Je ne puis retrouver dans ces phénomènes ces oscillations, ces alternatives, ces va-et-vient, ces deux sens différents, dont l’auteur nous parle et qui ramèneraient le mécanisme de la mémoire aux lois de l’élasticité.
Si l’on a appauvri l’architecture en l’assujettissant à des mesures, à des modules, elle qui ne doit reconnaître de loi que celle de la variété infinie des convenances, n’aurait-on pas aussi appauvri la peinture, la sculpture et tous les arts enfants du dessin, en soumettant les figures à des hauteurs de têtes, les têtes à des longueurs de nez ?
Il est certain, par exemple, que l’Histoire des Variations, les Provinciales ou l’Esprit des lois sont écrits, chacun dans leur genre, dans un admirable style abstrait, et qu’Atala ou Paul et Virginie sont visiblement écrits en style de couleur ou d’image.
… En d’autres termes, si le peintre est dans ces Réfractaires, le peintre amer, âpre et féroce, qui nous les a faits si cruellement ressemblants, pourquoi le moraliste n’y est-il pas, le moraliste qui jugerait en dernier ressort tous ces Bohèmes de l’orgueil et de la paresse, tous ces Échappés de la Loi Sociale, et qui les internerait au bagne du Mépris, à perpétuité, pour leur peine d’avoir lâchement refusé de prendre leur part des travaux forcés de la vie ?
Je ne veux pas être une pensée mutilée, fragmentaire, dans l’universelle raison, un être isolé dans la communauté des hommes : j’entends servir la société et non point par goût des louanges, ni par désir d’être aimé, ni par sympathie pour mes contemporains, mais parce que le monde est un et que je veux me conformer à ses lois, qui sont d’ailleurs harmonieuses avec ma raison.
Il y avait toute une société éperdue qui appelait vainement les lois à son aide ; il y avait tous les délires des sens, de la tête et du cœur. […] Ils étaient venus au théâtre tout exprès pour y voir une statue qui causait, qui riait, qui buvait, qui mangeait, qui s’abîmait dans les flammes, et voici qu’on leur montrait le Don Juan foulant d’un pied sacrilège, toutes les lois divines et humaines ! […] C’est ainsi que d’un chêne centenaire, l’honneur des forêts, les fabricants d’allumettes vous fabriquent toutes sortes de petits morceaux de bois soufrés qui jetteront, chacun de son côté, sa petite lueur d’un instant. — Non, certes, toute la traduction de Thomas Corneille, ce n’est plus là le Don Juan amoureux, intrépide, grand seigneur, foulant d’un pied hardi et dédaigneux toutes les lois divines et humaines ; non, certes, ce n’est plus le hardi sceptique qui brise l’autel du dieu, ne pouvant pas renverser le trône du roi. […] Le poète a poussé si loin l’enquête de ces crimes, de ce vice et de ce libertinage, il a chargé son héros de tant d’injustices, qu’à défaut de la loi qui se tait, il faut bien invoquer le juge d’en-haut. […] Don Juan, c’est le monde tel qu’il était ; c’est le grand seigneur au-dessus des lois humaines et divines, qui se dit à lui-même : Dieu y regardera à deux fois avant de damner un homme de ma sorte !
Albert Delpit, dont les opinions font loi, le protège depuis longtemps. […] Desprez, profite de l’occasion pour lancer une profession de foi littéraire d’un admirable belgisme et donner, du fond de son petit musée secret de Bruxelles, une leçon à la loi française, leçon sévère, je vous prie de le croire. […] Oui, nous sommes libres de nous réunir où nous voulons et d’écrire ce que nous voulons, mais Gegout est encore en prison pour n’avoir pas trouvé admirables les belles lois inquisitoriales que nous prépare M. […] Ce devait être quelqu’un de fort illustre et dont les jugements font loi. […] Le poison est dans la vie et, loin de l’atténuer, la société, avec ses lois d’inégalité, avec ses terreurs, avec ses injustices, le rend de plus en plus mortel.
Les radicaux se sont à peine modifiés dans les mots essentiels ; la grammaire obéit aux mêmes lois. […] À l’ombre de ces plantes exotiques, le peuple abandonné à lui-même végétait, se développait suivant les lois obscures de sa nature orientale. […] On sait ce qu’étaient les Cosaques Zaporogues : un ordre de chevalerie chrétienne, recruté parmi des brigands et des serfs fugitifs, toujours en guerre contre tous, sans autres lois que celles du sabre. […] Qu’on veuille bien réfléchir aux lois essentielles de l’art dramatique ; ce qui fait la puissance du drame, ce n’est pas la grandeur de l’objet en cause, c’est la violence avec laquelle une âme désire cet objet. […] Ce public raisonne et se passionne d’après des lois particulières qui ne sont plus les nôtres.
