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840. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

Première journée   La vue d’une vaste forêt de sapins, la vue des grands bois, rappelle celle de l’Océan. […] — Je l’ai vue aller à la messe, est-ce qu’elle est dévote ? […] Il avait complètement oublié son nom ; il ne se souvenait même pas de l’avoir jamais vue. […] La foule recueillie et grave, la vue de visages amis, l’harmonie du chant, l’odeur de l’encens, les longs rayons obliques du soleil, l’obscurité des voûtes et des murailles, tout parlait à son cœur. […] Elle s’arrêta tout à coup et se tut à la vue d’un étranger ; mais ses yeux limpides, fixés sur lui, gardèrent leur expression caressante ; les frais visages ne cessèrent point de rire.

841. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Un garçon d’auberge disait que « la vue d’un prêtre le rendait malade, et qu’il ferait soixante milles pour en faire coffrer un. » L’évêque Fitz James écrivait que « les gens de Londres étaient si malicieusement disposés en faveur de la perversité hérétique, qu’assemblés en jury ils condamnaient n’importe quel clerc, fût-il aussi innocent qu’Abel338  » ; Wolsey lui-même parlait au pape « du dangereux esprit » qui se répandait parmi le peuple, et il méditait une réforme. […] On croyait en suivre une, en voilà une seconde qui commence, puis une troisième qui coupe la seconde, et ainsi de suite, fleur sur fleur, girandole sur girandole, si bien que sous les scintillements la clarté se brouille, et que la vue finit par l’éblouissement. […] La pensée d’un danger impossible l’effrayait autant que la vue d’un péril imminent. […] Et tous les habitants de la cité les appelaient les saints, les rachetés du Seigneur. —  Et s’approchant de la cité, ils en eurent une vue encore plus parfaite. […] Pour y entrer, il ne reste à franchir qu’un courant profond où l’on perd pied, où l’eau trouble la vue, et qu’on appelle la rivière de la Mort.

842. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Pour bien comprendre cette vérité, il ne faut point circonscrire sa vue dans les murailles de Paris ; il faut envisager l’Europe ; voir les établissemens nombreux & utiles qui s’élèvent de toutes parts, passer les mers ; regarder l’Amérique & méditer sur la révolution étonnante qui s’y prépare(7). […] Il y a des nuances dans l’organe de la vue, qui font que le bleu de l’un n’est pas le bleu de l’autre. […] Si l’on excepte le rôle de Phèdre, il a gâté les Tragédies Grecques qu’il a copiées ; il a efféminé l’Art, il a mis des Madrigaux à la place de l’éloquence, & ses plans, plus ou moins rétrécis, n’offrent qu’un patron immuable, empreinte fidelle de la stérilité de son imagination & de la petitesse de ses vues. […] Or, les vues courtes s’obstinant sur une vérité qu’il leur est impossible de féconder, la vérité prend entre leurs mains l’insuffisance la plus stérile. […] J’aime cent fois mieux, puisqu’il faut m’expliquer, les Ouvrages du fils, remplis de vues fines, délicates & vraies, & d’appercevances neuves sur le cœur des femmes.

843. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

La religion primitive, vue par le côté que nous envisageons d’abord, est une précaution contre le danger que l’on court, dès qu’on pense, de ne penser qu’à soi. […] Mais il est de l’essence de l’intelligence de combiner des moyens en vue d’une fin lointaine, et d’entreprendre ce qu’elle ne se sent pas entièrement maîtresse de réaliser. […] Cette chose peut n’avoir été qu’entrevue ; elle peut avoir été mal vue ; elle peut avoir été jetée pêle-mêle avec d’autres dont il faudra l’isoler. […] Mais a priori, il était déjà invraisemblable que l’humanité eût commencé par des vues théoriques, quelles qu’elles fussent. […] Parlons donc de la mythologie, sans jamais perdre de vue ce qui en avait été le point de départ, ce qu’on aperçoit encore par transparence au travers d’elle.

844. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Véron.] » pp. 530-531

Vous avez dit ce qui était à dire : il aimait l’esprit et il en avait ; il avait un grand sens, — ce bon sens qui se trouve au fond de tout bonheur : il y mêlait, comme vous l’observez très bien, quelque légèreté (mot qui étonne à première vue) et de l’inconstance.

845. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Riposte à Taxile Delord » pp. 401-403

Jeune homme, qui vous destinez aux lettres et qui en attendez douceur et honneur, écoutez de la bouche de quelqu’un qui les connaît bien et qui les a pratiquées et aimées depuis près de cinquante ans, — écoutez et retenez en votre cœur ces conseils et cette moralité : Soyez appliqué dès votre tendre enfance aux livres et aux études ; passez votre tendre jeunesse dans l’etude encore et dans la mélancolie de rêves à demi-étouffés ; adonnez-vous dans la solitude à exprimer naïvement et hardiment ce que vous ressentez, et ambitionnez, au prix de votre douleur, de doter, s’il se peut, la poésie de votre pays de quelque veine intime, encore inexplorée ; — recherchez les plus nobles amitiés, et portez-y la bienveillance et la sincérité d’une âme ouverte et désireuse avant tout d’admirer ; versez dans la critique, émule et sœur de votre poésie, vos effusions, votre sympathie et le plus pur de votre substance ; louez, servez de votre parole, déjà écoutée, les talents nouveaux, d’abord si combattus, et ne commencez à vous retirer d’eux que du jour où eux-mêmes se retirent de la droite voie et manquent à leurs promesses ; restez alors modéré et réservé envers eux ; mettez une distance convenable, respectueuse, des années entières de réflexion et d’intervalle entre vos jeunes espérances et vos derniers regrets ; — variez sans cesse vos études, cultivez en tous sens votre intelligence, ne la cantonnez ni dans un parti, ni dans une école, ni dans une seule idée ; ouvrez-lui des jours sur tous les horizons ; portez-vous avec une sorte d’inquiétude amicale et généreuse vers tout ce qui est moins connu, vers tout ce qui mérite de l’être, et consacrez-y une curiosité exacte et en même temps émue ; — ayez de la conscience et du sérieux en tout ; évitez la vanterie et jusqu’à l’ombre du charlatanisme ; — devant les grands amours-propres tyranniques et dévorants qui croient que tout leur est dû, gardez constamment la seconde ligne : maintenez votre indépendance et votre humble dignité ; prêtez-vous pour un temps, s’il le faut, mais ne vous aliénez pas ; — n’approchez des personnages le plus en renom et le plus en crédit de votre temps, de ceux qui ont en main le pouvoir, qu’avec une modestie décente et digne ; acceptez peu, ne demandez rien ; tenez-vous à votre place, content d’observer ; mais payez quelquefois par les bonnes grâces de l’esprit ce que la fortune injuste vous a refusé de rendre sous une autre forme plus commode et moins délicate ; — voyez la société et ce qu’on appelle le monde pour en faire profiter les lettres ; cultivez les lettres en vue du monde, et en tâchant de leur donner le tour et l’agrément sans lequel elles ne vivent pas ; cédez parfois, si le cœur vous en dit, si une douce violence vous y oblige, à une complaisance aimable et de bon goût, jamais à l’intérêt ni au grossier trafic des amours-propres ; restez judicieux et clairvoyant jusque dans vos faiblesses, et si vous ne dites pas tout le vrai, n’écrivez jamais le faux ; — que la fatigue n’aille à aucun moment vous saisir ; ne vous croyez jamais arrivé ; à l’âge où d’autres se reposent, redoublez de courage et d’ardeur ; recommencez comme un débutant, courez une seconde et une troisième carrière, renouvelez-vous ; donnez au public, jour par jour, le résultat clair et manifeste de vos lectures, de vos comparaisons amassées, de vos jugements plus mûris et plus vrais ; faites que la vérité elle-même profite de la perte de vos illusions ; ne craignez pas de vous prodiguer ainsi et de livrer la mesure de votre force aux confrères du même métier qui savent le poids continu d’une œuvre fréquente, en apparence si légère… Et tout cela pour qu’approchant du terme, du but final où l’estime publique est la seule couronne, les jours où l’on parlera de vous avec le moins de passion et de haine, et où l’on se croira très clément et indulgent, dans une feuille tirée à des milliers d’exemplaires et qui s’adresse à tout un peuple de lecteurs qui ne vous ont pas lu, qui ne vous liront jamais, qui ne vous connaissent que de nom, vous serviez à défrayer les gaietés et, pour dire le mot, les gamineries d’un loustic libéral appelé Taxile Delord.

846. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Table »

Bayreuth (histoire du théâtre de Richard Wagner à Bayreuth), par Édouard Dujardin avec la vue intérieure du théâtre de Bayreuth.

847. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre premier, premières origines du théâtre grec »

La danse l’initie à cette seconde vue ; elle transfigure le corps en lui donnant deux ailes, l’élan et le rythme ; elle le dégage, pour un instant, des tristes lois de la pesanteur.

848. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XI. Des Livres sur la Politique & le Droit Public. » pp. 315-319

Celui d’Alberoni vaut beaucoup mieux ; l’auteur étoit un éloquent bavard, qui avoit de grandes vues avec une petite ame.

849. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Édouard Fleury »

de ces confesseurs de la foi livrés aux bêtes de la Révolution française ; mais il a aussi, chose plus méritoire, la vue très nette de ce que la France — la France terrienne, la France politique, — doit à ce clergé qu’elle a traité en 1792 avec une si cruelle ingratitude.

850. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Elle diminuait à vue d’œil. […] Delatouche avait en parlant des vues pleines de finesse, de plaisanteries ingénieuses. […] À cette vue, une Dame ennemie, trouve le suprême argument : elle s’évanouit. […] La pauvre grand-mère au visage parcheminé s’use la vue à coudre. […] La recherche de cet effet au moyen de la vue est moins artistique et entraînera de plus grands frais de mise en scène.

851. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

J’ai choisi, parmi ceux qui évoluent aux environs de la quarantaine, les heureux que leur talent, la faveur du public, l’endroit même où ils écrivent, ont mis le plus en vue. […] Il ne l’a jamais vue qu’en peinture ! […] On le perd quelquefois de vue, cet ouvrage ; on l’oublie de longs moments ; mais on finit toujours par le retrouver. […] On le voit, nous sommes bien loin d’avoir une vue d’ensemble des idées dirigeantes qui dans le présent préparent l’avenir de la France. […] Et c’est pour le lecteur un charme, au milieu des raisonnements arides qui se suivent sans trêve, de pouvoir reposer ses regards sur cette vue rafraîchissante.

852. (1900) Molière pp. -283

Weiss l’a recueillie à peu près telle quelle, l’a parlée, de nouveau, au papier, en quelque sorte pour mémoire, en vue d’une publicité possible, mais lointaine, et dont l’heure n’est jamais venue. […] Il n’y a pas de vue nouvelle trouvée depuis, pas de théorie nouvelle inventée depuis, qui ne soient en germe là. […] Armande Béjart, qu’il a épousée, est née sous ses yeux, il l’a vue grandir, elle a été formée par lui ; c’est précisément ainsi qu’Arnolphe forme, pétrit, élève Agnès pour en faire sa femme. […] Quelle est la part de passion personnelle qu’y a apportée Molière, et quelle est la part de vue large et impartiale des choses ? […] Molière, par la divination du génie, l’a vue telle ; et il l’a conçue comme le pendant et la conséquence nécessaire de la fausse dévotion, il a conçu Dom Juan comme le pendant de Tartuffe.

853. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

La passion, elle-même, gagne à être vue dans un milieu pittoresque. […] Walker ont été aussi claires et aussi simples que ses vues étaient admirables. […] Wyke Bayliss, il faut reconnaître que ses vues sur l’art sont au dernier point banales et vieillottes. […] Quelques-uns d’entre eux expriment les vues personnelles de M.  […] Ce changement n’est peut-être pas très apparent à première vue.

854. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Pour qui veut s’instruire dans la science de l’homme, c’est le procédé le plus décevant que celui qui consiste à disposer sa vue sur beaucoup de spectacles. […] Le naturalisme avait fait ce miracle de brouiller la vue de cet observateur au regard si net. […] L’auteur s’y amuse visiblement à scandaliser les badauds en leur montrant l’humanité vue de l’intérieur d’une maison de tolérance. […] Il a vu, suivant une belle expression qui est de Maupassant, « l’autre face des choses » ; et pour l’avoir vue il se déprend à jamais de cette vie d’apparence et de mensonge. […] De même il s’interdit les vues d’ensemble.

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