Il était grand questionneur, se piquant fort d’érudition, surtout en matière ecclésiastique.
Mais si sa matière n’est peut-être pas intacte, du moins n’est-elle pas encore si rebattue ; et ces fiertés me plaisent quand elles sont soutenues, comme ici, par un vrai talent.
Cette “asseze” magique dégagera, en le développant, le don de notre nature, comme l’alchimiste sépare l’or de la matière libre.
Nous croyons devoir répéter ici ce que nous avons déjà dit à ce sujet : qu’une littérature est, comme tout ce qui vit, matière et mouvement et que par suite la formule cherchée doit être double.
La réalité est donc bien ici un compromis entre deux forces dont l’une tend à convertir en objet — matière inanimée, spontanéité inconsciente ou automatisme — toute la substance de l’Être ou du moi, dont l’autre tend à transformer en sujet — miroir, œil, regard, contemplation — toute cette même substance de l’Être ou du moi.
D’un côté, la matière s’est subtilisée toujours davantage sous l’œil du savant, et le mécanisme d’horlogerie de La Mettrie est devenu tout à fait impuissant à rendre compte de la vie : la physiologie s’est affirmée à part et au-dessus de la physique élémentaire.
Le recueil de ses discours est la plus magnifique table de matières qu’on ait jamais tracée pour un traité de morale qu’il n’écrivit pas, mais dont il parla peut-être quelques chapitres, les jours où l’inspiration de la chaire, cette inspiration qui consume tout du génie d’un homme, le saisissait !
Attachés à la réalité la plus vulgaire, parce que pour des hommes comme eux, aveuglés de matière, elle est la plus indéniable des réalités, s’ils exilent l’imagination des systèmes d’expression qu’ils préconisent, ce n’est point qu’ils se défient d’elle, mais c’est qu’au fond ils n’en ont pas !
L’abbé Morellet, un écrivain que l’on a toujours rencontré, disait M. de Rémusat, dans la route de la vérité et de la justice 212, avait composé, en 1764, des réflexions sur les avantages de la liberté d’écrire et d’imprimer sur les matières de l’administration ; son livre ne put être imprimé que dix ans après, sous le ministère de M. […] Nous en retrouverions l’idée et presque le dogme proclamé dans une brochure, la première à laquelle il ait mis son nom, et qu’il publia en 1820 sous le titre : De la Procédure par jurés en matière criminelle. Le ministère de 1819 préparait sur cette matière une loi, dont M. de Broglie, déjà le plus savant des légistes politiques, était l’inspirateur. […] L’ingénieuse finesse du talent littéraire se décèle jusque dans ces matières un peu sombres213. […] Ajouterai-je que ces mêmes juges, qui estiment cet Essai la perfection même, trouvent que tout à coté, dans les deux morceaux suivants, l’auteur s’est trop ingénié à toutes sortes de démonstrations et de questions concernant la matière et l’esprit ?
C’est presque un dicton populaire que les hommes paraissent plus mauvais qu’ils ne sont ; si donc nous les jugeons uniquement par leurs actes, lesquels sont déterminés par une foule de chocs et de circonstances qui ont fait dévier l’impulsion première, nous ne pourrons trouver en eux que matière à réflexions pessimistes. — Mais que m’importe, dira-t-on, l’homme intérieur, si je n’ai affaire qu’à l’homme extérieur ? […] La Tentation de saint Antoine aboutit au désir de ne plus penser, de ne plus vouloir, de ne plus sentir, de redescendre degré à degré l’échelle de la vie, de s’abîmer dans la matière, d’être la matière. « J’ai envie de voler, de nager, de beugler, d’aboyer, de hurler. Je voudrais avoir des ailes, une une carapace, écorce, souffler de la fumée, porter une trompe, tordre mon corps, me diviser partout, être en tout, m’émaner avec les odeurs, me développer comme les plantes, couler comme l’eau, vibrer comme le son, briller comme la lumière, me blottir sous toutes les formes, pénétrer chaque atome, descendre jusqu’au fond de la nature, — être la matière ! […] Toute règle, en matière d’art, ne saurait avoir rien d’absolu, c’est ici ou jamais que l’exception la confirme, plus encore qu’une rigoureuse application.
Voyez-le, par exemple, aborder la difficile matière de la Vérité de la religion. […] Vous allez répondre par la difficulté de la matière et le peu d’intérêt que le grand public pouvait prendre à ces discussions entre économistes. Mais la difficulté de la matière n’avait pas empêché l’Ami des hommes de monter au chiffre de cinq éditions en cinq ans. Aussi bien la prétention de Galiani, comme la louange qu’on lui décerne, quelle est-elle, sinon justement d’avoir vaincu la difficulté de la matière ? […] Et ce ne sera pas sur une certaine matière, sur laquelle il ne reste rien à dire ?
Rien n’est plus dangereux que de l’esprit sans caractère, que le génie auquel manque la matière.
Le solide métal de Flaubert s’y allie à la matière ductile de Gautier, aux paillettes étincelantes de Janin.
Certes c’est beaucoup, en ce xixe siècle, d’avoir inauguré, sur toute matière, sur tout sentiment, détachée de toute conviction, de tout enthousiasme, de toute indignation, la rhétorique sceptique du pour et du contre ; d’avoir apporté le ricanement joliment satanique d’un doute universel ; et par là-dessus encore, à la suite de Bossuet, d’avoir été l’adaptateur à notre Histoire sacrée, de la prose fluide des romans de Mme Sand.
» Il ajoute : « Les parens & les amis de Voiture auroient voulu l’ériger en pape du bel esprit, & le faire, dans les matières de ce ressort, la règle infaillible de l’orthodoxie.