Ils vont endurer, réclamer, lutter, résister ensemble et avec accord, faire effort aujourd’hui, demain, tous les jours, pour n’être pas tués ou volés, pour ramener leurs anciennes lois, pour obtenir ou extorquer des garanties, et par degrés ils vont acquérir la patience, le jugement, toutes les facultés et toutes les inclinations par lesquelles se maintiennent les libertés et se fondent les États. […] Chez nous, quand un homme a une idée, il l’écrit ; une douzaine de personnes la jugent bonne ; et là-dessus tous mettent en commun de l’argent pour la publier ; cela fait une petite association, qui grandit, imprime des traités à bon marché, fait des lectures, puis des pétitions, rallie l’opinion, et enfin apporte un projet au Parlement ; le Parlement refuse, ou remet l’affaire ; cependant le projet prend du poids ; la majorité de la nation pousse, elle force les portes, et voilà une loi faite. » Libre à chacun d’agir ainsi ; les ouvriers peuvent se liguer contre leurs maîtres ; en effet, leurs associations enveloppent toute l’Angleterre ; à Preston, je crois, il y eut une fois une grève qui dura plus de six mois. […] On peut la traiter comme une affaire, ramasser et vérifier des observations, combiner des expériences, aligner des chiffres, peser des vraisemblances, découvrir des faits, des lois partielles, posséder des laboratoires, des bibliothèques, des sociétés chargées d’emmagasiner et d’accroître les connaissances positives ; en tout cela ils excellent ; ils ont même des Lyell, des Darwin, des Owen capables d’embrasser, de renouveler une science ; dans la construction du vaste édifice, les maçons industrieux, les maîtres de second ordre ne manquent pas ; ce sont les grands architectes, les penseurs, les vrais spéculatifs qui leur manquent ; la philosophie, surtout la métaphysique, est aussi peu indigène ici que la musique et la peinture ; ils l’importent ; encore en laissent-ils la meilleure partie en chemin ; Carlyle est obligé de la transformer en poésie mystique, en fantaisies d’humoriste et de prophète ; Hamilton l’effleure, mais pour la déclarer chimérique ; Stuart Mill, Buckle, n’en prennent que l’espèce la plus palpable, un résidu pesant, le positivisme.
Quand les Médicis, ces Périclès héréditaires de la Toscane, qui inventent un nouveau mode de gouvernement, le gouvernement commercial, l’achat de la souveraineté par la banque, et la paix par la corruption coïntéressée des citoyens, rentrent de leur exil, rappelés par la reconnaissance, cet homme est tombé du pouvoir ; il est emprisonné par l’ingratitude de ceux qu’il a sauvés ; il a subi la torture ; il a été absous enfin de son génie, puis exilé, pauvre et chargé de famille, non pas hors de la patrie, mais hors de Florence ; on lui a enfin permis de repasser quelquefois les portes de la ville, mais il lui est interdit d’entrer jamais dans ce palais du gouvernement où il a tenu si longtemps dans ses mains la plume souveraine des négociations, des décrets, des lois. […] Dans cette mêlée de races barbares greffées sur l’antique sol italien, dans cet amalgame de Grecs, Byzantins ou Campaniens, de Sicules, de Lombards, d’Étrusques, de Liguriens, de Vénètes, d’Allobroges, de Germains, de vieux Romains ayant oublié jusqu’aux noms de leurs ancêtres, gouvernés par un pontife dont la capitale est une Église sur le tombeau du pêcheur de Galilée ; dans cette confusion de la théocratie donnant des lois au temps au nom de l’éternité, d’aristocraties féodales comme Venise, de comptoirs souverains comme Gênes, d’ateliers républicains comme Florence, de monarchies aventurées et nomades comme le royaume de Naples, de tyrannies fortifiées dans des repaires de brigands plus ou moins policés et gouvernés par l’assassinat : Lucques, Pise, Bologne, Parme, Modène, Reggio, Ferrare, Ravenne, Milan, Padoue ; de cités municipales régies par des citoyens et envahies par des incursions de barbares des Alpes, telles que Turin et toutes les provinces cisalpines, sous les serres des comtes de Savoie, des marquis de Montferrat ou des châtelains du Tyrol, qui peut reconnaître l’Italie des Romains, celle des Scipions, l’Italie des Césars ? […] Ni Dante ni Machiavel, les deux esprits sérieusement politiques et réels de l’Italie actuelle, n’y songeaient seulement pas ; l’un invoquait dans des vers immortels l’empereur germain d’Occident, le conjurant de venir, de réprimer l’Italie papale à Rome, et de remettre la selle et la bride à la cavale indomptée ; l’autre conseillait au pape Léon X et à son successeur de concentrer l’Italie anarchique par les armes et par la politique sous ses lois, et de conquérir l’empire pour en faire le règne de Dieu.
