Les grands souvenirs de la poésie nationale l’attirent ensuite vers les lieux consacrés : il cherche l’âme de Dante à Ravenne, il visite à Arqua le tombeau de Pétrarque et celui d’Arioste à Ferrare. […] « Cependant, sans Gori, le séjour de Sienne me devint tout d’abord insupportable ; j’espérai qu’en changeant de lieux et d’objet j’allais affaiblir ma douleur sans rien perdre de sa mémoire. […] Je ne voulais pas alors, et les convenances ne le permettaient pas, m’établir à demeure aux lieux qu’elle habitait, mais je cherchai à m’en tenir éloigné le moins possible, et à n’avoir plus du moins les Alpes entre nous. […] Pour sauver cet ouvrage qui m’était cher et auquel je tenais beaucoup, j’en fis faire jusqu’à dix copies, et je veillai à ce que, déposées en différents lieux, elles ne pussent ni s’anéantir ni se perdre, mais reparaître, quand le moment serait venu. […] Je m’enfermai, pour ainsi dire, dans ma maison, et à l’exception de deux heures de promenade, que je faisais chaque matin pour ma santé, et dans les lieux les plus écartés, je ne me laissais voir à personne, et m’absorbais dans le travail le plus obstiné.
Nous sommes dans l’histoire ; l’appareil théâtral nous donne la date, le lieu, les costumes ; il nous rend contemporains du passé. […] Ces gens-là pensent tous, comme Turcaret, que l’argent donne toutes les qualités dont il tient lieu. […] On ne lui veut ni mal ni bien, et quand, à la fin de la pièce, il s’écrie : Muse, tenez-moi lieu de fortune et d’amour ! […] Ce que La Fontaine entendait par la nature, c’était, à la place des valets de convention de la farce italienne, les gens de connaissance qu’on venait de voir dans les Fâcheux ; c’était, au lieu des lazzis de Jodelet, les naïvetés échappées à un caractère ; c’était enfin l’homme remplaçant la marionnette. […] S’il préfère les sujets compliqués aux sujets simples, c’est, avoue-t-il, qu’il est plus aisé d’en faire le dialogue ; et il ajoute : « La multitude des incidents donne pour chaque scène un objet d’intérêt déterminé ; au lieu que si la pièce est simple, et qu’un seul incident fournisse à plusieurs scènes, il reste pour chacune je ne sais quoi de vague qui embarrasse un auteur ordinaire ; mais c’est où se montre un homme de génie. » Rien de plus vrai.
Wagner écrit (VI, 381) : « De tout ceci il me resta un sentiment assez mal défini, mais pour que mon art puisse vivre, il y aurait peut-être lieu de rechercher d’autres conditions de vie que celles auxquelles jusqu’alors j’avais été réduit à l’acclimatiser. » Or, quelles étaient ces conditions auxquelles jusqu’alors il avait été réduit ? […] Il y a lieu d’admirer deux choses, et presque contradictoires : la conscience ce vrai savant avec laquelle Wagner a évidemment étudié toutes les sources, et le génie avec lequel il a su discerner ce qui était bon à prendre dans chaque, et ce qu’il fallait inventer pour transfigurer le tout et le rendre acceptable au sentiment moderne. […] Mais j’ai tenu à faire remarquer quel soin le maître a pris d’établir le lieu dramatique et de le rappeler sans cesse ; parce que ce souci prouve l’intention exclusivement poétique. […] Il y aurait ainsi lieu de comparer Tristan avec la Gœtterdaemmerung, dont j’ai pu dire qu’elle était en majeure partie de la musique absolue. […] Sur le style de Tristan, se reporter à l’analyse d’André Miquel (voir note n°40) qui écrit dans la notice de sa traduction : « ce superbe morceau d’anthologie musicale est aussi le lieu d’une recherche textuelle constante, notamment à partir du moment où le délire d’Isolde passe à une exaltation supérieure et qui ne se démentira plus.
