Et, si nous en reconnaissons un, sur quoi pouvons-nous nous fonder pour le reconnaître ? […] « Considérons maintenant un autre caractère général de notre expérience, qui est que, outre des groupes fixes, nous reconnaissons un ordre fixe dans nos sensations. […] Les différences que notre conscience reconnaît entre une sensation et une autre nous donnent l’idée générale de différence et associent indissolublement à chaque sensation que nous avons le sentiment qu’elle est différente d’autres choses ; et, quand une fois cette association a été formée, nous ne pouvons plus concevoir une chose quelconque sans être capables et même obligés de former aussi la conception de quelque chose de différent. […] L’homme a conçu et à la fin cesse de concevoir l’élan du projectile comme un effort33 analogue au sien ; dans sa métaphore, il reconnaît une métaphore et en défalque ce qu’il faut pour qu’elle convienne à un corps incapable d’intentions et de sensations. […] Par cette translation, de simple possibilité qu’il était, il devient chose effective au même titre que nous-mêmes, et nous lui reconnaissons une existence distincte, indépendante de la nôtre, puisque les événements qui la constituent, quoique constatés par nous, n’ont pas besoin de nos événements pour se produire et se succéder.
Les uns disent : Tristan est l’idéal définitif ; les autres, au contraire : Tristan a été un essai théorique poussé à l’extrême, l’auteur a lui-même reconnu son exagération et dans ses œuvres ultérieures il a sacrifié quelques parties de « son système ». […] C’est cette obstination à ne pas vouloir reconnaître dans son œuvre l’unité vivante de plusieurs moyens d’expression tendant à un seul but, qui est la cause de tous les malentendus. […] » Nous ne méconnaissons donc certes pas les intentions de l’auteur si nous reconnaissons que Tristan est, en grande partie, une œuvre de pure musique. […] Oui, quant à l’unité de sujet, nous serons forcés de reconnaître que Tristan occupe, non seulement dans l’œuvre de Wagner, mais dans l’histoire de l’art, une place unique. […] De ce que nous avons perçu par la vue se dégage clairement à nous l’image de la chevalerie légendaire du Gral, souffrant du péché de son roi indigne et délivrée par un « simple qui, après un temps d’épreuves, reconnaît sa mission et l’accomplit.
Comme on le reconnaît par ces exemples, il n’y a guère chez Tolstoï de descriptions pures ; la nature n’est pour lui que le théâtre des actions humaines, un milieu montré dans la mesure où il modifie et détermine les sensations, les volontés et conditionne les actes. […] Si la traduction de ses œuvres ne permet pas de reconnaître exactement la contexture de leur style, l’absence d’une coupe de phrase propre, d’une qualité de vocabulaire, d’un ton clairement déterminé, la pauvreté des tournures et des mots sont cependant visibles et à certains détails, comme les comparaisons mal déduites de La Guerre et la Paix (III, pp. 263 et 266), on reconnaît le peu de soin mis à l’écriture. […] Dans ce vaste drame, la vie même est jouée ; les spectateurs sont de la pièce ; ils ne sortent pas d’eux-mêmes, mais, pris à la magie de cet art, s’abandonnent à la belle et facile occasion de poursuivre leur existence quotidienne dans le fictif, dans un lieu sans peines, sans dégradants soucis de soi-même, mais baigné d’une atmosphère de rêve et de brume immense, complexe, obscur, fragmentaire, vaste, noire, et si immédiatement connu d’une vue si proche, que le lecteur s’y perd et s’y trouve comme un passant dans le large miroir des eaux profondes ou stagnent le ciel, le site et lui-même qui reconnaît son ombre dans la leur. […] Que l’on rapproche ces actes d’un sérieux humain singulièrement profond et simple, de la bonté sénile du vieux Rostow, de l’infinie faiblesse de géant du prince Pierre, que l’on note que la scène la plus grave de La Guerre et la Paix est celle où le soldat Karalaïef raconte, dans l’obscurité puante d’une chambrée de prisonniers, l’histoire comme évangélique d’un marchand injustement condamné pour un assassinat, heureux de souffrir et pardonnant au scélérat qui le fait mourir au bagne, et l’on reconnaîtra que l’impression dernière de ce livre de batailles est religieuse, morale, pénétrée de bon vouloir et d’amour. […] Si l’artiste ou le penseur réalistes, exposés à percevoir tout le réel, ne peuvent mettre leur esprit et leur œuvre en correspondance avec cet immuable non moi, ni s’astreindre à reconnaître la juste nécessité des choses et qu’un péril de l’actuel conditionné par tout le passé, conditionne tout le futur, ils sont, entre leur science et leurs désirs, eu un trouble douloureux.