Mais, pour dissiper tous les doutes et toutes les objections, il est nécessaire que nous dissertions un peu sur l’art et sur la loi de son développement : sans cela nous n’arriverions à rien de clair. […] La poésie est cette aile mystérieuse qui plane à volonté dans le monde entier de l’âme, dans cette sphère infinie dont une partie est couleurs, une autre sons, une autre mouvements, une autre jugements, etc., mais qui toutes vibrent en même temps suivant certaines lois, en sorte qu’une vibration dans une région se communique à une autre région, et que le privilège de l’art est de sentir et d’exprimer ces rapports, profondément cachés dans l’unité même de la vie. […] Ces deux poésies, qui se sont montrées simultanément en France, en Angleterre, en Allemagne, rentrent tout à fait dans le principe que nous avons émis sur la loi du développement de l’art ; car toutes deux sont l’expression de l’époque, toutes deux ont été engendrées par la réalité actuelle, par la nature du temps où nous vivons.
« Ô femme mille fois heureuse, dit-il à Sacountala, le nœud que tu viens de former secrètement, et sans m’avoir consulté, n’est pas contraire à nos saintes lois. […] L’anachorète apprend d’elle-même qu’une union secrète, mais approuvée par la religion et les lois, l’unit au héros, et qu’elle porte dans son sein un gage de son union, roi futur du royaume. […] Vénérable ermite, vous vous rappelez sans doute ce texte de la loi sacrée : Accompagne ton ami jusqu’à ce que tu rencontres de l’eau !
Ils muselèrent la presse par des lois oppressives, ils arrêtèrent la représentation des pièces de théâtre, ils jetèrent bas de leur chaire des professeurs savants, sages et aimés. — Ceux-là, qui furent de petits journalistes parvenus, qui sortirent de je ne sais quel salon guindé où l’on avait applaudi leurs vaudevilles et leurs égrillardes chansonnettes, ceux-là qui, grimpant d’épaules en épaules et de méprises en méprises, en étaient arrivés à être tout-puissants sur les choses dramatiques, osèrent porter la main sur Balzac ; ils prirent le géant au collet, mirent son drame dans leur souricière, et, sans reconnaissance des gloires nationales, sans foi artistique, sans pudeur littéraire, ils ruinèrent et mirent à néant l’administrateur courageux qui avait le plus aidé à l’éclosion de toute une vaillante génération de poëtes. — D’autres ont fait pis encore. […] Elle s’agite, elle tremble sur ses pôles ; elle jette à l’oubli ses lois, ses rois et ses chefs ; elle semble prise de vertige et se retourne de convulsions en convulsions ; les timides s’épouvantent et s’écrient : C’est la fin du monde ! […] Que devenait la Genèse en présence des démonstrations de Galilée, en présence des lois futures de Newton, de Kepler, de d’Alembert, de Laplace ?
La perception présente attirerait alors à elle un souvenir similaire sans aucune arrière-pensée d’utilité, pour rien, pour le plaisir — pour le plaisir d’introduire dans le monde mental une loi d’attraction analogue à celle qui gouverne le monde des corps. Nous ne contestons certes pas « la loi de similarité », mais, comme nous le faisions remarquer ailleurs, deux idées quelconques et deux images prises au hasard, si éloignées qu’on les suppose, se ressembleront toujours par quelque côté, puisqu’on trouvera toujours un genre commun dans lequel les faire entrer : de sorte que n’importe quelle perception rappellerait n’importe quel souvenir, s’il n’y avait ici qu’une attraction mécanique du semblable par le semblable. […] Celle-là, une fois installée dans la conscience, permet à une foule de souvenirs de luxe de s’introduire en vertu de quelque ressemblance, même dépourvue d’intérêt actuel : ainsi s’explique que nous puissions rêver un peu en agissant ; mais ce sont les nécessités de l’action qui ont déterminé les lois du rappel ; elles seules détiennent les clefs de la conscience, et les souvenirs de rêve ne s’introduisent qu’en profitant de ce qu’il y a de lâche, de mal défini, dans la relation de ressemblance qui donne l’autorisation d’entrer.
C’est alors que naissent ces mécontentements méditatifs, ces impressions partiales et irritées, cet entier oubli des biens, cette susceptibilité passionnée devant les maux de la condition humaine, et toute cette colère savante de l’homme contre l’ordre et les lois de cet univers. […] Hernani, pendant bien des années, quoique faisant loi pour les uns, n’était encore pour beaucoup d’autres qu’une nouveauté à la mode. […] Quelques autres lois ont pour objet d’assurer les immunités du clergé et l’autorité des censures de l’Église, de régler les devoirs de la chevalerie, les successions, etc. […] On doit peu s’arrêter à la critique de l’unité de lieu, qui n’a jamais été aussi ouvertement violée par le poëte ; mais l’inconséquence du caractère de Protéo est bien plus impardonnable que toutes les fautes contre la géographie et les lois d’Aristote. […] La déraisonnable jalousie de Léontes, et sa violence, retracent le caractère d’Henri VIII, qui, en général, fit servir la loi d’instrument à ses passions impétueuses.