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644. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre X. Mme A. Craven »

C’est religieux et mondain à la fois, mais dans la bonne mesure, et sans la plus petite découverte, dangereuse ou encourageante, soit dans le vice, soit dans la vertu. […] Je ne veux pas, certes, vous faire passer davantage par l’analyse de ces insignifiances, car, après tout, la vertu, pour moi, n’est pas une platitude, et, comme les femmes, elle doit avoir des rondes-bosses, et je ne suis pas un secrétaire perpétuel de l’Académie !

645. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

En attendant les Bâtards célèbres, qu’un ancien journaliste, dit-on, va publier, il est un bâtard qu’on réédite avec beaucoup de soin, c’est Chamfort14, Chamfort, le plus spirituel et le plus malheureux peut-être de tous ces malheureux qui veulent porter aussi haut le vice de leur naissance que si c’était une vertu, et qui ne savent pas s’en faire une ! […] Nous sortons tous d’un passé qui parfume ou souille à jamais la coupe du sang de notre vie, si nous ne mettons pas notre vertu à l’épurer.

646. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

Quoiqu’ils y eussent vu pourtant aussi, avec une masse trop forte, et, selon moi, exagérée de vertus et de sentiments individuels, les corruptions, les dépravations et les abominations de ce temps d’une immoralité à côté de laquelle peut-être rien ne peut être mis, sans déchet, dans l’histoire du monde, il n’en résultait pas moins, de l’effet prismatique de leur livre, que, tout compte fait, le xviiie  siècle était une époque qui valait mieux que ce qu’on en croyait et que ce qu’il en fallait croire. […] Elles martyrisent l’honnête femme dont la vertu leur déplaît ; et, font-elles touchée à mort, elles poussent ce cri de vipère : “Ah !

647. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Oscar de Vallée » pp. 275-289

Quelque grandeur qu’on ait en soi, on gagne toujours quelque chose à être chrétien… Le Christianisme ajoute au génie comme il ajoute à la vertu, et M.  […] Ce sont ses jours d’esprit, à la gloire… Je m’en vais même, ici, dire une chose qui fera trembler les moralistes, si elle ne les révolte pas, Est-ce parce que les vertus, le courage, l’héroïsme sont plus communs que le génie, que le génie les fait oublier ?

648. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Benjamin Constant »

Aussi, en désespoir de cause, ils aimèrent mieux, sans aucune expérimentation possible, faire de cette céleste Récamier une espèce de monstre physiologique, que d’admettre le monstrueux prodige moral d’une vertu qui leur avait toujours résisté. […] Dieu ne l’avait pas prise avarement pour lui et mise sous ce voile qui semble transparent et qui a l’épaisseur d’un bouclier… C’était simplement une mondaine, et les vertus, on le sait, des mondaines, ont la fragilité de leurs faibles cœurs.

649. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « G.-A. Lawrence »

Ce Richard cœur de lion et articulation de lion, qui n’a pas, lui, les immensités d’une Croisade, comme les lions ont pour leurs bonds terribles les immensités du désert ; ce Plantagenêt civilisé, idéal de cette société mélangée de Saxon et de Normand qu’on appelle la société anglaise, mais bien plus Anglais de race et de physique que les héros de Lord Byron, dont le défaut peut-être est de n’avoir pas assez de physionomie historique ; Guy Livingstone a cependant, comme les héros de Byron, ce charme de la goutte de lumière dans l’ombre et d’une seule vertu parmi plusieurs vices qui a toujours ensorcelé l’âme des hommes et qui l’a transportée d’enthousiasme, bien plus, hélas ! que l’étendue de la lumière complète et que la pureté de toutes les vertus… Guy Livingstone, le dandy orgueilleux, l’âme invulnérable, le buveur qui eût vidé, sans seulement sourciller, la coupe d’Hercule, n’a été dressé sur sa base d’acier par son inventeur que pour mourir de désespoir sous le simple refus de pardon d’une femme aimée et offensée !

650. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « MM. Delondre et Caro. Feuchtersleben et ses critiques. — L’Hygiène de l’âme » pp. 329-343

Ce médecin, de par le spiritualisme, ne tue pas le corps au profit de l’âme, ce que font très bien les ascètes et les grands mortifiés religieux, mais il guérit le corps par la vertu médicinale de l’âme et l’empêche de mourir, — quoiqu’il soit très bien mort, lui, à la fleur de son âge, ou en plein fruit, si vous aimez mieux, et très inconséquemment aux préceptes du catéchisme de santé dont il vient de doter l’Allemagne ! […] Il aurait vu alors que même la religion ne guérit que nos vices, et qu’elle nous donne souvent des maladies sublimes, — les maladies de nos vertus !

651. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « G.-A. Lawrence » pp. 353-366

Ce Richard cœur de lion et articulation de lion, qui n’a pas, lui, les immensités d’une Croisade, comme les lions ont pour leurs bonds terribles les immensités du désert ; ce Plantagenêt civilisé, idéal de cette société mélangée de Saxon et de Normand, qu’on appelle la société anglaise, mais bien plus Anglais de race et de physique que les héros de lord Byron, dont le défaut peut-être est de n’avoir pas assez de physionomie historique, Guy Livingstone a cependant, comme les héros de Byron, ce charme de la goutte de lumière dans l’ombre et d’une seule vertu parmi plusieurs vices qui a toujours ensorcelé l’âme des hommes et qui l’a transportée d’enthousiasme, bien plus, hélas ! que l’étendue de la lumière complète et que la pureté de toutes les vertus !

652. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

Cependant, on peut dire qu’elle eut moins de grandes vertus, que le goût des grandes choses, et qu’elle inspira plutôt l’étonnement que l’admiration. […] Mais, en dédaignant les bienséances, elle parut ne pas assez connaître les hommes, qui entre eux ont institué des signes pour reconnaître tout, et même la vertu.

653. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

Aimons donc à le dire : dans la religion, dans la science, dans les arts, dans la vertu politique enfin, ce dernier but de la société civile, il reste encore, il se reproduira sans cesse un levain précieux d’enthousiasme. […] Qu’avec la culture élevée des sciences et sous leurs auspices, les applications puissantes des arts, les vertus civiles et les notions généreuses qui en sont la source s’étendent à l’orient de l’Europe ; que le droit public chrétien y soit la règle de la force, que la servitude domestique, que la captivité et la vente de l’homme n’y soient plus souffertes sur aucun point du territoire ; que la civilisation européenne, portée si loin par nos vaisseaux, rayonne autour de son foyer et gagne les riches contrées qui l’entourent, à la distance d’un détroit de quelques lieues : et l’Europe n’aura rien à craindre de ces millions d’hommes multipliés si vite dans l’Amérique du Nord, et qui vont s’étendant de déserts en déserts sur celle du Midi.

654. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

J’aime beaucoup les commentateurs s’acharnant à soutenir que Molière s’inspira, pour cette grande figure d’Alceste, des rudes vertus de M. de Montausier ! […] Il a, ce Molière, toute l’honnêteté bourgeoise, toute la probité, toute l’humeur laborieuse de sa famille ; il a la science, la mesure, le goût du beau, l’amour du bien, la soif inassouvie du bonheur, le courage dans la souffrance, il a surtout la pitié, cette vertu suprême, cette vertu des grands cœurs, et l’on ne peut s’empêcher de l’aimer après l’avoir admiré. […] Voilà Paris en ébullition, les ennemis sur pied, les dévots en armes, les fanfarons de vertu prêts au combat. […] L’auteur, faisant allusion à Molière, écrit qu’il « cache sous une fausse vertu tout ce que l’insolence a de plus effronté ». […] Et, au-dessus de leurs passions et de leurs vices, de leurs faiblesses et de leurs vertus, il semble qu’il ait proclamé avant tout cette vérité suprême : N’aime que le vrai, le simple, le bon, la clarté et le bon sens, tout ce qui fait la force et la vertu de notre vieille humeur française !

655. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

Enfin la lassitude de tes bonnes pensées finissant par atteindre jour à jour, par atrophier ton cœur, et par t’assimiler ce mot de Brutus : Vertu, tu n’es qu’un nom ! […] Voici cette note : « Le nombre des statues était si considérable en Grèce qu’on aurait pu dire des Grecs, à l’époque où ils avaient perdu avec la liberté les vertus de leurs ancêtres, qu’il y avait chez eux plus de dieux que d’hommes. […] L’Athénien qui se rendait de sa maison à l’assemblée du peuple rencontrait partout sur son passage les figures des divinités protectrices de la cité, celles des magistrats et des héros révérés pour leur courage et pour leurs vertus civiques et patriotiques ; il s’avançait au milieu de la majesté de ces souvenirs comme sous les portiques d’un temple ; et la Vénération, comme une muse de la religion et de la patrie, se levait à son approche du pied des statues, et l’accompagnait à travers la ville jusqu’au lieu consacré par la solennité des délibérations populaires. […] et que de génie, de grandeur, de sagesse, de lumière, de vertu même (car non loin de là mourut Socrate) pour ce temps ! […] LXVII À mesure que les religions se spiritualisent, les temples s’en vont : le christianisme lui-même, qui a construit le gothique pour l’animer de son souffle, laisse ses admirables basiliques tomber peu à peu en ruine ; les milliers de statues de ses saints descendent par degrés de leurs socles aériens autour de ses cathédrales ; il se transforme aussi, et ses temples deviennent plus nus et plus éclairés à mesure qu’il se dépouille des superstitions de ses âges de crépuscule et qu’il résume davantage la grande lumière qu’il propagea sur la terre, la pensée du Dieu unique prouvé par la raison et adoré par la vertu.

656. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

Il la réduit à la morale, aux vertus sociales : il en exclut ce qui en est l’essentiel pour un dévot, disons pour un chrétien. […] Comme toute morale qui pose en principe la bonté de la nature et la légitimité de l’instinct, et qui veut éviter de déchaîner la brutalité des appétits, la morale de Molière aboutit à identifier la vertu ivec l’altruisme. Le soin de la perfection intime se subordonne aux vertus sociales, à la sympathie, à la bienfaisance. […] Pour ce probe esprit de philosophe, le respect de la vérité sera la vertu par excellence, l’unique vertu qui doive être pratiquée pour elle-même, et sans avoir égard aux conséquences.

657. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

C’est par ce que j’ai vu de ces excellents marins et ce que j’ai lu et entendu des paysans de Lithuanie ou même de Pologne, que j’ai formé mes idées sur la vertu innée de nos races, quand elles sont organisées selon le type du clan primitif. […] Je ne comprenais que vaguement, déjà cependant j’entrevoyais que la beauté est un don tellement supérieur, que le talent, le génie, la vertu même, ne sont rien auprès d’elle, en sorte que la femme vraiment belle a le droit de tout dédaigner, puisqu’elle rassemble, non dans une œuvre hors d’elle, mais dans sa personne même, comme en un vase myrrhin, tout ce que le génie esquisse péniblement en traits faibles, au moyen d’une fatigante réflexion. […] Le moindre acte de vertu, le moindre grain de talent, me paraissent infiniment supérieurs à toutes les richesses, à tous les succès du monde. […] Quant au faucon, il se tient tranquille dès que la vertu, par ses sacrifices, lui procure des avantages supérieurs à ceux qu’il atteindrait par sa propre violence. Tirant profit de la vertu, il a intérêt à ce qu’il y en ait ; ainsi, au prix de l’abandon de sa partie matérielle, le sage atteint son but unique, qui est de jouir en paix de l’idéal.

658. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Quoiqu’il ait rejeté loin de lui tout le luxe de la royauté, qu’il n’ait conservé qu’un seul bracelet devenu trop lâche, et qui retombe incessamment sur son poignet amaigri ; que ses lèvres soient desséchées par l’ardeur de ses soupirs, et que ses yeux soient enflammés par la continuité des veilles auxquelles le condamnent ses pensers douloureux ; eh bien, malgré tout cela, il éblouit encore par l’éclat de ses vertus : semblable à un magnifique diamant qui, par les mille feux dont il brille, ne laisse point soupçonner qu’il ait rien perdu de son poids sous les doigts habiles du lapidaire qui l’a taillé. » Le roi paraît, s’avançant lentement et comme abîmé dans ses pensées. […] VI La vertu, et non la passion, est le but moral des drames poétiques de l’Inde ; leur poésie, plus philosophique que la nôtre, tend à calmer l’âme du spectateur, et non à la troubler. […] « Simplicité de cœur, sobriété de paroles, modestie de maintien, innocence même de pensées, pureté d’imagination, affections pieuses, voilà la vertu », dit l’anachorète en recevant le tribut de la nymphe. […] Ma chère Sita, faut-il que toutes tes vertus n’aient pas détourné ce destin rigoureux ! […] » La scène s’évanouit après ces paroles, et le peuple édifié sort du spectacle comme d’un temple, où le plaisir même sert de mobile à la religion et à la vertu.

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