Il s’ensuit que sur un simple prétexte, sur une ombre d’idée adoptée en courant, il se jette en campagne et il frappe. […] Et vous voyez bien que Dieu le commande, puisque vous vous en êtes détachés déjà ; et comment l’auriez-vous pu faire, comment auriez-vous pu sauter au-delà de votre ombre et vous élever au-dessus de vous-mêmes si une puissance supérieure à vous ne vous avait soutenus et soulevés ? […] Peut-être, après avoir démontré et proclamé que la nation enseignante ne menace dans une démocratie aucune liberté, devront-ils reconnaître que la même nation possédante ne menacerait dans une démocratie aucune initiative et aucun droit. » Mais j’en suis à mettre en lumière, d’une part que les socialistes, conséquents avec eux-mêmes, seront les alliés des radicaux dans l’œuvre de la destruction de la liberté de l’enseignement tant que de cette liberté il restera un vestige ou une ombre ; d’autre part que toutes les socialisations sont solidaires comme toutes les libertés se tiennent, et que par le chemin du monopole de l’enseignement on va tout droit à la « nation possédante », c’est-à-dire à l’abolition de la propriété et à la confiscation des propriétés. […] Ils s’attachent à démontrer, et ils n’ont aucune peine à démontrer, que l’égalité n’existe point du tout, puisqu’il y a des inégalités de fortune, et énormes, et puisqu’aucune égalité légale et juridique n’est que leurre et ombre pour proie, tant qu’il y a inégalité de fortunes. […] Ils n’ont raisonné juste que pour un temps très court, infiniment court, ce qui est une manière encore de prendre l’ombre pour la proie.
Ce joli mot de caravansérail, que traverse comme un éblouissement tout l’Orient féerique des Mille et une Nuits, avait dressé dans mon imagination des enfilades de galeries découpées en ogives, des cours mauresques plantées de palmiers, où la fraîcheur d’un mince filet d’eau s’égrenait en gouttes mélancoliques sur des carreaux de faïence émaillée ; tout autour, des voyageurs en babouches, étendus sur des nattes, fumaient leurs pipes à l’ombre des terrasses, et de cette halte montait sous le grand soleil des caravanes une odeur lourde de musc, de cuir brûlé, d’essence de rosé et de tabac doré… Les mots sont toujours plus poétiques que les choses. […] Dans quelques linéaments tracés au crayon sur le papier, nous reconnaissons un visage humain ; à l’instant où se produit cette interprétation, nous ne les voyons plus du même œil ; nous ne les prenons plus au propre, mais au figuré ; ce trait indique un contour, celui-là est une ombre ; ici, c’est une boucle de cheveux, un pli du vêtement. […] Et ceux-là resteront quand le rêve aura fui Mystérieusement les élus du mensonge, Ceux à qui nous aurons, dans le secret des nuits, Offert nos lèvres d’ombre, ouvert nos bras de songe.
« Reste toujours l’opposition générale : ombre et lumière, vie et mort. » Voici un autre cas instructif, à mon sens, comme montrant spécialement l’éveil successif de différentes images, autant de solutions proposées pour le problème donné, autant de transformations aboutissant enfin à l’harmonie. […] Je n’insisterai donc pas ici sur les erreurs de perspective des peintres, ni sur leurs fantaisies astronomiques ou physiques, la tendance de certains à tourner vers le soleil couchant les cornes du croissant de la lune, ou à indiquer des ombres que contredit la position du soleil dans le tableau. […] Souriau, si elles n’expliquent pas complètement l’invention, éclairent tout un côté de la réalité que la doctrine du prolongement de la vie laissait un peu dans l’ombre.
