parce qu’elle était noble, cruelle et douce.
Cela fait souffrir, mais je ne suis pas fatigué. […] De tels enfants avaient prodigieusement souffert de porter en eux les rêves les plus salubres, auxquels ils se dévouaient avec l’enthousiasme d’une conviction profonde, et de les servir avec les armes de l’anarchie. Ils avaient souffert, à leur insu peut-être, d’aspirer si haut, d’obéir à des impulsions si nobles, et de passer leurs années d’adolescence en des luttes avec la police. […] Mais leurs visages terriblement graves attestent que leur joie ne les empêche pas de souffrir. […] Il souffre.
Comment donc a-t-il pu souffrir, avec son talent et sa modestie de chrétien, que l’amitié, spéculant maladroitement pour lui (et son éditeur aussi, qui l’a souffert, et qui aurait dû, lui, être la Spéculation adroite !) […] Ernest Hello, mort jeune encore et sans renommée, a plus souffert de son obscurité qu’un homme qui aurait dû avoir la fierté du talent et la résignation du chrétien. […] Une âme souffre à travers ses pages, une âme chrétienne, baptisée, pleine de Dieu, une vraie âme, tandis que dans les pages de La Rochefoucauld, de Vauvenargues et même de La Bruyère, il n’y a que des entéléchies d’Aristote, il y a des esprits et peu d’âme, — quoique, d’entre les trois, le plus jeune, qui sentait palpiter ses vingt ans à travers sa philosophie, ait dit que « les grandes pensées viennent du cœur », La Bruyère, le seul chrétien d’entre eux, ne l’était que correctement, comme tous les honnêtes gens de son époque, mais il devait entendre cette religion, dont il admirait l’ordonnance, à peu près comme Le Nôtre entendait ses jardins. […] Lisez son grand fragment sur la Médiocrité, dont j’ai parlé déjà, et qu’il haïssait… Elle l’aura fait souffrir, sans doute. Est-ce qu’elle ne nous fait pas toujours souffrir, dans toutes les noblesses de nos âmes ?
Je souffre tant moi-même… Et toi, tu veux exciter et fouetter la douleur. […] Il n’y a que cela qui puisse me faire souffrir davantage. […] Tout mon désir était de le quitter sans le faire souffrir. […] Jacqueline, ayez pitié de moi ; ce n’est pas d’hier que je souffre. […] Elle accepte avec joie de souffrir.
Volontiers il en sacrifie à rien, à la volupté de voir souffrir. […] Sa joie de faire souffrir, son amour pour les bêtes de proie qui lui ressemblent, s’exprime en « belles cadences » émues dans l’éloge de Gog le lévrier, « celui qui, d’un seul coup de ses mâchoires, cassait les reins du lièvre » ; celui qui « possédait toutes les vertus de la grande race », depuis la rapidité à la course jusqu’au « désir constant de tuer la proie ». […] Mais ici l’amant qui abandonne ne regrette point de faire souffrir, n’hésite point devant la souffrance qu’il crée ; il en jouit et, pour renouveler son ignoble plaisir, il s’applique à la multiplier, à la diversifier. […] Elle éprouvait elle-même un sentiment mal défini, où l’amour tient moins de place que le caprice de dominer et la fantaisie de faire souffrir.
« Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des Cieux est à eux ! […] Avait-on auparavant ouï dans le monde de tels accents, un tel amour de la pauvreté, du dénuement, une telle faim et soif de la justice, une telle avidité de souffrir pour elle, d’être maudit des hommes à cause d’elle, une telle confiance intrépide en la récompense céleste, un tel pardon de l’offense, et non pas simplement un pardon, mais un mouvement plus vif de charité pour ceux qui vous ont fait du mal, qui vous persécutent et vous calomnient, une telle forme de prière et d’oraison familière adressée au Père qui est dans les Cieux ? […] On reprochait à Aristote d’avoir secouru un homme qui ne le méritait pas : « Ce n’est pas l’homme que j’ai secouru, répondit-il, c’est l’humanité souffrante. » L’imagination de Platon avait fait plus et semblait s’être portée spontanément au-devant du christianisme : on le voit, dans un de ses dialogues, se plaire à figurer en face du parfait hypocrite, honoré et triomphant, le modèle de l’homme juste, simple, généreux, qui veut être bon et non le paraître : « Dépouillons-le de tout, excepté de la justice, disait un des personnages du dialogue, et rendons le contraste parfait entre cet homme et l’autre : sans être jamais coupable, qu’il passe pour le plus scélérat des hommes ; que son attachement à la justice soit mis à l’épreuve de l’infamie et de ses plus cruelles conséquences et que jusqu’à la mort il marche d’un pas ferme, toujours vertueux, et paraissant toujours criminel… Le juste, tel que je l’ai représenté, sera fouetté, mis à la torture, chargé de fers ; on lui brûlera les yeux à la fin, après avoir souffert tous les maux, il sera mis en croix… » C’est une vraie curiosité que ce passage de Platon, et même, à le replacer en son lieu et à n’y chercher que ce qui y est, c’est-à-dire une supposition à l’appui d’un raisonnement, sans onction d’ailleurs et sans rien d’ému ni de particulièrement éloquent, ce n’est qu’une curiosité. […] Un homme estimable et savant, qui a récemment travaillé sur les Évangiles, et qui n’a porté dans cet examen, quoi qu’on en ait dit, aucune idée maligne de négation, aucune arrière-pensée de destruction, qui les a étudiés de bonne foi, d’une manière que je n’ai pas qualité pour juger, mais certainement avec « une science amoureuse de la vérité », a qualifié heureusement en ces termes la mission et le caractère de Jésus, de la personne unique en qui s’est accomplie la conciliation la plus harmonieuse de l’humanité avec Dieu : « Celui qui a dit : Soyez parfaits comme Dieu, et qui l’a dit non pas comme le résultat abstrait d’une recherche métaphysique, mais comme l’expression pure et simple de son état intérieur, comme la leçon que donnent le soleil et la pluie : celui qui a parlé de la sainteté supérieure qu’il exigeait des siens comme d’un “fardeau doux et léger” ; celui qui, révélant à nos yeux une pureté sans tache, a dit que “par elle on voyait Dieu…”, celui qui, enfin, renonçant à la perspective du trône du monde, a senti qu’il y avait plus de bonheur à souffrir en faisant la volonté de Dieu qu’à jouir en s’en séparant… celui-là, c’est Jésus de Nazareth. » Lui seul, et pas un autre au monde42 ! […] Pureté, désintéressement ; douceur, esprit de justice, esprit de paix, et de miséricorde ; guerre, aux hypocrites et aux menteurs, aux Pharisiens de tout bord et de toute robe ; besoin de s’immoler pour tous ceux qui souffrent, de racheter et de sauver tous ceux qui croient, en la promesse ; dites : ne le voilà-t-il pas encore une fois défini ?
Quand le tableau des douleurs est vivement retracé, quelles leçons peuvent ajouter à la force du besoin qu’on a de cesser de souffrir ? […] Non, ne condamnez pas ces infortunés qui ne savent pas cesser de l’être ; vous, de qui leurs destinées dépendent, secourez-les, comme ils veulent être secourus ; celui qui peut soulager le malheur, ne doit plus penser à le juger, et les idées générales sont cruelles à l’homme qui souffre, si c’est un autre, et non pas lui, qui les applique à sa situation personnelle. […] Ce n’est pas le nombre des individus, mais les douleurs qu’il faut compter ; et si l’on pouvait supposer la possibilité de faire souffrir un innocent, pendant plusieurs siècles, il serait atroce de l’exiger pour le salut même d’une nation entière ; mais ces alternatives effrayantes n’existent point dans la réalité. […] Ces êtres seuls n’ont plus de droits à l’association mutuelle de misères et d’indulgence, qui, en se montrant sans pitié, ont effacé dans eux le sceau de la nature humaine : le remords d’avoir manqué à quelque principe de morale que ce soit, est l’ouvrage du raisonnement, ainsi que la morale elle-même ; mais le remords d’avoir bravé la pitié, doit poursuivre comme un sentiment personnel, comme un danger pour soi, comme une terreur dont on est l’objet ; on a une telle identité avec l’être qui souffre, que ceux qui parviennent à la détruire, acquièrent souvent une sorte de dureté pour eux-mêmes, qui sert encore, sous quelques rapports, à les priver de tout ce qu’ils pourraient attendre de la pitié des autres ; cependant, s’il en est temps encore, qu’ils sauvent un infortuné, qu’ils épargnent un ennemi vaincu, et, rentrés dans les liens de l’humanité, ils seront de nouveau sous sa sauvegarde. […] La pitié est souvent séparée de tout retour sur soi-même ; si, par abstraction, vous vous figuriez un genre de douleurs qui exigeât, pour la souffrir, une organisation tout-à-fait différente de la vôtre, vous auriez encore pitié de cette douleur ; il faut que les caractères les plus opposés puissent éprouver de la pitié pour des impressions qu’ils n’auraient jamais ressenties : il faut enfin que le spectacle du malheur remue les hommes par commotion, par talisman, sans examen ni combinaison.
Il a voulu devenir l’enfant qui souffre et qui tremble, fébrile et troublé de l’émoi d’une première passion. […] Ce sont bien des confidences, en effet, ces poèmes où le rythme semble dérouler tout ce qui, dans la nature, souffre, s’effraie et s’atténue : l’automne et les suprêmes parfums passant dans le sillage des départs ailés ; les couchants dont des nuages en fuite pansent la gloire meurtrie ; les yeux stagnants des vieilles résignant, songe à songe, leur vie ; les vaisseaux que cerne la brume marine ; les pleurs que font tinter dans l’air les clochers exhalant l’Angélus ; — et la mélancolie du Désir, nostalgique et toujours inassouvi, qui supplante aux fins de l’étreinte la fougue lassée du déduit.
Elle souffrait, et sa santé s’en altérait ; mais chaque jour, sous la langueur croissante, dans les traits un peu pâlis de sa beauté, redoublait la grâce. […] M. de Murçay, qui pensait de même, souffrait pourtant à la longue de ces heures vides ou envahies par les petitesses. […] Mais la passion de Mme de Pontivy avait souffert, et elle travaillait sur elle-même, pour la diminuer, disait-elle, et la mettre à ce niveau de raisonnable tendresse. […] Mon ami, j’ai bien souffert ! […] combien de fois en ai-je souffert !
Et puis La Fontaine a été un Rousseau qui a moins souffert, qui a été moins gâté, et par ce qu’il a souffert, et par les succès qu’il a eus. Les deux grandes raisons du pessimisme, de la misanthropie du caractère de Rousseau, c’est qu’il a souffert, et beaucoup plus qu’il ne l’a dit, physiquement, matériellement. Il a souffert beaucoup dans une partie de son adolescence et de sa jeunesse. […] Je souffre cette humeur. […] Pour Molière, nous savons évidemment, défalcation faite de beaucoup d’exagérations que l’on s’est permises à son égard, pour ce qui est de ses passions amoureuses, nous savons qu’il a souffert beaucoup et profondément des passions de l’amour.
Car nous demandons à une œuvre de roman qu’elle nous fasse penser, mais bien plus encore qu’elle nous fasse aimer, souffrir, espérer. […] Par un privilège de la jeunesse, la douleur est ce qui compte le plus dans toute vie humaine, et ce qui s’imagine le moins bien, quand on n’a pas souffert. […] Dès lors il n’y a plus d’événements dans ces deux vies séparées et voisines, mais seulement des incidents grossis par la passion qui en souffre, et par le talent du romancier qui les analyse jusqu’en leurs dernières conséquences. […] Dominique, lui, ne raconte pas où il est allé, ni ce qu’il a souffert des hommes ou des choses. […] Nous n’avons là, en effet, qu’une autobiographie, que les mémoires d’une âme qui a souffert.
La nature a été exagérée, mais avec tant de discrétion que la ressemblance n’a rien souffert de la dignité qu’on a surajoutée. […] C’est la contrainte qu’on te fait souffrir, pour te montrer comme tu n’es pas, qui gâte tout.
En vain il souffre par Charlotte, ce jeune homme de vingt-trois ans, qui ne souffrira plus demain, mais il n’oublie pas, à chacun de ces coups qui font pousser aux hommes le cri vrai, de pousser le cri de la rhétorique et d’invoquer les dieux immortels, les génies, les forces, les tourbillons, et toute cette mythologie panthéiste d’un paganisme renouvelé, qui seront un jour les causes de mort de ses écrits et les rendront insupportables. […] On prétend retrouver dans ce visage — médaille invulnérée — le signe des fronts qui souffrirent et qui les marque, en les défigurant d’une manière sublime, comme le fer à cheval de Redgauntlet ! […] Au bonheur d’une félicité non interrompue il fallait ajouter l’honneur d’avoir souffert quelques jours, et on a inventé cette gloire du malheur pour que le bonheur de Goethe fût plus grand, son illustration plus complète, et que tous les genres d’intérêt, cet enfant gâté de la destinée les inspirât… Après cela, dira-t-on que la Fortune n’est pas une chienne fidèle, — et qu’elle n’a pas payé dans les mains de Goethe tout ce qu’elle doit depuis des siècles aux hommes de génie malheureux ?
Dans un singulier chapitre expressément dédié « Aux infortunés », et qui est placé, on ne sait trop comment, entre celui de « Denys à Corinthe » et celui d’« Agis à Sparte », il s’adresse à ses compatriotes émigrés et pauvres, à tous ceux qui souffrent comme lui du désaccord entre leurs besoins, leurs habitudes passées et leur condition présente ; il leur rappelle la consolation des Livres saints, vraiment utiles au misérable, parce qu’on y trouve la pitié, la tolérance, la douce indulgence, l’espérance plus douce encore, qui composent le seul baume des blessures de l’âme. […] Là il a trouvé une société paisible qui, comme lui, cherche le silence et l’obscurité : ces sylvains solitaires veulent bien le souffrir dans leur république, à laquelle il paye un léger tribut, tâchant ainsi de reconnaître, autant qu’il est en lui, l’hospitalité qu’on lui a donnée. […] Or si l’âme souffre par elle-même indépendamment du corps, il est à croire qu’elle pourra souffrir également dans une autre vie ; conséquemment l’autre monde ne vaut pas mieux que celui-ci. Ne désirons donc point survivre à nos cendres : mourons tout entiers, de peur de souffrir ailleurs.
