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994. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Mais aussi que l’anatomie profonde, la physiologie humaine, ne soient point méconnues et absentes sous vos plis et vos draperies, qu’on sente la vraie chair et le vrai sang jusque sous la soie et les dentelles !  […] Mais maintenant qu’il n’est plus en vue de la côte, qu’il est en pleine eau, il n’y a plus, pour s’en tirer, que la connaissance de ce vaste océan qu’un appelle la nature humaine. […] Est-ce donc qu’il n’y a pas une autre Victime humaine et divine qui suffit pour tous ? […] Je sais qu’il y a en tout ceci bien du jeu, que l’art est une chose fort différente de la nature, que ce qui s’appelle roman en particulier est fait pour plaire et amuser à tout prix, et le plus souvent moyennant illusion : je ne voudrais pourtant pas qu’on y mentît par trop, qu’on y donnât des idées par trop fausses et chimériques. et j’ai présent à l’esprit en ce moment la boutade d’un moraliste un peu misanthrope, qui écrivait pour lui seul après la lecture de quelqu’un de ces romans à la Sibylle ou à la Scudéry : « Quand je me reporte en idée aux débuts de l’espèce humaine sur cette terre, à cette longue vie sauvage dans les forêts, à ces siècles de misère et de dureté de l’âge de pierre qui précéda l’âge de bronze et l’âge même de fer ; quand je vois, avant l’arrivée même des Celtes, les habitants des Gaules, nos ancêtres les plus anciens, rabougris, affamés et anthropophages à leurs jours de fête le long des fleuves, dans le creux des rochers ou dans les rares clairières ; — puis, quand je me transporte à l’autre extrémité de la civilisation raffinée, dans le salon de l’hôtel de Rambouillet ou des précieuses spiritualistes de nos jours, chez Mme de Longneville ou chez Mme de…, où l’on parle comme si l’on était descendu de la race des anges, je me dis : L’humanité n’est qu’une parvenue qui rougit de ses origines et qui les renie.

995. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre III. La personne humaine et l’individu physiologique » pp. 337-356

La personne humaine et l’individu physiologique Sommaire. […] Opinion commune sur la personne humaine et sur ses facultés. — Sens du mot faculté ou pouvoir. — Forces mécaniques. — Force de la volonté. — Ces mots ne désignent aucun être occulte. — Ils ne désignent qu’un caractère d’un événement, à savoir, la particularité qu’il a d’être suivi constamment par un autre. — Illusion métaphysique qui érige les forces en essences distinctes. […] La série qui constitue le moi est un fragment dans l’ensemble des fonctions animales. — Point de vue physiologique. — Ordre des centres nerveux et des actions nerveuses. — Les ganglions, les segments de la moelle, les étages de l’encéphale. — Point de vue psychologique. — Ordre et complication croissante des événements moraux indiqués eu constatés dans les divers centres. — À mesure que l’animal descend dans l’échelle zoologique, les divers centres deviennent de plus en plus indépendants. — Expériences et observations de Dugès, Landry, Vulpian. — Pluralité foncière de l’animal. — L’individu animal ou humain n’est qu’un système. […] IV Cela posé, on comprend sans difficulté la liaison de la personne humaine avec l’individu physiologique.

996. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

Il marqua dans son prospectus, qu’« en réduisant sous la forme de dictionnaire tout ce qui concerne les sciences et les arts, il s’agissait de faire sentir les secours mutuels qu’ils se prêtent, d’user de ces secours pour en rendre les principes plus sûrs et leurs conséquences plus claires ; d’indiquer les liaisons éloignées ou prochaines des êtres qui composent la nature, et qui ont occupé les hommes, … de former un tableau général des efforts de l’esprit humain dans tous les genres et dans tous les siècles ». […] Par lui, l’Encyclopédie resta ce qu’il l’avait destinée à être : un tableau de toutes les connaissances humaines, qui mit en lumière la puissance et les progrès de la raison ; une apothéose de la civilisation, et des sciences, arts, industries, qui améliorent la condition intellectuelle et matérielle de l’humanité, ce fut une irrésistible machine dressée contre l’esprit, les croyances, es institutions du passé. […] L’abbé de Condillac (1714-1780), précepteur du prince de Parme : Essai sur l’origine des connaissances humaines, 1746, 2 vol. in-12 ; Traité des sensations, 1754. 2 vol. in-12 ; Cours d’Études du pr. de Parme, 1769-1773, 13 vol. in-8. — A consulter : Taine, les Philosophes classiques du xixe  siècle, chap.  […] Il écrivit, pendant qu’il se tenait caché, l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain. — Éditions : Œuvres, 1847-19, 10 vol. in-8. — A consulter : Picavet, les Idéologues, 1891, in-8.

997. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « J.-J. Weiss  »

Molière n’avait pas seulement la profonde immoralité qui est l’attribut commun et très probablement la condition d’activité des grands observateurs de l’homme et de la nature humaine. […] Taine, toutes œuvres que caractérisent la conception mécanique de l’âme humaine, un mépris superbe de l’homme, un style sec et tranchant, circonscrit dans la notation impassible des effets et des causes. […] Le Verre d’eau lui semble inspiré par « une vue supérieure des choses humaines » ; et il appelle enfin la « mixture Auber-Scribe » un « ferment divin où Scribe fournissait la magie des situations et Auber la magie de l’expression ». […] Weiss n’aime pas (encore qu’il l’estime fort dans quelques-unes de ses parties) la littérature positiviste et brutale des trente dernières années, l’observation désenchantée et sèche, la conception fataliste de la vie et des passions humaines.

998. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Un vrai classique, comme j’aimerais à l’entendre définir, c’est un auteur qui a enrichi l’esprit humain, qui en a réellement augmenté le trésor, qui lui a fait faire un pas de plus, qui a découvert quelque vérité morale non équivoque, ou ressaisi quelque passion éternelle dans ce cœur où tout semblait connu et exploré ; qui a rendu sa pensée, son observation ou son invention, sous une forme n’importe laquelle, mais large et grande, fine et sensée, saine et belle en soi ; qui a parlé à tous dans un style à lui et qui se trouve aussi celui de tout le monde, dans un style nouveau sans néologisme, nouveau et antique, aisément contemporain de tous les âges. […] Le temple du goût, je le crois, est à refaire ; mais, en le rebâtissant, il s’agit simplement de l’agrandir, et qu’il devienne le panthéon de tous les nobles humains, de tous ceux qui ont accru pour une part notable et durable la somme des jouissances et des titres de l’esprit. […] Homère, comme toujours et partout y serait le premier, le plus semblable à un dieu ; mais derrière lui, et tel que le cortège des trois rois mages d’Orient, se verraient ces trois poètes magnifiques, ces trois Homères longtemps ignorés de nous, et qui ont fait, eux aussi, à l’usage des vieux peuples d’Asie, des épopées immenses et vénérées, les poètes Valmiki et Vyasa des Indous, et le Firdousi des Persans : il est bon, dans le domaine du goût, de savoir du moins que de tels hommes existent et de ne pas scinder le genre humain. […] Les plus antiques des sages et des poètes, ceux qui ont mis la morale humaine en maximes et qui l’ont chantée sur un mode simple converseraient entre eux avec des paroles rares et suaves, et ne seraient pas étonnés, dès le premier mot, de s’entendre.

999. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Le crime eut de l’écho par-delà les mers : L’Hôpital, ce représentant de la conscience humaine en un siècle affreux, apprit, dans la retraite de sa maison des champs, l’égarement de celle dont il avait célébré le premier mariage et la grâce première ; il consacra son indignation par une nouvelle pièce de vers latins, dans laquelle il raconte les horreurs de cette nuit funèbre, et ne craint pas de désigner l’épouse et la jeune mère, meurtrière, hélas ! […] Elle s’arrêta à la touchante histoire du bon Larron, qui lui sembla le plus rassurant exemple de la confiance humaine et de la clémence divine, et dont Jeanne Kennedy (l’une de ses filles) lui fit lecture : « C’était un grand pécheur, dit-elle, mais pas si grand que moi ; je supplie Notre-Seigneur, en mémoire de sa Passion, d’avoir souvenance et merci de moi comme il l’eut de lui à l’heure de sa mort. » — Ces sentiments vrais et sincères, cette humilité contrite de ses derniers et sublimes moments, cette intelligence parfaite et ce profond besoin du pardon, ne laissent plus moyen de voir en elle aucune tache du passé qu’à travers les larmes. […] … » Heureux les temps et les sociétés où une certaine morale générale et un respect humain de l’opinion, où le Code pénal aussi, mais surtout le contrôle continuel de la publicité, interdisent, même aux plus hardis, ces résolutions criminelles que chaque cœur humain, s’il est livré à lui-même, est toujours tenté d’engendrer !