Il est presque impossible d’établir la scène dans l’appartement des femmes avec quelque ombre de vraisemblance, puisque le sultan et les eunuques noirs sont les seuls qui puissent y mettre le pied. […] C’est précisément parce que ce jeune Ottoman se voit entre Roxane et l’empire, entre Atalide et la mort , que la contrainte d’une situation si cruelle le condamne à concentrer ses passions ; c’est par les sentiments, les idées et les actions que le caractère national se déclare, plus encore que par les formes du langage : Bajazet a toute la fierté, toute la gravité, tout le flegme et toute la bonne foi des Turcs ; il parle comme doit parler un jeune prince élevé dans l’ombre du sérail ; il n’a que des pensées nobles et dignes de sa race ; il renonce au trône pour ne pas tromper une femme, tandis qu’une perfidie amoureuse est le triomphe d’un galant français ; il s’expose à la mort pour ne pas affliger ce qu’il aime, tandis qu’un petit-maître français se fait un honneur et un plaisir de déchirer le cœur qu’il a séduit ; assurément Bajazet est Turc autant qu’il est possible de l’être ; au lieu de l’accuser d’être Français, on pourrait lui reprocher d’être romanesque ; mais, en fait de romanesque, aucun héros ne peut entrer en parallèle avec le Scythe Orosmane2. […] Mithridate est trop grand dans la pièce par son courage, par ses projets, par sa haine implacable contre les Romains, pour que sa dissimulation, puisse être regardée comme une bassesse : ce n’est qu’une ombre au tableau. […] Il n’y avait là que des billets donnés et des loges gratuites ; aucune ombre de vénalité ne déshonorait ce spectacle : Esther n’était point du nombre de ces chefs-d’œuvre qu’un clerc de procureur pouvait siffler pour quinze sous. […] On cria de tous côtés que de jeunes demoiselles, à qui l’on devait donner une éducation chrétienne, n’étaient point faites pour se montrer en plein théâtre ; que la modestie et la pudeur étant les vertus principales du sexe, il ne convenait pas d’exposer aux regards avides des courtisans et des grands seigneurs les filles de Sion, les vierges innocentes et timides qui croissaient à l’ombre du sanctuaire.
Au printemps, la campagne presque nue n’est encore couverte de rien ; les bois n’offrent point d’ombre, la verdure ne fait que poindre, et le cœur est touché à son aspect.
II N’importe, j’entrai ; et, grâce aux bontés du directeur inconnu, je trouvai place à l’avant-scène dans une loge réservée, en face de la scène et derrière une colonne qui jetait son ombre entre la foule et moi.
Il n’y a pas une de ses lois qui se tienne debout sur des pieds véritablement humains ; il fait dans le Contrat social la législation des fantômes, comme il fait dans l’Émile l’éducation des ombres, et dans la Nouvelle Héloïse, il ne fait que l’amour des abstractions ayant pour passion des phrases.
Ses enfants ici-bas, et Dieu au ciel avec l’ombre de sa femme comme rayonnement attractif autour de l’Être infini, étaient devenus sa seule pensée.
Sa veuve avait acheté sur la route de Fontainebleau une belle colline boisée à Villeneuve-le-Roi, au sommet de laquelle elle habite avec l’ombre de son mari, un grand nom qui grandira sans cesse.
Quand le plus grand homme de l’Allemagne moderne eut vieilli sans perdre une seule des facultés de son âme et sans perdre un seul des cheveux blanchis de sa large tête, le ciel lui envoya Eckermann, comme le soir envoie au voyageur son ombre prolongée qui le suit dans sa route afin de lui certifier son image.
De cette vie l’âme de l’homme se dégage : une âme candide et cynique, intimement bonne et immensément orgueilleuse, romanesque incurablement, déformant toutes choses pour les embellir ou les empoisonner, enthousiaste, affectueuse, optimiste de premier mouvement, et par réflexion pessimiste, irritable, mélancolique, malade, et déséquilibrée finalement jusqu’à la folie ; une âme délicate et vibrante, épanouie ou flétrie d’un souffle, et dont un rayon ou une ombre changeait instantanément tout l’accord, d’une puissance enfin d’émotion, d’une capacité de souffrance, qui ont été bien rarement données à un homme.
Quel accent, quel élan de tendresse dans cette apostrophe à « l’ombre illustre », et à « l’aimable génie qui fit régner la vertu par l’onction et la douceur !
Pour ceux dont le sens moral est à l’épreuve de ses doctrines sur le droit de jouir, de sa politique par la souveraineté de l’individu, de sa morale fondée sur la double chimère de l’innocence naturelle de l’homme et de la corruption irréparable des sociétés : pour ceux-là, ce qui leur reste de cette lecture, c’est, parmi quelques souvenirs charmants, une impression attristante de ce mélange de lumière et d’ombre, de vrai et de faux, de hauteurs et de chutes, dans des ouvrages où les mauvais esprits deviennent pires, où les bons ne deviennent pas meilleurs.
Malheur à qui passe indifférent auprès de ces masures vénérables, à l’ombre desquelles l’humanité s’est si longtemps abritée, et où tant de belles âmes trouvent encore des consolations et des terreurs !
L’ombre de l’Inquisition effraie jusqu’à nos catholiques, et à l’intérieur nous sommes timides et sans élan, nous nous subjuguons avec une déplorable résignation à l’opinion, à l’habitude, nous y sacrifions notre originalité ; tout ce qui sort de la banalité habituée est déclaré absurde.