Dans ce livre de Grandeur et servitude militaires, Vigny n’aime le régiment que parce qu’on y souffre, — comme Éloa aimait l’Abîme où l’on souffrait. […] Lui, Vigny, qui a rejeté, avec le dédain du penseur et l’orgueil du contemplateur des civilisations impossibles, cette noble casaque du soldat portée longtemps dans sa jeunesse, a voulu montrer une bonne fois les sacrifices du métier de la guerre et de l’obéissance passive, pour consoler ceux qui en souffrent. […] Le livre que nous donne Ratisbonne sous le titre de Journal d’un Poète 4 est bien autrement intime, sincère, pensé, vécu, et saigné aussi, — car l’homme y souffre, — que ne pourrait l’être jamais un récit de Mémoires, toujours plus ou moins attifé. […] Maintenant que le Beaumanoir s’est démasqué, après son rude combat contre la vie, on n’a retrouvé au fond du masque que la noirceur du désespoir, et c’est là ce qui fera la physionomie d’Alfred de Vigny supérieure à celle de tous les poètes de son temps, qui n’ont pas souffert d’une blessure si haute et si profonde que lui.
La blessure de Sîfrit faisait toujours souffrir Kriemhilt. […] J’imagine que de vos blessures vous souffrez grande douleur. […] La fumée et la chaleur les faisaient beaucoup souffrir. […] Mais ils souffrirent des flammes qui pénétraient par les fenêtres. […] Je vous reconduirai avec honneur ou je souffrirai la mort, et pour vous j’oublierai ma profonde douleur.
Poésie gênée, mortifiée, qui fait souffrir plus encore qu’elle ne souffre.
Pour moi, je sens que j’ai besoin d’une consolation surhumaine, qu’il faut Dieu pour ami quand ce qu’on aime fait souffrir. […] Pauvres petits enfants, comme je souffre quand je les vois malheureux, tracassés, contrariés ! […] C’est mon endroit ; je souffrirais bien plus ailleurs ; je reconnais en ceci un soin de la Providence, qui fait tout avec amour pour ses créatures, qui ne fait pas naître la violette dans les rues. […] « Dirais-tu ce qui me fait souffrir à présent en moi ? […] Ou souffrir ou mourir !
Il eut des jours difficiles et souffrit d’autant plus qu’il apportait dans la mêlée des compétitions féroces une âme déjà touchée de la grave songerie orientale. […] Je souffre, qu’ai-je fait Le Khéroub dit : Kaïn, Iavèh l’a voulu. […] L’éternel cri : « Je souffre, qu’ai-je fait ? […] Tous trois souffrent et voudraient oublier. […] Qu’on se rassure du reste : pas d’agir et de souffrir à certains moments — L’état d’esprit où nous met la poésie de M.
Ceci terminé, elle écrivait jusqu’à cinq heures, si son père ne l’appelait pas auprès de lui. » (C’est probablement à cette heure que la fée de l’esprit, succédant à la fée des mains, elle traça cette foule de lettres et de pensées qui touchent à trop d’âmes et à trop de vies pour qu’on puisse les publier, et parmi lesquelles furent choisies scrupuleusement celles qui ne souffrent pas du demi-jour et qui n’en font souffrir personne.) […] « Quand les hommes de génie, a dit un poëte allemand contemporain, ne souffrent pas pour l’humanité, ils souffrent pour leur propre grandeur, pour leur horreur du vulgaire et leur grande manière d’être. » Il était donc tout simple que Guérin souffrit. […] Elle eut la même manière de souffrir et de s’éteindre.
Celui qui souffrait injustement ne souffre plus et il n’est pas assez haut pour qu’on parvienne à faire un drapeau avec « cette pauvre loque humaine ». […] Les lettres de Dreyfus, lamentations monotones d’un enfant qui souffre sans comprendre et d’un bourgeois qui, lui aussi, se sent diminué par « le déshonneur légal », te paraissent « admirables ». […] Tu n’as même pas l’air de te douter que, s’il fallait rester à genoux une seconde pour chacun de ceux que des juges firent souffrir injustement, on ne se relèverait pas de toute la vie ; et, à l’heure de la mort, on aurait à peine commencé l’œuvre de réparation. […] L’ange doit souffrir beaucoup.
« Est-ce curieux, notent les de Goncourt à propos de Belot, est-ce curieux : cet homme qui, dans la souffrance, a des sensations distinguées, assaisonnées de remarques et de réflexions presque littéraires, lorsqu’il écrit est absolument dénué de littérature et ne se doute pas du tout de ce qui fait la beauté d’un livre. »41 Si l’être qui souffre n’est plus un médiocre, le résultat s’élève d’autant. […] Et quel conseil efficace, en cette thérapeutique toute spéciale des gens de lettres44, à donner à l’artiste en sa peine, que lui dire : « Vous souffrez : notez-le. » Mais cette transformation de la douleur en production artistique n’est pas absolue : la vibration douloureuse a changé de rythme. […] On peut souffrir toute une vie sans avoir — fût-ce une minute — fait œuvre d’artiste. […] Et il fut loin, le « beau temps de 1830 où nos poètes, taillés en hercules, se surmenaient sans en souffrir, ne causaient qu’à voix de Stentor, pouvaient se passer de sommeil, digéraient des repas de reîtres, vidaient d’un trait des flacons d’eau-de-vie et ne se sentaient jamais plus dispos au travail que quand ils étaient un peu gris » 53.
Successivement aide de camp du prince Berthier, puis colonel, il a écrit pour lui-même un journal de ce qu’il a vu et de ce qu’il a fait, ou plutôt de ce qu’a fait et souffert son régiment, qui, dans la retraite, combattait à l’extrême arrière-garde, sous les ordres de Ney. […] Personne, en les voyant, n’aurait pu s’imaginer combien les soldats avaient souffert et combien ils souffraient encore. […] Je n’entreprendrai point de peindre tout ce que nous eûmes à souffrir pendant cette nuit cruelle.
Paul Bourget pour Byron, dont il descend par les sensations et par les sentiments, est assez grand et assez résolu pour ne pas souffrir d’un jugement qui le rapproche, même pour le diminuer, du grand poète qu’il admire le plus. […] un accent bien byronien, quand Byron est doux, et qui a son charme de tristesse voluptueuse et amère : Où donc es-tu pendant que je suis à souffrir ? […] Osons nous plaindre, à l’heure où le peuple qui monte Semble nous refuser jusqu’au droit de souffrir.
Mais du moins il n’était nullement fier de son état moral, et il souffrait de ne savoir où il allait. […] Ils aimaient le peuple : mais ils le connaissaient à peine, ils ne l’avaient pas vu souffrir, ils n’avaient pas souffert avec lui. […] Du moins, j’ai connu des esprits, même éminents, qui ne souffraient pas du tout de ne pas croire, et à qui il ne semblait point nécessaire, pour vivre, de tenir l’explication du monde. […] Cela se peut-il souffrir ? […] Il est clair ici que Lucile souffre, et l’auteur, malgré tout, a pitié d’elle.
Dans ces occasions, je passe dans les rangs, je caresse le soldat, je lui parle de manière à lui faire prendre patience, et j’ai eu la consolation d’en entendre plusieurs dire : Monsieur le maréchal a raison, il faut souffrir quelquefois. […] Voisin, le successeur de Chamillart, il disait encore : Je fais ici la plus surprenante campagne qui ait jamais été : c’est un miracle que nos subsistances, et une merveille que la vertu et la fermeté du soldat à souffrir la faim. […] Qu’on ne s’y trompe point toutefois, Malplaquet n’est point un de ces noms à jamais néfastes qu’on doive hésiter à prononcer et dont le patriotisme ait à souffrir, infaustum Allia nomen ; une de ces journées dont le poète a dit, en les voilant d’une larme : Son nom jamais n’attristera mes vers ! […] Villars, qui se flattait que, sans sa blessure, on aurait, remporté la victoire, ne se prévalait pas trop du moins lorsqu’il écrivait au roi : « Si Dieu nous fait la grâce de perdre encore une pareille bataille, Votre Majesté peut compter que ses ennemis sont détruits. » Enfin, quoiqu’on n’ait pu empêcher Mons d’être assiégé et pris comme l’avait été Tournai, le royaume ne fut pas entamé, et l’on espéra que la leçon donnée à l’arrogance des alliés, aux Hollandais particulièrement qui avaient le plus souffert, rendrait la paix moins difficile. […] Dieu me punit, je l’ai bien mérité : j’en souffrirai moins dans l’autre monde.
Ayant vu pour la première fois Paris en 1813, y arrivant avec tout un monde de préventions dans la tête, il les secoue ; il goûte la société et s’y plaît ; comme Mme d’Albany nous en voulait un peu et pour cause, il lui écrit ces paroles qui pourraient si bien s’adresser de tout temps à la plupart de nos ennemis en Europe : « Je sais que jugeant les Parisiens à distance, vous conservez contre eux de la rancune pour les maux qu’ils ont faits et ceux qu’ils ont soufferts. […] Je rougissais comme si je reconnaissais ma faute ; cependant j’alléguais ma sensibilité extrême pour elle : je ne pouvais, disais-je, supporter de voir sa chute ; son avilissement surpassait ce que pouvait souffrir ma constance ; mais qu’elle eût besoin de moi, et, du bout du monde, j’étais prêt à retourner à elle… » Et il allait s’échauffant de plus en plus dans cette idée de patriotisme, si bien qu’il s’éveilla au beau milieu de son discours enthousiaste. […] Tantôt il était trop enthousiaste, tantôt ébloui et comme abasourdi de ces passes d’armes continuelles et de ce cliquetis de discussions ; parfois aussi il souffrait tout bas de ne pas assez briller entre les jouteurs, de ne pas être assez compté dans le tous-les-jours et assez écouté. […] Elle a consenti à se taire, à attendre, à souffrir pour retourner au milieu de tout ce qui lui est cher ; mais elle a refusé toute action, toute parole qui fût un hommage à la puissance… » Tous les personnages du groupe de Mme de Staël reviennent sans cesse dans ces lettres de Sismondi et y sont présentés avec beaucoup de naturel et de vérité. […] Il s’agit des confidents de tragédie : « On fait encore, dit Schlegel, un grand mérite à Alfieri d’avoir su se passer de confidents, et c’est en cela surtout qu’on trouve qu’il a perfectionné le système français ; peut-être ne pouvait-il pas mieux souffrir les chambellans et les dames d’honneur sur la scène que dans la réalité. » Il est difficile de ne pas voir là une allusion plus ou moins directe à la petite Cour de la comtesse d’Albany et de Charles-Édouard.
Tant qu’elle m’a semblé nouvelle, elle m’a fait désespérer : je commence à l’admettre, j’en parle encore comme d’une chose étonnante et rude, comme on parlait du choléra huit jours encore après le choléra, et bientôt, sans doute, je m’en tairai comme d’une chose triviale et de mauvais goût ; je n’en souffrirai peut-être plus. […] Je ne vous ennuierai pas à vous dire mes causes de chagrin ; mais je vous verrai, ce sera beaucoup : on a besoin d’amitié quand on souffre. […] J’ai des jours comme cela ; il faut me les pardonner, car j’ai beaucoup souffert et je souffre beaucoup encore de toutes choses. […] Chaque jour je m’attache davantage à lui ; chaque jour je vois s’effacer en lui les petites choses qui me faisaient souffrir ; chaque jour je vois luire et briller les belles choses que j’admirais.
Aussi, nous qui regrettons personnellement, et regretterons jusqu’au bout, comme y ayant le plus gagné à cet âge de notre meilleure jeunesse, les commencements lyriques où un groupe uni de poëtes se fit jour dans le siècle étonné, — pour nous, qui de l’illusion exagérée de ces orages littéraires, à défaut d’orages plus dévorants, emportions alors au fond du cœur quelque impression presque grandiose et solennelle, comme le jeune Riouffe de sa nuit passée avec les Girondins (car les sentiments réels que l’âme recueille sont moins en raison des choses elles-mêmes qu’en proportion de l’enthousiasme qu’elle y a semé) ; nous donc, qui avons eu surtout à souffrir de l’isolement qui s’est fait en poésie, nous reconnaissons volontiers combien l’entière diffusion d’aujourd’hui est plus favorable au développement ultérieur de chacun, et combien, à certains égards, cette sorte d’anarchie assez pacifique, qui a succédé au groupe militant, exprime avec plus de vérité l’état poétique de l’époque. […] Si ce talent n’a pas cessé de gémir et de grandir, c’est que l’âme elle-même, après tant de flots versés, s’est trouvée inépuisable : Car je suis une faible femme ; Je n’ai su qu’aimer et souffrir ; Ma pauvre lyre, c’est mon âme… Tout enfant, aux environs de Douai où elle est née, sur les rives de cette Scarpe, accoutumée, ce semble, à moins de rêverie, la jeune Hélène aimait déjà36. Comme elle nous le dit en vraie fille de La Fontaine, à quelque chère idole en tout temps asservie, elle aimait une fleur, elle adorait quelque arbrisseau ; elle lui parlait à genoux, lui confiait ses peines, jouissait des mêmes printemps ou souffrait des mêmes vents d’hiver. […] Son rôle dans la création lui a été donné, cruel et simple : toujours souffrir, chanter toujours ! […] Je suis, comme tout le monde, à la vie pour souffrir ; — c’est plutôt apprendre à penser qu’à parler.
Il réussit beaucoup auprès de Mme d’Épinay, qui était alors dans un de ces intervalles où le cœur souffre, et où, en se déclarant à lui-même qu’il veut continuer de souffrir, il cherche vaguement à se rouvrir à une espérance. […] Grimm, jeune, avait beaucoup souffert, et il n’eût tenu qu’à lui, dit-il quelque part, de se faire une longue liste de malheurs : il aimait mieux reporter sa pensée sur les secours qu’il avait trouvés dans l’intérêt et la bienveillance de quelques hommes généreux. […] je ne sais pas un mot de ce que vous ferez demain, par exemple ; depuis que je vous connais, cela ne m’est point arrivé. » La morale avait fort à souffrir de ces relations qui s’établissaient si aisément et si publiquement dans le monde du xviiie siècle. […] Grimm (disons-le à son honneur) n’était pas aussi insensible qu’on le supposerait à ce désaccord entre les mœurs et les préceptes, et il en souffrait : Une des choses, ma tendre amie, écrivait-il, qui vous rendent le plus chère à mes yeux, est la sévérité et la circonspection sur vous-même que vous avez surtout en présence de vos enfants… Les enfants sont bien pénétrants !
