D’ailleurs, aujourd’hui, il n’est peut-être point hors de propos de remettre sous les yeux des lecteurs les deux pages qu’on vient de transcrire. […] C’est pour elle surtout qu’il travaille, parce que ce serait une gloire bien haute que l’applaudissement de cette élite de jeunes hommes, intelligente, logique, conséquente, vraiment libérale en littérature comme en politique, noble génération qui ne se refuse pas à ouvrir les deux yeux à la vérité et à recevoir la lumière des deux côtés.
Avec cette différence, que votre Christ, comme je vous l’ai déjà dit a l’air d’un noyé ou d’un supplicié, et que celui du Carrache est plein de noblesse ; que votre Vierge est froide et contournée en comparaison de celle du Carrache ; voyez l’action de cette main immobile posée sur la poitrine de son fils ; ce visage tiré ; cet air de pâmoison ; cette bouche entrouverte ; ces yeux fermés ; et cette Ste Anne, qu’en dites vous [?] […] C’est, mon ami, comme je crois vous l’avoir déjà dit, que tout l’effet d’un pareil tableau, dépend du paysage, du moment du jour, et de la solitude ; si des déesses viennent déposer leurs vêtements et exposer leurs charmes les plus secrets aux yeux d’un mortel, c’est sans doute dans un endroit de la terre écarté.
Voilà pourquoi nous regardons avec contentement les peintures dont le merite consiste à mettre sous nos yeux des avantures si funestes, qu’elles nous auroient fait horreur si nous les avions vûës veritablement, car comme le dit Aristote dans sa poëtique : des monstres et des hommes morts ou mourants que nous n’oserions regarder ou que nous ne verrions qu’avec horreur, nous les voïons avec plaisir imitez dans les ouvrages des peintres. […] C’est, sans nous attrister réellement, que la piece de Racine fait couler des larmes de nos yeux : l’affliction n’est, pour ainsi dire, que sur la superficie de notre coeur, et nous sentons bien que nos pleurs finiront avec la répresentation de la fiction ingenieuse qui les fait couler.
C’est un pur libéral de l’école du xvie siècle : il a horreur de 93, je veux dire de 1593, de la Ligue et des Ligueurs ; il en a connu de vieux dans sa jeunesse et les estime méchants : mais les Frondeurs, c’est tout autre chose à ses yeux ; ils ont toute sa tendresse ; il ne les voit que par leur beau côté : « Il y a ici des honnêtes gens qu’on appelle des Frondeurs, qui sont conduits par M. de Beaufort, le Coadjuteur, Mme de Chevreuse et autres. » La première Fronde ne l’a atteint qu’à peine et nullement averti. […] Un contemporain nous l’a représenté sans charge et tout à son avantage : « Il avait la taille belle, l’air hardi, le visage plein, l’œil vif, le nez aquilin, et les cheveux courts et frisés. […] Un jour, en décembre 1652, il est appelé auprès de M. l’avocat général Talon, qu’il trouve en hydropisie et très malade : Ayant reconnu son mauvais état, je vous avoue que les larmes m’en sont venues aux yeux, ce que je ne pus si bien cacher qu’il ne le reconnût lui-même et ne m’en fît compliment. […] Dans cette visite à Saint-Denis, Gui Patin, en même temps qu’il laisse voir des restes de simplicité, maintient à ses propres yeux sa supériorité d’homme et de mari, en souriant de sa femme qui écoute et croit tout ce qu’on lui raconte de particularités et de bagatelles sur les derniers princes ensevelis. […] La reine Christine, dans ses doctes bizarreries et ses inconstances, trouve elle-même difficilement grâce à ses yeux.
