Telle est la question, et on ne la résout pas en disant, comme beaucoup de psychologues, que nous avons telle ou telle faculté, la conscience, la mémoire, l’imagination ou la raison. […] Si vous avez l’imagination nette et si, tranquille au coin de votre feu, vous vous laissez absorber par cette rêverie, vous verrez bientôt les moires luisantes de la surface, les feuilles jaunâtres ou cendrées qui descendent le courant, les faibles remous qui font trembler les cressons, la grande ombre froide des deux files d’arbres ; vous entendrez presque le chuchotement éternel des hautes cimes et le vague bruissement de l’eau froissée contre ses bords. […] Était-ce là une pure imagination, ou y avait-il eu à Trilport un garde du port nommé G… ? […] Ainsi l’hallucination, qui semble une monstruosité, est la trame même de notre vie mentale. — Considérée par rapport aux choses, tantôt elle leur correspond, et, dans ce cas, elle constitue la perception extérieure normale ; tantôt elle ne leur correspond pas, et dans ce cas, qui est celui du rêve, du somnambulisme, de l’hypnotisme et de la maladie, elle constitue la perception extérieure fausse, ou hallucination proprement dite. — Considérée en elle-même, tantôt elle est complète ou achevée dans son développement : ce qui arrive dans les deux cas précédents ; tantôt elle est réprimée et demeure rudimentaire : c’est le cas des idées, conceptions, représentations, souvenirs, prévisions, imaginations, et de toutes les autres opérations mentales.
David, berger et roi I La poésie lyrique est donc, dans tous les pays et dans toutes les langues, la manifestation de ce besoin mystérieux de chanter qui saisit l’âme toutes les fois que l’âme est saisie elle-même par ces fortes émotions qui tendent les fibres de l’imagination jusqu’à l’inspiration ou jusqu’à ce délire, délire poétique, religieux, amoureux, patriotique. […] L’esprit, l’imagination, le génie même (si le génie n’est pas de l’âme) n’y peuvent rien ; l’âme seule fait vivre, parce que seule elle fait sentir. […] L’imagination, plus impressionnable, jouait, dans ce monde antique, un plus grand rôle que dans les temps modernes ; la critique n’y existait pas. […] Il donne ainsi à sa puissante imagination des coups d’aile qui le font perdre de vue dans l’éther, et qui le transportent d’un sujet à l’autre et d’une image à une autre avec la rapidité et l’éblouissement de l’éclair.
Vous avez, depuis Malherbe jusqu’à moi, un peu trop exclusivement de l’esprit, du brillant, de l’imagination curieuse, et quelquefois tout à fait brillante ; de la sensibilité, ce n’est pas, en général et il a parfaitement raison — ce n’est pas, en général, ce que vous mettez dans vos ouvrages. […] « … Pour ce qui me touche, je prends un plaisir extrême à vous voir en peine ; d’autant plus que votre imagination ne se forge guère de monstres, j’entends d’images de ma personne, qui ne soient très agréables. […] La Fontaine a une singulière idée : c’est de remplacer la fumée qui sort de la boîte de Vénus et qui endort Psyché, par une vapeur qui la transforme… en négresse, et il nous assure qu’après cette métamorphose fâcheuse, elle est peut-être plus jolie qu’auparavant. « C’est d’une imagination un peu burlesque, direz-vous, cela sent son Scarron ! […] Il est très possible que ce soit un souvenir que La Fontaine ait gardé dans la mémoire et dont il ait fait ce petit épisode où, du reste, je le reconnais, il n’y a pas d’imagination bien extraordinaire.
À cet âge fatal, la plupart des femmes se courbent sous les ruines qu’elles portent et n’ont plus, pour toute beauté, que le front triste des cariatides écrasées ; mais Mlle Eugénie de Guérin, si Dieu ne l’avait pas rappelée à lui, eût porté sur le sien les ruines de la vie aussi légèrement que les canéphores portaient autrefois leurs corbeilles ; car elle avait tout ce qui allège le poids des années, — la pureté du cœur, l’ingénuité de la pensée, la fleur d’imagination éternelle, et cette confiance en Dieu qui en sait encore plus long que le Génie, et qui, en regardant la terre, voit le ciel. […] Tous ces grands Inquiets, dans des sphères diverses, dont on peut dire le mot de l’historien Matthieu en parlant du duc de Bourgogne : « Qui hérita de son matelas le dut garder pour faire dormir, puisqu’un homme de telle inquiétude avait bien pu y sommeiller », s’épuisaient alors en mouvements de vanité colossale que six pieds de terre ont parfaitement calmés ; mais le spectacle qu’ils offraient à l’imagination et que le temps a diminué, comme le feu racornit les objets qu’il n’a pas consumés encore, vaut-il aux yeux de Dieu et aux yeux des hommes le plus rapprochés de lui par la pensée, le spectacle d’une jeune fille qui enfermait l’âme de la Cordelia de Shakspeare sous sa modeste gorgerette, et qui, puissante de rêverie, descendait de la nue de ses rêves — pour tricoter des bas à un pauvre, en lisant la Bible ou sainte Thérèse, ou pour faire, comme Bossuet, le catéchisme à quelque petit ignorant ? […] Mlle de Guérin était une de ces imaginations avec lesquelles il est aisé de vivre. […] Maurice de Guérin se mariait atteint déjà de la maladie dont il mourut peu de temps après… Il en ressentait les premières souffrances, les premières illusions et ces premiers symptômes, qui rendaient plus touchant le genre de beauté qu’il avait ; car, pour les têtes d’imagination, il avait la beauté qu’on pourrait attribuer au dernier des Abencerrages.