Toujours aimer — toujours souffrir — toujours mourir. […] Un incurable optimisme emplit ce poème : tout passe, et nous passons ; nous souffrons, nous saignons ; et la nature est impassible. […] La vie aggrava cette solitude et cette amertume : mais à vingt-cinq ans il se sentait déjà solitaire, et souffrait. […] Tout ce qui est souffre ; tout ce qui est supérieur souffre supérieurement. […] Au temps où le romantisme était légitimiste et chrétien, Béranger était libéral ; il avait souffert destitution, prison, amende : mais, avec cela, il était classique : il satisfaisait pleinement les esprits que l’art romantique effarouchait.
Ballanche et de M. de Laval : M. de Chateaubriand n’y gagne pas, et sans doute ici, et sur ce seul point, la tendresse délicate de Mme Récamier aurait eu à souffrir, à s’inquiéter, de l’effet de la publication présente. […] Si j’osais me permettre aujourd’hui une espèce de jugement sur une société à jamais regrettable, dont j’ai été, et dont l’auteur des Mémoires veut bien m’assurer que j’aurais pu être encore davantage, je dirais qu’en admettant qu’il y eût péril et inconvénient par quelque endroit dans ce monde gracieux, ce n’était pas du côté du goût ; il s’y maintenait pur, dans sa simplicité et sa finesse ; il s’y nourrissait de la fleur des choses : s’il y avait un danger à craindre, c’était le trop de complaisance et de charité ; la vérité en souffrait. […] Il essayait de se justifier auprès d’elle, en lui écrivant à la date du 3 avril 1824 : Pardonnez-moi, et si vous souffrez, songez aussi que je souffre beaucoup.
Je me dis malgré moi : — Un homme qui souffre de la grande misère du peuple et de toutes les horribles iniquités sociales et qui fait profession de ne point s’y résigner, j’ai beau faire, je ne puis me le représenter sous les espèces d’un boulevardier qui fait des mots. […] Rochefort joue la comédie, il veut bien qu’on s’en aperçoive, mais il ne souffre point qu’on le dise. […] Il a souffert pour sa cause ; et si peut-être il n’avait pas la foi avant son exil, il a bien pu l’avoir après : on ne veut point avoir souffert pour un simple jeu d’esprit.
En faisant cela avec subtilité, avec raffinement, avec un talent curieux et un abandon quasi précieux d’expression, en perlant le détail, en pétrarquisant sur l’horrible, vous avez l’air de vous être joué ; vous avez pourtant souffert, vous vous êtes rongé à promener et à caresser vos ennuis, vos cauchemars, vos tortures morales ; vous avez dû beaucoup souffrir, mon cher enfant.
Je souffris et fus guéri entre deux de vos lettres, sans vous le dire. » Il se tait comme le loup dans la Mort du Loup, et par le même sentiment. […] À mesure qu’il souffre davantage et que la mort approche, il se détache de la jolie « apparition », et en reconnaît mieux l’inutilité. […] Car le réalisme est tranquille, simple et court ; il n’ajoute pas à la laideur des choses ; il n’en souffre pas ; il ne saurait jamais en être excédé. […] * * * Personne n’aima plus la vie que celui qui vient de mourir après avoir souffert vingt ans. […] Elle agrandit son cœur et sa pensée par l’effort de souffrir noblement, et par les méditations mêmes et les lectures de ses longues insomnies ; et d’autre part elle pousse à l’aigu son expressive fébrilité d’artiste.
Il a tirebouchonné sa voie depuis Job jusqu’à Homère, depuis Homère jusqu’à Lucrèce, et depuis Lucrèce jusqu’à Leopardi, en passant par tous les Mélancoliques intermédiaires et séculaires qui ont souffert de la vie et qui ont poussé leur cri contre la douleur ! Et je parle du cri littéraire, — car le cri qui ne s’écrit point, c’est le cri de l’humanité tout entière, qui n’a jamais, parce qu’elle souffre, été désespérée de vivre ! […] eux, n’ont rien d’humain. — Les blessés de la vie qui saignent, qui ont reçu blessures sur blessures ; — les pessimistes sensibles qui s’acharnent contre la vie, dont ils souffrent, comme la bête mord le fer qui la frappe, sont au moins des hommes.
… Mais ce qu’on n’a pas vu et ce qu’on ne voit guères, dans la résignation qui nous prend tous, de guerre lasse, devant cette impossibilité de ne pas mourir, c’est l’acharnement du combat de l’âme infinie contre le fini de la vie ; c’est la révolte de l’âme qui se veut immortelle devant le néant, ou qui craint de l’être devant l’enfer, et tout cela poussé à un tel degré de furie, de rage, d’imprécation et d’intensité, que l’être qui en souffre, s’il n’était pas mort de phtisie, aurait été capable de voir éclater ses organes, comme un instrument qui se casse, sous la force de cette intensité ! […] ne juge rien, en somme ; mais il sent et il souffre, et il se débat contre la mort et maudit la griffe qu’elle lui a plantée en pleine poitrine. […] Georges Caumont a beaucoup souffert, et, comme tant d’autres, il a tiré de sa souffrance tout ce qu’il vaut.
À un an de là, à la Malmaison, en janvier 1801, le premier consul disait aux sénateurs Laplace et Monge, et à Roederer, au sujet même des injures qu’on s’était permises au Tribunat contre le Conseil d’État pour la loi sur les tribunaux spéciaux : « Je suis soldat, enfant de la Révolution, sorti du sein du peuple : je ne souffrirai pas qu’on m’insulte comme un roi. » Il disait dans un autre moment : « Il faut que le peuple français me souffre avec mes défauts, s’il trouve en moi quelques avantages : mon défaut est de ne pouvoir supporter les injures. » Vers le même temps à Paris, toujours au sujet de la même affaire, comme Roederer lui disait : Les parlements autrefois parlaient toujours aux rois dans leurs remontrances des conseils perfides qui trompaient Leur Majesté, mais leurs séances n’étaient pas publiques. — Et d’ailleurs, reprenait vivement le premier consul, ces choses-là les ont renversés ; et moi j’ose dire que je suis du nombre de ceux qui fondent les États, et non de ceux qui les laissent périr. […] » Établissant la différence de mœurs et de sensations des deux peuples, il montre l’inégalité d’inconvénients dans les mêmes injures dites à des hommes publics d’un côté ou de l’autre du détroit : En Angleterre, on pèse l’injure ; en France, il faut la sentir… En Angleterre, l’injure intéresse quelquefois en faveur de celui qui la reçoit ; en France, elle avilit toujours celui qui la souffre… En Angleterre, les invectives n’ont point renversé le trône ; en France, elles ont renversé une royauté de quatorze siècles. […] C’est, comme nous avons dit, parce qu’en France l’injure avilit celui qui la souffre, et excite aux injures ceux qui l’écoutent ; au lieu qu’en Angleterre, l’injure parlementaire n’excite pas les injures du peuple… Il écrivait cela en 1802 ; il s’en souviendra plus tard, trente-trois ans après, en adressant ses fameuses Observations, jugées intempestives, aux constitutionnels, sous le roi Louis-Philippe. […] Ce n’est pas arbitrairement que la tragédie borne l’action à vingt-quatre heures : c’est qu’elle prend les passions à leur maximum, à leur plus haut degré d’intensité, à ce point où il ne leur est possible ni de souffrir de distraction ni de supporter une longue durée.
Elle tenait son bras droit au-dessus du poignet et se plaignait d’y souffrir beaucoup. […] Quand Mme B… fut réveillée, je vis avec étonnement qu’elle serrait encore son poignet droit et se plaignait d’y souffrir beaucoup, sans savoir pourquoi. […] Grâce à de la correspondance entre les mouvements et les états psychiques, il est démontré que percevoir la souffrance ou le plaisir d’autrui, c’est commencer à souffrir ou à jouir soi-même. […] Ce qui fait que, dans la pitié active, on jouit plus qu’on ne souffre, c’est qu’on agit plus qu’on ne pâtit. […] Nous ne savons pas toujours, quand nous souffrons, si c’est à notre cœur ou à celui d’autrui.
Si les paroles pouvaient transmettre ces sensations tellement inhérentes à l’âme, qu’en les exprimant, on leur ôte toujours quelque chose de leur intensité ; si l’on pouvait concevoir d’avance ce que c’est que le malheur, je ne crois pas que personne pût rejeter avec dédain, le système qui a pour but seulement d’éviter de souffrir. […] Ce sont les caractères sans véritable chaleur, qui parlent sans cesse des avantages des passions, du besoin de les éprouver ; les âmes ardentes les craignent ; les âmes ardentes accueilleront tous les moyens de se préserver de la douleur, c’est à ceux qui savent la craindre que ces dernières réflexions sont dédiées ; c’est surtout à ceux qui souffrent, qu’elles peuvent apporter quelque consolation.
Les endroits qui souffriront le plus, ce sont ceux où il se trouvera de la céruse et autres chaux métalliques que la substance grasse revivifiera. Un sculpteur un peu jaloux de la durée d’un ouvrage qui lui coûte tant de peines, devrait toujours en appuyer les parties délicates et fragiles sur des parties solides ; et le peintre, préparer et broyer lui-même ses couleurs, et exclure de sa palette toutes celles qui peuvent réagir les unes sur les autres, se décomposer, se revivifier, ou souffrir, comme les sels, par l’acide de l’air.
Tout cela était un rêve pour un enfant de douze ans, qui était depuis longtemps entre les mains de gens durs, avec lesquels il avait souffert ; et il était dangereux et triste qu’avec les favorables dispositions qu’il avait pour le théâtre, il restât en de si mauvaises mains. […] D’où vient que, leur portant une haine mortelle, Vous pouvez bien souffrir ce qu’en tient cette belle ? […] … Mon beau-frère, attendez, je vous prie, Vous voulez bien souffrir, pour m’ôter de souci, Que je m’informe un peu des nouvelles d’ici… Tout s’est-il ces deux jours passé de bonne sorte ? […] À la fin, par nos raisons gagnée, Elle se résolut à souffrir la saignée ; Et le soulagement suivit tout aussitôt. […] Je me suis donc déterminé à vivre avec elle comme si elle n’était pas ma femme: mais si vous saviez ce que je souffre, vous auriez pitié de moi.
Moraliste bien plus que romancier parce qu’il suffit, pour être moraliste, d’avoir un peu souffert pour son propre compte, et qui n’a pas souffert ? […] Mais la Poésie et les Romans — comme dit la vieille phrase de tout le monde, — ne souffrent pas de médiocrité.
Car fussé-je malade, j’irais tout de même… J’ai trop souffert hier de n’y avoir pas été. […] Je ne cherche pas à faire des scènes… Je souffre solitaire, ma porte fermée, et chaque minute est de l’accablement… » Et à la fin de cette lettre que j’abrège : « Adieu, traitez-moi doucement, je ne vis que par vous, ne soyez pas fâchée ! […] Nous n’avons pas ici que l’éloquence en flammes de l’amour, nous en avons l’analyse ensanglantée, faite par ce noble imbécile d’amoureux avec le perçant du génie, qui n’est pas, lui, aveuglé par tout ce sang et qui se discerne souffrir… Peu d’hommes maîtrisés par l’amour ont parlé avec une pureté plus ardente d’un sentiment qui entraîne dans toutes les sensations que ce Benjamin Constant, auquel il suffisait de la peau du bras de Madame Récamier quand elle ôtait son gant pour rouler dans tous les égarements et dans tous les délires !
Fils du célèbre ministre protestant Paul Rabaut, enfanté et nourri dans la proscription qui pesait alors jusque sur les femmes et les nouveau-nés de sa croyance, il traîna son enfance errante au milieu des Cévennes, à la suite de son père ; et c’est dans ces marches inquiètes de tous les jours qu’il reçut de lui les premières leçons, surtout les leçons de l’exemple, la constance à tout souffrir et la haine des proscriptions ; mais il n’y mêla jamais de haine contre les proscripteurs, du moins de cette haine active qui a soif de se venger. […] Mais la patrie n’a pas perdu mémoire de ce qu’il fit et souffrit pour elle, et elle garde son nom à côté des noms des Thouret, Bailly et Condorcet.
Section 5, que Platon ne bannit les poëtes de sa republique, qu’à cause de l’impression trop grande que leurs imitations peuvent faire L’impression que les imitations font sur nous en certaines circonstances paroît même si forte, et par consequent si dangereuse à Platon, qu’elle est cause de la resolution qu’il prend de ne point souffrir l’imitation poëtique, ou la poësie proprement dite, dans cette republique ideale dont il regle la constitution avec tant de plaisir. […] Ils ne font pas servir le talent de la fiction pour nous peindre la situation d’un homme qui souffre avec constance la perte d’un fils unique.
Il faut admettre comme un fait que l’être se sent exister et se sent changer, se sent faire effort et réagir, sent qu’il jouit, qu’il souffre, et conserve dans la souffrance même la représentation de la jouissance antérieure. […] Primitivement, il s’agit d’un rythme entre jouir et souffrir. Toutes les fois que ce rythme a lieu, il produit dans la mémoire de l’animal deux séries de représentations, dont l’une se résume pour nous dans le mot humain : souffrir, et l’autre dans le mot : ne pas souffrir ; souffrir, c’est la différence ; ne pas souffrir, c’est la non-différence, c’est l’identité émotionnelle, appétitive et en même temps motrice ; c’est la facilité et la régularité du cours de la vie, qui enveloppe déjà une jouissance. Si, de plus, ne pas souffrir prend la forme d’une jouissance précise, les deux états contraires présentent alors pour la sensibilité et la motilité un contraste maximum.
Cette pièce, où abondent l’observation la plus fine et l’imagination la plus farce, souffre de la plus déconcertante duplicité de ton. […] Pourquoi mentir, et souffrir ou faire souffrir inutilement ? […] Lia commence à souffrir. […] Lia souffre tout de bon : « Ce que je ne lui pardonne pas, c’est cet effort que j’ai naïvement fait pour l’aimer ; je souffre cruellement, moi qui lui échappais par mon indifférence, de m’être mise, par bonté d’âme, dans le cas de pouvoir être rejetée et méprisée par lui. […] Par exemple, dans l’une des scènes où Zaza est le plus torturée, Cascart lui ayant dit : « Tu souffres, hein ?
Ils venoient sans cesse m’offrir Et leur estime et leur tendresse ; Ils disoient qu’ils souffroient sans cesse, Et moi je les laissois souffrir. […] Nous la verrons un jour ici Souffrir comme une âme damnée.
