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439. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

Lorsqu’il quitta la Prusse après sa seconde épreuve douloureuse et quand était venue déjà la première vieillesse, il était le mieux muni et le mieux préparé des hommes pour mettre à profit les loisirs de la retraite où il sut entrer, et pour y multiplier les productions de tout genre avec une abondance et une facilité qui étonnerait moins aujourd’hui, mais qui parut phénoménale dans son siècle. […] Les autres sont des corbeaux qui se disputent quelques plumes de cygne du siècle passé qu’ils ont volées, et qu’ils ajustent comme ils peuvent à leurs queues noires. » À Le Kain il écrivait en 1765 : « Je vous souhaite un autre siècle, d’autres auteurs, d’autres acteurs et d’autres spectateurs. » Ce fut bien autre chose quand il crut voir qu’on abandonnait Racine pour Shakespeare, il poussa des cris d’aigle : « La canaille se mêle de vouloir avoir de l’esprit, écrivait-il en janvier 1778 au censeur Marin ; elle fait taire les honnêtes gens et les gens de goût. Vous buvez la lie du détestable vin produit dans le siècle qui a suivi le siècle de Louis XIV. […] Voltaire, homme de goût, était impitoyable pour le siècle de Voltaire.

440. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Fremy entre en matière par se poser sur André Chénier la question solennelle et formidable que voici : « Doit-il être, dès à présent, considéré comme le souverain représentant de la littérature poétique de notre siècle ?  […] En général, tout ce début n’est pas net ; l’auteur voudrait dire et ne dit pas ; mais j’arrive à l’opinion fondamentale, et je la résume ainsi : André Chénier, en regard de l’antiquité, n’est qu’un copiste, un disciple qui s’attache à la superficie et aux couleurs plutôt qu’à l’esprit ; il abonde en emprunts forcés, il pille au hasard et fait de ses larcins grecs et latins un pêle-mêle avec les fausses couleurs de son siècle. […] Mais lui, qui se donne comme si expert dans le siècle de Périclès, devrait, ce me semble, se rappeler un peu mieux son siècle d’Auguste. […] » Les critiques difficultueux peuvent se demander si, en procédant ainsi, en se livrant à ces délices de poésie qui d’ordinaire suivent les grands siècles, il se montrait rigoureusement fidèle à l’esprit de ces grands siècles eux-mêmes.

441. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre II. Les privilèges. »

Et ce gros lot est en même temps le plus riche ; car il comprend presque toutes les grandes et belles bâtisses, palais, châteaux, couvents, cathédrales, et presque tout le mobilier précieux, meubles, vaisselle, objets d’art, chefs-d’œuvre accumulés depuis des siècles. — On peut en juger par l’estimation de la part du clergé. […] Comme avec les nobles il comprend les anoblis, et que depuis deux siècles les magistrats, depuis un siècle les financiers ont acquis ou acheté la noblesse, il est clair qu’on y trouve presque toutes les grandes fortunes de France, anciennes ou nouvelles, transmises par héritage, obtenues par des grâces de cour, acquises dans les affaires ; quand une classe est au sommet, elle se recrute de tout ce qui monte ou grimpe. […] Ainsi, après quatre cent cinquante ans d’assaut, la taille, ce premier engin du fisc, le plus lourd de tous, a laissé presque intacte la propriété féodale33  Depuis un siècle, deux nouvelles machines, la capitation et les vingtièmes, semblent plus efficaces et ne le sont guère davantage  D’abord, par un chef-d’œuvre de diplomatie ecclésiastique, le clergé a détourné, émoussé leur choc. […] À Mende37, l’évêque, seigneur suzerain du Gévaudan depuis le onzième siècle, choisit les conseils, les juges ordinaires et d’appel, les commissaires et syndics du pays », dispose de toutes les places « municipales et judiciaires », et, prié de venir à l’assemblée des trois ordres de la province, « répond que sa place, ses possessions et son rang le mettant au-dessus de tous les particuliers de son diocèse, il ne peut être présidé par personne, qu’étant seigneur suzerain de toutes les terres et particulièrement des baronnies, il ne peut céder le pas à ses vassaux et arrière-vassaux », bref qu’il est roi ou peu s’en faut dans sa province. […] Amelot sur la Bourgogne en 1785. « Dans la subdélégation de Charolles, les habitants semblent à un siècle du temps actuel ; soumis aux droits féodaux, tels que la mainmorte, leur esprit et leur corps ne peuvent prendre aucun essor.

442. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

Écrivain en prose, Frédéric est un disciple de nos bons auteurs, et, en histoire, c’est un élève, et certes un élève original et unique, et par endroits passé maître, de l’historien du Siècle de Louis XIV. […] Il est bien le grand roi de son temps ; il a le cachet du siècle de l’analyse. […] Sa première pensée fut qu’un prince doit faire respecter sa personne, surtout sa nation ; que la modération est une vertu que les hommes d’État ne doivent pas toujours pratiquer à la rigueur, à cause de la corruption du siècle, et que, dans un changement de règne, il est plus convenable de donner des marques de fermeté que de douceur. […] Avec des sentiments de justice relative et même d’humanité, Frédéric manquait absolument d’idéal, comme tout son siècle : il ne croyait pas à quelque chose qui valût mieux que lui. […] Il a pour les héros un attrait visible ; il ne parle qu’avec respect et avec un instinct de haute fraternité, des Gustave-Adolphe, des Marlborough, des Eugène ; mais il ne se méprend pas à la grandeur, et n’en prodigue pas le mot : la reine Christine, avec son abdication par caprice, ne lui paraît que bizarre ; le duel de Charles XII et de Pierre le Grand à Poltava lui paraît celui des deux hommes les plus singuliers de leur siècle.

443. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

Pascal s’était moqué de la poésie et de ces oripeaux convenus, siècle d’or, merveille de nos jours, fatal laurier, bel astre : « Et on appelle ce jargon, disait-il, beauté poétique !  […] Il reprend la loi de Malherbe et la remet en vigueur ; il l’étend et l’approprie à son siècle ; il l’apprend à son jeune ami Racine, qui s’en passerait quelquefois sans cela ; il la rappelle et l’inculque à La Fontaine déjà mûr63 ; il obtient même que Molière, en ses plus accomplis ouvrages en vers, y pense désormais à deux fois. […] Il s’y montre en son haut rang, au centre du groupe des illustres poètes du siècle, calme, équitable, certain, puissamment établi dans son genre qu’il a graduellement élargi, n’enviant celui de personne, distribuant sobrement la sentence, classant même ceux qui sont au-dessus de lui… « his dantem jura Catonem » ; le « maître du chœur », comme dit Montaigne ; un de ces hommes à qui est déférée l’autorité et dont chaque mot porte. […] Saluons et reconnaissons aujourd’hui la noble et forte harmonie du Grand Siècle. […] Aussi ces hommes de talent, se sentant dans un siècle d’anarchie et d’indiscipline, se sont vite conduits à l’avenant ; ils se sont conduits, au pied de la lettre, non comme de nobles génies ni comme des hommes, mais comme des écoliers en vacances.

444. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers libre  »

L’affaiblissement de la rime aux deux derniers siècles ne fut qu’un signe de lassitude ou de décadence : le vers classique à rimes pauvres n’est que le produit d’un art anémié et titubant. […] Cela ne choque pourtant aucune oreille musicale, puisque nous sommes, depuis plusieurs siècles, accoutumés à ces brisures du rythme. […] Note sur un vers libre latin Vers le neuvième siècle, en même temps que le vers latin, de mélodique, se faisait syllabique, la prose oratoire subissait la même transformation, les syllabes aiguës étant devenues les syllabes fortes. […] Quoique nous ne le comprenions pas très bien, il existe ; il fut cultivé pendant trois ou quatre siècles ; il satisfaisait les oreilles délicates accoutumées aux nuances du chant neumatique ; il se chantait d’abord, mais il se lisait, puisqu’on en faisait des recueils en le séparant de sa mélodie. […] J’ai seulement voulu montrer qu’à huit siècles de distance on retrouve, en des circonstances peu analogues, la présence d’un vers qui souffre mal l’analyse prosodique, et qui est essentiellement différent de toutes les formes du vers, latines ou françaises.

445. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

un quart de siècle, et représentez-vous l’incalculable somme de développement intellectuel que contient ce seul mot : tout le monde sait lire ! […] Qu’est-ce que le genre humain depuis l’origine des siècles ? […] Rétrogradez tant que vous voudrez, du palais de Versailles au schloss de Heidelberg, du schloss de Heidelberg à Notre-Dame de Paris, de Notre-Dame de Paris à l’Alhambra, de l’Alhambra à Sainte-Sophie, de Sainte-Sophie au Colisée, du Colisée aux Propylées, des Propylées aux Pyramides, vous pouvez reculer dans les siècles, vous ne reculez pas dans l’art. […] La scolastique elle-même, toute chimérique qu’elle est, abandonne le Pré Spirituel de Moschus, raille l’Échelle Sainte de Jean Climaque, et rougit du siècle où saint Bernard, attisant le bûcher que voulaient éteindre les vicomtes de Campanie, appelait Arnaud de Bresse « homme à tête de colombe et à queue de scorpion. » Les Qualités Cardinales ne font plus loi en anthropologie. […] Un homme, un mort, une ombre, du fond du passé, à travers les siècles, vous saisit.

446. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

Ce qu’en un siècle de barbarie, avaient fait Shakespeare et Lope de Vega, l’un par ignorance et l’autre par nécessité, les Allemands, à une époque de lumières universelles, le firent avec choix et systématiquement. […] Mais, disent les romantiques, si Corneille, Racine et Voltaire sont excusables d’avoir traité des sujets antiques et païens, leurs successeurs ne le seraient pas de s’obstiner à exploiter ces mines tant fouillées, dont les produits, d’ailleurs, sont dédaignés par l’esprit et le goût du siècle. […] Nous répondrons modestement que nous les avions toujours crues classiques, c’est-à-dire, composées d’après les excellents modèles de l’antiquité, et dignes de servir de modèles à leur tour aux poètes des siècles futurs. […] La nature et l’homme sont invariables au fond ; mais ils reçoivent, des climats ou des siècles divers, quelques changements de forme ou de costume. […] Un sujet de la Grèce antique, où l’homme de tous les lieux et de tous les siècles sera peint fidèlement, sous le costume rigoureusement observé de Mycènes, d’Argos ou de Sparte, réunira, pour des spectateurs modernes, les deux conditions qui constituent cette vérité : un sujet moderne pourra les enfreindre l’une ou l’autre, si les sentiments naturels sont faussement exprimés, ou les mœurs sociales inexactement rendues.

447. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VII. Versailles. »

La peinture, l’architecture, la poésie et la grande éloquence ont toujours dégénéré dans les siècles philosophiques. […] Un siècle s’est à peine écoulé, et ces bosquets, qui retentissaient du bruit des fêtes, ne sont plus animés que par la voix de la cigale et du rossignol.

448. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XI » pp. 39-46

C'est un pêle-mêle, un carnaval de Venise de tout le siècle de Louis XIV. […] (Voir le Siècle, les Débats qui font selon moi trop de polémique là-dessus, mais c’est là le cas ou jamais.) […] La raison ou la foi vont au delà, l’une à la philosophie du siècle, l’autre à l’ultramontanisme.

449. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Virgile, et Bavius, Mœvius, Bathille, &c. &c. » pp. 53-62

Si leurs beaux jours étoient troublés, ce n’étoit que par le souffle infect de tout ce que leur siècle avoit de plus odieux & de plus méprisable. […] Elle eut bien voulu faire passer à la postérité la prose de cet illustre écrivain, pour prouver à tous les siècles qu’il n’a pas mieux réussi hors de son genre, que Cicéron hors du sien. […] Il n’est qu’un seul homme dont la prose égale au moins ses vers, l’auteur de la Henriade & du Siècle de Louis XIV.

450. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Avertissement » pp. -

À la division habituelle par Siècles et, dans chaque siècle, par Genres, — d’un côté la poésie et la prose de l’autre ; la comédie dans un compartiment, le roman dans un second, l’« éloquence » dans un troisième ; — j’ai donc, premièrement, substitué la division par Époques littéraires. Et en effet, puisque l’on ne date point les époques de la physique ou celles de la chimie du passage d’un siècle à un autre, ni même de l’avènement d’un prince, quelles raisons y a-t-il d’en dater celles de l’histoire d’une littérature ?

451. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Auguste Nicolas »

Quelque disposé que l’on soit à bien penser de son siècle et de son pays, que voulez-vous pourtant qu’on augure de la vitalité intellectuelle de la France au xixe  siècle en face de ces publications, dont les unes, comme ces nombreux traités de chimie, de physique, d’agriculture, d’hydraulique, de droit élémentaire, etc., etc., qui encombrent les catalogues de librairie, ne sont que de grossières spéculations faites sur l’ignorance qui veut se décrasser, et dont les autres… de quel nom les nommer, si ce n’est du leur, pour caractériser leur abjecte médiocrité ? […] Un jour Guizot, qui a le triste génie des coalitions, et dont la tête d’homme d’État rêve des fusions qui ne seraient que des coalitions encore, avait écrit que le catholicisme et les diverses communions protestantes devaient unir leur effort contre ce socialisme qui menace la société moderne telle qu’après tant de siècles la voilà faite par le génie de la double Rome, la Rome politique et la Rome chrétienne. […] Il y a du Fénelon en lui, moins la chimère et l’Antiquité, par son genre d’éloquence et de bien-dire, Nicolas doit ramener au catholicisme les cœurs tendres troublés par le siècle, les jeunes gens, les poètes et les femmes.

452. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « ??? » pp. 175-182

C’est même plus qu’un homme : c’est un siècle. […] la folie du siècle !) […] C’est qu’au lieu de lécher d’une langue efféminée cette blessure, qui saigne au flanc du siècle, on l’aurait débridée, élargie ; on n’eût pas craint de porter dans sa profondeur un fer courageux ou la flamme.

453. (1915) La philosophie française « II »

Ceux mêmes des philosophes français qui se sont voués pendant le dernier siècle à l’observation intérieure ont éprouvé le besoin de chercher en dehors d’eux, dans la physiologie, dans la pathologie mentale, etc., quelque chose qui les assurât qu’ils ne se livraient pas à un simple jeu d’idées, à une manipulation de concepts abstraits : la tendance est déjà visible chez le grand initiateur de la méthode d’introspection profonde, Maine de Biran. […] Pendant tout le XVIIe et le XVIIIe siècles, la pensée française, s’exerçant sur la vie intérieure, a préparé la psychologie purement scientifique qui devait être l’œuvre du XIXe siècle. […] Mais il faudra, pour cela, le travail accumulé de bien des siècles.

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