Sa vie, en effet, fut pour lui le premier de ses romans et comme la matière de tous les autres. […] Il y était propre toutefois, mais il l’était aussi à trop d’autres matières plus attrayantes. […] Une jeune Grecque d’abord vouée au sérail, puis rachetée par un seigneur français qui en voulait faire sa maîtresse, résistant à l’amour de son libérateur, et n’étant peut-être pas aussi insensible pour d’autres que pour lui ; ce peut-être surtout, adroitement ménagé, que rien ne tranche, que la démonstration environne, effleure à tout moment et ne parvient jamais à saisir ; il y avait là matière à une œuvre charmante et subtile dans le goût de Crébillon fils : celle de Prévost, quoique gracieuse, est un peu trop exécutée au hasard101.
N’est-ce pas bien, en certaines matières, d’avoir la conscience tendre ? […] Il avertit en un endroit son frère cadet qu’il lui parle des livres sans aucun égard à la bonté ou à l’utilité qu’on en peut tirer : « Et ce qui me détermine à vous en faire mention est uniquement qu’ils sont nouveaux, ou que je les ai lus, ou que j’en ai ouï parler. » Bayle ne peut s’empêcher de faire ainsi ; il s’en plaint, il s’en blâme, et retombe toujours : « Le dernier livre que je vois, écrit-il de Genève à son frère, est celui que je préfère à tous les autres. » Langues, philosophie, histoire, antiquité, géographie, livres galants, il se jette à tout, selon que ces diverses matières lui sont offertes : « D’où que cela procède, il est certain que jamais amant volage n’a plus souvent changé de maîtresse, que moi de livres. » Il attribue ces échappées de son esprit à quelque manque de discipline dans son éducation : « Je ne songe jamais à la manière dont j’ai été conduit dans mes études, que les larmes ne m’en viennent aux yeux. […] Un symptôme grave, c’est ce qu’il écrivait à un ami en novembre 1706, un mois environ avant sa mort : « Quand même ma santé me permettroit de « travailler à un supplément du Dictionnaire, je n’y travaillerois « pas ; je me suis dégoûté de tout ce qui n’est point « matière de raisonnement… » Bayle dégoûté de son Dictionnaire, de sa critique, de son amour des faits et des particularités de personnes, est tout à fait comme Chaulieu sans amabilité, tel que mademoiselle De Launay nous dit l’avoir vu aux approches de sa fin.
Ce n’est pas seulement l’homme juge des œuvres, qui ne change pas : c’est la nature, aussi matière des œuvres. […] La disposition des matières est nouvelle. […] Mais quand la matière de l’œuvre d’art est l’âme humaine, on ne peut plus faire abstraction de l’histoire.
Prenant parfois les sujets que la conversation dans le salon de son amie lui fournissait, ou bien apportant sa matière dégrossie et taillée en formes encore imparfaites il creusa, polit, compléta, corrigea ses Maximes pendant cinq ou six années ; il soumettait tout au jugement de Mme de Sablé, à celui de leurs communs amis. […] En une chose, cette femme de sens eut du génie : c’est en matière d’éducation. […] Zayde (1670) n’est encore qu’un abrégé du Cyrus : matière et disposition, c’est le même genre en miniature.
. — De nos prétentions et de nos besoins en matière d’histoire. — § III. […] Ce qu’il faut penser des critiques qu’on a faites du plan du Siècle. — De nos prétentions et de nos besoins en matière d’histoire. […] Mais si l’on ne va pas jusqu’à ces chimères, on ira peut-être plus loin dans l’idée supérieure d’employer la peine au profit moral de celui qui la subit, et de la société qui la lui inflige ; et quelque progrès qu’on fasse en cette matière, Voltaire y aura sa part.
Être un grand homme de la matière, être pompeusement violent, régner par la dragonne et la cocarde, forger le droit sur la force, marteler la justice et la vérité à coups de faits accomplis, faire des brutalités de génie, c’est être grand, si vous voulez, mais c’est une grosse manière d’être grand. […] Par la seule force des choses, le côté matière des faits et des hommes se désagrège et disparaît. […] Quelle que soit la masse, quel que soit le bloc, toute combinaison de cendre, et la matière n’est pas autre chose, fait retour à la cendre.
Ces règlements déterminaient la longueur et la largeur des étoffes, les dimensions des lisières, le nombre des fils de la chaîne, la qualité, des matières premières et le mode de fabrication. […] Si nous en croyons un juge éclairé en matière si délicate, « sa foi tenait peut-être de la raison plus que du cœur. […] Cette grande question me semble digne de votre esprit, et celui-ci capable de la saisir et d’y pénétrer. » C’est là un grand problème, trop grave peut-être pour être traité ici en quelques mots, mais qui montre avec quelle pénétration hardie Tocqueville abordait les questions les plus délicates ; peut-être la demi-liberté qu’il s’accordait sur ces matières ne lui permettait-elle pas de le sonder dans toute sa profondeur.
Avant d’entrer plus décidément en matière, je tiens à constater une impression première sentie par beaucoup de personnes, et qu’elles se rappelleront inévitablement, sitôt qu’elles seront entrées dans le sanctuaire attribué aux œuvres de M. […] Remarquons aussi qu’emporté par cette préoccupation presque maladive du style, le peintre supprime souvent le modelé ou l’amoindrit jusqu’à l’invisible, espérant ainsi donner plus de valeur au contour, si bien que ses figures ont l’air de patrons d’une forme très-correcte, gonflés d’une matière molle et non vivante, étrangère à l’organisme humain. […] Ces chevaux surnaturels (en quoi sont-ils, ces chevaux qui semblent d’une matière polie, solide, comme le cheval de bois qui prit la ville de Troie ?)
