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843. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Nous l’avons vu expansif, bon garçon, bavard intarissable, racontant au premier venu, devant un bock, ses projets d’art, ses songes, ses émotions, ses amours, galvaudant tout ce que l’homme bien garde pour lui ou de très rares intimes, étalant son intérieur comme son extérieur : en réalité, sous cette bonhomie ripailleuse, très dénigreur, rongé d’envie, se sachant impuissant, mais retenu dans un monde de ratés par une énorme vanité qui est encore du bourgeoisisme exaspéré, la vanité de serrer des mains célèbres, de figurer parmi les gens de lettres, et de passer pour un martyr de l’idéal. […] Regardons les créateurs modernes : tous nous donneront un exemple de sobre tenue, de pauvreté fière et nette, de vie travailleuse, ordonnée, saine, de discrétion dans le geste et le discours, d’élégance et de distinction nées du seul sentiment de porter en soi une grande âme. […] Elle se résorbe en une perversité, imaginative le plus souvent, et elle ne naît jamais de l’intérêt, ce qui lui ôte toute persévérance dangereuse.

844. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Aristote a précédé Théophraste, lequel est de ce grand maître en l’art de penser sur toutes choses fortement et à fond ; Montaigne est l’aîné de La Rochefoucauld de près d’un siècle et demi. […] Ce que j’ai dit ailleurs des convenances éternelles, qui font naître tout exprès pour chaque genre l’écrivain qui doit en donner le modèle, n’est vrai d’aucun écrivain autant que de La Rochefoucauld, et plus tard de La Bruyère. […] La Rochefoucauld n’a pas voulu confesser qu’il n’était pas avec la décision des hommes d’action, mais le secret lui en échappe dans ce qu’il a gardé de rancune aux passions de ces hommes, pour ne les avoir pas éprouvées lui-même, et pour n’avoir pu les gouverner ni les dominer chez eux.

845. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « La Religieuse de Toulouse, par M. Jules Janin. (2 vol. in-8º.) » pp. 103-120

Mlle Jeanne de Juliard, fille d’un conseiller au parlement de Toulouse, naquit en cette ville sous Louis XIII ; elle était belle, spirituelle, et fut très recherchée de plusieurs partis. […] Il est assez difficile aujourd’hui, d’après l’état incomplet des documents, de se faire une idée très précise du caractère de Mme de Mondonville ; mais tout ce qu’on sait prouve, encore une fois, que ce dut être une personne d’une haute distinction, d’un caractère ferme, élevé, née pour le commandement, et d’une grande habileté de domination. […] Il semble qu’avec les idées qui percent dans sa conduite et dans quelques articles de ses Constitutions, elle eût pu bien mieux s’entendre avec Mme de Maintenon, avec la fondatrice de Saint-Cyr, et que si, née plus tard, elle s’était appuyée de ce côté, elle aurait trouvé un ordre d’idées plus en accord avec ses inclinations, sans aller se heurter contre l’écueil où elle a péri.

846. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

Il est inutile de mentionner les livres si connus de Descartes16, de Pascal17, de Newton18; mais je rappellerai quelques ouvrages du xviiie  siècle, peu lus aujourd’hui, et où nos logiciens pourront trouver des détails intéressants : par exemple, la Logique 19 de Mariotte, le célèbre et ingénieux physicien, le premier ouvrage français de ce genre où la méthode expérimentale ait pris la place qui lui appartient (encore n’y est-elle pas très-nettement distinguée de la méthode géométrique) ; le Traité de l’expérience, du docteur Zimmermann, célèbre médecin du xviiie  siècle, en Suisse et connu surtout par son beau livre sur la Solitude ; l’Essai sur l’art d’observer, de Jean Sénebier, ministre protestant de Genève, traducteur de Spallanzani, et lui-même naturaliste distingué de cette grande école de Genève qui a produit les Réaumur, les Trembley, les Bonnet, les de Saussure, les de Gandolle et tant d’autres hommes supérieurs ; les Fragments de Lesage, de Genève20, personnage original, doué d’un esprit méditatif et profond, connu surtout comme l’auteur d’une hypothèse sur la cause mécanique de la gravitation ; enfin le Discours sur l’étude de la philosophie naturelle, de W. […] Quant à l’idée elle-même, comment vient-elle naître dans l’esprit ? […] « Il n’y a pas de règles à fixer, nous dit-il, pour faire naître à propos d’une observation donnée une idée juste et féconde : cette idée une fois émise, on peut la soumettre à des préceptes et à des règles ; mais son apparition a été toute spontanée, et sa nature esttout individuelle.

847. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Le contraste est brusque et frappant : Aristote, dans son livre sur Xénophane, Gorgias et Zénon, Simplicius dans son Commentaire sur la physique d’Aristote, et Théophraste dans Bessarion, nous ont conservé le corps de l’argumentation par laquelle Xénophane démontrait que Dieu n’a pas eu de commencement et qu’il n’a pas pu naître. […] Ces critiques et ces louanges se résument en un mot : il est deux cents ans trop tard ; c’est un fils du dix-septième siècle égaré dans un autre siècle. […] Il naquit en 1640.

848. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXII. »

Sous ces influences diverses, que domine l’étoile du Septentrion, la poésie lyrique pouvait-elle ne pas naître chez le peuple anglais ? […] Ni le spectacle des événements, ni la passion politique, ne la firent naître cette fois. […] Et vous, siècles encore à naître, ne venez pas en foule obséder mon âme !

849. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Lui-même protestant, l’agrément d’une belle convertisseuse le fit catholique, comme il l’aurait fait bouddhiste. […] De cette débauche, est née La Nouvelle Héloïse. […] Ses désirs font naître autour de lui une humanité qui les flatte. […] Il y avait assez de nourriture pour tous et la jalousie sexuelle est une absurdité née de la société. […] Il naquit.

850. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

Alors d’idée naîtra pour ainsi dire toute placée, logée en un coin le l’œuvre, sans pouvoir être mise ailleurs, et comme aillée à la mesure et en la manière qu’il faut pour adhérer à ses voisines. […] Qu’on prenne le genre qu’on voudra, discours, histoires, romans, comédies, on verra qu’il y a peu d’œuvres qui réussissent, encore moins qui durent à travers les siècles, sans une bonne économie : et pour peu qu’on ait de curiosité, on découvrira dans la multitude innombrable des écrits oubliés, pour peu qu’on ait d’attention, on notera dans le passage incessant des écrits qui ne naissent que pour mourir, plus d’une œuvre que les plus hautes qualités, que des morceaux admirables, des beautés singulières, semblaient adresser à l’immortalité.

851. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verhaeren, Émile (1855-1916) »

Que n’est-il ailleurs que dans le genre humain ! […] Émile Verhaeren est à Saint-Amand, près Anvers, le 21 mai 18… Une partie de son enfance s’écoula en plein pays flamand, au bord de l’Escaut.

852. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VI. Le charmeur Anatole France » pp. 60-71

Et ce ne serait pas la peine d’être après Montaigne, La Mothe-le-Vayer et Duclos, si… Mais jouissons des belles créations de Dieu ou des belles créations spontanées, comme vous voudrez. […] Les sentiments qui nous la rendent douce naissent d’un mensonge et se nourrissent d’illusions. » À chaque page, même négation résignée et souriante, qu’il parle du jeu, de la jalousie, de l’art ou de la justice.

853. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

Les Idées naissent en nous de la sensation ; or, par l’exposé d’une Idée, j’ai la conviction d’éveiller la sensation correspondante. […] Cette femme qui, malgré la flamme qu’elle portait au côté, ne se mit ni en dehors, ni au-dessus de la vie, qui accepta simplement sa destinée et fit simplement ses devoirs de jeune fille, d’épouse, de mère et de grand-mère, cette femme réalisait bien la vie que concevait Paul Verlaine. « Toujours le pardon, toujours le sacrifice. » Tel il s’était conçu, lui, surtout «  pour plaire à toute âme un peu fière », « tout prière et tout sourire, sorte d’homme en rêve et capable du mieux », comme il dit de lui-même quelque part.

854. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XV » pp. 175-187

Qu’on se figure la multitude de tours, d’images, de mouvements qui ont dû naître de ces conversations, où les sens, l’imagination, le cœur, étaient en jeu ; où l’émulation de plaire et d’étonner excitait les amours-propres ; où la critique n’était pas moins exaltée par les rivalités que le besoin de produire par l’émulation de plaire ! […] De là naquit la diversité des tons, des styles, des formes de langage qui s’approprièrent à tous les usages de l’art de parler et de l’art d’écrire.

855. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 140-155

Rousseau, [Jean-Jacques] à Geneve en 1712, mort près de Paris en 1778. […] Quoique avec les plus grands talens, il a eu la sage précaution de ne se montrer au Public, que quand il s’est cru capable de l’étonner par ses premiers essais, & de nourrir son admiration par de nouvelles Productions aussi vigoureuses que les premieres.

856. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Swift »

Jonathan Swift est à Dublin, mais ses parents étaient du comté d’York ; il était donc Anglais de race, et on est bien aise de le savoir, quand on croit que la race est encore pour les hommes quelque chose… Mal élevé et malheureux dans les premiers temps de sa vie, Swift, avec un esprit violent, fut de bonne heure misanthrope dans une société qui blessait son orgueil par toutes ses institutions, et quand le bonheur, la célébrité et l’influence sur les hommes lui vinrent, l’étoffe avait son pli et le vase était imbibé de liqueur amère.

857. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Paul Bourget »

Par sa nature, il doit répugner à cette forme essentiellement parnassienne du sonnet, à cette œuvre d’asthmatique qui, entre deux toux, place nettement son petit mot… Et puisque nous avons tous une famille littéraire quand nous sommes bien nés littérairement, et qu’alors nous ne nous mettons pas aux Enfants Trouvés des Écoles, l’auteur de La Vie inquiète s’apparente de loin à Henri Heine, et, de plus près, à lord Byron. […] Les poètes sentent ces impondérables… II L’auteur de La Vie inquiète, qui n’a pas pris pour sa Muse l’anxiété, car on ne choisit pas sa Muse, quand on est un poète : on la subit, comme le cœur subit son vautour, n’était encore qu’un lyrique dont les poésies sont toujours belles quand elles sont marquées de cette personnalité byronienne avec laquelle il est et qu’il ne doit à aucune imitation volontaire et servile.

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