En pareil cas, il nous est donc impossible de reconnaître la forme mère de deux ou plusieurs espèces quelconques, même en comparant minutieusement la structure de l’ancêtre avec celle de ses descendants modifiés, à moins que nous n’ayons pour nous guider une longue chaîne, presque parfaite, de toutes les variétés intermédiaires. […] Lyell sur les Principes de géologie, que les historiens futurs reconnaîtront comme ayant opéré une révolution dans les sciences naturelles. […] Je reconnais pleinement avec M. […] Je reconnais combien il est téméraire à moi de m’opposer à de semblables témoins, surtout quand je songe que c’est à eux et à quelques autres encore que notre science moderne doit la plupart de ses progrès. Je sais aussi que tous ceux qui peuvent penser que nos documents géologiques sont tant soit peu complets, ou qui ne reconnaissent pas quelque poids aux faits et aux arguments divers rassemblés dans ce volume, rejetteront du premier coup ma théorie.
Charron n’entre en rien dans cette intelligence et cette explication vraiment philosophique de l’humanité, qui, pour la mieux comprendre, en suivrait d’abord les directions générales et en reconnaîtrait les vastes courants : il prend l’homme au rebours et dans ses écarts ; il l’observe malade, infirme, le voit toujours en faute, dans une sottise continuelle, dans une malveillance presque constante : « La plupart des hommes avec lesquels il nous faut vivre dans le monde, dit-il quelque part, ne prennent plaisir qu’à mal faire, ne mesurent leur puissance que par le dédain et injure d’autrui. » De ce qu’il y a certains cas où les sens se trompent et ont besoin d’être redressés, il en conclut que ce qui nous arrive par leur canal n’est qu’une longue et absolue incertitude. […] Qui agit par ce ressort, agit selon Dieu… » Charron ici, comme en quelques autres endroits, se trouve en contradiction avec son premier scepticisme fondamental, et moyennant cette lumière naturelle qui luit en chacun et qu’il semble reconnaître, il est plus voisin des platoniciens qu’il ne croit. […] À cet endroit, Charron reconnaît qu’il a puisé abondamment dans le traité de politique de Juste Lipse, comme précédemment il l’avait reconnu pour du Vair.
« Vous n’y reconnaissez pas, dites-vous, les sentiments habituels de Mme de Staël. » Encore un coup, vous m’étonnez ! […] Des esprits sages et honnêtes qui, dans les temps habituels, préféreraient les procédés de liberté, ont reconnu, en de certaines crises publiques, la nécessité d’en passer par des dictatures temporaires, et ils s’y sont ralliés, non parce qu’ils se sont convertis, mais par pur bon sens et par le sentiment impérieux de la situation. […] En revanche, un esprit supérieur comme Napoléon ne put-il pas reconnaître, à sa rentrée en France dans les Cent-Jours, que l’état de l’opinion exigeait désormais des procédés libéraux, des garanties constitutionnelles permanentes, et qu’on ne pouvait s’empêcher d’en accorder ? […] Qu’il eût mieux aimé gouverner autrement, cela ne saurait faire un doute ; mais son souverain bon sens, supérieur à ses goûts et à ses passions même, reconnut-il alors l’empire des faits et résolut-il de s’y soumettre ?
En mettant le pied en Espagne, lui-même il reconnut aussitôt son vrai climat et sa vraie terre. […] Essayez de faire la description d’une montagne de manière à la faire reconnaître : quand vous aurez parlé de la base, des flancs et du sommet, vous aurez tout dit. […] Une fois mis en goût de voyage et cette nouvelle vocation reconnue et déclarée, Théophile Gautier ne chôma plus et ne résista qu’autant qu’il était retenu par sa chaîne au cou, « dans la niche qu’on lui avait faite au bas du journal », ainsi qu’il s’est lui-même représenté. […] Et dans le Gœthe de Weimar, dans ce personnage majestueux et paisible de la fin ou du milieu de la vie, qui donc reconnaîtra Werther ?