Vinet personnellement était résigné à tous les sacrifices ; mais, bien qu’il plaçât autre part que dans le monde sa patrie véritable, il dut souffrir et saigner au dedans pour sa chère patrie vaudoise ainsi ravagée et rabaissée. […] Vinet n’a pas eu le même bonheur que Topffer ; il a vu son cher pays en proie aux violents, la culture de quinze années détruite en un jour, ses meilleurs amis dispersés ; il a bu tout le calice d’amertume dont était capable sa nature tendre, et il est à croire que, tout en sentant qu’il en souffrait et qu’il en mourait, sa belle âme en tirait un nouveau sujet de rendre grâces et de bénir.
Jeûner, aller ou pèlerinage ou à la croisade, donner de l’argent ou frapper de l’épée pour le service de Dieu, fonder des messes ou des couvents, tout ce que le corps peut souffrir ou la main faire, on le souffre ou on le fait : mais la profonde philosophie, la pure moralité du christianisme, ne sont pas à la portée de ces natures ignorantes et brutales.
Mais faire souffrir, par divertissement, ou pour montrer notre force, ceux qui ne nous sont pas ennemis, c’est de quoi je croyais incapable, aujourd’hui, toute âme un tant soit peu affinée. […] Elles signifient que l’École est un corps si sacré et d’une si prodigieuse excellence qu’il faut, pour y entrer, souffrir des épreuves longues et compliquées, — comme pour être admis dans la maçonnerie aux temps héroïques de la Comtesse de Rudolstadt, alors que cette Compagnie de Jésus à rebours n’était pas encore tombée dans le décri.
On souffre beaucoup à le voir. […] notre ami Le Romain ne peut pas souffrir les anges à cause de leurs ailes ; moi je suis choqué des mains jointes dans les sujets tirés de l’histoire ancienne sacrée ou profane.
Swift souffrait, en outre, de sa dépendance, et d’autant plus vivement que son ambition s’éveillait avec son esprit, et que sa nouvelle connaissance du monde lui donnait le désir d’y briller. […] Elle se laissait aller à l’aimer ; il le vit, il le souffrit, il la paya de retour, et alors s’établit entre eux cette intimité douloureuse qui ternit la renommée de Swift et qui est le mystère de sa vie. Les épreuves de Stella ne commencèrent pas le jour où elle se vit trahie pour une autre femme ; elle souffrit dans son honneur, bien avant de souffrir dans son amour. […] Il revenait auprès de Stella, la pensée remplie d’une autre femme, de Miss Vanhomrigh, qui eut à souffrir tout ce que Stella avait souffert, mais qui en souffrit moins longtemps. […] Il restait souvent longtemps sans aller la voir, et les lettres de Vanessa nous apprennent combien ses visites étaient souvent cruelles : « Je vous prie de me voir et de me parler avec douceur, car vous ne condamneriez personne à souffrir ce que j’endure ; puissiez-vous seulement le savoir.
Nous avons souffert vos emportements dans votre élévation ; et, dans votre chute, nous vous soutenons de tout notre pouvoir. […] J’ai souffert toutes les peines et toutes les incommodités du veuvage, lesquelles, certes, ne peuvent être comprises par les personnes qui ne le sont point éprouvées. […] Je suis demeurée ferme parmi ces orages et ces tempêtes ; et, me confiant surtout en la grâce de Dieu, je me suis résolue de souffrir tous ces troubles que le veuvage apporte avec soi. […] Un fat trouve toujours un plus fat qui l’admire ; mais les militaires souffrent-ils les injures tranquillement ? […] Souffrez donc, Mylord, que je tâche d’élever à sa gloire un monument, que je consacre encore plus à l’utilité du genre humain.
Si je me suis cherché des échos dans plusieurs langues, pour me donner la singulière consolation de voir que l’on souffrait partout, il me semble qu’il y aurait de la dureté à m’en faire un reproche. […] On souffre de voir un fils de Pétrarque se porter à ces extrémités et répandre à toute force ses entrailles sur la lyre. […] Timide et fier, et même un peu sauvage, il ne laissait pas d’en souffrir. « Dans sa droiture et dans sa fierté, » nous dit quelqu’un qui l’a bien connu, « il avait un tel éloignement de tout ce qui ressemble à l’intrigue, qu’il poussait cette aversion jusqu’à se refuser les plus simples démarches et relations qui pouvaient contribuer à la célébrité de son nom et de ses ouvrages.
tenant les chevaux par la bride comme un valet de pied à la porte d’un théâtre ; — puis encore acteur, et souffrant d’être acteur comme il devait souffrir de tout, cet homme plus haut que sa vie et qui aurait été encore plus haut qu’elle quand il eût été le premier patricien d’Angleterre : car Shakespeare ne pouvait trouver son niveau que dans le rêve de Shakespeare ! […] Et cette question presque insoluble de la moralité de Shakespeare, dans l’état actuel de nos connaissances, cette ignorance complète où nous sommes des vices et des vertus de cet homme dont nous ne voyons que le génie, Guizot n’en a pas souffert seulement comme historien, dans cette Vie qu’il vient de publier, mais il en a souffert aussi comme critique littéraire, et c’est ici qu’on sent doublement le faux du mot d’Emerson : « Shakespeare n’a pas d’autre biographe que Shakespeare. » S’il n’a pas d’autre biographe, il n’a pas d’autre critique non plus.
— car pourquoi cette âme souffre-t-elle, si elle a la sécurité ? IV Mais elle souffre, et c’est son mérite moral, s’il lui en reste encore, et dans tous les cas, c’est son talent. […] Elle y souffre comme toutes les âmes fortes, qui périssent d’orgueil, déchirées dans leur force vaine.
Le comte, un Don Quichotte en frac souffre beaucoup dans son sentiment paternel de l’impossibilité où il est de reconnaître son enfant qui est adultérin, mais la Chermidy en souffre, elle ! […] Elle en souffre dans son orgueil, dans ses ambitions, dans toutes ses cupidités, et elle cherche avec l’aide du diable, c’est-à-dire d’une sœur à elle, dont elle a fait sa femme de chambre, le moyen de légitimer son bâtard.
Mais il avait souffert, comme l’a écrit M. […] J’étais abattu, je souffrais, je pleurais. […] Benjamin Constant a souffert du mal qu’il a décrit. […] Il souffrait comme Ampère. […] je souffre et je n’ai pas de force pour crier.
monsieur, peut-on voir souffrir des malheureux ? […] Reste à savoir ce qu’il souffrira. […] Admirable scène ; tous deux souffrent tant ! Il a bien, lui, au fond du cœur, un peu d’espoir honteux et inavoué : mais il souffre, premièrement, de faire souffrir celle qu’il aime, et secondement, de savoir que, si elle souffre, c’est qu’elle aime un autre que lui. […] Oui, Racine dut beaucoup souffrir.
Je lui demandai s’il souffrait : il me dit que non, en levant le siège. […] Elle a repris son domicile sous mon lit, mais elle ne m’aime pas mieux ; elle ne s’est attachée à personne ; elle souffre l’amitié, et c’est tout. […] Son mari meurt ; il a cessé de souffrir dans les derniers jours de 176377. […] Sa sensibilité aussi s’est usée à attendre, à souffrir ; le pli est pris : pourquoi changer ? […] » Elle lui répondait (27 avril 1765) : « Vous souffrez et vous vous levez une heure avant le jour pour me renvoyer la lettre de change !
Je ne conçois pas qu’une âme élevée puisse rester indifférente à un tel spectacle et ne souffre pas en voyant la plus grande partie de l’humanité exclue du bien qu’elle possède et qui ne demanderait qu’à se partager. […] Mais ils posséderaient l’infini, la vérité absolue, qu’ils devraient souffrir de les posséder seuls et regretter les rêves vulgaires qu’ils savouraient au moins en commun avec tous. Il y a des âmes qui ne peuvent souffrir cet isolement et qui aiment mieux se rattacher à des fables que de faire bande à part dans l’humanité. […] De là une affreuse, une horrible situation ; des hommes condamnés à souffrir sans une pensée morale, sans une idée élevée, sans un sen-timent noble, retenus par la force seule comme des brutes en cage. […] On nous souffre parce qu’on ne peut nous étouffer.
que je souffre alors ! […] Je souffre, et toujours. […] Ne riez pas, je vous en supplie ; je souffre tant ! […] Les malheureux, des pestiférés atteints d’une plaie incurable, que leur organisation fait souffrir comme celle des heureux les fait jouir ? […] Comme ils en out le sentiment, ils souffrent ; la sénilité est morose et la littérature de décadence est pessimiste, elle a le culte du mal, elle est à la fois voluptueuse et douloureuse.
J’ai tâché de les oublier, mais je souffrais comme un musicien quand il entend des instruments qui ne sont pas d’accord. » Il passe de là à l’armée de Moldavie, auprès du maréchal Roumiantsev, celui-là militaire, mais encore plus astucieux que Potemkine, et qui ne l’écoute pas davantage. […] Il y discute des changements que la Révolution devra apporter dans les mœurs publiques et dans le goût : « Après tout ce qui est arrivé depuis quelque temps, toutes les idées doivent décidément se renouveler. » Et d’abord il croit que l’universalité de la langue française en souffrira ; que Paris ne sera plus comme auparavant la capitale intellectuelle et littéraire reconnue de l’Europe, les autres nations voulant se venger d’avoir si longtemps obéi à l’esprit venu de Paris. […] Le prince de Ligne souffrait par moments de n’être pris que comme une curiosité, une simple utilité mondaine dans cette réunion de rois et de ministres qui allait trancher les destinées du monde. […] On en souffre tout le reste de sa vie.
C’est par le manque d’attention, en effet, que les poëtes de nos jours souffrent et qu’ils périssent : c’est l’attention qu’ils récla ment avant tout de la critique. […] » Chez celui-ci, en effet, l’homme avant tout a souffert, et toute sa poésie l’exprime ; il a la fibre vibrante. […] Lui aussi il a aimé, il a souffert, et il chante. […] Lerambert j’aurais bien plutôt à représenter qu’après avoir souffert il ne suffit pas de chanter purement, mélodieusement, avec sensibilité et avec goût, qu’il faut encore, pour être entendu, hausser le ton et le pousser même jusqu’au cri.
Quoi qu’ils aient fait, ils ont souffert, soit physiquement, soit moralement, à peu près autant qu’on peut souffrir ; et c’est de leur vie qu’ils ont, comme on dit, « payé leur dette à la société ».
Petite fille d’un petit village de la frontière, elle a souffert de ce que souffraient de pauvres gens à cent lieues, à deux cents lieues de là ; elle a conçu, entre eux et elle, un lien d’intérêts, de souvenirs, de traditions, de fraternité, de dévouement à un même homme, le roi, représentant de tous.
En poësie comme en peinture, on a peine à souffrir l’ombre de l’égalité. Cesar consentoit bien d’avoir un égal, mais la plûpart des peintres et des poëtes, aussi altiers que Pompée, ne sçauroient souffrir d’être approchez.
Deux motifs de sentiment me frappent surtout ; voudrait-on souffrir une nouvelle révolution pour renverser celle qui établit la république ? […] Laissez-nous en France combattre, vaincre, souffrir, mourir dans nos affections, dans nos penchants les plus chers, renaître ensuite, peut-être, pour l’étonnement et l’admiration du monde. […] Le public aussi, dont on avait éprouvé la faveur, perd toute son indulgence ; il aime les succès qu’il prévoit, il devient l’adversaire de ceux dont il est lui-même la cause ; ce qu’il a dit, il l’attaque ; ce qu’il encourageait, il veut le détruire : cette injustice de l’opinion fait souffrir aussi de mille manières en un jour. Tel individu qui vous déchire, n’est pas digne que vous regrettiez son suffrage, mais vous souffrez de tous les détails d’une grande peine, dont l’histoire se déroule à vos yeux ; et déjà certain de ne point éviter son pénible terme, vous éprouvez cependant la douleur de chaque pas. […] j’ai tant éprouvé ce que c’était que souffrir, qu’un attendrissement inexprimable, une inquiétude douloureuse s’emparent de moi, à la pensée des malheurs de tous et de chacun ; des chagrins inévitables et des tourments de l’imagination, des revers de l’homme juste, et même aussi des remords du coupable, des blessures du cœur les plus touchantes de toutes, et des regrets dont on rougit sans les éprouver moins ; enfin, de tout ce qui fait verser des larmes, ces larmes que les anciens recueillaient dans une urne consacrée, tant la douleur de l’homme était auguste à leurs yeux.
Il est impossible à la société de trouver le calme dans un état où elle souffre d’une plaie réelle, comme celle qu’elle porte de nos jours. […] L’humanité est ainsi dans la position d’un malade qui souffre dans toutes les positions et pourtant se laisse toujours leurrer par l’espérance qu’il sera mieux en changeant de côté. […] L’Espagne l’a faite, l’a soufferte et, apparemment, s’en serait débarrassée si elle l’avait voulu. […] Nos pères ont souffert, et nous héritons du fruit de leurs souffrances. Nous souffrons, l’avenir en profitera.
Vous ne devez pas seulement les souffrir, vous devez les protéger tous, parce que tous entretiennent la morale, parce que tous sont utiles aux hommes… » Aucun secours direct de l’autorité civile, à la bonne heure ! […] J’étais loin de croire que je souffrirais ce que je souffre ; je me serais conduite autrement, si je l’avais prévu. […] Mais n’est-il pas vrai, cher Matthieu, que ce n’est pas une compensation, parce que personne ne vous aime comme moi et parce que votre oncle a le bonheur de ne pas souffrir par l’imagination ? […] Je voudrais bien ne plus souffrir, car je suis arrivée à un point où je crains de n’avoir plus du tout de forces pour rien supporter. […] J’espère l’obtenir. — Je ne vous dirai pas ce que je souffre ; vous le comprendrez ; mais, excepté le moment où un homme tel que vous m’a fait douter de son estime, Dieu m’a fait la grâce de penser que je donnais un noble exemple à mon siècle.
est-ce qu’on a souffert ? […] C’était déjà assez monstrueux d’avoir souffert trois jours. […] Il fallait qu’elle eût bien souffert, et qu’elle souffrît bien encore, car elle se disait que son père avait été méchant ; mais elle comptait sur Marius. […] L’homme souffre, c’est possible ; mais regardez donc Aldébaran qui se lève ! […] Et les misères morales, demandez-en le terme à ces myriades de douleurs qui poignent l’homme depuis qu’il a la puissance de sentir, c’est-à-dire de souffrir !
