quelle touche à la fois fidèle et pieuse en son exactitude austère ! […] Mais quand il vient à se rappeler que cette société, la première qu’il ait remarquée, est aussi la première qui ait disparu à ses yeux ; quand il montre la mort dépeuplant par degrés cette maison heureuse, une chambre qui se ferme et puis une autre, et le quadrille de l’aïeule devenu impossible, faute des partners accoutumés, il touche alors à une corde de sensibilité intime dont ses Mémoires nous rendent plus d’un tendre soupir. […] Enfant (et je me sers à dessein d’expressions ravies), tout devient passion en attendant la passion même ; tout s’épuise, tout se dévore, avant d’être cueilli et touché.
« L’on peut être touché de certaines beautés si parfaites et d’un mérite si éclatant, que l’on se borne à les voir et à leur parler146. » Il y a moyen, avec un peu de complaisance, de reconstruire et de rêver plus d’une sorte de vie cachée pour La Bruyère, d’après quelques-unes de ses pensées qui recèlent toute une destinée, et, comme il semble, tout un roman enseveli. […] C’est la première fois qu’à propos d’un des maîtres du grand siècle on entend toucher cette corde délicate, et ceci tient à ce que La Bruyère, venu tard et innovant véritablement dans le style, penche déjà vers l’âge suivant. […] Mais il n’appartient qu’à lui d’avoir eu l’idée d’insérer au chapitre du Cœur les deux pensées que voici : « Il y a des lieux que l’on admire ; il y en a d’autres qui touchent et où l’on aimerait à vivre. » — « Il me semble que l’on dépend des lieux pour l’esprit, l’humeur, la passion, le goût et les sentiments. » Jean-Jacques et Bernardin de Saint-Pierre, avec leur amour des lieux, se chargeront de développer un jour toutes les nuances, closes et sommeillantes, pour ainsi dire, dans ce propos discret et charmant.
I Lorsque nous voyons ou touchons un objet, lorsque nous entendons un son, lorsque nous éprouvons une sensation de saveur, d’odeur, de froid, de douleur, bref, une sensation quelconque, nous en gardons l’image ordinairement pendant une seconde ou deux, à moins que quelque autre sensation, image ou idée, se jetant à la traverse, ne supprime à l’instant cette prolongation et cet écho. […] Si l’air est très beau et nous a touchés très fort, nous ajoutons que nous avons été transportés, enlevés, ravis, que nous avons oublié le monde et nous-mêmes, que pendant plusieurs minutes notre âme était comme morte et insensible à tout, saut aux sons. — Et, de fait, il y a des exemples nombreux où, sous l’empire d’une idée dominante, toutes les autres sensations, même violentes, deviennent nulles ; telle est l’histoire de Pascal, qui, une nuit, pour oublier de grandes douleurs de dents, résolvait le problème de la cycloïde ; telle est celle d’Archimède, qui, occupé à tracer des figures géométriques, n’avait pas entendu la prise de Syracuse. […] La renaissance partielle aboutit à la renaissance totale. — Cela est tellement vrai, que si, contrariant la tendance naturelle des images à répéter l’ordre des sensations, je fais effort pour remonter la série à rebours, je puis, après des sensations postérieures, évoquer en moi les sensations antérieures, sitôt que je tombe sur le point de contact où elles touchent celles qui les ont suivies.
Je lui suis très reconnaissant en ce qui me touche ; je n’avais jamais été de ses amis, je n’avais aucun droit à m’attendre à ses jugements favorables. […] J’avais un sentiment d’admiration et de pitié pour ces belles îles de l’Archipel, où fleurissent en hommes et en femmes la plus charmante jeunesse du monde ; mais je n’avais aucune haine pour Mahomet et pour ce peuple religieux, pasteur et guerrier, qui était venu à son temps balayer des vallées de Bithynie la corruption byzantine, et prêcher l’unité de Dieu, ce dogme des Arabes, à la place des superstitions ingénieuses de l’Église grecque qui touchent de si près à l’idolâtrie. […] Les bruits de ces villages, qui sont autant de ports, s’éveillaient ; les voix des caïdgis (bateliers) se mêlaient aux cris des goélands ; le brouillard avait laissé sur chaque feuille une goutte de rosée qui étincelait au soleil ; ma promenade fut délicieuse, et je revins chargé de touffes de bruyères, de daphnés et de cistes fleurissant d’eux-mêmes au sein de ces solitudes qui touchent de si près au rivage.
Ce sont nos origines intellectuelles, qui peuvent ne point toucher les autres nations, lesquelles ne sont intéressées qu’à notre maturité, parce que c’est le bien commun de l’Europe moderne. […] Elle n’est, dans la main de l’écrivain, qu’un instrument pour communiquer des idées qui touchent tout le monde, et non une forme complaisante qui l’aide à jouir solitairement de son esprit, à s’entendre lui-même à demi-mot. […] Quels soins pour disposer dans l’ordre naturel tant de pensées qui se présentent isolément et avant leur tour, pour reconnaître les points par où elles se touchent, pour faire un tissu indestructible de tous ces fils dispersés !
Mais ses traits ne touchaient qu’aux abus et n’allaient point jusqu’au dogme. […] Rien n’y ressemble plus que cette mesure avec laquelle il sut railler tout ce qui pouvait être raillé impunément, ne point toucher à ce qui n’avait que le tort de lui être indifférent, garder la réserve sur les choses importantes, jusque dans l’entraînement en apparence irrésistible de son humeur ; outre l’habit ecclésiastique dont il couvrait tout, même certains passages qui sentent fort le matérialisme, moins dangereux d’ailleurs, à cette époque, que l’hérésie. […] Il serait plus téméraire d’affirmer qu’il n’a point été touché des lumières de la religion naturelle.