C’est un fait reconnu et que les philologues et critiques qui se sont occupés de l’histoire de la langue et qui ont étudié la naissance de la Romane, d’où la nôtre est dérivée, ont mis de plus en plus en lumière. […] Et puis cette raison qu’il faut garder aux mots tout leur appareil afin de maintenir leur étymologie est parfaitement vaine ; car, pour une lettre de plus ou de moins, les ignorants ne sauront pas mieux reconnaître l’origine du mot, et les hommes instruits la reconnaîtront toujours. […] C’est au bon goût, et au bon sens à le reconnaître.
Encore en ce qui concerne l’avenir, ses éphémérides pourront être un jour contrôlées et nos descendants reconnaîtront peut-être qu’elles étaient fausses. […] Mais comment reconnaîtrons-nous que les antécédents A et A′ sont « peu différents » ? […] Nous reconnaîtrions alors que parmi ces séquences, il n’y en a pas deux qui soient tout à fait pareilles. […] Par les communications que nous avons avec les autres hommes, nous recevons d’eux des raisonnements tout faits ; nous savons que ces raisonnements ne viennent pas de nous et en même temps nous y reconnaissons l’œuvre d’êtres raisonnables comme nous.
Cette assurance, qui n’était qu’une grande confiance dans son esprit et dans ses ressources, il l’eut toujours ; mais la fatuité n’était qu’à la surface, car tous ceux qui l’ont vu de près, et les plus divers, lui ont reconnu depuis de la bonhomie. […] Pâris-Duverney étant mort sur ces entrefaites avait laissé à Beaumarchais un règlement de comptes, en vertu duquel il reconnaissait lui redevoir une somme de quinze mille livres. […] dites si vous avez jamais vu autre chose en moi qu’un homme constamment gai ; aimant avec une égale passion l’étude et le plaisir ; enclin à la raillerie, mais sans amertume ; et l’accueillant dans autrui contre soi, quand elle est assaisonnée ; soutenant peut-être avec trop d’ardeur son opinion quand il la croit juste, mais honorant hautement et sans envie tous les gens qu’il reconnaît supérieurs ; confiant sur ses intérêts jusqu’à la négligence ; actif quand il est aiguillonné, paresseux et stagnant après l’orage : insouciant dans le bonheur, mais poussant la constance et la sérénité dans l’infortune jusqu’à l’étonnement de ses plus familiers amis. […] Continuant donc de s’adresser humblement au souverain Être, il lui demande, puisqu’il doit avoir des ennemis, de les lui accorder à son choix, avec les défauts, les sottes et basses animosités qu’il lui désigne ; et alors, avec un art admirable et un pinceau vivifiant, il dessine un à un tous ses ennemis et ses adversaires, et les flétrit sans âcreté, dans une ressemblance non méconnaissable : « Si mes malheurs doivent commencer par l’attaque imprévue d’un légataire avide sur une créance légitime, sur un acte appuyé de l’estime réciproque et de l’équité des deux contractants, accorde-moi pour adversaire un homme avare, injuste et reconnu pour tel… etc. » Et il désigne le comte de La Blache si au vif que tous l’ont nommé déjà ; de même pour le conseiller Goëzman, de même pour sa femme et pour leurs acolytes ; mais ici la verve l’emporte, et le laisser-aller ne se contient plus ; à la fin de chaque portrait secondaire, le nom lui échappe à lui-même, et ce nom est un trait comique de plus : Suprême Bonté !
Ce La Fontaine qu’on donne à lire aux enfants ne se goûte jamais si bien qu’après la quarantaine ; c’est ce vin vieux dont parle Voltaire et auquel il a comparé la poésie d’Horace : il gagne à vieillir, et, de même que chacun en prenant de l’âge sent mieux La Fontaine, de même aussi la littérature française, à mesure qu’elle avance et qu’elle se prolonge, semble lui accorder une plus belle place et le reconnaître plus grand. […] Elle jouit de ces charmants tableaux encore plus qu’elle ne songe à les mesurer ou à les classer ; elle en aime l’auteur, elle le reconnaît pour celui qui a le plus reproduit en lui et dans sa poésie toute réelle les traits de la race et du génie de nos pères ; et, si un critique plus hardi que Voltaire vient à dire : « Notre véritable Homère, l’Homère des Français, qui le croirait ? […] Ce Phèdre que d’habiles gens ne veulent nullement reconnaître pour être du siècle d’Auguste, mais qui est classique du moins par son exacte pratique du genre conçu dans toute sa simplicité et son élégance, est un auteur qu’il est permis de ne pas rouvrir quand on a une fois fini sa quatrième. […] Le poète, dans sa préface, reconnaît lui-même qu’il est un peu sorti ici du pur genre d’Ésope, « qu’il a cherché d’autres enrichissements, et étendu davantage les circonstances de ses récits ».