Anatole France Disons tout de suite qu’elle était douée entre toutes les femmes pour aimer et souffrir, et montrons ses premières douleurs, ses premières blessures, avec respect, comme la source cachée d’où coula un flot abondant et pur de poésie… Faible, elle obsédait les puissants pour leur arracher des grâces. […] Goût de l’amour dès l’enfance, avant même de se douter de ce qu’est l’amour ; sentiment un peu sanglotant de la nature ; aspiration à se dévouer sans relâche, avec un secret contentement de souffrir pour son dévouement ; félicité de la meurtrissure sentimentale, optimisme extraordinairement vivace, abrité du scepticisme comme par une ouate de mélancolie douce… Ajoutez à ces dons naturels la vie la plus romanesque, romanesque jusqu’à l’invraisemblable, une gageure du destin tenue et gagnée contre les caprices de l’imagination : l’héritage sacrifié à la foi religieuse, les voyages tragiques, la guerre, la tempête, la séduction, l’abandon, le théâtre avec le succès d’abord, et bientôt la perte de la voix, la misère, la mort de l’enfant adoré, de quoi défrayer vingt romans conçus avec quelque économie.
Les chênes et les mousses : voilà des différences dont l’être souffre et meurt. « On souffre.
Christel souffrait ; ce jour-là elle souffrait plus. […] Mais si les lettres de Paris tardaient, s’il revenait plus d’une fois sans rien trouver ; si, poli, discret, silencieux toujours, se bornant avec elle à l’indispensable question, il avait pourtant trahi son angoisse par une main trop vivement avancée, par quelque mouvement de lèvre impatient, elle le plaignait surtout, elle souffrait pour lui et pour elle-même à la fois ; pâle et tremblante en sa présence sans qu’il s’en doutât, elle lui remettait la missive tant attendue, à lui pâle et tremblant aussi, mais de ce qu’il redoute d’un seul côté ou de ce qu’il espère. […] Il a souffert, mais il a continué de vivre.
Encore aujourd’hui nous souffrons de cette discipline ; le vers naturel nous manque ; celui d’Alfred de Musset16 est un tapageur ; celui de Victor Hugo un épileptique. […] Telle qu’elle est, la vie est « passable ». « Mieux vaut souffrir que mourir, c’est la devise des hommes. » Cette morale-là est bien gauloise ; nous plions sous l’énorme machine administrative qui nous façonne ; nous nous souvenons qu’en vain on l’a cassée, que toujours elle s’est raccommodée, et ne s’est trouvée que plus pesante ; bien plus, nous sentons que si elle se détraquait, nous ne pourrions vivre. […] Son chien fait des raisonnements fort exacts ; « mais, n’étant qu’un simple chien », on trouve, qu’ils ne valent rien, « et l’on sangle le pauvre drille. » Notre Champenois souffre très bien que les moutons soient mangés par les loups et que les sots soient dupés par les fripons ; son renard a le beau rôle.
Or, cette espèce est très moderne en France et il a fallu les transformations successives par lesquelles nous sommes passés depuis la Révolution française, pour que des femmes qui n’étaient ni bossues, ni laides, ni bréhaignes, eussent l’idée de se mettre en équation avec l’homme, et que les hommes, devenus aussi femmes qu’elles, eussent la bassesse de le souffrir. Car ils l’ont souffert, — et ils ont fait pis : ils l’ont accepté. […] On y a souffert que les femmes y fissent l’homme tant qu’elles ont voulu.
La femme du roman, Ellénore, est certainement la plus noble des déclassées, mais elle n’en est que d’autant plus déclassée, et elle le sent, elle en souffre. Son jeune ami en souffre pour elle, pour lui-même.
On a pourtant souffert dans ce pays de Saint-Étienne autant et plus que dans d’autres depuis deux années ; l’industrie y a traversé une pénible crise ; mais on a eu la force de souffrir sans s’irriter, sans accuser le gouvernement qu’on savait attentif et plein de sollicitude les plaintes étaient patientes, elles sentaient qu’elles arrivaient en lieu sûr, et personne n’eût dit ce mot injuste : « Ah !
Pourtant, de cette forme compliquée un peu, sa personnalité n’a pas souffert. […] Georges Pioch Parce qu’il participe de la vie par cet amour qui souffre et jouit d’homme à femme, parce qu’il la surpasse en bonté et la domine par le pardon, ce livre (Les Quatre Saisons), qui nous vient avec le printemps, peut-il être admiré et chéri comme le commentaire généreux d’une année ; mieux même : de l’Année… Le goût littéraire y cueille des joies rares : celles qu’un art hautain et délicat procure et que fortifie le rayonnement d’une libre pensée ; celles, aussi, d’une surprise.
Ne pas souffrir, c’est un idéal négatif et qui serait plus sûrement atteint par l’anéantissement du monde. […] Évidemment non, elle ne peut pas nous le donner, et l’on peut se demander si la bête ne souffre pas moins que l’homme.
« Il y a chez une de ses amies », dit madame de Coulanges, « un certain homme qui la trouve si aimable et de si bonne compagnie, qu’il souffre impatiemment son absence. […] Il les raya et mit 2 000 écus. » Il est évident que ce certain homme c’était le roi, et que celle des amies de madame Scarron, chez qui se trouvait ce certain homme, c’était madame de Montespan ; et que les absences que le certain homme souffrait impatiemment, celaient celles de madame Scarron quand elle retournait dans la maison de Paris94.
Qu’il souffre, qu’il fasse souffrir les autres, pourvu qu’il exécute de grandes choses ?
Dans plusieurs endroits de l’Italie la terre est pleine d’alun, de souffre, de bitume et d’autres mineraux. […] Je répons que l’expérience ne souffre point qu’on impute au soleil cette variation.
Elle veut durer, fût-ce afin de souffrir encore. […] Elle en jouit, elle en souffre comme de ses passions propres. […] Ils souffrent d’un mal qu’ils ne sauraient définir ni désigner. […] Telle sensation dont vous souffrez, me dirait-il, est rare, même chez vous. […] Il les méprise et il souffre de leur déplaire.
Il eût souffert de faire souffrir autrui. […] Il ne peut souffrir les habitudes évaporées ou oisives. […] Il ne souffre point les hasards ni les à-peu-près de l’improvisation et de l’inexpérience. […] Ils veulent bien être touchés, mais non renversés ; ils souffrent qu’on les frappe, mais ils exigent qu’on leur plaise. […] Par suite, elles peuvent souffrir une politesse moins fine et des compliments moins déguisés.
Ils veulent être sans Dieu et ne pas souffrir. […] On chasse des rues ceux que la religion a si divinement nommés “les membres de Jésus-Christ”, et l’on souffre… que dis-je ? […] J’ai simplement voulu dire ce qu’on souffre, en déplorant que mon éloquence n’égalât pas l’indignation de ma pensée. […] Il adorait l’Être suprême, mais ne lui souffrait pas d’autels humains. » Voilà le reste de gigot philosophique que M. […] Par bonheur, il a l’âme trop haute pour en souffrir.
La Fontaine va nous rendre compte d’une de ces journées, nous faire souffrir tous les déplaisirs du mari, nous mettre de son parti. […] Si un arbre pouvait se transporter d’un lieu à un autre, il ne craindrait pas la scie ni la cognée, et ne serait pas exposé aux mauvais traitements des bûcherons. — Cela est vrai, lui dit l’Aimant ; mais, mon cher compagnon, vous n’avez jamais souffert les fatigues des voyages, et vous ne savez ce que c’est que d’être en pays étranger. […] Car ce sont des faits qu’ils allèguent, des faits dont ils sont témoins, qu’ils ont soufferts, dont leur corps porte les preuves, que tout le monde sait, que l’homme ne peut nier, qu’ils souffrent maintenant encore, qu’en ce moment même on touche de la main et des yeux. […] Vous ne sentez donc pas que cet homme souffre ? […] Je tiens pour certain, vu les cruautés que vous nous avez fait souffrir, que vous les payerez tôt ou tard ; et en cas-là il pourrait arriver que vous, qui à présent nous traitez d’esclaves, à votre tour vous nous reconnussiez comme vos maîtres. » (Oui, on peut tirer de là quelque chose.
» faisait-il en se levant et en disant : « Je m’en vais, je souffre trop ! […] — Vous souffrez, mon ami ? — Oui, toujours… c’est vraiment atroce la continuité de la douleur, et la perspective de cette continuité… autrefois, le lit c’était une espérance… maintenant c’est redoutable de surprises… j’ai besoin de me relever, il faut que je marche pour user ma douleur… Je souffre, voyez-vous, tout ce qu’il est possible de souffrir… tenez parfois, dans le pied, c’est comme si un train de chemin de fer me passait dessus… Ah ! […] La femme de chambre le peignait au peigne fin, et pendant qu’elles le peignait, voyant sa tête ne plus se soutenir, s’affaisser, tomber, elle lui demandait ce qu’il avait, s’il souffrait toujours. […] ce que j’ai souffert de cette inconcevable interprétation de mes paroles !
et comme elle souffre ! […] Car Olivier ne souffre pas seulement d’aimer, étant pauvre, une fille riche : il souffre du vol d’autrefois ; il souffre des instincts obscurs et malfaisants, de la haine héritée qu’il sent encore remuer en lui ; il souffre même d’être l’âme-lige de Baudry, tout en l’aimant du meilleur de son cœur partagé ; il souffre de la tyrannie de cette charité et en même temps de la terreur d’être ingrat… Je ne sais pourquoi on l’a appelé un bâtard d’Antony : Olivier est autrement intéressant que le héros de Dumas ! […] Ne nous a-t-il pas avertis qu’elle souffre depuis longtemps ? […] Donc, elle souffre, la pauvre Hélène ; elle s’écrie, à peu près comme Job : « Ah ! […] Froufrou a encore en elle de quoi aimer et de quoi souffrir.
N’oublions pas que Latouche avait vingt ans en 1805 : on ne saurait s’étonner que son adolescence et sa première jeunesse, passées sous le Directoire et le Consulat, aient souffert des études si négligées de cette époque. […] C’était une souffrance de voir un si fin esprit si mal servi par son talent, et il était le premier à en souffrir. […] Son indépendance d’artiste en souffrit. […] Où trouvera-t-il quelqu’un pour le plaindre, pour le comprendre, si ce n’est encore parmi ceux qui aime et passionnément les mêmes choses dont il a souffert et par où il a péri ? […] Il souffrait beaucoup, ci oyez-le, et ne l’oubliez jamais.
Ce n’était pas l’enthousiasme de l’ode que vous pouviez attendre d’un tel poëte, Il fut à la muse lyrique de l’antiquité ce que l’Italie du moyen âge était aux cités glorieuses de l’ancienne Grèce, Il représenta cette vie plus oisive que libre, plus agitée que forte, où l’Italie du quatorzième siècle souffrit et lutta, sans rien faire de grand au dehors, et sans s’affranchir elle-même. […] qui ne souffres pas que ta gloire soit usurpée par celui qui mesure sa propre force au gré de son orgueil et de sa colère. […] Ne souffre pas qu’il opprime ainsi les tiens, qu’il nourrisse de leurs cadavres les bêtes féroces, qu’il atteste sa haine dans leur sang répandu, et, qu’après cet outrage, il dise : Où est le Dieu de ces hommes ? […] « Ils ont occupé les golfes de la mer, la terre demeurant muette et frappée de terreur ; et nos braves sont restés silencieux et indécis, jusqu’à ce que, le Seigneur opposant à la furie des Sarrasins un ennemi nouveau, devant eux se soit levé le noble jeune homme d’Autriche, avec l’illustre et vaillant Espagnol ; car Dieu ne souffre pas que dans Babylone vive toujours esclave sa cité chérie de Sion. » Le noble jeune homme d’Autriche, voilà, ce semble, un digne langage pour le modeste vainqueur de Lépante ! […] pour avoir, après tant de maux soufferts, après nos fautes et nos châtiments, brisé l’antique orgueil de l’ennemi !
De fait, il n’a pas souffert, comme eux, de l’amour ; il a souffert du manque d’amour. […] Nous sommes décidés à ne pas le souffrir. […] Vous avez bien souffert ! — Ai-je souffert ! […] oui, j’ai bien souffert !”
Mais bientôt je fais réflexion que l’orgueil humilié et dépité a plus de part peut-être dans ces désirs inquiets que le véritable zèle : on est tourmenté de n’être rien, de n’être bon à rien ; tout en s’avouant son incapacité, on en souffre ; on se figure un état et des occupations auxquels on serait plus propre : quelle misère ! […] A souffrir : ce doit être ma façon de glorifier Dieu. […] Attache à ton cœur les ailes de la foi aussi bien que celles de l’amour, afin qu’il s’envole, non plus au désert comme la colombe, mais à ce lieu élevé où est bâtie la maison de notre Père… » Et dans le même temps il écrivait à l’abbé Jean, en retombant sur lui-même et en ayant tout à fait perdu de vue la sainte montagne : « … J’ai beaucoup souffert ces deux derniers jours. […] Il s’est arrêté au premier pas dans sa marche vers l’autel, et il ne peut se résoudre à avancer : « (La Chesnaie, 1811)… Je souffre toujours et même beaucoup.
J’ignore s’il est quelqu’un de nos amis qui ait su garder, à travers les épreuves diverses, cette fleur de libéralisme primitif, de libéralisme pour ainsi dire platonique et en dehors de toute action, et cette tendresse extrême de conscience qui ne souffre examen ni doute à l’endroit des anciennes idoles ; s’il en est de tels, je les admire et je les envie. […] Vous ne sauriez croire ce que je souffre quand il me semble que vous n’êtes pas en règle avec les gens que je vois. Ils ont beau ne rien dire, je les entends. » Avec un scrupule un peu plus marqué à l’endroit de la dignité, le jeune homme ne se serait pas fait dire deux fois ces choses dont souffrait pour lui une femme délicate ; il se serait mis au plus vite en règle avec le mari. […] A la bonne heure ; mais je puis dire qu’une de ces expressions de Benjamin Constant à Mme de Charrière passe tout et ne se pourrait représenter qu’en latin, comme lorsque Horace, par exemple, parle d’Hélène : Nam fuit ante Helenam… Le principal tort, sans doute, en ces incidents, est à la femme qui souffre de tels oublis de plume ; pourtant cette affectation de cynisme sert à juger aussi les qualités de jeunesse et le degré de conservation de celui qui se donne licence.
