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1776. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VIII. De la clarté et des termes techniques »

Il n’importe que le médecin ne comprenne pas un traité de métallurgie, que l’architecte n’entende rien à un traité de médecine, et que les termes de métallurgie, de médecine et d’architecture soient du grec pour l’homme du monde. […] Fontenelle disait de ses Entretiens sur la pluralité des mondes : « Je ne demande aux dames, pour tout ce système de philosophie, que la même application qu’il faut donner à la Princesse de Clèves, si on veut en suivre bien l’intrigue, et en connaître toute la beauté. » Dans un dialogue de Diderot, le philosophe Crudeli, au moment d’entamer une discussion sur les matières les plus ardues avec la Maréchale, qui n’avait jamais lu que ses heures, répond à ses inquiétudes en disant : « Si vous ne m’entendiez pas, ce serait bien ma faute » ; et il fait toute sa démonstration en transposant dans le langage d’une femme ignorante les idées des plus obscurs métaphysiciens, sans que, dans cette conversion, la profondeur perde ce que gagne la clarté.

1777. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Malaise moral. » pp. 176-183

La vérité, c’est que, sans doute, le gouvernement n’a mis aucun empressement à nous renseigner ; mais c’est aussi que, rendus timides par une humiliation d’un quart de siècle, conscients de notre impuissance à défendre désormais, à travers le monde, les causes « humaines », nous ne tenions pas beaucoup à savoir, parce que nous étions incapables d’agir. […] Et les effets en sont plus funestes encore quand le peuple vaincu a longtemps représenté dans le monde la justice.

1778. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre premier. Impossibilité de s’en tenir à l’étude de quelques grandes œuvres » pp. 108-111

D’abord on brise ainsi l’enchaînement des faits ; et Turgot a dit, au siècle dernier, avec une admirable précision : « Tous les âges sont enchaînés par une suite de causes et d’effets qui lient l’état présent du monde à tous ceux qui l’ont précédé. » Cette pensée doit être pour l’historien comme un phare qui le guide dans la nuit et les brouillards des âges révolus. […] Moi seul je tirerai de l’autre côté, et je vous amènerai tous à moi, même avec la mer et la terre, si telle est ma volonté. » C’était parler en souverain du monde.

1779. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Introduction »

Néanmoins, une telle conclusion, serait-elle fondée, ne saurait être satisfaisante, jusqu’à ce qu’il fût possible de démontrer comment les innombrables espèces qui habitent ce monde ont été modifiées de manière à acquérir cette perfection de structure et cette adaptation des organes à leurs fonctions, qui excite à si juste titre notre admiration. […] Cependant, ces rapports sont de la plus haute importance, car ils déterminent l’état présent, et, je crois, le sort futur et les modifications de chaque habitant de ce monde.

1780. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 34, du motif qui fait lire les poësies : que l’on ne cherche pas l’instruction comme dans d’autres livres » pp. 288-295

On remarquera que je ne parle ici que des personnes qui étudient ; car celles qui lisent principalement pour s’amuser, et en second lieu pour s’instruire (c’est l’usage cependant que les trois quarts du monde font de la lecture) aiment encore mieux les livres d’histoire dont le stile est interessant, que les livres d’histoire mal écrits, mais pleins d’exactitude et d’érudition. […] Qu’on juge si le monde ne doit pas trouver que le poëme qui sçait le mieux lui plaire doit être le meilleur.

1781. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 39, qu’il est des professions où le succès dépend plus du génie que du secours que l’art peut donner, et d’autres où le succès dépend plus du secours qu’on tire de l’art que du génie. On ne doit pas inferer qu’un siecle surpasse un autre siecle dans les professions du premier genre, parce qu’il le surpasse dans les professions du second genre » pp. 558-567

Ptolomée, s’il revenoit au monde, se feroit éleve à l’observatoire. […] On dit vulgairement que Cesar, s’il revenoit au monde et qu’il vit les armes à feu et les fortifications à la moderne, en un mot les armes dont nous nous servons pour attaquer et pour défendre, seroit bien étonné.