J’ai sous les yeux une correspondance entre Sieyès et lui3, et qui les peint assez bien l’un et l’autre. […] Tous les yeux étaient ouverts sur l’un et sur l’autre. […] De même que, dans ce passage qu’on n’a pas oublié, il a énergiquement rendu cette puissance d’organisation fatale qui semblait faite pour engendrer les tyrannies multiples, pour perpétuer l’hydre aux mille têtes et éterniser le chaos, de même ici il rend avec une précision inaccoutumée un idéal d’ordre, d’unité, de lumière, dont il avait sous les yeux l’exemplaire vivant ; en un mot, c’est le tableau de 1802, le contraire de 1792 ; c’est le monde jeune, renaissant merveilleusement après la ruine : Une commission est formée, dit-il, pour la composition d’un Code criminel, une autre pour un Code de commerce. […] — Il n’est pas un homme de quelque mérite qui ne préférât, près de Bonaparte, l’emploi qui occupe sous ses yeux à la grandeur qui en éloigne, et qui, pour prix d’un long et pénible travail, ne se sentît mieux récompensé par un travail nouveau que par le plus honorable loisir. […] — Le style de Roederer a emprunté ici de sa simplicité nerveuse au sujet même qu’il avait sous les yeux et qui présidait à sa pensée ; il s’est reflété en lui comme un rayon du modèle.
Au sein d’une Chambre divisée en partis violents, Tocqueville juge admirablement l’ensemble d’une situation ; sortant des questions trop particulières, il généralise ses Vues, remonte aux causes du mal et disserte sur les mœurs publiques ; il considère à bout portant la crise qu’il a sous les yeux, non au point de vue pratique, mais au point de vue historique déjà. […] L’échec du général Cavaignac au 10 décembre 1848 l’avait affligé sans l’étonner (disposition qui lui était devenue comme habituelle) ; cet échec, qui ne s’adressait, selon lui, qu’aux républicains de la veille, et qui prouvait seulement la répulsion du pays pour la république, n’avait à ses yeux qu’une signification négative. […] … » Et il va énumérer les sujets qui ont successivement passé devant ses yeux. — Un sujet contemporain direct ? […] Ici il n’y a pas de quoi s’offenser : c’est l’auteur même qui parle, qui se démontre, et la dissection ne porte que sur les procédés de l’intelligence ; ce que l’auteur ajoute sur sa disposition morale est digne de ce qui précède, et résume nettement sa profession de foi politique : « J’ai l’orgueil de croire que je suis plus propre que personne à apporter dans un pareil sujet une grande liberté d’esprit, et à y parler sans passion et sans réticence des hommes et des choses : car, quant aux hommes, quoiqu’ils aient vécu de notre temps, je suis sûr de n’avoir à leur égard ni amour ni haine ; et quant aux formes des choses qu’on nomme des constitutions, des lois, des dynasties, des classes, elles n’ont point, pour ainsi dire, je ne dirai pas de valeur, mais d’existence à mes yeux, indépendamment des effets qu’elles produisent. […] Les choses flatteuses que vous avez bien voulu dire sur mon ouvrage m’auraient causé beaucoup d’orgueil et de joie, de quelque part qu’elles vinssent ; mais le nom de l’auteur de l’article ajoute encore à mes yeux un nouveau prix à ce que contient d’aimable l’article même.
Il est homme du métier aux yeux des gens du métier ; il a la méthode, il ne s’agit plus que d’oser l’appliquer. […] Au moment où ils rencontraient l’Apennin, nous étions inondés d’un déluge de pluie, qui, remplissant d’abord les fossés d’irrigation et d’écoulement ainsi que les chemins, faisait des champs situés entre la montagne et la mer de vrais lacs ; puis les nombreux ruisseaux que la route traverse grossissaient à vue d’œil et à grand bruit. […] La répétition, la reprise de domus alta à la fin d’un vers et au commencement du vers suivant a paru avec raison un de ces accents particuliers au génie du poète, et que même l’œil ne retrouverait pas dans Racine. […] Tout cela est vrai, mais il n’est pas moins vrai que la beauté du vers célébré chez Virgile est empruntée d’Homère, qu’elle est empruntée et pour la pensée et pour la forme, mais empruntée d’une certaine manière qui n’est pas directe, qui n’est pas vulgaire, que Virgile seul a su introduire, et dont il vaut la peine de remettre ici sous les yeux une entière explication. […] Pour être juste avec Wagner qui, plus modeste et plus sobre que d’autres, n’a pas cru devoir accuser sa méthode d’une manière aussi tranchée, il faut avoir sous les yeux son Virgile dans la troisième édition, essentiellement améliorée (superioribus multo praestabilior), qui a paru eu 1861.