En revanche, beaucoup d’hommes mûrs, surtout parmi les gaulois et parmi ceux qui sont fortement imprégnés de lettres classiques, ne peuvent pas le souffrir. […] Qui n’a connu cette impuissance, soit pour en jouir (car du moins elle nous laisse tranquilles et de sang-froid et elle a des airs de distinction intellectuelle), soit, à certains moments, pour en souffrir, quand on sent le vide de la vie incroyante, détachée et uniquement curieuse, et comme il serait bon d’aimer, et comme on peut faire du mal en n’aimant pas ? […] Puisqu’il souffre de ne pas aimer, c’est donc qu’il peut aimer encore ! […] Il devrait la croire et, même en la croyant, ne pouvoir pas l’aimer — et n’en pas souffrir autrement Mais je comprenais mal.
Il semble généralement que ce soient les œufs ou les petits des animaux qui doivent souffrir le plus des causes diverses de destruction : cette règle n’est pas sans exception. Parmi les plantes, il y a une énorme destruction de graines ; mais, d’après quelques observations que j’ai faites, je crois que les jeunes plantules ont à souffrir davantage encore en ce qu’elles germent dans un sol déjà suffisamment fourni d’autres plantes plus âgées. […] Même lorsque le climat, soit par exemple un froid extrêmement rigoureux, agit directement, ce sont les sujets les moins vigoureux, ou ceux qui n’ont pu se procurer qu’une moindre quantité de nourriture pendant la durée de l’hiver, qui souffrent le plus. […] Si, voyageant vers le sud, nous voyons une espèce décroître en nombre, nous pouvons demeurer certains que c’est autant parce que d’autres espèces se trouvent favorisées par le climat, que parce qu’elle seule, entre toutes les autres, en souffre directement.
Mais, au moins, souffre-t-il qu’en sa présence on dise du bien de ses ennemis, et, justement, le voici qui cause amicalement avec Ledrain qui vient de consacrer, dans la Nouvelle Revue, Marie Krysinska, chef de l’école symboliste. […] Il y a souffert et me conte son long martyre.
Rousseau et Rimbaud prennent de l’importance, tandis que M. de Saint-Pierre obtient attention de quelques esprits. » À cette époque, néanmoins, je ne pouvais guère que prévoir l’excès de sensibilité dont souffre aujourd’hui la littérature. […] Gide souffre en son âme d’une secrète et noire maladie.
Il serait libre dans sa bienveillance pour ceux qui travaillent, dans son aversion pour ceux qui nuisent, dans son amour pour ceux qui servent, dans sa pitié pour ceux qui souffrent. […] On entendrait les oiseaux chanter dans ses tragédies ; on verrait l’homme souffrir dans ses paysages.
« Certes, l’amour est une grande chose, l’amour est un bien admirable, puisque lui seul rend léger ce qui est pesant, et qu’il souffre avec une égale tranquillité les divers accidents de cette vie : il porte sans peine ce qui est pénible, et il rend doux et agréable ce qui est amer. […] « L’amour tend toujours en haut, et il ne souffre point d’être retenu par les choses basses.
Aucune d’elles ne souffre le contrôle ou n’admet l’autorité de sa rivale. […] Beaucoup de gens souffrent de le lire. […] Souffrez dans l’un ce que vous souffrez dans l’autre. […] Il en est d’une foule qui souffre et désire comme d’un homme qui désire et qui souffre. […] Tout cela est sec, personnel, et j’ai tant souffert, que j’ai cessé de m’intéresser à moi.
M. de Sacy, père de famille, fils d’un père très religieux, et religieux lui-même, à demi platonicien autant qu’il sied à un admirateur déclaré de Cicéron, ayant en lui, dans sa nature modérée et sensée, de beaux restes et comme des extraits mitigés de toutes ces hautes doctrines, M. de Sacy, homme pratique et de mœurs domestiques vertueuses, a lu les Maximes, et, en les admirant littérairement, il en a souffert dans sa sensibilité : « Ma répugnance est invincible, dit-il ; je tiens les Maximes pour un mauvais livre. […] On écoutait, mais on souffrait. […] Or M. de Sacy qui était resté jusqu’au bout, et qui avait écouté en silence, avait apparemment souffert plus qu’un autre dans son bon sens, et dans ses habitudes de bonne langue, de bonne logique, de logique de Port-Royal.
Avoir vécu, dès l’enfance et durant la jeunesse, de la vie de famille, de la vie de devoir, de la vie naturelle ; avoir eu des années pénibles et contrariées sans doute, comme il en est dans toute existence humaine, mais avoir souffert sans les irritations factices et les sèches amertumes ; puis s’être assis de bonne heure dans la félicité domestique à côté d’une compagne qui ne vous quittera plus, et qui partagera même vos courses hardies et vos généreux plaisirs à travers l’immense nature ; ne pas se douter qu’on est artiste, ou du moins se résigner en se disant qu’on ne peut pas l’être, qu’on ne l’est plus ; mais le soir, et les devoirs remplis, dans le cercle du foyer, entouré d’enfants et d’écoliers joyeux, laisser aller son crayon comme au hasard, au gré de l’observation du moment ou du souvenir ; les amuser tous, s’amuser avec eux ; se sentir l’esprit toujours dispos, toujours en verve ; lancer mille saillies originales comme d’une source perpétuelle ; n’avoir jamais besoin de solitude pour s’appliquer à cette chose qu’on appelle un art ; et, après des années ainsi passées, apprendre un matin que ces cahiers échappés de vos mains et qu’on croyait perdus sont allés réjouir la vieillesse de Goëthe, qu’il en réclame d’autres de vous, et qu’aussi, en lisant quelques-unes de vos pages, l’humble Xavier de Maistre se fait votre parrain et vous désigne pour son héritier : voilà quelle fut la première, la plus grande moitié de l’existence de Topffer. […] Les horribles douleurs qu’il endurait n’altéraient en rien son égalité d’humeur, et, entre deux plaintes sur ce qu’il souffrait, il laissait échapper une de ces adorables saillies qui en faisaient un homme tout à fait à part. » La fin du séjour à Vichy fut triste, le retour fut lamentable : après quelques jours pourtant, il sembla que le mal avait un peu cédé, et l’ardeur du malade pour le travail aurait pu même donner à croire qu’il était guéri. […] Mais le goût a parfois à souffrir aussi de certaines duretés, de rocailles, pour ainsi dire, que rachètent bientôt après, comme dans une marche alpestre, la pureté de l’air et la fraîcheur.
Mais ma conscience aurait trop à souffrir, si j’avais à élever des enfants de madame de Montespan, qui ne seraient pas du roi. […] Pour conserver l’affection du prince en même temps que son estime, pour ne pas mentir au sentiment qu’il avait inspiré sans y céder, il fallait qu’en résistant à ses désirs, on laissai voir une pressante disposition à y céder, mais en même temps une soumission profonde à une puissance qui ordonne d’y résister ; il fallait, en faisant souffrir de sa résistance, qu’il fût certain qu’on en souffrait soi-même.
Je l’ai passé devant Dieu en regrets et en espérances ; tout en pleurant, je lève les yeux et vois le ciel où ma mère est heureuse sans doute, car elle a tant souffert ! […] Je ne me souviens pas qu’il lui soit échappé une plainte, qu’elle ait crié tant soit peu sous la douleur qui la déchirait : nulle chrétienne n’a mieux souffert. […] « Cela m’étonnait, moi qui la voyais tant souffrir, moi qui pleurais au moindre mal, et qui ne savais pas ce que c’est que la résignation dans les peines. […] Sa sœur ne le perdait pas de vue ; elle souffrait tout ce qu’il souffrait, elle espérait quand il désespérait, elle rêvait pour lui l’impossible. […] Je les plaignais ou peu s’en faut ; il me semble que tout ce qui paraît souffrir a une âme. » Le 30 mai.
L’horrible vie que cette vie des lettres, où après avoir souffert du doute de l’œuvre, on a encore à souffrir du doute de son succès. […] Nous manquons de deux ou trois maisons bourgeoises, distinguées et affectueuses, où nous pourrions répandre, dégorger tout ce que nous ne donnons pas à la maîtresse, nous qui ne lui donnons guère que de l’habitude, — nous qui, par le fait, ne sommes pas deux, ne sommes point l’un à l’autre une compagnie, nous qui souffrons en même temps des mêmes défaillances, des mêmes malaises, des mêmes maladies morales, nous qui ne sommes à nous deux qu’un isolé, un spleenétique, un névropathe. […] Il souffrait là, et c’était là sa double plainte à sa mère, quand, par hasard, elle venait le voir ; il souffrait de mourir de faim et de coucher à la cave : la rue étant en contre-bas. […] * * * — En littérature on ne fait bien que ce qu’on a vu ou souffert. […] Il y a eu le monde des sots au moyen âge, il nous semble vivre dans le monde des gogos et des abonnés… Il nous faudrait, pour nous distraire, je ne sais quel grand sens dessus dessous… que le monde dansât quelques jours sur la tête… Avec cela une vue nette de cette carrière ingrate, abominable et adorée, les lettres : cette carrière qui vous fait souffrir, comme une maîtresse, qui se donnerait à des domestiques.
Je souffrais par elle, je la faisais souffrir ; mais mon mal et le sien m’étaient chers. […] On est avide de souffrir à quinze ans. […] Elles ne peuvent souffrir les momeries. […] Il souffrit cruellement de lui-même et des autres. […] J’en ai souffert mille morts.
C’est ton âme qui continue et qui suit sa pente d’aimer immortellement. » « (Le 27 décembre. 1855)… Je t’aime d’avoir souffert tout ce que je souffre, et d’être restée si tendre. […] Je suis rentrée dans ma petite chambre en pleurant de l’isolement où je me trouve, et de tout ce que souffre notre malheureuse famille. […] Ne parlons donc pas des riches, sinon pour être contents de ne pas les sentir souffrir comme nous.
Sa renommée littéraire a souffert, dans le temps, de ses qualités politiques ; sa modération lui avait fait bien de vifs ennemis. […] Souffre donc quelquefois que, brisant la mesure, Je mette de côté la rime et la césure Et déroge un moment à mes goûts favoris, Puisqu’enfin les lecteurs chez nous sont à ce prix. […] J’ai noté les mérites, le sens précoce, les vers élevés ou touchants de Loyson : j’omets ce qui chez lui est pure bagatelle, bouts-rimés et madrigaux ; car il en a, et la mode le voulait ou du moins le souffrait encore. […] Que ce soit amitié, reconnaissance, dette acquittée dans la monnaie des poëtes, je ne l’en blâme pas moralement, si tant est que sa dignité n’en ait pas souffert ; mais la poésie vit de choix, et la sienne n’y a pas songé.
Il souffrit des maux tour à tour imaginaires et réels et, comme il arrive aux âmes bien situées, il sortit de cette longue crise plus doux, plus indulgent aux hommes et à la vie ; il en rapporta une vertu qui, tout compte fait, a crû notablement dans ce siècle : la pitié. […] De même que la Leuconoé aux inquiétudes ineffables, l’âme moderne, « consulte tous les dieux », non plus pour y croire comme la courtisane antique, mais pour comprendre et vénérer les rêves que l’énigme du monde a inspirés à nos ancêtres et les illusions qui les ont empêchés de tant souffrir. […] J’ai cru devoir la ménager moi-même et souffrir ses impatiences. […] Souffrez la roideur de cette âme droite.
Le roi, ayant marié le duc du Maine, fait d’abord à ce prince des représentations sur sa femme qui le ruine ; mais, « voyant enfin que ses représentations ne servent qu’à faire souffrir intérieurement un fils qu’il aime, il prend le parti du silence, et le laisse croupir dans son aveuglement et sa faiblesse ». […] Je n’ose prier Mme de Berry de souffrir une vache. […] c’est bien assez qu’elle me souffre. […] « Mme de Caylus est la plus jolie vieille que vous connaissiez ; elle a souvent ces belles couleurs que vous lui avez vues, et dans ces moments-là elle est aussi jolie qu’elle ait jamais été ; du reste, plus délicate que moi, ne s’habillant plus, presque toujours dans son lit, et menacée de maux bien considérables. » (Lettre de Mme de Maintenonà Mme des Ursins, 18 septembre 1713.) — J’ai regret de dire que, jeune encore, elle prit du tabac : « Pour le tabac, je n’en parle point, quoiqu’il me paraisse une horreur : je ne le puis même souffrir au joli nez de Mme de Caylus ; je veux croire que son directeur lui a ordonné d’en prendre pour la rendre moins aimable. » (Mme des Ursins à Mme de Maintenon, 22 février 1707.)
À l’adolescent, elle parle de l’amour ; au père, de la famille ; au vieillard, du passé ; et, quoi qu’on fasse, quelles que soient les révolutions futures, soit qu’elles prennent les sociétés caduques aux entrailles, soit qu’elles leur écorchent seulement l’épiderme, à travers tous les changements politiques possibles, il y aura toujours des enfants, des mères, des jeunes filles, des vieillards, des hommes enfin, qui aimeront, qui se réjouiront, qui souffriront. […] C’est l’écho de ces pensées, souvent inexprimables, qu’éveillent confusément dans notre esprit les mille objets de la création qui souffrent ou qui languissent autour de nous, une fleur qui s’en va, une étoile qui tombe, un soleil qui se couche, une église sans toit, une rue pleine d’herbe ; ou l’arrivée imprévue d’un ami de collège presque oublié, quoique toujours aimé dans un repli obscur du cœur ; ou la contemplation de ces hommes à volonté forte qui brisent le destin ou se font briser par lui ; ou le passage d’un de ces êtres faibles qui ignorent l’avenir, tantôt un enfant, tantôt un roi.
Roscius obligea pour lors l’accompagnement et ceux qui prononçoient pour lui certains endroits de la piece, c’est ce que nous expliquerons ci-dessous, à souffrir que le mouvement de la mesure qu’ils étoient tous obligez de suivre, fut rallenti. […] Suivant l’idée que les anciens avoient de la dignité de l’orateur, cet accompagnement dont on ne pouvoit point se passer en déclamant comme on recitoit sur le theatre lui convenoit si peu, que Ciceron ne lui veut pas même souffrir d’avoir jamais derriere lui lorsqu’il parle en public, un joueur d’instrument pour lui donner ses tons, quoique cette précaution fut autorisée à Rome par l’exemple de C.