On reconnaîtra, je l’espère, que de ces deux paysages concentriques, l’auteur a aimé l’un et l’autre, l’un à cause de l’autre. […] Mais nous la reconnaîtrons plus tard. […] Avec de la volonté, de l’union, des valeurs reconnues, des appuis français, un mouvement pouvait s’étendre et réussir. […] Amiel s’est reconnu dans Faust. […] Il y avait reconnu quelque chose de son cœur et de sa destinée, de sa vie solitaire et spirituelle de poète traducteur ou d’ami des lacs.
Des feuilles ultramontaines, dûment stipendiées, publient ces petits filets : « Sans doute Gros-Pierre, le secrétaire d’État, est un homme suspect, sinon taré, puisqu’il est de la fripouille démocratique : néanmoins faut-il reconnaître que sous son administration d’utiles réformes s’opèrent au ministère de la Ficelle-Rouge. » Vienne à tomber le cabinet dont Gros-Pierre est un des ornements, un favori nouveau en édifie un autre, et composant son personnel, il se dit : « Conservons toujours Gros-Pierre, puisque les ennemis du pouvoir sont contraints d’avouer sa valeur. » Gros-Pierre garde son portefeuille ; il a bien placé son argent. […] — Pas tant que cela, confrères, puisque en fin je reconnais que la maison durera bien toujours autant que nous.
Ils peuvent ensuite modifier ou développer, ou mûrir ou racornir leurs idées, mais, pour la forme, pour la mode et pour la coupe, si j’ose dire, on les reconnaît ; ils ont une date, ils nous la donnent fixe et bien précise, celle de l’instant de leur départ. […] Il est bien vrai que, lorsque, plus tard, on présenta à Saint-Évremond, retiré en Angleterre, cet ancien opuscule sur l’Amitié, imprimé avec d’autres, il refusa d’y reconnaître ce qu’il avait pu écrire primitivement, et il crut y voir des altérations de sa pensée ; mais il n’en avait pas moins pour cela écrit quelque chose de très-approchant, et M. […] Cousin croit reconnaître à travers le papier de Mme de Sablé ; c’est pour répondre à Saint-Évremond qu’elle composa cet écrit sur l’Amitié, écrit perdu pendant longtemps, et retrouvé et publié par M. […] Mais la manière de dire qui consiste à appeler tout cela d’emblée et de prime abord un trafic et un commerce n’en est pas moins désobligeante, odieuse, et Saint-Évremond n’avait pas si tort de ne pas vouloir se reconnaître à ce langage. […] Malgré cette vilaine pensée sur l’amitié-trafic, dont il ne s’est pas reconnu le père, je ne sais personne qui ait mieux senti que Saint-Évremond les douceurs de l’amitié, qui ait eu plus de goût et d’ouverture que lui pour les douceurs d’un commerce aimable.
L’esprit français s’y reconnaît ; mais il est d’autres modèles qu’il leur préfère, parce qu’il s’y trouve encore plus ressemblant. […] Où le publiciste ne voit qu’un expédient politique, l’évêque reconnaît et admire une des vertus de la nature humaine. […] Bossuet avait vu de quoi la religion rend capable le cœur où elle est maîtresse de la volonté ; il savait de quelles chutes elle relève les âmes ; il ne lui en coûta pas de reconnaître dans le sentiment religieux, là même où la religion était fausse, une des causes de la grandeur du pays. […] Peindre l’homme pour nous l’apprendre, et nous l’apprendre avec le conseil de nous y reconnaître, tout va là au dix-septième siècle. […] Notre portrait n’y est pas beau ; c’est à qui ne veut pas s’y reconnaître.