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867. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

En fait d’art, montrer plutôt encore que juger est peut-être, de toutes les formes de critique, la plus utile. […] « Il faut bien, dit-il, se donner quelques dédommagements et des consolations ; il faut aussi montrer son petit talent, essayer dans son art quelque chose de ce que l’artiste dont on parle a fait dans le sien. » Et c’est ainsi que, terminant le premier article sur Eugène Delacroix lors de l’Exposition universelle de 1855, il disait : « … Outre leur mérite intrinsèque, les Femmes d’Alger marquent un événement d’importance dans la vie de M.  […] Ainsi, dans Militona, il nous a montré de nouveau l’Espagne ; dans Arria Marcella, il a figuré et ressuscité l’antique Pompéi ; ainsi dans la Momie, l’Égypte.

868. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Les publications qu’il multiplia dans ces années montrent à quel point Cervantes, désormais affranchi de tout autre occupation, était redevenu un pur homme de lettres, vidant ses portefeuilles, ouvrant une dernière fois tous ses casiers, tous ses tiroirs, et surtout ceux d’une imagination restée si enjouée et si jeune. […] Il disait dans cette dédicace, en se raillant agréablement de sa gêne habituelle et de cette maladie, si connue de ce temps-là et du nôtre, qui s’appelle faute d’argent : « Celui qui a montré le plus grand désir d’avoir le véritable Don Quichotte est l’empereur de la Chine. […] Qu’aurait-on dit de Molière si, au lendemain de sa pièce comique, il avait essayé lui-même de montrer les estimables précieuses sur la scène pour les y faire goûter et applaudir ?

869. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

Catinat y est montré au vrai, au naturel, en action, d’après ses œuvres et ses paroles ; il n’y a guère qu’à l’y découper pour le dessiner aux yeux et le faire saillir avec plus de relief et de singularité qu’on ne se le permettait autrefois dans les plus beaux Éloges académiques. […] Catinat, même plus tard devenu général, se montra toujours d’une rare intrépidité personnelle, d’une bravoure presque excessive dans un chef ; cet homme si prudent et concerté dans ses mouvements et sa stratégie en tant que commandant d’armée, se retrouvait sur le terrain, en un jour de bataille, le capitaine du régiment des gardes, et s’exposait comme un simple grenadier jusqu’à se faire plus d’une fois réprimander par Louis XIV. […] Dans une mission de ce genre, où il fallait des coups de main improvisés et peu corrects, on éprouvait sans doute, à Versailles, l’inconvénient d’avoir pour instrument un homme à scrupules ; mais on avait aussi les avantages d’avoir dans un guerrier ferme un bon esprit, sage, respectant les mœurs et les usages des populations, ménageant les amours-propres, équitable, soigneux d’alléger les charges et de tempérer les rigueurs d’une occupation étrangère, sachant maintenir la discipline dans ses troupes, leur procurer des occupations, des divertissements même, sans licence et sans ennui ; assez habile pour aller, suivi de tous ses officiers, demander à l’évêque de Casal la permission de faire gras en carême, ce qui fut fort goûté des habitants, mais résistant d’autre part à toute ingérence ultramontaine au sein de sa garnison, et disant : « Je veux rester autant qu’il est possible dans nos mœurs. » J’en ai dit assez pour montrer déjà la réunion de qualités précieuses et rares qui firent de Catinat le plus admirable officier de guerre, si elles n’en devaient pas faire précisément un grand général.

870. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire de la Grèce, par M. Grote »

J’entreprends simplement de le montrer tel qu’il est, non de l’effacer, et encore moins de le repeindre. » Cette belle page d’un bon et excellent esprit, qui trouve à son service une image et un emblème dignes de Bacon, suffit à montrer combien M.  […] Giguet, auteur d’une traduction d’Homère, et l’un des esprits les plus aiguisés et les mieux avisés sur la question, une lettre très-vive dont je citerai la partie essentielle : « Monsieur, veuillez ouvrir votre Iliade et lire : chant IV, les vers 512 et 513, — chant V, les vers 787 à 791, — chant VII, les vers 220 et 230 : — vous reconnaîtrez qu’entre les IIe et VIIIe chants, la colère d’Achille ne cesse pas un instant d’être le nœud du poëme. — Quant à l’ambassade conseillée (chant IX) par Nestor, rapprochez-la des vers de 105 à 110, chant XIII, et réfléchissez à ce qui fût arrivé si Agamemnon n’eût point montré de la bonne volonté, après la première défaite des Achéens.

871. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par le chevalier d’Arneth »

Lorsque j’examine ses écritures, je n’ai besoin que de montrer les mots avec le bout de mon crayon ; elle reconnaît tout de suite ses méprises. […] Ce n’est pas que la reine m’eût montré ni humeur, ni vivacité ; elle avait pu se préparer d’après la lettre que je lui avais écrite le lundi soir ; je l’ai rarement trouvée aussi tranquille et aussi maîtresse de ses mouvements. […] Elle m’a bien répondu, et du ton de la persuasion, qu’elle en était bien sûre ; mais en même temps elle m’a montré évidemment que ses amis et sociétés lui tenaient lieu de tout. » Quoi qu’on puisse dire, de tels sentiments ainsi exprimés sont respectables, et on sera en droit désormais de conclure que l’abbé de Vermond, quels que fussent ses défauts personnels, valait mieux que la réputation qu’on lui a faite.

872. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

A une certaine heure du jour, où il est un peu plus libre, il laisse avec joie le vêtement du matin, et retiré dans sa petite chambre monastique, où nous l’a montré M. […] Le beau succès de l’Aveugle doit lui montrer ce qu’on gagne à des sujets que le pathétique et une certaine élévation épurent. […] Lafon a l’extrême obligeance de nous communiquer, vient à l’appui pour nous montrer que le poëte populaire entend peu la question comme la voudraient poser les critiques érudits, et qu’il n’est pas, comme il s’en vante presque, à la hauteur du système.

873. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

En voilà assez pour montrer que l’auteur n’a cherché, dans le titre donné à son livre, qu’une sorte d’étiquette suffisamment accommodée à la plupart de ses portraits, et que ce n’est pas un sujet, un cadre complet qu’il s’est à l’avance proposé de remplir. […] C’en est assez pour montrer combien il y a d’arbitraire dans l’admiration où il se joue et dans les preuves qu’il en donne. […] Parlant du poëme de la Pucelle, si vanté en son temps et non encore réhabilité du nôtre, Montesquieu disait : « On ne saurait croire jusqu’où est allée dans ce siècle la décadence de l’admiration. » En faisant intervenir ces autorités de haut bord, je crois montrer assez le cas sérieux que je fais du talent de M.

874. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Marivaux porta dans ce genre la fantaisie originale de son esprit : il attaqua les financiers dans son Triomphe de Plutus (1728) ; il établit son Ile des Esclaves (1725) sur l’idée de l’égalité de tous les hommes ; et dans sa Nouvelle Colonie (1729) il montra les femmes liguées pour l’affranchissement de leur sexe. […] Il a mis en évidence ce qu’il entre d’amour-propre, de besoin de dominer, de « pique », et, après tout aussi, de « jeunesse « et de « nature » dans l’amour ; il a montré comment l’amour-propre encore et, de plus, la méfiance, la timidité, le préjugé social, certain instinct de liberté, font obstacle à l’inclination naissante. […] Au lieu des « caractères » abstraits et généraux, il faut, dit-il, montrer des « conditions », c’est-à-dire des caractères encore, mais particularisés, localisés, modifiés par les circonstances de la vie réelle, dont la plus considérable est l’attache professionnelle.

875. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Le protagoniste du drame, Alfred Dreyfus, s’est montré effroyablement inférieur à sa destinée. […] En assises, au lieu de la fierté du champion de la justice, il montra la vanité de l’homme de lettres et la flagornerie de l’accusé. […] Il reproche sa goutte et sa fistule plus que ses vers au « suave Coppée un peu sourd et gâteux avec largesse », à « Coppée à qui ses infirmités et sa haute dévotion impartirent le sobriquet d’anus dei ». — Les sophismes éhontés de Charles Maurras le dégoûtent moins que sa « surdité cancéreuse et la sanie fétide qui découle de son nez ». — Si Barrès, a lieu d’être « laid, cagneux et mal bâti », ressemblait à Apollon, et si, au lieu d’être lâche bassement, il montrait, comme d’autres canailles, quelque jolie bravoure extérieure, Tailhade ne verrait peut-être plus sa nullité intellectuelle et son infamie morale.

876. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

De tout temps, elle avait aimé à nous peindre sa contrée natale ; elle nous l’avait montrée dans Valentine, dans André, en cent endroits ; mais ce n’est plus ici par intervalles et par échappées, comme pour faire décoration à d’autres scènes, qu’elle nous découpe le paysage ; c’est la vie rustique en elle-même qu’elle embrasse ; comme nos bons aïeux, nous dit-elle, elle en a subi l’ivresse, et elle nous la rend avec plénitude. […] Tous ces jeunes cœurs, les naturels autant que les poétiques, ceux des filles comme ceux des garçons, sont connus, maniés, montrés à jour par Mme Sand, comme si elle les avait faits. […] Finalement la femme, qui n’a pas eu un éclair de coquetterie, et qui, jusque dans sa mise, a soin de se montrer plutôt fanée avant l’âge, ne fait que se résigner et ne semble consentir que parce que tout le monde le veut.

877. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Quelques paroles de cette autorité me sont nécessaires ; elles sont comme les colonnes immuables et sacrées que je tiens seulement à montrer du doigt dans le lointain, pour que notre admiration même et notre hommage de regret envers un homme d’un merveilleux talent n’aillent pas se jouer au-delà des bornes permises. […] Cette petite fleur qu’il vous montrait sèche à peine, il l’avait cueillie l’autre matin en revenant de la villa Diodati ; ce tableau qu’il vous décrivait, il l’avait vu hier dans le palais d’un prince romain. […] Les Parents pauvres nous montrent ce talent vigoureux arrivé à sa plus forte maturité et se donnant toute carrière.

878. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Marmontel, très jeune, qui le vit beaucoup dans cette année, nous a montré au naturel avec sa bonté affable, sa riche simplicité, sa douceur à souffrir, sa sérénité inaltérable et sa haute raison sans amertume. […] Il s’attache à montrer que cet amour-propre, auquel on a affecté de tout réduire, n’existe pas à ce point de raffinement dans tous les hommes, n’y existe que comme un amour général de nous-même qui est inséparable de toute nature vivante et qui ne peut lui être imputé à vice : Il y a des semences de bonté et de justice dans le cœur de l’homme. […] La nature voulut le montrer à son siècle comme un dernier exemplaire de l’âge précédent ; puis elle le retira avec une pudeur jalouse.

879. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

Il en indiquait les défauts, il en montrait les beautés toutefois, et remarquait que Voltaire, qui s’était essayé sur un sujet à peu près semblable dans Zulime était loin d’avoir réussi à égaler Racine : « C’est donc une terrible entreprise, concluait-il, que de refaire une pièce de Racine, même quand Racine n’a pas très bien fait. » Que La Harpe, lié comme il était à Voltaire par les liens d’une reconnaissance presque filiale ; à qui Voltaire écrivait : « Mes entrailles paternelles s’émeuvent de tendresse à chacun de vos succès » ; que La Harpe eût pu choisir un autre moment et une autre circonstance pour parler de Voltaire dans cette trêve de silence qui s’observait depuis sa mort, on le conçoit aisément : mais, quand on a lu le judicieux et innocent article dans le Mercure même, on a peine toutefois à comprendre la colère et l’indignation factices qu’il excita au sein de la coterie voltairienne. […] On ne saurait s’en étonner, et il convient à ceux qui vivent en des temps plus calmes, mais qui n’ont point su échapper eux-mêmes à quelques contradictions et rétractations littéraires, de montrer pour celles de La Harpe quelque indulgence. […] Le tort de La Harpe, ce n’est pas d’avoir varié, mais de s’être exprimé dans la disposition nouvelle de son esprit avec la même confiance aveugle et despotique, avec bien plus de confiance encore qu’il n’en avait montré dans sa première forme de pensée.

880. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame Sophie Gay. » pp. 64-83

Elle nous a montré et décrit son salon à Aix-la-Chapelle, pendant un voyage qu’y fit Joséphine en revenant des eaux de Plombières, dans l’été de 1804. […] C’est ici que le romancier fait preuve d’un art véritable ; ces huit mois, destinés à confirmer l’amour d’Alfred et de Léonie, vont peu à peu le défaire, et leur montrer à eux-mêmes qu’en croyant s’aimer, ils s’abusent. […] Dans ce roman gracieux, où il n’entre rien que de choisi et où elle a semé de fines observations de société et de cœur, Mme Gay s’est montrée une digne émule des Riccoboni et des Souza10.

881. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Ces termes abstraits et doctrinaires étaient alors reçus, et je ne les relève chez un des bons écrivains de l’école historique que parce que les chefs de cette école et lui-même se montraient alors des plus sévères contre les écrivains qui appartenaient à l’école qu’on appelait d’imagination, et qu’ils se considéraient par rapport à ceux-ci comme infiniment plus classiques. […] Pour mieux dégoûter du suicide, l’ami ne craint pas de nous montrer l’impression d’horreur que cause même aux indifférents la vue d’un homme jeune et beau, d’une noble créature qui a ainsi attenté contre elle-même, et qui a tout fait pour dégrader et dévaster son image (jusque dans les traits qu’une mort ordinaire et naturelle sait respecter. […] Une fenêtre légèrement entrouverte près de son lit a montré qu’après avoir éteint sa lumière et s’être plongé dans l’obscurité, il avait fait effort pour apercevoir un peu du jour qui naissait et qui ne devait plus éclairer que son cadavre… Enfin, il a senti qu’il était seul, bien seul, abandonné de tout sur la terre ; qu’il n’y avait plus autour de lui que les fantômes créés par ses derniers souvenirs.

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