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603. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

La tolérance qu’avaient aisément les anciens pour les diverses opinions et croyances religieuses, tolérance que Gibbon s’attache si fort à démontrer, était plus que compensée par le mépris si habituel qu’on avait alors pour la vie des hommes. […] À défaut de ce honneur impossible, Mme Necker essayait quelquefois de lui indiquer d’autres sources de consolation et le souverain remède contre l’isolement du cœur ; elle lui avait fait promettre de lire l’ouvrage de son mari sur L’Importance des opinions religieuses, et elle avait, à l’occasion, sur ce sujet de christianisme et de monde invisible, des paroles amies et délicates, que Gibbon du moins ne repoussait pas. […] Quoique cette manière de raisonner soit très blâmable, il est impossible qu’il n’en reste pas plusieurs impressions désavantageuses : 1º Que les premiers chrétiens étaient animés d’un esprit de fanatisme et d’enthousiasme autant que d’un esprit religieux. 2º Que l’on peut à peine avoir foi aux miracles, parce que l’Église dès lors jusqu’à présent n’a jamais renoncé au pouvoir d’en faire ; que les preuves sont égales pour tous les temps ; que le moment où le don des miracles a réellement cessé n’a fait aucune impression ; qu’enfin les chrétiens, en admettant les miracles du paganisme, détruisent et la foi qu’on aurait aux leurs et le caractère surnaturel des miracles. 3º Que, dès les premiers siècles, parmi les Pères de l’Église et ceux qui nous en ont transmis l’histoire, l’enthousiasme a donné lieu à des fraudes pieuses qui déguisent absolument la vérité. 4º Que les différentes sectes qui divisent le christianisme dès son commencement altérèrent les Écritures en publiant chacune de son côté des Évangiles divers. 5º Que bien des causes temporelles favorisèrent les progrès du christianisme qui furent bien plus lents qu’on ne pense. 6º Qu’il n’y eut réellement aucune persécution générale jusqu’au temps de Dioclétien ; que celle-ci même ne fit pas deux mille martyrs, et que le petit nombre de chrétiens qui avaient été persécutés auparavant l’avaient été pour des causes particulières.

604. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

Il établit, dès le début, la meilleure police ecclésiastique dans la capitale, visitant les séminaires, les paroisses, tantôt l’une, tantôt l’autre, à l’improviste, s’inquiétant que les prêtres étrangers ou les religieux en passage à Paris n’y vécussent que convenablement à leur caractère ; sévère et sans quartier pour les moines errants. […] Sa maxime était « de tourner les choses de manière qu’en donnant gain de cause à celui qui avait raison, son adversaire eût cependant lieu, par quelques endroits, de se consoler d’être vaincu. » Aux difficultés qu’il rencontrait en cette tâche ingrate d’arbitre et de pacificateur des couvents, il lui arriva cependant de dire plus d’une fois qu’il était moins aisé de remettre la paix parmi les religieux et les réguliers que de ramener au devoir les prêtres séculiers. […] De religion, de croyance religieuse proprement dite, il n’en faut point parler, il n’en avait pas.

605. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

La première différenciation est celle qui s’opère entre le gouvernant et les gouvernés ; elle grandit, l’autorité devient héréditaire, le roi prend un caractère presque divin ; car la religion et le gouvernement sont à cette époque intimement associés ; et pendant des siècles les lois religieuses et les lois civiles se séparent à peine. […] L’écriture (idéographique à l’origine) se rattache à la peinture, et toutes deux avec la sculpture furent d’abord de simples appendices de l’architecture, qui elle-même était l’art hiératique ou religieux ; les palais et temples d’Assyrie, les monuments d’Egypte ou de l’Inde en témoignent. […] En littérature, les œuvres primitives comprennent tout ; l’Écriture contient la théologie, la cosmogonie, l’histoire, la législation, la morale, etc., des Hébreux ; dans l’Iliade, il y a des éléments religieux, militaires, épiques, lyriques, dramatiques ; tout cela forme plus tard autant de genres.

606. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Le sujet est une religieuse qu’on a contrainte dans ses vœux, qui va être punie par l’abbesse pour avoir voulu les violer, et que vient délivrer son amant en uniforme de grenadier de la Garde nationale, avec l’officier en tête et toute la compagnie. […] Le scandale qui eut lieu à Saint-Roch lors du refus de sépulture de la danseuse, Mlle Chameroy, lui fournit l’occasion de remarques politiques relativement à la religion : « Elle aura longtemps encore, dit-il, plus besoin d’être soutenue que contenue. » Il établit très bien la différence qu’il y a entre ces deux supports de l’Ancien Régime, la noblesse qui est véritablement finie, et l’établissement religieux qui doit se transformer et subsister. […] Fiévée s’aperçut qu’il avait travaillé pour d’autres, et que le ministère tombait sous la domination d’une coterie politique et d’une congrégation religieuse, auprès desquelles il avait peu de chances de se faire écouter et compter pour ce qu’il valait.

607. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Enfant, dans les voyages presque annuels qu’il faisait à Boulogne-sur-Mer, j’ai eu plus d’une fois le plaisir d’entendre au dessert son odyssée : et, ce qui me frappait déjà chez un homme qu’on était accoutumé à considérer comme un des chefs du parti royaliste et religieux, c’est qu’il ajoutait que dans sa prison, et se croyant à la veille de périr, il avait fait demander et avait lu, comme livre de consolation, les Essais de Montaigne. […] Bien qu’il se prononce dans un sens plutôt favorable aux croisés et à l’inspiration religieuse qui les a poussés, l’auteur ne dissimule rien des désordres ni des brigandages ; il reste tout philosophique dans son mode d’examen et d’explication. […] Mais, quels que soient les motifs qui m’ont conduit, je n’ai point traversé cette Voie douloureuse sans éprouver une vive émotion et sans m’élever à de religieuses pensées.

608. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

Richelieu n’est pas un philosophe ; ce haut esprit, qui est surtout un bon esprit armé d’un grand caractère, paie tribut aux idées et aux préjugés de son temps ; il parle en maint endroit comme croyant aux présages, aux horoscopes et aux sortilèges ; il est superstitieux : mais aussi il est sincèrement religieux, il croit au don de Dieu qui s’étend sur certains hommes destinés à être des instruments publics de salut : si les fautes commises envers les personnes publiques lui paraissent d’un tout autre ordre que celles commises contre des particuliers, les fautes de ces personnes publiques elles-mêmes lui semblent aussi plus graves et de plus de poids, eu égard à la responsabilité et à l’étendue des conséquences. […] Elles sont pourtant la seule moralité supérieure qui serve de garantie dans les personnes publiques, qui les sauve du pur machiavélisme ; et on aime à retrouver le signe de cet esprit religieux sous une forme ou sous une autre, ce sentiment sacré d’une divinité singulière invoquée et reconnue de tous les grands chefs et fondateurs d’États et des conducteurs de peuples. […] Avenel a trouvé un fait piquant, et qui touche à ce coin religieux sincère : c’est un vœu fait par Richelieu.

609. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Mêlant ses idées religieuses si honorables à ses combinaisons de finance, il suppose que Colbert devait à son génie politique d’être plus religieux qu’un autre : « Un grand administrateur s’attache plus fortement qu’un autre à l’idée d’un Dieu. » Dieu, quelque part, est appelé, par un singulier rapprochement de termes, « l’Administrateur éternel ». […] Il écrivit d’abord sur l’administration et sur la politique ; mais bientôt, cherchant dans ses instincts méditatifs une diversion plus haute et plus vaste aux ennuis de l’inaction, il fit son livre De l’importance des idées religieuses et combattit les fausses doctrines répandues autour de lui.

610. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

Ces contes, que l’on pourrait appeler aussi contes moraux — car leur didactisme s’inspire généralement d’un prosélytisme moral — sont de deux sortes : les contes de morale idéale (religieuse et musulmane le plus souvent) ou théorique et ceux de morale pratique ou réelle. […] J’ai dit que les contes de morale théorique présentent le plus souvent un caractère religieux. […] Il n’a pas, comme nous, cet atavisme de morale religieuse dont l’influence persiste même chez les « libres-penseurs » les plus dégagés, en apparence, de l’étreinte du passé et qui nous fait nous effaroucher devant le récit d’actes ou d’événements somme toute conformes à la loi de Nature.

611. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

Henri Heine est un génie éminemment tendre, nuancé des plus ravissantes et (dans le sens religieux) des plus divines mélancolies, chez qui le sourire et même le rire trempent dans les larmes, et les larmes se rosent de sang… C’est une âme d’une si grande puissance de rêverie et d’un désir si amoureux du bonheur, que l’on peut dire qu’elle est faite pour le Paradis tel que les chrétiens le conçoivent, comme les fleurs sont faites pour habiter l’air et la lumière. […] Et cependant ce tendre génie, ce rêveur épris jusqu’à l’angoisse de toutes les béatitudes, ce poète aussi intimement religieux de tempérament que Klopstock, nous l’avons vu, pendant vingt ans, navrant spectacle ! […] Il y a des philosophies qui sont presque, des poésies sans rhythme, il y a des métaphysiques qui ont un côté idéal, grandiose, religieux, et ce n’est pas pour rien sans doute qu’on parle des ailes d’or de la pensée de Platon.

612. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

M. le grand rabbin du Consistoire central de France, dans une lettre que j’ai sous les yeux, répond : « Mes aumôniers et moi, nous avons constaté depuis le début de la guerre chez les soldats israélites une grande recrudescence de foi religieuse s’alliant à l’enthousiasme patriotique ». […] Les documents que je possède sur l’élite morale des israélites ne me font connaître que des consciences qui paraissent vidées de leur tradition religieuse… ‌ Là-dessus, un jeune officier israélite, industriel lorrain, qui a été l’objet d’une belle citation à l’ordre de l’armée, m’écrit une lettre intéressante qui commence par ces mots : « Je suis juif, sincèrement croyant et attaché à ma religion… » J’en détache quelques fragments :‌ « Prenons comme exemple, me dit cet officier, un israélite de ce que l’on appelle la bonne bourgeoisie, c’est-à-dire le sous-lieutenant qui vous écrit… J’ai eu une instruction moyenne (études classiques à Carnot, puis commencement de droit). […] Sur le même sujet une lettre signée d’un nom important dans la société parisienne :‌ Je ne voudrais pas vous laisser croire que les consciences des Israélites morts pour la France avec amour « sont vidées de leur tradition religieuse ».

613. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Homme intérieur, dévoué aux théories élevées et prouvées, arraché au christianisme par la logique, il a été égaré par des restes d’inclinations religieuses et par l’habitude de l’abstraction vague. […] Le génie de cette race est passionné et réfléchi ; les hommes concentrés y abondent ; mélancoliques, ardents, sérieux, religieux, solitaires, ils pensent naturellement à Dieu, au devoir, au bonheur, à la vie future, et leurs orages sont intérieurs. […] Il la laissa philosophique, et ne la voulut point religieuse.

614. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

Je ne serre pas de trop près, je ne veux pas démêler ce qu’il peut y avoir de vague et d’indécis sous ces phrases si nettes et si fermes de ton ; j’applique à Rousseau le précepte qu’il nous a donné pour le bien lire : « Mes écrits ne peuvent plaire qu’à ceux qui les lisent avec le même cœur qui les a dictés » ; et je dis que Rousseau, dans ces pages où il invoque si vivement le sentiment moral tel que tout honnête homme le trouve en lui-même dans une société civilisée, est moral lui-même et religieux. […] Et cela ressemblerait à une mauvaise plaisanterie que de poser seulement la question : Lequel était le plus religieux de Rousseau ou de lui ?

615. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

Mais d’assez récentes tracasseries ecclésiastiques l’ayant ramené à Paris, il y vit de près cette tiédeur et ce relâchement publics qui enhardissent un pouvoir sans morale à tous les envahissements rusés ou grossiers ; il y vit, sous cette couche corrompue d’une société en décadence, une masse jeune et populaire, impétueuse, frémissante, au sang chaud et vierge, mais mal éclairée, mal dirigée, obéissant à des intérêts aussi et à des passions qui, certes, courraient risque de bientôt corrompre la victoire, si un souffle religieux et un esprit fraternel n’y pénétraient d’avance à quelque degré. […] Frappé d’abord de l’indifférence religieuse et de l’inertie froide où croupissaient les premières couches de la société, il a désespéré de toute cette masse, si on n’y faisait descendre l’esprit et la purification par en haut, c’est-à-dire par les gouvernements, et, au delà des gouvernements, par le Saint-Siège.

616. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — I »

Sans remonter si haut, si de nos jours le vénérable Goethe, dérogeant une fois à cet esprit de sagesse et d’à-propos qu’il sait porter en toutes choses, s’avisait sur la fin de sa carrière d’un effort malencontreux, qui de nous aurait le courage ou plutôt la lâcheté de relever sans pitié l’illusion du grand poëte, et de rompre par de rudes et inutiles vérités le calme religieux dans lequel il jouit de sa gloire ? […] Mais il a compris la chose en auteur qui veut allonger son livre, et non le composer : c’est pourquoi il a entassé dans son Introduction force anecdotes, bons mots, récits de détails, exposés de doctrines religieuses ou politiques, sarcasmes croisés contre les philosophes et les papistes ; nulle part, il n’a placé ces vues générales qui caractérisent l’historien et révèlent en lui l’intelligence de son sujet.

617. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

Ce système ne peut être contraire aux idées religieuses. Les prédicateurs éclairés ont toujours représenté la morale religieuse comme un moyen d’améliorer l’espèce humaine ; j’ai tâché de prouver que les préceptes du christianisme y avaient contribué efficacement.

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