XIX Et ce goût passionné pour les poésies d’Ossian ne fut pas seulement un goût littéraire, une fantaisie d’imagination propre à la jeunesse et passager comme elle. […] Nous n’avons jamais considéré le premier des Bonaparte comme une autorité en matière de goût poétique, ni de haute raison philosophique et diplomatique, mais nous l’avons toujours reconnu le plus grand écrivain de son temps, et l’homme de la plus forte imagination, toutes les fois que ses passions ambitieuses ne l’emportaient pas à mille lieues, du triste et du vrai. […] Je ne récuse donc pas le génie d’imagination du premier Napoléon en matière de goût poétique.
Quant à Voltaire, s’il n’a pas gagné, il s’est soutenu par le bon sens et le goût qu’il a répandus dans la nation. […] Il préfère par goût, peut-être par politesse pour Genève, sa patrie, le gouvernement aristocratique ; mais sa logique préfère le démocratique : « seulement, dit-il, il y faut un peuple de dieux104. » Qui donc croit-il en dégoûter en y mettant cette condition ? […] Quand il sera touché de ce goût du vrai que le païen Cicéron regardait comme la plus noble prérogative de l’homme ; quand, averti par son instinct, il soupçonnera que la connaissance du monde où il vit est nécessaire à son bonheur, ces premiers indices qui prouvent que l’âme est adulte, même dans les plus jeunes enfants, ne hâteront pas d’une heure le moment où Rousseau se résignera enfin à lui apprendre à lire. […] Il a eu des jours heureux, parce qu’il a eu ces jours-là un goût naïf et la faculté de s’y oublier.
* * * Il est rare que les faiseurs de l’opinion en art et en littérature ne subissent pas la tyrannie des imbéciles : les guides du goût public en sont généralement les domestiques. […] 22 mars Nous allons chez Sainte-Beuve qui, en dépit de son peu de goût pour notre roman, est disposé à lui consacrer un article critique. […] Nous nous sommes sentis là, mordus d’un nouveau goût de raretés, du goût des objets d’art de la nature.
Lundi 24 août Ce soir, Mme de Béhaine définissait admirablement le goût de toilette de l’ancienne parisienne. « Être bien chaussée, bien gantée, avoir de jolis rubans : la robe n’était qu’un accessoire » disait-elle. […] Le voyant, le coup de pistolet dans l’habillement de la femme, est une victoire du goût étranger, du goût américain sur l’ancien goût français.
Il publia pour répondre aux engouements du public et pour satisfaire ses goûts, des études sur le théâtre Espagnol, une édition du Romancero, une brochure sur le Guano, sa valeur comme engrais, un guide perpétuel de Paris : Tout Paris pour 12 sous, un mémoire sur la période de Disette, qui menace la France, une Histoire de France illustrée ; il composa un vaudeville en collaboration avec Romieu ; il étudia L’Afrique au point de vue agricole, créa le Journal du Soir, inventa les publications illustrées, par livraison, etc. […] Mais la critique historique qui n’admire ni ne blâme, mais essaye de tout expliquer, adopte l’axiome populaire, il n’y a pas de fumée sans feu ; elle pense que l’écrivain acclamé par ses contemporains, n’a conquis leurs applaudissements que parce qu’il a su flatter leurs goûts et leurs passions, et exprimer leurs pensées et leurs sentiments dans la langue qu’ils pouvaient comprendre. […] Les journaux, les pamphlets, les discours étaient la littérature de l’époque, tout le monde parlait et écrivait et sans nulle gêne piétinait sur les règles du goût et de la grammaire. […] Il se signait dévotement devant la formule sacramentelle du romantisme : l’art pour l’art ; mais, ainsi que tous bourgeois ne songeant qu’à faire fortune, il consacrait son talent à flatter les goûts du public qui paie, et selon les circonstances il chantait la royauté ou la république, proclamait la liberté ou approuvait le bâillonnement de la presse ; et quand il était besoin d’éveiller l’attention publique il tirait des coups de pistolets : — le beau, c’est le laid est le plus bruyant de ses pétards.
Le sensualisme obscène des tableaux produisait ce cynisme grossier de l’expression ; il faut le pardonner à un enfant qui prenait l’engouement pour le goût ; le temps prenait bien l’ordure du mot pour la force du style. […] Il y a plus de rapports qu’on ne le suppose entre la vie et le goût. […] La Ballade à la lune, grotesque parodie de l’école romantique et insolent défi à l’école classique, qui se disputaient en ce temps-là le goût français pour le laisser définitivement au bon sens, cette école éternelle, succède à ces vers à Ulric Guttinger. […] — Non, je n’aurais eu le droit de t’accuser de rien dont je ne sois moi-même coupable ; mais j’aurais eu le droit de t’aimer, de te consoler, de te dire d’avance le goût de tes larmes, d’entendre le premier les confidences de tes chants, et, puisque tu devais mourir avant moi, d’en recueillir peut-être pieusement le difficile héritage, afin d’augmenter ta gloire en diminuant tes œuvres de tes fautes !
