Si ma parole intérieure répète une phrase que j’ai entendue, sans y rien changer, il n’y a là, évidemment, qu’un simple fait de mémoire. C’est ainsi qu’Alfred de Musset dit très exactement : Un vers d’André Chénier chanta dans ma mémoire 235 Mais si, avec des mots du dictionnaire usuel, je forge intérieurement une phrase que je n’ai jamais entendue, ce qui arrive sans cesse, les uns pourront dire que j’imagine, car l’ensemble conçu est nouveau, les éléments seuls sont anciens ; les autres pourront soutenir que, les mots étant faits pour être groupés de mille façons, on n’invente pas dans les mots, c’est-à-dire dans la parole, quand on se borne à les ranger dans un ordre nouveau, mais seulement quand on crée de toutes pièces un mot nouveau. […] Composée d’habitudes particulières, mais dont l’ordre de réalisation reste pour une grande part indéterminé, l’habitude totale n’est qu’une habitude générale 239 ; pour se réaliser en actes particuliers, mais complexes, elle doit appeler à son aide l’imagination [§ 3] ; celle-ci est nécessaire pour faire franchir à la phrase la faible distance qui la sépare de l’actualité ; mais elle n’a besoin pour cela d’aucun effort, tant les matériaux qu’elle emploie ont été bien construits, et tant ils sont habitués à s’enchâsser sans heurt entre des phénomènes de même nature aux côtés desquels ils se sont déjà souvent trouvés ; d’une part, l’analogie des images, qui toutes sont des sons, facilite leur enchaînement ; d’autre part, l’habitude totale contient, outre les habitudes particulières, spéciales à chaque mot, des habitudes encore générales, mais plus déterminées, qui résultent de l’association fréquente de certains mots ou de certains genres de mots : par exemple, après un substantif, l’habitude conseille, sans l’imposer absolument, un verbe, et, après un verbe, un adjectif240 [ch. V, § 3] ; après tel substantif, elle conseille, encore plus discrètement, tel verbe, et non tel autre ; les deux rapports d’association, le rapport d’analogie et le rapport de contiguïté, concourent donc à faciliter la succession des mots, c’est-à-dire la formation de la phrase.
Il n’est pas une de ses phrases qui ne soit originale et belle, qui ne donne l’impression d’une musique savamment combinée. […] Ces phrases lui demandèrent, en tout cas, douze ans de travail : car c’est seulement en 1885 que parut Marius. […] « Il lui fallait tant d’efforts pour mettre une phrase sur pied, rapporte M. […] Jamais encore le monde n’a vu une pareille machine pour forger des phrases ambiguës et pour les exprimer d’un ton assuré et mielleux. […] Mais elles ont beau être composées de mots français, ce sont des phrases en norvégien.
et de le dire, et de s’en lamenter en phrases bien faites et que l’on sent bien faites, cela me paraît lâcheté pure et prétentieuse impertinence, alors que tant de malheureux souffrent réellement de la faim, du froid, de la maladie, des infirmités, de la perte de leurs enfants, des abandons, des trahisons, etc. […] Il s’est aperçu ce jour-là qu’il aimait la vie, même douloureuse : «… Et, pour la première fois, il me semble qu’il y a un peu de « phrases » dans ce que j’ai toujours dit et pensé sur la vie, dans les colères, les dégoûts, peut-être jusque dans les tristesses qu’elle m’a inspirés.
Schiller a dit une bêtise d’Allemand (et ce sont les meilleures), quand il a écrit cette phrase d’apothéose : « Tout ce que le flambeau de la Raison ne peut éclairer n’existe pas pour elle. » Que Schiller aille se promener avec son flambeau ! […] Guizot, qui raconte qu’un jour, en l’entendant réciter une phrase de Chateaubriand, Mme de Staël, s’avisant, se mit à crier qu’il jouerait supérieurement la tragédie, ce qui est comique, et lui proposa le rôle de Pyrrhus ou d’Oreste dans Andromaque, ce qui aurait été bien plus comique encore, s’il avait accepté !
Il n’a fallu rien moins que le siège de Paris pour faire partir ce baril de poudre patriotique et de phrases sur lequel Edgar Quinet fumait, comme Jean-Bart, sa pipe tranquillement, depuis, trente ans, sans l’allumer. […] Elle la combine parfois avec la phrase haletante de Michelet, un ami de son mari… ou le sentimentalisme descriptif de Madame Michelet, car Monsieur et Madame Michelet avec Monsieur et Madame Quinet font le carré conjugal, les assortis dans le mariage et en littérature, les quatre Arcadiens, quatuor Arcades.