Petite de taille, d’un visage régulier avec de beaux yeux bleus, elle avait quelque chose d’angélique et de puritain, un caractère sérieux et ferme, une sensibilité pure et élevée. […] Et tout cela me rend l’étude de l’espagnol plus intéressante qu’une autre, parce que je pense que tu as parlé cette langue dans ta jeunesse guerrière. » Elle ennoblit tant qu’elle peut le passé de ce cher frère pour le relever lui-même à ses propres yeux ; elle y verse de la poésie comme sur toute chose, en croyant n’y mettre que du souvenir. […] Je crois que vos yeux seuls feront déjà beaucoup sur cette pauvre âme qui veut partir. […] Allons, va recevoir ta pension, ou je me fâche. » Mme de Launay eût encore moins compris sa singulière amie si on lui avait dit que sa pensée avait été d’abord de faire offrande des premiers quartiers échus à la cause des Grecs ; car elle ne savait comment justifier et purifier à ses yeux cet argent. […] Je transcris les expressions mêmes que j’ai sous les yeux.
C’est notre cas, quand nous parcourons Boileau des yeux. […] Précieux et galants, emphatiques et bouffons, il n’en était pas un qui se servit de ses yeux pour voir, et de sa bouche pour traduire la sensation de ses yeux : c’était trop vulgaire, et ce n’était pas la peine d’avoir de l’esprit — ou de s’en croire — pour faire un si plat métier. […] L’horrible y a sa place, ainsi que le beau : Il n’est pas de serpent ni de monstre odieux Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux. […] Si les anciens sont admirables pour avoir rendu la nature avec vérité, et si nous pouvons juger de cette vérité, c’est donc que la nature qu’ils ont représentée est encore devant nos yeux.
. — Une fée le toucha de sa baguette fleurie, lorsqu’il naquit, et de cette caresse enchantée ses yeux s’ouvrirent à la Beauté. […] Le vocabulaire se montre relativement restreint ce qui n’est pas toujours, en soi, un défaut à mes yeux ; n’y a-t-il même pas pour un poète un mérite nouveau à exprimer avec un petit nombre de moyens autant et plus que d’autres, qui remuèrent toute la langue française ? […] Et nous sentons pourtant, oui, on commence je crois à le sentir, quelle force inconnue naîtrait de ce magique baiser, quel courant réciproque de nos yeux à la terre et de la terre jusqu’à nos lèvres ! […] C’est un long geste, sans surprise, élevant par guirlandes de riches, somnifères et troublantes corolles bientôt nouées à notre front ; ou bien un doigt haut levé en un signe conduit nos yeux jusqu’à les perdre parmi les fondantes magies de l’horizon qui se déroule. […] Sous le casque les cheveux disparaissent, mais on devine encore derrière les sept barreaux d’argent s’éveiller de longs yeux pensifs.
Polyeucte, le futur martyr, s’écrie : Sur mes pareils, Néarque, un bel œil est bien fort. […] Corneille n’avait qu’à transfigurer légèrement les grandes dames qu’il avait sous les yeux pour créer ses héroïnes au caractère impérieux, fait de fierté, d’assurance et de fermeté mâle ; et l’on comprend, que les Sévigné, les femmes qui avaient été jeunes dans l’époque tumultueuse de la Fronde, aient toujours préféré à Racine (chez qui l’homme bien souvent prend sa revanche) celui qu’elles appelaient « leur vieil ami ». […] Les chefs des Frondeurs s’appellent souvent de noms empruntés à des héros de roman ; La Rochefoucauld, blessé, en danger d’être aveugle, fait hommage de ses souffrances à Mme de Longueville par ces deux vers. qu’il emprunte, en les remaniant, à une tragédie : Faisant la guerre au roi, j’ai perdu les deux yeux ; Mais pour un tel objet je l’aurais faite aux Dieux. […] C’est un fait qui éclate aux yeux dans notre siècle qui aurait pu prendre pour devise ce vers de Musset : C’est mon opinion de gâter les enfants. […] Il joue l’homme de qualité avec tant de perfection qu’il en impose même à cette fine mouche de Lisette, qui hésite entre le témoignage de ses yeux et celui de sa mémoire et n’ose reconnaître une ancienne connaissance dans ce personnage si digne et si sérieux99.