Pourtant je donne encore le même nom à la sensation éprouvée, et je parle comme si, le parfum et la saveur étant demeurés identiques, mes goûts seuls avaient changé. Je solidifie donc encore cette sensation ; et lorsque sa mobilité acquiert une telle évidence qu’il me devient impossible de la méconnaître, j’extrais cette mobilité pour lui donner un nom à part et la solidifier à son tour sous forme de goût. Mais en réalité il n’y a ni sensations identiques, ni goûts multiples ; car sensations et goûts m’apparaissent comme des choses dès que je les isole et que je les nomme, et il n’y a guère dans l’âme humaine que des progrès.
S’enfermant au collège de Sainte-Barbe vers l’âge de vingt-sept à vingt-huit ans, il se mit à lire les anciens historiens et à méditer de composer une Histoire de France dans un goût tout nouveau. […] Il l’offrit accommodée au goût et, pour ainsi dire, aux yeux du monde de son temps.
Lassay avait du goût pour les jardins et pour les bâtiments, comme il le prouva plus tard en accommodant l’hôtel Lassay, comme il l’avait déjà montré en petit dans sa jolie maison de retraite près des Incurables ; il avait le goût simple et uni, et avec peu il obtenait d’heureux effets : Je vous demande encore, disait-il à la maîtresse de cette villa de Bagnaia, de faire abattre, à hauteur d’appui, la muraille qui est devant vos fenêtres, car cette muraille vous donne une vue effroyable et vous en cache une fort belle ; et, si on prétend qu’elle est nécessaire pour votre maison, il n’y a qu’à faire un petit fossé derrière.
Sayous) nous fait voir Henri III juge délicat des choses de l’esprit : Henri III savait bien dire quand on blâmait les écrits qui venaient de la cour de Navarre de n’être pas assez coulants : « Et moi, disait-il, je suis las de tant de vers qui ne disent rien en belles et beaucoup de paroles ; ils sont si coulants que le goût en est tout aussitôt écoulé : les autres me laissent la tête pleine de pensées excellentes, d’images et d’emblèmes, desquels ont prévalu les anciens. […] Voilà un discours tout à fait dans le goût et le ton de ceux des meilleurs historiens de l’Antiquité, ferme, pressé, plein d’oppositions et d’antithèses pour les pensées comme pour les mots : un tel discours retravaillé et refait après coup est certes d’un écrivain, et, si d’Aubigné a mis de la négligence et du laisser-aller dans les intervalles, il a dû porter tout son soin sur ces parties de prédilection.
Après avoir essayé d’entrer dans le commerce, Léopold Robert revint dans sa famille et s’y fit remarquer par un goût instinctif pour la gravure, genre dans lequel s’est illustré plus d’un de ses compatriotes de La Chaux-de-Fonds. […] Le premier jet frappe et attire : mais ensuite une expression juste, une pose sévère et vraie, un dessin serré et gracieux en même temps, ne conservent pas seulement cette première attention, mais ces qualités produisent le goût des arts et font les amateurs constants.
Quelque goût personnellement qu’il eût à jouer de la hallebarde ou de la pique, il y entremêle sans cesse l’arquebuserie ; il combine l’action de ce nouveau moyen avec les autres armes de guerre, et, loin d’avoir aucun préjugé qui l’enchaîne aux us et coutumes de l’ancienne chevalerie, on le voit aussi ouvert et aussi entendu qu’homme de son temps à toute invention et à toute pratique militaire utile. […] On était sous Henri II, ce même Dauphin qui avait si bien souri à Montluc durant la tenue du conseil d’où sortit la victoire de Cérisoles, qui depuis l’avait vu à l’œuvre dans une attaque de nuit à Boulogne, et qui eut toujours pour lui un goût, une amitié particulière.
L’Académie française, où il n’y a pas de sections, bien que l’on pût à la rigueur en concevoir (sections de langue et de grammaire, de poésie dramatique, de poésie lyrique, d’histoire, d’éloquence proprement dite, de roman, de critique littéraire, j’y reviendrai tout à l’heure), l’Académie française, loin de voir un inconvénient dans le hasard et la mêlée des candidatures, tient à honneur d’être affranchie de tout examen préalable et de tout ordre prévu et réglé en matière d’élection ; elle estime que les qualités générales qui constituent le littérateur distingué, en quelque genre que ce soit, et l’homme de goût, sont suffisamment appréciées et senties par chacun de ses membres, et que prétendre faire plus, vouloir tracer des divisions et des compartiments, ce serait apporter en cette matière délicate une rigueur dont elle n’est point susceptible, et qui en froisserait et en fausserait la finesse. […] Dufaure a tenu bon dans son refus ; en cela, il a fait preuve de discrétion et de goût.
Qu’il eût mieux aimé gouverner autrement, cela ne saurait faire un doute ; mais son souverain bon sens, supérieur à ses goûts et à ses passions même, reconnut-il alors l’empire des faits et résolut-il de s’y soumettre ? […] Demander aux hommes de sa trempe d’être des libéraux par goût, par penchant et préférence, c’est trop exiger de l’humaine nature : c’est bien assez s’ils le deviennent à une certaine heure par une juste appréciation de la nécessité et par raison d’État.
Cependant, et malgré cette lacune, il y a eu, à cet extrême déclin du moyen âge, un grand théâtre religieux qui compte historiquement et qui est un témoin considérable des mœurs et des goûts de l’époque. […] Le point de vue du goût et le point de vue historique sont distincts : ne sacrifions pas l’un à l’autre, et ne les confondons pas non plus.