En attendant les bénéfices qui ne venaient pas et dont il n’avait qu’un tout petit, dit-on, à Boulogne-sur-Mer2, l’abbé-comte de Bernis se lança dans le monde pour lequel il était fait, et dans le plus grand monde ; mais il y était pauvre comme le dernier des nouveaux venus. […] On dit que ce cardinal était l’homme du monde le plus aimable, qu’il aima la littérature toute sa vie, qu’elle augmenta ses plaisirs ainsi que sa considération, et qu’elle adoucit ses chagrins, s’il en eut… Puis, d’autres fois, il revient sur les souvenirs de Babet « qui remplissait son beau panier de cette profusion de fleurs » ; il joue, il badine, il retourne la critique en éloge. […] Dès ce temps-là, et à travers les compliments, toutes les critiques lui furent faites : « On me demande, dit-il dans un petit écrit en prose de 1741, comment il est possible qu’un homme fait pour vivre dans le grand monde puisse s’amuser à écrire, à devenir auteur enfin. » Et à ces critiques grands seigneurs et de qualité, il répondait « que, s’il n’est pas honteux de savoir penser, il ne l’est pas non plus de savoir écrire, et qu’en un mot ce sont moins les ouvrages qui déshonorent, que la triste habitude d’en faire de mauvais… ». […] Ainsi, parlant d’un de leurs amis communs qui, dans une circonstance critique, avait écrit à Duverney une lettre toute revêtue d’un semblant de philosophie, et de nature à faire illusion, il dira : Cet esprit philosophique, qui est répandu sur la surface du monde, fait qu’on ne peut plus distinguer, au premier abord, les fous des sages, ni les honnêtes gens des coquins. […] Algarotti, qui l’avait connu ambassadeur à Venise, écrivait au roi de Prusse (11 janvier 1754) : Je vois assez souvent M. l’ambassadeur de France, qui est bien fait pour représenter la plus aimable nation du monde.
Puisse cet établissement durer autant que la France, et la France autant que le monde ! […] Si Esther, avec ses conséquences mondaines et l’élite des profanes qu’elle introduisait, fut une distraction, peut-être une imprudence et une faute du premier Saint-Cyr, on sent bien que ce n’est pas nous qui en ferons un reproche, et personne au monde n’aura le courage de le blâmer. […] En présence de ce monde qu’elle connaissait si bien, ne croyez pas que Mme de Maintenon voulût former des plantes trop tendres, des femmes frêles, ingénument ignorantes et d’une morale de novices, elle avait plus que personne un sentiment profond de la réalité. […] malgré ses défauts, on y est mieux qu’en aucun lieu du monde. » Elle avait goûté de tout ; elle était rassasiée de tout. Comblée en apparence, et malgré son éclat, elle était de ces natures délicates qui sont restées plus sensibles aux secrètes injures du monde qu’à ses grossières offrandes.
On le voit le premier Français newtonien qui ait importé au sein de l’Académie des sciences le vrai système du monde, et qui l’ait mis à la mode également dans la société. […] Il a fait un petit traité sur le bonheur, qui est le plus sec et le plus désagréable du monde ; on n’a jamais parlé du bonheur d’une manière plus maussade. […] Chacun a sa passion dans ce monde… » Pure invention. — J’en pourrais citer trente de même force. — D’autres fois, ce sont des anecdotes, des à-propos d’érudition. […] Il n’est pas entièrement prouvé pour tout le monde que les Lettres de Brutus et de Cicéron ne soient pas d’un habile auteur de pastiches. […] Croyez-moi, mon cher Maupertuis, ne vous livrez pas à toute votre sensibilité ; les satires et les médisances sont comme l’ivraie qui croît dans tous les champs, il y en aura toujours dans le monde.