1782. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — II »

Cependant les circonstances le contraignaient à fréquenter le monde des publicistes, auxquels il est permis de croire que son âpre jeunesse répugnait, et il sut encore tourner à profit des fréquentations qu’il n’avait acceptées d’abord que comme des conditions regrettables de son indépendance. […] Renan d’ironie, alors qu’il parlait le plus gravement du monde.‌

1783. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

Il s’entendait à pressurer son monde. […] Faites attention au monde, seigneur, par charité. […] Ayant besoin d’argent pour faire subsister son monde, il s’avise d’en emprunter à deux Juifs moyennant un stratagème. […] Cette résolution, mon Rodrigue, montre-la à la vengeance de mon honneur, lequel est perdu s’il ne se recouvre par toi et ne triomphe. » « Il lui conta son injure et lui donna sa bénédiction et l’épée avec laquelle il tua le comte, et commença ses exploits63. » Nous voilà dans le monde des Romances, qui est postérieur à celui du Poème, et surtout de la Chronique. Ce monde est celui de la susceptibilité morale et de l’honneur.

1784. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Ce n’est pas à une nation démocratiquement constituée comme la nôtre, et chez laquelle les vices naturels de la race ont une malheureuse coïncidence avec les vices naturels de l’état social, ce n’est pas à cette nation qu’on peut laisser prendre aisément l’habitude de sacrifier ce qu’elle croit sa grandeur à son repos, les grandes affaires aux petites ; ce n’est pas à une pareille nation qu’il est sain de laisser croire que sa place dans le monde est plus petite, qu’elle est déchue du rang où l’avaient mise ses pères, mais qu’il faut s’en consoler en faisant des chemins de fer et en faisant prospérer au sein de la paix, à quelque condition que cette paix soit obtenue, le bien-être de chaque particulier. […] Il me semble que ma vraie valeur est surtout dans ces travaux de l’esprit ; que je vaux mieux dans la pensée que dans l’action ; et que, s’il reste jamais quelque chose de moi dans ce monde, ce sera bien plus la trace de ce que j’ai écrit que le souvenir de ce que j’aurai fait. […] Je suis l’homme du monde le moins propre à remonter avec quelque avantage contre le courant de mon esprit et de mon goût ; et je tombe bien au-dessous du médiocre, du moment où je ne trouve pas un plaisir passionné à ce que je fais. […] La grandeur et la singularité du spectacle que présente le monde de nos jours absorbe trop l’attention pour qu’on puisse attacher beaucoup de prix à ces curiosités historiques qui suffisent aux sociétés oisives et érudites. […] Nous ne sommes d’ailleurs pas au bout de cette sorte de confession intellectuelle, la plus curieuse et la plus détaillée que je connaisse : « A cette première manière d’envisager le sujet, poursuis l’auteur, en a succédé dans mon esprit une autre que voici : il ne s’agirait plus d’un long ouvrage, mais d’un livre assez court, un volume peut-être ; je ne ferais plus, à proprement parler, l’histoire de l’Empire, mais un ensemble de réflexions et de jugements sur cette histoire ; j’indiquerais les faits sans doute et j’en suivrais le fil, mais ma principale affaire ne serait pas de les raconter ; j’aurais, surtout, à faire comprendre les principaux, à faire voir les causes diverses qui en sont sorties ; comment l’Empire est venu, comment il a pu s’établir au milieu de la société créée par la Révolution ; quels ont été les moyens dont il s’est servi ; quelle était la nature vraie de l’homme qui l’a fondé ; ce qui a fait son succès, ce qui a fait ses revers ; l’influence passagère et l’influence durable qu’il a exercée sur les destinées du monde, et en particulier sur celles de la France.

