Soit préjugé d’éducation, soit habitude d’errer dans les déserts, et de n’apporter que notre cœur à l’étude de la nature, nous avouons qu’il nous fait quelque peine de voir l’esprit d’analyse et de classification dominer dans les sciences aimables, où l’on ne devrait rechercher que la beauté et la bonté de la Divinité.
L’auteur anglois qui réprend la parole, prétend que nos poëtes, afin de pouvoir mettre de l’amour par tout, ont pris l’habitude de donner le nom d’amour et de passion à l’inclination generale d’un sexe pour l’autre sexe, determinée en faveur d’une certaine personne par quelques sentimens d’estime et de préference.
Les mêmes regles veulent encore qu’on donne aux differentes nations qui paroissent ordinairement sur la scene des tableaux, la couleur de visage et l’habitude de corps que l’histoire a remarqué leur être propres.
Ailleurs, en Allemagne par exemple, tel philosophe a pu être savant, tel savant a pu être philosophe ; mais la rencontre des deux aptitudes ou des deux habitudes a été un fait exceptionnel et, pour ainsi dire, accidentel.
L’un est l’esprit de chapelle, qui donne l’habitude d’écrire pour un petit nombre d’initiés et de se contenter de peu. […] On est, à la vérité, surpris d’abord et un peu froissé dans ses habitudes. […] « Le bon sens s’étonne un peu… », dit-il à propos d’Edgar Quinet dont la fureur mystique le froisse dans ses goûts et l’effraye dans ses habitudes. […] La vertu, quel beau mot latin : la force à l’état d’habitude, la force fixée, vis, virtus ! […] Devant un mari sur qui la sensualité et la vanité seules pourraient avoir prise et qui retourne bientôt à ses habitudes de célibataire, Camille est désarmée.
Pour les uns, le catholicisme est autorité ; il est bon surtout pour donner aux esprits l’habitude et comme le pli du respect de l’autorité. […] Cette émancipation l’amusait et lui donnait l’habitude de la liberté de penser. […] Les religions sont des crises, très puissantes, très profondes, probablement très salutaires ; mais ce sont des crises dans l’histoire de l’humanité ; et après avoir été des crises, elles deviennent des habitudes, chose d’une valeur morale assez faible ; et après avoir été des habitudes, elles deviennent des conventions, puis des convenances, choses qui n’ont certes pas la puissance de créer l’ordre civil, ni même de le soutenir. […] Si Buffon a montré, en choses de philosophie morale, un si admirable bon sens, c’est qu’il avait des habitudes de savant, d’observateur et d’homme qui mesure les temps par milliers de siècles, et, certes, ce qui manquait le plus à Quinet jusqu’ici, c’était la raison glacée du Buffon. […] C’est, sur un point de sociologie, la remarque judicieuse d’un esprit qui a pris de bonnes habitudes dans l’histoire naturelle ; ce n’est pas plus, mais c’est cela.
La plupart des personnes qui entreprennent de ressusciter un moment de l’histoire ont l’habitude de prendre tout de suite le ton épique. […] Il a, comme les peuples anciens, l’habitude d’écrire sur des pierres les vœux qui lui sont chers, et d’amonceler ces pierres sur les hauts lieux. […] Il ressuscitait des âmes anciennes, avec leurs affections, leurs habitudes, leurs espérances, leurs superstitions et leurs frayeurs. […] Elle avait la faiblesse de se parer un peu plus que d’habitude, lorsqu’arrivaient ces réunions, ardemment attendues. […] Il a pris, de trop bonne heure, l’habitude de se regarder faire.
