Gœthe osait donc se découvrir devant Eckermann et montrer les nombreuses piqûres que son amour-propre avait reçues ; il semblait lui dire en les étalant : « Voyez, il n’y a pas d’homme complètement heureux. » Ainsi, un jour qu’il causait de son recueil de poésies à l’orientale, le Divan, et particulièrement du livre intitulé Sombre humeur, dans lequel il avait exhalé ce qu’il avait sur le cœur contre ses ennemis : « J’ai gardé beaucoup de modération, disait-il ; si j’avais voulu dire tout ce qui me pique et me tourmente, ces quelques pages seraient devenues tout un volume. — Au fond, on n’a jamais été content de moi, et on m’a toujours voulu autre qu’il a plu à Dieu de me faire. […] C’est un homme unique : ses pièces touchent à la tragédie, elles saisissent, et personne en cela n’ose l’imiter.
Si nous l’osions, si la patience de nos lecteurs nous y enhardissait, nous l’essayerions plus souvent. […] Adam, c’est le drame à la fois extérieur à la liturgie et adhérent encore à l’Église, au moment où il va s’en détacher : si j’osais, en faveur de l’exactitude, usurper une image chirurgicale, je dirais que l’enfant tient encore à la mère, et que le cordon n’est pas encore coupé.
Ni lui ni son camarade n’ont osé s’attaquer à Jésus, tant il leur a inspiré de vénération et d’effroi ! […] Si j’osais être très-familier (et pourquoi pas ?)
comment cet homme qu’on a connu depuis si modéré, si bienveillant et si courtois de langage, comment crut-il devoir s’y prendre pour sauver ses pauvres clients, et peut-être pour s’excuser lui-même d’oser les défendre ? […] Il y avait des niais et quelques sots panachés dont je ne parle pas, ils vivent peut-être encore ; puis, à côté, les malins : — et ce Vitrolles, hardi, osé, peu scrupuleux, qui avait un pied dans les camps les plus opposés, qui visait à un premier rôle, qui jouait son va-tout sur une seule carte, la confiance intime de Monsieur ; qui perdit et qui se fera beaucoup pardonner un jour en jugeant dans ses Mémoires avec esprit les gens qui l’ont mal payé de son zèle ; — et Michaud ; engagé parmi les violents du parti, on ne sait trop pourquoi, si ce n’est parce qu’il s’en était mis de bonne heure et de tout temps ; raisonnable et même assez philosophe dans ses écrits historiques et dans ses livres, incorrigible dans ses feuilles ; de qui Napoléon avait dit que c’était « un mauvais sujet » ; avec cela homme d’esprit et les aimant, indulgent même pour la jeunesse ; journaliste avant tout et connaissant son arme, muet dans les assemblées et pour cause, avec un filet de voix très-mince, un rire voltairien, et qui passa sa vie à se rendre compte des sottises qu’il favorisait, qu’il provoquait même, et qu’il voyait faire41.
Il y a des genres tout entiers, réputés des plus français, auxquels il répugne, — et la Tragédie, — et l’Opéra-Comique, — et le Vaudeville ; il mettrait volontiers le pied dessus pour les écraser une bonne fois, s’il l’osait. […] » Je n’oserais assurer pourtant qu’il alla dans son regret jusqu’au repentir ; mais je tiens à bien marquer cette disposition particulière qu’il a à entrer pour ainsi dire dans chaque climat, à s’y incorporer et à s’y soumettre.
J’accorde que, dans ce qui paraît si redoutable de loin, il y a beaucoup de fantômes qui s’évanouissent si l’on ose s’approcher et souffler dessus ; qu’il n’y a pas un si grand nombre de libertés possibles à donner ; qu’on les a déjà en partie ; qu’il ne s’agirait que d’être conséquent, d’étendre et de consacrer le droit ; sans doute, le principe qui consiste à inoculer le vaccin révolutionnaire pour éviter les révolutions, à donner d’avance et à la fois plus qu’elles ne pourraient conquérir, ce principe est d’une analogie séduisante ; mais ceci suppose déjà une médecine bien hardie, et le corps social n’est point partout le même ni capable de porter toute espèce de traitement. […] Il y a mieux : ce parfait état de société, cet ordre idéal et simple que M. de Girardin a en vue, je le suppose acquis et obtenu, je l’admets tout formé comme par miracle : on a un pouvoir qui réalise le vœu du théoricien ; qui ne se charge que de ce que l’individu lui laisse et de ce que lui seul peut faire : l’armée n’est plus qu’une force publique pour la bonne police ; l’impôt n’est qu’une assurance consentie, réclamée par l’assuré ; l’individu est libre de se développer en tous sens, d’oser, de tenter, de se réunir par groupes et pelotons, de s’associer sous toutes les formes, de se cotiser, d’imprimer, de se choisir des juges pour le juger (ainsi que cela se pratique pour les tribunaux de commerce), d’élire et d’entretenir des ministres du culte pour l’évangéliser ou le mormoniser… ; enfin, on est plus Américain en Europe que la libre Amérique elle-même, on peut être blanc ou noir impunément.