1785. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Un prêtre illustre qui est plus à nos yeux qu’un écrivain, et dont le saint caractère grandit en ce moment dans l’humilité du silence  ; un philosophe méconnu , qui avait doté notre siècle de naturelles et majestueuses peintures ; puis des poëtes admirés du monde et surtout préférés de nous, comme celui que nous abordons en ce moment : ce sont là nos seuls choix jusqu’ici, et désormais nous n’en prévoyons guère d’autres. […] C’était l’accomplissement de son rêve : le monde, la vie alentour et sous sa main dans leur infinie diversité ; pas d’étiquette apprise, pas de poétique, et tout le dictionnaire. […] Il faut que, toutes les deux ou trois secondes, la pensée revienne faire acte de présence à un coin marqué, jaillir à travers un nœud étroit et fixe, rebondir sur une espèce de raquette inflexible et sonore : elle est à cent lieues, au bout du monde, dans le ciel ; n’importe, il faut qu’elle revienne et qu’elle touche à point. […] On a essayé dans les vers suivants, qui lui sont adressés, de faire saillir cette loi progressive de son génie, et de montrer en même temps combien toutes choses sur la scène du monde étaient disposées pour sa venue. […] En s’enfuyant, la tempête qui gronde, Purifiée, attiédie et féconde, Dépose un feu, crée un être en ce monde, S’émaille en fleurs ou voltige en essaim !

1786. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

En province surtout où les existences de quelques femmes sont plus souffrantes, plus étouffées et étiolées que dans le monde parisien, où le désaccord au sein du mariage est plus comprimant et moins aisé à éluder, M. de Balzac a trouvé de vifs et tendres enthousiasmes ; le nombre y est grand des femmes de vingt-huit à trente-cinq ans, à qui il a dit leur secret, qui font profession d’aimer Balzac, qui dissertent de son génie et s’essayent, plume en main, à broder et à varier à leur tour le thème inépuisable de ces charmantes nouvelles, la Femme de trente ans, la Femme malheureuse, la Femme abandonnée, c’est là un public à lui, délicieux public malgré ses légers ridicules, et que tout le monde lui envierait assurément. […] Pour nous, qui n’avons plus qu’à passer l’éponge sur ces produits inconnus, incertains, désavoués, nous en venons à M. de Balzac qui se réveille un matin, sachant beaucoup du monde et des femmes, saisissant les tendresses, les ridicules, et débrouillant à la hâte au dedans de lui-même tout ce qu’il n’y avait point soupçonné jusqu’alors. […] Il est un peu comme ces généraux qui n’emportent la moindre position qu’en prodiguant le sang des troupes (c’est l’encre seulement qu’il prodigue) et qu’en perdant énormément de monde. […] Chaque ligne de ce petit écrit annonce un travailleur longtemps séquestré du monde, ignorant naïvement le train des choses, et en parlant avec une sorte d’enfance. […] ) — Jules Sandeau m’a plus d’une fois raconté qu’il était auprès de Balzac au moment où cet article de la Revue des Deux Mondes lui arriva.

1787. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Les impressions pieuses et sévères qu’il avait reçues de ses premiers maîtres s’affaiblirent par degrés dans le monde nouveau où il se trouva entraîné. […] Son ode aux Nymphes de la Seine pour le mariage du roi était remise à Chapelain, qui la recevait avec la plus grande bonté du monde, et, tout malade qu’il était, la retenait trois jours, y faisant des remarques par écrit : la plus considérable de ces remarques portait sur les Tritons, qui n’ont jamais logé dans les fleuves, mais seulement dans la mer. […] Les femmes de ce pays l’avaient ébloui d’abord, et, peu de jours après son arrivée, il écrivait à La Fontaine ces phrases qui donnent à penser : « Toutes les femmes y sont éclatantes, et s’y ajustent d’une façon qui est la plus naturelle du monde ; et pour ce qui est de leur personne, Color verus, corpus solidum et succi plenum ; mais comme c’est la première chose dont on m’a dit de me donner garde, je ne veux pas en parler davantage ; aussi bien ce seroit profaner la maison d’un bénéficier comme celle où je suis, que d’y faire de longs discours sur cette matière : Domus mea, domus orationis. […] Racine a évidemment reculé devant l’énergique insulte de maître d’école adressée à Sénèque et celle de manchot et de mutilé adressée à Burrhus, et son Agrippine n’accuse pas ces pédagogues de vouloir régenter le monde. […] Au reste, comme nul sentiment profond n’est stérile en nous, il arrivait que cette poésie rentrée et sans issue était dans la vie comme un parfum secret qui se mêlait aux moindres actions, aux moindres paroles, y transpirait par une voie insensible, et leur communiquait une bonne odeur de mérite et de vertu : c’est le cas de Racine, c’est l’effet que nous cause aujourd’hui la lecture de ses lettres à son fils, déjà homme et lancé dans le monde, lettres simples et paternelles, écrites au coin du feu, à côté de la mère, au milieu des six autres enfants, empreintes à chaque ligne d’une tendresse grave et d’une douceur austère, et où les réprimandes sur le style, les conseils d’éviter les répétitions de mots et les locutions de la Gazette de Hollande, se mêlent naïvement aux préceptes de conduite et aux avertissements chrétiens : « Vous avez eu quelque raison d’attribuer l’heureux succès de votre voyage, par un si mauvais temps, aux prières qu’on a faites pour vous.

