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654. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

On les mesure avec une mystérieuse terreur ; on n’en devine pas bien la destination ; ils ne sont pas de la main d’un seul homme ; chaque siècle semble y avoir apporté sa pierre. […] Ces poèmes, nous le répétons, ne sont pas d’une seule main. […] Qu’on juge du désespoir de Nala, chargé de demander ainsi la main de son amante pour un autre ! […] Elle feint de vouloir choisir un nouvel époux, et fait proclamer dans tous les États voisins que les prétendants à sa main peuvent se présenter à la cour du roi son père. […] Elle ne voit que des écuyers et des serviteurs qui flattent de la main des chevaux en les détachant, et qui rangent un char royal dans les cours où sont rangés les chars de son père.

655. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Elle est sortie de l’Angleterre, le pays de l’utilité, des mains et des pieds de l’Angleterre, comme les guerriers et les parias de l’Inde sont sortis des mains et des pieds de Brahma. […] À cette vue, Legrand, ému, arracha le papier des mains de son ami, l’enferma sous clef et tomba dans une rêverie inexplicable, que Poe, effrayé, n’osa pas troubler en l’interrogeant. […] Legrand mesure des yeux cet arbre, il semble le reconnaître, et il ordonne à son esclave Jupiter d’y monter, en tenant à la main le scarabée, objet de l’effroi et des superstitions du pauvre nègre. […] En d’autres termes, il avait eu l’honneur d’être la main au bout du rude bras de Cromwell. […] été créé non plus pour tourner, de ses délicates et suzeraines mains d’artiste, les grossières manivelles de la mécanique sociale qui a fini par le broyer sous ses rouages aveugles et sourds.

656. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Disons-le sans détour, l’abbé Prévost, reparaissant à Hesdin sous forme de marbre et couronné de la main de ses compatriotes, ce n’est pas seulement l’homme célèbre qui est salué avec respect, c’est à la fois moins et plus, et c’est mieux : c’est l’Enfant prodigue, qui, après une longue absence et après avoir longtemps fait parler de soi en bien des sens, illustré par ses erreurs mêmes et par cette sorte de magie qu’il n’est donné qu’au génie d’y répandre, a terminé son temps d’exil, et qui revient plus aimé, plus embrassé de tous, fêté même et pardonné par les plus sévères. […] car, dans son sein, la vie     S’était, au choc, seulement engourdie ; Une main sage, habile, eût pu l’y réveiller : Imprudente ! […] Manon s’amusant gaiement à coiffer de ses mains le chevalier, et choisissant ce singulier moment pour recevoir le prince italien qu’elle veut berner et à qui elle montre le miroir en disant : « Voyez, regardez-vous bien, faites la comparaison vous-même… » ; cette tendre et folâtre espièglerie n’était pas dans le premier récit, et c’est un petit épisode que Prévost a voulu ajouter après coup, un souvenir sans doute qui lui sera revenu. […] Mais, même dans ces besognes obligatoires que la nécessité lui imposait, une fois la plume à la main, que ce soit la grande compilation de l’Histoire générale des voyages qu’il entreprenne (1746) que ce soit un simple Manuel lexique ou Dictionnaire portatif des mots français obscurs et douteux (1750), un de ces vocabulaires comme Charles Nodier en fera plus tard par les mêmes motifs ; que ce soit le Journal étranger, ce répertoire varié de toutes les littératures modernes, dont il devienne le rédacteur en chef (1755) ; de quelque nature de travail qu’il demeure chargé, remarquez le tour noble et facile, l’air d’aisance et de développement qu’il donne à tout ; il y met je ne sais quoi de sa façon agréable et de cet esprit de liaison qui est en lui. […] Cependant, j’ai sous les yeux une note écrite de la main d’une petite-nièce de l’abbé Prévost, Mlle Rosine Prévost, et dictée à elle par son père, lequel avait dix-huit ans au moment de la mort de l’abbé ; et il dut certainement être informé avec précision de toutes les circonstances par son frère, qui était alors auprès de leur oncle commun.

657. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Évidemment Mme de Maintenon avait agi sous main : elle se souvenait que le pauvre Scarron avait été l’un des pensionnés de Fouquet ; elle eut du moins ce mérite de n’oublier jamais son passé. […] Camille Rousset, conservateur des archives historiques au Dépôt de la Guerre, a sous la main des trésors dont il sent le prix et dont le Gouvernement lui permet de n’être point avare. […] Dans cette campagne, le chevalier de Belle-Isle périt bravement, l’épée à la main, à l’assaut des retranchements piémontais, au col de l’Assiette près d’Exiles. […] Le lendemain même de cette victoire, le maréchal d’Estrées est remplacé par Richelieu, dont l’intrigue menée de longue main aboutit à contre-temps. […] Après l’avoir désiré et sollicité avec instance au début de cette guerre, il n’a plus l’air de tenir à son commandement, et à chaque contrariété on le voit prêt, pour ainsi dire, à remettre les mains dans ses poches, et disant que pour pis aller il lui restera toujours l’agrément d’aller tirer les perdreaux à Bernv.

658. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVI. Les derniers temps de la comédie italienne en France » pp. 311-338

Sachez donc que, pour parvenir en fort peu de temps, il faut être dur et impitoyable, principalement à ceux qui ont de grands biens ; il ne faut jamais donner les mains à aucun arbitrage, jamais ne consentir d’arrêt définitif : c’est la perte des études. […] Mais quand tout vous rit, et que le monde est bien infatué de vos richesses, il faut prendre à toute main l’argent qu’on vous offre, faire grande dépense à l’ordinaire ; et puis un beau matin, après avoir mis tous vos meilleurs effets dans une cassette, déloger à petit bruit, et donner ordre à votre portier de dire à tout le monde qu’on ne sait où vous êtes allé. […] À la fin, désolés de votre absence et ne sachant sur quoi se venger, ils font dire sous main qu’ils perdront les deux tiers, si on veut assurer l’autre. […] PERSILLET touchant dans la main de La Ressource. […] Et comme la presse sera grande, il m’a mis entre les mains des contrats de vente, le nom et la somme en blanc, pour les remplir quand il se présentera des marchands, jusqu’à la concurrence des quatre cent mille francs.

659. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Peut-il exister en dehors des divers systèmes politiques, aux confins des doctrines qui se combattent et se font la guerre, un terrain plus ou moins neutre, une sorte de lisière, où l’on est bien venu à errer un moment, à rêver, à se souvenir de ces choses vieilles comme le monde et éternellement jeunes comme lui, du printemps, du soleil, de l’amour, de la jeunesse ; à se promener même (si la jeunesse est passée) un livre à la main, et à vivre avec un auteur d’un autre âge, sauf à en raffoler tout un jour et à demander ensuite, en rentrant dans la ville, à chaque passant qu’on rencontre : L’avez-vous lu ? […] Bientôt, sous le souffle ardent du bonhomme, se réveille une flamme oubliée et qui suffit à rallumer la lampe, ranimée elle-même par un peu d’huile que lui verse une main avare ; la faible clarté remplit à peine un coin obscur de cette masure. — Allons, au travail, mon pauvre Hilaire ! […] En ce moment, une main légère frappait à la porte de l’humble colon […] Heureusement, nous avons vu briller un peu de lumière à votre fenêtre, et nous avons pensé que vous nous remettriez dans notre chemin. » L’homme avait les mains à la pâte ; il dégagea ses mains avec cette attention prudente d’un pauvre diable qui ne veut pas perdre un seul grain de ce blé noir qui lui a coûté tant de sueurs ; même il retenait son souffle pour ne pas faire envoler un brin de farine.

660. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

Il s’est donc déclaré aussitôt, dans une partie de cette belle société à la fois outrée et rassurée, une disposition frondeuse, railleuse, qui se manifeste de mille manières ironiques depuis longtemps tombées en désuétude, par des journaux à la main, par des bulletins publiés à l’étranger, par des couplets à la Maurepas, que sais-je ? […] Ces hommes de la Chambre de 1815 arrivèrent ou revinrent impraticables parce qu’ils étaient violents, parce qu’ils avaient accumulé en silence mille aigreurs et mille rancunes, parce qu’ils étaient restés, dix années durant, à l’état de pistolets chargés : quand on vint à vouloir s’en servir de nouveau, ils éclatèrent dans la main qui les employait. […] On sent alors qu’on n’est plus que soi, qu’on n’a plus dans les mains cet aimant qui attirait. […] Il est permis à l’un de ceux qui se tiennent debout à regarder, de leur répondre : Non, le monde n’est pas en train d’aller plus mal depuis hier seulement ; s’il dégénère, c’est de votre temps et du temps de vos pères que cela a commencé, non pas du jour où vous n’y avez plus la haute main. […] À ce monde nouveau, pour l’intéresser, il faudra une littérature différente, plus solide et plus ferme à quelques égards, moins modelée sur l’ancienne, et qui, aux mains des gens de talent, aura elle-même son originalité.

661. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

Ce fut le dernier grand succès littéraire du xviiie  siècle, au moment où la société française tout entière sortait de son lac heureux et, en quelque sorte, de sa Méditerranée paisible, et s’engageait dans les détroits inconnus d’où le Génie des temps nouveaux allait, d’une main puissante, la lancer sur l’Océan. […] Au moment où il conçut l’idée de son ouvrage, l’abbé Barthélemy avait lu ses anciens auteurs ; il les relut alors plume en main, « marquant sur des cartes tous les traits qui pouvaient éclaircir la nature des gouvernements, les mœurs et les lois des peuples, les opinions des philosophes ». […] « L’Antiquité, pensait-il, n’est qu’une étude de rapports. » Plus on a vu de monuments, plus on a de textes sous la main, et plus on est en état de les éclaircir les uns par les autres. […] Il semble qu’il faille que tout talent, tout génie nouveau entre ainsi dans les sujets l’épée à la main, comme Renaud dans la forêt enchantée, et qu’il doive frapper hardiment jusqu’à ce qu’il ait rompu le charme : la conquête du vrai et du beau est à ce prix. […] On la dirait imitée d’une tempête de l’Énéide, et faite de seconde main ; par exemple : Cependant l’horizon se chargeait au loin de vapeurs ardentes et sombres ; le soleil commençait à pâlir ; la surface des eaux, unie et sans mouvement, se couvrait de couleurs lugubres dont les teintes variaient sans cesse, etc.

662. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une croisade universitaire » pp. 107-146

Jusque-là, vous me permettrez de rester « badaud », et de rire à gorge déployée, — au rebord de ma fenêtre, — en voyant passer le bataillon de l’École normale allant délivrer la Littérature des mains des infidèles — et des Romantiques ! […] On la regarde d’un air railleur quand elle traverse la place, et nos ennemis se frottent les mains, en chuchotant, sur le pas de leurs portes ; la pauvre fille est bien malheureuse. […] Ne te drape plus dans un manteau de gravité qui dérobe imparfaitement la vue de ton pet-en-l’air ; il y a des trous larges comme la main dans ce manteau. […] Évite surtout, quand tu prends en main la plume du politique, les phrases de ce genre : « Dans les légations ce sont les mêmes personnes qui administrent les revenus et les sacrements » (Question romaine), bien que je ne me dissimule pas l’irrésistible influence de cette phrase sur les destinées futures de l’Italie centrale. […] » De quoi Duranty se frotte les mains et rit à se tenir les côtes, en confectionnant des nœuds coulants — ou étrangloirs — qu’il vend, au plus juste prix, à Sarcey.

663. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

L’auteur, en effet, en pleine possession non seulement de son génie, mais de son expérience théâtrale, aurait voulu forcer l’actrice, même de trois siècles après lui, à jouer comme il l’entendait et non pas à son gré à elle, qu’il n’aurait pas écrit autrement ; il semble avoir dicté la mimique mot à mot et c’est-à-dire geste par geste : N’allons pas plus avant, demeurons, chère Œnone, Phèdre n’a fait que quelques pas sur le théâtre et s’arrête, fatiguée, presque épuisée ; l’arrêt doit être brusque, une des mains de la reine cramponnée au bras de sa nourrice : Je ne me soutiens plus, ma force m’abandonne ; Toute une attitude lassée, déprimée ; une sorte d’écroulement du corps. Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi ; Évidemment une main s’élève pour protéger les yeux que la lumière du soleil blesse et meurtrit. Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi D’une démarche chancelante, elle cherche un siège que, nécessairement, d’une main, la nourrice approche d’elle, tandis que de l’autre elle continue de la soutenir. […] Quelle importune main, en formant tous ces nœuds, A pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux ! La main glisse sur le peplum, esquisse le geste de le rejeter, pendant que les épaules frémissent ; puis remonte vers le front et esquisse le geste de repousser les cheveux sur les épaules ; puis, fatiguée de l’effort, retombe et traîne pendant que Phèdre dit d’une voix qui languit : Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire.

664. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Cela n’a l’air de rien du tout ; c’est une bagatelle en apparence, faite avec des centons de préface, avec des morceaux détachés, jetés ici et là, et ramassés par une main qu’on ne croyait pas si prudente ; mais c’est très gros de visée. […] Innocente à la manière de la somnambule assassine, qui s’écrie au réveil : « C’est vous qui m’avez mis ce sang sur les mains !  […] Il est évident que si l’opinion, cette fois encore, n’admettait pas cette déclaration sur la beauté de son génie, faite par Mme George Sand elle-même, l’opinion serait inconséquente ; car c’est elle qui a fait de ses propres mains cet orgueil qui parle aujourd’hui. […] Mme Sand y met la main sur son cœur, comme Louis-Philippe, et comme Léopold à son balcon, y prit un jour ses enfants dans ses bras. […] Confidences, déclarations de simplicité, main sur le cœur, enfants dans les bras, tout cela c’est la vérité de la dernière heure.

665. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

Par sa taille élevée, par son embonpoint majestueux, qui rappelait le contour d’un beau vase antique, par ses blanches mains de velours, par sa haute mine impertinente que j’ai retrouvée plus tard dans un portrait du cardinal de Rohan, par l’ensemble de sa physionomie et la dignité de sa personne, dom Bazin était né prélat… » C’est à ce païen innocent, « qui faisait le signe de la croix en scandant le vers : O fons Bandusiæ splendidior vitro !  […] Lui, le satirique qui veut être critique aussi par-dessus le marché ; lui, l’esprit malin, taquin et lutin, — car sa grâce tient parfois du prestige, — a certainement bien trop d’entrain et de mouvement dans la moquerie pour pouvoir, la main encore vibrante du trait qu’il vient de lancer, être l’opérateur patient et à la main sûre qui en dépeçant l’œuvre d’un homme n’a pas pour but de le faire souffrir. Je m’imagine même que de ne pas faire souffrir est d’une assez mince considération pour l’auteur de ces Lettres, pour cette gaîté de pinson qui rit et qui pince, pour l’esprit léger qui a lancé tant de choses légères, pesantes seulement aux amours-propres au nez desquels il les a soufflées, en cette sarbacane d’enfant terrible qui, dans ses mains d’artiste, est la flûte même de l’ironie ! […] Joli spectacle qu’il nous donne tout le temps de ses Lettres, écrites comme il découpe : au pied levé, à la main, à la plume levée.

666. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

Aucun professeur ne savait mieux classer les questions, les annoncer, faire compter aux auditeurs tous les pas de sa méthode, les mener par la main, les soutenir aux passages difficiles, marquer les étapes du voyage, les arrêter au bout de chaque question pour leur faire embrasser d’un coup d’œil l’espace parcouru. […] En dernier lieu vient l’idée de l’immortalité de l’âme, et, pour calmer les incertitudes que laisse cette croyance, la résignation confiante aux mains d’un Dieu juste et bon. […] Ainsi construite, elle laisse dans l’esprit un plaisir tranquille et une croyance sereine ; nous avons passé si aisément et si naturellement d’un point à l’autre, qu’il nous semble que nous sommes dans la vraie route, et nous nous abandonnons désormais à la sage main qui nous a si bien guidés jusqu’ici. […] Plus que jamais, fidèle à la méthode psychologique, au lieu de sortir de l’observation, je m’y enfonçai davantage, et c’est par l’observation que, dans l’intimité de la conscience et à un degré où Kant n’avait pas pénétré, sous la relativité et la subjectivité apparentes des principes nécessaires, j’atteignis et démêlai le fait instantané, mais réel, de l’aperception spontanée de la vérité, aperception qui, ne se réfléchissant point elle-même, passe inaperçue dans les profondeurs de la conscience, mais y est la base véritable de ce qui, plus tard, sous une forme logique et entre les mains de la réflexion, devient une conception nécessaire. […] On plonge dans cette sombre cave, et on cherche des mains l’entrée du précieux et nouveau souterrain où M. 

667. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXII. »

La mort étend sa main glacée sur les rois ; le sceptre et la couronne tombent à terre et gisent dans la poudre, confondus avec la pauvre faucille et la bêche. […] se démêla de ce déluge de métaphores et d’hyperboles, et en sortit, une belle ode à la main, pour célébrer sainte Cécile et le pouvoir divin de la musique : et combien encore, dans cette ode, sous le jeu brillant des images et les marches précipitées du rhythme, un art trop visible dément-t-il l’inspiration, pour laisser voir un calcul de contrastes qui descend quelquefois jusqu’à la puérilité ! […] On sait aussi que nul poëte n’avait plus curieusement étudié sa langue, n’en connaissait mieux les filons natifs, le métal indigène et les types frappés de la main du génie. […] « Sur un roc, dont le faîte sourcilleux se hérisse au-dessus des flots écumants de Conway, couvert du noir vêtement de la calamité, les yeux hagards, le poëte était debout : sa barbe épandue et sa blanche chevelure flottaient comme un météore, au souffle de l’air agité ; et, d’une main de maître, avec le feu d’un prophète, il éveillait les gémissements profonds de la lyre : — Écoute comme chacun des chênes géants et des antres déserts soupire, à la voix formidable du torrent qui se précipite au-dessous d’eux. […] Sur ces collines, là-bas, je les vois siéger, terrible bande, bien que languissants encore : vengeurs de leur terre natale, ils se joignent à moi dans un redoutable concert ; et ils tressent de leurs mains sanglantes la trame de ta lignée : filez le rouet et tissez la toile enroulée de la race d’Édouard ; donnez-lui grande étendue et assez de marge pour y tracer les caractères infernaux.

668. (1864) Études sur Shakespeare

Un puritain venait d’avoir la main droite coupée en punition d’un écrit contre le projet de mariage d’Élisabeth avec le duc d’Anjou : aussitôt après l’exécution, il élève son chapeau de la main gauche en s’écriant : « Dieu garde la reine !  […] Le poëte ne s’en occupe même plus guère et l’abandonne, au sortir des mains de Falstaff, comme s’il en eût tiré tout ce qu’il avait à lui demander. […] Ainsi, à l’arrivée de Shakespeare, la nature et la destinée de l’homme, matière de la poésie dramatique, ne s’étaient point divisées ni classées entre les mains de l’art. […] Il est représenté de grandeur naturelle, assis dans une niche, un coussin devant lui et une plume à la main. […] Cette habitation, demeurée quelque temps dans la famille Nash, avait depuis passé dans plusieurs mains, et la maison avait été rebâtie, mais le mûrier restait sur pied, objet de la vénération des curieux.

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