La terre est le lieu de la scène, et l’homme est le champ de bataille ; les fléaux sont les personnages. […] Il est rude, abrupt, excessif, incapable de pentes adoucies, presque féroce, avec une grâce à loi qui ressemble aux fleurs des lieux farouches, moins hanté des nymphes que des euménides, du parti des Titans, parmi les déesses choisissant les sombres, et souriant sinistrement aux gorgones, fils de la terre comme Othryx et Briarée, et prêt à recommencer l’escalade contre le parvenu Jupiter. […] Lucrèce est l’univers, Juvénal est le lieu. Et quel lieu ! […] Tacite fait toujours sa plaie au lieu voulu.
Sur quelque morceau qu’on puisse tomber, on deplorera l’abus de l’esprit, on verra quelques antithèses, quelques tours délicats tenir lieu des beautés d’imagination, & des plus sublimes traits d’éloquence ; la petite manière substituée en tout à la grande. […] L’illustre auteur du Traité de l’amitié porta d’Homère un jugement tel qu’on avoit lieu de l’attendre d’une dame de beaucoup de mérite, & dont les écrits respirent la justesse, la morale & l’agrément. […] Un poëte n’est pas historien : l’ordre des temps & des lieux ne le regarde qu’à un certain point. […] Suivant ce plan, Turnus ne seroit point un prince jeune, aimable & digne d’obtenir la main de l’objet qu’il adore, mais il en seroit l’oppresseur ; il auroit profité de la foiblesse de la reine Amate & du vieux roi Latinus, pour envahir leurs états : & le prince Troyen seroit le libérateur de Lavinie & de son père ; au lieu que, chez Virgile, Turnus défend Lavinie, & l’on ne voit, dans Énée, qu’un étranger fugitif, courant les mers, & devenu le fléau des peuples & des rois de l’Italie, & d’une jeune princesse, de sorte qu’on est tenté de prendre le parti de Turnus contre Énée. […] Ce chevalier, blanchi dans la carrière pour laquelle il combat, soutient qu’un roman n’est pas plus dangereux que le bal, la comédie, la promenade & les jeux d’exercice ; que la voie la plus courte & la plus sûre pour instruire la jeunesse & lui donner le goût des choses solides, c’est de commencer par lui présenter les choses agréables ; que le roman a cet avantage de montrer la vertu récompensée & le vice puni, au lieu que l’histoire offre souvent le contraire, les gens vertueux dans le malheur & les scélérats au faîte des grandeurs & des prospérités ; que l’abus d’un bien, d’un plaisir innocent, n’est pas une raison pour le défendre, tout étant relatif au caractère & ne devenant poison que lorsqu’on est mal disposé.
Il faut être juste envers lui ; il n’y avait, depuis le cardinal de Richelieu, ni Tibère, ni Séjan, ni Néron à supplicier poétiquement en France ; il n’y avait pas même lieu à ces orgies de style, dans le tableau des mœurs, dont Juvénal salit effrontément ses pages ; peintures plus hideuses du vice que le vice lui-même ! […] À table avec Vendôme, et Chapelle, et Chaulieu, M’enivrant du nectar qu’on boit dans ce beau lieu, Secondé de Ninon, dont je fus légataire. […] Du lieu qui me retient veux-tu voir le tableau ? […] Sans sortir de leurs lits, plus doux que leurs hermines, Ces pieux fainéants faisaient chanter matines, Veillaient à bien dîner et laissaient en leur lieu À des chantres gagés le soin de louer Dieu ; Quand la Discorde, encor toute noire de crimes, Sortant des Cordeliers pour aller aux Minimes, etc. […] Si Boileau avait écrit avec cette perfection sur un sujet sérieux, religieux ou héroïque, il aurait fait une œuvre immortelle au lieu d’une fugitive plaisanterie ; au lieu du sourire, il aurait arraché l’émotion au cœur humain.