1788. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Il commence à connaître le monde, les savants, M.  […] La philosophie péripatéticienne, qu’il avait apprise chez les jésuites de Toulouse, ne le retient pas le moins du monde en présence du système de Descartes auquel il s’applique ; mais ne croyez pas qu’il s’y livre. […] Il y passa quelques mois comme précepteur, en 1675 ; il y vint quelquefois pendant ses vacances de Sedan ; il y resta dans l’intervalle de son retour de Sedan à son départ pour Rotterdam : mais on peut dire qu’il ne connut pas le monde de Paris, la belle société de ces années brillantes ; son langage et ses habitudes s’en ressentent d’abord. […] Rœderer vient d’étudier avec une minutie qui n’est pas sans agrément, et avec une prédilection qui ne nuit pas à l’exactitude ; si Bayle, qui entra dans le monde vers 1675, c’est-à-dire au moment de la culture la plus châtiée de la littérature de Louis XIV, avait passé ses heures de loisir dans quelques-uns des salons d’alors, chez madame de La Sablière, chez le président Lamoignon, ou seulement chez Boileau à Auteuil, il se fût fait malgré lui une grande révolution en son style. […] Or, comme on sait, Rarement à courir le monde On devient plus homme de bien ; rarement du moins, on devient plus croyant, plus occupé du but invisible.

1789. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Les vérités apportées au monde par la Renaissance appartiennent à l’ordre des vérités simples ou philosophiques, qui n’expriment que ce qui se fait. […] Car où le stoïcisme faisait voir un maître et un esclave rapprochés par une sorte de condescendance volontaire du premier pour le second, le christianisme a montré deux êtres de la même valeur aux yeux de Dieu, dont le plus grand selon le monde doit effacer par la charité la distance qui le sépare du plus petit. Outre donc ce qui manquait à l’ordre des vérités philosophiques transmises par l’antiquité au monde moderne, tout un ordre nouveau de vérités morales devait venir du christianisme par la voix de la Réforme, c’est-à-dire de la renaissance de l’antiquité chrétienne. […] C’est aux endroits où ils sont modérés, où leur humeur n’est pas plus forte que leur raison, qu’on reconnaît une première image complète de cet esprit français, le plus libre et le plus discipliné qui soit au monde. […] C’est un exposé de toute la doctrine, sous la forme d’une brève réponse aux reproches qu’on lui faisait, 1° d’être nouvelle ; 2° de n’avoir été confirmée par aucun miracle ; 3° de contredire l’opinion des Pères et la coutume ; 4° d’être ou un schisme dans l’ancienne Église, ou une Église paraissant au monde pour la première fois.

1790. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Personne ne nous instruit plus à fond ni avec plus d’agrément que Montesquieu du détail des institutions et des maximes qui donnèrent à Rome l’empire du monde. […] Les Pères de l’Église ne s’y étaient pas trompés, eux qui, dans les premiers siècles de l’Église, sur tous les points du monde romain, partout où il y avait des hommes vivant en société, c’est-à-dire de la matière pour l’extrême bien comme pour l’extrême mal, avaient si profondément médité sur la nature humaine. […] Parmi ceux qui ont la double auréole des grands écrivains et des saints, il n’en est aucun qui soit entré dans la vie religieuse voilé et les yeux fermés au monde. […] Parmi les solitaires mêmes, un saint Jérôme arrivait au désert après avoir passé par l’orgueil et les dissipations de la vie patricienne à Rome, et plus voyagé que Montesquieu lui-même dans le monde romain, alors l’univers. […] Evêques, moines, en commerce continuel de méditation et d’extase avec le mystère, est-ce qu’ils cessent pour cela de communiquer avec le monde ?

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