Mais pour pouvoir laisser travailler mon imagination avec sûreté, j’aimerais connaître le pays où j’ai l’intention de placer cette scène. […] Son imagination se perd, je dirai, dans ce travail matériel, et il n’est plus capable de rien produire d’original. […] En ces moments, il s’en faut de bien peu que Léopold Robert ne sorte de sa théorie, qui consiste à copier obstinément la nature, et qu’il ne s’élève à l’idée pure et dominante qu’une imagination grandiose peut trouver dans sa conception même ou dans celle des génies créateurs, dans Homère, par exemple, ou dans les Prophètes.
À ce déjeuner de Golgao commence à figurer et à se distinguer déjà par l’émotion de la parole un noble et enthousiaste militaire, qui revenait en toute hâte de Paris où il avait causé avec Napoléon, « le général Foy, si célèbre depuis comme orateur, joignant à beaucoup de bravoure, à beaucoup d’esprit, une imagination vive, souvent mal réglée, mais brillante, et qui éclatait en traits de feu sur un visage ouvert, attrayant, fortement caractérisé ». […] Si je ne savais combien il aime Raphaël, je ne verrais pas trop ce que vient faire Raphaël en cet endroit : Voulait-il peindre une Vierge, ce beau génie, dit-il, cherchait dans les trésors de son imagination les traits les plus purs qu’il eût rencontrés, les épurait encore, y ajoutait sa grâce propre, qu’il puisait dans son âme, et créait l’une de ces têtes ravissantes qu’on n’oublie plus quand on les a vues. […] Il n’y a là ni victoire ni grand désastre, rien de ce qui parle à l’imagination ; ce ne sont que journées pénibles : cependant il n’est aucun récit plus attachant et plus instructif dans toute l’Histoire de M.
Les imaginations et les âmes, une fois atteintes du Rousseau, eurent peine à s’en débarrasser ensuite, et à rejeter cet élément fiévreux tant de leur cœur que de leur parole. […] Elle y répand un peu de la teinte animée et de la fraîcheur qui signalèrent les printemps d’une autre époque recommençante, et elle revoit le passé à travers un léger voile embelli que son imagination gracieuse et son émotion colorent : Mon Dieu, s’écrie-t-elle, qu’on est injuste pour ce temps-là ! […] Les imaginations vives se flattaient de voir réaliser les plus belles chimères, ou se dépouillaient avec satisfaction de ce qu’on croyait abusif, pensant naïvement s’élever ainsi à une hauteur morale que les masses auraient la générosité de comprendre et de respecter.
Quelle imagination de poète eût mieux inventé que la réalité ici ne donna ? […] Napoléon avait l’imagination religieuse ; vers la fin il avait fait convertir sa grande salle à manger en chapelle, et l’on y disait la messe tous les dimanches. […] Chacun, en ces suprêmes instants où la volonté trop faible laisse flotter les rênes, s’en va en imagination à son penchant favori, à son délire préféré.
Au contraire, d’avoir édifié dans sa prime saison de jolies fantaisies en l’air, cela doit vous conduire, quand enfin l’on s’est tourné vers l’étude du monde réel, à négliger ce qu’il a de banal et d’insignifiant, ce qui ne mérite pas d’être noté, pour s’attacher à ce qu’il contient de particulier et d’inattendu ; car, si l’on s’adresse à lui, c’est que l’on compte qu’il vous fournira des documents plus intéressants encore que vos imaginations d’autrefois. […] Rien de meilleur, en somme, pour peindre le monde comme il est, que d’avoir beaucoup d’imagination et de sensibilité. […] Peu d’esprit de « mots », mais un comique de verve, d’imagination, d’hyperboles, et plus souvent encore un comique de situations et de caractères.
