L’opinion vraie en telle matière est donc l’opinion contraire à celle qui domine encore aujourd’hui. […] Tenons-nous-en donc à ces conclusions et à ces leçons générales ; la matière est encore assez vaste pour qu’il soit difficile de l’épuiser en quelques pages. […] L’idéal tel que Goethe le comprend n’est pas autre chose que le résultat des forces de la nature et de l’esprit sur la matière et sur l’âme de l’homme. […] Ceux-là apprendront dans le livre de Goethe par quels moyens cette activité qui leur est chère peut être ennoblie, comment l’esprit double le prix de la matière, et comment le beau et le bon sont les proches parents de l’utile. […] Son cœur en avait-il moins saigné parce que son intelligence profitait de ses erreurs, et ses passions en avaient-elles été moins ardentes parce que, une fois refroidies, elles servaient de matière à des œuvres d’art ?
Je me dessers un peu moi-même ici ; car il y aurait dans Molière moins de matière à interprétation, s’il s’était interprété lui-même, et la tâche des critiques en eût été diminuée, et leur emploi, et leur plaisir. […] Il répondit : « Je sais bien que, pour réponse, ces messieurs tâchent d’insinuer que ce n’est point au théâtre à parler de ces matières ; mais je leur demande, avec leur permission, sur quoi ils fondent cette belle maxime. […] Dans l’Impromptu de Versailles, Molière suppose qu’un marquis se demande si Molière n’est pas à bout de sujets et il lui fait répondre : « Plus de matière ! […] Cependant, d’abord ne cessons pas de répéter que Molière a touché deux fois aux très grands vices et que, l’on dira ce que l’on voudra, il ne laisse pas d’être l’auteur de Don Juan et de Tartuffe ; ensuite, marquons bien ceci, que Molière a pu croire, a dû croire et a cru que les vices ne sont point le domaine et la matière de la comédie et que ce sont les défauts qui en sont la matière et le domaine. […] Elles sont matière de ridicule et de comique.
Car le peuple juif a, en cette matière, une formidable avance sur le peuple français et sa position internationale lui permet le jeu de Bourse à coup sûr. […] Je ne crois qu’à la dernière limite, en une telle matière, aux conjurations organisées contre une œuvre, ou contre un homme. […] Il est la forme du scrupule protestant et germain, en matière d’idées générales, et se résume dans le nom de Kant. […] ne devait intervenir que plus tard)… du verbe adhérent à un atome de la matière, naissant, évoluant et mourant avec cet atome. […] « Et Broussais n’était pas, croyez-le bien, un hôpital privilégié en matière d’hystérie masculine.
La matière traitée dans cette correspondance, est trèsétendue : c’est presque un cours de morale complet ; je vais le suivre. […] Telle est la matière des Lettres CIX, CX, CXI et CXII. […] La matière y est épuisée ; il n’a été fait ni pour Néron ni pour Ebucius Libéralis, à qui il est adressé, mais pour tous les hommes. […] Alors on saurait peut-être si le mouvement est essentiel à la matière, et si la matière est créée ou incréée ; créée ou incréée, si sa diversité ne répugne pas plus à la raison que sa simplicité : car ne n’est peut-être que par notre ignorance que son unité ou homogénéité nous paraît si difficile à concilier avec la variété des phénomènes330. […] Ne serait-ce pas reconnaître, dans des matières importantes, une compétence qui n’est pas même avouée dans des matières frivoles ?
La matière de l’un et de l’autre est trop différente. […] En choisissant, pour matière des siennes, des crises de violence, Mérimée s’y est conformé. […] La profonde souffrance d’aimer plus qu’on n’est aimé fait la matière intime de ce roman. […] Il définit très nettement l’attitude de l’artiste devant cette matière singulièrement riche à la fois et indigente qu’est une tradition orale. […] Le roman de caractère doit être, avant tout, analytique, et par conséquent chercher des personnages complexes, autant dire exceptionnels, qui puissent fournir matière à sa dissection.
En matière d’esthétique, tu redouteras les sophismes, surtout quand ils seront beaux, et il s’en trouve d’admirables. […] Sans lui les opinions seraient en matière d’art beaucoup plus diverses encore qu’elles ne sont. […] Et que critiquerait-il, puisqu’il n’a pas de matière sujette à la critique ? […] Prendre à un poète ses sujets, c’est seulement tirer à soi une matière vile et commune à tous. […] Les autres lui soumettaient leurs doutes sur les matières de la foi.
