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281. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

» On ouvre la porte du cabinet de Thierry, fermé à double tour, et sans une minute de discussion, ni débat, sans un bruit de voix en notre faveur, nous entendons les boules tomber, et par une porte entr’ouverte sur le corridor, nous voyons tout le comité disparaître avec un bruit de pas qui se sauvent. […] Il a osé des choses monstrueuses, mais en les sauvant, avec ces atténuations de la voix, cette grâce légère de la langue, que possède ce gros homme, si délicat causeur. Et l’on goûtait un rare et étrange plaisir, en ce salon princier, oubliant de se scandaliser, de ces contes, de ces paradoxes, de ces récits crus de voyages, où semblait se faire entendre la double voix de Rabelais et de Diderot. […] Un singulier persifleur, ce fils Giraud : un bouffon sentimental, galant et un peu poitrinaire, disant aux femmes d’une voix soupirante, avec un sourire de jeune faune, des choses énormes et de terribles blagues de tendresse, — une sorte de guitarero de l’ironie de l’amour. […] Tout le dîner se passe à chercher le moyen de faire raconter par M. de Pongerville, ses deux uniques histoires : son entrevue avec Louis XVIII et son entrevue avec Millevoye, — de manière à lui gagner sa voix pour Gautier.

282. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

La voix de M.  […] À chaque faute que commet l’empereur Napoléon, sa voix s’élève comme celle d’une vigie pour annoncer le dénoûment encore lointain. […] Pendant ce rapide séjour, il a déjà entendu la voix de la poésie ; mais cette voix, trompeuse comme celle de l’écho, l’a appelé vers la tragédie. […] La lice est ouverte, les barrières tombent, et la voix du juge du camp a crié d’en haut : « Laissez aller !  […] C’était la nature parlant par ses mille voix au cœur encore vierge de l’homme ; mais, enfin, c’était de la poésie.

283. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

Je sais qu’on a déjà opposé spirituellement à mes raisons que nous sommes suffisamment informés par rapport à notre objet ; que nous n’en sommes pas à découvrir un génie ni même un grand talent nouveau ; que la voix publique ne nous impose impérieusement aucun de ces choix dont la notoriété éclatante est comme en droit de faire violence à l’esprit naturellement conservateur et aux préventions mêmes des compagnies. […] Après tout, il serait singulier que cette voix de discussion, qu’on dit bonne en tout lieu et en toute matière, n’eût qu’inconvénients et inutilité au sein de l’Académie. […] Et quand même, après examen et franche discussion, « il ne sortirait pas de résultat bien différent de celui qu’on peut attendre du monde d’aujourd’hui, ce serait du moins une satisfaction accordée à la minorité de l’Académie ; car voir surgir sans cesse des candidats imprévus, qui ne relèvent que de leur caprice et du bon plaisir d’une majorité qui les suscite ou qui les adopte sans jamais donner de raisons ni d’explication ; subir ces choix de confrères nouveaux, sans avoir eu soi-même voix au chapitre (car un vote muet n’est pas une voix), sans avoir été mis préalablement à même de parler et de répondre, de dire ce qu’on pense et de faire dire aux autres ce qu’ils pensent aussi, sans avoir été bien et dûment vaincu ou (qui sait ?)

284. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poëme des champs par M. Calemard de Lafayette. »

Après l’apothéose, après les gémonies, Pour le vorace oubli marqués du même sceau, Multitudes sans voix, vains noms, races finies, Feuilles du noble chêne ou de l’humble arbrisseau ; Vous dont nul n’a connu les mornes agonies, Vous qui brûliez d’un feu sacré dès le berceau, Lâches, saints et héros, brutes, mâles génies, Ajoutés au fumier des siècles par monceau ; Ô lugubres troupeaux des morts, je vous envie, Si quand l’immense espace est en proie à la vie, Léguant votre misère à de vils héritiers, Vous goûtez à jamais, hôtes d’un noir mystère, L’irrévocable paix inconnue à la terre, Et si la grande nuit vous garde tout entiers ! […] D’irréparables fleurs gisent sur nos collines ; Tout dort ; seule, une voix, la voix de nos ruines, Nous dit : Cueille, il le faut, les roses de l’oubli ! […] En vain, pour l’égayer, ses compagnes nageant Se lancent au hasard l’eau que leur main effleure, Et folles, pour hâter le pas traînant de l’heure, Entrechoquent leurs voix et leurs rires d’argent.

285. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

La musique, la poésie, l’éloquence ne peuvent se passer du rhythme, de la cadence, de variations dans le volume de la voix, le ton, etc. […] Soit le rire qui résulte d’une cause physique (froid, chatouillement) ; la décharge agira d’abord sur les muscles qui se meuvent le plus habituellement, c’est-à-dire ceux de la bouche et des organes de la voix ; si elle est très forte, elle agira sur d’autres parties du corps comme dans le rire violent. […] Supposer un vrai ou un bien indépendant des jugements individuels, c’est ressembler à l’homme qui, entendant chanter en chœur, supposerait une voix abstraite universelle, distincte et indépendante des voix particulières.

286. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

C’est la voix du phonographe ! […] J’entendais des rires, des voix gaies qui fredonnaient. […] fait une voix, l’opposition ne désespère point de passer du côté du manche !  […] cet air, cette voix ! […] Lorsqu’il récite ses vers, sa voix devient émouvante extraordinairement.

287. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

Elle répondit d’une voix basse, accablée : — Dans le buffet. […] Il se retourna indigné, mais la voix du jeune officier commanda furieusement : « Portez… armes ! […] Et une voix s’entendait, venant il ne savait d’où, une voix sévère et stridente, dont les éclats rejaillissaient sur les murailles comme un fracas de verre brisé. […] Et une voix nouvelle monta, douce, insinuante, nasillarde, cajoleuse comme un son de flûte. […] En me voyant paraître, les trois pauvresses cessèrent d’égrener de leur voix chevrotante les syllabes latines.

288. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

que ne suis-je l’âme invisible d’un son délectable, une voix vivante, une jouissance incorporelle ! […] C’est bien la lutte du désespoir contre l’héroïsme ; c’est bien d’un côté la voix de l’enfer qui essaye de vaincre en redoublant la souffrance, de l’autre, la voix du ciel qui console et qui engage à persévérer. […] Malheur à qui épuise pour la foule sa voix ou sa langue !… La langue ment à la voix, et la voix ment aux pensées… La pensée s’envole rapide de l’âme avant d’éclater en mots, et les mots submergent la pensée et tremblent au-dessus de la pensée, comme le sol sur un torrent englouti et invisible. […]VOIX DES ANGES.

289. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre premier. Impossibilité de s’en tenir à l’étude de quelques grandes œuvres » pp. 108-111

Mais qu’un homme, un grand écrivain, si l’on veut, vienne préciser ce qui était nuageux, condenser ce qui était éparpillé, mettre en pleine lumière ce qui était encore enveloppé d’ombre, exposer brillamment ces besoins que beaucoup sentaient sans en avoir la conscience bien nette, alors on lui sait gré d’avoir « dit le secret de tout le monde », d’avoir exprimé tout haut ce que tant d’autres pensaient tout bas, d’avoir donné une voix à des aspirations jusque-là presque muettes. […] C’est seulement après sa mort qu’il est réhabilité, remis à son rang ; c’est du fond du tombeau que sa voix se fait écouter et vient éveiller dans les âmes un écho tardif.

290. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Émile Augier »

qu’il demande à Dieu quelque Laprade encore » — si on peut trouver deux Laprades dans la littérature contemporaine, — ou quelque sous Laprade, — qui fasse entendre la voix d’un courroux attardé ! […] Ils ont crié à la ciguë, parce que, dans cette comédie du Fils de Giboyer, plutôt scribouillée qu’écrite, l’aimable auteur a personnifié ce terrible parti catholique, qui doit avaler prochainement la civilisation si on ne se met en travers, par un marquis Samson, à voix de tabatière, par deux Putiphars, par un Prudhomme, industriel enrichi, etc.

291. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

La loi régnait seule ; fondée sur la volonté de Dieu, et soutenue par la voix unanime du peuple, elle avait son trône dans le temple national. […] Cette prosodie de la consonance de deux pensées se répondant, comme deux voix, du commencement du vers et à la fin de la strophe, avait sans doute été inspirée aux premiers poètes ou prophètes hébreux par la nature de leur contrée. […] Les pasteurs de cette nation pastorale, frappés sans doute de la symétrie avec laquelle ces ravins, ces rochers, ces cavernes répétaient leurs flûtes ou leur voix, cherchèrent naturellement à imiter cette répétition musicale dans leur prosodie. […] « Et, n’entendant aucune voix distincte sortir de sa bouche, mais voyant seulement le mouvement convulsif de ses lèvres balbutiant, le grand prêtre crut que cette femme était ivre de vin, et il dit à cette femme : Jusqu’à quand durera votre ivresse ? […] » Cette femme qui paraît ivre du jus de la vigne, qui balbutie jusqu’à extinction de voix et de mouvement inarticulé de ses lèvres, et qui répand son âme devant l’autel jusqu’à ce que son Dieu l’exauce et que l’homme s’y trompe, n’est-elle pas la plus parfaite et la plus touchante image du délire lyrique de David ?

292. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1863 » pp. 77-169

Par une découpure de décor, de temps en temps, un coin de scène, une bouffée de musique, un bruit de voix. […] Nous montons dans du noir, où l’on heurte des voix, nous ouvrons une loge de seconde. […] demande la voix de la censure. […] Cela ressemble au château de la Foire, dans une féerie, où Lebel s’écrierait avec sa voix de stentor : « Allons ! […] Aux bureaux de leurs caisses, les hôtels montrent de vieilles femmes, dont les voix vous rappellent des voix d’autrefois entendues au théâtre.

293. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

On évite de venir à leur retraite parce qu’ils sont compromettants et aussi parce que leur voix importune. […] Lui, d’une voix triste : Cruel problème ! […] Seulement il murmure d’une voix triste : Cruelles énigmes ! […] Oui, il a entendu la voix du Très-Haut tout à l’heure. […] On lui avait dit assez souvent que sa voix était une fortune.

294. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

mais, je vous prie, dans ce profond silence de la littérature facile, quelles voix se feront entendre ? […] En vain on le priait, on le suppliait ; en vain les femmes les plus charmantes lui disaient d’une voix tendre : « Soyez des nôtres !  […] » répondait-elle de cette douce voix qui allait à l’âme. […] de sa douce voix. […] Elle parle, — vous la reconnaissez à sa voix.

295. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Ses cheveux étaient d’un blond cendré : elle était très mignonne, très timide et très blanche ; une voix nette, juste et flûtée, mais qui n’osait se développer. […] Au bruit que fit l’officier en entrant, le solitaire, sans se retourner et sans regarder, s’écria d’une voix triste : Qui est là, et que me veut-on ? […] C’en est une grande pour moi de voir des hommes, d’entendre le son de la voix humaine, qui semble me fuir. […] Quand je revenais à l’aube du jour prier Dieu sous ces arbres, la porte de la tour s’ouvrait doucement, et la voix de ma sœur se mêlait insensiblement à la mienne. […] Le Lépreux, à la fin de ce récit, couvrit son visage de ses mains ; la douleur ôtait la voix au voyageur.

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