Cela rappelle les prodiges antiques où l’on voyait les larmes couler des yeux d’une statue. […] L’un a un bandeau sur les yeux, l’autre porte des lunettes taillées dans un prisme. […] M. de Pienne sera son témoin, et Diane s’évanouit, d’angoisse et d’effroi, dans les bras de madame de Rohan, qui la regarde déjà de l’œil ardent d’une rivale. […] Elle avait deviné, dans les yeux de M. […] Il faut la voir, l’œil ardent, les joues en feu, le geste homicide, penchée sur la réponse, attendue comme une proie d’impatience et de désir.
Mettez un nom sur mistress Clarkson, un nom qui la précise, qui lui fasse prendre le corps de l’actualité, et le faux de la situation saute aux yeux. […] La scène veut être passionnée et n’est que choquante : Catherine de Septmonts ne se relèvera pas, aux yeux du public, de l’attitude qu’elle y prend. […] Sur quoi, le yankee qui l’a écouté avec une glaciale attention, se retourne, le regarde entre les deux yeux, lui dit qu’il est un drôle et qu’il s’étonne que cinquante personnes ne l’aient pas marqué de cette épithète avant lui. […] Avant d’extirper, d’un coup d’épée, la paille qui l’offusque dans l’œil de son adversaire, ne devrait-il pas voir la poutre qui obstrue le sien ? […] Le comte Jean le surveilla d’un œil soupçonneux.
À ses yeux, « les beautés de ce poëte consistent principalement dans le nombre, dans l’arrangement des paroles ». […] On ne craindrait nullement de conserver, dans la traduction de cette ode grecque il la Fortune, l’image des vicissitudes que voyait t’œil du poëte, et de porter dans l’expression cette alternative de haut et de bas qui fait le sujet même. […] » Puis, dans un retour aux mouvements impétueux de la vie, est-ce Pindare, est-ce Bossuet, qui, frappé du sillon d’éclair de l’aigle, que sa pensée a tant de fois suivi dans les cieux, dit d’un guerrier qu’il admire : « Comme une aigle qu’on voit toujours, soit qu’elle vole au milieu des airs, soit qu’elle se pose sur quelque rocher, porter de tous côtés ses regards perçants et tomber si sûrement sur sa proie qu’on ne peut éviter ses ongles non plus que ses yeux ; aussi vifs étoient les regards, aussi vite et impétueuse était l’attaque, aussi fortes et inévitables étaient les mains du prince de Condé. » Un seul mot vient ici littéralement de Pindare, et avant lui, d’Homère : χεῖρας ἀφύκτους. […] À ses yeux, ce n’est ni la force du nombre, ni la puissance populaire, ni la liberté même qui doit prévaloir : c’est une équité souveraine, analogue à la Providence divine elle-même. […] « Après beaucoup de maux fortement supportés, ils occupèrent le sol sacré du fleuve, et furent l’œil de la Sicile.
À nos yeux, ces rapports accidentels, ces inventions fortuitement semblables, servent surtout à faire mieux comprendre le sublime des livres saints, ce sublime à part, supérieur aux choses mêmes qui lui ressemblent et qui le rappellent. […] Tu as cru que je serais semblable à toi ; mais je te conte vaincrai, et je mettrai ton compte sous tes yeux. […] Sous les images de l’infinie grandeur, elle enveloppe la loi morale ; et elle n’éblouit les yeux que pour parler à la conscience. […] Elles sont éparses ailleurs, et jusque dans le récit historique, témoin, au chapitre xxxii du Deutéronome, ce chant de Moïse où Dieu semble plaider contre son peuple, l’accuser, lui répondre, entre la vive expression des images présentes et la vue prophétique d’un avenir non moins éclatant aux yeux. […] Poésie patriotique aussi, et d’autant plus éloquente qu’elle gémit sur de plus grands maux, et que la servitude de son peuple est, à ses yeux, non pas seulement une oppression, mais un sacrilège !