J’ai trop souffert, et je souffre trop encore pour m’exposer à recevoir la même peine. […] Je me suis bien tâté ; je ne souffre point ; je ne souffrirai point. […] Je ne souffre point ; je ne souffrirai pas ; mais qui est-ce qui le lui a dit ? […] Chacun a sa façon de sentir, voilà la mienne, je lui ai écrit tout cela ; c’est me perdre bien sûrement ; mais je ne souffre point, je ne souffrirai pas, et tout sera bien. […] Avec une âme insensible ou je n’entendrais pas la plainte de celui qui souffre, ou je ne souffrirais pas en l’entendant ; avec le coffre-fort, je lui jetterais de l’or à poignée, et j’en ferais un reconnaissant ou un ingrat, à sa discrétion.
« J’étais abattu ; je souffrais, je pleurais. […] J’ai quitté sans regret ma languissante vie, J’ai cessé de souffrir en cessant d’exister. […] Enfin, qu’elles reviennent ou non, je n’y attache que l’importance de ne pas souffrir. […] Il faut savoir souffrir et rire, ne serait-ce que du bout des lèvres. […] Malade, mourant, je reste chez la seule amie que j’aie au monde, et la douceur de souffrir près d’elle et loin d’eux, ils me l’envient.
De ma peine il semblait souffrir, Mais il ne poussa qu’un soupir, Et s’évanouit comme un rêve. […] Parce qu’il avait souffert personnellement, en lui-même, pour lui-même. […] Nous sommes malheureux, condamnés au malheur : et non seulement nous avons à souffrir, mais personne ne nous prend en pitié. […] Notre règle de conduite, eh bien, ce sera de souffrir, non pas avec résignation, mais avec une sorte de silence stoïque. […] Car, sans doute, ce qui fait la grandeur de l’homme, c’est qu’il souffre et c’est qu’il mérite par la souffrance.
Ce vide fait souffrir, et de souffrir à haïr il n’y a pas loin. De quoi aurais-je souffert, puisque je me sentais plein de tout ce que je désirais contenir, en n’élevant jamais mes prétentions plus haut que ma stature ? De quoi Hugo pouvait-il souffrir, puisqu’il se sentait vaste comme la nature ? […] La maison presque seule leur reste ; ils y souffrent les extrémités de la misère.
Taine avec non moins de force que le groupe nationaliste ; et, je ne sais pourquoi, les philosophes de la monarchie le mettent à côté de Maistre, qu’il ne pouvait souffrir. […] Chacun croit tout faire et on arrive à ne plus souffrir le partage du travail. […] Autant dire qu’il souffre d’une sorte de phobie littéraire spéciale, une certaine crainte absolument maladive analogue à celle d’un musicien qu’une note ou qu’un accord rendent épileptique, car je ne vois pas pourquoi un mot répété serait plus désagréable que deux notes qui se suivent ou reviennent dans une phrase musicale. […] Dans tous les cas, la classe des oisifs est la plus apte à souffrir, est celle qui souffre le plus ; son contentement, son plaisir de l’existence est moindre, sa tâche est plus grande.
Elle souffre du ventre affreusement, ne peut se remuer, ne peut se tenir couchée sur le dos ou le côté gauche. […] il faut encore la souffrance, la torture, comme le suprême et implacable finale des organes humains… Et elle souffre cela, la pauvre malheureuse ! […] Cet affreux déchirement du voile que nous avions devant les yeux, c’est comme l’autopsie d’une poche pleine d’horribles choses dans une morte tout à coup ouverte… Par ce qui nous est dit, j’entrevois soudainement tout ce qu’elle a dû souffrir depuis dix ans : et les craintes près de nous d’une lettre anonyme, d’une dénonciation de fournisseur, et la trépidation continuelle à propos de l’argent qu’on lui réclamait et qu’elle ne pouvait rendre, et la honte éprouvée par l’orgueilleuse créature pervertie, en cet abominable quartier Saint-Georges, à la suite de ses fréquentations avec de basses gens qu’elle méprisait, et la vue douloureuse de la sénilité prématurée que lui apportait l’ivrognerie, et les exigences et les duretés inhumaines des maquereaux du ruisseau, et les tentations de suicide qui me la faisaient un jour retirer d’une fenêtre, où elle était complètement penchée en dehors… et enfin toutes ces larmes que nous croyions sans causes ; — cela mêlé à une tendresse d’entrailles très profonde pour nous, à un dévouement, comme pris de fièvre, dans les maladies de l’un ou de l’autre. […] Pauvre créature, nous lui pardonnons, et même une grande commisération nous vient pour elle, en nous rendant compte de tout ce qu’elle a souffert… Mais, pour la vie, il est entré en nous la défiance du sexe entier de la femme, et de la femme de bas en haut comme de la femme de haut en bas. […] Les lecteurs se plaignent des dures émotions que les écrivains contemporains leur apportent avec leur réalité brutale ; ils ne se doutent guère que ceux qui fabriquent cette réalité en souffrent bien autrement qu’eux, et que quelquefois ils restent malades, nerveusement, pendant plusieurs semaines, du livre péniblement et douloureusement enfanté.
Il ne savait pas dire si vrai quand, à la troisième fois qu’il l’avait vue, comme elle lui répétait : « Mais pourquoi ne me laissez-vous pas venir plus souvent », il lui avait dit en riant, avec galanterie : « par peur de souffrir ». […] Dès la première nuit, comme je souffrais d’une crise de fatigue cardiaque, tâchant de dompter ma souffrance, je me baissai avec lenteur et prudence pour me déchausser. […] Il se disait presque avec étonnement : « C’est elle », comme si tout d’un coup on nous montrait extériorisée devant nous une de nos maladies et que nous ne la trouvions pas ressemblante à ce que nous souffrons 53. […] Il faut même noter ici, bien que cela nous fasse sortir de la description de son caractère pour entrer dans celle de son intelligence, qu’il souffrait d’une sorte de monstruosité qui était de ne pouvoir parvenir au présent qu’en parcourant à nouveau toute une partie de son passé. […] Il ne savait pas dire si vrai quand, à la troisième fois qu’il l’avait vue, comme elle lui répétait ; « Mais pourquoi ne me laissez-vous pas venir plus souvent », il lui avait dit en riant, avec galanterie : « Par peur de souffrir. » Maintenant, hélas !
Au fond, ils n’aiment pas raconter ; ils ne peuvent souffrir le labeur d’un récit suivi, avec des passages nécessairement plus éteints, des transitions d’un épisode à l’autre. […] Le roman d’ailleurs, est le plus libre des genres et souffre toutes les formes. […] Elle ne peut souffrir que ce jeune homme très fort change le nom de son père contre un titre acheté, afin de faire un riche mariage ; elle découvre en outre qu’il a eu pour maîtresse la mère de la jeune fille qu’il doit épouser. […] J’aimerais qu’elle continuât de souffrir silencieusement et de prier toute seule. […] Voyez dans Sœur Philomène, l’agonie de Romaine, à qui l’on vient de couper le sein, le délire impie de la mourante, entrecoupé, dans la grande salle d’hôpital où souffrent tant de malheureuses, par la voix de la sœur récitant la prière du soir : « Hélas !
C’est pendant sa maladie et sa convalescence en 1686, que le roi entre de plus en plus dans l’idée de Saint-Cyr, qu’il la prend à cœur, l’adopte tout entière et se l’approprie magnifiquement : Dieu sait, écrivait Mme de Maintenon en octobre 1686 à l’une des dames de Saint-Louis, Dieu sait que je n’ai jamais pensé à faire un aussi grand établissement que le vôtre, et que je n’avais point d’autres vues que de m’occuper de quelques bonnes œuvres pendant ma vie, ne me croyant point obligée à rien de plus, et ne trouvant que trop de maisons religieuses ; moins j’ai eu de part à ce dessein et plus j’y reconnais la volonté de Dieu, ce qui me le fait beaucoup plus aimer que si c’était mon ouvrage : il a conduit le roi à cette fondation, comme vous l’avez su, lui qui, de son côté, ne veut plus souffrir de nouveaux, établissements. […] Une lettre de Mme de Maintenon à Mme de Fontaines, maîtresse générale des classes, du 20 septembre 1691, expose cet état périlleux et cette crise ; elle sent d’ailleurs et convient avec sincérité que c’est elle-même qui a introduit le mal, et elle prend tout sur son compte : La peine que j’ai sur les filles de Saint-Cyr ne se peut réparer que par le temps et par un changement entier de l’éducation que, nous leur avons donnée jusqu’à celle heure ; il est bien juste que j’en souffre, puisque j’y ai contribué plus que personne, et je serai bien heureuse si Dieu ne m’en punit pas plus sévèrement. […] L’autre pièce que j’ai à citer est intitulée Le Retour, c’est l’être humain (homme ou femme) qui, après avoir vécu, souffert et failli, revient au lieu natal, dans le manoir domestique, et y retrouve tous les anciens témoins de son innocence et de son bonheur : « Nous reviens-tu avec le cœur de ton enfance, un cœur libre, pur, aimant ?
Molé ne se le laissa pas dire, et ne souffrit pas qu’on déplaçât ainsi le respect : Paris, ce 14 septembre 1837. […] Je n’admets donc pas que ce soit accepter un joug dont la délicatesse ou la fierté aient à souffrir, que d’arriver par notre influence à la Chambre, ni que ce fût trahir un engagement que de se séparer de nous plus tard sur une question où l’on ne pourrait, en conscience ou avec convictioni, nous soutenir. […] Il souffrait de plus, et avec toute l’intensité morale qui lui était propre, de la marche des choses publiques, qui allaient à l’encontre de son rêve, de la fondation idéale de toute sa vie.
C’est le cas de toute révolution : les individus en souffrent, l’ensemble y gagne. […] Mais voulez-vous savoir ce que j’ai souffert ? […] Et encore si les hommes supérieurs n’avaient à souffrir que les attaques de la masse des gens bornés !
On y assiste ; dans un tête-à-tête avec son fils, elle lui adresse successivement quatre requêtes, et lui demande au moins de quatre choses l’une : 1° de ne point mourir, lui son fils, de ne point souffrir mort, s’il est possible ; 2° cette première requête refusée, et puisque cette mort est jugée nécessaire, de ne point la souffrir si amère, si honteuse et si cruelle ; 3° cette requête rejetée encore par Jésus au nom des Écritures et des Prophéties, de permettre au moins que sa mère meure la première et n’ait point à voir de ses yeux une mort si terrible ; 4° puisque cette troisième pétition n’est pas plus accueillie que les deux autres, de vouloir bien qu’elle perde au moins connaissance pendant la durée de la Passion, qu’elle soit ravie en esprit et demeure comme une chose insensible, privée d’intelligence et de sentiment. Mais Jésus a refusé cette dernière requête elle-même : quand le fils souffre d’une telle mort, il convient qu’une mère douce et tendre le ressente ; il est juste que le glaive de douleur la transperce.
Il résulte de ces neuf années de plus qu’elle a sans les paraître , que le temps qu’elle passe au couvent et avant son entrée à la petite cour de Sceaux remplit toute la durée de sa première jeunesse ; qu’elle a vingt-sept ans bien sonnés lorsqu’elle entre chez la duchesse du Maine, et qu’elle est déjà une personne faite qui pourra souffrir de sa condition nouvelle, mais qui n’y prendra aucun pli que celui de la contrainte. […] Elle n’a point été aimée de qui elle aurait voulu, elle n’a pas eu sa jeunesse remplie à souhait, elle a souffert : beaucoup d’autres sont ainsi, mais elle a eu avec les années la satisfaction de la pensée et les jouissances réfléchies de l’observation ; elle a vu juste, et il lui a été donné de le rendre. […] Cet ennui consiste à ne rien voir qui me plaise, et à ne rien faire qui m’amuse ; mais quand le corps ne souffre pas et que l’esprit est tranquille, on doit se croire heureux258. » Un jour, après sa sortie de la Bastille et avant de s’être tout à fait résignée au joug, Mlle Delaunay avait projeté de s’en retourner vivre à son petit couvent de Saint-Louis à Rouen ; où elle avait passé ses seules années de bonheur.
Si l’on savait mourir, on pourrait encore se risquer à l’espérance d’une si heureuse destinée, mais l’on abandonne son âme à des sentiments, qui décolorent le reste de l’existence ; on éprouve, pendant quelques instants, un bonheur sans aucun rapport avec l’état habituel de la vie, et l’on veut survivre à sa perte ; l’instinct de la conservation l’emporte sur le mouvement du désespoir, et l’on existe, sans qu’il puisse s’offrir dans l’avenir une chance de retrouver le passé, une raison même de ne pas cesser de souffrir, dans la carrière des passions, dans celle surtout d’un sentiment qui, prenant sa source dans tout ce qui est vrai, ne peut être consolé par la réflexion même : il n’y a que les hommes capables de la résolution de se tuer3, qui puissent, avec quelque ombre de sagesse, tenter cette grande route de bonheur : mais qui veut vivre et s’expose à rétrograder ; mais qui veut vivre et renonce, d’une manière quelconque à l’empire de soi-même, se voue comme un insensé au plus cruel des malheurs. […] À côté des malheurs, causés par le sentiment, c’est peu que les circonstances extérieures qui peuvent troubler l’union des cœurs ; quand on n’est séparé que par des obstacles étrangers au sentiment réciproque, on souffre, mais l’on peut et rêver et se plaindre : la douleur n’est point attachée à ce qu’il y a de plus intime dans la pensée, elle peut se prendre au-dehors de soi ; cependant des âmes d’une vertu sublime, ont trouvé dans elles-mêmes des combats insurmontables ; Clémentine peut se rencontrer dans la réalité, et mourir au lieu de triompher. […] Le don de soi, ce sacrifice si grand aux yeux d’une femme, doit se changer en remord, en souvenir de honte, quand elle n’est plus aimée ; et lorsque la douleur, qui d’abord n’a qu’une idée, appelle enfin à son secours tous les genres de réflexions, les hommes condamnés à souffrir l’inconstance, sont consolés par chaque pensée qui les attire vers un nouvel avenir ; les femmes sont replongées dans le désespoir, par toutes les combinaisons qui multiplient l’étendue d’un tel malheur.