Elle dissimule devant le monde et la Cour, mais elle souffre, et elle décharge son chagrin dans le sein de sa mère. […] On peut être vertueux, gai et en même temps répandu ; mais quand on est retiré au point de n’être qu’avec peu de monde, il en résulte (je dois vous le dire à mon grand regret, comme vous l’avez vu dans les derniers temps chez nous), nombre de mécontents, de jaloux, d’envieux, et des tracasseries ; mais si on est répandu dans le grand monde, comme cela était ici il y quinze ou vingt ans, alors on évite tous ces inconvénients, et on s’en trouve bien pour l’âme et le corps. […] Je veux prévenir cela et vous conjure de croire aux avis d’une mère qui connaît le monde et qui idolâtre ses enfants et ne veut passer ses tristes jours qu’en leur étant utile. […] Comparez quel rôle, quelle approbation ont-elles eus dans ce monde, et, cela me coûte à dire, quel est celui que j’ai joué ! […] Il vient tôt ou tard un moment où le monde vous quitte, où le public qui vous avait porté se désenchante de vous, se retire de vous ; qu’au moins il n’y ait rien de notre faute.
Quel monde contient ce nom gros de tous les germes et de tous les ferments de l’avenir ! […] La jeunesse n’a plus le temps d’être jeune : les dieux qui lui faisaient ses loisirs ont disparu du monde transformé. […] Au troisième acte, nous retrouvons madame Pommeau dans un bal du grand monde, où sa toilette fait scandale. […] Dans un certain monde, toute femme est responsable de sa toilette ; les ceintures trop dorées font souvent des accrocs aux bonnes renommées. […] Que d’argent peut rapporter un adultère bien lancé aux maquignons du monde interlope ?
Né à Paris le 10 avril39 1767, fils d’un riche restaurateur qui tenait de plus un somptueux hôtel garni, et d’une mère fort belle, le septième de seize enfants, il put voir, dès son enfance, l’ancien grand monde de fort près, et il s’accoutuma à l’observer d’autant mieux qu’il était à la fois tout à côté et en dehors : il le voyait passer devant lui. […] Doué d’une taille avantageuse et de qualités physiques auxquelles il mit toujours du prix, il sut, dès ses premiers pas, se faire compter dans le monde par sa tenue, son calme, par une manière d’être qui annonçait déjà un caractère arrêté, par beaucoup d’aperçus dans l’esprit, « d’autant plus originaux que la plupart étaient sans solution » ; il les faisait valoir encore par une tournure d’expression précise et neuve. […] Si, en imprimant, il n’a rien ajouté ni arrangé à sa Correspondance, il a vraiment du mérite d’avoir dit au Premier consul, en l’engageant à se conserver pour mener à bonne fin et accomplir toute sa destinée : « Que l’homme de nos jours ne ressemble pas aux hommes fameux de l’Antiquité, qui n’ont fait que donner au monde une grande secousse dont le monde s’est ensuite tiré comme il a pu. » Cette Correspondance, dans ces premières pages, résume ce qu’il y a eu d’honorable et de digne de souvenir dans la vie de M. […] Fiévée, qui sait le monde, se méfie même des plus grandes folies, comme pouvant avoir action sur les cerveaux : On a pris l’habitude, dit-il, de monter les esprits si haut par de grands projets et d’incroyables découvertes, que, si demain les journaux annonçaient qu’on a trouvé le secret de refaire le monde sur un plan tout neuf, la moitié de l’Europe ajouterait foi au miracle, et se soulèverait pour en hâter l’accomplissement. […] En l’écoutant, il était aisé de voir qu’il aimait l’esprit avant tout ; c’est encore ce qu’il aimait le mieux dans le monde.
« Paris, a-t-on dit très justement, est le lieu du monde où l’on a le moins de liberté sur les ouvrages des gens qui tiennent un certain coin. » Cela était vrai alors, et l’est encore aujourd’hui. Grimm, vivant dans le monde, échappa à cette difficulté moyennant le secret de sa Correspondance ; mais, si la publicité est un écueil presque insurmontable pour la critique franche des contemporains, le secret est un piège qui tente à bien des témérités et à bien des médisances. […] Les cours d’Allemagne avaient alors les regards tournés vers la France ; les souverains visitaient Paris incognito, et, de retour ensuite dans leur pays, ils voulaient rester au courant de ce monde qui les avait charmés. […] En attendant, c’était le bruit du monde, et l’on prenait parti pour ou contre, sans bien savoir de quoi il s’agissait. […] Cela est fort scandaleux et me persuade plus que jamais que le monde n’est composé que d’abus, qu’il faut être fou pour vouloir corriger.
