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447. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

Ce que de Maistre a de merveilleux, c’est sa langue ; avec toutes ses roideurs et ses tons cassants, elle est incomparable, et on lui rend forcément les armes chaque fois qu’on l’entend ou qu’on le lit. […] L’un est de convention et tout en compliments et en grands mots ; il ne parle que de confiance parfaite, de reconnaissance sans bornes, d’augustes amis, de hautes puissances, etc., etc. ; je sais cette langue aussi bien qu’un autre, et je la vénère comme bonne dans l’usage commun et extérieur. Mais il y a une autre langue sévère et laconique qui atteint la racine des choses, les causes, les motifs secrets, les effets présumables, les tours de passe-passe et les vues souterraines de l’intérêt particulier ; cette langue-là a bien aussi son prix. Cette langue, c’est le plus souvent la sienne, et elle acquiert une vibration, une sonorité particulière sous sa plume et sur ses lèvres.

448. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

Nous remarquons ainsi les témérités de Baïf, qui forge des comparatifs et des superlatifs à la manière latine, qui tente des vers métriques sur le patron des vers latins : ainsi le génie propre de la langue, le caractère original de la versification française sont méconnus. […] D’abord, sa langue le discrédite : où elle est de son invention, elle ne s’est pas imposée ; où elle est de son temps, elle a passé. Bien ne compensa suffisamment eu lui la rudesse de la langue : Amyot, Montaigne ont été sauvés par leurs sujets, par l’objectivité, la généralité des choses dont ils parlaient. […] Mais l’érudit n’avait pas encore adopté la langue vulgaire. […] Mais si l’on veut être juste envers la Pléiade, on se souviendra qu’avant le romantisme, Ronsard est en somme notre plus certain lyrique ; en second lieu, qu’il est à peu près notre unique lyrique qui ait cherché son inspiration hors de la religion, hors même des faits historiques et de l’héroïsme, le seul qui ait tâché de tirer son œuvre des sources intimes du tempérament ; enfin, que Ronsard, c’est vraiment la première ébauche et la période, si l’on peut dire, préhistorique du classicisme : qu’alors dans la langue, dans la poésie, apparaissent une multitude de formes dont quelques-unes survivront, et deviendront les types parfaits, et stables pour un temps, de la poésie.

449. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Les mythologies sont une langue allégorique qui n’a pas plus été inventée que les autres langues. […] Bailly a très bien remarqué que l’absurdité même de certaines fables prouve qu’elles n’ont pas été inventées : c’est un langage hiéroglyphique dont nous n’avons plus la clef, dont nous ignorons les racines ; et c’est aussi la raison qui a déterminé quelques archéologues à croire la langue écrite douée d’une telle énergie. […] Nos langues conservent toujours des monuments vivants de leurs premières origines. […] Mais auparavant présentons, dans son ensemble, la théorie de la parole, en y comprenant l’esquisse rapide des destinées de la langue française.

450. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

Il n’y a pas de langue à flexions, ni à plus forte raison de style sans grammaire. […] Comme amateur de bonne langue et de style savoureux, je ne m’en plains pas. […] Nos grammairiens sont amèrement fin de langue. L’un d’eux a même écrit un livre ironique et spécieux sur le Français langue morte. […] L’antiquité est pour une langue, comme pour une argenterie ou un mobilier, principe de beauté.

451. (1891) [Textes sur l’école romane] (Le Figaro)

Le besoin se faisant sentir d’une nouvelle École, l’École Romanitas va se former, qui affirme que notre langue se meurt depuis le jour où, après Racine, elle s’est écartée du dialecte roman, père du dialecte français. […] Je fonde l’École romane française, où viendront ceux à qui l’amour de notre langue gréco-latine fera jeter de superbes rameaux de renaissance littéraire et morale.

452. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 390-393

Les beautés de la langue Latine étoient aussi familieres au P. Brumoy, que celles de la langue des Grecs.

453. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Argument » pp. 287-289

Trois espèces de langues et de caractères. — Langues et caractères hiéroglyphiques, symboliques et emblématiques, vulgaires.

454. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

Je comparerai ce qui se passa ici dans l’architecture à ce qui s’est vu, à ce qui s’est opéré et accompli dans la langue elle-même. La langue des Romains, en général, était devenue celle de nos aïeux dans presque toute la Gaule ; on la parlait tant bien que mal, mais on la parlait. […] On avait cependant à s’entretenir, à s’entendre, à discourir sur toutes sortes de sujets ; les moines et les clercs parlaient toujours latin assez correctement, le latin d’autrefois : mais le peuple, mais les prêcheurs qui s’adressaient journellement aux populations des villes ou des campagnes, mais les rois et les barons qui traitaient entre eux de leurs affaires avaient besoin d’une langue commune ; et, tout en la dénaturant à qui mieux mieux, ils la faisaient. Un jour vint et une heure, un moment social, non calculé, non prévu, général, universel, où il se trouva, — sans que personne pût dire ni à quelle minute précise, ni par quelle transformation cela s’était fait, — où, dis-je, il se trouva qu’une langue nouvelle était née au sein même de la confusion, que cette langue toute jeune, qui n’était plus l’ancienne langue dégradée et dénaturée, offrait une forme actuelle et viable, animée d’un souffle à elle, ayant ses instincts, ses inclinations, ses flexions et ses grâces : le français des XIe et XIIe siècles, cette production naïve, simple et encore rude et bien gauche, ingénieuse pourtant, qui allait bientôt se diversifier et s’épanouir dans des poèmes sans nombre, dans de vastes chansons chevaleresques, dans des contes joyeux, des récits et des commencements d’histoires, venait d’apparaître et d’éclore aux lèvres de tout un peuple.

455. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

C’est une de ces natures qui sont en tout des échos, des reflets fidèles et variés de leur temps et de leurs entours : excellents témoins de la langue courante, toutes les fois que leur parole se fixe par écrit. […] Il a pour les langues la facilité de mémoire d’un enfant. Du portugais, en un clin d’œil, il passe au siamois : il en est bientôt maître, et peut jargonner et caqueter dans les deux langues. […] Mais quelle agréable langue, familière, fine, légère, pleine de ces tours inachevés et de ces négligences qui sont dans le génie même de la conversation et qui entrent mieux, si l’on peut dire, dans les plis de la pensée ! […] Enfin il parla, il écrivit familièrement une langue excellente, et de cette multitude d’ouvrages qu’il composa, il en est un du moins qui a mérité de survivre, de prendre place dans la série respectable des témoignages historiques.

456. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

Volney, qu’on nous représente, à Angers comme à Ancenis, solitaire, taciturne, ne prenant aucune part aux amusements de son âge et ne se liant intimement avec aucun de ses camarades, s’adonna à la médecine et se tourna dès lors vers l’étude des langues orientales : sa pensée était qu’il fallait demander à l’étude directe de ces langues la rectification de quantité d’opinions reçues et accréditées à la faveur de traductions infidèles. […] On a dit que ce nom de Volney n’est qu’une traduction, en une des langues d’Orient, de celui de Chassebœuf ; des érudits que j’ai interrogés là-dessus ne m’ont point donné de réponse satisfaisante. Arrivé en Orient, après quelque séjour en Égypte, il comprit qu’il ne ferait rien sans la langue, et il alla s’enfermer durant huit mois au monastère de Mar-Hanna dans le Liban pour apprendre l’arabe. […] Il est plus favorable à la Syrie et se déride quelquefois en nous en parlant : c’est par la Syrie qu’il entre davantage dans l’esprit de l’Orient, et que, devenu maître de la langue, il reçoit son impression tout entière : il parle du désert et des Bédouins avec quelque chose de plus senti que d’habitude, bien que de sobre également et d’inflexible. […] Saussure, on l’a dit, tout savant qu’il est, a de la candeur ; il a, en présence de la nature et à travers ses études de tout genre, le sentiment calme et serein des primitives beautés ; il se laisse faire à ces grands spectacles ; pour les peindre ou du moins pour en donner idée, pour dire la limpidité de l’air dans les hautes cimes, le frais jaillissement des sources ou de la verdure au sortir des neiges, la pureté resplendissante des glaciers, il ne craindra point d’emprunter à la langue vulgaire les comparaisons qui se présentent naturellement à la pensée, et que Volney, dans son rigorisme d’expression, s’interdit toujours ; il aura, au besoin, des images de paradis terrestre, de fées ou d’Olympe ; après un danger dont il est échappé, lui et son guide, il remerciera la Providence.

457. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre V. Le mouvement régionaliste. Les jeunes en province » pp. 221-231

Beaucoup de ces écrivains, d’ailleurs, sont aussi affiliés au Félibrige et, bien qu’ayant écrit en français, ont souvent aussi écrit en langue d’oc. […] Delbousquet, ils apportent par un choix d’expressions locales plus de couleur à la langue nationale. […] Il ne faut pas oublier les revues belges de langue française.

458. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 21, du choix des sujets des comedies, où il en faut mettre la scene, des comedies romaines » pp. 157-170

Plaute et Terence, qui n’avoient rien dans la langue latine qui pût leur servir de guide, imiterent trop servilement les comedies de Ménandre et d’autres poëtes grecs, et ils jouerent des grecs devant les romains. […] Ces comediens ont été obligez de parler françois, c’est la langue de ceux qui les païent. […] Les premiers auteurs anglois qui mirent en leur langue les comedies de Moliere, les traduisirent mot à mot.

459. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

Buchon, et puisque selon nous il n’y a pas plus moyen de transfuser la poésie dans une langue étrangère que le sang d’un être vivant dans les veines taries d’un homme mort, nous aurions mieux aimé le mot à mot français plaqué tout uniment sur le texte allemand que tous les à peu près du traducteur-poète, de ce lutteur contre un Protée, qui veut saisir et reproduire le rhythme par le rhythme, le tour parle tour. À notre sens, il n’y a que le mot à mot de la traduction interlinéaire qui donne l’idée juste de l’œuvre poétique qu’on veut faire juger à ceux-là qui ne savent pas la langue dans laquelle cette œuvre a été pensée. […] Versificateur exercé, il a peut-être moins souffert qu’un autre de ces liens terribles de la langue qu’il a voulu parler, mais il les a sentis, et, quoi qu’il ait fait, il en porte la marque encore.

460. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VII. D’Isocrate et de ses éloges. »

Il en est d’un peuple qui entend parfaitement une langue, et de l’orateur qui lui parle, comme de deux amis qui ont passé leur vie ensemble, et qui conversent ; les lieux, les temps, les souvenirs attachent pour eux, à chaque mot, une foule d’idées dont une seule est exprimée, et dont les autres se développent rapidement dans l’âme sensible. Admettez un tiers à cette conversation, il ne concevra point ce que ces mots ont de touchant, ni pourquoi ils excitent une émotion si tendre, et font peut-être verser les plus douces larmes : telle est l’image du différent effet que produisent les beautés accessoires et les finesses d’expression dans une langue vivante ou dans une langue morte ; plus un écrivain a de ce genre de beautés, plus il doit perdre.

461. (1902) La poésie nouvelle

C’est peut-être, leur latin, quelque langue forgée… Passons au grec. […] Alors, « une modification semblable de la langue s’impose ». […] Des mètres inhabituels, une langue où ne traînent nuls clichés. […] Tandis que les questions de langue le passionnent. […] Quant à la langue, même changement.

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