L’amour contrarié souffre : c’est la révolte de la volonté, qui s’irrite de l’obstacle, plutôt que le cri de l’âme possédée et privée de son bien. […] L’amant à genoux, humble, dévot, ardent, reçoit la vie ou la mort de sa dame : il désire l’honneur et le bien de sa dame plus que sa vie propre : il a assez de bonheur, s’il aime : il est joyeux de souffrir, et accroît son mérite en souffrant. […] Celui qui n’est pas fait à tout souffrir, et à faire la volonté de l’objet aimé, n’est pas digne du nom d’amant. » Il n’y a pas un de ces mots par où l’imitation peint l’amour de Dieu, qui ne réponde à une des lois de l’amour courtois : tant les deux amours ne sont qu’une même essence !
La France de Voltaire souffrait d’être amputée de sa foi comme la Jeune France républicaine d’être amputée de ses rois. […] « L’Art chrétien est mort le jour où un pape s’est avisé de voiler les nudités de Michel-Ange, dans le Jugement dernier. » Charles Morice, qui dit cela, ne peut souffrir l’imagerie ni les divinités en carton-pâte du style Saint-Sulpice. […] L’Astral ne souffre pas l’atteinte des mains sacrilèges.
C’est que Pascal n’est pas seulement un raisonneur, un homme qui presse dans tous les sens son adversaire, qui lui porte mille défis sur tous les points qui sont d’ordinaire l’orgueil et la gloire de l’entendement ; Pascal est à la fois une âme qui souffre, qui a ressenti et qui exprime en lui la lutte et l’agonie. […] Il démontre et développe toute la suite de son discours et de sa conception sans lutte et sans effort : il ne souffre point pour prouver. […] que de vérités sensibles à tous ceux qui ont souffert, qui ont désiré, perdu, puis retrouvé la voie, et qui n’ont jamais voulu désespérer !
Le comte souffrit tout, dissimula le poison versé sur sa blessure, toujours retenu par la crainte de s’attirer un ennemi tel que Despréaux. […] En vain lui répéta-t-elle qu’un homme de sa naissance & de son mérite ne devoit pas souffrir qu’on le citât si légèrement, & qu’on donnât lieu à tous les propos que les courtisans & le roi même avoient tenus. […] Boileau ne put souffrir qu’on mît dans la même balance Astrate, Stratonice, Amalazonte, Pausanias, & les tragédies de Racine.
J’ai vu, j’ai souffert le supplice de voir Hector traîné à la queue d’un char il quatre chevaux, et le fils d’Hector précipité des remparts164. » Ce n’est point là sans doute la tendre et touchante Andromaque de Racine, cette création mi-partie chrétienne par l’anachronisme involontaire du poëte mêlant sa religion à son art ; ce n’est pas non plus la conception un peu déclamatoire de Sénèque, celle d’une Andromaque bravant avec fierté la mort, quand elle croit avoir sûrement caché son fils dans le tombeau d’Hector. […] Ainsi, cette rude poésie des vieux âges de Rome, quoique imitée en partie de la Grèce, était une voix vivante qui parlait aux âmes romaines, voix trop forte pour être soufferte, quand viendrait l’empire. […] vous l’abandonnez dans l’exil ; vous l’avez laissé chasser ; vous souffrez qu’il reste banni. » Et ces paroles, que l’acteur rehaussait, enflammait par le débit, étaient interrompues ou suivies par les applaudissements, les acclamations, les sanglots étouffés d’une foule immense.
Pour moi, je ne souffrirais pas sur la scène un rôle de femme qui ne réunirait pas tout ce que l’esprit chrétien et l’esprit français, cultivés par les siècles, ont donné de profondeur à la sensibilité des femmes, de force et de grâce à leur raison. […] Il faut bien souffrir un peu de convention dans les ouvrages d’art. […] On ne souffrirait pas une mère qui ne le serait pas comme Andromaque, ou le serait moins que Clytemnestre ; on ne souffrirait pas davantage une amante qui n’aimerait qu’à demi. […] Et tel est le charme de la vérité pour les mortels, qu’ils applaudissent à la peinture de leur propre misère, et qu’ils se consolent presque de souffrir quand ils savent pourquoi ils souffrent. […] Il ne moralise pas froidement sur ce qui se passe ; il souffre, il craint, il espère ; il a sa part des dangers, il est menacé par la catastrophe.
Il voudra vaincre sa passion ; mais il n’y réussira plus ; il la renfermera longtemps, il se taira, il sera triste, mélancolique ; il souffrira ; mais il s’ennuiera de souffrir ; il jettera des mots que vous n’entendrez point, parce qu’ils ne seront pas clairs.
Mais, je m’aperçois qu’en parlant du crime, je n’ai pensé qu’à la cruauté ; la révolution de France concentre toutes les idées dans cette horrible dépravation : et, après tout, quel crime y a-t-il au monde, si ce n’est ce qui est cruel, c’est-à-dire, ce qui fait souffrir les autres ? […] Enfin, les anciens poètes philosophes ont senti que ce n’était pas assez de peindre les peines du repentir, qu’il fallait plus pour l’enfer, qu’il fallait montrer ce qu’on éprouvait au plus fort de l’enivrement, ce que faisait souffrir la passion du crime avant que, par le remord même, elle eut cessé d’exister.
Un jour heureux, un être distingué rattachent à ces illusions, et vingt fois on revient à cette espérance après l’avoir vingt fois perdue ; peut-être à l’instant où je parle, je crois, je veux encore être aimée, je laisse encore ma destinée dépendre toute entière des affections de mon cœur ; mais celui qui n’a pu vaincre sa sensibilité, n’est pas celui qu’il faut moins croire sur les raisons d’y résister ; une sorte de philosophie dans l’esprit, indépendante de la nature même du caractère, permet de se juger comme un étranger, sans que les lumières influent sur les résolutions, de se regarder souffrir, sans que sa douleur soit allégée par le don de l’observer en soi-même, et la justesse des méditations n’est point altérée par la faiblesse de cœur, qui ne permet pas de se dérober à la peine : d’ailleurs, les idées générales cesseraient d’avoir une application universelle, si l’on y mêlait l’impression détaillée des situations particulières. […] Quel homme éprouva jamais tout ce que le cœur d’une femme peut souffrir ?
Il arriva, en effet, que le roi, entre une femme qui l’excédait de ses feintes ardeurs, et une autre qui le lassait par ses résistances, s’abandonna à son humeur avec toutes deux ; l’une avait à souffrir des infidélités sans déguisement, l’autre des froideurs passagèrement affectées. […] Madame de Coulanges et moi nous célébrâmes hier votre santé à Maintenon, et n’oubliâmes pas la chambre des élus. » Plus tard, en 1678 et 1679, l’intimité s’étant établie entre le roi et madame de Maintenon, les relations qu’elle avait conservées avec les personnes de son ancienne société, en souffrirent réellement et durablement.
Où, en effet, Antony poussait un cri de révolte contre un état de l’opinion dont on ne souffrait plus grand-chose déjà de son temps, Pierre Clémenceau écrit, du nôtre, des fragments de traité contre cet état entièrement assourdi et apaisé de l’opinion dont on ne souffre plus du tout.
Après cela, le panégyriste peint son héros qui vole sur les bords du Rhin pour combattre les Francs nos aïeux, et il le loue très sérieusement de ce que vainqueur, il a fait servir le carnage des vaincus aux amusements de Rome, de ce qu’il a embelli de leur sang la pompe des spectacles et donné le délicieux plaisir de voir dévorer par les bêtes une multitude innombrable de prisonniers ; de manière que ces malheureux en expirant, dit-il, souffraient encore plus des outrages de leurs vainqueurs, que des morsures des bêtes féroces et de la mort même. » Dans quels siècles de férocité et de bassesse de tels panégyriques ont-ils été écrits ? Et si l’on n’a l’âme tout à fait dénaturée ou par le despotisme, ou par la servitude, peut-on, en lisant de pareils éloges, ne point maudire jamais et l’orateur qui les a donnés, et le prince qui les a soufferts ?
Tant que Louisette et Raymond souffraient seuls de leur abominable mal, j’ai pu m’intéresser à eux, parce qu’ils souffraient. Mais, du moment que l’innocent Rougier souffre à son tour, je me détache d’eux avec facilité. […] Et Laure n’a pas encore souffert tout ce qu’elle pouvait souffrir. […] Blanche, l’aînée, plus sage, un peu maternelle, charmante, souffre plus qu’elle n’avait pensé. […] Et de là, dit-on, une gêne, — dont, pour ma part, je n’ai pas trop souffert.
La pure nature est violente, emportée ; elle n’admet pas les excuses, elle ne souffre pas les tempéraments, elle ne fait pas la part des circonstances, elle veut aveuglément, elle éclate en injures, elle a la déraison, l’ardeur et les colères des enfants. […] Elle ne veut plus sortir, elle ne sourit plus, elle souffre à peine qu’on vienne la voir ; elle se reprocherait comme un manque de tendresse un moment d’oubli ou de gaieté. […] si tendre pour ma mère, — qu’il n’aurait pas souffert que les vents du ciel — vinssent trop rudement visiter son visage. […] Ils souffraient plusieurs intrigues en une seule. […] Les événements intéressent ou touchent sans faire souffrir.
Il n’en est pas ainsi de ceux qui souffrent : la réflexion est leur plus sûr asile, et séparés par l’infortune des distractions de la société, ils s’examinent eux-mêmes et cherchent, comme un malade qui se retourne dans un lit de douleur, quelle est la position la moins pénible qu’ils puissent se procurer. […] Il faut, pour se tuer, ne pas craindre la mort ; mais c’est manquer de fermeté d’âme que de ne pas savoir souffrir. […] Revoyez, après dix ans, une personne qui a subi une grande privation de quelque nature qu’elle soit, et vous saurez qu’elle souffre et jouit par une autre cause que cette privation même, dans laquelle consistait son malheur dix ans auparavant. […] On souffre de mille manières, on souffre par des sentiments divers, opposés, contradictoires ; et nul n’a le droit de contester à qui que ce soit sa douleur. […] Quelle différence entre cette abnégation religieuse de la lutte terrestre et la fureur qui porte à se détruire pour se délivrer de ce qu’on souffre.
Et, ainsi, malgré notre ignorance, nous avons subi tous, puissamment, l’effet de cet art nouveau ; nous avons, tous, éprouvé à souffrir une joie plus aiguë, parce qu’il a plu à Wagner de suivre la voie pessimiste de Schopenhauer, de dresser le gigantesque autel de ses œuvres à l’Idole du Cesser-Vivre. […] Mais la création résulte des idées actuelles ; nous projetons au Néant extérieur l’image de notre essence intime ; puis, la croyant véritable, nous continuons à la créer pareille ; et nous souffrons de ses incohérences, tandis qu’elles sont ouvrage de notre plaisir. […] Il laissera vivre les Cygnes, dans les grands lacs ; se blesser, n’est-ce point souffrir ? […] Il nous incite à refaire, sans cesse, activement, notre création intérieure ; à compâtir, à mettre en ce monde l’unité, et notre vie dans un monde nouveau ; et il nous incite, le Maître Vénéré, à souffrir, à constater de cruelles énigmes, à courir vers la mort, puisqu’en ces tourments est, plus intense et plus divine, notre Joie. […] Si plus que nul autre, Wagner avait senti ce qu’il y a de tragique dans la situation de Lohengrin, tous les artistes de génie, qui vivent et ont vécu dans une société aussi peu naïve que la nôtre, en ont souffert plus ou moins.
Les gens qui l’aiment, font des livres où ils racontent ce qu’ils ont souffert à propos d’elle, car on n’aime que ce dont on souffre. — Oui, lui disons-nous, cela explique la maternité ! […] Il est sorti vivant de quelques raclées que lui a fait distribuer Adèle Courtois, et aujourd’hui il est propriétaire de la maison qu’il habite. » En descendant l’escalier d’Aubryet, je demande à Gautier s’il ne souffre pas de ne plus habiter Paris. […] Elle s’adresse aux gens qui souffrent. […] Non, c’était la sœur qui parlait à une vieille femme avec une voix de caresse, une voix calmement impérieuse, comme on en prend avec les enfants aimés, quand on veut leur faire faire quelque chose, qu’ils ne veulent pas. « Vous souffrez du siège ? […] C’est vraiment un triomphe pour une religion d’avoir amené une femme, cette faiblesse, ce délicat appareil nerveux, à la victoire de dégoûts de cette nature, d’avoir amené l’affectuosité d’une créature distinguée à appartenir tout entière à d’abjects et sordides misérables qui souffrent.
L’artiste souffre ; il arrive dès l’abord, sous le poids des siècles qui ont précédé, mais aussi sous leur aiguillon, dans un monde où les premiers rôles de la poésie et de l’art sont pris et, en quelque sorte, usurpés par les ancêtres. […] Pour moi, sans généraliser autant que M. de Vigny mes espérances, je me contente de dire : Jamais une société ne sera si désespérée pour la morale, si ingrate pour l’art, que cela ne vaille encore la peine d’y vivre, d’y souffrir, d’y tenter ou d’y mépriser la gloire, quand on peut rencontrer en dédommagement sur sa route des hommes d’exception comme le capitaine Renaud, des poëtes d’élite comme celui qui nous l’a retracé. […] souffrir et ne pas croire et être poëte ! […] Quand j’ai le malheur d’analyser ainsi les cœurs de ceux qui m’entourent, je me sens prêt à mourir de désespoir ; l’effroi me prend comme si j’étais seul au monde, comme le dernier homme ; et c’est donc là ce que vous souffrez et ce que nous vous faisons souffrir ?
tu me souriais de ton sourire immortel, et tu me demandais ce que j’avais, ce que je souffrais, et l’objet de ma douce fureur : tu me disais : Qui donc t’a fait du mal, ô ma Sapho ? […] « Ils sont tous affreusement malheureux à Rouen53 ; — mais tu souffres bien assez sans que je te raconte toutes ces détresses. […] Cependant nous avons quelque espérance : mais si notre bon père et maman peuvent voir d’où ils sont ce que souffrent leurs enfants, je les plains, nous aimant toujours comme ils nous ont aimés ! […] Ne parlons donc pas des riches, sinon pour être contents de ne pas les sentir souffrir comme nous… « Avant-hier dans la nuit, j’ai eu le bonheur de rêver à toi, et de t’embrasser avec une effusion d’amitié et de joie si vive, que je m’en suis réveillée. — Nous allions au-devant l’une de l’autre les bras ouverts. […] Je suis rentrée dans ma petite chambre en pleurant de l’isolement où je me trouve, et de tout ce que souffre notre malheureuse famille.