Et c’est ce truand qui est resté, dans l’imagination populaire, le vrai Tartuffe. […] Les « soupirs » et les « grands élancements » à faire retourner les fidèles, la terre « baisée à tous moments », et la puce tuée « avec trop de colère », et « Laurent, serrez ma haire avec ma discipline », ce sont donc là des traits tout à fait propres à frapper l’imagination de cet idiot. […] Seulement l’acteur qui le jouera fera bien de se souvenir, après tout, de la figure qu’a pu prendre Tartuffe dans l’imagination de Dorine : par où il sera conduit à nous mettre sous les yeux un personnage intermédiaire entre le Julien Sorel que nous a montré M.
Car, dans cette formule sont impliquées pour moi telles folies et dangereuses imaginations inspirées par les religions (citons plus près de nous Milton et Dante), et sensationnelles seulement, pour peu qu’on les pense, sont les ordinaires visions de paradis ou d’enfers sous divers noms, où se meuvent les diverses théogonies d’amour et d’effroi. […] Manque non seulement de toute idée, mais encore de toute imagination, le néant. […] Et ils sont cela, ces poètes d’imagination qui sonne creux, ces philosophes prisonniers de l’atavisme et posant en principe leur caprice, ces scientifiques puérils et contents : quand la lumière aveuglante a surgi des nues mauvaises déchirées par les génies Lamarck et Darwin !
Par conséquent, un ensemble de données esthétiques permettra de conclure à la présence d’une certaine organisation psychologique, c’est-à-dire, en dernière analyse, à une activité particulière, à une nature particulière des gros organes de l’esprit, des sens, de l’imagination, de l’idéation, de l’expression, de la volonté, etc. […] Il convient d’attendre de la critique scientifique des notions neuves et précises sur l’imagination, l’idéation, l’action réciproque du langage et de la pensée, de l’émotion et de la pensée, des sensations et des idées, sur l’invention, sur les sentiments esthétiques et sur d’autres problèmes de même ordre ou supérieurs. […] Dans les années 1900-1910, il s’intéressera en particulier à l’imagination, à l’attention, et aux sentiments.
Cousin qui a fait pour Biran ce qu’il a fait pour Schelling et Hegel, ce qu’il a fait pour Abélard, pour Plotin et pour Proclus, c’est-à-dire qui a mis en circulation son nom et ses œuvres, et qui lui a communiqué le premier quelque chose de cet éclat qu’il prêtait à tout ce qu’il touchait ; mais la fougue de cette imagination toujours en mouvement la transportait successivement sur trop de choses pour qu’aucune pensée eût le temps de mûrir silencieusement, ce qui est la condition du progrès scientifique. […] Ce monologue ou ce dialogue, ce moi parlant à un autre moi ou se parlant à lui-même dans une sorte de solitude semblable à celle de Fichte, ce monde de la conscience, si ténébreux pour l’imagination, si fermé à la lumière des sens, cette analyse subjective si subtile et en apparence si arbitraire, toute cette spiritualité abstraite, n’avaient rien qui pût parler à ce temps de réalisme objectif, où l’on veut toucher et compter, et où l’on ne reconnaît de science que dans ce qui est susceptible de poids et mesure. […] De là cette terreur de la mort dont la foi la plus vive ne parvient pas toujours à triompher, car la vie dans des conditions absolument inconnues nous est encore comme une espèce de mort, et le néant lui-même semble moins effrayant pour l’imagination que cette transformation radicale où le moi actuel continuerait à subsister dans un autre moi.
Bien avant, en effet, que Maurice Rollinat se débattit dans cette pénombre d’obscurité dont un poète encore plus fier que lui ne serait pas pressé de sortir et qu’il épaissirait autour de lui comme un mystère, plus beau que l’indiscrétion de la gloire, c’était Baudelaire et Edgar Poe qui partageaient à eux seuls l’empire de l’imagination de ces derniers temps. […] Rollinat, c’est de ne laisser personne tranquille, c’est de tourmenter violemment les imaginations. […] Je comprends très bien que la lecture de ce poète, hanté perpétuellement par tous les spectres de ce diabolique Inconnu qui se tapit dans toutes choses, soit importune aux imaginations qu’elle trouble.
C’est bien souvent un de Musset par la sveltesse, le tour d’imagination, le mouvement et l’étincelle ; mais c’est un de Musset qui a passé par l’atelier, et il lui est resté, à certaines places, un peu de Mistigris, — que j’aurais voulu effacer. […] Aussi en a-t-il marqué l’imagination et le cœur de son héroïne, tout en la sauvant de la tache de l’adultère, de cette tache dernière qui fait se rejoindre toutes les autres et n’en fait plus qu’une seule de toutes, — et ceci, disons-le pour ceux qui creusent les choses et ne font pas de la critique à fleur de peau, ceci est réellement d’un Maître dans l’art des nouveautés et des inventions. […] Et, contraste charmant, quelle bonne humeur, à d’autres moments, dans l’imagination !