Que de formules dédaigneuses, de la part de lecteurs qui sont figés dans leur goût, et qui ne veulent pas changer leurs habitudes mentales ! […] Une originalité qui s’est imposée par son mérite crée une mode qui s’insinue par l’habitude. […] Il s’appelle Houdar de la Motte ; nulle habitude, nulle révérence, nulle pudeur ne l’ont retenu. […] Poésie misérable, j’en conviens ; mais poésie cependant, puisque toute poésie est relative à son temps, aux goûts des contemporains, à leurs habitudes, à leurs désirs. […] Elle a travaillé à abattre les dogmes impérieux, les strictes croyances, tdut ce qui maintient l’individu dans une norme et dans une règle que lui ont dictées la tradition, l’habitude, les convenances.
Les réalistes sont venus protester contre les habitudes académiques, contre les poses de théâtre, les sujets tirés de la mythologie, l’imitation de la statuaire antique. […] Mais on voit, comme d’habitude, qu’ils ne connaissent pas notre situation. […] Et vous voyez bien que j’avais raison, puisque les Bourbons sont chassés de Sicile… » Il était de ceux qui ne calculent pas leurs actes et n’en savent pas mesurer la portée ; c’est peut-être cela que Massimo d’Azeglio, esprit plus pondéré et, de plus, rompu aux habitudes diplomatiques, appelle de la « faiblesse de caractère ». […] La division s’est faite d’elle-même, et elle a sa raison d’être dans le fait qu’avec leurs différences de talent, de tempérament et d’habitudes, la philosophie respective de ces deux groupes a des traits communs dont on ne saurait nier l’évidence, mais qu’il n’y a pas lieu d’analyser ici. […] Et de fait, c’est dans l’étude de l’individu, de ses particularités, de ses bizarreries, de ses contradictions, qu’éclate sa supériorité : il sait pénétrer une âme, il sait montrer un être sur le vif de ses habitudes, et, des détails de son analyse, reconstituer une figure complète.
Un autre point qui ne mérite pas moins de l’être, c’est cette prédilection déclarée pour l’action, qui se retrouvera dans toutes les circonstances de la vie et dans toute l’habitude de la pensée chez M. […] Mais, la part faite à ces observations et préoccupations libérales, ce petit écrit se recommande encore, après bien des années, par quelques pages plus durables : des descriptions lumineuses et faciles annoncent, dans le voyageur, l’habitude précoce et la faculté de voir géographiquement des ensembles, de décrire de haut et sans effort la configuration des lieux et des bassins qui se dessinent devant lui. […] Mêlant, selon son habitude, à ces considérations générales des données positives et techniques, et ne négligeant aucun détail matériel (tel que la coupe des pierres, leur attache, etc., etc.), il croit être arrivé à des résultats capables de satisfaire, et, par exemple, il se voit en mesure d’expliquer, de motiver en détail le passage de l’architecture grecque à la romaine, par la nécessité d’agrandir la première en l’adaptant à de certains usages déterminés du peuple-roi, et par le mélange du goût oriental. […] Sans m’arrêter à discuter le pour ou le contre de telle ou telle opinion, de telle ou telle idée, je me suis attaché, selon mon habitude, à caractériser plutôt la qualité, la nature du fonds même où elles germent, et la manière dont elles s’y produisent.
Boullers, nommé un instant pour lui succéder en 1814, n’y parut jamais : il se contenta d’envoyer demander le premier jour, par un reste de vieille habitude, où étaient les écuries et remises du logement de Palissot, afin d’y loger sans doute les chevaux qu’il n’avait plus. […] Quant à l’autre espèce de sagesse plus à huis-clos et dans la chambre, qui ne s’enseigne pas, qui ne se professe pas, qui n’est pas une méthode, mais un résultat, pas un début ni une promesse, mais une habitude et une fin, et de laquelle il faut répéter avec Sénèque : Bona mens non emitur, non commodatur, c’est-à-dire qu’elle est une maturité toute personnelle de l’esprit, on peut s’en tenir à Gabriel Naudé. […] Ces onze ou douze années d’Italie et de Rome durent avoir grande influence sur lui et sur ses habitudes d’esprit ; mais on peut dire qu’il y était bien préparé par la nature. […] Dans l’habitude de la vie, il ne se confiait à personne, — « à personne, hormis à M.
