« Depuis cinquante ans que je demeure en France, disait à ce sujet Malherbe, je ne me suis point aperçu que la France se fût enlevée de sa place. » Il voulait que le poète ne se consumât point dans ce vain travail, et que la poésie, comme la prose, n’exprimât que des réalités. […] Les fictions ne sont pas l’idéal ; ce n’est, le plus souvent qu’un artifice pour orner et rendre extraordinaire une réalité trop commune l’idéal, c’est la réalité choisie.
Atteindre cette correspondance entre l’ordre interne et l’ordre externe, c’est ce que nous cherchons : et nous employons pour cela deux méthodes : « La méthode objective qui moule ses conceptions sur les réalités, en suivant de près les mouvements des objets, tels qu’en particulier ils se présentent aux sens, de sorte que les mouvements de la pensée puissent synchroniser avec les mouvements des choses. » « La méthode subjective qui moule les réalités sur ces conceptions, et s’efforce de découvrir l’ordre des choses, non en lui ajustant pas à pas l’ordre des idées, mais par une anticipation précipitée de la pensée, dont la direction est déterminée par les pensées et non contrôlée par les objets. » (§ 13) Toute recherche contient une observation, une conjecture, une vérification. […] Si le métaphysicien objecte que la réalité de l’esprit est prouvée par la conscience, et par le fait que je dis mon corps ; le biologiste répliquera que le témoignage de la conscience a besoin d’être modifié par l’analyse, et que si je dis mon corps, je dis aussi mon esprit.
Encore peut-on se demander si l’insuffisance pratique de cette dernière ne doit pas aller en diminuant, à mesure que les lois qu’elle établit exprimeront de plus en plus complètement la réalité individuelle. […] Mais nous n’avons aucune raison qui nous permette de croire à la réalité de cette régression. […] C’est ainsi que l’esprit est amené à se détourner d’une réalité désormais sans intérêt pour se replier sur soi-même et chercher au-dedans de soi les matériaux nécessaires pour la reconstruire.
Figurez-vous Diderot s’éprenant de la duchesse de Longueville : quelle verve, quel éclat, quelle divination de la réalité par l’enthousiasme ! […] Telle est, en toute réalité, cette Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse, que M. […] Cousin, trouble à ce point la réalité et la moralité des choses historiques, il est évident qu’il peut fausser autour de lui les esprits faibles, et la Critique, qui jusque-là riait gaîment des livres imbécilement amoureux échappés à sa vieillesse, ne sourit même plus !
Le comte de Camors écrit dans sa lettre le mot d’honneur, qu’il appelle un grand mot, et qu’il croit la seule réalité morale qui reste aux hommes dans l’athéisme universel. […] Ce mondain, qui nous raconte Un mariage dans le monde, s’est trouvé d’observation, de style et de taille, avec ce sujet d’une réalité si commune, et nous avons eu un livre vrai. […] Il fallait avoir ce que l’auteur n’a pas, — le sentiment de l’idéal et des réalités puissantes !
Aussi bien chacun voit dès à présent par où la poésie peut entrer dans le monde réel, et la réalité dans l’art. […] Par quel exemple plus concluant pouvait-il nous convaincre qu’il ne dépend que de nous seuls de transporter l’idéal au sein de la réalité ? […] Dès lors, c’était pour lui un droit et une obligation de ne rejeter aucun des ornements qui se présentaient en foule à son esprit ; il avait beaucoup moins à se préoccuper des causes en elles-mêmes que des effets produits par ces causes ; et, pour être vrai, ce n’était pas la réalité nue qu’il lui fallait reproduire, c’était la réalité embellie, la réalité pittoresque, la réalité agissant sur son imagination et, à son tour, modifiée instantanément par elle. […] Là, chaque rêve, l’imagination aidant, se présente avec la consistance de la réalité. […] Mais était-il nécessaire de torturer si hardiment la réalité ?
Son ingénu pouvoir d’évocation et d’illusion l’a préservé jusqu’au bout du triste contact de la réalité. […] De l’aveu même de ses adversaires, ses descriptions des pays qu’il a visités sont les plus vraies qui soient, celles qui donnent de ces pays l’image la plus conforme à la réalité. […] Green, Apparence et Réalité de M. […] Romanes y reconnaît l’impossibilité pour la science d’atteindre à la réalité objective, et la nécessité pour l’esprit de suppléer par la foi aux lacunes de la science. […] Mais c’est que la réalité, à y bien réfléchir, est un mot vide de sens.
Les consolations de l’amitié agissent à la surface, mais la personne qui vous aime le plus, n’a pas, sur ce qui vous intéresse, la millième partie des pensées qui vous agitent ; de ces pensées qui n’ont point assez de réalité pour être exprimées, et dont l’action est assez vive cependant pour vous dévorer, excepté dans l’amour, où en parlant de vous, celui qui vous aime s’occupe de lui ; je ne sais comment on peut se résoudre à entretenir un autre de sa peine autant qu’on y pense ; et quel bien, d’ailleurs, en pourrait-on retirer ?