En troisième lieu, un poème épique suppose un récit continu, un commencement, un milieu, une fin, récit inspirant, par ses péripéties, un intérêt épique ou dramatique à celui qui lit ou qui écoute. […] Le Purgatoire C’est une des idées philosophiques les plus naturelles à l’humanité que celle d’un lieu d’épreuve continuée après cette vie, et d’achèvement de la destinée des âmes dans un séjour de purification et d’initiation appelé Purgatoire. […] hôtellerie de douleur, navire sans nocher dans la grande tempête, non reine des provinces, mais lieu infâme de prostitution ! […] « L’aspect de mon visage le soutint quelque temps », dit-elle aux âmes attentives, « et, en laissant briller sur lui mes jeunes yeux, je le guidai dans le droit chemin. — Mais si tôt que je fus au seuil de mon second âge et que j’eus changé de vie en ces lieux, — celui-ci », ajoute-t-elle avec un geste de reproche, « se détacha de moi pour se donner à d’autres. » — (Allusion poignante aux nombreux amours profanes que Boccace et les autres historiens reprochent au Dante après la mort de Béatrice.) […] — Le décret suprême de Dieu serait vain si l’on passait ce fleuve de l’oubli, et si l’on goûtait la manne céleste en ces lieux sans avoir versé une larme de pénitence, en signe d’absolution !
Les lieux nous entrent dans l’âme par les yeux et s’incorporent à nos sensations, et ces sensations deviennent des caractères. […] Lorsque, plus jeune encore, Je rêvais des brouillards et des monts d’Inistore ; Quand, tes vers dans le cœur et ta harpe à la main, Je m’enfonçais l’hiver dans des bois sans chemin, Que j’écoutais siffler dans la bruyère grise, Comme l’âme des morts, le souffle de la bise, Que mes cheveux fouettaient mon front, que les torrents, Hurlant d’horreur aux bords des gouffres dévorants, Précipités du ciel sur le rocher qui fume, Jetaient jusqu’à mon front leurs cris et leur écume ; Quand les troncs des sapins tremblaient comme un roseau Et secouaient leur neige où planait le corbeau, Et qu’un brouillard glacé, rasant ses pics sauvages, Comme un fils de Morven me revêtait d’orages ; Si, quelque éclair soudain déchirant le brouillard, Le soleil ravivé me lançait un regard, Et d’un rayon mouillé, qui lutte et qui s’efface, Éclairait sous mes pieds l’abîme de l’espace, Tous mes sens, exaltés par l’air pur des hauts lieux, Par cette solitude et cette nuit des cieux, Par ces sourds roulements des pins sous la tempête, Par ces frimas glacés qui blanchissaient ma tête, Montaient mon âme au ton d’un sonore instrument Qui ne rendait qu’extase et que ravissement. […] Je revois d’ici le lieu, la place, le jour et l’heure. […] Le divers langage des hôtes du désert nous paraît calculé sur la grandeur ou le charme du lieu où ils vivent et sur l’heure du jour à laquelle ils se montrent. […] « C’est ici le lieu de remarquer une autre loi de la nature.