Ainsi, dans cette rédemption d’une courtisane, qui n’a été trop souvent que la glorification de la passion, ou, pour parler plus juste, de la matière déifiée par elle-même, c’est l’âme seule qui triomphe : c’est elle qui rachète les fautes qui l’ont souillée, et contre lesquelles elle n’a cessé de protester et de se débattre : la différence est assez notable pour mériter qu’on la proclame. […] Hugo au Génie du Christianisme, se firent franchement matérialistes et païens ; car vous aurez beau faire, vous aurez beau tourner, déplacer, morceler la question, le christianisme, c’est l’âme ; le paganisme, c’est la matière. […] Leconte de Lisle qu’une transition vers ces dogmes farouches des théogonies indiennes, que je définirais volontiers le mysticisme de la matière. […] aux obscurités, aux contradictions, aux écueils de la philosophie proprement dite, qui n’est que la glorification de l’esprit aux dépens de la matière, et que tous les écrivains, tous les artistes contemporains devraient prendre pour catéchisme et pour code. […] Il repeuple les cloîtres abandonnés, il en fonde de nouveaux, il en chasse les plaisirs et les joies profanes pour y faire rentrer leurs hôtes naturels, le sacrifice et la prière ; il enrôle pour le ciel de nouvelles milices, et trouve pour les armer ce fonds de réserve qui ne manque jamais aux siècles de foi pour se sauver d’eux-mêmes, des violentes suggestions des sens et de la matière.
Car sans doute il se peut que cette théorie des Indulgences heurte la conception de la justice qui a prévalu dans la Révolution et dans la philosophie moderne, et que la mise en commun des mérites et des grâces soit traitée avec dérision par ceux mêmes qui appellent la mise en commun des biens matériels : mais les philosophes qui, comme Proudhon, voient dans le catholicisme la religion de l’injustice, ne prennent pas garde que l’injustice disparaît par le seul fait du consentement et du sacrifice volontaire de ceux qui ont mérité davantage en faveur de ceux qui ont moins mérité ; qu’ainsi c’est l’amour et le renoncement du fidèle qui crée la justice de son Dieu, et que, si la matière, ici, est obscure, la pensée est belle et toute formée de charité. […] Il est vrai qu’il s’était retranché, une fois pour toutes, les libres spéculations sur l’origine du monde, sur le libre arbitre, sur la matière et l’esprit, sur la destinée des hommes ou même simplement sur l’histoire ; et j’ai confessé, tout à l’heure, qu’il n’avait pas le cerveau proprement philosophique. […] Ainsi, il se retranchait volontairement la plus grande part de la matière ordinaire des romans et des drames.
Une débauche de japonaiserie et de chinoiserie, qui dans la lassitude de la fin de la journée, et le vide de l’estomac à l’heure du dîner, vous donne le sentiment de vaguer dans un cauchemar, où toutes les matières précieuses se mêlent, où toutes les formes se confondent et s’accouplent, et où l’on se sent presque enlacé par une végétation exotique de jade, de porcelaine, de métal ciselé. […] Une petite araignée d’or filait sa toile, et les fils presque invisibles de sa trame, descendaient sur la lame, sur le fourreau, apparaissant sous les miroitements du jour, en leurs matières différentes, comme une toile d’araignée baignée de rosée, sous le soleil du matin. […] Une autre voix. — L’homme n’est qu’une forme de la matière en activité.
Il dit ailleurs : « L’aversion que j’avais pour le sentimental, le besoin de me livrer avec une espèce de désespoir à l’inévitable réalité, me firent trouver dans le roman du Renard la matière qu’il me fallait pour un exercice qui tenait tout à la fois de la traduction et du remaniement. » Et ces deux mots sont deux éclairs. […] Au milieu de tous mes mépris pour Gœthe, pour ce faux grand homme multiface, taillé octogonalement comme un palais par une critique de fantaisie, j’ai dit que je resterais juste, et je le serai en reconnaissant qu’en matière d’art il est sorti parfois de sa médiocrité originelle et a dépassé le niveau intellectuel qui fut le sien et qu’il ne s’agit plus à présent d’élever. […] Quoiqu’il s’y fût inspiré en matière d’art de Winckelmann, comme en art dramatique il s’inspira plus tard de Shakespeare, il s’y montra pourtant critique plus dextre, plus pénétrant, plus personnel qu’il ne devait jamais être, le critique littéraire, dans Gœthe, n’étant digne que de la plus profonde pitié.
Cette tendance fatale, passant de la société dans la littérature, y donne gain de cause à tout ce qui flatte les passions, à tout ce qui pousse aux révoltes du cœur, de l’imagination et des sens, à tout ce qui prêche les voluptés terrestres et fait retomber l’âme de son immortel domaine dans les honteux esclavages de la matière et de la chair. […] Il suffisait de déclarer qu’à l’avenir on serait tenu de peindre des personnages en chair et en os, et non plus des mannequins surcharges de beaux costumes, de ne plus préférer le mot à l’idée et la phrase au sentiment ; moyennant quoi, la littérature était sauve, la matière vaincue, et l’âme réintégrée dans tous ses droits. […] Goriot, grâce à la singularité de sa maladie, devient un sujet précieux, et fournit aux illustres de la Faculté matière à de curieuses expériences : experimentum in anima vili ! […] Et loin de nous l’envie de chercher là matière à déprécier son beau génie ! […] Comment enfin, sans trop insister, sans trop comparer des situations fort dissemblables, peut-on cependant rencontrer là, dans ces premiers exemples de modération et de douceur, un argument contre la violence en matière religieuse ?
