D’abord, tout cet appareil compliqué, précis, luisant et froid ; ces multiples et fins instruments faits pour couper, percer, pincer, brûler, scier, limer, tordre, et qui éveillent en nous l’idée de sensations atrocement aiguës et lancinantes ; puis cette pauvre nudité exposée sur le lit opératoire, et qui (nous y pensons fraternellement) pourrait être la nôtre ; ce mystère violé de nos plus secrets organes ; cet aspect de corps éventré sur un champ de bataille ; la vue du sang, et des entrailles ouvertes, et des plaies béantes et rouges, vue qui serait insoutenable si le malade sentait, mais qui n’est que suprêmement émouvante puisqu’on a la certitude qu’il ne souffre pas et l’espoir que, en se réveillant, il aura la joie infinie de se savoir affranchi de la torture ou de la honte de son mal ou de son infirmité… Et ce spectacle est aussi très bon pour l’intelligence.
Souffre-t-il, il prie sa petite image, et il est soulagé.
J’ai voulu dire seulement que le théatre de Marcellus et les autres théatres magnifiques furent détruits ou devinrent inutiles par le dommage qu’ils avoient souffert, et que ces représentations somptueuses qu’on y donnoient cesserent, mais je n’ai pas prétendu dire que toute représentation de comédies ait cessée, au contraire, je crois que dans Rome et dans les autres grandes villes qui avoient essuïé les mêmes malheurs que cette capitale, on commença dès que les temps furent redevenus moins orageux, à joüer des pieces de théatres, mais sans l’appareil ancien.
Ne souffrez pas, toutefois, qu’elle vous dérobe un secret si intéressant. […] Et alors elle dit quel gueux est M. de Thauzette, et ce qu’il a fait, et ce qu’elle a souffert. […] Elle a souffert, elle a expié, elle vient d’être héroïque. […] Beaucoup plus criminelle que Camille, elle souffre aussi plus cruellement. […] En général, nous n’avons plus assez de caractère ni assez de foi pour tuer et pour faire souffrir autant qu’on faisait souffrir et qu’on tuait aux siècles passés.
Jusqu’à ce temps, les poètes de notre pays avaient sans doute rêvé, espéré, aimé, souffert en tant qu’hommes, mais en tant que poètes, non ! […] Mais ni les traîtrises, ni les abandons, ni la désolation des réveils dans la chambre naguère si amoureuse où ne tinte plus le rire de l’amie, n’alentissent en lui l’inextinguible jeunesse, c’est-à-dire le pouvoir d’aimer, de souffrir, d’aimer encore, dût-on souffrir toujours ! […] En un mot, puisque vous êtes homme, aimez, espérez, souffrez (cela est fatal, d’ailleurs !) […] C’est pourquoi il souffre, c’est pourquoi il pleure. […] Nulle heure, nul lieu de l’humanité où il n’eut espéré, aimé, souffert, souffert surtout à cause de sa foi en la beauté, en l’amour, déçue !
On sent, à sa tendresse compatissante pour les êtres créés, qu’il souffre bien souvent sans le dire, là où M. […] Ne la plaindre jamais, c’est déjà ne point être assez impartial ; car enfin, toute coupable qu’elle est, elle souffre. […] pourquoi souffrirait-elle d’être ainsi sacrifiée ? […] Baudelaire sera de prétendre qu’il souffre de ce qu’il observe. […] Il ne ressent aucune de ces haines vigoureuses pour le mal dont Molière a si cruellement souffert.
L’épouse, en entrant sous le toit de son mari, sait qu’elle se donne tout entière36, « qu’elle n’aura avec lui qu’un corps, qu’une vie ; qu’elle n’aura nulle pensée, nul désir au-delà ; qu’elle sera la compagne de ses périls et de ses travaux ; qu’elle souffrira et osera autant que lui dans la paix et dans la guerre. » Comme elle, il sait se donner : quand il a choisi son chef, il s’oublie en lui, il lui attribue sa gloire, il se fait tuer pour lui ; « celui-là est infâme pour toute sa vie, qui revient sans son chef du champ de bataille37. » C’est sur cette subordination volontaire que s’assiéra la société féodale. […] Les femmes des chefs vinrent près d’elle, et chacune pour la consoler lui conta ses propres peines, toutes les calamités des grandes dévastations et de l’antique vie barbare. « Alors parla Gjaflogd, — sœur de Gjuki : — « Je sais que sur la terre — je suis entre toutes la plus dénuée de joie. — De cinq maris — j’ai souffert la perte, — et aussi de deux filles, — de trois sœurs, — de huit frères ; — pourtant me voilà, et je survis seule. » — Alors parla Herborgd, — reine de la terre des Huns : — « Moi j’ai à raconter — un deuil plus cruel. — Mes sept fils, — dans la région de l’Est, — et mon mari le huitième — sont morts dans la bataille. — Mon père et ma mère, — mes quatre frères, — le vent a