Il lui ouvrit un premier jour sur les idées politiques ou même littéraires de la société de Coppet, et le jeune homme s’aperçut avec joie qu’il existait encore un lieu où le libéralisme était d’assez bonne compagnie, où se retrouvait quelque chose du mouvement de 89, et que ses opinions n’étaient point exclusivement reléguées dans les écoles ou les estaminets. […] Et repoussant les évocations du passé qui défigurent le présent et qui empêchent de le reconnaître dans ce qu’il a d’essentiel et de nouveau, il signalait cet autre genre d’illusion tournée vers l’avenir, et qui consiste à rêver toujours au-delà, à chercher plus loin vaguement ce que déjà l’on possède si l’on sait bien en user : « Est-il donc si difficile, concluait-il, de voir ce qui est, et de sentir qu’il n’y a plus lieu d’appréhender des événements qui sont aujourd’hui consommés, ni de désirer des résultats qui maintenant sont obtenus ? […] Les opinions ne demandent aujourd’hui qu’à devenir des lois, et ces lois n’ont point à briser des habitudes, des préjugés, des intérêts, toutes ces entraves inévitables et souvent légitimes qui gênent presque en tous lieux l’essor de la vérité. […] M. de Rémusat, par sa critique hardie et inventive, ou par sa conversation qui en tenait lieu, a été un de ces constants remorqueurs, et que le plus souvent le public n’apercevait pas. […] Le lieu qu’il tient est au premier rang parmi les esprits de cet âge ; il l’étend chaque jour, et, pour l’agrandir encore, il n’a qu’à le faire tout à fait égal à son mérite.
Ce n’est pas le lieu d’analyser en détail ce phénomène, il nous suffit de l’indiquer sommairement : dans le jeu, d’une façon générale, le moi individuel s’affirme et se nie simultanément ou à des intervalles indiscernables. […] Selon les cas, la parole intérieure devenue vive simule ou ma propre voix parlant haut (poésie éolienne, personnelle), ou la haute voix d’un autrui déterminé (prosopopée poétique, poésie dramatique), ou enfin une haute voix absolument impersonnelle, si la vérité parle en moi, c’est-à-dire si le sujet poétique est d’ordre abstrait et général ; c’est dans ce dernier cas surtout qu’il y a lieu d’attribuer l’inspiration à la Muse ou à un dieu de la poésie, comme Apollon. […] Je compte parmi les prédictions d’avenir la promesse qu’une épée serait découverte dans les fondations d’une église ; cette prédiction, qui se trouva réalisée, est la plus hardie qu’aient faite les voix de Jeanne d’Arc et la seule où l’espace soit franchi au lieu du temps ; mais, philosophiquement, l’espace lointain, c’est l’avenir. […] » Le texte n’impose pas ce sens : […] est aussi bien adverbe de temps qu’adverbe de lieu, et, dans tous les autres textes que nous citons, jamais la voix ne vient du dehors. […] Laura Santone (art. cit., p. 252-253) pense que Freud renvoyant par deux fois à des articles de Egger dans l’Interprétation des rêves, il y a tout lieu de penser que sa référence au Nabab de Daudet à propos des rêveries diurnes et rêves à « yeux ouverts » est à mettre en rapport avec le développement de Egger dans la Parole intérieure sur le personnage de M.
Aujourd’hui tout Paris ayant été informé, par les journaux, du malheureux événement qui avait fait hier, parmi ses amis, à la Chambre et dans quelques lieux publics, une sensation si vive, tout Paris s’en est ému.
L’Eloge lui en tiendra lieu, & nous ne craignons pas d’ajouter que ce monument historique, gravé dans la mémoire des Lorrains, est encore plus flatteur, & ne sera pas moins durable que le marbre & l’airain, pour nous servir de l’expression d’Horace.
Despréaux, si délicat là-dessus, ne le nioit pas ; & quand on lui demandoit, pourquoi donc au troisieme Chant de son Lutrin, & dans sa neuvieme Satire, il en avoit parlé avec mépris, il répondoit, qu’au lieu d’Hesnault, il avoit d’abord mis Boursault, & ensuite Perrault, avec lesquels il s’étoit réconcilié, & leur avoit substitué, en dernier lieu, Hesnault, qui, étant mort dès 1682, étoit hors d’état de former aucune plainte. »
On sent très-bien quelle est la fin qu’un tel refus donnoit lieu d’espérer.
Ce que le voyageur tremblant adorait en passant dans ces solitudes, était quelque chose d’ignoré, quelque chose dont il ne savait point le nom, et qu’il appelait la Divinité du lieu ; quelquefois il lui donnait le nom de Pan, et Pan était le Dieu universel.