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409. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Vers ce même temps, et non plus dans l’ordre de l’action, mais dans celui du sentiment, de la méditation et du rêve, il y avait deux génies, alors naissants, et longuement depuis combattus et refoulés, admirateurs à la fois et adversaires de ce développement gigantesque qu’ils avaient sous les yeux ; sentant aussi en eux l’infini, mais par des aspects tout différents du premier, le sentant dans la poésie, dans l’histoire, dans les beautés des arts ou de la nature, dans le culte ressuscité du passé, dans les aspirations sympathiques vers l’avenir ; nobles et vagues puissances, lumineux précurseurs, représentants des idées, des enthousiasmes, des réminiscences illusoires ou des espérances prophétiques qui devaient triompher de l’Empire et régner durant les quinze années qui succédèrent ; il y avait Corinne et René, Mais, vers ce temps, il y eut aussi, sans qu’on le sût, ni durant tout l’Empire, ni durant les quinze années suivantes, il y eut un autre type, non moins profond, non moins admirable et sacré, de la sensation de l’infini en nous, de l’infinienvisagé et senti hors de l’action, hors de l’histoire, hors des religions du passé ou des vues progressives, de l’infini en lui-même face à face avec nous-même. […] Rabbe, je l’ai déjà dit, connaissait Oberman ; il le sentait passionnément ; il croyait y lire toute la biographie de M. de Sénancour, et il s’en était ouvert plusieurs fois avec lui : un livre qu’il avait terminé, assure-t-on, et auquel il tenait beaucoup, un roman dont le manuscrit fut dérobé ou perdu, n’était autre probablement que la psychologie de Rabbe lui-même, sa psychologie ardente et ulcérée, son Oberman. […] Il y avait eu de l’orage ; les feuilles étaient humides et l’air était doux ; un rayon de soleil vint à percer, et il m’arriva d’être content : je me sentis en possession de mon existence. […] jouissons du seul plaisir qui nous reste ; regardons couler nos jours rapides, savourons l’amère volupté de nous comprendre et de nous sentir tous entraîner pêle-mêle : du moins nous nous perdons ensemble, nous n’allons pas seuls vers la fin terrible ! 

410. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — L’orthographe, et la prononciation. » pp. 110-124

Ils travaillèrent à différentes reprises sur l’orthographe, & firent presque sentir la nécessité d’en avoir une nouvelle. […] Ils ajoutoient que cette différence, qui se trouve entre notre orthographe & notre prononciation, se faisoit encore plus sentir dans la langue Angloise. […] Il n’est pas douteux qu’il ne faille marquer aux yeux les différences que l’on ne peut faire sentir à l’oreille. […] Par exemple, est-il dans la règle de ne pas faire sentir, ou de prononcer avec affectation en chaire, au barreau & sur le théâtre, le s final des noms, & le r final des verbes dont l’infinitif est terminé en er ou en ir, sous prétexte que cette pratique donne plus de dignité & d’énergie à la prononciation ?

411. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Biot » pp. 306-310

Ce plaisir, nous devons le dire, a été mêlé de regret pour une nombreuse partie de l’auditoire ; on écoutait, on saisissait quelques mots, on sentait que quantité de choses justes, délicates et fines passaient tout près de là ; on les devinait au sourire même de celui qui parlait, et à la satisfaction de tous ceux qui se trouvaient assez voisins pour en jouir ; on était bien sûr de ne pas se tromper en joignant ses applaudissements aux leurs, mais on éprouvait, en réalité, un peu du supplice de Tantale. […] Guizot a pris ensuite la parole, et, dès les premiers mots, on a senti vibrer l’arc et les flèches sonores : on a retrouvé un orateur. […] Ce n’est pas à eux, d’ailleurs, à ces hommes d’État qui ont senti à leur jour tout le poids du gouvernement, qu’il est besoin de rappeler la gravité et la mesure.

412. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ix »

Chacun sentait que tout cela tournait au bien de la patrie. […] Ils se sentaient initiés à la bienveillance universelle, au bonheur de reposer parmi des compagnons d’armes. […] Une épreuve si effroyable devait rendre les gens de l’arrière meilleurs, comme ils se sentaient eux-mêmes.

413. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

On le sent, on le pense ; mais l’auteur devait le dire ; la moralité de son ouvrage tenait à cet aveu. […] On le sent surtout au dix-septième siècle, âge de gravité, de décence et d’étiquette. […] Sentir en soi un vague besoin de quelque autre chose que les biens et les affections de ce monde, le sentir toujours et toujours en vain, ce n’est pas tant le mal même que le symptôme d’un mal plus grand. […] L’humanité ne sait que ce qu’elle sent. […] Belle et grave question, devant laquelle on sent le besoin de se recueillir.

414. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

Vous sentez-vous si supérieur quand vous faites du mal ? […] On est encore vainqueur partout ; mais on sent cependant, ou l’on peut sentir, un commencement de fin de siècle et un commencement de coucher de soleil. […] Toute modeste, on sent qu’elle est née comme cela. […] Mais à laisser voir qu’il sent qu’on ne l’aime pas. […] Ne nous sentons-nous pas tous atteints par cette épée fine, aiguë et inévitable qui nous presse, qui nous poursuit et que nous sentons qui nous entre en pleine chair ?

415. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Leurs héros ont à la fois des âmes et des corps : ils raisonnent, sentent, et agissent. […] Mallarmé a nettement sentie : par elle la poésie devient un art. […] Vivre, c’est créer des idées ; jouir, c’est se sentir les créant. […] Nous y trouvons un grand homme qui désire, qui sent, qui souffre comme nous. […] On m’avait expliqué, le matin, que, de par la science, l’homme sent une odeur lorsqu’il est devant un objet odorant, et ne sent nulle odeur lorsqu’il n’est point devant un tel objet.

416. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Ce cri veut nous étonner et sent son charlatan. […] Il jouit de se sentir si bon, — et célèbre par-dessus le marché. […] Il se sent chez les siens. […] Je sentais cette inconséquence dans toute sa force. […] Mais en même temps, comme il sent que ce serait un peu long, il triche.

417. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Ce brave homme n’était curieux que de sentir. […] Où il n’avait senti d’abord que des ardeurs importunes, il sent la chaleur auguste d’un cœur vivant et transpercé. […] Il le sentit d’instinct. […] Elle-même se sentait profondément atteinte. […] On n’y sent vivre ni l’homme ni la nature.

418. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Introduction, où l’on traite principalement des sources de cette histoire. »

On sent qu’il cherche à présenter ces mouvements si profondément juifs de caractère et d’esprit sous une forme qui soit intelligible aux Grecs et aux Romains. […] Comment, à côté de renseignements précis et qui sentent si bien le témoin oculaire, trouve-t-on ces discours totalement différents de ceux de Matthieu ? […] On sent le procédé factice, la rhétorique, l’apprêt 55. […] L’inexactitude, qui est un des traits de toutes les compositions populaires, s’y fait particulièrement sentir. […] Souvent on sent que l’auteur cherche des prétextes pour placer des discours (ch.

419. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

S’il est plein de figures, on sent bien qu’il n’en a recherché aucune. […] L’art n’y est pas toujours caché, & l’on sent qu’il dirige souvent la nature. […] Le ton touchant de la piété, l’onction, l’abondance, la science des applications, se font bien sentir dans tous ses écrits. […] Ils n’ont pas senti que si les défauts de cet Ecrivain célébre blessent moins chez lui qu’ils ne feroient ailleurs, c’est non-seulement par les beautés, tantôt frappantes, tantôt fines, qui les effacent, mais parce qu’on sent que ces défauts sont naturels en lui, & que le propre du naturel, quand il ne plaît pas, est au moins d’obtenir grace. […] Par-tout on sent un peintre habile qui assortit son pinceau aux différens caractères qu’il veut représenter.

420. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

L’illusion est parfois si complète qu’à tout moment, pendant qu’elle dure, on se croit sur le point de prédire ce qui va arriver : comment ne le saurait-on pas déjà, puisqu’on sent qu’on va l’avoir su ? […] Ils semblent introduire dans l’esprit certaines manières nouvelles de sentir et de penser. […] Comme on reconnaît chaque mot dès qu’on le prononce, on sent qu’on le tient avant de le prononcer, et pourtant on ne le retrouve qu’en le prononçant. […] On sent qu’on choisit et qu’on veut, mais qu’on choisit de l’imposé et qu’on veut de l’inévitable. […] Immanente à la vie intérieure, elle la sent plutôt qu’elle ne la voit ; mais elle la sent comme un mouvement, comme un empiétement continu sur un avenir qui recule sans cesse.

421. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Le public sent le besoin d’autre chose. […] Il retrouve au bout de sa plume des termes qui sentent l’école d’une lieue. […] Qui ne sent là le ciseleur délicat qui a passé par l’école parnassienne ? […] sent se réveiller dans son cœur un vieux souvenir et il vous en fait part généreusement. […] Il est trouvé presque toujours ; mais on sent çà et là qu’il a été cherché.

422. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Signoret, Emmanuel (1872-1900) »

Confiance superbe, orgueil louable d’un jeune homme qui ne s’éperd pas en de vaines lamentations, mais aime la vie parce qu’il se sent de force à l’incarner toute un jour. […] Signoret sont toutes pénétrées de cet amour intense de la nature qui fait qu’on s’identifie avec elle, qu’on la sent vivante et qu’on prête une âme, comme les anciens, aux vieux chênes, aux sources, aux rochers… Les divinités mythologiques sont ici bien chez elles, dans leurs paysages familiers ; on les y attend, et l’on serait étonné de ne pas les y voir. […] Ceux qui sentent la beauté n’ont pas besoin qu’on la leur explique ; il suffit qu’ils la regardent.

423. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XII. Mort d’Edmond de Goncourt » pp. 157-163

Tels qu’il sentait un drame, des types, tels il les formulait, avec toute la rigueur possible. […] À coup sûr, il ne se sentait pas davantage inférieur à Zola, malgré ses deux millions d’exemplaires. […] Les naturalistes de quarante ans ne se sentent filleuls que du maître de Médan.

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