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698. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Les apostrophes au lac : — « Regarde », « t’en souvient-il ? », la prosopopée au Temps, — le « rivage charmé », le « flot attentif », « gardez, belle Nature, au moins le souvenir » ; — tout cela n’est pas de la littérature, et même de la littérature usée ? […] Hugo et telles que celle-ci : « Comme le souvenir est voisin du remords193 !  […] En général, c’est une occupation amusante de rechercher les véritables causes des événements ; on est tout étonné en voyant la source du fleuve ; je me souviens encore de la joie que j’éprouvai, dans mon enfance, en enjambant le Rhône… — Ce qui me dégoûte, disait une femme, c’est que ce que je vois sera un jour de l’histoire. — Eh ! […] Schiller se plaint à Goethe que Mme de Staël, avec son esprit français, « éloigne de lui toute poésie », parce que « voulant tout expliquer, tout com prendre, elle n’admet rien d’obscur, rien sa raison ne d’impénétrable… Ce que le flambeau de peut éclairer n’existe pas pour elle. » Doudan se souvenait peut-être de Schiller quand il a dit : « Il y a des moments où j’aime autant un grand gâchis qu’une précision étroite.

699. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Il y a de lui une lettre fort connue adressée à Pascal, et dans laquelle il prétend en remontrer à ce génie original, et cela ni plus ni moins que sur les mathématiques ; c’est incroyable de ton : « Vous souvenez-vous de m’avoir dit une fois que vous n’étiez plus si persuadé de l’excellence des mathématiques ? […] Je pense avoir été le premier qui vous ai donné de bonnes leçons37… Je me souviens que je vous instruisois à vous rendre aimable, et que dès lors vous ne l’étiez que trop pour moi… » On a voulu voir dans la suite de la lettre une façon détournée de demande en mariage ; c’est infiniment trop dire : le chevalier badine là-dessus et ne veut que recommander à son ancienne amie un honnête homme qui a besoin de protection. […] J’étois bien triste, et je ne savois par où me consoler ; car de l’ôter de mon cœur, cela me sembloit impossible ; et, quoique le peu d’apparence de pouvoir passer ma vie auprès d’elle m’eût désespéré, je me plaisois trop à m’en souvenir pour essayer de l’oublier. […] Quant à cet autre mot : faire l’esprit, il était du maréchal de Clérembaut, et le chevalier le confirme aussitôt et l’explique de la sorte : « Je me souviens de quelques bons maîtres qui montroient les exercices dans une si grande justesse qu’il n’y avoit rien de défectueux ni de superflu ; pas un temps de perdu, ni le moindre mouvement qui ne servît à l’action. […] Vous souvenez-vous que Mme la marquise de Sablé nous dit qu’elle n’en trouvoit que dans Montaigne et dans Voiture, et qu’elle n’estimoit que cela ?

700. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

Comment ne pas constater le souvenir des efforts qu’ils font tous, et ne pas écrire ce que signerait chacun de ces spectateurs qui les applaudissent avec ivresse ? […] Je restai seul avec cette grande lettre, et je me souviens qu’en fumant ma pipe je la regardais toujours, comme si ses yeux rouges avaient attaché les miens, en les humant comme font les yeux de serpent. […] « Je me souviens que le pauvre garçon fut si désespéré qu’il jeta un grand cri lorsqu’elle dit cela. […] Ensuite, parce que j’étais tourmenté du souvenir de cette première vue, je suis revenu malgré moi à ce point visible, mais incertain. […] Que la France se souvienne qu’elle a perdu en lui un grand écrivain, un grand homme de bien, mais surtout le plus galant homme du siècle.

701. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Le souvenir représentatif du temps où, si soigneuse de lui, sa mère entrait toujours la première dans sa chambre, suffisait pour créer invinciblement l’illusion. […] Montrez-le-moi, ce mortel privilégié : son imagination a tenu toutes ses promesses ; l’amour l’a conduit par la main ; heureux époux, père plus heureux encore, il n’a acheté par aucun tourment le charme des affections du cœur ; il a connu les agréments de la société sans ignorer les plaisirs de la solitude ; il n’a rencontré sur sa route que des hommes bons et généreux, et lui-même n’a jamais vu au fond de son âme que des pensées douces et calmes qu’il s’est plu à entretenir ; il a joui de ses souvenirs comme il avait joui de ses espérances ; il a trouvé dans le passé le gage de l’avenir : montrez-le-moi ! […] Il comprit ce que c’est que la vie d’une nation, l’âme de cet être collectif qui garde son unité à travers ses âges et sous ses continuels développements, la mission départie à chaque peuple en particulier sur la scène du monde ; que les institutions vraies sont filles du temps, qu’elles plongent dans les mœurs et les souvenirs comme un arbre en pleine terre ; que les constitutions rédigées d’après des théories plus ou moins savantes ne sont qu’une juxtaposition provisoire qui peut aider le corps social à refaire sa vie, mais qui n’a pas vie en soi ; qu’ainsi la Charte n’était, à proprement parler, qu’une formule pour dégager l’inconnue, une méthode pour résoudre le grand problème des institutions nouvelles, un appareil fixe sous lequel les os brisés et les chairs divisées auraient le temps de se rejoindre et de se raffermir. […] Ballanche, cette pensée éternelle d’un hymen à la fois accordé et impossible, cette initiation au vrai et au bien par la chasteté et par la douleur : « La douleur, dit Orphée, sera le second génie qui m’expliquera les destinées humaines. » Chaque page nous offre des pensées de tous les temps, dans la magnificence de leur expression : « Souvenez-vous que les Dieux immortels couvrent de leurs regards l’homme voyageur, comme le ciel inonde la nature de sa bienfaisante lumière. » Et encore : « Toutes les pensées d’avenir se tiennent ; pour croire à la vie qui doit suivre celle-ci, il faut commencer par croire à cette vie elle-même, à cette vie passagère. » Enfin, les approches de la mort d’Orphée, les troubles et l’agonie orageuse de cette grande âme qui, comme toutes les âmes divines au terme, se croit un moment délaissée, ont une sublimité égale aux plus belles scènes des épopées modernes. […] Ceux qui se souviennent de leur première soirée chez Mme Récamier dans les jours de l’Abbaye-au-Bois après 1830, ceux qui se rappellent comment, effrayés par la réputation de ses habitués, ils se tenaient timidement dans leur coin, et comment le doux et bienveillant regard de Ballanche venait les rassurer, ne peuvent comprendre qu’on lui pût trouver de la laideur.

702. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Un autre cahier complet de souvenirs ne nous laisse point en doute, et sous le titre : Amorum, contient, jour par jour, toute une histoire naïve de ses sentiments, de son amour, de son mariage, et va jusqu’à la mort de l’objet aimé. […] Ce souvenir du bouquet, que nous trouvons consigné dans son journal, lui inspirait de plus des vers, les seuls dont nous citerons quelques-uns, à cause du mouvement qui les anime et de la grâce du dernier : Que j’aime à m’égarer dans ces routes fleuries Où je t’ai vue errer sous un dais de lilas ! […] J’y voulais retrouver de doux souvenirs dont j’avais, ce jour-là, fait provision, et j’en ai recueilli au contraire de bien plus doux pour une autre fois. […] Celui-ci quitta Lyon qui ne lui offrait plus que des souvenirs déchirants, et arriva dans la capitale, où pour lui une nouvelle vie commence. […] Il n’est pas jusqu’aux vers latins, adressés à son fils en tête du tableau, qui n’aient dû lui retracer un peu ses souvenirs poétiques de 95, un temps plein de charme.

703. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

« Ses larmes seules, dit le poète, baignant les roses et les lis de son beau corps, attestaient qu’elle était animée. » Roger, à l’aspect de ces yeux éplorés, se souvient de sa chère Bradamante ; son coursier replie ses ailes ; Roger parle avec une respectueuse compassion, mêlée d’une galanterie chevaleresque, à Angélique : « Ô beauté céleste, faite pour porter seulement les fers avec lesquels l’amour mène ceux qu’il a enchaînés ! […] Le souvenir de la passion malheureuse de Roland pour Angélique y mêle au charme de la scène on ne sait quel grain de sel comique qui ajoute encore, s’il se peut, à la délicieuse saveur du sujet. […] Mais la jeunesse et la beauté rajeunissent et embellissent jusqu’aux ruines : les fleurs les plus odorantes que le pèlerin cueille, pour respirer des souvenirs avec leur odeur dans les pages de son journal de voyage, sont celles qui croissent sur des tombeaux. […] « Ainsi j’ai vu quelquefois, dit le poète, qui revient en esprit au souvenir de la belle veuve florentine qu’il adore ; ainsi j’ai vu une ligne de pourpre partager une belle toile d’argent sous cette blanche main qui déchire également en deux mon cœur !  […] Et c’est ainsi qu’il faut lire les poètes, à deux, pour qu’un écho du cœur se répercute sur un autre cœur, et pour qu’une impression soit en même temps un souvenir.

704. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Quant à lui, dès cette vie, il veut réaliser son rêve : il fera du passé un éternel présent par la force du souvenir, et il se déclare prêt à dire à la bien-aimée dont les cheveux auraient blanchi, dont les yeux se seraient ternis sous les années : Je vous chéris toujours. . . . . . […] Quand les trois Nornes, assises sur les racines du frêne Yggrasill, symbole du monde, élèvent leurs voix tour à tour, la première chante le passé, car elle est la vieille Urda, « l’éternel souvenir », la seconde chante le présent solennel, le jour heureux et fécond où le juste est né : Ce fruit sacré, désir des siècles, vient d’éclore. […] Même le souvenir, pour lui, se revêt trop du prosaïsme de l’action journalière ; il oublie que le souvenir rend aux choses, en les résumant et les condensant, en quelque sorte, tout le prix qu’elles perdaient par le fractionnement quotidien. […] Voir à travers le souvenir, c’est voir à travers un rayon de lumière : tout semble devenir transparent, s’éclaire, se transfigure ; pourtant rien n’est changé à la réalité, rien, sinon peut-être qu’on en saisit mieux le vrai sens. Coppée est le paisible habitant de Paris qui, du plus loin qu’il se souvienne, se retrouve suivant ces mêmes boulevards qu’il arpente aujourd’hui d’un pas à peine plus tranquille : Et quand mes petits pieds étaient assez solides.

705. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Sa voix maintenant prenait des inflexions plus molles, sa taille aussi ; quelque chose de subtil qui vous pénétrait se dégageait même des draperies de sa robe et de la cambrure de son pied. » Et cet art de raccourci qui surprend en chaque être le trait individuel et différentiel, atteint dans la Tentation de saint Antoine une perfection supérieure ; dans ce livre où chaque apparition est décrite en quelque phrases concises, il n’en est pas qui ne fixe dans le souvenir une effigie distincte, dont quelques-unes — la reine de Saba, Hélène-Ennoia, les femmes montanistes  sont inoubliables. […] La tendresse des anciens jours leur revenait au cœur, abondante et silencieuse, comme la rivière qui coulait, avec autant de noblesse qu’en apportait le parfum des syringas, et projetait dans leurs souvenirs des ombres plus démesurées et plus mélancoliques que celles des saules immobiles qui s’allongeaient sur l’herbe. […] Les Souvenirs de M.  […] Flaubert aussi, et plus complètement, s’échappa résolument à plusieurs reprises hors des sujets qui violentaient sort style ; il satisfit pleinement ses besoins esthétiques, son amour du beau et de l’indéfini, créant la Salammbô et la Tentation, sans plus se souvenir que Paris existait et que le xixe  siècle devait être dépeint. […] Pensant que des acquisitions verbales, failles en état de somnanbulisme, seraient l’anologue du souvenir inconscient que Flaubert pouvait garder de ses lectures, nous avons prié M. le Dr Ch.

706. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Je me souviens aussi du jour et de l’heure où je vis, pour la première fois, au soleil levant d’Athènes, les bas-reliefs de Phidias resplendir et se mouvoir, pour ainsi dire, sous les rayons ambiants de la lumière dorée sur le fronton du Parthénon ! […] On s’alarmait d’avance de la dissonance qu’on allait entendre ; on craignait le premier accent, le premier vers des acteurs ; on ne se souvenait plus que Racine avait retrouvé un jour, pour écrire Athalie, les foudres d’Isaïe, les larmes de David, les illuminations du Sinaï. […] Moi-même, quelque temps honteuse de ma peur, Je l’ai pris pour l’effet d’une sombre vapeur ; Mais de ce souvenir mon âme possédée À deux fois, en dormant, revu la même idée. […] Ayez la bonté de vous souvenir combien de fois vous m’avez dit que, la meilleure qualité que vous trouviez en moi, c’était ma fidélité d’enfant pour tout ce que l’Église croit et ordonne, même dans les plus petites choses ! […] Or, souvenez-vous de la définition que nous avons admise en commençant ces Entretiens : La poésie est l’émotion par le beau.

707. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Il avait pour toute société un nègre nommé Jupiter, et rien, si ce n’est peut-être la révolte de ses souvenirs, ne troublait les jours de sa vie, semblables et tranquilles. […] Qui ne se souvient du magnifique « fragment » sur cet ami de Londres que Byron appelle « Auguste Darvell », et de sa mort, sans raison apparente de mourir, à vingt pas des ruines d’Éphèse, un soir, au coucher du soleil ? […] Ce rayon du soleil couchant atteignant, comme un point d’or bruni, le scarabée suspendu au tulipier de la montagne américaine, a rallumé dans notre souvenir cet autre rayon de soleil couchant qui teignait le plumage rose de la cigogne perchée sur les ruines d’Éphèse, avec son serpent dans son bec. […] Valdemar, la Révélation magnétique, les Souvenirs de M.  […] Cette âme résista et elle resta, avec un souvenir immortellement saignant, mais aussi avec les besoins non moins immortels de tendresse, d’expansion, de confiance et d’intimité qui furent toujours en Edgar Poe, le platoniste passionné, d’une pureté si profonde, et pour qui la conception de la femme dans ses œuvres est presque aérienne !

708. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

Le contrecoup de tant de luttes et comme le long souvenir de ces vives douleurs se retrouve aussi dans ses poésies, langage familier de son âme, non moins naturel pour lui que la prédication ou la prière. […] Seulement deux choses se mêlent sans cesse à cette théologie, un souvenir, un regret de la poésie païenne, toujours présente, quoique abjurée, un spiritualisme néo-platonicien qui pénètre le dogme et l’enveloppe tout entier. […] et accueille la mélodie des pieux concerts. » Voilà bien l’accent lyrique, sinon avec le torrent d’harmonie, le labyrinthe de souvenirs et d’images où nous entraîne Pindare, du moins avec la marche libre et mesurée de ces autres génies grecs imités par Horace, et dont il reste çà et là des tons brisés et des vers épars. […] L’évêque porte se complaît dans ce culte, lors même qu’il y mêle encore quelque souvenir des choses de la terre et d’une philosophie plus humaine : « Aux accents doriens des cordes attachées à l’ivoire de la lyre214, j’élèverai ma voix sonore, pour toi, bienheureux Immortel, Fils glorieux de la Vierge ! […] Son exemption du célibat, ses souvenirs de la philosophie, son amour de la poésie, devaient lui faire, dans la sévérité de l’orthodoxie croissante avec la victoire du christianisme, une place à part et douteuse.

709. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

Plus tard, l’abbé Barthélemy ne s’aperçut pas qu’il se souvenait beaucoup trop du cercle de Chanteloup, en nous reconduisant jusque dans Athènes. […] les petites mauves, lorsqu’elles ont comme péri dans le jardin, et le vert persil, et le frais fenouil tout velu, revivent par la suite et repoussent à l’autre année ; mais nous autres hommes, les grands, les puissants ou les génies, une fois que nous sommes morts, insensibles dans le creux de la terre, nous dormons à jamais le long, l’interminable, l’inéveillable sommeil. » — Ce passage fait souvenir de l’ode d’Horace : Diffugere nives, dans laquelle le poëte exprime la mobilité des saisons, le printemps qui renaît et qui sollicite à jouir de l’heure rapide, car l’hiver n’est jamais loin : « Mais, ajoute-t-il en s’attristant également de la supériorité de la nature sur l’homme, les lunes légères ne tardent guère à réparer leurs pertes dans le ciel, tandis que nous, une fois descendus là où l’on rejoint le pieux Énée, le puissant Tullus et Ancus, nous ne sommes que poussière et ombre. » La pensée d’Horace est belle, elle est philosophique et d’une mélancolie réfléchie ; mais je ne sais quoi de plus vif et de plus pénétrant respire dans la plainte de Moschus. […] Et, en souvenir d’elle, attache-moi cette couronne d’hier toute humide de parfums. […] et sur ta tombe amèrement baignée je verse en libation le souvenir de nos amours, le souvenir de notre affection ; car tu m’es chère jusque parmi les morts ; et moi, Méléagre, je m’écrie pitoyablement vers toi, stérile hommage dans l’Achéron !

710. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

» Puis, comme s’il se repentait de s’être trop effacé lui-même, comme s’il voulait prendre Jéhovah par sa gloire et le cointéresser à la délivrance de Saül par le souvenir reconnaissant que les vivants seuls gardent de ses bienfaits : « Car, s’écrie-t-il, la mort n’a point de mémoire, et dans la caverne (dans le sépulcre) qui est-ce qui chantera ton nom ?  […] Qu’est-ce que le fils de l’homme, pour que tu t’en souviennes ?  […] XIII On retrouve un peu plus loin tous les souvenirs naïfs de la vie du berger dans la poésie du prophète et du roi. […] « Je me souviens de mes chants pendant la nuit, et je retourne mon cœur pour méditer dans mon esprit !  […] En voici quelques strophes, souvenir d’une soirée de voyage et d’une halte à ce tombeau : Ô harpe, qui dors sous la tête, Sous la tête du barde roi, Veuve immortelle du prophète, Un jour encore éveille-toi !

711. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

À ce point de vue on ressent encore en eux le souvenir des écoles anciennes, avec la prédominance qu’elles accordaient à la peinture, à l’architecture, à la sculpture. […] Mais la rigide mesure forçait à ne penser que par six syllabes à la fois, — uniformément, — et, l’on s’en souvient, la monotonie de ces jeux produisit par réaction les coupes hardies des Romantiques. […] Mallarmé, le fondement de ce vers est le souvenir du mètre ancien qu’il fuit, revient effleurer, quitte encore pour se confondre enfin en sa plénitude. […] Mais cette alternance est précisément très malaisée et M. de Régnier en a jusqu’à un certain point évité la difficulté en n’écrivant que très rarement des vers tout à fait « ingénus », basés entièrement sur le rythme et qui ne participent pas de vieux souvenirs. […] Printanière, dans l’aube éternelle du rêve Et dans l’aurore assise, Elle tisse en rêvant Des choses qu’Elle sait, et sourit ; et, devant Elle, au gré de sa main agile, court sans trêve La navette laborieuse, et le doux vent D’avril emmêle ses cheveux qu’Elle soulève Et rejette sur son épaule ; et, relevant La tête, Elle fredonne un air qu’Elle n’achève… De l’ombre, Elle apparaît, comme en un cadre d’or : Derrière Elle l’azur et des plaines qu’arrose Un fleuve ; et, sur sa tête, un rameau de laurose Étend ses fleurs contre l’azur clair ; — et l’effort Du métier, comme un chant monotone et morose Se plaint très doucement : — on envierait le sort De celui qui baiserait la main qu’Elle pose Négligemment, parfois, et lasse de l’effort… Mais moi, la voyant rire en rappelant sans doute Quelque doux jour mort de sa joie un soir de mai, Je songeai que, peut-être, pour avoir aimé Son rire, d’autres ont repris la lente route Tristes d’un souvenir et le cœur affamé D’un mets où nulle lèvre impunément ne goûte.

712. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

Nous nous souvenons de l’avoir vue, quelques mois avant sa mort, à une fête. […] S’il faut tout dire, — et pourquoi farder d’un idéal menteur la tête de mort d’un souvenir ? […] La fin de Marie Duplessis, on peut s’en souvenir, fut presque un événement dans cette ville insouciante et distraite qui enterre les morts, entre deux épigrammes, sous la cendre de ses cigares. […] Il ne réhabilite pas la courtisane, il en a pitié ; il se souvient du miséricordieux proverbe de l’Inde : « Une femme, eût-elle péché cent fois, ne la frappez pas, même avec une fleur. » Et quelle entente innée de la scène ! […] Vous souvenez-vous de l’entrée de la courtisane dans son premier drame, et quel haut parfum de mauvais lieu elle exhalait en apparaissant ?

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