Le tour d’esprit de Malherbe le portait vers la critique il ne pouvait ni se contenter des apparences, ni supporter les équivoques ; vif, passionné, d’une netteté de langage qui ne souffrait aucune obscurité chez les autres, ayant, dit Racan, une conversation, brusque, où tout mot portait ; intraitable sur tout ce qui touchait à l’art ; risquant ses amitiés, non pour un trait d’esprit, mais pour une vérité utile : témoin sa brouille avec Regnier, neveu de Desportes, qu’il estimait par-dessus tous les autres, mais devant lequel il n’avait pu s’empêcher de préférer un bon potage aux vers de son oncle. […] Ce sont mille traits qui ne touchent pas le but, mille sens douteux, mille finesses sous lesquelles se cachent des niaiseries ; une habitude de tourner tout à l’ingénieux et à la pointe ; toutes sortes de manquements, calculés ou involontaires, à la première loi du langage, la propriété, et, toutefois, une fausse précision qui les dissimule. […] Témoin la naissante Académie française, qui mit trois mois à examiner la Prière pour le roi Henri II allant en Limousin ; encore ne toucha-t-elle point aux quatre dernières strophes.
L’antique, l’éternel précepte : « Si tu veux me toucher, sois ému toi-même », est abrogé au nom du grand art, et le principal souci de ces grands artistes, c’est la crainte de conserver quelque chose d’humain. […] Pour un petit nombre de gens d’esprit que l’art seul avait touchés, combien de suffrages peu dignes d’envie ! […] Il sait que, d’après les croyances puniques, la fortune de la cité est attachée au voile de la déesse Tanit, à ce mystérieux zaïmph que nulle créature humaine ne peut toucher ou voir sans périr.
Les conceptions abstraites de la philosophie et de la science moderne ne sont pas faites pour la langue des vers, mais il y a, une partie de la philosophie qui touche à ce qu’il y a de plus concret au monde, de plus capable de passionner : c’est celle qui pose le problème de notre existence même et de notre destinée, soit individuelle, soit sociale. […] Nul œilde l’infini n’a touché les deux bords : Elargissez les cieux, je suis encor dehors. […] Le masque est si charmant que j’ai peur du visage, Et, même en carnaval, je n’y toucherais pas.
Toute cette blonderie touche à l’aigre-doux. […] La première fois qu’il aperçut Marie de Hautefort, ce fut au sermon, parmi les filles de la reine, assises par terre à ses pieds, selon l’étiquette, et, touché de sa mine discrète, il lui envoya, pour s’asseoir, le coussin de velours fleurdelisé qu’il avait mis sous ses genoux. […] C’est un des plus beaux spectacles qu’on puisse contempler dans l’histoire que ce changement de ceux qui comprennent le pouvoir à mesure qu’ils le touchent et qu’il leur pèse !
On y touchera moins, soyez-en sûrs ! […] Il y a bien, ici et là, la touche étincelante, attendrie ou suave du vieux maître, mais elle est espacée à grands intervalles. […] Toute cette partie du livre, des mères et des enfants, est touchée avec cette sentimentalité noyante, larmoyante et collante, avec ce picotement de muqueuses nasales, cette larme à l’œil qui en résulte et qui fait toujours son petit coup sur les autres muqueuses nasales des gens sensibles.
Il a touché à des fers trop chauds et il s’y est brûlé les doigts. […] Pour en empêcher la consommation menaçante, Feuillet imagine à la Trublet une amie, — invention touchante qui a tant touché qu’elle ne touche plus, — laquelle intervient fougueusement dans cet adultère en fermentation et en demi-bouteille, et, se posant comme la Sabine entre le Sabin et le Romain, étend les bras, et d’une main chasse à Londres le mari furieux, mais docile, pour faire pendant qu’il y sera la cure de sa femme, et de l’autre main elle amène son frère pour aide-médecin dans la cure qu’elle a entreprise.
Pour cela, il faut d’abord remonter très haut, plus haut que les époques qui nous touchent de trop près ; il faut étudier aussi des pays divers, s’expliquer les ressemblances et les différences des évolutions ; mettre à part les modes, les copies, les œuvres dépourvues de sincérité tout aussi bien que les cas exceptionnels ? […] À constater, dans la littérature, ce procédé de saturation progressive et de réaction, il semble qu’on assiste à quelque merveilleux spectacle de la nature : une journée d’été, toute embaumée dans la fraîcheur du matin, radieuse à son midi, puis brûlante et accablante, avec de lourds nuages qui montent de toutes parts, l’orage… et enfin dans la nuit le scintillement des étoiles. — La prédominance de tel ou tel genre littéraire donne une harmonie générale à l’infinie variété des formes et tendances personnelles ; les œuvres de valeur relative préparent les œuvres de valeur absolue ; elles les expliquent…, jusqu’à un certain point ; car, avec les personnalités puissantes et créatrices, nous touchons enfin à l’énigme suprême. […] Dès qu’on touche à l’homme intellectuel et moral, on se perd dans un infini de possibilités.
Par deux points, ce souvenir touche à notre sujet : par l’influence de la tradition littéraire, et par l’effort de la rénovation poétique. […] Oui, Phébus d’un pied favorable a touché le seuil. […] Mais nul autre souffle de la poésie hébraïque ne vint-il toucher les lyres grecques d’Alexandrie ?
Nous touchons évidemment ici le fond des Mystères. […] Sa mémoire devient une chose sainte, il est défendu d’y toucher. […] Lui seul avait le droit d’y toucher. […] L’impérieuse devise : Ne touchez pas à la reine ! […] — je vous touche de mes mains ; — ô chéri de votre sœur !