Il y en a une autre plus profonde que Goëthe a faite le premier, que nous commençons à soupçonner, où aboutissent tout le travail et toute l’expérience du siècle, et qui sera peut-être la matière de la littérature prochaine : « Tâche de te comprendre et de comprendre les choses. » Réponse étrange, qui ne semble guère neuve, et dont on ne connaîtra la portée que plus tard. […] La raison et la vertu humaines ont pour matériaux les instincts et les images animales, comme les formes vivantes ont pour instruments les lois physiques, comme les matières organiques ont pour éléments les substances minérales. Quoi d’étonnant si la vertu ou la raison humaine, comme la forme vivante ou comme la matière organique, parfois défaille ou se décompose, puisque comme elles, et comme tout être supérieur et complexe, elle a pour soutiens et pour maîtresses des forces inférieures et simples qui, suivant les circonstances, tantôt la maintiennent par leur harmonie, tantôt la défont par leur désaccord ? […] Qui enfin ne se trouvera ennobli en découvrant que ce faisceau de lois aboutit à un ordre de formes, que la matière a pour terme la pensée, que la nature s’achève par la raison, et que cet idéal auquel se suspendent, à travers tant d’erreurs, toutes les aspirations de l’homme, est aussi la fin à laquelle concourent, à travers tant d’obstacles, toutes les forces de l’univers ?
Samedi 22 juin Mon Dieu, peut-être deux ou trois années d’aveuglement avant ma mort, ce ne serait pas mauvais cette séparation, ce divorce de ma vision avec la matière colorée, qui a été pour moi une maîtresse si captivante. […] Cernuschi, qui avait été aujourd’hui à l’exposition de Barye, me parle avec un certain mépris des sculptures du grand sculpteur, surtout au point de vue de la matière, comparée à la matière des bronzes chinois. […] Et la nuit, je ne sais comment le roi Rhompsonitos et mon cul-de-jatte devenaient contemporains, se mêlant, se brouillant dans un rêve, où je voyais le roi, sa fille, et le voleur, tous de profil, et toujours de profil, en toutes leurs actions, comme on les voit sur les obélisques, avec des apparences de têtes d’épervier, et clopinant au milieu d’eux mon cul-de-jatte, qui devenait à la fin un gigantesque scarabée de cette belle matière vert-de-grisée, qui arrête le regard dans les vitrines du Musée égyptien du Louvre.
Il y a là matière à deux ou trois volumes, qu’il serait intéressant de faire, si l’on avait le temps. […] Tout, d’ailleurs, n’est-il pas absolument subjectif en matière d’art et de littérature ? […] Et sans vouloir médire des innovations rythmiques, je soutiendrai qu’une trop brusque nouveauté en la matière comporte fatalement une part de barbarie. […] Des traductions, écrites ou parlées, m’ont bien laissé voir dans ses œuvres la matière de merveilleux poèmes ; mais. je n’oserais, sur le résultat total — faute de savoir lire !
L’avènement du langage conventionnel n’a pas entièrement corrigé nos pensées de cette habitude, en définitive, vicieuse : une fois l’homme convaincu que le son en général est de toutes les sensations la plus facile à imiter et qu’il est la matière naturelle du meilleur de nos systèmes de signes l’élément sonore de la pensée prend à nos yeux une valeur toute nouvelle, et l’attention le favorise à notre insu, même au hasard et sans dessein particulier d’imitation. […] Si la parole intérieure n’avait pas déjà, dans l’état psychique normal, une sorte de vie propre, si la parole intérieure et la pensée ne formaient pas dans l’âme deux groupes d’habitudes bien distincts (distincts moins encore par la matière, car la pensée comprend des images sonores, que par la forme, qui est ici l’intensité), en d’autres termes, si chaque mot n’était pas par certains côtés moins intimement associé à son idée qu’aux autres mots, c’est-à-dire à ceux de ses antécédents et conséquents habituels auxquels il ressemble et dont les lois sont les siennes, la dissociation absolue du langage et de la pensée qui caractérise les états anormaux tels que le sommeil et la distraction serait un mystère impénétrable ; on comprend qu’elle soit possible lorsqu’on s’est rendu compte des vrais rapports qui, durant l’état de veille normal, unissent le langage et la pensée. […] En apparence pourtant, il fait l’unité de notre vie individuelle, comme le signe extérieur fait l’unité de la vie sociale : il sert d’intermédiaire entre plusieurs apparitions d’une même idée dans la même conscience ; sans lui, nous oublierions nos idées, et notre passé s’évanouirait à mesure ; les mots gardent pour l’avenir nos pensées d’autrefois ; à notre appel, ils nous les rendent, et nous permettent ainsi de nous en servir comme de matériaux pour de nouvelles entreprises intellectuelles ; les mots semblent la matière propre de la remémoration et, par suite, l’unité empirique de notre existence, dont la loi du souvenir est l’unité formelle. […] Le propre du sommeil est la suspension de l’habitude ; tant qu’il dure, les habitudes de la veille ne passent plus à l’acte, et de nouvelles habitudes, dont les phénomènes du rêve seraient la matière, ne se forment pas.