1000. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

Les Mémoires de Franklin sont d’une lecture pleine d’intérêt pour tous ceux qui ont eu les débuts laborieux, qui ont éprouvé de bonne heure les difficultés des choses et le peu de générosité des hommes, qui ne se sont pourtant ni aigris ni posés en misanthropes et en vertueux méconnus, ni gâtés non plus et laissés aller à la corruption intéressée et à l’intrigue, qui se sont également préservés du mal de Jean-Jacques et du vice de Figaro, mais qui, sages, prudents, avisés, partant d’un gain pénible et loyal, mettant avec précaution, et avec hardiesse quand il le faut, un pied devant l’autre, sont devenus, à divers degrés, des membres utiles, honorables, ou même considérables, de la grande association humaine ; pour ceux-là et pour ceux que les mêmes circonstances attendent, ces Mémoires sont d’une observation toujours applicable et d’une vérité qui sera toujours sentie. […] Et pourtant, du moment qu’on admet, comme il avait la sagesse de le faire, l’adoration publique et le culte, n’y a-t-il donc pas dans l’âme humaine des émotions, dans la destinée humaine des mystères et des profondeurs, qui appellent et justifient l’orage de la parole divine ? […] Il la considérait comme une navigation dont la traversée est obscure et dont le terme est certain, ou encore comme un sommeil d’une nuit, aussi naturel et aussi nécessaire à la constitution humaine que l’autre sommeil : « Nous nous en lèverons plus frais le matin. » Arrivé en Amérique, salué de ses compatriotes et ressaisi par le courant des affaires publiques, Franklin porte souvent un regard de souvenir vers ces années si bien employées, et où l’amitié et la science avaient tant de part.

1001. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

Cet esprit, en tant qu’esprit humain, est constitué par le même mécanisme général de sensations, d’images, d’idées, d’émotions, de volitions, d’impulsions motrices et inhibitrices, que la généralité des entendements humains. […] On sait aujourd’hui, grâce aux belles systématisations de Spencer, Wundt, Taine, Bain, Maudsley, ce qu’est un esprit humain, quelles sont ses parties et de quelle façon elles coopèrent. […] L’esthopsychologie et la psychologie des grands hommes d’action rendront à la psychologie générale les mêmes services que la pratique de la dissection humaine à la médecine.

1002. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Maurice Rollinat »

Aujourd’hui, la Poésie n’est qu’une Ophélie sans pureté et sans amour… Mais quelque démente qu’elle puisse être, cette poésie moderne, au cerveau plus ou moins lézardé, cette fille de l’Égarement universel n’en est pas moins toujours la Poésie, c’est-à-dire la plus belle ou la moins laide des choses humaines ! […] C’est alors qu’ils se rejettent aux nervosités de la nature humaine ; car les nerfs sont plus spirituels que la chair. […] Quand il dit ses vers ou qu’il les chante, avec cette voix stridente qui semble ne plus sortir d’entrailles humaines, il a ce que Voltaire exigeait qu’on eût quand on jouait la tragédie : il a, positivement, le diable au corps. […] La seule différence entre eux (avec celle du génie dont il ne peut pas être question ici), c’est que l’Hamlet du théâtre anglais est un sceptique désespéré qui n’a que mépris pour la vie humaine et pour le néant de l’humanité, et que l’Hamlet des Névroses n’a pour l’humanité et la vie que l’horreur, mais l’horreur la plus épouvantée !