… Il faut être voué au lieu commun pour répéter, à propos de Swetchine, la phrase immémoriale au double grelot que les sots ne manquent jamais, quand l’occasion s’en présente, de faire tinter dans le vide : « Homme par l’esprit, elle resta toujours femme par le cœur. » Non, le cœur et l’esprit étaient trop spirituels chez Mme Swetchine pour faire cette antithèse de rhétorique si peu imprévue… Dans les pages que l’on a réunies et qui se sont détachées de sa pensée comme des fruits longs à mûrir, mais mûris enfin, et comme elle l’a dit : « venus sous la neige », car dans Mme Swetchine c’est encore moins la femme que la vieille femme qu’on doit adorer, eh ! […] Elle avait beaucoup souffert, et quoiqu’elle n’ait pas éventé ses douleurs dans des phrases qui soulagent parfois, on le voit, on le sent.
Vus à travers ces lettres, les deux amants de grande et bonne foi disparaissent, et vous ne voyez plus que deux philosophes qui font des phrases philosophiques au lieu de naïvement s’aimer. […] Pouvait-elle être la sainte Thérèse d’une passion humaine et coupable, la femme qui, à vingt lignes de là, écrit les phrases suivantes, où s’étalent avec naïveté les pauvretés d’une âme chétive : « Quelle femme, quelle reine et quelle princesse n’ont pas envié mes joies et mon lit ?
Vus à travers ces lettres, les deux amants de grande et bonne foi disparaissent, et vous ne voyez plus que deux philosophes qui font des phrases philosophiques au lieu de naïvement s’aimer. […] Pouvait-elle être la sainte Térèse d’une passion humaine et coupable, la femme qui, à vingt lignes de là, écrit les phrases suivantes, où s’étalent avec naïveté les pauvretés d’une âme chétive : « Quelle femme, quelle reine et quelle princesse n’ont pas envié mes joies et mon lit ?
chercha toujours dans le xviie siècle, en digne philosophe, ce qui n’y était pas, a écrit, en style oraculaire, cette phrase, qui, comme tous les oracles, ne signifie pas grand’chose : « Alceste est resté le secret du génie de Molière », et cette phrase, lancée par ce vaste et gesticulant étourdi de Cousin, et dont Gérard du Boulan a fait l’épigraphe de son livre, a probablement donné à cet écrivain, que je ne crois pas très connu encore, l’envie de deviner le secret — qui n’existe pas !
Figurez-vous cette langue, plus plastique encore que poétique, maniée et taillée comme le bronze et la pierre, et où la phrase a des enroulements et des cannelures ; figurez-vous quelque chose du gothique fleuri ou de l’architecture moresque appliqué à cette simple construction qui a un sujet, un régime et un verbe ; puis, dans ces enroulements et ces cannelures d’une phrase qui prend les formes les plus variées comme les prendrait un cristal, supposez tous les piments, tous les alcools, tous les poisons, minéraux, végétaux, animaux ; et ceux-là les plus riches et les plus abondants, si on pouvait les voir, qui se tirent du cœur de l’homme, et vous avez la poésie de M.
Des phrases étincelantes, des détails à prétentions, des sentimens postiches, peuvent être le délassement de l’ennui, mais ne vont jamais jusqu’au cœur.
Mais cela ne veut pas dire que, dans une phrase française, toutes les syllabes aient la même longueur. […] Et puis il n’y a qu’à examiner une phrase française quelconque, un lambeau de phrase, pour s’apercevoir que cette affirmation est fausse. […] Seulement, si l’on considère la succession des syllabes non plus dans les mots isolément, mais dans la phrase, ne remarque-t-on pas qu’il y a, sur plusieurs syllabes de cette phrase, des accents, qu’il y a dans cette phrase des syllabes que la voix accentue et met en pleine valeur, tandis qu’elle escamote les autres ? […] Sa phrase n’est jamais hésitante ni tâtonnante ; elle rend avec exactitude l’idée, sans excès ni manque. […] Amour sans phrases, sans exaltation, sans déclamation.
« Le devoir suprême, dit une phrase de la lettre-préface, c’est de vivre, c’est de réaliser la fraternité par des actes, c’est de s’employer pour la cause des ignorants et des abusés. » Et les vers disent ensuite : Ceux-là seuls ont vaincu la mort Qui, meurtris et vaillants quand même Et grands jusqu’à l’oubli du sort, Poursuivaient leur devoir suprême !
Ses Sermons sont pitoyables ; mais ses Ouvrages historiques peuvent plaire encore à tous ceux qui ne sont point effrayés par de longues phrases & par un style plus que nombreux.
Flaubert. — Les phrases qui se démontent. — La recherche du style absolu. […] On sent l’effort et la fatigue à chacune de ces phrases si bien faites : — faites est le mot, aucune ne coule de source. […] Et même, avec un peu d’attention, on reconnaîtrait que certaines phrases ont été intercalées après coup, et des morceaux entiers rapportés. […] Sa phrase est savante, mais il a le tour pédant. […] Non ; mais on sent je ne sais quelle émotion douloureuse, quelle immense pitié circuler à travers ces phrases qui ne l’expriment pas.