joué avec eux — dans la mer. — Le flot a battu — le plancher de leur vaisseau. — Moi-même j’étais forcée de recueillir leurs corps, — moi-même j’étais forcée de veiller à leur sépulture, — moi-même j’étais forcée — de faire leurs funérailles. — Tout cela, je l’ai souffert — en une année, — et pendant ce temps, — nul d’entre les hommes — ne m’a apporté de consolation. — Cependant j’étais enchaînée — et captive de guerre, — quand six mois de cette année se furent écoulés. — J’étais forcée de parer — la femme d’un chef de guerre — et de lui attacher sa chaussure — chaque matin. […] Ses camarades s’étaient enfuis dans le bois, sauf un, Wiglaf, qui accourut à travers la fumée, « sachant bien que ce n’était pas la vieille coutume d’abandonner son parent, son prince, de le laisser souffrir l’angoisse, de le laisser tomber dans la bataille. » « Le ver devient furieux, — l’ignoble étranger perfide, — tout bigarré de vagues de feu… — Brûlant et féroce dans la guerre, — il accrocha tout le col du roi — avec ses griffes empoisonnées. — Il s’ensanglanta — du sang de la vie. — Le sang bouillonnait en vagues. » Eux, de leurs épées, ils le fendirent par le milieu. […] Sitôt que Judith est rentrée, « Les hommes sous leurs casques — sortent de la sainte cité — dès l’aurore. — Ils font gronder les boucliers. — Ils rugissent bruyamment. — À ce cri se réjouissent — dans les bois le loup maigre — et le corbeau décharné, — l’oiseau avide de carnage ; — tous les deux accourent de l’Ouest, — parce que les fils des hommes ont — pensé à leur préparer — leur soûlée de cadavres. — Et vers eux volent dans leurs sentiers — le rapide dévorateur, l’aigle — aux plumes grises ; — le milan de son bec recourbé — chante la chanson d’Hilda. — Les nobles guerriers s’avancèrent, — les hommes aux cottes de mailles, vers la bataille, — armés de boucliers, — les bannières gonflées… — Promptement ils firent voler — des pluies de flèches, — serpents d’Hilda, — de leurs arcs de corne. — Il y avait dans la plaine — une tempête de lances. — Furieusement se déchaînaient — les ravageurs de la bataille. — Ils envoyaient leurs dards — dans la foule des chefs… — Eux qui auparavant avaient enduré — les reproches des étrangers, — les insultes des païens, — leur payèrent à ce jeu des épées — tout ce qu’ils avaient souffert. » Entre tous ces poëtes inconnus65, il y en a un dont on sait le nom, Cœdmon, peut-être l’ancien Cœdmon, l’inventeur du premier hymne, en tout cas semblable à l’autre, et qui, repensant la Bible avec la vigueur et l’exaltation barbare, a montré la grandeur et la fureur du sentiment avec lequel les hommes de ce temps entraient dans leur nouvelle religion.
À l’origine, il est probable que la conscience de l’animal était avertie de tous les incidents de sa vie végétative, non pas seulement de ceux qui se rapportent à la vie de relation : il avait le sens du corps plus développé et plus différencié ; il sentait son existence, il sentait le travail des glandes ; il percevait tous ses changements internes, en jouissait ou en souffrait. […] Maintenant, que l’hypnotiseur emploie la suggestion de l’idée : qu’il déclare à la personne, dans un certain nombre de séances, que telle irritation maladive va disparaître, que le mal n’est plus, qu’elle ne souffre plus. […] Ce lien, en devenant conscient et même irréfléchi, constitue le jugement d’attribution au moi : je souffre, je jouis, je vois la mer, j’entends le tonnerre, etc. […] Mme B… tenait son bras droit au-dessus du poignet et se plaignait d’y souffrir beaucoup. […] Quand Mme B… fut éveillée, elle serrait encore son poignet droit et se plaignait d’y souffrir beaucoup « sans savoir pourquoi ».
Il arrive à Méléagre, qui rappelle si à l’improviste Lamartine, de faire songer également à Virgile ; il avait dit avant celui-ci, et plus brièvement, le Non ignara mali, miseris succurrere disco : J’ai, pour avoir souffert, appris à compatir126. […] Et si l’on me demande à mon tour pourquoi ce souci perpétuel du nouveau, et à quoi bon Méléagre à cette heure plutôt que tant d’autres, je répondrai avec Ulysse en son récit chez Alcinoüs : « Je ne puis souffrir de venir répéter aujourd’hui ce qui a été dit (par moi ou par d’autres) assez clairement hier. » 15 décembre 1845. […] Tu souffres ce que tu as mérité, brûlée que tu es d’un miel cuisant. » Les Anciens faisaient grand usage de miel ; ils le combinaient avec le vin, ils le faisaient cuire au feu ; les poëtes érotiques sont pleins d’images empruntées à ces mélanges.
