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638. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

La lumière était tout à la fois chaude et transparente, et pour donner une vie nouvelle à cette nature si gracieuse dans sa simplicité, le soleil se couchait derrière les écueils fantastiques de ces îles Courzolaires où George Sand a placé la scène de son petit roman de l’Uscoque. […] « Aimer davantage c’est aimer autrement ; et surtout si c’est encore le même cœur qui s’attache aux mêmes êtres, le temps ayant profondément changé la nature de ses liens. […] Admirable visage : la nature, avec le génie, lui a donné la sérénité. […] Cherchons donc, cherchons toujours : c’est l’art et c’est la vie ; et grâce à Dieu, les joies de l’effort, si sévères qu’elles soient bien souvent, valent mieux que les joies passagères et stériles du succès. » Quelle digne et loyale nature ! […] Gandar, sur la fin de ses cinq années de Caen, le sentait bien ; si professeur qu’il fût par vocation et par nature, il éprouvait un vif désir de fixer pour lui-même, et pour d’autres encore que pour sa centaine d’auditeurs fidèles, quelques-uns de ses résultats.

639. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Non, ce bal masqué de barbes grises allant recevoir les leçons des imberbes, comme disait Henri IV, serait la nature renversée. […] Mais si je n’ai pas reçu de la nature le style et l’éloquence de J. […] La nature est la première des politiques. […] Dupin avait été nommé par la nature président perpétuel d’un sénat français. […] Étouffer mon opinion sous mon rôle, ce n’était pas ma nature.

640. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre III. Des Ruines en général. — Qu’il y en a de deux espèces. »

Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre existence. […] Ainsi, les ruines jettent une grande moralité au milieu des scènes de la nature ; quand elles sont placées dans un tableau, en vain on cherche à porter les yeux autre part : ils reviennent toujours s’attacher sur elles. […] Les premières n’ont rien de désagréable, parce que la nature travaille auprès des ans.

641. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

Krantz a également raison de constater une fois de plus que l’amour de la nature a fait défaut à l’art classique. […] Car tout genre a ses lois, et qui sont déterminées par sa nature même. […] La nature a si bien établi le commerce de l’amour qu’elle n’a pas laissé beaucoup de choses à faire au mérite. […] La position qu’il prit dans la querelle peut jeter, d’autre part, un jour assez vif sur la nature de son talent. […] C’est ici le vrai signe d’une nature éminemment morale. !

642. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

c’est l’élément des bons esprits, il ne l’a pas suffisamment prouvé, et il a plutôt fait une solitude moitié naturelle, moitié de fantaisie, dans laquelle les objets ont tant soit peu dansé devant sa vue, et où si d’un côté il ôtait le masque à la nature, il lui en mettait un à l’autre joue. Toutefois il a entrevu quelque chose, il a eu un éclair de nouveauté et de libre peinture ; sa chaleur de jeunesse l’a bien servi, et dans cette pièce, de même que dans la suivante, intitulée Le Contemplateur et adressée à l’évêque de Nantes Cospeau, il a eu en présence de la nature l’aperçu de certains genres de poésie descriptive ou méditative qui ont sommeillé durant près de deux siècles encore, pour n’éclore et ne se développer dans leur vraie et pleine saison que de nos jours. La Solitude pouvait être un excellent commencement, et il ne s’agissait, ce semble, que de se corriger un peu, de se perfectionner et de mûrir : mais avec les natures de poète les choses ne vont point ainsi. […] Vous trouverez bon que je ne vous exprime pas tout le dégoût que j’ai pour de pareils ouvrages. » Voilà bien un mépris tranquille, et tel que les natures hautes et nobles en conçoivent pour la difformité qui s’ingénie et qui s’évertue. […] La vraie critique, telle que je me la définis, consiste plus que jamais à étudier chaque être, c’est-à-dire chaque auteur, chaque talent, selon les conditions de sa nature, à en faire une vive et fidèle description, à charge toutefois de le classer ensuite et de le mettre à sa place dans l’ordre de l’art.

643. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

Un nouvel univers s’offrit, pour ainsi dire, à sa contemplation : il aperçut la chaîne invisible qui lie entre eux tous les êtres ; il vit une main puissante étendue sur tout ce qui existe ; le sanctuaire de la nature fut ouvert à son entendement, comme il l’est aux intelligences célestes, et toutes les plus sublimes idées que nous attachons à ce mot Dieu se présentèrent à son esprit. […] Il se relève le cœur plus embrasé que jamais, et cette joie épurée qu’il éprouve, cette clarté qui l’inonde, il veut la communiquer à ses semblables ; il a soif de les y faire participer et de leur porter, avec l’explication du mystère de la nature, la loi du maître qui la gouverne, loi de justice, de solidarité de fraternité, soumission dans les traverses de cette courte vie, espoir et foi dans une vie meilleure. […] A-t-il voulu simplement marquer que la nature humaine et l’esprit humain ne comportent la première manière de voir que chez un petit nombre d’individus, et que l’histoire n’admet point le triomphe de la philosophie pure ? […] » Et cependant Rousseau eut jusqu’à la fin des moments de bonheur et d’intime jouissance ; il aimait, il sentait trop vivement la nature pour haïr la vie ; et s’il était besoin d’un témoignage pour prouver que la vie, somme toute, est bonne, si après le bûcheron de La Fontaine, après l’heureux Mécénas, après l’ombre d’Achille qu’Homère nous a montrée dans la prairie d’Asphodèle redésirant à tout prix la lumière du jour, il fallait quelqu’un qui renouvelât ce même aveuaa, ce n’est pas à un autre qu’à Rousseau, à cet aîné de Werther, à cet oncle de René, que nous l’irions demander. […] [1re éd.] et qui ne se contentent pas de peindre la nature en des traits généraux devenus trop aisément communs z.

644. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

Après lui, après les deux disciples qu’on ne sépare guère de lui, on n’a que de rares idylles : Méléagre en a fait une sur le Printemps, et qui, dans sa brièveté, mérite d’être comptée à sa date pour le très-vif sentiment de la nature, qui s’y peint en chaque vers ; mais ce n’est qu’un cadre, il y manque les personnages. […] C’est l’ingénuité toute pure de deux jeunes êtres élevés ensemble au sein d’une belle et riche nature rustique, et sans que rien les avertisse d’un danger. […] Cette panique, qui peut tenir à l’effroi des imaginations frappées autant qu’à la réalité même, cette espèce de bacchanale universelle de la nature physique, telle qu’à la rigueur elle peut paraître à des gens ivres et être vue à travers le vertige, est décrite avec une vraie verve d’orgie. En général, ce sont les dieux des campagnes, les Nymphes et Pan, qui font tout dans ce gracieux roman-poème ; mais, pour rendre leur intervention moins invraisemblable, c’est d’ordinaire en songe qu’ils se contentent d’apparaître et de se manifester personnellement ; le merveilleux n’est pas direct, il est réfléchi : précaution légère et pourtant assez marquée, qui semble demander grâce pour la fiction elle-même, et qui est de nature à concilier ceux qui ne sont incrédules qu’à demi. […] Chose remarquable, mais qu’il faut rejeter au bas d’une page : Bernardin de Saint-Pierre, qui a emprunté à Longus non-seulement le cadre et, jusqu’à un certain point, l’inspiration de son roman, mais encore plusieurs détails, tels que la description du jardin (livre IV), etc., ne mentionne nulle part Longus, tandis que dans ses Harmonies de la Nature (livre I, chapitre dernier), il cite comme modèles de tableaux de paysage plusieurs autres anciens.

645. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Il lui arriva ce qui arrive à la plupart des natures ardentes qu’on veut soumettre à une règle étroite : il n’eut rien de plus pressé, quand il se crut assez fort, que de résister et de réagir ; il s’insurgea. […] « Si les natures viles achèvent de se perdre et de se dégrader dans l’infortune, elle est la trempe la plus résistante des natures élevées. » On aimerait pourtant une confession un peu plus simple, plus circonstanciée, plus naïve : quoi qu’il en soit, dans le récit tout moral qu’il a donné, je distingue quelques degrés et des acheminements. […] Toutes les puissances de la nature et du foyer, ces charmes attrayants et doux qui vivent au cœur du montagnard, l’avaient ressaisi. […] Il me semblait que je pleurais avec un ami dont la douleur était la même, et que nos sanglots éclataient sous le poids d’une commune destinée ; tant il est vrai que la nature même, ce poëme de l’Éternel, n’a qu’un chant de désolation pour l’âme qui s’est une fois éloignée de son divin Auteur !  […] Le don d’harmonie qu’il avait reçu de la nature se déploya dans ses productions dernières en toute largeur et plénitude.

646. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

C’est le trait commun des Suisses qui ont écrit en français : on doit excepter Jean-Jacques, nature trop intérieure ; mais voyez Mme de Staël, Marc Monnier, M.  […] Enfin, et c’est le dernier facteur du génie de Mme de Staël qu’il nous faille considérer, elle n’a pas du tout une nature artiste. […] Elle n’a pas le sentiment de la nature : elle la voit quand elle veut regarder ; alors elle élabore ses perceptions en notions dont elle donne la formule intelligible : mais pour ce qui est de peindre, elle n’y peut arriver. […] Elle « ne pense pas que ce grand œuvre de la nature morale ait été jamais abandonné ; dans les périodes lumineuses, comme dans les siècles de ténèbres, la marche graduelle de l’esprit humain n’a jamais été interrompue ». […] Par l’Allemagne, elle arrive à comprendre, presque à sentir la poésie, poésie de la nature et poésie de l’âme.

647. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

Sa nature originelle et les nécessités de sa position l’avaient averti de bonne heure à cet égard. […] C’est une des méthodes et, pour ainsi dire, des compensations de la nature de hâter ainsi la maturité de ce qu’elle veut moissonner avant l’âge, et de rassembler en quelque sorte tous les développements du moral dans un court espace. […] Mais ici la méfiance, déjà propre à cette jeune nature, se marqua à l’instant ; sa physionomie se ferma : « Mais je ne connais personne à Paris », répondit-il ; — et après une pause d’un instant : « Je n’y connais plus que la colonne de la place Vendôme. » Puis s’apercevant qu’il avait interprété trop profondément une parole toute simple, et pour corriger l’effet de cette brusque réponse, il envoya le surlendemain à M. de La Rue, qui montait en voiture, un petit billet où étaient tracés ces seuls mots : « Quand vous reverrez la Colonne, présentez-lui mes respects. » Au maréchal Marmont, comme à toutes les personnes avec qui il parlait de la France, le jeune prince exprimait l’idée qu’il ne devait, dans aucun cas, jouer un rôle d’aventure ni servir de sujet et de prétexte à des expériences politiques ; il rendait cette juste pensée avec une dignité et une hauteur déjà souveraines : « Le fils de Napoléon, disait-il, doit avoir trop de grandeur pour servir d’instrument, et, dans des événements de cette nature, je ne veux pas être une avant-garde, mais une réserve, c’est-à-dire arriver comme secours, en rappelant de grands souvenirs. » Dans une conversation avec le maréchal, et dont les sujets avaient été variés, il en vint à traiter une question abstraite ou plutôt de morale, et comparant l’homme d’honneur à l’homme de conscience, il donnait décidément la préférence à ce dernier, « parce que, disait-il, c’est toujours le mieux et le plus utile qu’il désire atteindre, tandis que l’autre peut être l’instrument aveugle d’un méchant ou d’un insensé ». […] Mais quand l’homme se trouve en face d’une difficulté réelle, disproportionnée avec ses forces, il se résigne ; et si l’expérience lui a enseigné que le temps et un effort réglé et continu sont les seuls moyens du succès, il prend alors l’habitude de la patience, et cette habitude passe dans sa nature. […] Après le procès des ministres, et sur l’impression favorable qu’avaient laissée les dépositions des témoins, il aurait, certes, pu rentrer en France : mais il n’était pas homme à y rentrer par la petite porte, et, de la nature qu’il était, il n’y pouvait reparaître que la tête haute.

648. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

Si dans les hommes irrités dont je parle, il en est qui aient gardé le culte des purs sentiments libéraux, de la vieille liberté entendue comme en 89 ou en 1819, qui aient aimé cette liberté de la même manière avant et pendant le pouvoir, qui n’aient jamais senti, alors qu’ils étaient les maîtres, qu’il fallait faire fléchir les principes eux-mêmes devant les nécessités publiques et les périls imminents, s’il est de tels hommes qui aient conservé chastement en eux ce premier idéal de la nature humaine et de la nature française gouvernable, à ceux-là je leur accorde tout ; de tels modèles sont beaux de temps en temps à contempler à distance dans l’histoire. […] Hommes de la génération de 1830, tombés en 1848, désormais évincés et très ajournés, vous qui vous êtes toujours piqués de tout comprendre dans l’histoire, et qui, par l’étude, par les idées, par une habituelle et libre ouverture de l’intelligence, vous êtes crus et êtes, en effet, si supérieurs aux plus hommes d’esprit de cette race de 1815, n’admettez en vous trop longtemps aucun grain d’aigreur et d’amertume, aucun levain pareil au leur et qui est de nature à se loger si aisément au cœur de l’homme. […] Je connais des hommes d’une nature sociale heureuse et d’un bon sens bien tempéré qui ont peut-être retrouvé leur philosophie dès le soir même. […] Les natures moins délicates ou moins maîtresses d’elles-mêmes ne peuvent se retenir ; il en est qui s’exhalent en propos vifs et outrageants, d’autres tournent au tendre et à l’élégie. […] Tous les traits sont à remarquer dans ce vif et véridique tableau, notamment celui-ci qui est pris sur nature, lorsque d’Argenson se reproche de n’avoir pas assez fait pour Marmontel, quand il était puissant.

649. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

A qui n’est-il pas arrivé, devant un spectacle de la nature, de s’entendre dire par un ami : « Vois-tu ? […] Puisque la loi confirme, en tout cas, la nature, ne peut-elle pas, au besoin, la suppléer ? […] Emerson, Essai sur la nature (trad. […] (au lieu de « Essai sur la nature »)], chap.  […] Emerson, Essai sur la nature (trad.

650. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

À l’époque de la puberté, et sous l’influence mystérieuse des spectacles de la nature, M.  […] Il l’engageait en terminant à ne pas tenter l’impossible et à toujours demeurer « l’homme de sa nature ». […] Le déséquilibre n’en demeure pas moins la marque distinctive du maître et le fond essentiel de sa nature. […] « Tout ce qui est dans la Nature est dans l’Art », dit l’auteur d’Hernani, et il se demande si « cette nature mutilée en serait plus belle ». […] Rien, à première vue ; rien, excepté ce don indéfinissable que la nature dispense à ses élus, excepté un défaut peut-être.

651. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Mais votre nature était conforme à votre destinée. […] La foi lui oppose la grâce, et la nature l’amour. […] Il parla nature et sentiment à une société qui ne voulait entendre que sentiment et nature. […] Il croyait hautement aux dieux bons cachés dans la nature. […] On n’y sent vivre ni l’homme ni la nature.

652. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

pourquoi ne pas mettre en circulation jour par jour, pour ainsi dire, ce qui a instruit ou ému, ce qui a appris quelque chose sur l’état de la société ou sur la nature particulière d’un génie ? […] Sa nature originelle y reprend le dessus, y tient le dé, si j’ose dire. […] Mais cela tourne bientôt à la gravité solitaire et à la mélancolique grandeur qui est le fond de cette nature de René : « Vingt fois depuis cette époque, dit-il, j’ai fait la même observation, vingt fois des sociétés se sont formées et dissoutes autour de moi. […] Il y a des natures fatales qui portent plus aisément que d’autres, autour d’elles, le vertige et le désenchantement : Jupiter qui s’approche consume Sémélé. […] Ici la différence des natures se déclare.

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