. — Nous croyons tous, disent-ils, à l’objectivité, à l’existence réelle du monde extérieur ; nous avons donc une conscience intellectuelle qui, en pensant le monde extérieur, l’affranchit de la subjectivité de la conscience sensible et l’érige en vérité. […] Or, l’action, par les effets qu’elle réalise, acquiert un caractère de réalité indéniable et empêche notre pensée de demeurer seule avec elle-même dans un monde de pur rêve. […] Nous prenons simplement conscience de notre propre constitution intellectuelle, et nous concevons la constitution parallèle du monde. […] L’expérience, disait-il, ne nous montre aucune figure géométrique parfaite, ni, en général, aucune forme parfaite ; donc nous en prenons l’idée dans un monde supérieur. […] Le matérialisme aboutit au dualisme d’une matière sans aucun élément psychique d’où sort cependant le sentiment, la pensée, la volonté : le monde est coupé en deux tronçons discontinus qui ne peuvent se réunir.
* * * — Je me demandais comment était née la justice dans le monde ? […] Quand je regarde les passants, ce qui me frappe le plus, c’est le nombre des lâches qu’il doit y avoir dans le monde. […] Il y a dans tout ce monde des acteurs une impersonnalité qui inquiète. […] Et il dit : « Si je passais au théâtre, peut-être que… » C’est bien là le monde parisien, ce monde qui a envie de ce qui n’est plus possible. […] Il y a comme une grande émotion bavarde dans tout ce monde.
Lamennais m’avait fait force avances depuis 1830, après mon recueil des Consolations, dans le monde de Victor Hugo d’abord, puis lorsqu’il fut à la tête de L’Avenir. J’avais payé ces bonnes grâces d’un esprit supérieur par un portrait littéraire et par des articles de la Revue des deux mondes, à l’occasion de ses livres. […] Mais aussi il avait bien autrement de sérieux et de moralité comme artiste ; toujours occupé de son art, y ramenant tout, s’y perfectionnant par l’usage du monde et par le commerce des grands hommes. […] Il gonfle ainsi chacune de ses productions, et, à force de la contempler, il finit par y voir tout un monde. […] Le monde de Mme Récamier s’alarma ; M.
Nous semblions triomphants, Nous rêvions conquêtes lointaines, Mondes à découvrir aux limites des flots. […] Riche et fêté au premier acte, volontairement ruiné au troisième, il voit se détourner de lui ce monde qui lui prodiguait ses empressements et ses sourires. […] Ce n’est pas ainsi que les choses se passent dans le monde vrai. […] En fait d’art original, le monde romain est au niveau des Daces et des Sarmates ; le cycle chrétien tout entier est barbare. […] À peine la vie d’un homme, et dix fois, vingt fois, cent fois la vie d’un peuple, d’un siècle, d’un monde !