« On a bien de la peine à rompre, quand on ne s’aime plus. » On en était à ce point de difficulté : M. de Nemours le trancha, et M. de La Rochefoucauld saisit avec joie une occasion d’être libre, en faisant l’offensé : « Quand nous sommes las d’aimer, nous sommes bien aises qu’on nous devienne infidèle pour nous dégager de notre fidélité. » Il fut donc bien aise, mais non pas sans mélange ni sans des retours amers : « La jalousie, il l’a dit, naît avec l’amour ; mais elle ne meurt pas toujours avec lui. » Le châtiment de ces sortes de liaisons, c’est qu’on souffre également de les porter et de les rompre. […] Descartes et La Rochefoucauld, s’ils s’étaient vus, auraient pu difficilement se souffrir. […] Voyez M. de Roquelaure et M. de Miossens, qui parlent deux heures de suite devant une vingtaine de personnes en se vantant toujours ; il n’y en a que deux ou trois qui ne peuvent les souffrir, et les dix-sept autres les applaudissent et les regardent comme des gens qui n’ont point leurs semblables. » Si Roquelaure et Miossens avaient mêlé à leur propre éloge celui de leurs auditeurs, ils se seraient encore mieux fait écouter.
Son orgueil ne souffrit pas moins que sa prévoyance maternelle : elle fut la première éclipsée par le chef-d’œuvre qu’elle avait voulu montrer aux mères. […] vous qui vîtes devant vous votre malheureuse reine prête à mourir de désespoir, saviez-vous alors tout ce qu’elle devait souffrir ? […] comment avez-vous osé, dans la fête du 10 août, mettre sur les pierres de la Bastille des inscriptions qui consacraient la juste horreur des tourments qu’on y avait soufferts ?
Un rêveur, un apôtre croit rendre service à une famille qui vivait tranquillement dans un déshonneur inconscient, en lui révélant son ignominie, en essayant d’éveiller en elle la conscience morale : et cela n’aboutit qu’aux plus tristes et aux plus inutiles catastrophes Et, de même, dans Solness le constructeur, il nous fait voir l’orgueil intellectuel induisant un homme de génie à manquer de bonté, à faire souffrir tout autour de lui, et le poussant finalement à une mort ridicule et tragique. […] Raskolnikof est le seul homme qui ne l’ait pas traitée avec mépris : elle le voit torturé par un secret ; elle essaie de le lui arracher… L’aveu s’échappe : la pauvre fille, un moment atterrée, se remet vite ; elle sait le remède : « Il faut souffrir, souffrir ensemble… prier, expier… Allons au bagne !
Aussi fit il, une fois seulement mais en une suite longuement enchaînée, s’enfler l’insatiable désir, de la timide confession, de la plus tendre attirance, au travers de l’hésitant soupirer, de l’espérer et du craindre, du lamenter et du souhaiter, du jouir et du souffrir, jusque le plus puissant pressement, la plus violente lassitude, pour trouver l’irruption qui au cœur ouvrît la voie en la mer de l’infinie joie d’amour. […] Alors, encore une fois, du tressaillement de la solitude palpite la plainte de l’aimante Compassion : la crainte, la sacrée sueur d’angoisse du Mont-des-Oliviers, la divine souffrance douloureuse du Golgotha, — le corps pâlit, le sang coule et s’échappe et brille avec un céleste brillement de bénédiction, répandant sur tout ce qui vit et souffre la joie de grâce de la Rédemption par l’Amour. […] Le public, un public choisi, était accouru en masse : l’immense salle était littéralement remplie, et ce qui prouve que la musique de Wagner commence à être très appréciée à Anvers c’est que presque personne n’a quitté la salle avant le dernier accord de l’orchestre. — Cela prouve en même temps que l’exécution s’est trouvée tout à fait digne de cette musique grandiose qui ne souffre pas la médiocrité dans l’interprétation.
Ils oublient pour un temps les peines qu’ils ont souffertes ; ils se livrent à la joie de voir de belles prairies, de vertes forêts, et de goûter à l’ombre des rochers un sommeil qui n’est point agité par le mouvement des flots. […] Je souffrirai, car ce voyage est au moins de quatre mois. […] Le premier degré du bonheur est de ne pas souffrir, et voilà où je m’efforce d’atteindre.
Un jour (1607), Henri IV, étant venu lui parler à l’Arsenal de quelque projet nouveau et s’étant vu désapprouver, sortit en grondant : « Voilà un homme que je ne saurais plus souffrir, dit-il tout haut ; il ne fait jamais que me contredire et trouver mauvais tout ce que je veux ; mais, par Dieu ! […] C’était un jour, après dîner, que, pensant en quelque sorte tout haut devant ses familiers, il en vint à le comparer avec Sillery et Villeroi, ses autres ministres, deux collègues que Sully souffrait difficilement, et avec qui il eût supporté impatiemment le parallèle ; pourtant Henri IV, qui trouvait à chacun d’eux ses mérites et son utilité propre, disait particulièrement de Sully : De l’un aucuns se plaignent, et quelquefois moi-même, qu’il est d’humeur rude, impatiente et contredisante, l’accusent d’avoir l’esprit entreprenant, qui présume tout de ses opinions et de ses actions, et méprise celles d’autrui ; qui veut élever sa fortune et avoir des biens et des honneurs.