Combien de ces actes, signifiés aux vivants par les morts, où la folie semble le disputer à la passion ; où le testateur fait de telles dispositions de sa fortune, qu’il n’eût osé de son vivant en faire confidence à personne ; des dispositions telles, en un mot, qu’il a eu besoin, pour se les permettre, de se détacher entièrement de sa mémoire, et de penser que le tombeau serait son abri contre le ridicule et les reproches ! […] — Il n’a pas paru de livre plus important et plus intéressant depuis le grand ouvrage de Tocqueville sur la Démocratie : et Le Play a le mérite d’avoir bien plus de courage que Tocqueville, qui n’a jamais osé braver un préjugé puissant… Il faut que vous lui rendiez pleine justice, et que nous adoptions son livre comme notre programme, sans nous arrêter aux dissentiments de détail, qui pourront être assez nombreux. » 35.
Il y avait, quoi qu’il en soit, dans l’esprit politique des Romains tout le contraire, à certains égards, de l’esprit des Spartiates, une faculté de se transformer et de transiger sans briser, une disposition adoptive, si j’ose dire, qui n’existait pas en Grèce : comme l’aristocratie anglaise, le Sénat romain résistait aux réformes jusqu’au dernier moment ; puis, ce moment venu, il cédait et s’accommodait du nouvel ordre. […] Zeller un peu sévère pour Auguste, non qu’il ne comprenne et ne définisse parfaitement la pensée de ce profond politique, mais il paraît le blâmer et croire qu’Auguste, en profitant pour lui de l’avertissement donné par la mort de César, a trop masqué l’idée nouvelle, n’a osé l’appliquer ouvertement et nettement, et n’a abouti sous sa forme mitigée qu’à un compromis fâcheux, « l’Empire républicain », quelque chose qui n’était ni aristocratie, ni démocratie, ni république, ni monarchie franche.
Nul genre, s’échappant de ses bornes prescrites, N’aurait osé d’un autre envahir les limites ; Et Pindare à sa lyre, en un couplet bouffon, N’aurait point de Marot associé le ton. […] Or j’ai soigneusement recherché dans ses œuvres les traces de ces premières et profondes souffrances ; je n’y ai trouvé d’abord que dix vers datés également de Londres, et du même temps que le morceau de prose ; puis, en regardant de plus près, l’idylle intitulée Liberté m’est revenue à la pensée, et j’ai compris que ce berger aux noirs cheveux épars, à l’œil farouche sous d’épais sourcils, qui traîne après lui, dans les âpres sentiers et aux bords des torrents pierreux, ses brebis maigres et affamées ; qui brise sa flûte, abhorre les chants, les danses et les sacrifices ; qui repousse la plainte du blond chevrier et maudit toute consolation, parce qu’il est esclave ; j’ai compris que ce berger-là n’était autre que la poétique et idéale personnification du souvenir de Londres, et de l’espèce de servitude qu’y avait subie André ; et je me suis demandé alors, tout en admirant du profond de mon cœur cette idylle énergique et sublime, s’il n’eût pas encore mieux valu que le poète se fût mis franchement en scène ; qu’il eût osé en vers ce qui ne l’avait pas effrayé dans sa prose naïve ; qu’il se fût montré à nous dans cette taverne enfumée, entouré de mangeurs et d’indifférents, accoudé sur sa table, et rêvant, — rêvant à la patrie absente, aux parents, aux amis, aux amantes, à ce qu’il y a de plus jeune et de plus frais dans les sentiments humains ; rêvant aux maux de la solitude, à l’aigreur qu’elle engendre, à l’abattement où elle nous prosterne, à toute cette haute métaphysique de la souffrance ; — pourquoi non ?
Cicéron n’osait attaquer qu’avec timidité les idées reçues à Rome. […] Les Romains sont d’une nature ardente et sublime ; ils respirent le sentiment de la tragédie, et peuvent oser avec succès.
Une femme perd de son charme, non seulement par les paroles sans délicatesse qu’elle pourrait se permettre, mais par ce qu’elle entend, par ce qu’on ose dire devant elle. […] Les manières rapprochent ou séparent les hommes par une force plus invincible que celle des opinions, j’oserai presque dire que celle des sentiments.
Rabelais n’est pas profond, il faut oser le dire. […] il suffit qu’il crée des formes d’intenses volontés, qu’on les sente se déployer selon leur loi intime : si elles n’ont pas existé, si elles n’existent pas actuellement en tel degré et proportion, qui oserait dire qu’elles ne seront pas ?
Il a, pour un historien des animaux, d’étranges partialités ; il a ses héros et, si j’osais dire, ses bêtes noires. […] » Oserais-je dire des dégoûts de Buffon pour certains objets de son étude, que la cause principale est que Dieu y manque ?
Les conseillers municipaux visés n’osent sévir. […] Il n’ose entrer dans une boutique acheter deux sous de charcuterie, intimidé qu’il est par la prestance de l’opulente matrone, qui trône à son comptoir de marbre, sous sa riche palatine d’astrakan, au milieu du reflet des glaces dorées.
… Je n’osais formuler un avis. […] Il se sent raillé, bafoué, au point qu’il n’ose plus même confier sa pensée à ceux qui l’entourent, ni à sa femme qui l’adore ni à la fille de son sang.