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694. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

La nature a plus d’un type. […] Il a fait apparaître la nature au milieu de l’émeute et reporté la pensée aux calmes horizons. […] Le sentiment profond de la nature perce au milieu d’un couplet qui veut être socialiste. […] Léda, c’est l’humanité s’unissant avec la nature, et de cet hymen résulte Hélène, c’est-à-dire la beauté parfaite. […] La poésie est prodigue comme la nature.

695. (1890) L’avenir de la science « XXI »

XXI La science étant un des éléments vrais de l’humanité, elle est indépendante de toute forme sociale et éternelle comme la nature humaine. […] Ces moments solennels, où la nature humaine exaltée, poussée à bout, rend les sons les plus extrêmes, sont les moments des grandes révélations. […] Il ne faut pas se figurer la nature humaine comme quelque chose de si bien délimité qu’elle ne puisse atteindre au-delà d’un horizon vulgaire. […] Il se peut qu’un jour il apparaisse encore de ces natures étranges, placées sur la limite de l’homme et ouvertes à d’autres combinaisons. […] Ce jour-là, il n’y aurait plus de salut que dans les instincts moraux de la nature humaine, lesquels sans doute ne feraient pas défaut.

696. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XV. Commencement de la légende de Jésus  Idée qu’il a lui-même de son rôle surnaturel. »

La nature lui obéit ; mais elle obéit aussi à quiconque croit et prie ; la foi peut tout 709. Il faut se rappeler que nulle idée des lois de la nature ne venait, dans son esprit, ni dans celui de ses auditeurs, marquer la limite de l’impossible. […] Pour lui, la nature et le développement de l’humanité n’étaient pas des règnes limités hors de Dieu, de chétives réalités, assujetties aux lois d’un empirisme désespérant. Il n’y avait pas pour lui de surnaturel, car il n’y avait pas de nature. […] Nous comprenons peu, avec nos natures froides et timorées, une telle façon d’être possédé par l’idée dont on se fait l’apôtre.

697. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Il parle aux oiseaux, aux plantes, aux vents, à toute la nature. […] Il est le premier mouvement du cœur et la première parole de la nature. […] Si quelque brutal les insulte, il appelle à leur secours toute la nature et tous les dieux. […] Ce sourd travail de l’esprit ressemble aux lentes cristallisations de la nature. […] Les yeux restent attachés sur la nature, non plus pour l’admirer, mais pour la comprendre.

698. (1911) Psychologie de l’invention (2e éd.) pp. 1-184

La nature du phénomène reste moins évidente chez le peintre qui conçoit l’idée d’un tableau ou chez le romancier en qui s’ébauche l’embryon d’un roman. […] Elle est organisée de telle sorte que toutes les excitations qui lui parviennent ne font que la déterminer à s’exercer, à s’actualiser pour ainsi dire, selon sa nature propre, et de telle façon que la nature de l’excitation paraît sans influence marquée sur celle du phénomène provoqué. […] Selon la nature de ce trouble et le degré de difficulté du travail, c’est la tristesse ou le plaisir qui se produit. […] Ce n’est pas alors la nature de l’ensemble qui détermine la nature des détails, c’est plutôt la nature des détails, évoqués parfois un peu au hasard, qui vient déterminer la nature de l’ensemble, et fixer l’orientation de l’esprit. […] La seule différence se trouve dans la nature concrète des phénomènes, et si faible parfois qu’elle devient imperceptible.

699. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

la douleur n’est-elle pas toujours le résultat des maux causés par la nature et par la société ? […] Mais comment y parviendra-t-il sans l’intervention des intelligences célestes et amies de la nature humaine ? Ainsi, l’idée d’un Dieu peut seule féconder les arts, comme elle anime le spectacle de la nature. […] Plus une religion est mystérieuse, et plus elle est conforme à la nature humaine. […] Il a du moins un avantage réel sur ceux qui décrivent ordinairement la nature.

700. (1761) Salon de 1761 « Peinture — Vien » pp. 131-133

qu’ils connaissent peu la nature ! […] Et puis une lumière douce, diffuse sur toute la composition comme on la voit dans la nature, large, s’affaiblissant ou se fortifiant d’une manière imperceptible. […] Les natures ne sont ici ni poétiques, ni grandes ; c’est la chose même, sans presque aucune exagération.

701. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Loutherbourg » pp. 224-226

Dites-moi si l’espace que vous découvrez au-delà de ces roches, n’est pas la chose qui a fixé cent fois votre admiration dans la nature ? […] Ah, mon ami, que la nature est belle dans ce petit canton ! […] S’il ne fallait, pour être artiste, que sentir vivement les beautés de la nature et de l’art, porter dans son sein un cœur tendre, avoir reçu une âme mobile au souffle le plus léger, être né celui que la vue ou la lecture d’une belle chose enivre, transporte, rend souverainement heureux, je m’écrierais en vous embrassant, en jetant mes bras autour du cou de Loutherbourg ou de Greuze : Mes amis, son pittor anch’io.

702. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Julliart » pp. 176-177

Et vous ne songez pas que ces arbres doivent être touchés fortement, qu’il y a une certaine poésie à les imaginer selon la nature du sujet, sveltes et élégans, ou brisés, rompus, gercés, caducs, hideux ; qu’ici pressés et touffus, il faut que la masse en soit grande et belle ; que là rares et séparés, il faut que l’air et la lumière circulent entre leurs branches et leurs troncs ; que cette terrasse veut être chaudement peinte ; que ces eaux imitant la limpidité des eaux naturelles, doivent me montrer comme dans une glace l’image affaiblie de la scène environnante ; que la lumière doit trembler à leur surface ; qu’elles doivent écumer et blanchir à la rencontre des obstacles ; qu’il faut savoir rendre cette écume ; donner aux montagnes un aspect imposant ; les entr’ouvrir, en suspendre la cime ruineuse au-dessus de ma tête, y creuser des cavernes, les dépouiller dans cet endroit, dans cet autre les revêtir de mousse, hérisser leur sommet d’arbustes, y pratiquer des inégalités poétiques ; me rappeller par elles les ravages du temps, l’instabilité des choses, et la vétusté du monde ; que l’effet de vos lumières doit être piquant ; que les campagnes non bornées doivent, en se dégradant, s’étendre jusqu’où l’horizon confine avec le ciel, et l’horizon s’enfoncer à une distance infinie ; que les campagnes bornées ont aussi leur magie ; que les ruines doivent être solennelles, les fabriques déceler une imagination pittoresque et féconde ; les figures intéresser, les animaux être vrais ; et que chacune de ces choses n’est rien, si l’ensemble n’est enchanteur ; si composé de plusieurs sites épars et charmans dans la nature, il ne m’offre une vue romanesque telle qu’il y en a peut-être une possible sur la terre. Vous ne savez pas qu’un paysage est plat ou sublime ; qu’un paysage où l’intelligence de la lumière n’est pas supérieure est un très-mauvais tableau ; qu’un paysage faible de couleur, et par conséquent sans effet, est un très-mauvais tableau ; qu’un paysage qui ne dit rien à mon âme, qui n’est pas dans les détails de la plus grande force, d’une vérité surprenante, est un très-mauvais tableau ; qu’un paysage où les animaux et les autres figures sont maltraités, est un très-mauvais tableau, si le reste poussé au plus haut degré de perfection, ne rachète ces défauts ; qu’il faut y avoir égard pour la lumière, la couleur, les objets, les ciels, au moment du jour, au temps de la saison ; qu’il faut s’entendre à peindre des ciels, à charger ces ciels de nuages tantôt épais, tantôt légers ; à couvrir l’atmosphère de brouillards, à y perdre les objets, à teindre sa masse de la lumière du soleil ; à rendre tous les incidens de la nature, toutes les scènes champêtres, à susciter un orage, à inonder une campagne, à déraciner les arbres, à montrer la chaumière, le troupeau, et le berger entraînés par les eaux ; à imaginer les scènes de commisération analogues à ce ravage ; à montrer les pertes, les périls, les secours sous des formes intéressantes et pathétiques.

703. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 6, de la nature des sujets que les peintres et les poëtes traitent. Qu’ils ne sçauroient les choisir trop interressans par eux-mêmes » pp. 51-56

Section 6, de la nature des sujets que les peintres et les poëtes traitent. Qu’ils ne sçauroient les choisir trop interressans par eux-mêmes Des que l’attrait principal de la poësie et de la peinture, dès que le pouvoir qu’elles ont pour nous émouvoir et pour nous plaire vient des imitations qu’elles sçavent faire des objets capables de nous interresser : la plus grande imprudence que le peintre ou le poëte puissent faire, c’est de prendre pour l’objet principal de leur imitation des choses que nous regarderions avec indifference dans la nature : c’est d’emploïer leur art à nous répresenter des actions qui ne s’attireroient qu’une attention mediocre si nous les voïions veritablement. […] Il en est de la poësie comme de la peinture, et les imitations que la poësie fait de la nature nous touchent seulement à proportion de l’impression que la chose imitée feroit sur nous, si nous la voïions veritablement.

704. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

Les anciens revêtaient la vie à venir des images les plus brillantes ; ils avaient matérialisé l’autre monde par des descriptions, par des tableaux, par des récits de tous les genres ; et l’abîme que la nature a mis entre l’existence et la mort était, pour ainsi dire, comblé par leur mythologie. […] Ce qu’on représente de nos jours, ce n’est plus seulement la douleur offrant aux regards un majestueux spectacle, c’est la douleur dans ses impressions solitaires, sans appui comme sans espoir ; c’est la douleur telle que la nature et la société l’ont faite. […] Les Grecs ayant la nature seule pour modèle, ont eu quelquefois de la grossièreté, mais jamais d’affectation. […] Les héros que peignaient les auteurs dramatiques, n’avaient point cette grandeur soutenue que leur a donnée Racine ; mais ce n’est point à une condescendance populaire qu’il faut attribuer cette différence ; tous les poètes ont peint ainsi les caractères, avant que de certaines habitudes monarchiques et chevaleresques nous eussent donné l’idée d’une nature de convention. […] Enfin, il existe dans la nature morale, comme dans la lumière du soleil, un certain nombre de rayons qui produisent des couleurs tranchantes ou distinctes : vous variez ces couleurs par leur mélange, mais vous n’en pouvez créer une entièrement nouvelle.

705. (1757) Réflexions sur le goût

Il en est de frappantes et de sublimes, qui saisissent également tous les esprits, que la nature produit sans effort dans tous les siècles et chez tous les peuples, et dont par conséquent tous les esprits, tous les siècles et tous les peuples sont juges. […] Ainsi le même esprit philosophique, qui nous oblige, faute de lumières suffisantes, de suspendre à chaque instant nos pas dans l’étude de la nature et des objets qui sont hors de nous, doit au contraire, dans tout ce qui est l’objet du goût, nous porter à la discussion. […] Il n’accordera sur ce point ni tout à la nature ni tout à l’opinion ; il reconnaîtra, que comme la musique a un effet général sur tous les peuples, quoique la musique des uns ne plaise pas toujours aux autres, de même tous les peuples sont sensibles à l’harmonie poétique, quoique leur poésie soit fort différente. […] il en est au contraire le plus ferme appui, puisque cet esprit consiste à remonter en tout aux vrais principes, à reconnaître que chaque art a sa nature propre, chaque situation de l’âme son caractère, chaque chose son coloris ; en un mot à ne point confondre les limites de chaque genre. […] Ajoutons qu’il n’est point à craindre que la discussion et l’analyse émoussent le sentiment ou refroidissent le génie dans ceux qui posséderont d’ailleurs ces précieux dons de la nature.

706. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Tout en nous dépend du tour des caractères, quand ils sont donnés par la nature un peu décidément. […] C’était la mode de la nature ; on adorait la campagne du sein des boudoirs. […] L’inspiration directement religieuse ne fut jamais la sienne ; l’inspiration puisée dans la nature avait été une de ses prétentions et de ses illusions plutôt qu’une source véritable. […] Presque aveugle, il entrevoyait pourtant, et les beautés de la nature lui arrivaient çà et là gaiement dans un rayon. […] Le poète, en costume d’abbé, tournait le dos à la Nature et dirigeait ses pas et sa lorgnette vers le Temple du mauvais Goût.

707. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Prenons un exemple, et supposons que trois naturalistes, bons logiciens, aient perdu à la suite d’une maladie le souvenir net et complet de la nature. […] Pour ceux qui suivent la nature, cette intimité a la plus salutaire influence morale. Suivre la nature, en matière de goût, c’est obéir au mouvement instinctif par lequel elle nous attire vers ce qui est beau, et nous éloigne de ce qui est laid. […] Elle doit être intelligente, et intelligente au point de subordonner toujours, en cas de conflit, les impulsions de la nature aux préceptes positifs de la raison. […] Il n’existe, pas dans la nature de sensations absolument simples.

708. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Assurément il est faux de croire que le réalisme se distingue de l’idéalisme soit classique, soit romantique, exclusivement en ce qu’il donne de la nature et de la nature humaine une représentation plus exacte en chacune des scènes et des individus qu’il représente. […] La réduction à l’absurde d’une théorie réaliste extrême de ce genre serait facile ; elle a été faite excellemment dans un traité d’esthétique malheureusement trop peu connu, la Nature of fine Arts de Parker et, en quelques pages définitives, M.  […] À proprement parler, des hommes de cette sorte sont de vivantes expériences de psychologie ; la nature en les faisant extraordinaires, a retranché ou hypertrophié chez eux quelques facultés à la façon dont un physiologiste modifie artificiellement la constitution de l’animal sur lequel il opère. […] Elle comprend donc deux éléments associés en un rapport infiniment variable : l’un de reproduction de la nature, l’autre d’altération, d’arrangement, d’idéalisation et d’excès. […] Elle parut se faire religieuse en ce que tantôt elle loua ce que la morale évangélique a de contraire à l’exacte raison, de follement miséricordieux, de cordial ; tantôt elle fit de Dieu un être vague, bienveillant, diffus dans les splendeurs de la nature, plus père que juge.

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