Il pourrait mener François Ier chez Maguelonne sans être suspect ; il pourrait, sans alarmer les plus sévères, faire jaillir du cœur de Didier la pitié pour Marion ; il pourrait, sans qu’on le taxât d’emphase et d’exagération comme l’auteur de Marie Tudor, poser largement sur la scène, dans toute sa réalité terrible, ce formidable triangle qui apparaît si souvent dans l’histoire : une reine, un favori, un bourreau.
Il ne veut point que l’on enlève au beau sa réalité, « ce qui le livrerait sans défense aux attaques du scepticisme. […] C’est par la foi, ce rêve sublime, que tout ce à quoi l’homme aspire devient une certitude, une conquête, une réalité. […] Il ne reconnut qu’une puissance dans l’univers, l’inflexible réalité. […] Nous pensions assister à la lutte de l’idéal divin contre la réalité cynique ; nous voyons que cette lutte ne peut se produire dans une âme toute soumise par nature à la réalité la plus froide. […] Celui-là entre beaucoup trop dans la réalité.
Votre très grand esprit prend son vol vers l’idéal, le tout petit mien s’accroche à la réalité. […] Quant au peuple, qui allait entendre dans les églises le récit de la vision dantesque, il la tenait, non pour fiction, mais pour réalité. […] Il n’y a point ici d’allusion, mais une réalité, ma chère Viviane. […] Ces mélancolies, n’était-ce pas une mode, une affectation plutôt qu’une réalité ? […] Esprit ou matière, idéal ou réalité, force ou forme, accident ou loi, tout lui apparaît distinct, mais profondément uni dans le sein de Dieu.
Il fait remarquer, avec raison, les contradictions et les lacunes de la définition même du Beau, idée abstraite qui ne répond à aucune réalité et qui demeure nécessairement toujours vague et changeante. […] Quel est celui d’entre nous qui, plongé dans son rêve, et tout en s’avouant que ce n’est qu’un rêve, ne souhaite pas qu’il continue et ne préfère cette vision à la réalité ? […] L’action est l’accessoire ; elle n’est qu’une simple vision (élément apollinien) ; le chœur est, lui, la réalité (élément dionysien). […] Car les mélodies, dans un certain sens, sont, elles aussi, une abstraction de la réalité, comme toute idée générale. […] Notre philosophe s’engage ici dans les hypothèses sans limite, sans précision, qui ne se fondent sur aucune réalité.
Plus d’une âme aux prises avec une réalité cruelle s’est trouvée subitement régénérée par un retour silencieux sur le passé. […] Les comparaisons sont tirées des détails les plus vulgaires, de la réalité la plus triviale. […] Il a écouté sans murmurer une pièce qui ne relève ni de la réalité historique, ni de la réalité humaine, ni de la poésie lyrique, ni du mélodrame, où les acteurs se traitent mutuellement comme autant de pantins incapables de sentir et de penser. […] Quoique ce dialogue ne soit pas absolument dépourvu de réalité, il était difficile à M. […] Pour traiter un homme comme un plafond, il faut porter à la réalité visible un amour effréné, et nous craignons fort que cet amour chez M.
La vraie poésie est une réalité que le sentiment transfigure. […] Les amours et les haines de ces gens-là n’ont pas de réalité, parce que la grandeur manque. […] Shylock une fois puni, on cesse de le voir, Il disparaît, et avec lui se retire la réalité hargneuse et terrible, dont il est une des faces les plus sinistres et les plus meurtrières. […] Mais nous vivons — nous croyons vivre — dans un domaine de réalités que nos aïeux depuis des milliers de siècles, ont classé, étiqueté et référencé. […] Plus de vingt ans de misère et de réclusion consacrés à l’expression d’elle-même devaient aboutir à une réalité littéraire si pleine et si rayonnante qu’un jour il était fatal que celle-ci se levât de la nuit et éclairât au loin autour d’elle.
Il serait aussi absurde qu’un système renfermât le dernier mot de la réalité qu’il le serait qu’une épopée épuisât le cercle entier de la beauté. […] Au lieu de la réalité, vous aimez une abstraction. […] Si l’humanité est ainsi faite qu’il y ait pour elle des illusions nécessaires, que trop de raffinement amène la dissolution et la faiblesse, que trop bien savoir la réalité des choses lui devienne nuisible, s’il lui faut des superstitions et des vues incomplètes, si le légitime et nécessaire développement de son être est sa propre dégradation, l’humanité est mal faite, elle est fondée sur le faux, elle ne tend qu’à sa propre destruction, puisque ceux qui ont vaincu grâce à leurs illusions sont ensuite entraînés forcément à se désillu-sionner par la civilisation et le rationalisme. […] Ainsi les hypothèses sur l’électricité, le magnétisme, expliquent les phénomènes ; elles sont un lien commode entre les faits ; mais on ne les prend pas comme ayant une valeur absolue et correspondant à des réalités physiques.