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45. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Notre paresse et notre faiblesse facilitent leur action et nous subissons les suggestions sociales comme des hypnotisés. […] C’est une sorte de vol fait par l’individu, un détournement, à son unique profit, des forces et des ressources sociales. […] Et comment déterminer le degré d’utilité sociale qui doit permettre l’existence à certains sentiments ou à certaines pratiques ? […] La vie sociale a les mêmes exigences que la vie individuelle. […] Ceux-là ont aussi leur rôle social dans notre humanité.

46. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

Le génie comme création d’un nouveau milieu social. — Rapports du génie au milieu existant. […] Insuffisance des diverses théories. — Comment le génie crée un milieu social nouveau. […] Peut-on les trouver toutes dans le milieu physique et social ? […] Il modifie donc le milieu social et intellectuel préexistant, il n’est pas lui-même le pur et simple produit du milieu. […] » L’influence du milieu social et historique est plus visible.

47. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre premier. Le problème des antinomies » pp. 1-3

Le problème des antinomies La vie sociale ne va pas sans de nombreux conflits entre l’individu et la société. […] Par société nous entendons non pas seulement l’État, mais l’ensemble des cercles sociaux de toute sorte auxquels peut participer un individu, ainsi que les relations complexes où il se trouve engagé par suite de cette participation. […] La société est un système plus ou moins compliqué de relations sociales au sein desquelles un individu humain est appelé à vivre. Ce milieu social exerce sur l’individu un nombre considérable d’influences qui s’entrelacent et s’enchevêtrent de toutes façons, qui tantôt s’additionnent et se renforcent et tantôt s’opposent et se neutralisent, mais qui dans tous les cas, agissent sur l’individu soit pour favoriser, soit pour entraver son développement. […] L’individu que nous opposons à la société est l’individu tel qu’il nous est donné en fait au sein de la société, informé en partie par elle. — Mais à côté de la partie qui, dans l’individu, est façonnée par les influences sociales passées ou présentes, il y a un fond physiologique et psychologique qui lui est propre et qui apparaît comme un résidu irréductible aux influences sociales.

48. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Introduction »

Introduction Jusqu’à présent, les sociologues se sont peu préoccupés de caractériser et de définir la méthode qu’ils appliquent à l’étude des faits sociaux. […] Spencer, le problème méthodologique n’occupe aucune place ; car l’Introduction à la science sociale, dont le titre pourrait faire illusion, est consacrée à démontrer les difficultés et la possibilité de la sociologie, non à exposer les procédés dont elle doit se servir. […] En effet, les grands sociologues dont nous venons de rappeler les noms ne sont guère sortis des généralités sur la nature des sociétés, sur les rapports du règne social et du règne biologique, sur la marche générale du progrès ; même la volumineuse sociologie de M.  […] Nous avons donc été amené, par la force même des choses, à nous faire une méthode plus définie, croyons-nous, plus exactement adaptée à la nature particulière des phénomènes sociaux. […] Sans doute, ils sont implicitement contenus dans le livre que nous avons récemment publié sur La Division du travail social.

49. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

L’origine du mal social, c’est la propriété, clef de voûte de la société. […] Le plaisir dramatique est un plaisir social et sociable. […] Le mensonge, en effet, est un produit social ; la nature est franche. […] Contrat social, l. […] Contrat social.

50. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface »

Qu’il ait toujours présent à l’esprit que les manières de penser auxquelles il est le plus fait sont plutôt contraires que favorables à l’étude scientifique des phénomènes sociaux et, par conséquent, qu’il se mette en garde contre ses premières impressions. […] Elle est même, en un sens, essentiellement conservatrice, puisqu’elle considère les faits sociaux comme des choses dont la nature, si souple et si malléable qu’elle soit, n’est pourtant pas modifiable à volonté. […] Or notre méthode n’est en partie qu’une application de ce principe aux faits sociaux. Comme les spiritualistes séparent le règne psychologique du règne biologique, nous séparons le premier du règne social ; comme eux, nous nous refusons à expliquer le plus complexe par le plus simple. […] Il reste donc que, sans produire le mal qu’il implique, il soutient avec les conditions fondamentales de la vie sociale les rapports positifs que nous verrons dans la suite.

51. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

Importance sociale prise de nos jours par le roman psychologique. […] Zola, avec Balzac, voit dans le roman une épopée sociale : « Les œuvres écrites sont des expressions sociales, pas davantage. […] Mais, comme l’individu est en même temps un type, la portée sociale de l’œuvre subsiste. […] Plus tard, dans les Misérables, Hugo fait un roman à la fois social et sociologique. […] Ils accordent aussi une influence considérable au milieu. « L’homme n’est pas seul, il vit dans une société, dans un milieu social, et dès lors, pour nous, romanciers, ce milieu social modifie sans cesse les phénomènes.

52. (1889) L’art au point de vue sociologique « Préface de l’auteur »

Préface de l’auteur La tâche la plus haute du dix-neuvième siècle a été, semble-t-il, de mettre en relief le côté social de, l’individu humain et en général de l’être animé, qui avait été trop négligé par le matérialisme à forme égoïste du siècle précédent. […] Les sentiments sociaux se révéleront commedes phénomènes complexes produits en grande partie par l’attraction ou la répulsion des systèmes nerveux, et comparables aux phénomènes astronomiques : la sociologie, dans laquelle rentre une bonne part de la morale et de l’esthétique, deviendra une astronomie plus compliquée. […] L’esthétique, où viennent se résumer les idées et les sentiments d’une époque, ne saurait demeurer étrangère à cette transformation des sciences et à cette prédominance croissante de l’idée sociale. […] Nous verrons que l’art maladif des décadents a pour caractéristique la dissolution des sentiments sociaux et le retour à l’insociabilité. L’art véritable, au contraire, sans poursuivre extérieurement un but moral et social, a en lui-même sa moralité profonde et sa profonde sociabilité, qui seule fait sa santé et sa vitalité.

53. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Nécessité d’un côté universel et social des types. — Le conventionnel et le naturel dans la société et dans l’art. […] L’art, qui cherche en définitive à nous faire sympathiser avec les individus qu’il nous représente, s’adresse ainsi aux cotés sociaux de notre être ; il doit donc aussi nous représenter ses personnages par leurs côtés sociaux : le héros en littérature est avant tout un être social ; soit qu’il défende, soit même qu’il attaque la société, c’est par ses points de contact avec elle qu’il nous intéresse le plus. […] Enfin, il est des types proprement sociaux, qui représentent l’homme d’une époque, dans une société donnée. […] La poésie dramatique ou épique repose beaucoup plus sur des conventions sociales. […] En outre, l’avènement de la démocratie et des nouvelles « couches sociales » se fait sentir dans l’art, comme dans toutes les autres manifestations de la vie sociale.

54. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre V. Des trois ordres de causes qui peuvent agir sur un auteur » pp. 69-75

§ 3. — On peut en dire autant du milieu social. […] Mais sur quoi se fonde cet essai pour nier l’influence du milieu social ? Voici l’argument mis en forme : Des hommes ayant vécu dans le même milieu social ont produit des œuvres différentes. […] Donc l’influence du milieu social est nulle. — Pardon ! […] Je ne connais pas deux hommes, fussent-ils frères, fussent-ils jumeaux, qui aient jamais vécu dans un milieu social identique.

55. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. […] Il faisait remonter très-haut la déchéance et la dégradation de l’ancien ordre social ; il voyait déjà Louis XI rendant des édits contre les droits de primogéniture ou de substitution. […] Le Plav. l’antagonisme social n’est point un fait nouveau, spécial à notre temps : les discordes civiles avaient même autrefois un caractère de violence qu’elles n’offrent guère aujourd’hui. […] Le Play, de purger le corps social de ces restes de levain irritant. […] Le Play la véritable unité sociale ; or, cette unité, dans l’état présent, est faible, instable, précaire et caduque : les fortunes, par suite du partage égal forcé, se brisent à chaque génération ; les plus grandes créations d’existence sociale, après deux ou trois transmissions successives, tendent à se fondre et à rentrer dans la masse : c’est à recommencer toujours.

56. (1908) Après le naturalisme

Le minimum d’influence sociale, c’est la plaie dont l’art mourut. […] Ils écrivent le considérable traité du traumatisme social. […] L’histoire ne constitue pas seule le champ d’expériences sociales. […] On parle moins aujourd’hui d’art social. […] On marche à ceci : la Révolution sociale.

57. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

L’influence du milieu social — cela est incontestable — existe et opère d’une façon variable mais permanente. […] Il serait facile de multiplier ces exemples à un tel point que le cas d’artistes en opposition avec leur milieu social parût être plus fréquent que le contraire. […] Comme toute créature, l’homme tend, par économie de forces, à persister dans son être, à le modifier le moins possible pour s’adapter aux circonstances physiques ou sociales qui varient autour de lui. […] Car, dans ce cas, on peut toujours demander quelle est la partie de l’organisme social qui exerce cette attraction. […] Cette distinction intéressante entre « homme public » et « homme intérieur » — cette dernière formule renvoyant à une tradition spiritualiste ou mystique revue et corrigée par la psychologie positiviste — annonce la dichotomie proustienne séparant le moi social du « moi profond », comme les travaux des sociologues modernes consacrés aux différents « rôles sociaux » qui constituent notre identité multiple.

58. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

Nous en traiterons directement, avec toute l’extension convenable, dans la partie de ce cours relative à l’étude des phénomènes sociaux. […] (4) Les conceptions que je tenterai de présenter relativement à l’étude des phénomènes sociaux, et dont j’espère que ce discours laisse déjà entrevoir le germe, ne sauraient avoir pour objet de donner immédiatement à la physique sociale le même degré de perfection qu’aux branches antérieures de la philosophie naturelle, ce qui serait évidemment chimérique, puisque celles-ci offrent déjà entre elles à cet égard une extrême inégalité, d’ailleurs inévitable. […] C’est à cette fin qu’avant de procéder à l’étude des phénomènes sociaux, je considérerai successivement, dans l’ordre encyclopédique annoncé plus haut, les différentes sciences positives déjà formées. […] D’un autre côté, comment procéder avec sûreté à l’étude positive des phénomènes sociaux, si l’esprit n’est d’abord préparé par la considération approfondie des méthodes positives déjà jugées pour les phénomènes moins compliqués, et muni, en outre, de la connaissance des lois principales des phénomènes antérieurs, qui toutes influent, d’une manière plus ou moins directe, sur les faits sociaux ? […] Notre mal le plus grave consiste, en effet, dans cette profonde divergence qui existe maintenant entre tous les esprits relativement à toutes les maximes fondamentales dont la fixité est la première condition d’un véritable ordre social.

59. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

Une préoccupation sociale et littéraire, formulée sans éclat, cela semble de l’ironie, — car on m’a montré cette phrase comme telle. […] Il y a de la gravité à toutes les pages où les sujets sociaux ou religieux sont touchés. […] On le résumerait assez exactement en cet aphorisme : Il n’y a pas de morale sociale. […] La sociologie est une science de passé, en tant que revue historique des formes sociales, une science de présent, en tant qu’examen des états sociaux actuels. […] Une autre action demeure possible, mais sans préconception sociale, rigoureusement individuelle.

60. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 4. Physionomie générale du moyen âge. »

Nobles, bourgeois, ou vilains, il n’y a guère de différence entre les classes ; l’égalité intellectuelle est aussi réelle que l’inégalité sociale ; savoir le latin, savoir écrire, savoir lire, sont choses rares, et qui trahissent quelque relation ou caractère clérical. […] D’autant que le régime social, par l’indépendance, par le droit souverain qu’il reconnaît à l’individu, exalte les énergies, et rend plus nécessaire l’action d’un irrésistible frein. […] Et si dure que soit aux hommes l’organisation sociale, ils n’en rêvent pas d’antre. […] Sans doute ce monde n’est pas immobile, ni inerte, puisqu’il vit : les historiens ont de grandes entreprises politiques et religieuses à raconter, une évolution des formes sociales et des institutions à raconter. […] La grandeur du moyen âge est dans son double principe : par ce libre contrat féodal qui assure les relations en maintenant l’indépendance des individus, il crée un sentiment nouveau, celui de l’honneur, et en fait la base même de l’organisation sociale.

61. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Mais la seconde réconciliation s’est opérée, et nous continuons notre marche vers la nouvelle terre sociale. […] Par l’imprudence des hommes qui ont agi depuis un demi-siècle, tout a disparu de l’ancien édifice social : les ruines mêmes ont péri. […] Les envahissements de nouvelles formes sociales auraient-ils, en toutes choses, une si cruelle analogie avec les fureurs de la conquête ? […] On a mis mal à propos dans la confidence ceux qui devaient ignorer à jamais que le corps social était arrivé à un âge de crise. […] La société doit être mise de nouveau sous la protection des sentiments religieux, qui heureusement ont survécu, et qui doivent servir à rallier tous les sentiments sociaux.

62. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

Damiron et l’auteur de l’article du Globe du souvenir si plein de bienveillance qu’ils ont accordé à l’Essai sur les Institutions sociales, publié en 1818. […] Je n’entends pas reprendre en sous-œuvre toutes les parties de l’Essai sur les Institutions sociales, mais seulement la partie qui se rapporte à la question de l’institution du langage. […] Qui a fait que la langue latine, par exemple, contient toute une psychologie, tout un ordre social ? […] Comment se fait-il encore que cet ordre social nous soit révélé par des mots, et qu’il nous ait été si longtemps voilé par l’histoire ? […] Ensuite ce mot a signifié, selon les progrès de l’ordre social, étranger, hôte, ennemi.

63. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Rôle moral et social de l’art. […] Il leur faut une certaine vie sociale qui leur est propre, une vie bruyante, querelleuse, sensuelle, passée au milieu de leurs complices. […] Il serait naïf aux décadents de croire, avec Baudelaire, qu’ils font partie d’une élite sociale, alors qu’ils se rangent volontairement eux-mêmes parmi les « non-valeurs humaines », les stériles, les impuissants, les impropres à la vie sociale, les inaptes et, en définitive, les ineptes. […] C’est ici que l’excès de sociabilité artistique, aboutit à l’affaiblissement même du lien social et moral. […] Tout objet de luxe représente une quantité quelquefois considérable de travail social improductif.

64. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Ce que je voudrais que l’on sentît, c’est que notre système social était un, car, sans cela, il n’aurait pas pu subsister si longtemps. […] Le sentiment moral est tellement entré, par lui, dans tous les hommes, qu’il n’a plus autant besoin de se mettre sous la protection des institutions sociales. […] Or les hiérarchies sociales sont au nombre des lois nécessaires. La légitimité est en France au nombre des nécessités sociales ; c’est le seul frein à l’impétuosité de notre esprit et à la mobilité de notre imagination. […] Le trône des Bourbons fut donc la clef de la voûte pour notre système social ; il fut le trône conservateur de la civilisation européenne.

65. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

Si nous passons à l’humanité considérée dans son organisme social, nous trouvons de nombreux faits à l’appui de notre loi. […] On trouvera peut-être que dans son Essai sur l’organisation sociale, l’auteur force un peu les comparaisons. […] Le corps social, comme le corps vivant, n’est pas un « impie agrégat de parties ; il suppose un consensus entre elles. […] 2° L’organisme social ne forme pas une masse continue, comme le fait le corps vivant. […] Dans l’évolution sociale, nous voyons une première différenciation d’espèce analogue : celle des gouvernants et des gouvernés, des maîtres et des esclaves, des nobles et des serfs.

66. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

Il monte dans l’échelle sociale. — Le noble se rapproche de lui. — Il se rapproche du noble. — Il se cultive. — Il est du monde. — Il se sent l’égal du noble […] C’était la parade fastueuse et rigide d’un état-major social. […] Sareste, c’est le Contrat social que leur maître leur donne en guise de manuel. […] … Tout privilège est, de sa nature, injuste, odieux et contraire au pacte social. […] Son ambition politique est aussi grande que son ambition sociale, et il aspire à l’autorité aussi bien qu’à l’égalité.

67. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

. — Confirmation de ces principes par la biologie — Application de ces principes à des groupes sociaux. […] Il semble donc qu’il faudrait interpréter comme le signe d’un déclin, comme un symptôme de décomposition et de mort, de la part d’un groupe social ancien et défini, le fait de se concevoir, au point de vue de sa coutume morale, au point de vue de ses préjugés de sensibilité, au point de vue de ses évaluations sur les choses, à l’imitation d’un groupe social différent. […] C’est en vertu de ce principe, et parce qu’elles étaient pourvues d’une organisation sociale toute rudimentaire, que les hordes barbares ont tiré un bénéfice du fait d’avoir adopté pour modèle un idéal étranger, l’idéal chrétien. […] Notons encore, qu’en matière sociale, le rôle de la durée montre clairement son importance et de la même façon dont il l’a manifestée à l’égard de la biologie. […] Il importe donc, on le voit, pour évaluer les chances d’avenir d’un groupe social, de ne pas tenir compte seulement de son état de civilisation avancée ou rudimentaire.

68. (1894) Critique de combat

Il voudrait surtout résoudre la question sociale à coups de décrets. […] Le roman social finit en roman d’aventures. […] Nous touchons là au vif de la question sociale. […] C’est que nous sommes en pleine bataille sociale. […] il fut question de paix sociale et de réformes.

69. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

… Tous ces haïsseurs de la vieille Église romaine se sont pris de je ne sais quel goût, — ou plutôt d’un goût que je m’explique très bien, — pour un livre qui a la prétention d’être un livre de science sociale en restant du christianisme. […] À ce titre seul, nous avions reconnu le problème du temps présent, la chimère dit siècle, comme disait saint Bernard, — car les littératures font beaucoup de théories sociales, lorsque les peuples ont relâché ou brisé tous les liens sociaux, absolument comme on écrit des poétiques, lorsque le temps des poëmes épiques est passé, — et il était curieux de savoir comment le prêtre avait remué, à son tour, le problème vainement agité si longtemps par les philosophes. […] Il tourne et patine autour de la question en effaçant sa personne et sa pensée, mais en le lisant on ne voit pas clairement (quoiqu’on ait peur de le deviner) vers quelle opinion il se range, en matière de perfectibilité ou d’imperfectibilité sociale. […] Seulement, s’il la tire, comme nous, cette conclusion ; si, pour lui comme pour nous, la vérité sociale a été révélée à Moïse pour être complétée par Jésus-Christ, nous demanderons à M. Mitraud s’il y a et s’il peut y avoir des interprétations ou des développements ultérieurs à cette vérité sociale et au christianisme, tels que l’Église les enseigne et les a toujours enseignés.

70. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « Introduction »

Il est entré, depuis lors, dans le langage courant de la presse et de la politique, avec ce sens : rapprochement entre la République et l’Église, alliance de la démocratie et du catholicisme, rentrée en faveur du pouvoir religieux au sein de la société civile, restauration du règne social de Jésus. […] En quatre siècles, l’esprit nouveau s’incarna sous trois formes principales : la Renaissance, une aube de vie païenne ; la Réforme, une aube de libre pensée ; la Révolution, une aube de vie sociale. […] La vie individuelle, la vie religieuse, la vie sociale de l’humanité sont entrées, depuis l’ère moderne, dans une nouvelle phase.‌ […] La Révolution enfin est venue renouveler la vie sociale de l’humanité en posant les bases du droit. […] Dans les pages qui suivent, à propos d’hommes et d’événements quotidiens, j’ai fixé durant quelques instants ma pensée sur quelques uns des problèmes capitaux de la vie artistique, sociale et religieuse.

71. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

La France, le sol du sens commun, fut le pays où germèrent le moins ces pavots enivrants des chimères sociales, et où ces poisons soporifiques moururent le plus tôt. […] « Pour connaître l’eau », disent les Persans, « il faut remonter à la source. » Pour se rendre compte du génie littéraire et des sophismes sociaux de J. […] La France devient sa complice, et les fondements de l’ordre social sont ébranlés comme par un tremblement de logique dans la tête des hommes et dans le cœur des femmes. […] C’est ce que nous allons essayer de vous prouver en commentant ici le Contrat social. […] Voyons cet évangile, dans son Contrat social.

72. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Troisième partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées politiques. » pp. 350-362

Le système de l’utilité sera banni des relations sociales ; ce système qui engendre le machiavélisme, et qui met faussement le salut du peuple avant la justice, doit être livré au discrédit. […] La peine capitale ne peut être tolérée dans l’organisation sociale qui va naître. […] Or, s’il est vrai que les inconvénients dont nous venons de parler existent, et que ces inconvénients soient inhérents à nos mœurs et à nos institutions, il est vrai aussi que Dieu a retiré à la société le droit de vie et de mort : ainsi que nous l’avons remarqué plus d’une fois, Dieu ne s’explique souvent sur la société que par l’ordre social lui-même. […] Désormais les opinions n’auront plus le temps de se consacrer : celles qui continueront d’exister n’existeront point par une puissance de perpétuité : mais elles seront adoptées de nouveau à chaque instant de la vie sociale. […] Ainsi l’émancipation de la pensée a dû produire l’extension des limites de la liberté dans les institutions sociales.

73. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VI. L’antinomie religieuse » pp. 131-133

La religion, d’après l’étymologie elle-même, n’est-elle pas essentiellement un lien social (religare) ; lien entre les hommes et Dieu ; lien surtout des hommes entre eux56 ? […] Institution sociale d’abord, elle est devenue par la suite un simple fait de conscience individuelle ; un état d’âme, une idée et un sentiment intérieurs ; elle s’est individualisée de plus en plus57. […] La forme sociale de la pensée religieuse est l’orthodoxie ; sa forme individualisée est l’hérésie. […] Ils ont reproché au christianisme d’être un égoïsme transcendant, d’isoler l’homme par la préoccupation du salut personnel et par là de le détacher de la solidarité sociale.

74. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre III. Des moyens de trouver la formule générale d’une époque » pp. 121-124

v) que toutes les forces, qui forment, déforment et transforment un individu et par conséquent une société, peuvent se ramener à trois catégories : milieu psycho-physiologique ; milieu terrestre et cosmique ; milieu social. […] Le milieu social est celui dont l’étude est la plus féconde et la plus variée. […] Suivante un mot connu40, quand on parle de « corps social », on ne fait pas une métaphore ; on exprime une vérité désormais acquise. […] Nous savons donc que l’évolution littéraire ne peut être séparée que par abstraction du reste de l’évolution sociale ; qu’il y a ainsi des ressemblances et aussi des rapports de cause à effet ou d’effet à cause entre les œuvres qui nous intéressent et leur entourage. […] Je ne nie pas, à coup sûr, que l’histoire bien faite d’une littérature ne puisse servir à tirer de l’ombre des faits sociaux de haute valeur ou encore à éclaircir certains mystères de la mentalité humaine.

75. (1890) L’avenir de la science « II »

Le vrai, c’est que la nature humaine ne consiste qu’en instincts et en principes très généraux, lesquels consacrent non tel état social de préférence à tel autre, mais seulement certaines conditions de l’état social, la famille, la propriété individuelle par exemple. […] L’appel à la nature humaine est la raison dernière dans toutes les questions philosophiques et sociales. […] L’établissement social, comme l’établissement politique, s’est formé sous l’empire de l’instinct aveugle. […] Je ne comprends donc pas comment ceux qui admettent 89 peuvent rejeter en droit la réforme sociale. […] Le Français se révolte s’il peut soupçonner que sa misère est la conséquence d’une organisation sociale réformable.

76. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

C’est un critère psychologique, à la fois précis et souple, qui coordonne les phénomènes littéraires en les rattachant aux conditions politiques et sociales d’un moment déterminé et d’un certain groupe humain. […] Dans la réalité on passe de l’individu à l’être social, de l’effet à la cause, par des transitions insensibles ; tout cela est inextricablement mêlé, sans être pourtant une seule et même chose. […] C’est un peu ainsi que je voudrais procéder. — Pour commencer, considérons l’homme surtout comme être social et comme effet, tout en y mêlant déjà, forcément, l’individu-cause. L’être social Au point de vue social il y a deux unités constantes, indestructibles : l’individu et l’humanité, la parcelle et le tout. […] Pourquoi ne pas reconnaître et accepter le développement progressif des groupes de contiguïté, la marche de l’individu comme être social vers une plus grande liberté ?

77. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Walter Scott est si peu occupé d’une régénération sociale, qu’il est bien plutôt tory que whig ; et cependant quelle immense influence ses écrits n’ont-ils pas eue sur toute la littérature européenne depuis quinze ans ? […] Où donc, encore une fois, est cet accord de doute et de tristesse que vous attribuez à l’art, ce besoin d’une régénération sociale, d’une religion nouvelle, que vous lui supposez ? […] Les partisans de la doctrine de l’utile veulent que les artistes ne fassent des poèmes, des statues, des tableaux que pour l’utilité sociale. […] C’est au contraire parce qu’ils sentaient profondément la ruine du monde social et religieux du Moyen-Âge, et parce que d’un autre côté ils ne pouvaient concevoir comment il naîtrait de cette ruine un monde nouveau à la fois social et religieux, qu’ils sont revenus vers le Christianisme. […] On dirait alors que le poète habite encore les frontières de ce monde à la fois social et religieux de Nicole et de Pascal, de Bossuet et de Fénelon, dont un siècle de philosophie et de révolution nous sépare désormais pour toujours.

78. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Les doctrines sociales ne peuvent jamais être mises entièrement à nu. […] Une dynastie cependant ne croît pas sur la surface du sol ; il lui faut des racines profondes qui descendent jusqu’au tuf même de la terre sociale. […] Cette pensée magnanime fut mal interprétée par les uns, ne fut pas comprise par les autres ; et nous eûmes le 20 mars, terrible rechute qui faillit coûter la vie au corps social. […] Encore cela n’aurait pas suffi, s’il n’eût pas commencé par jouer avec soin le rôle d’un restaurateur des doctrines sociales. […] La Charte et les éléments de notre système social actuel n’ont point changé.

79. (1889) La critique scientifique. Revue philosophique pp. 83-89

Elle n’a pas pour objet d’envisager l’œuvre d’art dans son essence, son but, son évolution, en elle-même ; mais uniquement au point de vue des relations qui unissent ses particularités à certaines particularités psychologiques et sociales, comme révélatrices de certaines âmes ; l’esthopsychologie est la science de l’œuvre d’art en tant que signe. » Ce dernier mot annonce déjà quelle sera la méthode. […] Taine a apporté dans la critique un esprit autrement clair et fort : il cherche le rapport de l’auteur avec son œuvre, et le rapport des auteurs avec l’ensemble social dont ils font partie. […] S’il nomme des artistes qui auraient été en opposition avec le milieu social (p. 108), c’est donc que le milieu porte sa marque reconnaissable. […] Mais l’étude des grands hommes permettra, en vertu de son principe, de mesurer, avec une certaine approximation, l’effet de ces deux forces, l’hérédité, le milieu, « dont les résultats, remarque-t-il avec raison, sont d’autant moins discernables que la complexité sociale s’accroît » (p. 218). […] H. ne m’eût pas blâmé, je pense, de définir plus exactement la critique scientifique : un système de recherches, pour servir à la psychologie descriptive des individus et des groupes sociaux.

80. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Des avantages attachés à la profession de révolutionnaire. » pp. 200-207

En pratique, il croit que l’obstacle à la réalisation de cet idéal est, non point dans la nature humaine elle-même, partout mauvaise ou fort mêlée, mais dans l’égoïsme, la dureté, la cupidité, les vices, les crimes volontaires et prémédités d’une seule classe sociale. — Comme les héros des chansons de gestes voyaient le monde divisé en deux camps : les chrétiens, qui sont les bons, et les païens, qui sont les méchants ; ou comme saint Ignace, dans un de ses « exercices », partage l’humanité en deux armées : celle du bien et celle du mal, ou celle des amis des Jésuites et celle de leurs ennemis, ainsi pour l’esprit révolutionnaire la nation se divise exactement en prolétaires et en bourgeois. […] Que son idéal social, prêché d’une certaine façon aux intéressés, ne caresse en réalité que leurs instincts et leurs appétits et les pousse à des révoltes qui, même justes à l’origine, se corrompent chemin faisant, leur deviennent rapidement désastreuses et les laissent à la fois moins bons et plus misérables, l’esprit révolutionnaire n’en a point souci. […] Mais, chose remarquable, les révolutionnaires modernes, qui sont, en philosophie sociale, des rêveurs intrépides, sont pourtant aussi, presque tous, des matérialistes décidés. […] Si, partis de principes « philosophiques » sensiblement analogues, la Grande Catherine ou Frédéric II conclut à la monarchie absolue, et nos collectivistes à la nécessité d’un « chambardement général », c’est peut-être que la différence des conditions sociales et des intérêts entraîne ici la différence des applications.) […] Je me souviens de l’avoir sentie très nettement, à Paris, pendant le premier mois de la Commune, à lire les affiches et les journaux enfiévrés, à voir flamber dans les rues le drapeau rouge, à me mêler, sous le grand soleil, aux cohues démentes de la place de l’Hôtel-de-Ville ; et pourtant j’étais un enfant très raisonnable. — Bref, je conçois, sans nul effort que cet homme, l’autre jour, soit monté sur cette table et qu’il y ait chanté cette chanson assassine contre une classe pleine de vices et d’égoïsme assurément (comme toutes les classes sociales sans exception), mais où il y a aussi de braves gens, et dont il se pourrait que la très modeste moyenne de vertu et de bonté ne fût pas trop inégale à la bonté et à la vertu de ceux qui réclament du plomb contre elle.

81. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Qu’est-ce que cette vieille et puérile hypothèse d’un contrat social ? […] Ce n’est pas seulement le lien social qui les blesse. […] Il ne s’agit ici ni des préjugés, ni des vices, ni des abus sociaux. […] Notre littérature moderne n’a pas reculé devant ce crime social. […] La supériorité de l’âme est une infirmité sociale.

82. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Le naturalisme moderne, cette queue du romantisme, n’a pu encore rencontrer dans la nature et dans la vie sociale ni esprit, ni gaieté, ni raillerie sceptique. […] La versification mécanique du xviiie  siècle pétrifiait la poésie et la rendait impuissante à exprimer les nouveaux sentiments de l’âme sociale. […] Le romantisme, en dépit de son axiome, ne s’est jamais désintéressé des luttes politiques et sociales : il a toujours pris fait et cause pour la classe bourgeoise, qui avait accaparé les résultats de la révolution. […] Jamais Racine et Hugo n’auraient été proclamés par leurs contemporains des grands génies, si leurs œuvres, ainsi que des miroirs, n’avaient reflété les hommes de leur milieu social, avec leur manière de voir, de sentir, de penser et de s’exprimer. […] Mme de Staël, De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales.

83. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

De tous temps, il y a eu des esprits oisifs et rêveurs qui ont prétendu ainsi refaire de fond en comble le monde religieux, politique ou social à leur image. […] Car il n’y a pas une des lois du philosophe qui ne soit la négation des lois de la nature promulguées par la divinité de nos instincts sociaux. […] Dans toutes les erreurs sociales du monde, vous retrouverez une réminiscence de Platon ! […] Rousseau son disciple, non en crime, mais en niaiseries sociales, Voltaire osait dire de Platon et de J. […] Si le vrai philosophe taille ses institutions sociales sur le patron de la nature humaine, il taille aussi ses institutions politiques sur le patron de l’expérience et de l’histoire.

84. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Deuxième leçon »

De là, deux grandes sections dans la physique organique, la physiologie proprement dite, et la physique sociale, qui est fondée sur la première. […] Il est donc évident que, pour étudier convenablement les phénomènes sociaux, il faut d’abord partir d’une connaissance approfondie des lois relatives à la vie individuelle. D’un autre côté, cette subordination nécessaire entre les deux études ne prescrit nullement, comme quelques physiologistes du premier ordre ont été portés à le croire, de voir dans la physique sociale un simple appendice de la physiologie. […] Ainsi, la physique sociale doit être fondée sur un corps d’observations directes qui lui Soit propre, tout en ayant égard, comme il convient, à son intime relation nécessaire avec la physiologie proprement dite. […] Car il est peu de bons esprits qui ne soient convaincus aujourd’hui qu’il faut étudier les phénomènes sociaux d’après la méthode positive.

85. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Première partie. De la parole et de la société » pp. 194-242

L’homme est éminemment un être social. […] Il n’a pas même été libre de choisir l’état social, car la société lui a été imposée comme les autres conditions de son existence. […] L’homme étant essentiellement et non point fortuitement, ou par une perfection contingente, ou par choix, mais nécessairement, puisqu’il faut trancher le mot ; l’homme étant nécessairement, disons-nous, un être social, il en résulte qu’il a été, dès l’origine, doué du sens social, de la parole : car la parole est nécessaire pour la société, et l’homme n’a jamais été hors de la société. […] Dans l’état social nos organes peuvent se suppléer mutuellement, à cause de notre éducation sociale elle-même ; mais je parle d’une loi primitive de notre être. […] L’homme naît donc soumis aux lois de son organisation, non seulement comme être moral et comme être intelligent, mais encore comme être social ; il suffirait même de dire comme être social, car cette désignation comprend les deux autres.

86. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

Or, si ce qui fait la valeur, c’est uniquement la manière dont les choses affectent le fonctionnement de la vie sociale, la diversité des valeurs devient difficilement explicable. […] Une fois le moment critique passé, la trame sociale se relâche, le commerce intellectuel et sentimental se ralentit, les individus retombent à leur niveau ordinaire. […] Si donc l’homme conçoit des idéaux, si même il ne peut se passer d’en concevoir et de s’y attacher, c’est qu’il est un être social. […] Ces idéaux, ce sont tout simplement les idées dans lesquelles vient se peindre et se résumer la vie sociale, telle qu’elle est aux points culminants de son développement. […] Les principaux phénomènes sociaux, religion, morale, droit, économie, esthétique, ne sont autre chose que des systèmes de valeurs, partant, des idéaux.

87. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M. Le Play, Conseiller d’État. »

La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M.  […] Ce livre important se distingue de tous ceux qui ont eu pour objet la guérison de nos maladies sociales et la réforme de nos lois ou de nos mœurs, en ce qu’il est le résultat d’une méthode et d’une observation particulières : et cette méthode est si bien le fait de M.  […] Mais ceci sort tout à fait de notre appréciation et de notre portée : ce qui y rentre davantage, c’est l’étude morale et sociale qu’il ne tarda pas à joindre à celle des procédés techniques et qu’il mena bientôt parallèlement avec le même zèle. […] Et c’est ainsi que la partie morale et sociale, menée de front avec l’étude scientifique et technique, prenait insensiblement le dessus dans son esprit. […] Les Ouvriers des Deux Mondes, Études sur les travaux, la vie domestique et la condition morale des populations ouvrières des diverses contrées et sur les rapports qui les unissent aux autres classes , publiées par la Société internationale des Études pratiques d’économie sociale.

88. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Tourgueneff »

Charrière, le secret politique ou social de son pays : Le voilà donc connu, ce secret plein d’horreur ! […] Dans ces fragments sans lien entre eux, si ce n’est l’humour qui les anime et qui les colore, dans ces trente-deux cartes d’un jeu de piquet, toujours coupées de la même manière, cherchez si les enluminures rapides, échappées à la verve insouciante de l’auteur, sont des catégories sociales ou des portraits individuels. […] , il s’agit bien de la Russie politique et sociale ! […] Voir plus que cela dans l’auteur des Mémoires d’un chasseur, peintre de nature plus que de costume, c’est une erreur du genre de celle qui verrait dans Tristram Shandy et le Sentimental Journey des révélations politiques et sociales sur l’Angleterre et sur la France. […] Charrière a beaucoup de talent — se méprend si profondément sur le genre de talent d’un autre, lequel ne pense pas plus à dévoiler et à flétrir les institutions d’un peuple, dont il croque en passant les vices, que Téniers, en peignant ses ivrognes, ne songeait à peindre l’état social de la Flandre et la situation politique des Provinces-Unies.

89. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

De cette idée dut naître le noble effort propre à la volonté de l’homme, de tenir en bride les mouvements imprimés à l’âme par le corps, de manière à les étouffer, comme il convient à l’homme sage, ou à les tourner à un meilleur usage, comme il convient à l’homme social, au membre de la société37. […] Pour arriver à trouver cette nature des choses humaines, la Science nouvelle procède par une analyse sévère des pensées humaines relatives aux nécessités ou utilités de la vie sociale, qui sont les deux sources éternelles du droit naturel des gens (axiome 11). […] Le critérium dont elle se sert (axiome 13), est celui que la providence divine a enseigné également à toutes les nations, savoir : le sens commun du genre humain, déterminé par la convenance nécessaire des choses humaines elles-mêmes (convenance qui fait toute la beauté du monde social). […] Nous dirons plus : celui qui étudie la Science nouvelle, se raconte à lui-même cette histoire idéale, en ce sens que le monde social étant l’ouvrage de l’homme, et la manière dont il s’est formé devant, par conséquent, se retrouver dans les modifications de l’âme humaine, celui qui médite cette science s’en crée à lui-même le sujet. […] Son critérium est la maxime suivante : ce que l’universalité ou la pluralité du genre humain sent être juste, doit servir de règle dans la vie sociale.

90. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Francis Lacombe »

Comme fait, si le temps l’a détruite, fille de la vérité sociale elle trouve une expiation vengeresse dans les désordres et les souffrances qui ont déchiré les entrailles du monde depuis qu’elle ne le protège plus. […] En effet, le droit municipal des anciens (municipes) n’était qu’un droit d’émancipation personnelle en ces temps d’inégalité, tandis que le droit communal des modernes est le droit de tous à la communion sociale, en vertu de l’égalité humaine. […] Le chef de cette commune, directeur de l’œuvre commerciale avant d’être magistrat municipal, s’appela prévôt des marchands jusqu’au 15 juillet 1789 : « Élevé à sa fonction par le vote universel, il gouvernait à la fois tous les arts et tous les métiers, et devenait ainsi le symbole social. […] Il n’épargne pas même la popularité de Louis Blanc, cet éclectique de la science sociale, cet enfant indécis de plusieurs pères qui pourraient le réclamer. […] Ceci, comme on voit, n’est pas seulement de l’organisation du travail, c’est aussi de l’organisation politique, preuve de plus — car rien n’est simple en science sociale — que l’idée de Francis Lacombe est juste, puisque, dans son système, ces deux organisations se donnent la main.

91. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Le christianisme qui, en promulguant le dogme d’égalité, de justice et d’amour, aurait dû changer la politique romaine a eu peu d’influence jusqu’à ces derniers temps sur les institutions sociales des peuples. […] Son Contrat social porte tout entier à faux sur un sophisme qu’un souffle d’enfant ferait évanouir. […] La passion chrétienne et sainte de l’égalité démocratique dont il était animé donne seule une valeur morale à cette utopie du Contrat social. […] Cette littérature de la sagesse sociale pratique, il faut l’avouer, ce n’est ni aux Indes, ni en Égypte, ni en Grèce, ni en Europe que nous la trouverons approchant le plus de sa perfection, c’est en Chine. […] L’observation de ces devoirs ainsi formulés constitue l’ordre social, le bon gouvernement, la vertu.

92. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Cette république est la république sociale. […] Nous la considérons… comme nécessaire… la Société avait une liberté gangrenée ; le cautionnement ce chirurgien redouté vient d’opérer le corps social ». […] Hugo le chantait à plein gosier quand il approuvait le cautionnement qui amputait du corps social la « liberté gangrenée » de la presse. […] Toute classe, tout corps social fabrique à l’usage de ses membres une morale spéciale. […] » — Le gaspillage le plus inutile et le plus ridicule devient une des voies mystérieuses de la divine providence pour créer l’harmonie sociale, basée sur la misère besogneuse et la richesse oisive.

93. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

Ce dernier et vieux bras du grand fleuve de la légitimité, qui semblait peu guéable et qu’on essayait depuis longtemps de tourner ou de saigner de mille manières, parce qu’il gênait à chaque pas le développement social, avait été brusquement franchi par un accident sublime, par un miracle de l’audace populaire. […] Depuis deux ans, sans entrer dans la lice de la politique proprement dite, ce jeune philosophe et publiciste a labouré en tous sens, et avec une infatigable ardeur, le champ des idées sociales, du développement historique de l’humanité et de sa destinée probable au xixe  siècle. […] Lerminier a gouverné jusqu’ici dans la seule direction et sur le seul océan où se puissent faire désormais les découvertes philosophiques et sociales. […] Lerminier passe outre ; renouant étroitement avec la philosophie du xviiie  siècle et avec la Révolution française, seules origines fécondes et génératrices pour notre âge, il se pose en plein les problèmes sociaux qui, voilés durant quinze ans d’un rideau fleurdelisé de théâtre, ont été de nouveau démasqués par les trois jours. […] Quand on entend les hommes renommés par l’étendue de leur savoir et de leur esprit épuiser les sophismes de la logique et mille fausses lueurs détournées de l’histoire, au service d’une négation cynique de tout progrès social, il y a plaisir à contempler un esprit ardent qui, l’œil sur un but magnifique et lointain, ne ménage aucune étude, aucune indication empruntée aux philosophies et aux révolutions du passé, pour diminuer l’intervalle qui reste à franchir, pour tenter d’ajouter une arche de plus à ce pont majestueux où l’humanité s’avance.

94. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

Il y a pourtant une cristallisation sociale comme il y a des cristallisations amoureuse, esthétique et religieuse. […] Le mariage, point de départ de la cristallisation sociale, le mariage bourgeois fondé sur l’argent peut être ridicule ou odieux du point de vue de l’amour, du point de vue de l’art, du point de vue de la religion. […] Mais ces quelques instants ont aussi une valeur pour la société, puisqu’ils servent précisément à la perpétuer, et que la perpétuité sociale est embranchée sur cette discontinuité de l’acte sexuel. […] Mais la cristallisation amoureuse et la cristallisation artistique seraient-elles si belles et iraient-elles si haut, si elles n’avaient devant elles, parfois comme leur mur de prison et parfois comme leur image idéale, la cristallisation sociale ? […] Mais l’état social a ses exigences comme l’art a les siennes et l’amour les siennes.

95. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

En réalité notre pays, surtout la province, allait vers une forme sociale qui, malgré la diversité des apparences, avait plus d’une analogie avec l’Amérique, vers une forme sociale où beaucoup de choses tenues autrefois pour choses d’État seraient laissées à l’initiative privée. […] La nomination des pouvoirs sociaux au suffrage universel direct est la machine politique la plus grossière qui ait jamais été employée. […] Les cent vingt ou cent trente membres restants représenteraient les corps nationaux, les fonctions sociales. […] Ce retour vers les questions nationales apporterait pour quelques années un temps d’arrêt aux, questions sociales. […] Les femmes comptent en France pour une part énorme du mouvement social et politique ; en Prusse, elles comptent pour infiniment moins.

96. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Évolution de la critique »

Le fait qu’il s’en occupe lui paraît suffire à indiquer qu’il les regarde comme doués de mérite ou comme significatifs, et, cette attitude attentive ou admirative une fois prise, il s’attache à résoudre les deux problèmes qu’il envisage à propos de livres et d’artistes : celui du rapport de l’auteur avec son œuvre, et celui du rapport des auteurs avec l’ensemble social dont ils font partie, questions délicates et fécondes que M.  […] Taine résider dans l’ensemble des circonstances physiques et sociales dont l’écrivain est entouré, et qu’il groupe sous ces trois chefs : la race, le milieu physique et social, le moment. […] Taine aboutit à cette conclusion de sa préface qui résume la pratique de son système : « J’entreprends d’écrire l’histoire d’une littérature et d’y chercher la psychologie d’un peuple. » C’est là sa théorie générale ; il en reprend un point particulier dans la première partie de la Philosophie de l’art, où il traite de l’influence qu’exerce sur l’artiste le milieu historique et social dans lequel il se trouve placé, abstraction faite de sa race, de son habitat. […] Posnett, dans un livre tout récent : Comparative literature, envisage dans un esprit nouveau le problème de la morphologie artistique, et s’attache à démêler, dans une énumération malheureusement superficielle, quelle influence ont exercée sur la forme littéraire, sur l’individuation des personnages par exemple et la description de la nature, les différentes formes de la vie sociale, le clan, la communauté urbaine, la nation, le cosmopolitisme. […] Elle n’a pas pour objet d’envisager l’œuvre d’art dans son essence, son but, son évolution, en elle-même ; mais uniquement au point de vue des relations qui unissent ses particularités à certaines particularités psychologiques et sociales, comme révélatrice de certaines âmes ; l’esthopsychologie est la science de l’œuvre d’art en tant que signe.

97. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Le contrat social n’a point du tout pour but de maintenir la liberté. […] Et c’est pourquoi la liberté est principe actif d’harmonie sociale. […] Elle est pour lui la plus pernicieuse des plaies sociales. […] Il lui trouve un sens historique, un sens social et un sens mystique. […] Pourquoi la géologie considérée comme initiation aux sciences sociales ?

98. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

A chaque grande révolution politique et sociale, l’art, qui est un des côtés principaux de chaque société, change, se modifie, et subit à son tour une révolution, non pas dans son principe tout à fait intérieur et propre, qui est éternel, mais dans ses conditions d’existence et ses manières d’expression, dans ses rapports avec les objets et les phénomènes d’alentour, dans la nature diverse des idées, des sentiments dont il s’empreint, des inspirations auxquelles il puise. […] André Chénier et Bernardin de Saint-Pierre, seuls, demeurent tout à fait à part : vrais et chastes poètes, artistes exquis et délicats, aimant le beau en lui-même, l’adorant sans autre but que de l’adorer, le cultivant avec mollesse, innocence et une ingénuité curieuse, ils étonnent et consolent à l’extrémité de ce siècle, comme des amis qu’on n’attend pas ; ils gardent discrètement et sauvent dans leur sein les dons les plus charmants de la Muse, aux approches de la tourmente sociale. […] Pourtant il était impossible que le contre-coup de cette ruine sociale ne retentît pas tôt ou tard dans la poésie, et qu’elle aussi n’accomplît pas sa révolution. […] Les vagues émotions religieuses et les rêveries de cœur qu’ils savaient communiquer aux âmes, et qui étaient comme une maladie sociale de ces dernières années, leur conciliaient bien des suffrages de jeunes gens et de femmes que la couleur féodale ou monarchique, isolée du reste, n’aurait pu séduire. […] Pourtant, avouons-le, il n’est pas devenu populaire encore ; son mouvement n’embrasse ni ne reproduit tout le mouvement social qui gagne et s’étend de jour en jour.

99. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IX. L’antinomie politique » pp. 193-207

C’est pourquoi la politique est par excellence le domaine du conformisme, des contraintes collectives, des mensonges de groupe, de la duperie mutuelle entre associés, bref de tous les procédés d’illusionnisme social qui sont de rigueur dans une société organisée. […] Il est toujours excellent pour l’individu que les pouvoirs politiques ou sociaux soient divisés et, si possible, en rivalité, afin de les opposer l’un à l’autre et de les utiliser l’un contre l’autre. […] C’est l’individualisme de Stirner ; c’est celui de Vigny pour qui la politique représente le triomphe le plus complet des « choses sociales et fausses ». […] Un régime libre, d’après cette conception dont Stuart Mill donne assez bien la formule, est un régime qui permet à chaque citoyen de s’occuper des questions politiques et sociales qui l’intéressent et sur lesquelles il est suffisamment compétent. […] L’individu qui adopte et s’efforce de faire triompher cette conception sociale n’échappe pas aux inévitables conflits entre l’indépendance de l’individu et les exigences de tout groupement quel qu’il soit.

100. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Mgr Rudesindo Salvado »

Mais ce qu’on sait moins, ce qu’on n’explique pas et ce que le livre de Mgr Salvado nous montre avec une évidence nouvelle sur laquelle nous croyons utile d’insister, c’est que l’apport de la vie sociale aux brutes de la horde humaine n’est jamais que le fait du prêtre catholique, et qu’en dehors du prêtre catholique rien n’est possible, même aux gouvernements les plus forts qui veulent créer des sociétés à leur image et les frapper à leur effigie, sous le coup de balancier de leurs colonisations ! […] Dans le préjugé général du monde, ce gouvernement passe pour essentiellement colonisateur, quoiqu’on pût démontrer, si on le voulait bien, que là où il a cru fonder des colonies, il n’a créé, en définitive, que des égouts sociaux, des casernes et des comptoirs. […] Pour la première fois, il a pu reconnaître que les douze religieux de la Mission bénédictine avaient plus avancé en quatre années la fondation sociale de l’Australie, que lui-même, appuyé de son Église officielle, ne l’avait fait à partir de l’établissement de la colonie, c’est-à-dire en quarante-six ans. […] On ne saurait trop le répéter : cette force immense de fondation sociale que l’Angleterre reconnaît aujourd’hui comme l’apanage de l’Église romaine, est ailleurs que dans la conception de quelques cerveaux qui ont vu un peu plus juste et un peu plus loin que les autres hommes, ou dans des règlements de ménage que le temps pouvait, à son aise, emporter. […] Quoiqu’il n’y soit pas question de race noire, il s’agit aussi d’y régler les rapports du civilisé et du sauvage et de transfigurer l’homme de la nature en homme social.

101. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Une partie du nouveau s’est coulée dans le moule de l’ancien ; l’aspiration individuelle est devenue pression sociale ; l’obligation couvre le tout. […] Mais il ne s’agit que d’un point particulier : la nature humaine en tant que prédisposée à une certaine forme sociale. […] Dans le monde des insectes, la diversité des fonctions sociales est liée à une différence d’organisation ; il y a « polymorphisme ». […] A vrai dire, il y a des causes psychologiques et sociales dont on pourrait annoncer a priori qu’elles produiront des effets de ce genre. […] Il n’en est pas de même dans l’évolution de la vie psychologique et sociale.

102. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Première partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses » pp. 315-325

Ainsi il y a dans le genre humain un sentiment intime et profond qui l’avertit que Dieu veille sur les destinées de sa noble créature, sur les destinées de l’ordre social où il a voulu qu’elle fût placée. […] Nous n’attendons point de législateur nouveau, avons-nous dit, parce que nos institutions sociales, ainsi que nous l’avons remarqué, ne peuvent être fondées que sur le christianisme. […] Il est même permis de penser que n’étant plus compliqués d’affections sociales, les sentiments religieux prendront plus d’intensité, tout en conservant leur heureuse influence. Si la parole a mis dans le monde intellectuel et moral les idées qui y sont à présent, sera-ce téméraire d’oser dire, par analogie, que le sentiment religieux s’est tellement identifié, par le christianisme, avec les institutions sociales, que ces institutions peuvent se passer désormais de la direction religieuse immédiate ? […] Le peuple français est le premier des peuples de l’Europe qui ait admis le principe de l’indépendance mutuelle des institutions politiques et des institutions sociales, tout en demeurant dans la même croyance religieuse, tout en restant fidèle au droit divin et à celui de la légitimité, qui en est la suite.

103. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — II »

Il m’a parlé de plusieurs personnes favorisées par la fortune, par la beauté, par une grande situation sociale, et qui pourtant mènent une vie morale digne de la plus haute estime. […] A l’éclat de leurs yeux, à la dureté de leurs regards, je sens que leurs rêveries sont d’un ordre funeste pour la paix sociale. […] Je voudrais entre eux un lien social, peut-être une religion, pourvu toutefois qu’en fortifiant la société, elle n’étouffât point l’individu.‌ […] A l’École Normale, où je m’occupais de choisir les principes qui ont déterminé ma vie, une phrase de Stendhal m’a frappé : « Tant qu’on n’a pas six mille francs de rentes, ne penser qu’à cela ; quand on les a, n’y plus penser. » Il faudrait ajouter : « Se choisir un milieu social, un ordre où passer sa vie avec régularité, et, cette élection faite, n’y plus penser. » Un ordre dans lequel on puisse d’ailleurs travailler en toute indépendance.‌ […] Parlant de son mari, qui s’occupe de « la réfection sociale des jeunes gens » et dont elle annonçait le départ pour Rome, elle a dit : « Il va demander au Pape la permission d’être protestant. »‌ Pour moi, ce n’est pas au Pape que je demande cette permission, c’est au Taine que j’étais il y a vingt ans.

104. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Sous ces grands et magnifiques noms royaux, il figurait l’épopée domestique de la foule des hommes : la tentative d’épopée sociale devait venir plus tard dans l’Orphée. […] Nous voici revenus au point que nous avons marqué comme décisif dans l’initiation sociale de M. […] Pourtant, les passions exaspérées en divers sens ne l’entendaient pas ainsi, et la guérison sociale au moyen de la Charte en était très-compromise. […] L’Essai sur les Institutions sociales exprimait la théorie fondamentale du langage, selon M. […] Le danger, dira-t-on peut-être, n’est pas là aujourd’hui, et c’est plutôt le concours au mouvement social que l’on incline à s’épargner.

105. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

Il fut la perfection du genre, et il est resté le type le plus éclatant et le plus complet de tous ces révoltés au ventre, comme l’aurait dit l’ancienne législation avec son énergie romaine, qui ne peuvent par donner à l’ordre moral et social d’avoir été violé par eux du fait même de leur naissance. […] Mais Chamfort, volé de l’idée sociale à son berceau, Chamfort, dont l’orgueil ignorait qu’il était un avorton aux yeux des hommes, le fut aussi jusque dans son intelligence. […] Fait, comme tout homme qui vient en ce monde, de mémoire, d’intelligence et de volonté, le bâtard, si loin qu’il recule en lui, trouve dans sa mémoire l’événement qui lui a retranché toute légitimité naturelle et sociale ; car le séducteur dont il est sorti n’est pas père. […] Il leur donne de l’appétit, en effet, contre les institutions sociales, ce livre de bâtard… et voilà le secret de son succès ! […] VIII Mais c’était impossible, Les idées sociales ont pendant longtemps été trop faussées pour que cette robuste adhésion à la vérité fût commune.

106. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Et elle commence avec ce qui-on pourrait appeler le raidissement contre la vie sociale. […] Toujours un peu humiliant pour celui qui en est l’objet, le rire est véritablement une espèce de brimade sociale. […] Toutefois, il faut bien reconnaître, à l’honneur de l’humanité, que l’idéal social et l’idéal moral ne diffèrent pas essentiellement. […] En organisant le rire, elle accepte la vie sociale comme un milieu naturel ; elle suit même une des impulsions de la vie sociale. […] Il signale, à l’extérieur de la vie sociale, les révoltes superficielles.

107. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre III. Trois principes fondamentaux » pp. 75-80

Mais dans cette nuit sombre dont est couverte à nos yeux l’antiquité la plus reculée, apparaît une lumière qui ne peut nous égarer ; je parle de cette vérité incontestable : le monde social est certainement l’ouvrage des hommes ; d’où il résulte que l’on en peut, que l’on en doit trouver les principes dans les modifications mêmes de l’intelligence humaine. Cela admis, tout homme qui réfléchit, ne s’étonnera-t-il pas que les philosophes aient entrepris sérieusement de connaître le monde de la nature que Dieu a fait et dont il s’est réservé la science, et qu’ils aient négligé de méditer sur ce monde social, que les hommes peuvent connaître, puisqu’il est leur ouvrage ? […] Puisque le monde social est l’ouvrage des hommes, examinons en quelle chose ils se sont rapportés et se rapportent toujours. […] Ainsi, de ce monde social embelli et policé par tous les arts de l’humanité, ils tendent à en faire la grande forêt des premiers âges, où, avant Orphée, erraient les hommes à la manière des bêtes sauvages, suivant au hasard la coupable brutalité de leurs appétits, où un amour sacrilège unissait les fils à leurs mères, et les pères à leurs filles.

108. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

C’est que toutes ces théories ne comportaient point de conséquences sociales. […] Voilà, je crois, un phénomène de psychologie sociale extrêmement curieux, dont on s’est efforcé, bien des fois, de découvrir la cause. […] Il y a là un grand danger social. […] L’analogie entre les faits sociaux d’une époque et les actes intellectuels de l’autre apparaît ici étonnante. […] Nous ne compromettrons plus dans les échauffourées de la rue l’œuvre de l’avenir social.

109. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Mais si, comme nous n’en doutons pas, l’humanité est autre chose qu’une collection et qu’une succession d’individus ; si elle existe et vit par elle-même en présence de la nature ; si, comme la nature et à un plus haut degré encore, elle est une manifestation incessamment perfectible de Dieu ; si l’humanité, en un mot, vit et se développe en Dieu, et l’homme dans l’humanité, à plus forte raison alors ne sera-t-il pas permis d’isoler l’homme et de l’interroger uniquement dans son moi pour lui faire rendre l’oracle de la destinée sociale et humaine, destinée qui aura recouvré en ce cas son acception la plus profonde et la plus sublime. […] Quand elle se hasarde à des inductions sur l’avenir de l’homme, ce ne sont que des inductions sur l’avenir du moi, et ces inductions supposent toujours que la dernière grande évolution sociale est accomplie en ce monde ; c’est toujours d’après cette hypothèse que la psychologie s’enquiert des conséquences probables de destinée personnelle auxquelles l’individu est sujet, et dans cette recherche elle ne sort pas un seul instant du point de vue chrétien ; elle se pose l’âme comme substance distincte de la matière, Dieu comme un pur esprit, et l’autre vie comme n’étant pas de ce monde. […] Aux époques où l’humanité brise les liens qui l’unissaient sympathiquement à ce qui l’entoure, et où ses propres parties éparses luttent et se dévorent entre elles, quand la plus grande ardeur de destruction est calmée, une anxiété profonde succède ; le malaise moral et la misère matérielle rongent le corps social par sa double extrémité ; un vague et confus besoin d’association se fait sentir et s’exhale en gémissements mal définis, en mouvements désordonnés ; les uns ont faim de pain, les autres ont soif de parole ; tous sont malades et aspirent à la vie. […] Le grand artiste, le prêtre révélateur, qui a la solution sentimentale et sociale de l’époque future, celui-là fonde une religion, parce qu’il a cette solution même, et non, parce que la conception en est accompagnée de symptômes plus ou moins irréguliers ; celui-là est véritablement inspiré, parce qu’il est de son temps l’individu le plus sympathique pour aimer l’humanité, le plus intelligent pour la comprendre, le plus fort pour la transformer ; il pressent et proclame le premier la forme d’association la mieux adaptée, selon le temps, au bonheur du plus grand nombre ; il accouche le présent de l’avenir dont il est gros et si le présent, comme une mère que la douleur de l’enfantement égare, le repousse avec outrage et colère, l’avenir pieux s’incline et le bénit. […] Jouffroy va s’efforcer d’y arriver à l’aide de l’observation psychologique et de l’induction ; car, dit-il, ce sont les idées qui gouvernent les individus, ce sont les idées qui gouvernent également les nations ; c’est par conséquent dans les idées du moi et dans la raison individuelle qu’on peut seulement trouver la solution du problème social.

110. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

C’est ce petit Genevois qui écrira le Contrat social. […] Une institution sociale peut donc être bienfaisante ? […] Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution. […] Tel est le Contrat social. […] Et pourquoi avoir écrit le Contrat social ?

111. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIV. Moralistes à succès : Dumas, Bourget, Prévost » pp. 170-180

Excellentes sans doute par leur valeur scénique, excellentes surtout pour leur valeur sociale. […] Alexandre Dumas demeure à beaucoup incompréhensible : outre qu’ils jugent sa philosophie puérile, son sens social faux et sa littérature grossière, ils sont incapables de trouver à ses fables le moindre attrait, de quoi amuser une curiosité même badaude. […] — Et quand bien même une morale pourrait issir de l’économie sociale, nous hésiterions à prendre pour paroles de l’Évangile utilitaire les aphorismes mi-paradoxes, mi-truismes, enroulés autour de Denise ou de Francillon. […] Le projet de présenter par des illustrations littéraires non plus des réponses mais des questions de morale sociale n’est pas nécessairement répréhensible. […] N’est-ce pas des conceptions idéologiques qui précédèrent la création artistique dans tous ses livres, c’est-à-dire dans tous ses romans, car la série la plus variée de romans est l’œuvre de Rousseau : Discours, Contrat social, Nouvelle Héloïse, L’Émile, Confessions, Rêveries d’un promeneur.

112. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

Que l’on mette en cause une conception de l’ordre moral, politique, social ou religieux, il ne s’agit plus de la comparer avec un modèle idéologique d’une valeur présumée absolue, dont on sait maintenant l’origine arbitraire, avec une idée divinisée de vérité ou de justice, dont on connaît qu’elle n’exprime autre chose qu’un état de sensibilité particulier et propre à un temps donné. […] S’il existait une vérité objective on pourrait penser que l’adhésion à cette croyance, qui nous semble aujourd’hui singulière, retarda l’avènement d’une forme sociale conforme à cette vérité. […] Lorsqu’aux époques plus récentes des civilisations romaine ou grecque, Fustel de Coulange nous montre la réalité sociale du moment en contradiction avec celle qui s’était modelée sur l’ancienne croyance et qui persistait encore dans les lois religieuses et civiles, gardons-nous donc de penser que cette réalité présente, et qui entrait en guerre avec l’ancienne, fût par comparaison meilleure et plus proche de la vérité objective. […] Cette croyance n’en est pas moins la forme rigide qui, en torturant durant une longue période ces instincts, coordonna des hommes entre eux et composa une réalité sociale, la réalité grecque et la réalité romaine. […] Il existe encore jusque dans l’organisation sociale française des vestiges de la réalité romaine.

113. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

Leur ensemble constitue l’intelligence sociale, complémentaire des intelligences individuelles. […] Pour notre part, nous estimons qu’on ne tiendra jamais assez compte de sa destination sociale quand on étudiera l’individu. […] Un besoin, peut-être individuel, en tout cas social, a dû exiger de l’esprit ce genre d’activité. […] Ces deux types achevés de vie sociale se font donc pendant et se complètent. […] Invention signifie initiative, et un appel à l’initiative individuelle risque déjà de compromettre la discipline sociale.

114. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

Rousseau écrivit, mal éveillé, le Contrat social, capable de donner le fanatisme de l’absurde à toute la bourgeoisie lettrée de la France, jusqu’à ce que la rage de l’impossible, le delirium tremens de la nation, s’emparât du peuple et lui fît commettre des crimes, des meurtres et des suicides, qui remontent, comme l’effet à la cause, à de mauvais raisonnements. […] « Quel perfectionnement social !  […] Puis les Misérables, dont nous allons vous parler, critique excessive, radicale et quelquefois injuste d’une société qui porte l’homme à haïr ce qui le sauve, l’ordre social, et à délirer pour ce qui le perd : le rêve antisocial de l’idéal indéfini ! […] Voilà pour moi la véritable économie sociale, et, parce que le but est éloigné, est-ce une raison pour n’y pas marcher ? […] Les conversations littéraires entre lettrés sont ridicules ; mais le débat politique et social entre pairs, c’est-à-dire entre philosophes, est grave et fécond.

115. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

Pourtant, sa croyance profonde en l’avenir social nous éclaire sur la conscience d’André Couvreur. […] Les Mères Sociales sont une attaque contre la morale de la famille. […] Michel Corday, le roman social paraît être en défaveur. […] On peut considérer comme un roman social (social à la façon de M.  […] André Couvreur, dans les Dangers Sociaux, a fait souvent œuvre de conférencier.

116. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre premier. Le problème des genres littéraires et la loi de leur évolution » pp. 1-33

Ce poème, cette ode des temps primitifs c’est la Genèse… Peu à peu cependant la famille devient tribu, la tribu devient nation… L’instinct social succède à l’instinct nomade… Les nations se gênent et se froissent ; de là les chocs d’empires, la guerre… La poésie reflète ces grands événements ; des idées elle passe aux choses. […] Enfin, en recherchant les rapports de cette évolution littéraire avec l’histoire politique et sociale, en remontant aux périodes plus anciennes, en étudiant de ce point de vue d’autres littératures encore, je vis se dessiner peu à peu la loi universelle et logique que les pages suivantes vont exposer. […] Enfin, et surtout, les rapports de l’évolution littéraire avec les conditions sociales et politiques apparaîtront avec une évidence telle, que les faits littéraires seront en quelque sorte le graphique du développement des nations, et le témoignage le plus sûr des crises et des renaissances morales de l’humanité. […] Où mettre tels sermons, tels traités de morale, telles satires sociales ou littéraires ? […] Ce genre est le plus continu des trois, pour des raisons techniques, psychologiques et sociales que je n’ai pas à développer ici ; pourtant il est moins continu qu’il ne semble au premier abord.

117. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VI. La littérature et le milieu social. Décomposition de ce milieu » p. 155

La littérature et le milieu social. Décomposition de ce milieu Le milieu social, dont nous avons maintenant à rechercher les rapports avec la littérature, est si complexe qu’il est nécessaire de le décomposer, si l’on veut être certain de le sillonner en tout sens. […] Quand nous aurons passé en revue tous ces facteurs sociaux de l’évolution littéraire, nous aurons enfin rassemblé tous les éléments qui nous permettront d’esquisser la formule d’une époque donnée.

118. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Un rapprochement violent et soudain des diverses classes sociales, qui, dans la France de ce temps-là, étaient échelonnées en une sévère hiérarchie. […] Bientôt éclate une révolution littéraire, complément et conséquence de la révolution politique et sociale d’où date la France nouvelle. […] Il leur manquait l’intelligence et le sentiment des grandes transformations sociales. […] L’ordre social était sauvé. — Le même Alexandre Duval fait jouer une autre pièce intitulée : Guillaume le Conquérant. […] Elle marque dans la littérature l’avènement de ces nouvelles couches sociales dont Gambetta signala l’entrée dans la vie politique.

119. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Quel œil serait assez perçant pour prévoir et deviner toutes les conséquences qu’un état social aussi nouveau peut produire dans le monde ? […] Cependant il ne paraît pas croire que l’on puisse accuser un tel état social d’être fondé sur le privilège et l’inégalité. Il aperçoit bien quelques écoles utopiques qui rêvent l’égalité des biens ; mais il ne voit là que le rêve de quelques individus, et non un fait social de quelque importance. […] Tous sont frères et égaux en Jésus-Christ, ce qui laisse ici-bas la porte ouverte à toutes les différences de condition ; mais lorsqu’on a transporté cette idée de l’ordre moral et religieux dans l’ordre social et politique, on a été bien embarrassé. […] « Le grand péril des âges démocratiques, soyez-en sûr, écrit Tocqueville, c’est la destruction ou l’affaiblissement excessif des parties du corps social en présence du tout.

120. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Au lieu de lui mesurer sa place parmi les puissances sociales, elle l’excita à se prévaloir par-dessus tout et tous. […] Mais cinq années de frottement social ont passé sur cette innocence. […] C’est bien l’hypothèse du Contrat social. […] Il faut à un acteur des thèmes, à un acteur social un thème antisocial. […] Constant, subversif surtout par son naturel, ne donne pas dans sa mythologie préhistorique et sociale.

121. (1932) Les idées politiques de la France

À l’intérieur les lois sociales, à l’extérieur le protectionnisme, l’ont exterminé. […] Ses idées sociales n’ont pas manqué de largeur. […] Que le parti radical ait des idées de politique sociale, une bonne volonté de politique sociale, on ne saurait le nier. […] Parti de gouvernement, il pratique un sage opportunisme de politique sociale. […] Le socialisme se justifie par la foi en la Révolution sociale.

122. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Misères de la condition sociale, qui n’ont de remèdes pour l’un qu’en les déplaçant pour l’autre ! […] On leur reproche d’élever, d’échafauder et d’entasser contre le fait social régnant un monceau de misères, de douleurs, d’iniquités, de griefs, de désespoirs, et d’arracher des bas-fonds des blocs de ténèbres pour s’y créneler et y combattre. […] C’est par la science qu’on réalisera cette vision auguste des poètes : le beau social. […] C’est là une des phases fatales, à la fois acte et entracte, de ce drame dont le pivot est un damné social, et dont le titre véritable est : le Progrès. […] Que la société l’introduise en plus forte dose dans ses lois, à chaque misère sociale qui se révèle.

123. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Idées morales et sociales. — Rôle social de la grande poésie. […] Avec Hugo, la poésie devient vraiment sociale en ce qu’elle résume et reflète les pensées et sentiments d’une société tout entière, et sur toutes choses. […] Cette pitié, l’homme n’a pu la mettre ni dans ses lois, ni dans ses institutions sociales : c’est ce qui fait l’injustice fondamentale de notre justice. […] … » Victor Hugo ne veut point consentir à cette mort, à cette sorte de damnation sociale. […] La mission sociale de la poésie est à ce prix.

124. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

Trois principales influences diversifient le fond commun de l’esprit français dans les œuvres de notre littérature : la classe sociale, l’origine provinciale, le moment historique. […] Au moyen âge l’inégalité sociale prime la diversité géographique. […] Puis les littératures occidentales se feront plus nationales, en même temps que les œuvres deviendront plus individuelles, et bourgeois, nobles et clercs seront avant tout éminemment Français en France, Anglais en Angleterre et Allemands en Allemagne : souvent même la marque provinciale sera plus forte que l’empreinte de la condition sociale, et elle sera visible surtout chez les écrivains qui n’appartiennent pas aux pays de l’ancienne France et de langue d’oïl. […] Le mouvement des idées, l’évolution de l’organisme social, le contact des races étrangères, et le spectacle de leurs idées, de leur organisation, de leurs arts aussi et de leur littérature, modifient sans cesse le génie national, et l’expression qu’il donne de lui-même dans les œuvres de ses écrivains.

125. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre viii »

Nos soldats se disent qu’en se dévouant à la France ils sauvent, celui-ci l’Église catholique, celui-là les Églises protestantes, cet autre la République sociale, cet autre enfin la libre pensée. […] Quant aux socialistes, ils ont mille fois raison de croire que si la France était écrasée, c’en serait fait de la République sociale. La République sociale ne serait même plus pensée, car il n’y a de socialisme qu’en France et en Angleterre. […] Par exemple, il existe un équilibre de force entre les puissances sociales, et le fort domine toujours le faible.

126. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Ce sont les autorités sociales naturelles. […] Il était d’un pays, d’un temps, d’une classe sociale. […] Pierre Janet, marquait fortement cette nécessité, pour s’attaquer avec efficacité à un fléau social, d’en dégager la cause sociale. […] La paix sociale est, comme la paix mondiale, un noble rêve. […] La paix sociale n’est qu’un rêve.

127. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Ce sont des forces sociales. […] Unité, continuité, voilà la vérité sociale. […] Et ce ne sont pas des éléments sociaux, ce sont des forces séparatistes. […] Il ne donne pas l’exemple en lui de la mort sociale. […] Une de ces énergies est l’instinct social chez l’homme, il y obéit.

128. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

Ce sophisme emplit tout le Contrat Social, s’il n’est le Contrat Social lui-même. […] C’est le chapitre le plus inextricable du Contrat Social, le chapitre IV. […] Dans le Contrat social Rousseau s’est très peu occupé de la question de propriété. […] Organisation sociale : le pouvoir judiciaire. […] Cf. ce même ouvrage, tome II, Statique sociale, ch.

129. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

En ceci, la vie sociale ressemble à la vie humaine. […] C’en est assez pour démontrer que nous sommes là au centre même des idées sociales de Balzac. […] Taine : cette nécessité de la lenteur dans la montée sociale. […] C’est l’analogue social de la loi biologique de constance découverte par M.  […] L’ascension sociale peut-elle se passer du temps ?

130. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

L’humanité, la nature, tous les rapports sociaux, toutes les actions sociales deviennent pour les âmes des occasions de vibrer avec intensité, ou de s’amollir délicieusement. […] Il pose, dans ces cas émouvants, les thèses morales qu’impose à son attention le conflit actuel des préjugés sociaux et des instincts ou devoirs naturels. […] Il a raison aussi d’insister sur la capacité philosophique du genre dramatique : plus la forme devient réaliste, plus il est nécessaire qu’une idée profonde, une conception générale des rapports naturels ou sociaux tirent hors de l’insignifiance pittoresque la représentation exacte des apparences. […] Or nous verrons plus loin que ce réalisme-là ne put triompher au xviiie siècle des conditions littéraires et sociales qui lui faisaient échec. […] Palissot495, dans ses Courtisanes, essaya de restaurer la comédie de satire sociale, à laquelle Molière avait touché dans Tartufe.

131. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Un moment je crus lui donner la cohésion qui lui manquait en essayant de faire converger toutes ses idées vers un but social. […] « Le nombre de mes collaborateurs, la variété de leurs connaissances, leur talent était une force qui, utilisée dans le sens de la destruction, eût miné dans sa base l’édifice social. […] Voilà les principales idées littéraires, philosophiques et sociales que préconisent les apôtres du Romanisme. […] Charles Morice, impuissant à arrêter la débâcle symboliste, essaya lui aussi de fonder un nouveau groupe ayant pour raison sociale : Les Poètes français. […] L’Art social est donc la dernière formule vers laquelle tendent toutes les littératures.

132. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre I. Publicistes et orateurs »

Esquisse sommaire du mouvement politique et social. […] Sans élargir outre mesure le cadre de cette étude, nous pouvons, comme pour la période précédente, tâcher de définir en deux mots le milieu social où se produit le naturalisme. […] Les revendications sociales s’effacèrent, et pendant tout le second empire, l’objet de l’opposition, dans la nation comme à la chambre, fut la restauration du régime parlementaire. […] Une guerre sociale s’ouvre, et ce que les uns défendent, ce que les autres attaquent, c’est la propriété, base et symbole à la fois de tout l’ordre établi. […] Je me demande, toutefois, si elle n’aura pas sa revanche, et bientôt : depuis une quinzaine d’années, on s’est battu plutôt pour des intérêts que pour des principes ; mais voici que, de nouveau, deux conceptions générales de l’ordre social sont en présence.

133. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Choses d’autrefois »

Ce qu’on développe chez les pensionnaires, c’est l’énergie individuelle, le sentiment de l’honneur ; et on leur apprend aussi l’immolation de soi à l’intérêt d’une caste qui est encore (pour quelques années) une institution politique et sociale. […] C’est égal, la vaillance et la fierté de ces fillettes me ravissent  À huit ans, Mlle de Montmorency « eut un entêtement très fort vis-à-vis de madame l’abbesse (c’était alors Mme de Richelieu), qui lui dit en colère : « Quand je vous vois comme cela, je vous tuerais. » Mlle de Montmorency répondit : « Ce ne serait pas la première fois que les Richelieu auraient été les bourreaux des Montmorency. » — Six ans après, cette enfant, mourant d’un bras gangrené, disait avec une tranquillité merveilleuse : « Voilà que je commence à mourir. »   Ce qui rend plus intéressant encore, et même hautement dramatique, le tableau que la petite Hélène nous trace de l’Abbaye-au-Bois, c’est que, à l’heure même où elle écrit son journal, l’organisation sociale en vue de laquelle ces jeunes filles sont expressément élevées craque de toutes parts. […] La noblesse, n’étant plus une institution sociale, a bien réellement cessé d’être. […] L’aristocratie du sang (avec tout l’ordre social qu’elle impliquait) était assurément plus décorative, produisait des individus plus remarquables, de plus beaux spécimens de l’animal humain, et permettait à un petit nombre une vie plus noble et plus brillante.

134. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Description des groupes sociaux. — 4. […] Si on le prend où il est lui-même, il est exclusivement peintre des relations sociale et des natures humaines. […] Il compose solidement son personnage intérieur ; il y met une passion forte, qui sera le ressort unique des actes, qui forcera toutes les résistances des devoirs domestiques ou sociaux, des intérêts même. […] L’étude de l’énergie est l’âme des romans de Stendhal : mais sous cette idée maîtresse il a saisi, expliqué bien des caractères individuels et divers états sociaux. […] A moins que l’état social ne leur recommande plutôt l’hypocrisie, comme c’est le cas de Julien Sorel sous la Restauration, qui fait la Congrégation toute-puissante.

135. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

Un jeune docteur en droit, M. de Beauverger, a publié, il y a quelques mois, une Étude dans laquelle il expose et discute avec talent les idées de Sieyès sur la constitution et l’organisation sociale. […] De bonne heure il rapporte tout, même la musique, à ses idées de réforme et de perfectionnement social, et il se promet bien de lui faire jouer un grand rôle dans les fêtes publiques, quand cette société idéale qu’il aime à concevoir sera établie. […] Cet art social, que Sieyès se piquait d’avoir découvert, ou du moins professé le premier, consistait surtout dans la division du travail, appliquée aux diverses fonctions et aux divers pouvoirs de la société. […] Il a bien plus erré lorsqu’il s’est figuré que le bonheur du monde allait tenir à telle ou telle forme de constitution qu’il ne cessait de méditer dans ses veilles législatrices, et qu’il demandait à la mécanique sociale la plus rationnelle et la plus compliquée. […] Historiquement, comme Descartes, il est injuste ; il ne daigne pas se rendre compte du passé ; il considère tout d’abord les privilèges comme d’informes excroissances du corps social, et que la barbarie seule a pu considérer comme des beautés.

136. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

Le facteur social. — Est-il plus difficile de concevoir une autre conscience, un autre moi, qu’un objet en général, un non-moi. — Rôle du facteur social dans l’idée des autres moi. […] II Idée des autres moi. — Le facteur social Au lieu de l’idée du non-moi en général ou de l’objet, examinons de plus près l’idée des autres moi. […] Ajoutons seulement que le facteur social est, ici encore, de majeure importance. […] Notre conscience est sociale par essence : si elle a une centralisation naturelle autour de l’appétit, elle a aussi un mouvement d’expansion naturel vers d’autres êtres également sentants et doués d’appétit.

137. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

La musique, dans ce premier âge, fut une doctrine tout entière ; c’était l’ensemble même des lois sociales. […] Tout se tient dans le système social, tout marche en même temps : gardons-nous donc, je ne saurais assez le répéter, gardons-nous de porter un jugement quelconque sur une législation ancienne ou moderne, ayant d’avoir examiné l’ensemble de cette législation. II Cependant, comme il est facile de le sentir, la parole traditionnelle ne s’est pas retirée des institutions sociales au moment même où la langue écrite a paru, car toutes les révolutions sont successives et graduelles. […] Une telle législation ne pouvait être qu’incomplète et insuffisante, parce qu’elle tenait à un état transitoire ; parce que, depuis longtemps, l’unité manque aux directions de la société ; parce que enfin aucun des pouvoirs ne possédait en entier le dépôt des traditions sociales. […] Il est à remarquer néanmoins que l’institution du jury a besoin d’être considérablement modifiée pour être en harmonie avec l’ensemble de notre système social.

138. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre IV. Personnages des fables. »

. — Sont-ce des satires sociales ?  […] Le noir qui a conçu les guinné comme semblables aux hommes, au point de vue du caractère, imagine de même les animaux organisés en société semblable à la sienne mais il n’a pas pour but, en adoptant cette conception, de railler, sous un voile d’allégorie, la constitution du groupement social dont il fait partie. Il lui semble qu’il n’existe qu’une forme de société possible : la sienne, et il ne songe pas à se fatiguer l’imagination à rêver d’une autre organisation sociale. Les fables indigènes sont donc des récits exclusivement destinés à l’amusement des auditeurs et n’ont nullement pour but d’enseigner la morale, fût-elle uniquement pratique, ni de dénoncer les abus sociaux.

139. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Épilogue »

Dans la plupart d’entre eux, ce mouvement n’est que l’enragement de l’orgueil et la révolte contre leurs propres facultés, qu’ils méconnaissent, et contre leur fonction sociale, dont nulle femme n’a maintenant ni le souci ni l’idée. […] Le ridicule est toujours le viol d’une convention ou d’une convenance sociales — d’une manière générale de sentir et de penser ; et les Bas-bleus, avec leurs livres, leurs thèses et leurs affectations, ont tant bleui le monde, que le monde ne s’apercevra bientôt plus de la couleur de leurs bas ! […] La Démocratie, mère du Bas-bleuisme, le culot mal venu de tous les bâtards qu’elle a faits, la Démocratie qui, pour avant-dernier chef-d’œuvre, a métamorphosé des êtres humains en unités arithmétiques, et mis en poussière ce qui fut, dès le commencement de l’univers, le ciment social, est arrivée, par la femme, au dernier atome de cette poussière.

140. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Le rire doit avoir une signification sociale. […] vous avez les inadaptations profondes à la vie sociale, sources de misère, parfois occasions de crime. […] Le rire doit être quelque chose de ce genre, une espèce de geste social. […] Risible sera donc une image qui nous suggérera l’idée d’une société qui se déguise et, pour ainsi dire, d’une mascarade sociale. […] Le côté cérémonieux de la vie sociale devra donc renfermer un comique latent, lequel n’attendra qu’une occasion pour éclater au grand jour.

141. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface des « Derniers Jours d’un condamné » (1832) »

L’auteur aujourd’hui peut démasquer l’idée politique, l’idée sociale, qu’il avait voulu populariser sous cette innocente et candide forme littéraire. […] Et c’est ainsi qu’un alliage d’égoïsme altère et dénature les plus belles combinaisons sociales. […] Car, il faut bien le dire aussi, dans les crises sociales, de tous les échafauds, l’échafaud politique est le plus abominable, le plus funeste, le plus vénéneux, le plus nécessaire à extirper. […] En abolissant la peine de mort, à cause de lui et sans attendre que vous fussiez intéressés dans la question, vous faisiez plus qu’une œuvre politique, vous faisiez une œuvre sociale. […] L’édifice social du passé reposait sur trois colonnes, le prêtre, le roi, le bourreau.

142. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

« La raison approuvant l’instinct », je me souviens d’avoir abouti à cette formule dans une étude exclusivement sociale : je me félicite de cette coïncidence. […] Brunetière exposa à la Sorbonne que la littérature est une fonction sociale ; c’est-à-dire qu’au regard historique le fait littéraire a son importance, son coefficient (moindre ou supérieur, il n’importe) comme le fait scientifique, le fait religieux, etc. Au sens mathématique, la littérature est fonction de l’évolution sociale. […] Brunetière en conclut indûment la responsabilité sociale de l’artiste ; abusant du mot fonction, il assimile à peu près le littérateur au fonctionnaire. […] Brunetière est sage historien en traitant l’histoire littéraire à la manière de l’histoire sociale, et à la lumière de l’hypothèse évolutionniste, instrument actuel de pénétration et de progrès des sciences historiques, qu’aucune hypothèse préférable n’a jusqu’à cette heure rendue caduque.

143. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « G.-A. Lawrence »

L’auteur de Guy Livingstone est idéal de sentiment et d’expression, de société et de caractère, dans un temps où nous nous mourons du mal de cœur de la réalité, qu’on nous donne pour l’art ou la vie ; il est idéal parce qu’il est un byronien d’abord et ensuite un dandy, préoccupé, comme tout dandy, de la beauté des attitudes de son orgueil ; il l’est encore parce que tous les caractères de son roman sont pris dans un milieu humain et social exceptionnel, parce que le high life est la vie des classes supérieures, qui valent mieux que les autres de cela seul (comme le mot le dit) qu’elles sont au-dessus. […] La vie de Livingstone est la vie de tout le monde, à sa hauteur sociale. […] Guy Livingstone est le frère du Giaour, de Lara, de Conrad le Corsaire, moins coupable sans doute que ces sombres figures de la Force blessée au cœur et qui continuent de vivre avec la fierté de la Force jusqu’au moment où, d’un dernier coup, Dieu les achève… C’est un héros de Lord Byron resté au logis (at home), dans son ordre social, qui a été très bon pour lui et qui lui a donné à peu près tout ce que l’ordre social peut donner : la naissance, la fortune, l’éducation, les relations, tout ce qui s’ajoute à la force individuelle dans un pays où l’ordre social est si bien fait qu’un homme s’y dira, avec la certitude qu’on n’a jamais ailleurs, dans les pêles-mêles que l’on prend pour les sociétés : « Je nais ici, et c’est là que je puis mourir. » Comme les héros de Lord Byron, Guy Livingstone est un de ces Puissants taillés pour l’Histoire, et qui les jours où l’Histoire se tait, — car il y a de ces jours-là dans la vie des peuples, — débordent de leur colosse inutile le cadre de la vie privée.

144. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « G.-A. Lawrence » pp. 353-366

L’auteur de Guy Livingstone est idéal de sentiment et d’expression, de société et de caractère, dans un temps où nous nous mourons du mal de cœur de la réalité, qu’on nous donne pour l’art ou la vie ; il est idéal, parce qu’il est un byronien d’abord et ensuite un dandy, préoccupé, comme tout dandy, de la beauté des attitudes de son orgueil ; il l’est encore parce que tous les caractères de son roman sont pris dans un milieu humain et social exceptionnel, parce que la high life est la vie des classes supérieures qui valent mieux que les autres, de cela seul (comme le mot le dit) qu’elles sont au-dessus. […] La vie de Livingstone est la vie de tout le monde, à sa hauteur sociale. […] Guy Livingstone est le frère du Giaour, de Lara, de Conrad le Corsaire, moins coupable sans doute que ces sombres figures de la Force blessée au cœur et qui continuent de vivre avec la fierté de la Force jusqu’au moment où, d’un dernier coup, Dieu les achève… C’est un héros de lord Byron, resté au logis (at home), dans son ordre social, qui a été très-bon pour lui et qui lui a donné à peu près tout ce que l’ordre social peut donner : la naissance, la fortune, l’éducation, les relations, tout ce qui s’ajoute à la force individuelle dans un pays où l’ordre social est si bien fait, qu’un homme s’y dira, avec la certitude qu’on n’a jamais ailleurs dans les pêles-mêles que l’on prend pour les sociétés : Je nais ici, et c’est là que je puis mourir.

145. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Dans les sciences politiques et sociales, Saint-Simon et l’école saint-simonienne restent également en dehors de notre étude, avec toutes les sectes communistes, à l’extrémité seulement desquelles le capricieux hasard a placé un beau tempérament littéraire, dans le théoricien de l’anarchie, P. […] Je ne puis prétendre à tracer même une sommaire esquisse du mouvement politique et social. […] Mais les plus graves questions peut-être se discutaient hors des chambres, ou ne prenaient toute leur ampleur que dans des écrits théoriques et polémiques : ainsi la question religieuse ou la question sociale. […] Sans cesse, il fallait recourir aux principes de l’ancien droit, ou du droit nouveau, les expliquer, les fonder, les dissoudre, rechercher le sens des grands événements d’où le présent était sorti, et dresser comme des inventaires de leurs résultats moraux ou sociaux. […] Il aborda toutes les questions politiques, sociales, philosophiques qui passionnaient les esprits, il parla de la démocratie, des nationalités, de la Pologne, de tous les sujets brûlants.

146. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

Ce livre, la Révolution sociale démontrée (si étrangement !) […] Ce qui est nouveau, ce qui communique à l’œuvre une originalité inattendue, c’est le conseil assez traîtreusement donné au prince Louis-Napoléon de se faire le serviteur couronné de la révolution sociale. […] Comme la révolution sociale, dont Proudhon s’est fait le prophète, elle est, par un de ses côtés, humanitaire, métaphysique et inutile ; mais, par l’autre, elle est politique, nationale, nécessaire. […] La Révolution sociale démontrée par le Coup d’État ; Du Bonapartisme en France (Pays, 6 novembre 1852).

147. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Angelo, tyran de Padoue » (1835) »

Rendre la faute à qui est la faute, c’est-à-dire à l’homme, qui est fort, et au fait social, qui est absurde. […] Mêler dans cette œuvre, pour satisfaire ce besoin de l’esprit qui veut toujours sentir le passé dans le présent et le présent dans le passé, à l’élément éternel l’élément humain, à l’élément social, un élément historique. […] Il continuera donc fermement ; et, chaque fois qu’il croira nécessaire de faire bien voir à tous, dans ses moindres détails, une idée utile, une idée sociale, une idée humaine, il posera le théâtre dessus comme un verre grossissant.

148. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

Avec la même facilité, nous admettrons encore que la « question sociale » ne soit qu’une « question morale ». […] auquel cas j’ai donc eu raison de dire qu’il y avait dans le principe catholique plus de « fécondité sociale » que dans le principe protestant. […] Le bon socialiste dit, lui, que c’est aussi une loi naturelle et scientifique, la loi de justice que le corps social, fait de la puissance de tous, a le devoir d’imposer aux plus forts. C’est la science sociale qui se fait, mes maîtres, la science de justice et de liberté, par qui se fera la faillite du dogme de servitude de l’esprit et du corps. […] S’il existe une « question sociale », ce n’est pas en la traitant ainsi qu’on la résoudra ni que l’on réussira même à la poser comme il faut.

149. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

J’y remarque surtout des théories sociales du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau ; il faut lire ces pages avec une extrême précaution de jugement. […] Le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau et les Droits de l’homme de La Fayette, proclamés en 1789, sont un catalogue de contre-vérités politiques. […] Ils étaient et ils se sentaient eux-mêmes mieux que cela : des ouvriers de Dieu, appelés par lui à restaurer la raison sociale de l’humanité, et à rasseoir le droit et la justice par tout l’univers. […] Ce ne sont pas les géomètres qui écrivent les constitutions sociales, ce sont les hommes d’État. […] À une action soudaine, irrésistible, convulsive du corps social, il faut les bras et la volonté de tous.

150. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VII. La littérature française et les étrangers »

Ainsi c’est par l’Angleterre que commence cette universelle domination de l’esprit français, qui sera l’un des faits les plus considérables de notre histoire littéraire et sociale au xviiie  siècle. […] Cependant il serait vrai, je crois, de dire que si beaucoup d’œuvres particulières des écrivains anglais furent chez nous en crédit, aucun mouvement considérable n’a son réel point de départ en Angleterre : nous trouvons dans le courant de notre littérature même, dans les transformations de l’esprit public et des mœurs sociales, dans l’apparition enfin de certaines originalités individuelles, les raisons essentielles de l’évolution du goût et des formes littéraires. […] C’est Rousseau qui développe en Allemagne un libéralisme exalté, la haine effrénée du despotisme, des privilèges nobiliaires, de l’oppression sociale : du Discours sur l’inégalité, du Contrat social sont sortis les Brigands (1780) et Intrigue et Amour de Schiller. […] Plus universelle encore et plus absolue est la souveraineté qu’exerce l’esprit français par les formes sociales où il s’exprime.

151. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

quand nous disons l’Économie politique, nous n’entendons nullement cette physiologie, ou, pour mieux parler, cette anatomie sociale qui décrit et examine des faits ; mais nous entendons cette science datée d’Adam Smith, qui a l’orgueil de ses axiomes, qui s’imagine créer la vie avec de simples combinaisons, et affirme que la loi des sociétés tient toute dans le développement de la richesse. […] Augmenter de plus en plus la richesse publique, tel est, pour Jobez, le but véritablement social et la seule amélioration possible de la dure condition humaine. […] À toute cette époque depuis qu’elle est établie elle avait préparé la solution du problème social dans le fond du cœur de chaque homme. […] Elle ne s’arrêtait point à un des effets du mal quand il s’agissait de remonter à toutes les causes, et en inspirant la résignation aux classes dénuées et opprimées, en appuyant à de sublimes espérances la moralité défaillant sous toutes les croix de ses épreuves, elle avait plus fait pour diminuer l’oppression et la misère, et, disons davantage, doubler la richesse sociale, par la modération ou les renoncements de la vertu, que l’Économie politique qui reprend à son tour le problème résolu par l’Église depuis tant de siècles, et qui prétend le résoudre aujourd’hui, avec toutes les convoitises excitées de la nature humaine, aussi aisément et plus complètement que l’Église avec toutes ses abnégations. […] D’un autre côté, par cela même que Jobez, comme, du reste, tous les économistes de père en fils, déplace la question sociale et la met dans un accroissement de richesse au lieu de la mettre dans un accroissement de moralité, toutes les questions qui suivent celle-là et qui auraient dû trouver place dans ce livre n’y sont pas même abordées.

152. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

… Il a donc existé, il existera de tout temps des espèces sociales comme il y a des espèces zoologiques. […] Il l’est en sa qualité de « docteur ès sciences sociales » comme il s’appelait lui-même. Il reconnaît dans le christianisme « un système complet de répression des tendances dépravées de l’homme et le plus grand élément d’ordre social ». […] Balzac, le docteur ès sciences sociales, se double au contraire d’un mystique. […] De ses personnages il a la tenue sociale et morale, et, pour tout résumer d’un mot, cette fois plus simple et bien français : le ton.

153. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIX. Cause et loi essentielles des variations du gout littéraire » pp. 484-497

. — Il ne servirait à rien de dire que, si le goût littéraire varie, c’est que l’état social en se modifiant modifie l’état mental. […] Figurons-nous un ensemble social aussi homogène qu’il est possible non pas de le réaliser, mais de le rêver. […] On ne voit pas pourquoi l’évolution sociale et en particulier l’évolution littéraire feraient exception à la règle. […] On peut dire qu’à toute époque toutes les tendances sont représentées dans un ensemble social un peu vaste. […] Les lois de l’imitation et La logique sociale.

154. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Pour commencer par le point qui offre le plus de prise aux conjectures ; lorsque notre régime constitutionnel sera affermi, lorsque nos habitudes sociales seront prises, nous imposerons à tous les peuples une éloquence parlementaire inconnue jusqu’à présent. […] Nous devons regretter sans doute que nous ayons été si peu habiles à user des trésors de la poésie qui nous étaient offerts, à toutes les époques de notre existence sociale. […] Lorsque Charlemagne, dans son immense pensée, imposait à l’Europe l’ordre social qui vient de finir, il donnait pour base à l’instruction publique l’enseignement du grec et du latin. […] Mais, ainsi que nous l’avons remarqué, il faut de l’accord et de l’harmonie dans tout l’ensemble du système social. […] L’art pittoresque s’applique davantage aux détails de la vie privée : il a moins d’idéal, puisqu’il n’a pas cette sorte d’immobilité qui indique un être élevé au-dessus des passions humaines ; il est donc plus approprié à toutes les conditions de l’état social.

155. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — V »

Ce philosophe a très bien senti l’insuffisance, le verbalisme où aboutissent certains efforts sociaux, tant d’enthousiasmes dépensés et tant de sang versé ; mais si le but qu’on déclarait viser, — à savoir la justice sociale — n’a pas été atteint (et cette sévérité pour l’œuvre de la Révolution, fort explicable dans la bouche d’un socialiste, ne vous étonne-t-elle pas un peu chez un admirateur des libertés anglo-saxonnes ?) […] Nous admettons avec lui le danger de la méthode dialectique et rationnelle dans les réformes sociales.

156. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Ses idées philosophiques, politiques, sociales, son déisme, son républicanisme, son « démocratisme », sont des idées moyennes, sans originalité, tout à fait imprécises et médiocrement cohérentes. […] Hugo est excellente et supérieure : à défaut d’idées nettes, il a des tendances énergiques, et il agite en nous certaines angoisses sociales et métaphysiques. […] Par sa philosophie sociale, le lyrisme de V. […] Une idée philosophique et sociale soutient chaque poème : ici affirmation de Dieu ou de la justice, la dévotion au peuple, haine du roi et du prêtre. […] Il n’y a pas là de critique méthodique du programme politique et social de l’empire : et c’est tant mieux.

157. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Il a, ce noble individualiste, tous les snobismes sociaux. […] Combien de bons yeux naïfs doivent s’écarquiller pour apercevoir là-haut, « au sommet de l’échelle sociale », le f.*. orateur. […] Quand l’individu est mort qui combattit le mal social, les puissants s’emparent de son nom, et ils faussent et tordent sa pensée jusqu’à s’en faire une couronne. […] Au lieu de délivrer d’une parole vaillante et juste l’Individu prisonnier apparent des sociaux, il l’insulte pêle-mêle avec eux. […] Bergeret le lui dit nettement : « Toi aussi tu adores l’injustice par respect pour l’ordre social… Toi aussi tu es le jouet des apparences.

158. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Mais nous n’avons regardé que d’un seul point de vue la transformation sociale opérée par l’industrie. […] Comment oublier que George Sand, dans certaines de ses œuvres, a marié curieusement l’idylle et la question sociale ? […] C’est donc chose grave quand ce patronage des écrivains passe d’un groupe social à un autre, quand il échappe par exemple aux autorités officielles. […] Ils touchent aux questions brûlantes, ils sont novateurs, ils travaillent à la transformation sociale ; ils l’accélèrent vigoureusement. […] Dans la France nouvelle, leur position sociale s’est améliorée encore, et cela s’explique aisément.

159. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Je dois à un examen plus attentif des questions sociales, à l’âge, à l’expérience, des sentiments plus justes sur la société politique, qu’elle soit républicaine ou monarchique. […] La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme et du citoyen : il y a oppression contre le corps social quand un seul de ses membres est opprimé. […] Seulement la Convention, dans cet esprit, exagérait jusqu’à l’absurde sa charité sociale, car elle établissait dans ces axiomes l’impôt progressif au lieu de l’impôt proportionnel aux facultés de l’imposé. […] Or quel ordre social pourrait reposer solidement sur un pareil mensonge ? […] Le corps social ne pouvait que s’agiter ou languir.

160. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Les passions sont la plus grande difficulté des gouvernements ; cette vérité n’a pas besoin d’être développée, on voit aisément que toutes les combinaisons sociales les plus despotiques, conviendraient également à des hommes inertes qui seraient contents de rester à la place que le sort leur aurait fixée, et que la théorie démocratique la plus abstraite serait praticable au milieu d’hommes sages uniquement conduits par leur raison. […] Le philosophe veut rendre durable la volonté passagère de la réflexion ; l’art social tend à perpétuer l’action de la sagesse ; enfin ce qui est grand se retrouve dans ce qui est petit, avec la même exactitude de proportions : l’univers tout entier se peint dans chacune de ses parties, et plus il paraît l’œuvre d’une seule idée, plus il inspire d’admiration. […] L’organisation de la puissance publique, qui excite ou comprime l’ambition, rend telle ou telle religion plus ou moins nécessaire, tel ou tel code pénal trop indulgent ou trop sévère, telle étendue de pays dangereuse ou convenable ; enfin c’est de la manière dont les peuples conçoivent l’ordre social, que dépend le destin de la race humaine sous tous les rapports. […] Il ne s’ensuit pas qu’il faille croire à la perfection dans l’ordre social ; mais il est utile pour les législateurs de se proposer ce but, de quelque manière qu’ils conçoivent sa route. […] Indépendamment de tous les crimes particuliers qui ont été commis, l’ordre social a été menacé de sa destruction pendant cette révolution par le système politique même qu’on avait adopté : les mœurs barbares sont plus près des institutions simples mal entendues, que des institutions compliquées ; mais il n’en est pas moins vrai que l’ordre social, comme toutes les sciences, se perfectionne à mesure qu’on diminue les moyens, sans affaiblir le résultat.

161. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Il semble qu’il n’affecte que quelques individus parmi beaucoup d’autres ou quelques groupes sociaux à un moment déterminé de leur histoire ; il semble, qu’à ces exemples, choisis pour illustrer un cas pathologique, il soit possible d’opposer nombre de ces normaux, où des réalités, individuelles ou sociales, se montrent en harmonie avec elles-mêmes et nous offrent le spectacle d’un ensemble coordonné. […] Sur cette idée de responsabilité est fondé tout le système de l’éducation individuelle et sociale qui implique le droit de punir. […] Si le châtiment social lui fait défaut, il s’invente avec le remords une peine intérieure et qu’il emporte avec lui. […] Le mariage et toutes les liaisons durables qui unissent l’un à l’autre deux êtres de sexe opposé sont, à vrai dire, un compromis entre l’instinct amoureux et les autres instincts qui, dans le milieu social, disputent à celui-ci l’hégémonie. […] Le moi, qui n’est qu’une raison sociale, qu’une représentation abstraite, comme la cité ou l’état, est pris pour un être pourvu d’une unité réelle.

162. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre IV. L’heure présente (1874) — Chapitre unique. La littérature qui se fait »

Faits généraux d’ordre social, moral ou littéraire. — 2. […] Faits généraux d’ordre social, moral ou littéraire. Il sera impossible que la littérature ne se ressente pas du renouvellement qui semble se faire dans l’ordre social, politique et moral. Deux grands faits politiques et sociaux se sont produits : d’abord, le triomphe certain de la République sur les vieilles formes monarchiques et sur les dynasties héréditaires. Il en est résulté, comme je l’ai déjà indiqué, une séparation du libéralisme et de la démocratie, et la prépondérance des problèmes sociaux sur les questions politiques.

163. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

On a (et le professeur se flattait en son for de son libéralisme) éveillé des défiances scientifiques, des doutes métaphysiques, des négations sociales. […] Ils souffrent de leurs contradictions, et pour se satisfaire ils organisent un sport social. […] Paul Radiot a cru trouver une solution élégante du problème social. […] Non, la piété sociale est une chose, le socialisme en est une autre, fondée non sur un sentiment et des élans, mais sur un droit et des théorèmes. […] Ce n’est qu’une maladie chronique, inquiétante, non imminente, qui, petit à petit, contaminera le corps social.

164. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre IV. Littérature dramatique » pp. 202-220

. — Le drame social Il y a eu, vers 1896-1899, toute une poussée vers le théâtre social57. […] « Non seulement je crois qu’un auteur peut évoquer une synthèse intense des luttes sociales du temps présent, mais j’estime encore qu’il le doit, affirmait M.  […] Ce qui manqua surtout à l’épanouissement du drame social, ce fut une scène et un public. […] Pottecher, devant des auditeurs sincères et vraiment populaires, a essayé à Bussang le pouvoir de la comédie sociale. […] Enquête sur la question sociale au théâtre.

165. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

IV Trois sortes d’esprits règnent sur le monde, — aussi bien sur le monde de l’Action que sur le monde de la Pensée : l’esprit religieux, l’esprit social, l’esprit individuel, et jamais l’Histoire, qui les reconnaît tous les trois, n’a songé même à discuter leur hiérarchie. […] Il est évident que ce genre d’esprits, qui entendent, d’ailleurs, presque toujours les choses sociales : la notion qu’on se fait de Dieu impliquant tout le reste, l’emportent, et de beaucoup, sur les esprits qui ne se préoccupent que des problèmes terrestres de la vie, et ne songent qu’à tirer — extraction sublime, néanmoins !  […] Il réunissait l’esprit religieux, l’esprit social et l’esprit individuel, non dans une quantité égale, — il aurait été plus qu’un homme alors !  […] Stendhal, si vigoureusement organisé, mais athée, dont la supériorité se rompait à l’athéisme comme l’épée se rompt à trois pouces de sa garde ; Stendhal, dont toute la moralité n’est que dans le mot terrible : « Ne se repentir jamais », n’en eut pas moins l’esprit social, profond et acéré. […] C’est par là que madame Sand, par exemple, cette fille naturelle de Rousseau, passera comme Rousseau, — le Rousseau de La Nouvelle Héloïse ; car le Rousseau du Contrat social subsiste, hélas !

166. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

À cette affreuse maladie sociale, la Providence applique les trois grands remèdes dont nous allons parler. […] Les lois, les institutions sociales fondées par la liberté populaire n’ont point suffi à la régler ; le monarque devient maître par la force des armes de ces lois, de ces institutions. […] Sans doute les hommes ont fait eux-mêmes le monde social, c’est le principe incontestable de la science nouvelle ; mais ce monde n’en est pas moins sorti d’une intelligence qui souvent s’écarte des fins particulières que les hommes s’étaient proposées, qui leur est quelquefois contraire et toujours supérieure. […] Si la religion se perd parmi les peuples, il ne leur reste plus de moyen de vivre en société ; ils perdent à la fois le lien, le fondement, le rempart de l’état social, la forme même de peuple sans laquelle ils ne peuvent exister.

167. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Nous sommes arrivés à une de ces époques de renouvellement où, après la destruction d’un ordre social tout entier, un nouvel ordre social commence. […] La pensée humaine estime, et elle est à la fois sociale et religieuse, c’est-à-dire qu’elle a deux faces qui se correspondent et s’engendrent mutuellement. […] Ne voyez-vous pas que l’ordre social est détruit, comme l’ordre religieux ? […] Et je voyais autour de moi toute une hiérarchie sociale qui, prosternée aux pieds de ce Fils de Dieu, m’attestait la vérité de sa parole. […] Encore une fois, où voulez-vous qu’elle trouve Dieu à aimer, quand votre athéisme social semble donner raison à l’athéisme ?

168. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

Les grands écrivains de la précédente génération ne l’avaient pas prévu, qu’en rendant une certaine tendance sociale comme adéquate à l’idéal classique, la conséquence en serait un jour de faire prédominer le point de vue de l’agrément mondain ou de l’utilité sociale sur la réalisation de la beauté et sur l’imitation de la nature ! […] Une littérature « sociale » y devait tôt ou tard aboutir ; gagner ainsi d’abord en étendue ce qu’elle perdait en profondeur ; et sinon périr, du moins se déformer et se désorganiser par un effet de l’exagération de son principe. […] De « psychologique et de moral » devenu d’abord « social » ; et de social « scientifique » ; l’objet de la littérature, sous l’influence de Bacon et de Locke, va désormais devenir purement pratique. […] Que ne se vante-t-il aussi d’avoir pâli sur l’Émile, sur le Contrat social, sur les Lettres de la Montagne ? […] 2º Le Contrat social, 1762 [Cf. 

169. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

Cette tentative, qui a été si impuissante pour rien édifier, a eu le mérite de mettre à nu plusieurs plaies de l’ordre social ; on a mieux senti en particulier ce qu’avaient d’irrégulier et de livré au hasard la condition de la femme, son éducation d’abord, et plus tard dans le mariage son honneur et son bonheur. […] De quelque manière qu’on veuille interpréter ces symptômes évidents, qu’on y voie, comme les plus illuminés semblent le croire, l’annonce de je ne sais quelle femme miraculeuse destinée à tout pacifier ; qu’on y voie simplement, comme certains esprits plus positifs, la nécessité de réformer trois ou quatre articles du Code civil, nous pensons qu’il doit y avoir sous ce singulier phénomène littéraire une indication sociale assez grave ; nous aimons surtout à y voir un noble effort de la femme pour entrer en partage intellectuel plus égal avec l’homme, pour manier toutes sortes d’idées et s’exprimer au besoin en sérieux langage. […] Aux abords de l’ordre social où nous touchons, en des situations de plus en plus rapprochées et nivelées, la femme aura à se pourvoir de moins de culte et de plus d’estime. […] Or, excepté lui, pourtant, il n’y a dans le livre entier qu’une grande complication de plainte et d’amertume ; il y a le sentiment immense d’un mal sans remède ; et ce mal, au lieu de se rapporter à certaines circonstances sociales et d’être relatif au sort des individus en question, envahit tout, se généralise dans la création comme dans la société, accuse la Providence autant que les lois humaines.

170. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1824 »

Il y a maintenant deux partis dans la littérature comme dans l’état ; et la guerre poétique ne paraît pas devoir être moins acharnée que la guerre sociale n’est furieuse. […] Chacun d’eux a créé pour sa sphère sociale un monde d’idées et de sentiments approprié au mouvement et à l’étendue de cette sphère. […] De même que les écrits sophistiques et déréglés des Voltaire, des Diderot et des Helvétius ont été d’avance l’expression des innovations sociales écloses dans la décrépitude du dernier siècle, la littérature actuelle, que l’on attaque avec tant d’instinct d’un côté, et si peu de sagacité de l’autre, est l’expression anticipée de la société religieuse et monarchique qui sortira sans doute du milieu de tant d’anciens débris, de tant de ruines récentes. […] Le goût national, accoutumé à ne point séparer les idées de religion et de poésie, eût répudié tout essai de poésie irréligieuse, et flétri cette monstruosité non moins comme un sacrilège littéraire que comme un sacrilège social.

171. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Sûre, sociale, raisonnable, ce n’est plus la langue française, c’est la langue humaine. […] Dès les premiers jours où la Révolution se prononça, Rivarol n’hésita point, et il embrassa le parti de la Cour, ou du moins celui de la conservation sociale. […] Il considère la parole comme « la physique expérimentale de l’esprit », et il en prend occasion d’analyser l’esprit, l’entendement, et tout l’être humain dans ses éléments constitutifs et dans ses idées principales ; il le compare avec les animaux et marque les différences essentielles de nature : puis il se livre, en finissant, à des considérations éloquentes sur Dieu, sur les passions, sur la religion, sur la supériorité sociale des croyances religieuses comparativement à la philosophie. […] Mais aussi ce qui honore en Rivarol l’intelligence et l’homme, c’est qu’il s’élève du milieu de tout cela comme un cri de la civilisation perdue, l’angoisse d’un puissant et noble esprit qui croit sentir échapper toute la conquête sociale : « Malgré tous les efforts d’un siècle philosophique, dit-il, les empires les plus civilisés seront toujours aussi près de la barbarie que le fer le plus poli l’est de la rouille ; les nations comme les métaux n’ont de brillant que les surfaces. » Il y a des moments où, porté par le mouvement de son sujet et par l’impulsion de la pensée sociale, il va si haut, qu’on se demande si c’est bien Rivarol qui écrit, le Rivarol né voluptueux avant tout et délicat, et si ce n’est pas plutôt franchement un homme de l’école religieuse : Le vice radical de la philosophie, c’est de ne pouvoir parler au cœur. […] Mais le côté social du Rivarol de la fin est trop resté dans l’ombre : il m’était très bien indiqué en peu de mots dans l’article de M. 

172. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

L’Histoire humaine, voilà l’histoire moderne ; l’histoire sociale, voilà la dernière expression de cette histoire. Cette histoire nouvelle, l’histoire sociale, embrassera toute une société. […] Ce ne seront plus seulement les actes officiels des peuples, les symptômes publics et extérieurs d’un état ou d’un système social, les guerres, les combats, les traités de paix, qui occuperont et rempliront cette histoire. L’histoire sociale s’attachera à l’histoire qu’oublie ou dédaigne l’histoire politique. […] Aux éléments usuels de l’histoire, nous avons ajouté tous les documents nouveaux, et jusqu’ici ignorés, de l’histoire morale et sociale.

173. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

. — LE PONCIF SOCIAL. — POÉSIE SCIENTIFIQUE. […] Bien loin de nous tenir pour présomptueux, nul doute que les honnêtes gens ne tiennent à encourager notre tentative d’édification personnelle et sociale. […]   L’Art social a vite dégénéré en un poncif social, c’est-à-dire socialiste, car, jusqu’à présent, les pièces socialistes ont été les seules pièces sociales. […] Toute œuvre d’art est sociale, par cela seul qu’elle est vivante ; toute œuvre tendancieuse, si elle l’est entièrement et clairement, est artificielle. […]   L’Art social et le Régionalisme ne sont que, par accident, de la littérature.

174. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

L’Empire, encore plus hardi et plus encouragé par l’opinion, put méconnaître impunément certaines vérités bienfaisantes du Contrat social, sous la protection de la peur qu’inspiraient ses sophismes. […] Ce type de simplicité, de vérité, d’innocence, auquel il faut revenir pour trouver la fin ou le correctif des vices de l’homme social, est un enfant de ses ardentes rêveries. […] Il y a une époque dans notre histoire où l’on a eu foi aux doctrines du Contrat social ; ce qui reste de cette foi est parmi les périls les plus pressants de notre temps. […] Ayant manqué à la première des lois sociales, il devait déclarer la guerre à la société. […] L’orgueil propre à notre siècle, l’esprit d’utopie que les révolutions y ont déchaîné, font encore des croyants au Contrat social, même parmi les gens qui ne le lisent pas.

175. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Qu’on se représente où en était, en général, le libéralisme sur la fin de la Restauration ; quelle doctrine peu élevée, peu intelligente du passé, et du passé même le plus récent, méconnaissant et méprisant tout de ses adversaires, purement tournée aux difficultés et au combat du moment, pleine d’illusions sur l’avenir, se figurant que, l’obstacle ministériel ou dynastique renversé, on allait en toute chose obtenir immédiatement le triomphe des idées et des talents, le règne du bien et du beau, une richesse intellectuelle et sociale assurée, une gloire facile, une prospérité universelle. […] Le parti catholique et légitimiste, ennemi de la Révolution et du mouvement social, semblait avoir en ce temps-là, aux yeux de plusieurs, le privilège des hauts esprits et des hautes doctrines. […] En dehors de la direction économique et industrielle, il donna à plus d’un qui en manquait l’idée d’une religion et le respect de cette forme sociale, la plus haute de toutes. […] Le Saint-Simonisme, en tous ceux qu’il a touchés, a tué la foi au libéralisme pur, et tout en ne repoussant rien de ce que la liberté a de bon, d’utile et de pratique, le nom de liberté désormais, pour tous ceux qui ont compris le sens et le bienfait aussi de ce qui n’est pas elle, qui ont conçu, ne fût-ce qu’une fois, le regret ou l’espoir d’une haute direction sociale, a perdu de sa vertu merveilleuse et de sa magie. […] La question sociale et l’humanitarisme ne lui font pas oublier la patrie ; il a parmi ses proches amis et rédacteurs un reste vivant de ces patriotes de 1815, animés d’un vieux souffle ardent, et qui, tout républicains qu’ils étaient de cœur, se sont ralliés au Napoléon des Cent-Jours, défendant le sol français21.

176. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — II. » pp. 494-514

Le grand corps social, qui s’est senti si près d’une destruction entière, aspire donc en toute hâte à une guérison, mais à une guérison quelconque, à une guérison plâtrée : qu’on la lui offre, et il s’en contentera. […] Mallet, selon moi, n’appelle pas de son vrai nom cette disposition du soldat français à s’oublier sous le drapeau, quand il l’attribue surtout à la vanité ; il faut appeler cette vanité de son vrai titre social, qui est l’honneur. […] Autant il est peu de l’école de Jean-Jacques et du Contrat social, autant il aime à se proclamer de celle de Montesquieu. […] Cette épidémie de constitutions politiques, « qui succéda alors en France et en Europe aux pantins et aux aérostats » (deux modes du jour), date de lui : Pas un commis-marchand formé par la lecture de l’Héloïse, dit Mallet du Pan, point de maître d’école ayant traduit dix pages de Tite-Live, point d’artiste ayant feuilleté Rollin, pas un bel esprit devenu publiciste en apprenant par cœur les logogriphes du Contrat social, qui ne fasse aujourd’hui une constitution… Cependant la société s’écroule durant la recherche de cette pierre philosophale de la politique spéculative ; elle reste en cendres au fond du creuset. […] Nul, on l’avouera, n’a mieux connu et plus expressément décrit la maladie sociale de son temps que Mallet, et on croirait, par endroits, qu’il n’a fait que décrire celle du nôtre, celle de ce matin : c’est que, sauf de très légères variantes de surface, c’est bien la même maladie qui, après cinquante ans, nous travaille encore et cherche son issue ; elle la cherchera longtemps.

177. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

Mais le moment de ces maximes de conservation et de guérison sociale n’était point encore venu : les paroles de Portalis tombaient dans une atmosphère enflammée, et s’y altéraient au gré des passions. […] Il le range, pour son Contrat social, dans ce qu’il appelle la secte des politiques, gens inutiles et dangereux qui, au lieu de s’appliquer à faire aller la société et à la servir, ont la manie de la décomposer pour en rechercher les raisons et les causes, comme si elle n’était pas chose naturelle et conforme à la nature humaine. […] En flétrissant ces choses atroces, la plume de Portalis n’est pas tout à fait le burin d’un ancien ; on a pu dire de quelques autres publicistes d’alors qu’ils écrivaient avec un fer rouge : lui, il a surtout sa précision et sa force quand il exprime des idées de probité et de morale sociale : Des familles honnêtes, dit-il, se trouvent dépouillées de leur patrimoine par des jugements qui n’ont été que des crimes… Mais, dira-t-on, l’État ne peut réparer tous les maux inévitables d’une révolution. […] Nous saisissons, dès ce premier écrit de circonstance, la forme et le fond du discours habituel de Portalis, cet enchaînement et cette suite de maximes sages, miséricordieuses, appropriées, où respire comme un souffle du génie de Numa, aphorismes tout de réparation, tout de consolation et de santé, et qui allaient faire la plus salutaire impression sur le corps social si longtemps soumis à ces autres aphorismes de Saint-Just, concentrés et mortels comme le poison. […] Dès les premiers jours, la plupart des Conventionnels restés dans les Conseils regardaient ouvertement les nouveaux nommés comme des intrus et des ennemis ; ils semaient autour d’eux les soupçons et les calomnies pour les décréditer du moins, ne pouvant les éliminer : « Ceci débute mal, dit tout haut Portalis présent à ces scènes : si les Jacobins ont le pouvoir de nous chasser d’ici, nous n’y resterons pas longtemps. » Il y resta assez, durant deux années, pour y fonder sa réputation d’orateur social, fidèle à tous les principes de modération et d’humanité.

178. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface des « Misérables » (1862) »

Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans de certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles.

179. (1903) Le problème de l’avenir latin

Je crois simplement à un large déterminisme social se rattachant au déterminisme cosmique. […] Athènes, Alexandrie, Rome, Byzance, à la veille de s’anéantir en tant qu’êtres sociaux, resplendissaient intellectuellement. […] Dans ce cas, le maximum d’avantages sociaux devrait être accordé à ceux qui auraient poursuivi ces études. […] Pourquoi dès lors un peuple, c’est à dire un organisme social, n’agirait-il pas de même ? […] Le monde « appartient aux peuples qui possèdent la supériorité sociale ».

180. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Sur le Louis XVI de M. Amédée Renée » pp. 339-344

Le bien, pour être autre chose qu’un rêve, a besoin d’être organisé, et cette organisation réclame aussitôt une tête, ministre ou souverain, un grand personnage social. […] Les portions satisfaites de la nation auraient commencé à mieux voir, à revenir de l’excès d’exigence ou de confiance, et à juger de la tâche sociale avec plus de vérité. […] Sans doute l’Assemblée nationale une fois produite et les principes de 89 inscrits sur les drapeaux, il y avait des conséquences qui devaient sortir, des conquêtes qui ne se pouvaient plus éluder ; ce n’est pas à nous à nous en plaindre : mais en plus d’une crise subséquente, il aurait dépendu encore de Louis XVI, si cet excellent prince avait eu ombre de caractère, que les choses tournassent différemment, que les diverses étapes que la rénovation sociale avait à parcourir prissent une autre assiette, se choisissent d’autres points de station.

181. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre septième. Les sentiments attachés aux idées. Leurs rapports avec l’appétition et la motion »

A mesure qu’on s’élève dans l’échelle des opérations mentales, les sentiments attachés aux idées deviennent de plus en plus complexes ; aussi, pour expliquer les sentiments supérieurs, par exemple les émotions esthétiques, morales, sociales, ce n’est plus au mouvement d’un seul nerf, c’est à tout un ensemble d’excitations et de motions qu’il faut avoir recours. […] Il y a une base sensitive et motrice jusque sous les émotions morales et sociales, qui ont pour effet la conservation ou le développement de l’individu, et surtout de l’espèce. […] Quant aux émotions religieuses, ce sont les émotions morales et sociales s’élargissant jusqu’à embrasser l’universalité des êtres et leur principe.

182. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Lucrèce Borgia » (1833) »

Prenez la difformité physique la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète ; placez-la là où elle ressort le mieux, à l’étage le plus infime, le plus souterrain et le plus méprisé de l’édifice social ; éclairez de tous côtés, par le jour sinistre des contrastes, cette misérable créature ; et puis, jetez-lui une âme, et mettez dans cette âme le sentiment le plus pur qui soit donné à l’homme, le sentiment paternel. […] À ses yeux, il y a beaucoup de questions sociales dans les questions littéraires, et toute œuvre est une action. […] Il sait que le drame, sans sortir des limites impartiales de l’art, a une mission nationale, une mission sociale, une mission humaine.

183. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

Ainsi tous ont la main sur quelque rouage social, grand ou petit, principal ou accessoire, ce qui leur donne le sérieux, la prévoyance et le bon sens. […] Plus on est occupé, moins on rêve, et, pour des hommes d’affaires, la géométrie du Contrat social n’est qu’un pur jeu de l’esprit pur. […] Ajoutez que la mécanique sociale tourne d’elle-même, comme le soleil, de temps immémorial, par sa propre force ; sera-t-elle dérangée par des paroles de salon ? […] D’autant plus que, jusqu’au dernier moment, la théorie ne descend pas des hauteurs, qu’elle reste confinée dans ses abstractions, qu’elle ressemble à une dissertation académique, qu’il s’agit toujours de l’homme en soi, du contrat social, de la cité imaginaire et parfaite. […] Pendant la première moitié du siècle, il n’y a point encore de fronde politique ou sociale.

184. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

En est-il de même des Espèces sociales ? […] Il ne faisait pas seulement partie d’un milieu ethnique et social ; il appartenait à un milieu professionnel. […] Il faut voir là un des inconscients et puissants efforts de la nature sociale, — car il y a une nature sociale et qui veut vivre, — pour maintenir chez nous ce sens et ce culte du passé, sans lesquels il n’y a plus de patrie. […] Le monde social n’est plus qu’une immense duperie chez les naïfs et chez les autres une immense hypocrisie. […] C’est proprement l’application de la méthode scientifique à la vie morale et sociale.

185. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Chapitre septième L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. […] La théorie de l’art pour l’art, bien interprétée, et la théorie qui assigne à l’art une fonction morale et sociale sont également vraies et ne s’excluent point. […] Aussi est-il impossible de méconnaître le rôle social et philosophique de la poésie et de l’art. « Le poète a charge d’âmes », a dit Hugo. […] Hugo attaque les partisans de l’art pour de l’art, parce qu’ils refusent de mettre le beau dans la plus haute vérité, qui est en même temps la plus haute utilité sociale. […] Notre poésie française, heureusement, a été dans notre siècle de plus en plus animée d’idées philosophiques, morales, sociales.

186. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

On le qualifie sobrement de « mesure administrative », ou encore de « mesure de préservation sociale ». […] N’allez pas vous imaginer que ce titre cache un livre de révolte sociale, des prêches ardents, des anathèmes et des revendications. […] Ces qualités qui vous frappent tiennent au caractère de la race et nullement à un état social raisonné et meilleur que le vôtre. […] L’équilibre social est à ce prix… D’ailleurs, écoutez ce petit apologue. […] La Mêlée sociale.

187. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

Le roi dispensant les hautes classes de travailler au bien public, ce loisir développe les relations sociales, et donne un éclat intense à la vie de société. […] La littérature n’est pas militante ; elle respecte les cadres sociaux, la hiérarchie, les pouvoirs temporels et spirituels ; elle tient pour résolues, ou elle écarte les grandes questions métaphysiques, qui sont essentiellement révolutionnaires. […] L’idée de la fonction sociale de la royauté s’efface : on ne voit plus que l’exploitation de tous par un seul, le sacrifice de tous les intérêts aux passions d’un seul. […] Ils réveillent ainsi dans la bourgeoisie le sentiment de son infériorité sociale, à l’heure précisément où elle a le sentiment de sa supériorité intellectuelle, morale, économique.

188. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gérard Du Boulan »

Loiseleur prétend que le Misanthrope de Molière c’est la tolérance sociale. […] L’Alceste de Molière n’est donc ni un Montausier ni un amoureux de la Béjart, — comme on l’a dit aussi, — c’est-à-dire Molière se traduisant lui-même quoiqu’il ait peut-être saigné du cœur ou de l’orgueil en l’écrivant ; ce n’est ni la tolérance sociale de Loiseleur, ni davantage le janséniste de Gérard du Boulan, Y oiseleur, à son tour, lui qui découvre des pies au nid de cette force ! […] Je ne serais pas étonné que l’auteur de l’Énigme d’Alceste, moins énigmatique que son Alceste, fût un républicain de l’heure présente, qui verrait la république dans le Misanthrope comme Loiseleur y voit la tolérance sociale, ce merle blanc de la tolérance sociale !

189. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Solidarité »

Mais, en fait, s’il n’y a plus de classes politiques, il y a toujours des classes ou des compartiments sociaux, et les riches et les pauvres sont peut-être plus profondément séparés aujourd’hui par les mœurs qu’ils ne l’étaient autrefois par les institutions. […] Notre égoïsme trouve si bien son compte dans cette sorte d’émiettement social ! […] Il est excellent de croire le plus possible à ces coïncidences dans l’ordre social.

190. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « I. Historiographes et historiens » pp. 1-8

Elle pensait sans doute, et avec raison, que rien n’était d’une importance sociale plus profonde que d’écrire l’histoire, et qu’il en fallait défendre le droit par une institution contre les atteintes du premier venu, qui se délivre à lui-même mandat et brevet d’historien. […] au profit des plus égoïstes passions ou des plus ineptes systèmes ; mais ce n’est pas tout : ils en ont faussé la notion même… L’histoire, proprement dite, devait être un monument de bronze érigé par l’État, et sur lequel une main éprouvée, assez forte et assez honorée pour tenir le burin de l’Ordre social, écrirait les actes législatifs, les faits d’armes et les faits de conscience des personnalités caractéristiques du temps présent ou du passé. […] Voilà toute la question pour nous et pour tous ceux qui ont encore dans la tête une idée sociale, échappée à l’universelle pourriture de l’individualisme contemporain.

191. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

On ne serait pas plus fondé à voir dans le poème une arrière-pensée sociale. […] La scène de ce poème devait être à Paris, la ville appelée à devenir le centre de l’évolution sociale. […] L’accomplissement social du christianisme, tel devient donc le but de toute l’évolution historique. […] Il y a plus, quand la parole émanait d’un homme ou d’un pouvoir social, quand elle apparaissait dans sa forme la plus haute, la forme religieuse, dans le culte, la parole sociale n’était pas seulement identique à la poésie, c’était un mélange de la poésie avec tous les autres arts. […] La poésie est née au sein des classes conservatrices de la parole sociale.

192. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Laurent (de l’Ardèche) : Réputation de l’histoire de France de l’abbé de Montgaillard  »

Osons avouer toutefois que, malgré le silence prolongé de ses adversaires, la querelle ne nous paraîtras définitivement vidée, qu’elle renaîtra probablement d’ici avant peu, moins prématurée et moins inégale, et qu’il en jaillira à coup sûr pour tout le monde de nouvelles et vives lumières sur les grandes questions sociales. […] On conçoit en effet qu’un parti fort et compacte, qui, après avoir tout détruit et tout dévoré, tenta de tout reconstruire, qu’un tel parti, malgré son aspect peu attrayant, excite une vive sympathie intellectuelle chez les esprits qui aspirent à une organisation sociale plus ou moins analogue. […] Sans méconnaître le côté sinistre et livide de ce caractère jaloux, sans contester non plus la médiocrité littéraire du rhéteur, l’historien croit découvrir sous son jargon sentimental une logique puissamment systématique, et l’intelligence des plus hautes vérités, des principes les plus fondamentaux qui doivent présider à toute renaissance sociale.

193. (1818) Essai sur les institutions sociales « Préface » pp. 5-12

Préface [1830] Je réimprime l’Essai sur les Institutions sociales, tel qu’il a été publié en 1818 : seulement je prie le lecteur de vouloir bien se souvenir de la date. […] Sous ce rapport, l’Essai sur les Institutions sociales est encore aujourd’hui comme un Discours préliminaire de la Palingénésie. […] Le passage de l’Évangile (page 128) est indûment cité, parce qu’il est isolé de toute une doctrine, celle qui sera manifestée plus tard dans les diverses parties de la Palingénésie sociale.

194. (1887) George Sand

Puis ce sera le tour des préoccupations sociales. […] La question sociale ne paraît que dans un vague lointain et incidemment. […] Sa fonction sociale est d’aimer ; Dieu sait s’il s’en acquitte en conscience. […] Ainsi se font les mariages d’âmes, d’une extrémité à l’autre de l’échelle sociale, dans le monde des romans de Mme Sand. […] Tant d’événements n’ont pas été perdus pour elle, ni en politique, ni en philosophie sociale.

195. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

Il appartient au christianisme social, voisin du Sillon, qui veut rendre la vie terrestre possible et établir dans l’humanité le règne de Dieu. […] En même temps qu’il collabore au mouvement social, il est un de nos pasteurs les plus zélés, et il se relie en pensée à toutes les belles figures qui sont dans l’Église catholique. […] Il avait écrit quelques pages admirables sur le rôle social de l’officier. […] Les jeunes protestants se rattachent aisément aux idées qu’a développées le général Lyautey sur le rôle social de l’officier.

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