1003. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Il est impossible de ne pas éprouver une impression profonde et presque solennelle en présence de cette argumentation, quand on ne se dit que c’est là peut-être la première fois que, dans la Grèce au moins, l’esprit humain a tenté de se rendre compte de sa foi et de convertir ses croyances en théories. […] Le travail des pères serait perdu pour les enfants : il n’y aurait plus de famille humaine : il y aurait solution de continuité entre les générations et les siècles. […] Il faut que quelque chose subsiste du passé, ni trop, ni trop peu, qui devienne le fondement de l’avenir et maintienne, à travers les renouvellements nécessaires, la tradition et l’unité du genre humain. […] Il y parle en maître, il a Dieu dans sa main, il foudroie son auditoire, il ne descend jamais, comme l’orateur politique, dans les détails secs et minutieux d’une affaire particulière, il ne parle que du devoir en général, de la vie humaine, des dangers du monde, de la providence de Dieu.

1004. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Préface »

Le monde marche vers une sorte d’américanisme, qui blesse nos idées raffinées, mais qui, une fois les crises de l’heure actuelle passées, pourra bien n’être pas plus mauvais que l’ancien régime pour la seule chose qui importe, c’est-à-dire l’affranchissement et le progrès de l’esprit humain. […] Un poids colossal de stupidité a écrasé l’esprit humain. […] Assurément, il faudra du temps pour que cette liberté, qui est le but de la société humaine, s’organise chez nous comme elle est organisée en Amérique.

1005. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 272-292

Le don le plus utile que les Muses aient fait aux hommes, disoit l’Abbé Terrasson, c’est le Télémaque ; car si le bonheur du genre humain pouvoit naître d’un Poeme, il naîtroit de celui-là. […] Tout se fait dans son Poëme par des secours divins, & tout paroît opéré par des forces humaines. […] Fénélon étoit, dans les choses célestes, comme dans les choses humaines, toujours entraîné par la pente de son esprit à choisir dans tout ce qu’il y avoit de plus solide & de plus exquis.

1006. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

Excité par la Providence, seul ce terrible souffle mit à flot tous ces chétifs brûlots humains, porte-noms, porte-enseignes et porte-flammes d’une révolution signée : Dieu ! […] Il n’est point un Pascal de l’Histoire, un rabaisseur de l’orgueil humain devant la grandeur de la Providence. […] … « Madame de Condorcet — dit Michelet — avait la mélancolie d’un jeune cœur auquel quelque chose a manqué… L’enfant, le seul enfant qu’elle eut, naquit neuf mois après la prise de la Bastille… Ce fut elle qui donna à Condorcet le sublime conseil de… terminer l’Esquisse des progrès de l’esprit humain. » Tels sont les seuls et singuliers mérites de Sophie Condorcet que Michelet a pu trier dans toute sa vie, et c’est sur ce triple mérite que l’hagiographe exécute l’assomption de cette glorieuse sainte.

1007. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hoffmann »

Il fallait une société comme la nôtre pour que les hallucinations de deux hommes mourant de leurs excès, l’un du delirium tremens, l’autre du tabès dorsal, devinssent des lueurs de génie, et pour que l’ivrognerie et ses songes prissent rang parmi les facultés et les produits de l’esprit humain. […] La littérature tombant dans le logogriphe est-elle dans les conditions vraies et normales de toute littérature, dont les premières conditions, les conditions élémentaires, sont la logique, — car l’imagination a sa logique comme l’intelligence, — le sens humain et la clarté ?… Champfleury s’est beaucoup débattu pour répondre à ceux qui prétendent qu’Hoffmann n’a pas le sens humain, et, par une confusion que nous voulons bien croire sincère, le dévoué raisonneur a cité les lettres plus ou moins sentimentales de l’auteur allemand à ses amis, comme s’il s’agissait de la moralité de la vie et non pas de la nature du talent !

1008. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VII. Vera »

Cet esprit puissant, mais dans un vide immense, s’est trompé de la plus petite erreur et de la plus commune sur le compte de la destinée humaine que Schelling, — un philosophe comme lui pourtant, — ne pouvait expliquer sans la Chute. […] Nous saurons enfin ce que c’est que l’hégélianisme et ce qu’il doit tenir de place dans l’histoire de l’esprit humain. […] Il a une notion fausse et folle de la force humaine.

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