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413. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1895 » pp. 297-383

» Là-dessus, Toudouze me peint le hourvari produit dans la maison de Frantz Jourdain, par la remise du banquet, vendredi dernier. […] Et son intention est de peindre sa Jeanne d’Arc au bord de la Loire, sur un cheval blanc, éclairée par le soleil couchant : une Jeanne d’Arc ayant le caractère d’un bas-relief. […] Elle me peignait cette femme, petite, délicate, mignonne, un rien boscote, avec de grosses mains noueuses maladroites, pouvant tenir six dominos et, par là-dessus, si aveugle, qu’elle était obligée de coudre contre son nez. […] Arrivent pour dîner Pol Neveux, Arthur Meyer, Rodin ; et à dîner, et le soir, une conversation amusante qui peint, qui juge, qui calomnie peut-être pas mal de gens. […] On déjeune dans une salle à manger, en laquelle, à la suite d’un dîner végétarien, a été peint un Sarcey énorme, dans une épouvantable peinture décorative, le représentant au milieu de tous les légumes de la terre.

414. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Ce sont eux qui fournissent après leur mort aux grands tableaux, ils sont excellens à peindre. […] Les premiers des sauvages qui virent à la proue d’un vaisseau une image peinte la prirent pour un être réel et vivant ; et ils y portèrent leurs mains. […] Ce n’est point un port de mer que l’artiste a voulu peindre. […] Ce n’est point, vous disais-je, un port de mer qu’il a voulu peindre. […] En comparant les tableaux qui sortent tout frais de dessus son chevalet, avec ceux qu’il a peints autrefois, on l’accuse d’avoir outré sa couleur.

415. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Rien dans ses ouvrages ne montre l’analyse ; il est un des derniers qui aient su peindre au lieu de décrire. […] Il n’y avait qu’à peindre, et c’était un des talents de Voltaire. […] Les ridicules, les travers, les vices, n’ont pas été de son ressort ; quand il a essayé de les peindre, il a employé des couleurs fausses. […] Il peint les situations, sans en paraître lui-même ému. […] Peindre superficiellement l’affectation est assurément un futile travail ; ce fut celui des auteurs comiques.

416. (1883) Le roman naturaliste

C’est une imprimerie de papiers peints que M.  […] Parce que, ayant voulu peindre la dégradation et l’abrutissement final de l’ivresse, M.  […] vous déclarez qu’on ne peut peindre qu’avec un seul ton ? […] Allons plus loin : on ne pouvait le peindre qu’avec ses procédés. […] Nos romanciers français la peindront-ils jamais des mêmes traits ?

417. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Née à Riga, aux bords de la Baltique, vers l’année où Mme de Staël naissait eu France, Mme Juliana de Krüdner, fille du baron de Wietinghoff, un des grands seigneurs du pays, et d’une famille qu’avait récemment encore illustrée le maréchal de Münnich, eut une première enfance telle qu’elle s’est plu à la peindre dans les souvenirs de sa Valérie. […] Mariée à dix-huit ans au baron de Krüdner, son parent, qui, bien que jeune encore, avait un bon nombre d’années plus qu’elle, elle ne paraît jamais s’être plus occupée de lui que lorsqu’elle l’a peint, en l’idéalisant un peu, dans le personnage du Comte, époux de Valérie. […] Ce qu’elle appelle de ses vœux, ce qu’elle se peint en vision avec contraste, c’est la revanche et le contre-pied de l’invasion d’Attila, cette fois pour le bien du monde. […] Une bienveillance précieuse nous permet de reproduire quelques lignes qui peignent cette situation intérieure : « J’ai vu hier Mme de Krüdner, écrivait Benjamin Constant212, d’abord avec du monde, ensuite seule pendant plusieurs heures. […] Le souvenir « d’une vie si dévastée, si orageuse, que j’ai moi-même menée contre tous les écueils avec une sorte de rage, m’a saisi d’une manière que je ne peux peindre. » Contradiction piquante et touchante !

418. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

… D’autant plus qu’il s’attendait à ce qu’on aurait dit, qu’il faisait cela, pour devenir plus tard ministre du prince. » Jeudi 25 janvier Une immense pièce, aux boiseries blanches, aux rideaux de serge verte, au milieu un lustre de cafés de province, et par une fente des rideaux fermés, une filtrée de lumière ensoleillée, tombant d’une façon toute rembranesque, sur les crânes d’une rangée d’hommes pâles, d’hommes jaunes, et éclairant un coin d’un terrible paysage alpestre, comme peint avec des couleurs de décomposition. […] Au premier, les magasins : des pièces basses au plafond noirci par la lumière du gaz ; aux portes et aux plinthes peintes en noir, dans des encadrements dorés, aux murs tendus de verdures du vert le plus triste, et comme choisi exprès, à l’effet de faire ressortir la fraîcheur et la gaieté des soies et des satins pour robes. […] De Nittis, lui me dit que chez lui, le vin développe singulièrement l’acuité du sens de la vue, et que déjeunant à Londres, dans un cercle, où il buvait deux ou trois verres de vin, en revenant chez lui, dans ces voitures, complètement ouvertes devant, il voyait la rue « toute peinte » — et lorsqu’il n’avait pas bu de vin, son œil avait besoin de la chercher longtemps la rue, pour la peindre. […] Mais il n’est pas prouvé du tout que Hobbema, ait mieux peint la nature, que Théodore Rousseau.

419. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre III. Poëtes françois. » pp. 142-215

Dans Britannicus la cour de Néron est peinte avec toute la force de Tacite & toute l’élégance de Virgile. […] Le caractère vertueux de Destouches est peint dans ses ouvrages. […] Il avoit le talent de saisir les traits essentiels d’un caractère & de le peindre des couleurs qui lui sont propres. […] Il s’est moins appliqué à peindre les mœurs & le sentiment, qu’à satyriser nos ridicules passagers, nos modes nouvelles, enfin ces défauts éphémeres, ces goûts légers & bizarres que le même mois voit naître & mourir. […] Il cherche moins à peindre des ridicules, qu’à inspirer l’humanité.

420. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

L’auteur avait voulu peindre les guerres et discordes des comtes et des prélats d’Alsace, ranimer les cadavres de l’histoire, mettre en actions les légendes ou chroniques qui se rattachaient aux débris des vieux châteaux : ils passeront devant les yeux du lecteur dans leur costume antique, disait-il de ses personnages, ils agiront suivant les mœurs de leur siècle ; en un mot, je copierai fidèlement la nature, même lorsque je suppléerai par la fiction aux faits que le temps a ensevelis dans les ténèbres de l’oubli. […] Les premiers paysages qu’il retrace, et qui sont les plus cités dans les cours de littérature, sont ceux de la vallée de Campan et des rives de l’Adour : Je ne peindrai point cette belle vallée qui voit naître (l’Adour), cette vallée si connue, si célébrée, si digne de l’être ; ces maisons si jolies et si propres, chacune entourée de sa prairie, accompagnée de son jardin, ombragée de sa touffe d’arbres ; les méandres de l’Adour, plus vifs qu’impétueux, impatient de ses rives, mais en respectant la verdure ; les molles inflexions du sol, ondé comme des vagues qui se balancent sous un vent doux et léger : la gaieté des troupeaux et la richesse du berger ; ces bourgs opulents formés, comme fortuitement, là où les habitations répandues dans la vallée ont redoublé de proximité… Il finit cette description riante par des présages menaçants qui font contraste, et qui furent trop réalisés l’année suivante (1788) par l’affreux débordement qui dévasta ces beaux lieux. […] Ainsi marchait, il y a plus de trois mille ans, le berger que nous peignit Moïse ; tel était le régime des troupeaux du désert… Tel je l’ai trouvé dans les Alpes, et le retrouve dans les Pyrénées ; tel je le retrouverai partout.

421. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

C’est dans les lettres qu’il écrit à Mme Récamier que l’on trouverait le plus de traits exquis pour la peindre sous la forme idéale et symbolique qu’il ne cessa de lui prêter. […] Le Chateaubriand politique, que nous avons autrefois essayé de peindre, achève de s’y dessiner tout entier, jamais content, toujours prêt à rompre, en ayant, dès le second jour, de cent pieds par-dessus la tête, voulant tout et ne se souciant de rien, n’ayant pas assez de pitié et de dédain pour ses pauvres amis, ses pauvres diables d’amis (comme il les appelle), croyant que de son côté sont tous les sacrifices, et se plaignant de l’ingratitude des autres, comme si seul il avait tout fait. […] Si sévères que nous puissions être envers celui qui s’est trahi à nous dans toutes ses contradictions morales et ses misères personnelles, n’oublions jamais ce qu’on doit d’admiration à un tel peintre, à celui qui, à ce titre, est et demeure le premier de notre âge : car c’est le même homme exprimant comme on vient de le voir toute la poésie de la Rome catholique, qui a su peindre avec un égal génie et une variété d’imagination toujours sublime la forêt vierge américaine, le désert d’Arabie, et les ruines historiques de Sparte63 !

422. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

C’étaient ces mêmes figures sculptées et peintes qu’on voit encore sur les retables d’autel de ce temps-là, et qui se mettaient à marcher et à agir devant les curieux édifiés. […] Le caractère de Madeleine se peint dans ses paroles, non pas tout à fait tel qu’on aime à se le figurer d’après la tradition ordinaire, non pas celui d’une femme tendre, passionnée et abandonnée. […] Il n’est pas dénué de cette espèce d’avantage et de dédommagement qui semble revenir surtout aux œuvres modernes : il peint les mœurs modernes, les coutumes et costumes d’un temps ; il en est un témoignage.

423. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires du comte Beugnot »

Que de portraits fidèlement peints ou dessinés ! […] Beugnot dans l’intimité, quand l’homme officiel et le haut administrateur disparaissait, qu’il s’abandonnait à son humeur plaisante, moqueuse, imitatrice, et que, pour mieux peindre les autres, il se plaisait à les copier et à les mettre en action. […] Sans chercher à se grandir ou à s’ennoblir, il a peint quelques-uns de ses contemporains tels qu’il les a vus ; il l’a fait avec une plume qui, au milieu de quelques défauts, a des qualités rares et des traits ineffaçables.

424. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

M. de Chateaubriand était l’orgueil de ce salon, mais elle en était l’âme, et c’est elle qu’il faudrait tâcher de montrer à ceux qui ne l’ont pas connue ; car vouloir la rappeler aux autres est inutile, et la leur peindre est impossible. […] Qui s’aviserait de vouloir peindre l’aurore, s’il n’avait jamais vu que le couchant ? […] Cette personne unique, et dont la mémoire vivra autant que la société française, a été peinte avec bien de la grâce par Gérard dans sa fraîcheur de jeunesse.

425. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

C’est la démarche d’Elisa partant en promenade, qu’il nous donne, « avec son coquet hanchement à gauche », « l’ondulation de ses reins trottinant un peu en avant de l’homme, la bouche et le regard soulevés, retournés vers son visage. » Mais c’est dans les Frères Zemganno qu’éclate cet amour de la vie corporelle, ce penchant à peindre des académies en mouvement, suspendues à l’oscillation d’un trapèze, dardées dans l’allongement d’un saut, glissant sur une corde, disloquées dans une pantomime, emportées et fuyantes dans le galop d’un cheval. […] Il peint, en la Tomkins, « des yeux gris qui avaient des lueurs d’acier, des clartés cruelles sous la transparence du teint » ; en Chérie, « l’animation, le montant, l’esprit parisien » ; « l’ébauche de mots colères crevant sur des lèvres muettes », pour les traits convulsés de la détenue Élisa. […] Et par une conséquence logique ce sont des âmes capables de ces variations, de ces emportements, de ces sautes, que M. de Goncourt s’applique à peindre, des âmes diverses, plastiques à toutes les sensations, désarticulées et nerveuses, sans constance et sans unité, sans rien qui les raidisse, les soutienne et les cimente, des âmes de demi-artistes, des âmes de premier mouvement, soudaines, ductiles et fougueuses.

426. (1759) Observations sur l’art de traduire en général, et sur cet essai de traduction en particulier

Les traduire par morceaux, ce n’est pas les mutiler, c’est les peindre de profil et à leur avantage. […] Préjugé de traducteur à part, comme il est sans comparaison le plus grand historien de l’antiquité, il est aussi celui dont il y a le plus à recueillir ; mais ce que j’offre aujourd’hui suffira, ce me semble, pour faire connaître les différents genres de beautés dont on trouve le modèle dans cet auteur incomparable, qui a peint les hommes avec tant d’énergie, de finesse et de vérité, les événements touchants d’une manière si pathétique, la vertu avec tant de sentiment ; qui posséda dans un si haut degré la véritable éloquence, le talent de dire simplement de grandes choses, et qu’on doit regarder comme un des meilleurs maîtres de morale, par la triste, mais utile connaissance des hommes, qu’on peut acquérir par la lecture de ses ouvrages. On l’accuse, je le sais, d’avoir peint trop en mal la nature humaine, c’est-à-dire, de l’avoir peut-être trop bien étudiée ; d’être obscur, ce qui signifie seulement qu’il n’a pas écrit pour la multitude ; d’avoir enfin le style trop rapide et trop concis, comme si le plus grand mérite d’un écrivain n’était pas de dire beaucoup en peu de mots.

427. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Tout ce qui s’y rapporte au caractère des femmes y est dit librement et peint au vif. […] « Plus on lira cet ouvrage, dit-il, plus on verra que j’ai voulu dire tout sans peindre personne de suite. » On n’en veut pas davantage. Si Louis XIV n’est pas peint de suite dans Télémaque, tout y est dit sur Louis XIV. […] Homère a peint ses dieux comme son temps les voyait. […] Ne point toucher à l’amour dans un plan d’éducation eût été d’un précepteur éludant le plus délicat de ses devoirs ; le peindre trop au vif, c’était risquer de faire sortir le mal du remède même.

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