Jetée, jeune et pauvre, dans le monde, avec sa beauté et son titre de demoiselle, exposée dès l’enfance aux persécutions des dévots, qui la convertirent à grand’peine, et plus tard chez Scarron, aux galanteries des grands seigneurs qui ne la séduisirent pas, madame de Maintenon se distingua de bonne heure, et dans tous les états, par cette prudence accomplie, cet esprit de conduite, qu’alors on regardait comme la première vertu de son sexe, et qui de nos jours est resté tant à cœur à la haute société monarchique, sous le nom presque sacré de convenance. […] Il est curieux de la voir, dans cette correspondance, protester à tout propos contre l’idée qu’on pouvait avoir de son crédit : « Je ne suis qu’une particulière assez peu importante ; je ne sais pas les affaires, on ne veut point que je m’en mêle, et je ne veux point m’en mêler. » Tantôt elle se compare avec pruderie à une ingénue de quinze ans : « Je suis un peu comme Agnès, je crois ce qu’on me dit, et ne creuse pas davantage. » Tantôt elle se vieillit avec une complaisance qui fait sourire : « Si vous me voyiez, madame, vous conviendriez, que je fais bien de me cacher : je ne vois presque plus ; j’entends encore plus mal ; on ne m’entend plus, parce que ma prononciation s’en est allée avec mes dents, la mémoire commence à s’égarer ; je ne me souviens plus des noms propres, je confonds tous les temps, et nos malheurs joints à mon âge me font pleurer comme toutes les vieilles que vous avez vues. » Sans croire tout à fait à ce renoncement absolu au monde, on est pourtant forcé de reconnaître qu’il y a dans ce langage de madame de Maintenon plus de manie que d’hypocrisie, et qu’à force de se faire, en paroles, insignifiante et inactive, elle l’était sur la fin réellement devenue. […] Prêcheuse par tournure et habitude d’esprit, un peu pédante, de ce pédantisme dont on a dit qu’il était le plus joli du monde, elle avait de tout temps aimé à conseiller et à moraliser. […] J’ai vu mourir le roi comme un saint et comme un héros ; j’ai quitté le monde que je n’aimais pas ; je suis dans la plus aimable retraite que je puisse désirer ; et partout, madame, je serai toute la vie, avec le respect et l’attachement que je vous dois, votre très humble et très obéissante servante. » Nous ne pousserons pas plus loin ces citations, qui suffisent, ce nous semble, pour définir le caractère de madame de Maintenon.
Quant aux personnages, je sais bien qu’on rencontre, dans ses premiers romans, un peu trop de Renés en jupons, de petits-fils de Saint-Preux, d’ouvriers poètes et philosophes, de grandes dames amoureuses de paysans et que tout ce monde-là déclame ferme. […] La vue du monde mauvais, nous nous y complaisions par une étrange maladie d’orgueil : nous préférions que le monde fût laid, pour paraître forts en le voyant et en le disant. […] Le monde ne vit que par le rêve.
« Quelque mépris, quelque disgrâce qu’il puisse encourir, il n’en est pas moins vrai que l’artiste pauvre et ignoré vaut souvent mieux que les conquérants du monde, et qu’il y a de plus nobles cœurs sous les mansardes où l’on ne trouve que trois chaises, un lit, une table et une grisette, que dans les gémonies dorées et les abreuvoirs de l’ambition domestique. […] En dépit de toutes les subtilités du monde et du bien qu’on prend où on le trouve, un plagiat n’en est pas moins un plagiat, comme un chat est un chat. […] Nous ne voulons nommer personne, mais nous conseillons à un lecteur oisif d’établir une petite statistique, après enquête, des auteurs lettrés et de ceux qui croient découvrir le monde, avant de savoir marcher. […] Jean Carrère s’écrie : « Peut-être que demain l’âme hellène, venue à nous par les flots qui baignent Marseille, réveillant au passage les mânes assoupis des vieux consuls d’Arles, et définitivement épanouie dans la maison blanche de Maillane, aux pieds du Parnasse resplendissant des Alpilles, va remplir de nouveau l’Europe rajeunie pour la plus grande joie du monde et le relèvement des nobles esprits » (Revue Encyclopédique, 31 juillet 1897).
Les lois fondamentales changent, le droit a ses époques ; plaisante justice qu’une rivière ou une montagne borne ; vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » Certes, le penseur le plus hardi de ce siècle, l’écrivain le plus déterminé à généraliser les idées pour bouleverser le monde, n’a rien dit d’aussi fort contre la justice des gouvernements et les préjugés des nations. […] Ceux-là troublent le monde, et jugent plus mal que tous les autres. Le peuple et les habiles composent pour l’ordinaire le train du monde ; les autres les méprisent, et en sont méprisés. » Nous ne pouvons nous empêcher de faire ici un triste retour sur nous-même. Pascal avait entrepris de donner au monde l’ouvrage dont nous publions aujourd’hui une si petite et si faible partie.