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138. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

Qui songe à son parti en écrivant l’Histoire commence par s’y sacrifier. […] Une prérogative qu’on n’eût pas songé à discuter du temps d’Élisabeth ou de Henri VIII, tout monstrueux qu’il fût, on la disputa aux Stuarts, qui rappelaient l’Écosse et le papisme, et on finit par la leur arracher ! […] Enfin, on n’a même pas songé qu’eût-il accepté le droit nouveau et abandonné sa prérogative, cela n’aurait pas suffi encore !

139. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Renan, en petit, car relativement à Platon, Renan est petit, fait songer à lui. […] Or en s’adressant aux plaisirs il ne songe qu’à sa sensibilité, et en s’adressant à la science il ne songe qu’à son intelligence. […] C’est pour cela qu’il y a un devoir pour les hommes, un devoir auquel ils songent peu, d’ordinaire, auquel vraiment il faut qu’ils s’habituent à songer. […] Pourquoi cependant y songe-t-on quand il s’agit de poésie et particulièrement de poésie dramatique ? […] L’homme qui fait une statue se propose de faire une statue et il n’a pas tort de ne pas songer à autre chose.

140. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Ma plus vive peine est de songer que tous ne peuvent partager mon bonheur. […] Songez donc qu’il s’agit de la vraie religion, de la seule chose sérieuse et sainte. […] Songez qu’ils sont là, derrière vous, attendant le moment. Et puis, cela est immoral et intolérable, quand on y songe. […] Dieu me garde de songer jamais à excuser le crime ou à désarmer la société contre ses ennemis !

141. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

On ne peut s’empêcher de songer que cet Ézéchiel, sorte de démagogue de la Bible, aiderait 93 dans l’effrayant balayage de Saint-Denis. […] Lucrèce a voyagé, et il a songé ; ce qui est un autre voyage. […] Rabelais est l’Eschyle de la mangeaille ; ce qui est grand, quand on songe que manger c’est dévorer. […] Les poëmes de l’Inde en particulier ont l’ampleur sinistre du possible rêvé par la démence ou raconté par le songe. […] Des djinns s’y sont abattus, des mages polyptères ont songé dessus, les textes ont été interlignés par des mains invisibles, les demi-dieux y ont été aidés par les demi-démons ; l’éléphant, que l’Inde appelle le Sage, a été consulté.

142. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

On dirait d’humbles compagnons et suivants de nos chroniqueurs, et qui ne songent en leurs traits rapides qu’à saisir les physionomies telles qu’ils les voient, avec vérité et candeur ; la seule ressemblance les occupe ; les imitations étrangères ne les atteignent pas. […] Le roi, sans y songer, commençait à faire sa partie dans le concert et à psalmodier avec les autres ; mais Gabrielle, qui était près de lui et qui songeait à ce que pouvait devenir une telle imprudence défigurée par la malignité, lui mit aussitôt la main sur la bouche en le suppliant de ne plus chanter ; ce qu’elle obtint. […] À Rennes (1598), quand le roi, qui songeait sérieusement à épouser Gabrielle, et qui, depuis quelque temps, voulait s’en ouvrir à Sully sans l’oser, s’arma à la fin de courage, et, emmenant son serviteur dans un jardin, le retint à causer durant près de trois heures d’horloge, on assiste à une conversation à la fois politique et des plus plaisantes.

143. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

… L’espérance, allumant de son doux vent nos fols désirs, embrase en nos esprits un feu plein d’une épaisse fumée, qui nous éblouit l’entendement, et, emportant avec soi nos pensées, les lient pendues entre les nues, nous ôte tout jugement, et nous fait songer en veillant. […] « Les désirs et cupidités s’échauffent et redoublent par l’espérance, laquelle allume de son doux vent nos fols désirs, embrase en nos esprits un feu d’une épaisse fumée, qui nous éblouit l’entendement, et, emportant avec soi nos pensées, les tient pendues entre les nues, nous fait songer en veillant. […] Il ne songe pas plus à dérober Montaigne qu’il ne songe à dépouiller tous ces auteurs latins dont les mots et les sentences, en leur langue, nourrissent, soutiennent à chaque instant son discours, et qu’il fait entrer continuellement dans sa trame sans les citer.

144. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

Quand il entreprit d’écrire, puis de mettre au jour cet ouvrage tant médité, La Bruyère pensait donc peu à des fadaises dès longtemps oubliées et aussi enterrées que les romans des Scudéri ; il pensait à ce qui est vivant, aux antiques et aux récents modèles ; il songeait surtout à la difficulté de satisfaire tant de juges délicats et rassasiés, tous ceux qu’il a énumérés dans son Discours de réception à l’Académie, cercle redoutable et sévère, sourcilleux aréopage et qui, sur la fin du grand siècle, devait être tenté de dire à chaque nouveau venu : « Il est trop tard, tous les chefs-d’œuvre sont faits ! […] Si cependant, dans ce célèbre morceau du pâtre enrichi qui achète pour l’embellir la maison de ses maîtres, La Bruyère a songé à Gourville embellissant la capitainerie de Saint-Maur, il a un peu surchargé la description en vue du dramatique. […] Lorsqu’on sut que l’Académie songeait à lui encore plus qu’il ne songeait à elle, ce furent des cris d’indignation, des rires ironiques ; on parut croire que c’était impossible.

145. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

Cette vie de marin, si différente de la nôtre, songez quels effets elle peut avoir sur l’âme. […] Très réellement on peut dire que le songe de la vie aura été pour Loti fort supérieur à ce qu’il est pour nous et que la terre lui aura été autre chose qu’à nous, les immobiles. […] L’influence de la terre, la douceur des choses, les parfums, la beauté de la nature et la beauté des corps, les brises attiédies du soir y conseillent si clairement et si invinciblement l’amour qu’elles l’absolvent par là même et qu’on ne songe point à y attacher une idée de souillure. […] Les paysages de Bretagne lui font l’effet de paysages primitifs, tels qu’ils étaient il y a trois mille ans  Mais tout de suite, tandis qu’il songe à l’énormité et à la durée de la terre, il la sent exiguë et éphémère ; car qu’est-ce que tout cela, qui n’est pas infini et éternel ?

146. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

Il paraît que Christine, malgré la beauté de la harangue de Patru, avait peu songé à lui depuis lors ; il en prend son parti en philosophe, et nous le retrouvons dans sa nature véritable. Dans la salle fort belle où l’on reçut la princesse, on n’avait oublié qu’une chose, c’était d’y faire mettre ce portrait d’elle qu’elle avait donné à la compagnie et devant lequel, durant son absence, Patru avait juré à la romaine qu’on ferait des sacrifices ; mais, en ce jour d’extraordinaire, la précipitation empêcha d’y songer. […] Songe que nous n’avons pas comme toi un bréviaire bien payé, quoique mal récité. […] On raconte que Bossuet l’étant allé voir, lui dit : « On vous a regardé jusqu’ici, monsieur, comme un esprit fort ; songez à détromper le public par des discours sincères et religieux. » — « Il est plus à propos que je me taise, répondit Patru mourant ; on ne parle dans ses derniers moments que par faiblesse ou par vanité. » Il mourut le 16 janvier 1681, à l’âge de soixante-dix-sept ans.

147. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le surintendant Fouquet. (Article Fouquet, dans l’Histoire de Colbert, par M. P. Clément.) 1846. » pp. 294-312

Le roi lui répondit : « Oui, je vous pardonne tout le passé, et vous donne ce que vous me demandez. » Au lieu de profiter du pardon et de rentrer dans les voies de la rectitude, Fouquet ne songea qu’à redoubler d’adresse ; il présentait au roi de faux états de situation, que Colbert contrôlait et réfutait en secret. […] Il n’avait songé d’abord qu’à éloigner le surintendant des affaires ; mais le voyant si plein de projets et d’humeur si inquiète, si empressé à se faire des amis, à s’étendre en crédit dans tous les sens, fortifiant Belle-Isle en Bretagne en même temps qu’il décorait si royalement sa terre de Vaux, il jugea qu’il fallait faire sur lui un exemple et ne pas laisser renaître un seul instant ces velléités, ces réminiscences encore récentes de la Fronde. […] Il fallut donc, avant de songer à l’arrêter, l’amener à se démettre de cette charge de procureur général. […] On ne songea pas plus à Fouquet qu’à un mort, dont le nom revient à peine quelquefois dans l’entretien.

148. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Il ne songe d’abord qu’à faire un voyage de Hollande ; mais, après quelques mois passés à Amsterdam, apprenant que la cour de Danemark était à quelques journées de là, lui et ses compagnons se décident à pousser vers le Nord. […] Dans ce voyage extrême de Laponie, après avoir aperçu du haut d’une montagne la mer Glaciale et toute l’étendue de la contrée, après avoir laissé sur une pierre une inscription en vers latins, signée de ses compagnons, et de lui, et destinée à n’être jamais lue que des ours, Regnard, qui s’est frotté, comme il dit, à l’essieu du pôle, songe au retour ; il ne revient point pourtant en France directement, et il achève le cours de ses pérégrinations instructives par la Pologne et par l’Allemagne. […] Il ne songea plus désormais qu’à jouir de la vie en sage épicurien ou en cynique mitigé (c’est son expression), et à se livrer à ses goûts, où les sens se mêlaient agréablement à l’esprit. […] Regnard, qui menait à sa manière quelque chose de ces mêmes mœurs, en ne les corrigeant que par l’esprit, ne songeait pas trop, en les peignant, à faire une leçon ; il donnait carrière à sa veine et à ce démon de gaieté qui l’animait.

149. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LVIII » pp. 220-226

J'aimerais mieux un simple narré, tel que pouvait faire dom Le Nain38, que l’éloquence affectée. » — Ce n’est ni aux bénédictins, ni même aux jésuites qu’on songe à plaire de nos jours, mais à flatter madame Sand, à ne pas choquer M. de Lamennais, à chatouiller M. de Béranger, leurs noms et leurs doctrines, et de là une dégradation véritable du sujet. […] Jamais, dans les vrais siècles de grandes et vertueuses œuvres, on n’a songé ainsi à étaler cette plainte secrète ; on travaillait, on mûrissait, et se sentir mûrir console des fleurs qu’on n’a plus : on croyait à ce perfectionnement intérieur qui va à l’inverse des grâces riantes et qui, en définitive, sait s’en passer.

150. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Villiers de L'Isle-Adam, Auguste de (1838-1889) »

Mais quand on songe à sa grande jeunesse et quand on lit certaines strophes toutes frissonnantes d’inquiétude et de tristesse, on ne peut s’empêcher de penser au grand génie futur de ce jeune homme qui débute par des souffrances de doute et d’immenses désirs de foi, et dont la dernière parole écrite fut vraisemblablement celle-ci ajoutée au bas du manuscrit retouché à Axël : Ce qui est, c’est croire. […] Cela fait songer aux images grotesques que forment parfois les grands rochers… [L’Élite (1899).]

151. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IV »

Il songeait aux mots anciens qui sont beaux comme des plantes sauvages et de même origine naturelle et spontanée. […] Je ne suis pas éloigné de songer qu’il serait plus utile de faire apprendre aux enfants les termes de métier que les racines grecques48 ; leur esprit s’exercerait mieux sur une matière plus assimilable, et si l’on joignait à cela des exercices sur les mots composés et les suffixes, peut-être prendraient-ils plus de goût et quelque respect pour une langue dont ils sentiraient la chaleur, les mouvements, les palpitations, la vie.

152. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Platon, et Aristote. » pp. 33-41

Il ne songea qu’à se venger de ses discours, qu’à l’irriter, qu’à le faire donner dans quelque piège. […] Les trois disciples de Platon, instruits de ce qui s’étoit passé, reconnoissent leur imprudence de l’avoir laissé sans aucun d’eux, se la reprochent, & songent à la réparer.

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