C’était, semblait-il, le moyen le plus propre à affaiblir l’esprit aristocratique : « Si l’on veut fonder la démocratie, dit Aristote 152, on fera, ce que fit Clisthène chez les Athéniens : on, établira de nouvelles tribus et de nouvelles phratries ; aux sacrifices héréditaires des familles on substituera des sacrifices où tous les hommes seront admis ; on confondra autant que possible les relations des hommes entre eux, en ayant soin, de briser toutes les associations antérieures. » Et en effet, au nom des fins politiques, militaires ou économiques, prenant comme principes de classement, l’origine ou le métier, l’habitation ou la richesse, les réformateurs des cités antiques y manièrent et remanièrent sans trêve la matière sociale, de telle sorte que les rapports de ses éléments ne pouvaient manquer de se compliquer. […] Par exemple, la loi renouvelée laissera valoir, en matière religieuse, la compétence de « comices » qu’elle ne reconnaît plus en matière politique.
J’avais des camarades avec lesquels je discutais souvent à la promenade, sur ces matières. […] Il était persuadé, comme Fontenelle, qu’avant Descartes on ne raisonnait presque point avec solidité ni avec justesse dans les matières qui n’étaient point du ressort de la géométrie : « Avant lui, le sens de la démonstration, le sens de la conséquence juste, ce sens qui met une si grande différence entre homme d’esprit et homme d’esprit, ce sens si précieux n’était presque point exercé ailleurs que dans la géométrie… Nous avions quantité d’orateurs et d’agréables discoureurs ; nous n’avions point de solides démontreurs. » Trop souvent on confondait la certitude qui vient de l’évidence véritable avec celle que l’on tirait des habitudes de l’éducation et des préjugés de l’enfance ou de l’opinion du grand nombre.
Jeune homme, vous vous contenterez de ce raisonnement, de cette démonstration, vous parût-elle insuffisante ; vous irez jusqu’ici en ces hautes matières, mais vous n’irez pas plus loin. […] À travers la diversité des matières, on sentait une vocation prononcée et une unité.
Moi qui lis cela avec intérêt, qui, bien que de ceux qu’on appelle sceptiques, me tiens pour parfaitement sûr et certain de ce qu’il y a de faux et d’imaginaire dans le point de départ et dans certaines suppositions premières de celui qui écrit ; qui n’en cherche pas moins avec plaisir les preuves de talent, d’élévation, ou les saillies d’esprit, j’en trouve une, de ces saillies, et qui me paraît des plus agréables, dans une lettre à laquelle l’éditeur, qui s’y connaît et qui s’entend à étiqueter les matières, a donné ce titre piquant : Un religieux à cheval. — « Tôt ou tard on ne jouit que des âmes. » Le commencement de la lettre se rapporte à des affaires de l’Ordre, au choix que venait de faire le Chapitre provincial d’un successeur du Père Lacordaire et à d’autres points particuliers ; mais voici le côté aimable, et qui me rappelle, je ne sais trop comment, de jolies lettres de Pline le Jeune : « Quant à vous, mon bien cher qui montez à cheval dans la forêt de Compiègne avec l’habit religieux et qui le trouvez tout simple, je n’ai rien à vous dire. […] Ce coup-d’œil, à propos d’une dernière production du Père Lacordaire, m’a mené plus loin que je ne prévoyais : ce ne devait être d’abord, dans ma pensée, qu’une entrée en matière et une transition pour passer à un sujet plus général.
Le poëte prend son parti du labeur et de la peine que tout noble effort suppose, surtout quand il s’agit d’associer des contraires, de ne rien sacrifier, de ne verser d’aucun côté, de ne donner ni dans un idéal trop subtil et trop froid, ni dans une matière trop sensuelle et trop colorée. […] Non, mais je cherche en toi cette force qui fonde, Cette mâle constance, exempte du dégoût… Il cherche, en un mot, la vertu la plus absente, la qualité la plus contraire au défaut qui s’est trop marqué ; et il se plaît ici, en regard et par contraste, à exposer en disciple d’Hésiode et de Lucrèce, en lecteur familier avec le bouclier d’Achille et avec les tableaux des Géorgiques, l’invention des arts, la fondation des cités, la marche progressive et lente du génie humain, tout ce qui est matière aussi de haute et digne poésie.
Nous entendons parler ici de l’amour « triste, plaintif, dolent », de l’amour tel qu’il évolue chez les affinés ou exaspérés, et non du sentiment « joyeux, alerte, sain, sans remords, sans amertume », assez peu efficace et fécond, vraiment, comme matière esthétique. […] Nous parlons ici des intoxications prises comme matière à description et non considérées pomme excitants propres à fouetter le cerveau.
Le mathématicien qui crée lui-même la matière de ses spéculations et considère des objets idéaux, développe les conséquences des principes qu’il a posés, et procède par déduction. […] J’avoue que la distinction de ces vérités et des opinions incertaines est souvent difficile à faire dans les matières de littérature ou de morale, dans les choses de la pratique et du sens commun ; et souvent l’invention, l’originalité consistent à remettre en question ce que l’opinion vulgaire croyait décidé, pour en apporter une solution nouvelle.