On pourrait persister dans cette existence par la crainte d’en sortir ; mais si ce seul motif nous retenait sur la terre, tous ceux qui ont vaincu la terreur par des habitudes militaires, toutes les personnes dont l’imagination est plus frappée du fantôme de la vie que de celui de la mort, s’épargneraient les derniers jours qui répètent d’une voix si rauque les airs brillants des premiers. […] Les actes de réflexion ne sont pas dans leur nature ; ils paraissent être enchaînés au présent, ignorer l’avenir et n’avoir recueilli du passé que des habitudes. […] Les Allemands sont doués des qualités les plus excellentes et des lumières les plus étendues ; mais c’est par les livres que la plupart d’entre eux ont été formés, et il en résulte une habitude d’analyse et de sophisme, une certaine recherche de l’ingénieux qui nuit à la mâle décision de la conduite. […] La jeunesse, l’espoir, le souvenir, l’habitude, que seront-ils si le cours du temps est arrêté ?
L’habitude, par la répétition, le fortifiera, augmentera même la cohésion des représentations de feu et de brûlure, le passage facile d’un mode de vibration cérébrale à l’autre. […] Les inductions d’abord réfléchies finissent, avec l’habitude, par prendre cette forme de l’induction instinctive. […] Les écossais et les éclectiques, suivant leur habitude, répondent à la question par la question, en invoquant comme axiome la stabilité et l’universalité des lois de la nature, qui, au lieu d’être le principe de l’induction, n’est qu’une conséquence de l’induction même. […] Le mouvement de transport à l’avenir produit une force de tension mentale qui, psychologiquement, se nomme habitude et attente ; cette force est proportionnelle au nombre des expériences, semblables ; mais elle existe dès la première expérience, puisque, dès ce moment, il y a impulsion et mouvement dans une certaine direction.
En vain la nature les environnait de merveilles ; plus les phénomènes étaient réguliers, et par conséquent dignes d’admiration, plus l’habitude les leur rendait indifférents. […] Comment dans un état de civilisation aussi avancé que le nôtre, lorsque les esprits ont acquis par l’usage des langues, de l’écriture et du calcul, une habitude invincible d’abstraction, nous replacer dans l’imagination de ces premiers hommes plongés tout entiers dans les sens, et comme ensevelis dans la matière ? […] Ainsi toutes les découvertes des anciens Égyptiens appartiennent à un Hermès ; la première constitution de Rome, même dans cette partie morale qui semble le produit des habitudes, sort tout armée de la tête de Romulus ; tous les exploits, tous les travaux de la Grèce héroïque composent la vie d’Hercule ; Homère enfin nous apparaît seul sur le passage des temps héroïques à ceux de l’histoire, comme le représentant d’une civilisation tout entière. […] Les premiers n’arrivent guère à sentir les beautés d’une langue étrangère, par l’habitude qu’ils ont de chercher toujours les défauts.
Bernis y avait mis, plus encore que d’habitude, une profusion de fleurs, de bouquets, de guirlandes ; et là-dessus Voltaire l’appelait, en s’adressant à lui-même, la belle Babet, ou, en parlant à d’autres, la grosse Babet : c’était alors une bouquetière en vogue, une marchande de quatre saisons. […] Dès ce temps-là, et à travers les compliments, toutes les critiques lui furent faites : « On me demande, dit-il dans un petit écrit en prose de 1741, comment il est possible qu’un homme fait pour vivre dans le grand monde puisse s’amuser à écrire, à devenir auteur enfin. » Et à ces critiques grands seigneurs et de qualité, il répondait « que, s’il n’est pas honteux de savoir penser, il ne l’est pas non plus de savoir écrire, et qu’en un mot ce sont moins les ouvrages qui déshonorent, que la triste habitude d’en faire de mauvais… ».